Chapitre 2 : La loi du plus fort


Aujourd'hui est un jour funeste, une date qui restera à jamais marquée par la malédiction et le traumatisme d'une boucherie sans nom. Nous sommes le 23 juin 1743, et il n'y aura que deux survivants.

Guerre Sainte. Ces mots résonnent avec douleur, chargés d'un fardeau qui les écrase et les grandit en même temps. Ils portent en eux le poids des tueries sanglantes qui leur sont inéluctablement liées. Mais ils sont également évocateurs d'une mission de foi et de dévouement envers les devoirs les plus sacrés qui soient. Ainsi est la Guerre Sainte.

Les projets du maître des Enfers peuvent être aisément devinés. Intervenir. Prendre les armes, partir en campagne, déposséder Athéna des responsabilités qu'elle n'a jamais été capable de remplir. Et surtout, dompter ce pathétique et méprisable ramassis d'imbéciles qui se prétendent doués de raison. Voilà trop longtemps que les humains outrepassent le rôle qui leur a été accordé ! Telles ont certainement été les pensées du sage et vénérable dieu des Enfers, dont le nom est trop sacré pour être prononcé ici-bas. Impérialisme primaire et égoïste, ou accomplissement d'un devoir moral auquel nul, pas même un dieu, ne peut se soustraire ? Personne sans doute ne peut se vanter de connaître avec certitude les motifs réels de cette divine entreprise.

Toujours est-il que ce conflit est en passe de transformer une charmante matinée de juin 1743 en une succession de massacres aussi atroces que sauvages. Le tout, bien évidemment, accompli au nom d'une prétendue Justice que chacun des deux belligérants croit défendre. Mais après tout, les motivations des dieux ne sont-elles pas impénétrables pour de simples mortels ?

Le déclenchement des hostilités, dont la menace se précisait davantage de jour en jour, s'est concrétisé ce matin. Et le fracas de la bataille est proche, désormais. Par une manoeuvre cruelle mais efficace, le dieu des Enfers a désorganisé le Sanctuaire d'Athéna et déclenché une offensive directe. Seuls demeurent, fidèles à leur poste, les douze guerriers de légende que sont les Chevaliers d'Or, réputés être les meilleurs combattants de l'univers. On raconte que jamais par le passé ils n'ont failli à leur tâche. Peut-être pourront-ils vaincre leurs adversaires une fois encore...

Ils sont vingt-huit. Ou plutôt, ils étaient vingt-huit, à leur arrivée au milieu de l'arène du Sanctuaire. Une escouade de vingt-huit spectres qui se suicideraient sur-le-champ si l'Empereur des Ténèbres en éprouvait subitement le désir. Ils connaissent leur devoir, et sont prêts à endurer mille morts pour l'accomplir. Ils savent également que peu d'entre eux survivront assez longtemps pour assister à la concrétisation de leur dessein. Mais une foi inextinguible les habite, celle qui leur permettra de renverser des montagnes et de faire triompher la Justice. N'est-ce pas là le principal ?

Vingt-huit se sont donc élancés vers la Maison du Bélier, le coeur vaillant et chargé d'espoir. Comme on aurait pu s'y attendre, l'accueil qui leur a été réservé par le maître des lieux n'a pas été des plus chaleureux. Le bilan est sans appel : sept morts du côté des assaillants. Un quart de l'expédition a donc péri dans la traversée du premier Temple. Et il est probable qu'il aurait été plus lourd encore, si un guerrier rempli de bravoure n'avait provoqué le chevalier du Bélier en combat singulier, permettant ainsi à ses frères d'armes de gagner du terrain en direction de la Maison du Taureau. Il s'appelle Astarill. Personne ici, pas même lui, ne se fait beaucoup d'illusions quant à l'issue de l'affrontement. Sion du Bélier est peut-être le chevalier d'or le plus renommé au Sanctuaire, tant par sa valeur au combat que par son légendaire orgueil. C'est lui qui fait le plus fréquemment étalage de sa formidable puissance devant les disciples effarouchés. C'est pourquoi d'un côté comme de l'autre, la situation est dénuée d'ambiguïté. Astarill de la Mandragore est un élément secondaire, un pion dont l'unique fonction consiste à retarder le chevalier du Bélier autant que possible. Astarill a parfaitement conscience de son humble condition, mais il la considère sans amertume. Il sait surtout que le simple fait de servir l'empereur des Ténèbres est un honneur dont il doit se montrer digne. C'est tout ce qui compte.

Les minutes passent... A l'autre bout du Sanctuaire, au coeur du treizième et dernier Temple du Zodiaque, il est un homme qui n'a rien perdu des événements déroulés dans la Maison du Bélier. Le Grand Pope est le représentant direct d'Athéna, et c'est en général lui qui traite les questions stratégiques de la Confrérie. Après avoir suivi avec un intérêt croissant le début de la bataille, il vient de prendre une décision qui pourrait se révéler lourde de conséquences. Aussi convoque-t-il le premier concerné afin de lui faire part de ses intentions. Il s'agit d'un autre chevalier d'or, celui qui est l'égal de Sion. Doko, le chevalier d'or de la Balance.

*****

Maison du Sagittaire.

- Ils vont passer.

La voix de Paul résonne dans le Temple du Sagittaire, empli d'un calme presque religieux et peu conforme aux circonstances. La guerre est une réalité depuis ce matin, mais elle s'est concrétisée il y a quelques dizaines de minutes à peine. A ce moment, Doko de la Balance, et Paul du Sagittaire étaient déjà ici, occupés à échanger idées et points de vue quant à l'issue de la bataille. L'arrivée des spectres au Sanctuaire leur a fourni matière à discuter, et donné un regain d'énergie à une conversation qui menaçait de s'épuiser. S'ils ne peuvent assister aux événements avec autant de précision que le Grand Pope, il leur est en tous cas possible de suivre l'évolution de la bataille par procuration. C'est mieux que rien, et cela leur évite d'attendre dans l'inquiétude leur arrivée sur le devant de la scène.

- Combien ?
- Mmmhh.... je ne sais pas. Environ une trentaine, plus peut-être, mais je n'arrive pas à avoir davantage de précisions.

Paul est censé être le plus expérimenté, celui qui parvient à capter les auras avec la plus grande exactitude. Mais cette fois-ci, ses compétences trouvent leur terme.

- De toute façon, ça n'a pas grande importance. Sion fera certainement des ravages dans leurs rangs, tu es bien placé pour le savoir. Et imagine alors ce qui les attend dans la Maison des Gémeaux.... Gayal n'en fera qu'une bouchée.
- Et dans celle du Taureau ? Tu sais que c'est un chevalier d'argent qui en a la garde. Un chevalier d'argent, contre plus de vingt adversaires. Aussi faibles que soient ses ennemis, ses chances de survie seront minimes.
- Remettrais-tu en cause la stratégie du Grand Pope, Doko ?

Le ton de Paul se fait inquisiteur. Le chevalier du Sagittaire ne plaisante pas avec l'obéissance, et le respect de la hiérarchie. On peut le taxer de rigide, sévère et conservateur. Voire de quelque peu fanatique. Mais c'est aussi le plus vieux des chevaliers d'or. C'est pourquoi il inspire une si grande déférence chez ses semblables. Pour Doko de la Balance, Paul est surtout un mentor. Une sorte de second maître, auquel il n'a jamais hésité à demander conseil. Bien sûr, Doko pourrait aussi s'adresser à Sion, avec lequel il a noué au fil des ans une profonde amitié. Mais ça n'est pas pareil. Sion et Doko ont le même âge, et sont tous deux animés de cette même fougue qui sied à la jeunesse. En revanche, Paul, du haut de son expérience, se montre plus autoritaire certes, mais surtout plus réfléchi. C'est donc vers lui que Doko se tourne, lorsque le doute l'assaille.

