Chapitre 10 : Brumes


Le sommet d'un piton rocheux, point culminant de l'Ile de la Mort, le crépuscule d'un destin. Séparé du corps principal de l'île où se dressent le volcan et la tour de la Gardienne, ce pic jailli des flots et pointant le ciel abrite le quartier général des redoutables Chevaliers Noirs. Entre les deux morceaux de terre, les courants marins s'engouffrent violemment, générant un formidable tourbillon, d'où son nom : le détroit de Charybde, en hommage à celui de la mythologie. Un pont de cordes et de bois relie le piton rocheux à l'île principale. Au sommet, surplombant les turbulences des eaux à plusieurs centaines de mètres de hauteur, Sauran tremble. Le leader des Chevaliers Noirs n'a cessé de se remémorer le cauchemar que le Chevalier Phénix a fait naître en lui. Désormais, il connaît la peur.
Autour de lui, plusieurs Chevaliers Noirs se rassemblent, déçus, dégoûtés même. Ils s'écartent pour laisser place à Sciron, revêtu d'une armure noire comme l'ébène. Celui-ci crache avant de montrer le dégoût que lui inspire celui à qui il a toujours obéi et dont aujourd'hui il semble ne plus reconnaître l'autorité.

- Chevaliers Noirs ! hurle-t-il de sa voix criarde et aiguë. Sauran est devenu un faible qui ne mérite plus notre respect. Nous avons besoin d'un chef fort, puissant, pas de cette lavette, terrorisée par un minable dont le pouvoir est pourtant loin d'égaler le nôtre. S'il n'est pas capable de nous mener à la victoire et à la liberté, nous devons l'éliminer !
- Sciron a raison, répond l'un d'eux. Sauran ! Réagis ou tu mourras !

Tremblant de tous ses membres, Sauran pivote lentement, ses yeux marqués par la peur plongeant dans le regard noir de haine de son ancien lieutenant. Soulevé de terre, pris à la gorge par le poing de Sciron, Sauran se remémore la scène de son cauchemar, celle de l'Illusion du Phénix, celle où il s'était vu étrangler Kemri alors que c'est Sciron qu'il tenait. Aujourd'hui, son premier lieutenant tient sa revanche.

- Lâ… Lâche-moi, dit-il presque en suppliant. Je t'en prie… Sciron…
- Misérable larve ! Je vais te tuer. C'est moi qui commanderai aux Chevaliers Noirs désormais. Adieu !

Au même moment, le volcan de l'Ile de la Mort gronde, l'éruption est proche.



Octobre 2199. Une embarcation sommaire sillonne les brumes matinales qui se sont abattues sur la Mer Egée. A la barre, Aïos l'Ancien s'est assoupi. A ses côtés, couché dans le fond de la barque, son petit-fils dort à poings fermés. Assis sur les planches faisant office de banquettes, cinq adolescents silencieux se reposent aux côtés des urnes sacrées qui renferment leurs Armures de Bronze. A l'avant, Sandra scrute l'horizon, tenant fermement en main le sceptre qu'elle a ramené du Mont Etoilé, l'esprit encore terriblement embrumé suite aux révélations de la nuit passée : elle est la réincarnation de la Déesse Athéna, qui revient sur Terre tous les deux à trois cents ans, chaque fois que les Forces du Mal menacent de s'imposer au monde.
Un bruissement sur les flots, un puissant mouvement d'écume : Aïos sursaute et se cramponne à la barre pour maintenir la barque et éviter qu'elle ne chavire. Pygmalion se relève brusquement après avoir reçu sur le visage une giclée d'eau pour le moins inattendue. Les cinq Chevaliers se sont redressés, sur leurs gardes, alors que dans le brouillard se dessine la silhouette d'un navire. Sandra est restée stoïque, quand enfin elle sourit.

- N'ayez crainte, c'est notre bateau. Nasheen et Khen ont dû avertir le capitaine de nos intentions. Nous allons pouvoir embarquer à bord de l'Arche.
- L'Arche, murmure Sven, notre bateau ?
- Oui, je suis venue d'Asie avec Nasheen et Khen à bord de ce vaisseau… Il nous a été prêté par la Fondation Graad, une multinationale japonaise très puissante qui a décidé d'apporter son aide à notre cause.
- Une multinationale ? s'étonne Shin. C'est curieux comme aide, non ?
- Hermion, le capitaine du navire, saura mieux t'expliquer que moi pourquoi la Fondation Graad va nous aider.