- Non, certainement pas. Je me disais seulement que....
- Que le Pope aurait pu remplacer ce chevalier d'argent par un chevalier d'or, coupe le gardien de la Maison du Sagittaire. Comme toi, ou moi. C'est cela ?
- Oui...
- Tu as tort d'être aussi inquiet, analyse finalement Paul après un silence. C'est ton jeune âge qui veut ça. Avec la maturité, tu comprendras que cette guerre n'a qu'une seule issue possible.
- Mais la stratégie du maître des Enfers n'est-elle pas... dangereuse ? Pour nous ?
- Quelle stratégie ? Le fait d'avoir manoeuvré de façon à vider le Sanctuaire de la plupart de ses défenseurs ? Cela ne le mènera à rien. Ses troupes seront vaincues, ici comme à l'extérieur. Penses-tu qu'il pourrait en être autrement ?
- Jamais je ne penserai une chose aussi absurde, rassure-toi. Je songeais plutôt aux massacres qu'une telle stratégie implique..... aux massacres civils. Des milliers de gens vont périr sans même comprendre ce qui leur arrive.
- Quelques pertes inévitables... c'est regrettable, certes. Mais le principal est que le Mal soit terrassé, et que le monde soit purifié de ses péchés. Si cela passe par un certain nombres de sacrifices, et bien soit.
- Vraiment ??
- Oui, je sais, mes paroles sont redoutables. Mais la lutte acharnée que nous menons pour la Justice passe avant tout, ne crois-tu pas ? Qu'adviendrait-il, si nous commencions à nous soucier davantage de sauver des vies humaines, que de pourfendre leurs agresseurs ? Tu peux en croire mon expérience, Doko. Notre mission, la plus sacrée qui soit, est d'éradiquer le Mal sous toutes ses formes. Aucun pardon n'est accordé à ceux qui souillent le nom d'Athéna, et nous sommes là pour faire respecter cette loi. Toute autre priorité doit être annulée. Dans le cas présent, Athéna vaincra tous ses ennemis. C'est la seule chose qui ait une réelle importance.

Paul se tait. Le sujet est clos, et Doko devine qu'il serait vain d'insister davantage. Lui et son interlocuteur appartiennent à la même classe de chevaliers, mais cela ne suffit pas à les mettre sur un pied d'égalité. Il est en effet communément considéré que l'âge de Paul et son expérience légitiment la position de mentor qu'il occupe au sein de ses semblables. Ce n'est sans doute pas dénué de vérité, mais il est également probable que le chevalier du Sagittaire se plaise à jouer le rôle du grand frère, plein de science et de sagesse. Doko est conscient de l'influence que Paul exerce sur lui, mais il ne s'en défend pas. Pour lui, jeune chevalier qui bouillonne encore d'impatience, la présence d'un tel personnage à ses côtés a souvent été une aide non négligeable.

Paul, qui n'a pas pris la peine de revêtir son armure d'or, s'éloigne un peu, en direction de l'entrée du Temple. En face de lui, quelque part au bas de la montagne, ont lieu les premiers affrontements. Il ressent distinctement le cosmos flamboyant de Sion du Bélier, premier protecteur d'Athéna. Paul lui souhaite mentalement bonne chance, et regrette de ne pouvoir faire davantage. Il n'a pas eu à choisir son rôle dans la bataille.

Doko hésite. Il est un thème qu'il n'a pas encore osé aborder depuis le début de leur discussion. C'est un sujet qu'il estime délicat, et il craint de provoquer quelque peine chez le chevalier du Sagittaire, en évoquant des souvenirs peut-être douloureux. A plusieurs reprises, il s'est cru décidé à parler de Motaro, puis il s'est retenu, freiné au dernier instant par une pudeur inexpliquée. Il sait peu de choses, en fait, et peut-être est-ce justement pour cela qu'il voudrait interroger Paul. Les seules informations dont il dispose sont les échos des rumeurs circulant au Sanctuaire. Il sait que Motaro est - était ? - le disciple de Paul du Sagittaire. Il sait aussi que Motaro est brillant, dévoué et vertueux, désireux surtout de revêtir l'armure d'argent du Centaure, rejoignant ainsi l'Ordre. Il sait également que Motaro a subi son épreuve il y a quelques jours à peine, l'épreuve qui devait déterminer son destin. Il ne possède pas plus de précisions quant à la nature de l'épreuve en question. Il sait enfin que Motaro a disparu sans laisser la moindre trace, et sans donner le moindre signe de vie à quiconque. Ses informations à ce sujet se limitent à cela. Peut-être Motaro a-t-il échoué, peut-être cette épreuve ne lui a-t-elle apporté que le trépas. Doko peine à le croire. Il devine en Paul un maître compétent, et a déjà eu l'occasion d'observer quelques-unes des prouesses de son élève. Non, il paraît peu probable que Motaro ait trouvé la mort alors qu'il était sur le point de rejoindre les rangs d'Athéna... mais alors où est-il ? Doko voudrait questionner, interroger le chevalier du Sagittaire. Paul a forcément une idée sur la question ! Cependant, il craint en même temps de froisser son ami. C'est un sujet sensible, et il se peut que Paul soit blessé par cette intrusion de Doko dans ses inquiétudes. Le chevalier de la Balance hésite, tiraillé par deux forces antagonistes. Il voudrait savoir, comprendre, pour aider son compagnon. Mais en même temps, il se refuse à prendre le risque de replonger Paul dans l'angoisse. Cela fait de longues minutes qu'il pèse ainsi le pour et le contre sans parvenir à se décider. Serait-il incapable de passer à l'action ? Même un des chevaliers d'or, les plus puissants défenseurs de la déesse, se sent parfois démuni face aux circonstances. Néanmoins, ne vaut-il pas mieux se jeter à l'eau en dépit des doutes et des hésitations ? Vient un moment où il faut cesser de réfléchir...

- Paul, est-ce que tu...
- Chevalier Doko !

C'est un soldat qui s'approche, essoufflé. Il porte l'uniforme des gardes personnels du Grand Pope, ceux qui sont autorisés à se déplacer à loisir d'un bout à l'autre du Domaine, connaissant chaque recoin et chaque porte dérobée. Doko et Paul se tournent vers lui, étonnés. Que veut donc le Pope, autorité suprême du Sanctuaire ? Cela doit être important...

- Chevalier Doko, le Grand Pope désire vous rencontrer immédiatement. Il s'agit d'une affaire qui ne doit souffrir aucun retard.

Un regard interrogateur est échangé par les deux chevaliers d'or. Tout ce qu'ils comprennent, c'est l'importance de l'événement. C'est déjà suffisant.

- Chevalier Doko de la Balance, insiste le garde, il faut vous hâter. Chaque seconde est capitale, vous devez vous en douter.
- J'ai bien compris.

Au moment de quitter la Maison du Sagittaire, Doko s'arrête et se retourne vers son gardien, une dernière fois.

- Paul ? demande-t-il doucement.
- Oui ?
- Au cas où l'on ne se reverrait plus... bonne chance. Et merci.

Sans lui laisser l'occasion de répondre, Doko reprend sa course et part pour de bon, cette fois-ci. Tant pis, il n'en saura pas davantage au sujet de Motaro du Centaure. Si seulement il s'était décidé un peu plus tôt.... Trop tard, songe-t-il. Et puis, ça n'est peut-être pas si important que cela, après tout.

*****

Maison du Bélier.

Violence. Quelques gouttes de sang sur le sol, et le vacarme d'une lutte aussi brève qu'inégale. Ce dernier impact a fait davantage de dégâts que les précédents, bien que la contusion demeure sans gravité. Astarill a dû reculer de quatre pas pour garder l'équilibre, et porte sur son visage des stigmates qui trahissent son infériorité. Les deux adversaires - le dominant et le dominé - se toisent. Temps mort.

Une semi-obscurité règne dans la Maison du Bélier. L'endroit est presque dépourvu de fenêtres, et les quelques torches accrochées au mur n'ont qu'un effet limité. Pourtant, Sion le chevalier d'or semble auréolé de lumière, comme si un feu divin l'avait désigné comme le garant de quelque mission céleste. On jurerait que tout est fait pour mettre sa personne en valeur. Astarill, dressé dans la pénombre, fait pâle figure en comparaison. Il ne parvient pas à masquer son essoufflement, et peine à rassembler ses forces en prévision du nouvel assaut imminent. Son surplis sacré a pu lui fournir une protection non négligeable, c'est sans doute la raison pour laquelle il a moins souffert qu'on pourrait le croire. Lorsqu'on y prend garde, on découvre sans peine que ses blessures sont des plus superficielles. Mais peut-être est-ce intentionnel de la part du chevalier du Bélier ? A y regarder de plus près en effet, Sion n'a pas frappé pour tuer. Ses coups n'auraient pas même abattu un chevalier de bronze. Faire étalage de sa valeur, c'est en cela seulement que réside toute l'ambition du chevalier d'or. En tous cas pour l'instant. Et la démonstration de force n'est pas terminée.

Fin du temps mort. Le mouvement de Sion est perceptible par le spectre de la Mandragore, mais pas suffisamment cependant pour lui permettre de réagir au bon moment. Et à nouveau, le chevalier d'or lui assène une grêle de coups en poussant des grognements de bête fauve. Les impacts sont brefs, puissants, et chaque coup reçu en annonce un autre, inéluctablement. Mais à nouveau, il est manifeste que Sion ne souhaite pas tuer son ennemi. Pas tout de suite, du moins. Une fraction de seconde après le début de son assaut, il attrape Astarill par le bras et encastre son corps dans le mur, d'un geste qui dénote une certaine nonchalance. De toute évidence, l'effort fourni n'a pas été considérable, en regard des capacités de Sion.

Il croise les bras et observe sa victime avec un regard de chasseur triomphant. Mais encore une fois, ce n'est rien de plus qu'une phase de transition. Un nouveau temps mort, bien plus court que le précédent.

En voyant Sion interrompre la lutte, Astarill a espéré disposer d'un instant de repos. Erreur. Il apprend à ses dépens que l'espoir n'est qu'un prélude à la déception. Sion ne repose que ses membres. Son esprit, lui, est en état d'ébullition. Astarill sent le contrôle de son corps lui échapper, et un instant plus tard, il flotte dans les airs, sous l'emprise absolue de la volonté de son adversaire. C'est avec un bruit sourd que le corps du spectre heurte le plafond, sans que son légitime propriétaire ait pu réagir de quelque façon. Ce n'est néanmoins qu'un amusement très temporaire pour le chevalier du Bélier. Ce dernier y met un terme en faisant tournoyer Astarill au milieu de la salle, de plus en plus vite, comme s'il voulait le transformer en une tornade vivante. Ce faisant, Sion se volatilise subitement. Il réapparaît juste à la droite de son ennemi. Il tend une main grande ouverte devant lui, et génère une onde de choc qui propulse Astarill contre le mur. Un fracas de roche brisée accompagne son geste, et marque la fin du second assaut. Les pouvoirs télékinétiques de Sion sont réellement impressionnants.

La victoire n'est désormais plus qu'une formalité, et Sion, déjà, pense à la suite des événements. Le temps presse. Bientôt, les autres spectres atteindront la Maison du Taureau. Sion a entendu dire qu'elle n'était gardée que par un chevalier d'argent... c'est sans doute vrai, puisque le chevalier du Taureau est mort il y a peu. Sion n'a pas beaucoup d'estime pour ceux qui lui sont inférieurs, et il devine qu'un chevalier d'argent ne pourra pas grand-chose face à un si grand nombre d'assaillants. Raison de plus pour en finir rapidement avec le spectre de la Mandragore, pense-t-il. Il est temps de porter le coup de grâce à Astarill, mais son sens de l'honneur contraint le chevalier d'or à attendre que le spectre se soit relevé, pour l'attaquer. Et cela tarde à venir. Peut-être est-ce donc pour meubler le temps que Sion prend la parole.

- Astarill, tu n'as aucune valeur en tant que guerrier. Vois avec quelle facilité je te domine ! Tu n'es rien. Tout comme tes semblables, d'ailleurs. Je t'ai vaincu aussi facilement que j'ai vaincu tes six compagnons, tout à l'heure. Comprends-tu à présent pourquoi l'issue de cette bataille ne fait aucun doute ?

La réaction d'Astarill est négligeable. Ce n'est pas qu'il soit grièvement blessé ou trop épuisé pour se remettre debout. Mais la facilité avec laquelle Sion vient de lui faire mordre la poussière le laisse sans voix. Peut-être a-t-il déjà perdu tout espoir.

- Je vais te le dire, Astarill. Pour la simple et bonne raison qu'Athéna ne peut pas perdre. Tu entends ? Elle ne peut pas perdre. Tant que sa main droite enserrera le sceptre de la Victoire, tant que la déesse Niké l'accompagnera dans la bataille, tout défaite sera impossible. L'offensive d'Hadès ne sera bientôt plus qu'un mauvais souvenir, et la Justice d'Athéna rayonnera éternellement sur la Terre.
- Ta... ta force est gigantesque, chevalier du Bélier, articule Astarill en posant sa main contre la paroi pour se remettre peu à peu debout. Mais ta vanité est plus gigantesque encore. Sache que j'ai foi en mes compagnons. Avec ou sans moi, quelles que soient les embûches qui se dresseront sur leur chemin, je sais que jamais ils ne se laisseront aller au désespoir. Nous sommes les spectres, loyaux et fidèles serviteurs d'Hadès. Défenseurs d'une Justice peut-être trop sacrée pour que tu puisses la concevoir. Quoi qu'il nous en coûte, nous vaincrons les douze chevaliers d'or, nous traverserons les douze Maisons du Zodiaque et nous mettrons enfin un terme au règne despotique d'Athéna sur ce monde. Notre victoire finale est... inéluctable, achève-t-il laborieusement.
- Vaincre les douze chevaliers d'or ???

Sion part d'un rire tonitruant et pousse de grandes exclamations en s'avançant vers le spectre de la Mandragore avec lenteur. Les gesticulations de ses bras servent d'accompagnement à ses paroles hautaines.