Emergeant des brumes, surgissant d'un autre âge, l'Arche apparaît aux yeux des jeunes gens incrédules. Une grande nef entièrement dorée étincelle dans le soleil levant, toutes voiles déployées le long de ses trois mâts. Une échelle de corde descend jusqu'au niveau de la barque, comme pour signifier à ses occupants qu'ils sont attendus.
Quelques minutes plus tard, tous se retrouvent sur le pont. Un jeune homme noblement vêtu s'incline en ôtant sa coiffe de corsaire surmontée d'une grande plume bleue. Le bel homme, d'imposante et élégante stature, aux longues bouclettes brunes et aux grands yeux marrons, salue ses hôtes.

- Soyez les bienvenus, jeunes gens. Je me présente, Hermion, seul maître à bord… après Dieu, achève-t-il dans un demi sourire.

A ses côtés se tiennent quatre autres personnes. Visiblement, l'Arche est passée par l'Ile Canon, puisque Khen et Nasheen sont parmi eux. Derrière de fines lunettes fumées, celui qui semble être un homme d'affaires aux traits orientaux se présente à son tour, tout en s'inclinant humblement.

- Shô Takeda, directeur de la Fondation Graad, je suis enchanté de vous accueillir à bord.
- Très protocolaire le monsieur, soupire Néo d'un air moqueur. Et courbette par-ci, révérence par-là…. Argh…

Un coup de coude de Sandra, bien placé au niveau de l'estomac, empêche Néo de terminer sa tirade. Aussitôt il reconnaît le dernier des personnages présents, celui qui semble être le garde du corps du directeur de la Fondation Graad : il a pourtant grandi. Le jeune adolescent est presque devenu un adulte mais il a toujours le même faciès faussement sérieux qui trahit ses pensées perverses, et ce dès l'instant où son regard se pose sur de belles formes féminines… à savoir les courbes divines de la jeune Sandra. Néo n'est pas le seul à remarquer le changement qui s'opère dans l'attitude du garçon : le katana d'Orichalque de Nasheen vient faire rempart entre lui et la jeune fille alors que la voix de la maîtresse du monastère résonne.

- Koji, incarnation de la perversion, je te préviens pour la dernière fois : si tu approches tes sales pattes du corps de cette jeune fille, tu devras en répondre de ta vie ! Je ne comprendrai jamais comment un être aussi abject que toi a pu devenir le garde du corps personnel de Monsieur Takeda, avant d'être affecté à ce navire… à moins qu'il n'ait vu en fait l'occasion de se débarrasser de toi en t'envoyant vers le large…
- Allons, gente dame, reprend Koji d'un air mielleux, vous voyez le mal partout. Mes intentions sont pures, nobles, immaculées… Je suis au service de Messire Hermion et ma tâche est d'assurer la sécurité de mademoiselle Sandra. Et je vous jure que je la protégerai de mon corps s'il le faut.
- Justement je préférerais que ton corps impur ne s'approche pas trop d'elle, si tu vois ce que je veux dire.
- Puis-je me permettre d'énoncer un rectificatif, mon cher Koji, rétorque Hermion avec un soupçon d'amusement dans la voix. Ta tâche consiste simplement à former l'équipage de l'Arche, mais ton immense talent justifie que tu en sois l'unique membre. Cuisine, ménage, vigie…

Quelques sourires se dessinent sur les visages fatigués des jeunes aventuriers tandis que Koji arbore une moue manifeste. Dans le même temps, Aïos l'Ancien s'approche de Sandra et s'empare de ses mains.

- Prenez soin de mon petit-fils, il pourra vous être utile à bord… Je préfère qu'il ne reste pas sur l'Ile Canon. Il sera plus en sécurité avec vous.
- Mais… Et vous ? lui répond Sandra avant qu'il ne s'éloigne pour rejoindre sa barque. Vous ne craignez pas que…
- Ne vous inquiétez pas pour moi. J'ai une mission sur cette île… que même le Grand Pope ne saurait m'ôter.