- Tu continues à dire n'importe quoi ! Astarill, les chevaliers d'or sont réputés être les guerriers les plus puissants de l'univers, et cette renommée est encore en-dessous de la vérité ! Nous sommes invincibles ! Nous maîtrisons parfaitement la vitesse de la lumière ! Le septième sens n'a aucun secret pour nous ! Nos légendaires armures d'or sont absolument indestructibles ! Toi-même, tu viens d'ailleurs de faire la douloureuse expérience de ma puissance ! Et tu te figures encore que tes compagnons ont une chance de gagner ? Tu es pathétique, spectre de la Mandragore. Je perds mon temps à discuter avec toi. Il est normal que les aveugles ignorent la lumière...
- Tu commets une grave erreur en me sous-estimant de la sorte, chevalier du Bélier. Mais qu'il en soit ainsi. Nous verrons bien qui de nous deux sortira vainqueur...
- Je n'ai jamais sous-estimé personne, et ce n'est pas maintenant que ça va commencer. Lorsque je veux vaincre, je me bats contre un insecte de la même façon que je me battrais contre un dieu : de toutes mes forces ! Puisque tu ne comprends décidément rien à rien, il ne me reste plus que la violence pour t'en convaincre, Astarill. Adieu !

Astarill s'est finalement relevé. Cela lui a demandé moins d'efforts qu'il le pensait au départ, et à présent, malgré l'écrasante supériorité de son adversaire, il se sent de taille à affronter tous les défis. Peut-être périra-t-il dans l'assaut, mais au moins aura-t-il la satisfaction d'avoir honorablement combattu.

*****

Maison des Gémeaux.

Le maître des lieux est assis par terre, en tailleur. Gayal médite silencieusement, érigeant une barrière infranchissable entre ses songes et le monde extérieur. Rien ne peut l'atteindre... sauf un contact télépathique du Grand Pope Alresha lui-même. Gayal ouvre un oeil.

- Chevalier des Gémeaux, le temps joue contre nous. Une vingtaine de spectres se dirigent à grande vitesse vers la Maison du Taureau. Je voudrais que tu fasse usage de tes pouvoirs pour les ralentir autant qu'il te sera possible de le faire. Bonne chance.

C'est aussi clair que concis. Gayal ne prononce pas une parole. Il se contente de reprendre sa concentration, en la focalisant sur un nouvel objet, afin qu'il en soit fait selon les désirs du Grand Pope. Retarder les spectres ? Cela correspond tout à fait à ses compétences, en principe. A vrai dire, il n'a même que l'embarras du choix quant aux moyens pour y parvenir. Il réfléchit un instant, puis se décide. Quelques minutes, c'est tout le temps qu'il peut espérer leur faire perdre. Si le hasard est du côté d'Athéna, il se peut que cela suffise.

Le Pope a raison, le temps presse. Gayal se raidit et rassemble ses forces. Aussitôt une image se précise dans son esprit : celle des assaillants qui progressent vers le deuxième Temple du Zodiaque. Gayal affiche un orgueilleux sourire. Il compte bien leur faire regretter de s'être aventurés en un lieu aussi hostile.

Le chevalier des Gémeaux les observe attentivement. Ils progressent, c'est plus que manifeste. Le décor est des plus monotones. Un interminable escalier... Les marches se succèdent, l'une après l'autre. L'ascension est rythmée par un concert de respirations haletantes et saccadées, quand soudain... Grondement. Eboulement. La montagne s'effrite et abat sa fureur sur l'infortunée poignée de spectres qui la gravissent laborieusement depuis de trop épuisantes minutes. Des rochers jaillissent de toutes parts, convergent vers leur cible toute désignée. Le sang va couler.

Déluge. Une pluie rocheuse et enflammée déchaîne sa force. Les spectres ont stoppé leur avancée au moment où l'assaut les a enveloppés. Un nuage de fumée obscurcit la vision du chevalier des Gémeaux, mais il prend conscience de la stérilité de son assaut. Que peuvent quelques cailloux incandescents, fussent-ils guidés par le plus puissant des chevaliers d'or, contre l'escouade divine du maître des Enfers ? Rien, certes. Les spectres ont tôt fait de générer une sphère protectrice autour d'eux, réduisant à néant l'effort de Gayal

Un sentiment de culpabilité étreint le chevalier des Gémeaux. Il s'est conduit d'une façon qui ne lui plaît guère. Il aurait dû se douter qu'il en faudrait davantage pour décontenancer ses adversaires. Son tour de passe-passe n'avait aucune chance d'aboutir.

- Dans ce cas... songe-t-il brièvement.

Le combat à distance n'est pas terminé. Là-bas, sur les marches qui mènent à la Maison du Taureau, les soldats d'Hadès ont interrompu leur avancée. Peut-être tentent-ils de deviner en quoi consistera la prochaine offensive. Si tel est le cas, leurs efforts sont vains. A tout hasard, les spectres continuent de maintenir leur champ de force en activité, en prévision d'un assaut similaire au précédent. C'est une décision que Gayal ne tarde pas à estimer comme une lourde erreur, une faille au fond de laquelle se cache la solution qu'il recherche. Ils se tiennent prudemment cachés derrière leur bouclier ? Fort bien. Qu'ils y restent donc.

Gayal concentre son cosmos autour de lui, puis le condense entre ses mains. Le tour de force qu'il s'apprête à accomplir n'est pas à la portée du premier guerrier venu, mais Gayal est un chevalier de valeur. Maintenant ! Il ouvre brutalement les yeux, dévoilant un regard vif et brûlant. Son Cosmos est enragé. Sur les marches, la réaction survient sans que quiconque ne réalise vraiment ce qui se produit. En apparence, pourtant presque rien. Le ciel s'obscurcit, et un tintement se fait entendre, semblable au bruit de l'eau que l'on transforme subitement en un bloc de glace dense et solide. Puis c'est fini, et les spectres ne comprennent toujours pas. Ils n'ont rien, et leur bouclier a tenu bon, de toute évidence. Quoique... quelque chose est différent, dans ce bouclier. Il est plus flou, plus brillant.

Eaque est le premier. Il aperçoit un de ses hommes approcher sa main du champ de force dans le but manifeste de la passer au travers, vraisemblablement pour en évaluer la texture. Une sombre présomption le parcourt alors, avec l'effet d'une griffure au milieu du dos. Eaque hurle. L'homme recule, apeuré et mis en garde. Les trois Juges légendaires échangent un regard. Ils ignorent qui est à l'origine de leur situation, mais cette dernière est désormais bien moins équivoque. Le bouclier n'est plus, seule subsiste une barrière infranchissable. Les spectres sont prisonniers.

Nouvel obstacle.

- Que personne ne s'approche du bord, siffle Minos entre ses dents. On ignore s'il y a un danger, et c'est précisément pour cette raison qu'on sera prudents.
- Quelqu'un a transformé notre bouclier en.... en quelque chose de différent, constate Eaque. Apparemment, ce n'est pas solide, mais ne comptez pas sur moi pour y plonger la main afin de le vérifier...
- Rhadamanthe, as-tu une idée ?

Le troisième Juge toise ses pairs l'un après l'autre, sans prendre la peine de leur répondre. Puis il tourne la tête, comme s'il se désintéressait totalement des événements. Seul le combat brut trouve une certaine grâce à ses yeux. Tout le reste n'est que fioritures dont il faut se débarrasser au plus vite. Ainsi pense Rhadamanthe, dont la simple présence donne une tangibilité au mot "puissance". Certes, les Juges ont tous trois une force effrayante, mais c'est encore plus vrai pour lui, que cette nouvelle épreuve laisse de glace. Il s'écarte, choisissant de laisser ses compagnons résoudre le problème sans lui.

- Tant pis, soupire le spectre du Garuda. Il faut trouver un moyen de sortir. Et avant tout, comprendre dans quoi nous sommes enfermés.
- Et si l'un d'entre nous tentait de passer au travers ? s'enquiert un anonyme revêtu d'un surplis des plus sommaires. Le risque est important, mais c'est certainement la méthode la plus radicale pour parvenir à nos fins.

Des regards partagés lui répondent. Aucun parmi eux ne manifesterait d'hésitation pour mettre un terme immédiat et définitif à son existence, si cela permettait aux autres de poursuivre leur route. Mais c'est néanmoins une décision qui ne doit pas être prise à la légère. Eaque fait la moue. Minos, éternel législateur, tranche d'une voix monocorde.

- Non. C'est une solution qui ne sera envisagée que si aucune autre ne se présente. Nous avons perdu sept hommes dans la Maison du Bélier, ce sont déjà sept de trop. Trouvons autre chose.

Le silence retrouve sa place, en attendant la prochaine suggestion. Chacun ici est libre de soumettre ses idées à l'approbation de ses compagnons. Chez les soldats d'Hadès, en effet, il n'est pas coutume de gaspiller les compétences en n'acceptant que les idées émises par les guerriers les plus prestigieux, membres d'une quelconque élite. C'est une attitude que les spectres rejettent avec dégoût. La solution à un problème peut venir d'un des trois Juges légendaires, tout comme elle peut être apportée par un soldat aux médiocres capacités. Il en est ainsi, c'est pourquoi jamais on ne refusera d'écouter une idée sous prétexte qu'elle est proposée par un combattant de faible valeur.

- A mon avis, euh...

Toussotement. Icarion, qui prend la parole, s'éclaircit la voix avant d'aller plus loin. Il n'a pas l'habitude de s'exprimer en public, et c'est sa première grande bataille. Il est timide. Cependant, il semble confiant. Il se peut qu'il détienne la solution.

- Je pense qu'il doit s'agir d'un genre de déchirure dimensionnelle, qui crée un espace infranchissable entre nous et... et le reste de la réalité. Un interstice qu'il nous est, disons, impossible de détruire par la force brute, et que... et que nous ne pouvons cependant pas ignorer.

Déchirure dimensionnelle. Il est probable que peu de spectres ici ont une idée précise de ce que cela signifie. Mais ça n'a pas d'importance : Icarion a l'air de savoir de quoi il parle, et ses mots impressionnent un auditoire quelque peu ignorant. C'en est assez.

- ... Et à mon avis.... la seule façon de passer outre cette fracture astrale serait d'en annihiler la source, en frappant le chevalier d'or qui en est à l'origine. Je pense en être capable... achève-t-il d'un ton qui se veut humble et discret.

Icarion observe Eaque et Minos dans l'attente de leurs observations.

- Très bien, Icarion, fait Eaque. Dans ce cas agis, et libère-nous de l'emprise de cette... chose.

Eaque a parlé d'un ton qui n'admet aucune réplique. Icarion réprime son désir de faire un pas en arrière, de reculer devant l'action. Il frémit à l'idée d'endosser la responsabilité éventuelle du sort de ses compagnons. Il connaît pourtant l'étendue de ses capacités, et sait pouvoir mener à bien une telle tâche. Tout refus de sa part serait donc déplacé en ces circonstances. Icarion se résigne à l'obéissance, en refoulant la crainte irrationnelle qui lui étreint l'estomac. Il joint deux mains crispées, l'une contre l'autre, et une légère aura se répand autour de son corps. Concentration. Ses yeux deviennent vagues, puis se ferment. Ca y est. Il est toujours là, mais... absent. Ses compagnons le regardent un instant avant de se rendre compte qu'il leur faudra attendre plusieurs secondes au moins avant de connaître le résultat de sa tentative. Eaque tape dans ses mains.

- En attendant, fait-il d'une voix pleine d'assurance et de motivation, si quelqu'un a une autre suggestion à faire, qu'il nous en fasse part. Toutes les idées sont les bienvenues.

Loin de là, Gayal est partagé. Il a suivi chaque détail des événements qui viennent de se dérouler, et se demande s'il est souhaitable de tenter autre chose. Se pourrait-il que cet Icarion l'atteigne, lui, un chevalier d'or ? La question reste en suspens.

Cela ressemble à un rêve. Ou peut-être à la mort... Icarion s'est débarrassé des contraintes que lui imposait son enveloppe physique, et vogue à l'état de corps astral, quelque part dans l'enceinte du Sanctuaire. Son corps est toujours immobile, aux côtés de ses pairs, mais lui est ailleurs. Il cherche.

Gayal observe les spectres dans leurs misérables tentatives pour se libérer de leur prison. Il lui prend l'envie de s'esclaffer, en les voyant enchaîner les échecs. Mais il se retient. Et Icarion ? Gayal sait que l'âme du spectre est à sa recherche. C'est avec une curiosité croissante que le chevalier d'or est témoin de son avancée.

La Maison du Bélier n'a plus grand intérêt. Astarill est toujours aux prises avec son gardien, qui ne semble pas particulièrement pressé d'en finir. En tous cas, Sion n'a pas pu déclencher l'assaut qui a frappé les spectres, il n'en a pas eu la possibilité. L'esprit d'Icarion s'éloigne donc à grande vitesse. Ce n'est pas non plus le Temple du Taureau qui recèle la clé du mystère. Un simple chevalier d'argent - d'argent ?? - y monte la garde. Icarion, après une seconde de doute, exclut la possibilité que ce chevalier soit à l'origine de leurs ennuis. La Maison des Gémeaux, peut-être ? Sion n'avait-il pas dit, justement, que jamais les spectres ne parviendraient à la franchir ? Ce qui sous-entendait que son gardien était un redoutable guerrier...

Gayal est partout à la fois. Il garde certes un oeil sur le groupe des spectres, qui demeure toujours stoppé, à mi-chemin entre les deux premiers Temples. Mais son interêt se focalise plutôt sur la personne d'Icarion, qui s'approche du but... Ce spectre a des pouvoirs mentaux qui le rangent largement au-dessus de tous ses comparses. Gayal est perplexe. Que se passera-t-il, si cet Icarion parvient jusqu'à lui ?

Oui, c'est certainement la solution. Avec un regain d'énergie, Icarion propulse son corps éthéré dans l'enceinte de la Maison des Gémeaux, en quête de celui qui en a la garde. Il explore successivement chaque pièce, chaque couloir, quand soudain... il est là !

Gayal ouvre les yeux. Face à lui se tient une silhouette frêle et petite, presque translucide. Icarion, ou plutôt son reflet. Le chevalier des Gémeaux est surpris, il ne s'attendait pas à ce que son adversaire donne une impression aussi évidente de fragilité. Toutefois il réfrène son étonnement et prend aussitôt la parole. Défié jusque sur son propre terrain, il se doit de garder l'avantage.

- Fort bien, jeune spectre, murmure-t-il en souriant. Icarion, c'est bien ça ? Je te félicite. J'ignorais que les soldats d'Hadès avaient de telles compétences... Bravo. Mais qu'espères-tu, au juste ?

Icarion se force à adopter une attitude conquérante et assurée qui ne lui ressemble guère, mais dont la nécessité ne fait aucun doute en un pareil contexte.

- Je te conseille de nous laisser poursuivre librement notre avancée vers la Maison du Taureau. Tes sortilèges de bas étage ne sauraient avoir raison de nous, et je doute que tu sois à ma hauteur dans ce domaine...