Alors que la petite embarcation s'éloigne à nouveau, ramenant Aïos l'Ancien vers l'Ile Canon, Pygmalion, resté à bord de l'Arche selon le souhait de son grand-père, agite tristement son bras en signe d'au revoir.
Voguant sur les flots, la grande nef dorée sortie tout droit d'un rêve s'éloigne des côtes grecques pour s'élancer vers une nouvelle destination lointaine, que Sandra, suivant les indications de Kemri, a indiquée au capitaine Hermion : l'Ile de la Mort.


Ile de la Mort. Une sombre marée humaine, rassemblée autour d'une tour s'élevant majestueusement vers les cieux couverts par d'épais nuages noirs depuis que le volcan, récemment entré en éruption, recouvre les lieux de ses vapeurs nocives. Des cris de guerre et des vociférations bestiales attestent de l'agitation belliqueuse des Chevaliers Noirs rassemblés en ce lieu que jamais ils n'auraient approché il y a encore peu de temps, tellement la crainte de la Gardienne leur tenaillait les tripes. Une dizaine d'entre eux porte un épais tronc de bois et charge les portes de l'édifice dans le seul but de les faire céder. A quelques mètres, grimpé sur un rocher, le vil Sciron applaudit les efforts de ses subalternes sans faire la moindre économie de son ricanement diabolique. Son regard est encore plus exalté depuis qu'il est devenu le maître incontesté des Chevaliers Noirs : il est celui qui les mène à la révolte, celui qui a choisi de les libérer du joug de la Gardienne qui les retient prisonniers de celle île maudite.
- Bientôt, la victoire sera mienne ! rugit-il. Plus jamais nous ne plierons devant quiconque ! Nous asservirons la Gardienne ! Puis nous écumerons le monde ! Et même le Grand Pope tremblera en entendant mon nom ! Ha ha ha !

A chacune des exclamations de leur chef, tous ses fiers guerriers zélés, résolument aveuglés par les promesses de liberté et de sang versé scandent son nom : " Sciron ! Sciron ! Sciron ! ". Bondissant auprès de son seigneur, l'un d'eux, à la longue et raide chevelure noire, lui saisit le poignet pour l'élever vers le ciel.

- Gloire à Sciron ! Gloire au libérateur ! Gloire au plus puissant des Chevaliers Noirs !
- Ta fidélité et ton enthousiasme me plaisent, Protésilas, lui répond-il. Vous ne serez pas déçus.

Puis il adresse un clin d'œil à un mystérieux personnage resté dans l'ombre, dissimulé derrière une cape sombre, ne laissant apercevoir qu'un sourire malaisé et quelques mèches orangées.
De nouveaux hurlements bestiaux surviennent alors que les deux lourdes portes de bronze, symboles de la solidité du pouvoir de la Gardienne, viennent de céder et volent en éclat. Aussitôt, tous les Chevaliers Noirs s'apprêtent à s'engouffrer à l'intérieur de la tour, quand l'écho majestueux d'une voix qui a si souvent été, pour eux, synonyme de terreur, résonne depuis le sommet. Des paroles à caractère solennel et prophétique que nul ne saurait ignorer.

- LA MORT ATTEND TOUS CEUX QUI PROPHANERONT CES LIEUX ORDONNES PAR LA VOLONTE DE LA DIVINE ATHENA ! CHEVALIERS FELONS, JE VOUS AVERTIS DE CE QUE MES YEUX QUI NE PEUVENT VOIR SAVENT POURTANT ! TOUS CEUX QUI PASSERONT CES PORTES METTRONT UN PIED DANS LA TOMBE ! ET LE PREMIER QUI ENTRERA SERA LE PREMIER A MOURIR !

Tous ont bloqué leur élan, aucun n'osant plus s'aventurer vers ce lieu où une mort certaine leur est prédite. Ecumant de rage, Sciron s'avance au devant de ses troupes.

- Ne vous laissez pas impressionner par les paroles de cette femme. Sa voix a toujours été sa force, vous le savez tous. Ses pouvoirs ne sont pas ce qu'elle prétend. Elle est seule contre nous tous, elle n'a pas l'ombre d'une chance.

Des regards inquiets échangés au sein de l'armée des ténèbres, une ardeur disparue a laissé place au renouveau de la crainte séculaire qu'a toujours inspirée le gardien. Soudain, l'un d'eux scande à nouveau le nom de Sciron et s'élance vers la tour, franchissant le seuil des portes désormais effondrées.

- Gloire à Sciron !

Protésilas aura su redonner aux Chevaliers Noirs leur confiance qui était sur le point de flancher. A sa suite, des dizaines d'hommes pénètrent dans le lieu qu'ils ont un instant cru devenir leur tombeau. Le sourire renaît sur le visage de Sciron tandis que la petite voix aiguë d'un homme encapuchonnée lui murmure quelques mots dans le creux de l'oreille.

- Toi qui prétends avoir la trempe d'un chef, pourquoi ne pas avoir bravé la prophétie ? Aurais-tu peur des paroles de cette femme ? A moins que tu ne veuilles simplement pas être le premier à mourir ? Que diras-tu si Protésilas succombe effectivement en premier ?
- Tais-toi donc, minable ! Je devrais te massacrer sur-le-champ pour oser me dire ça ! Je ne t'épargne que parce que tu vas m'être d'une utilité non négligeable dans la suite des événements. Et que je voudrais bien savoir pourquoi un Chevalier du Sanctuaire a décidé de nous apporter son soutien.
- Intérêts communs, mon cher.

Le visage de Garrick s'éclaire alors qu'il croise le regard interrogateur de Sciron. Celui-ci reprend ses esprits alors qu'il réalise qu'il n'entend plus les cris de guerre de ses hommes entrés à l'intérieur. Le seigneur des Chevaliers Noirs se sent frémir un instant avant de pénétrer précipitamment dans la tour.
Disposés en un large demi-cercle, une quinzaine d'hommes observe, silencieux et pris d'une stupeur morbide, le corps sans vie de Protésilas. Devant la dépouille, le jeune Chevalier de Bronze qui vient de prouver que l'avertissement de Cassandra n'était pas un simple bluff. Les toisant de son regard noir, celui-ci apparaît serein, déterminé, digne.

- Cassandra vous avait prévenus. Désormais vous avez tous un pied dans la tombe. Et comme elle vous l'avait prédit, le premier qui est entré a été le premier à mourir. Je suis votre bourreau, Chevaliers Noirs ! Mon nom est Hassadan, Chevalier de Bronze du signe du Petit Lion.
- Ne vous laissez pas impressionner ! hurle un Sciron ne dissimulant pas sa rage grandissante et tentant pour le moins d'oublier les paroles encore fraîchement énoncées par Garrick. Il ne peut rien contre vous tous ! Protésilas est tombé parce qu'il était seul en première ligne, mais maintenant les rôles sont inversés : c'est le pantin de Cassandra qui est tout seul ! Chargez !

Est-ce par conviction ou par crainte de représailles ? Toujours est-il qu'une dizaine de Chevaliers Noirs se jette sur le Chevalier de Bronze tandis que Sciron accentue un rictus de satisfaction qu'il peinait à maintenir jusque là. L'aura jaune orangée du Chevalier du Petit Lion grandit lorsqu'il bondit à son tour vers ses assaillants.

- Par la Détente du Lion !

Précipitant ses deux jambes en avant, écartant ses deux bras, Hassadan bombarde littéralement ses adversaires de coups dépassant largement la vitesse du son, bloquant leur vaine charge, repoussant chacun d'eux aux confins de la pièce circulaire, obligeant les quelques froussards qui n'avaient pas suivi leurs compagnons téméraires à esquiver les corps des nouvelles victimes du Chevalier de Bronze. Onze corps fracassés, encastrés dans les murs, ou écrasés sur le sol : trois d'entre eux ont d'ores et déjà cessé de respirer. Tous les Chevaliers Noirs frémissent, seul Sciron écume de rage.

- Partez ! ordonne Hassadan. Vous ne rencontrerez que la mort si vous persistez dans votre vaine entreprise de révolte.
- Jamais ! rugit le seigneur des Chevaliers Noirs. Je te tuerai moi-même !
- Attends, chef !

Une silhouette franchit le seuil de la tour, son image se dessine lentement alors que le Chevalier Noir s'avance sous la lueur des torches. Sciron sourit quand il le reconnaît car à présent il sait que l'adversaire qui les tient en échec n'a plus l'ombre d'une chance. La surprise naît même sur le visage d'Hassadan, lorsqu'il découvre l'aspect de son adversaire : il lui ressemble tellement, tant par les traits que par son armure, si ce n'est que celle-ci est noire comme l'ébène.

- Je suis Némus, le Chevalier Noir du Petit Lion ! Et j'ai hâte de voir ce que vaut vraiment celui qui porte une armure du même signe que moi. Et comme il ne doit y en avoir qu'un !