Icarion décide de joindre le geste à la parole. Sa silhouette s'illumine et atteint une clarté formidable, tandis qu'un tourbillon de lumière se forme entre les deux combattants. L'assaut est bref. Lorsque tout se calme, on constate que rien n'a changé, ou presque : c'est comme s'il ne s'était rien passé. Les guerriers n'ont pas bougé d'un centimètre. Le visage de Gayal conserve toute son impassibilité. En revanche, celui d'Icarion est devenu radieux.

- Je souhaite que tu parviennes matériellement jusqu'ici, articule le chevalier d'or sans rien manifester de ses sentiments. Je souhaite que nous ayons bientôt l'occasion de nous affronter, Icarion. N'est-ce pas ?
- J'entends, fait son interlocuteur investi d'un charisme inattendu. Notre combat sera intéressant. Mais n'oublie pas que c'est moi qui ai emporté la première manche.

Icarion disparaît dans un crépitement. La première manche.... Gayal ne sait pas quoi penser. Il ne sait plus. Il est tout à fait conscient d'avoir été surpassé, il y a un instant, par un guerrier qu'il considérait comme inférieur à lui-même. Faut-il interpréter cela comme un avertissement divin ? Gayal l'ignore. L'échec est un phénoméne qu'il n'a jamais eu l'occasion de connaître en détail. Mais s'agit-il vraiment d'un échec ? Là-bas, les spectres ont repris leur route. L'attaque d'Icarion a suffi à mettre en déroute un chevalier d'or, à détruire la prison astrale que celui-ci avait générée. Gayal se mord les lèvres, confronté à une situation nouvelle, inédite. Les pouvoirs mentaux d'Icarion sont supérieurs aux siens...

- Oui. Notre combat sera intéressant...

*****

Maison du Pope.

Deux gardes se tiennent en faction devant la massive porte à deux battants. Les soldats de basse classe comme eux n'ont accès au trône du Grand Pope qu'à de très rares occasions. Même pour un chevalier sacré, y être reçu est déjà un insigne honneur, auquel n'ont droit que les plus valeureux. Quel visiteur, au moment d'être introduit devant le représentant direct de la déesse, n'a pas frémi, rempli d'orgueil et d'humilité à la fois ? Aujourd'hui toutefois, les circonstances ne laissent guère de place à de tels sentiments. Sans parvenir à apaiser ses doutes, Doko gravit prestement une série de marches recouvertes par un tapis d'un rouge éclatant. Il réfléchit encore. Une foule de raisons différentes ont pu pousser le Pope à le convoquer alors que la bataille s'amorce tout juste, et Doko ne se sent pas rassuré. Il sera bientôt fixé, certes, mais le mauvais pressentiment qui est né en lui demeure tenace.

- Te voici enfin, chevalier Doko de la Balance...

A cet instant, Doko pose le pied sur la dernière marche de l'escalier qui sépare la salle en deux. Tressaillement de surprise. Ils sont deux ! Le Grand Pope est bien là, assis sur son trône et affublé d'un masque qui ne laisse paraître de son visage que ses yeux, mais à ses côtés, quelque peu en retrait, se tient un homme dont le visage, Doko doit l'admettre, lui est totalement inconnu. Ce n'est pas un chevalier d'or, en tous cas.

Doko est jeune et impatient, mais ses années d'entraînement lui ont donné une certaine retenue. Aussi réfrène-t-il - non sans peine - son envie de demander l'identité de cet homme. Il déglutit et choisit à contrecoeur d'ignorer l'inconnu, pour concentrer son attention sur le chef suprême de la Confrérie des chevaliers sacrés.

- Pardonnez-moi, Grand Pope, je me trouvais dans la Maison du Sagittaire, en compagnie de...
- Je sais cela, merci. Tu sais combien le temps nous est compté, aussi venons-en au fait, si tu veux bien. Nous sommes en ce moment même la cible d'une attaque de l'Empereur des Enfers, ce n'est plus un secret pour personne. A l'heure qu'il est, tu l'as sans doute ressenti, l'escouade de spectres a traversé la Maison du Bélier, gardée par ton compagnon Sion. Sept d'entre eux y ont laissé la vie. Du moins six, mais le cas du septième n'est plus qu'une formalité. Lorsque Sion se sera débarrassé de son adversaire...

Alresha le Pope et Doko le chevalier d'or échangent un regard entendu qui donne une idée assez juste de l'estime qu'ils portent au chevalier du Bélier. Alresha n'a pas dit "Si Sion parvient à défaire son adversaire...". C'est un détail qui a son importance. Pour l'un comme pour l'autre, Sion du Bélier a déjà gagné son combat.

- ...Il remontera en direction de la Maison du Taureau afin de prêter main-forte à Algéti, chevalier d'argent d'Hercule, qui en a la charge. Néanmoins...
- ...Algéti aura eu le temps de mourir vingt fois sous les coups de ses assaillants, coupa Doko en s'effrayant aussitôt de sa témérité.
- Je vois que tu as compris où je voulais en venir. Doko de la Balance, je souhaite que tu ailles défendre la Maison du Taureau aux côtés du chevalier Héraclès !

*****

Maison du Bélier.

Danger. Astarill a vite pris conscience de la remise en question dont son existence va faire l'objet dans un instant. La mort s'approche, et derrière elle, le spectre plus angoissant encore de l'échec. Astarill refoule mentalement cette issue. Il n'est pas encore temps ! Son seul espoir - si tant est qu'il en subsiste encore la moindre parcelle - réside dans l'assaut. Il doit attaquer. Telle est la pensée qui s'impose à lui, au moment où Sion prend l'offensive.

Comme c'était prévisible en effet, ce dernier a décidé de ne plus perdre de temps et de mettre un terme à cette situation qui s'éternise. Il attaque, mais sans déchaîner plus de violence que nécessaire. Les chevaliers d'or ne sont pas des monstres que la vue du sang remplit de jubilation. On aurait tort même de les considérer comme des demi-dieux ou des surhommes. Ils sont humains, dans leur bravoure comme dans leur lâcheté. Tout au plus se distinguent-ils de leurs semblables par une destinée un peu plus agitée. Sion est comme les autres, finalement. Jusque dans sa façon d'attaquer. Il frappe, non pour faire jaillir l'hémoglobine ni pour infliger la souffrance... juste pour tuer.

- Star Dust Revolution !
- Rédemption.

Surprise dans les yeux du chevalier du Bélier. La posture qu'adopte Astarill se révèle des plus pacifiques. Il s'est redressé, a joint les mains et fermé les yeux. Et, comme dans un brusque élan de ferveur religieuse, il prie. Une aura bleutée nimbe son corps. Est-ce cela qu'on est censé appeler une technique de combat ? Comment infliger des blessures en manifestant aussi peu d'agressivité ? Astarill a peut-être trouvé la réponse... Son Cosmos s'intensifie très rapidement et une lueur de même teinte commence à poindre aux pieds du chevalier du Bélier. Mais l'assaut est réciproque, et Astarill peine à conserver sa position. C'est dans la douleur qu'il ressent les premiers effets de l'attaque de Sion. Une lumière brillante et dorée, accompagnée d'un crépitement acéré. Un nuages d'étoiles éblouissantes qui fond sur lui. Elles l'encerclent et tourbillonnent... souffrance. Astarill réprime un cri de douleur mais reste debout, refusant de se laisser abattre.

Lors d'un combat de haut niveau, l'assaut est parfois bref et fulgurant. A peine une fraction de seconde de lutte et l'affrontement est déjà terminé, laissant derrière lui le vainqueur et le vaincu. Mais dans le cas présent, rien de cela. L'assaut dure, de longues secondes. D'un côté comme de l'autre, la technique utilisée se prolonge avant d'atteindre sa pleine efficacité. Sion est concentré, le bras tendu vers le spectre. Le tourbillon d'étoiles qu'il génère augmente de violence mais Astarill résiste encore. Depuis le début, celui-ci se tient droit, les mains jointes. Alors que son corps est secoué avec force, alors que les étoiles furieuses se déchaînent autour de lui pour l'emporter dans les airs, ses lèvres articulent les incantations d'une prière inaudible. Son cosmos bleuté gagne encore en puissance, s'élève contre celui de Sion. Le combat semble bientôt réduit à un affrontement de lumière...

Non. Un grondement sourd, une explosion éblouissante se succèdent. Astarill a ouvert les yeux et souri. Un halo bleu a surgi du sol juste sous les pieds de Sion, cachant toute parcelle de son corps. Le halo s'élargit, devient sphère luminescente puis simple vapeur colorée, avant de se dissiper peu à peu comme la fumée d'un incendie.

Sion est toujours là, indemne de toute évidence. Il s'esclaffe, puis récupère toute sa concentration et son attaque reprend en redoublant de violence. Astarill, exténué physiquement et psychiquement, a relâché sa défense... il ne faut qu'une seconde au tourbillon d'étoiles pour prendre possession de lui. Et une autre pour que le spectre laisse échapper un premier cri de douleur. Il souffre. Et pourtant, il en est presque indifférent, occupé qu'il est à revivre mentalement toutes les étapes de cette inégale lutte avec l'un des chevaliers d'or les plus puissants de l'Ordre. Le spectre de la Mandragore a attaqué, et selon toute vraisemblance, il a échoué. C'est fini. Astarill se résigne. Après tout, un échec aussi manifeste ne mérite que la mort.

Astarill retombe sur le sol froid et sinistre. Il souffre toujours, mais la douleur est bien moins aiguë maintenant que l'attaque de Sion s'est interrompue. Interrompue ? Astarill est perplexe. Le chevalier du Bélier n'est pas de ceux qui prolongent l'agonie de leur adversaire. Alors pourquoi a-t-il mis un terme à son assaut, alors que la victoire était à sa portée ? Le spectre devrait déjà être mort... Astarill tousse, crache une gerbe ensanglantée par terre puis contracte ses muscles endoloris afin de se relever. Cette fois-ci non plus, il n'a pas été grièvement blessé. A croire que c'est son jour de chance...

Astarill de la Mandragore lève les yeux en direction du chevalier du Bélier et comprend que ce qui vient de se passer n'a rien à voir avec la chance. Sion est debout, immobile. Incrédule. Il observe ses mains avec stupéfaction. Sa peau scintille, légèrement teintée de bleu. Comment est-ce possible ? Astarill sourit. Peut-être que sa technique s'est révélée efficace, finalement.

- Non, murmure Sion du Bélier en relevant la tête vers son adversaire. Non. Je le refuse. Je refuse de le croire. Je ne peux pas admettre une telle chose...

Explosion de lumière bleue. Pendant une minute, il est impossible de distinguer quoi que ce soit, en raison du brouillard coloré qui a envahi tout le Temple. Astarill a reculé, craignant un piège tendu par Sion. Mais il n'en est rien. Lorsqu'enfin la fumée se dissipe, c'est au tour du spectre de connaître l'incrédulité et la stupeur. Lui non plus, il ne peut y croire. Les faits sont pourtant là, c'est indéniable.

L'armure d'or du Bélier retrouve sa forme originelle dans un concert de cliquetis, puis se pose sur le fond de son urne grande ouverte sur le sol. Il faut un moment à Astarill pour qu'il reprenne ses esprits et réalise toute l'étendue de la situation. Eh oui, il faut parfois accepter l'évidence, même et surtout lorsque celle-ci bouscule quelques certitudes mal placées. Sion est mort, Astarill l'a tué. En un seul coup. On n'a pas toujours la fin que l'on mérite...

Une minute passe. Astarill se relève et part en courant vers la sortie. La victoire finale est encore lointaine.

*****

Maison du Pope.

- Mais... Grand Pope... je ne pourrai pas y être arrivé à temps ! C'est impossible, même à vitesse élevée...
- Sois sans crainte. J'ai ordonné à Gayal, le chevalier d'or du signe des Gémeaux, de s'efforcer de retarder les spectres autant que possible. Comme tu peux le constater, ils n'ont toujours pas atteint la Maison du Taureau... De plus, je puis te téléporter à l'instant à quelque endroit du Sanctuaire où tu désires te rendre.

Surprise. Doko est admiratif. En théorie, nul ne peut user de pouvoirs psychiques pour se téléporter de Maison en Maison, cela est rendu impossible par la puissante cosmoénergie d'Athéna qui agit comme un barrage sur ses propres Temples. Mais Alresha, le Grand Pope, parvient à outrepasser cette règle. A ignorer le cosmos divin lui-même ! Cela en dit long quant à ses capacités... Alresha n'est pas n'importe qui.

- Algéti et toi.... n'essayez pas de les tuer tous. Vous devez intercepter un maximum d'assaillants, tu l'as bien compris. Mais ne surestime pas tes forces, chevalier de la Balance. Ne t'attends pas à pouvoir repousser l'offensive à toi tout seul. Quand le moment sera venu, Sion et toi vous rejoindrez Gayal dans la Maison des Gémeaux. Et c'est là que l'invasion du Sanctuaire trouvera un terme... définitif. Alors, et seulement alors, nous contre-attaquerons. Me suis-je bien fait comprendre ?
- O... Oui, bredouille Doko, pris d'un brusque accès de timidité. J'ai toute confiance en votre sagesse et en votre clairvoyance, Seigneur Alresha, ajoute-t-il avec empressement et servilité.

Le chevalier de la Balance se tourne brièvement vers l'inconnu qui se dresse aux côtés du Pope, mais ce dernier demeure impassible. Avec une pointe de regret, Doko se résigne. Non, décidément, il n'en saura pas plus sur cet homme mystérieux qui accompagne Alresha.

- A présent approche, ordonne ce dernier. Focalise ton esprit sur la Maison du Taureau, je vais t'y transporter sans plus attendre.

Doko avance d'un pas quand soudain...

Trois paires d'yeux, en un éclair, se tournent vers l'entrée de la salle. Vers un endroit invisible, là-bas, très loin, à l'autre extrémité du Sanctuaire. Un endroit appelé la Maison du Bélier.

Choc.

Une résonance frappe les trois occupants de la salle au plus profond de leur Cosmos. "Ebranlement" serait un terme éminemment euphémique pour désigner l'atmosphère qui s'installe aux abords du trône du Grand Pope. Ce qui vient de se produire à l'instant n'est un mystère pour personne. Chacun a ressenti cette formidable déflagration, ce glas terrible qui accompagne dans l'au-delà un défenseur de la déesse parmi les plus remarquables. Personne n'y croit, personne ici ne peut admettre une telle chose. Cela demande un effort intellectuel que même des chevaliers d'or peinent à fournir. Mais les faits sont les faits, et nul parmi l'élite de l'Ordre ne peut, lorsque la vérité devient inacceptable, l'ignorer en fermant les yeux. Nier l'évidence serait la plus impardonnable des erreurs, et les chevaliers d'or ne commettent pas d'erreur. Aussi... la réalité s'impose dans toute sa brutalité. Sion, le chevalier d'or Sion du Bélier, dont le prestige au sein de la Chevalerie faisait presque de l'ombre au Grand Pope, est mort.

Long, très long silence. Comment prendre la parole après un tel événement ? Les secondes, lentement, s'écoulent puis filent, en laissant derrière elle l'impression que le temps s'est arrêté. Des trois personnes présentes dans la salle, aucune n'ose encore prononcer une parole. L'heure est trop grave.

Les poings d'Alresha se contractent sur les accoudoirs de son fauteuil, et l'on devine derrière son masque des émotions qui ont la chance de ne pas être révélées. Cependant, le Grand Pope du Sanctuaire, plus encore que les autres chevaliers, n'a pas le droit de se laisser aller à des accès de sentimentalité stérile.

- Chevaliers, un des nôtres vient de perdre la vie. Sion de Jamir, le chevalier d'or du signe du Bélier, est mort il y a un instant. En conséquence, nous nous devons de redoubler d'efforts. Doko, le temps nous est plus que compté, désormais. Approche-toi, tu dois rejoindre la Maison du Taureau au plus vite.

Le chevalier de la Balance reste immobile, sourd aux ordres de son Seigneur. Aucune larme ne perle sous ses yeux, mais son visage a perdu toute contenance. Ses traits se crispent et il crache des paroles rageuses sans se soucier du respect qu'il doit à son supérieur.

- Qu'est-ce que vous racontez ? Ca n'est pas... acceptable. Grand Pope, le chevalier du Bélier n'est pas mort. Je... je ne l'admets pas. C'est impossible !
- Ressens-tu les vibrations de son Cosmos ? Captes-tu sa présence au Sanctuaire ? N'as-tu pas été frappé, toi aussi, par l'extinction brutale et absolue de son aura, il y a quelques secondes ?
- Non... non, Grand Pope ! Vous ne comprenez donc rien à ce que je vous dis ? Sion... Sion ne peut pas être mort ! C'est impossible, vous entendez ? Impossible ! hurle le chevalier de la Balance.

Doko se tait, la voix étranglée. Un sanglot étouffé meurt dans sa gorge.

- Chacun sait, reprend-il faiblement, que les chevaliers d'or sont.... invincibles.... c'est encore plus évident pour un guerrier tel que lui...

Silence gêné. Tous trois savent que ces paroles sont la plus criante des réalités, et pourtant... les faits le sont davantange encore.

- Seigneur Alresha, commence Doko avec l'énergie vibrante qui sied au désespoir, peut-être Sion a-t-il seulement traversé les dimensions ? Vous savez que c'est dans ses compétences, Grand Pope !
- Tu as senti comme moi que son Cosmos s'est affaibli puis éteint, répond froidement Alresha. S'il était passé dans une dimension parallèle à la nôtre, nous aurions perçu quelque chose de tout à fait différent. Nous aurions... j'aurais capté le passage interdimensionnel. De plus, jamais il ne se serait risqué dans une telle entreprise sans son armure d'or. Enfin, et c'est certainement le plus important, il n'avait strictement aucune raison d'agir de la sorte. Oublie cette idée, mon garçon.
- Alors... alors il se peut qu'il ait atteint le huitième sens... qu'il soit en route vers le royaume des Morts, pour prendre la tête d'Hadès ?
- Sion ne peut pas avoir atteint un stade aussi élevé avec si peu d'expérience. Et ses dernières paroles ne permettent pas d'envisager cette possibilité. Non, je te certifie qu'il n'a pas découvert le huitième sens. Cesse de rêver, Doko. Regarde la vraie réalité, pas celle que te montrent tes sentiments et ta fougue. Sion est mort. Il a été vaincu, en un seul coup, par le spectre Astarill de la Mandragore. Sion a perdu, il faut accepter l'évidence. Sa valeur ne l'a jamais rendu invincible, ni protégé contre tout type d'attaque. Ton ami a affronté un adversaire qui disposait d'une technique contre laquelle il ne pouvait rien. Il s'est vaillamment battu, mais il a échoué. Tu peux désormais effacer son nom de tes souvenirs, chevalier de la Balance. Tout au moins jusqu'à la fin de cette Guerre. A l'heure qu'il est, celui qui fut le chevalier du Bélier nous a quitté pour un monde que je lui souhaite meilleur. Quant à nous...
- Mais alors, s'exclame Doko avec véhémence sans s'apercevoir qu'il coupe la parole au bras droit d'Athéna, il est encore possible de sauver Sion ! Ecoutez-moi, Grand Pope. On dit que le chevalier du Cancer a le pouvoir d'ouvrir un passage vers l'antichambre du royaume d'Hadès... il n'est pas trop tard ! Si vous me téléportez immédiatement dans la quatrième Maison du Zodiaque, son gardien me permettra de me rendre là-bas pour ramener Sion parmi nous ! Il est encore temps, Grand Pope ! Nous pouvons encore...

Doko parle à toute vitesse, en balbutiant à moitié, à tel point que ses deux interlocuteurs ne comprennent plus guère son propos où ne règne que la confusion. Mais cela indiffère le sage Alresha. Il se lève brusquement et tonne avec une colère qui n'est pas dans ses habitudes.

- Ca suffit, Doko !

L'interpellé se tait mais garde la bouche ouverte sans se soucier du ridicule de sa position. C'est à ce moment seulement qu'il réalise avec quelle insolence il vient de s'adresser au Grand Pope. Ses joues virent au cramoisi.

- Chevalier de la Balance, tu vas obéir à mes ordres immédiatement ou je me verrai dans l'obligation de te châtier pour ta témérité. J'espère que ton attitude est excusable par ta jeunesse et ton inexpérience, car si tel n'est pas le cas, tu risques de subir bientôt le contre-coup de ton impertinence.

Doko n'a rien d'un révolté, aussi choisit-il de ne pas laisser à Alresha le temps de réiterer ses menaces. L'âme endeuillée mais soumise, il s'avance vers le Grand Pope comme un automate. Sion est bien mort, c'est peut-être une fatalité à laquelle à se doit de faire face, comme les autres. Doko ferme les yeux.

Lorsqu'il les rouvre, le décor est différent, mais tout aussi reconnaissable. L'entrée du Temple du Taureau lui est familière. Néanmoins, avant de s'y engager, il se tourne une dernière fois en arrière. C'est là, à quelques centaines de mètres en contrebas, que son meilleur ami vient de le quitter pour toujours. Cette fois-ci, une larme se forme au coin de son oeil. Il n'a même pas eu le temps de lui souhaiter bonne chance.

- Sion... murmure Doko avec peine.

Les mots ne sortent pas. Il aurait voulu prononcer quelques paroles en guise de dernier adieu, un hommage posthume à celui qui fut son meilleur ami. Mais rien ne s'échappe de ses lèvres, comme si un rocher d'amertume obstruait sa gorge. Rien. Ni sanglots plaintifs, ni discours larmoyants. Doko n'a rien pu faire pour empêcher la mort du chevalier du Bélier, et comme si ce constat d'échec n'était pas suffisant, il découvre qu'il n'est même pas capable d'honorer la mémoire de Sion par une oraison funèbre digne de ce nom. Son armure, d'ordinaire si reluisante, lui semble soudain de pacotille. Un frisson de faiblesse le parcourt. En définitive, il n'est rien. Désespoir.

Une larme est tombée sur le sol, juste au pied de l'escalier qui s'enfonce dans le Temple. Doko tourne la tête et laisse la fureur envahir son esprit, grisé par la puissance peu commune que cela lui confère. Vengeance.

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Cette fiction est copyright Clément Baudot.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.