Alors que ses compagnons s'écartent pour le laisser seul en face d'Hassadan, le Lion Noir lève sa main griffue au niveau de son épaule tout en repliant ses doigts, quand des rayons noirs jaillissent dans toutes les directions.

- Que les Griffes de Lumière Noires te terrassent !
- Non ! Ce n'est pas possible ! Cette attaque…

Hassadan n'a pas le temps de finir sa phrase qu'un flash lui traverse l'esprit, et que les jets lumineux le foudroient. Alors que son corps retombe lourdement sur le sol, l'image de son frère, le Chevalier d'Or du Lion, employant une technique d'attaque similaire lui revient à l'esprit : Jassugan au cœur d'une multitude de jets de lumière dorés envoyant ses adversaires ad patres.

- Surpris ? sourit le sombre adversaire du Chevalier de Bronze. Tu ne t'attendais pas à cela ? Hein ?

Haletant, Hassadan se relève : les marques sur son corps et son Armure Sacrée témoignent de la puissance de l'assaut qu'il vient de subir. Les deux lions se défient du regard. Les auras félines se font face. A son tour, Hassadan attaque.

- Par la Détente du Lion !

Sans bouger, Némus attend la charge de son adversaire, son sourire manifestant une confiance absolue. Et les faits lui donnent raison de l'arborer : le Lion Noir n'est nullement affecté par l'attaque du Chevalier de Bronze. Il n'a même pas bougé, stoppant net la puissante charge. Alors qu'il recule en titubant, c'est l'incompréhension la plus totale qui s'affiche sur le visage d'Hassadan.

- Je vais t'expliquer, petit Chevalier de pacotille, et tu comprendras pourquoi tu ne peux rien contre moi. Connais-tu la légende du Lion de Némée ?
- Le Lion de Némée ? Cette bête invulnérable qui d'après la mythologie sortait périodiquement pour s'attaquer aux troupeaux et à leurs bergers. On dit qu'aucun coup ni qu'aucune arme ne pouvait transpercer son épiderme. Même les flèches d'Héraklès n'ont pas réussi, et sa massue s'est brisée lorsqu'il a voulu essayer de lui fracasser le crâne.
- Voilà… Tu sais tout. Aucun coup ne pourra jamais m'atteindre car je suis comme le Lion de Némée de la légende. Maintenant que je t'ai ôté tout espoir, je vais t'achever. Tu ne survivras pas deux fois à mon attaque. Que les Griffes de Lumière Noires te terrassent !

Le coup est puissant, sans égal. Emporté par l'assaut redoutable du Chevalier Noir, Hassadan sent ses dernières forces le quitter. Il s'écrase au sol, s'accrochant désespérément à la vie. Il ne doit pas mourir ! Ce n'est pas son destin, son heure n'est pas encore venue. Sous l'œil réjoui de Sciron, Némus s'avance au-dessus du corps étendu du Chevalier de Bronze. Il brandit sa main prête à lui trancher la gorge tout en riant. Il l'abat…
Un jet écarlate, un cri de douleur. Némus crache son sang ! Le Lion Noir tousse quand un objet étranger est expulsé de la gorge où il s'était planté : une plume blanche couverte d'hémoglobine. Son regard se tourne vers l'escalier où il sent subitement une présence : sortant des ombres dans une lueur blanche comme la neige, Elle a revêtu son Armure Sacrée. Un sourire soulagé éclaire le visage meurtri d'Hassadan.

- Je vous avais prévenu que vous aviez un pied dans la tombe, Chevaliers Noirs ! dit-elle d'une voix douce.
- Cas… Cassandra, balbutie Némus. Comment as-tu pu me blesser ?
- Te blesser ? Pauvre naïf que tu es ! Tu es mort mais tu ne le sais pas encore.
- Imbécile... Je ne peux mourir... gargouille le défunt. Je suis invincible ! Je suis...
- Tu n'es plus rien du tout… Tu vas mourir comme le Lion de Némée dans la mythologie… Etouffé, ainsi qu'Héraklès l'avait abattu !

Un genou à terre, le sang jaillissant de sa bouche, le vaincu, tenu au silence, adresse un regard d'incompréhension à celle qui sonne son glas.

- C'est pourtant simple Némus : puisqu'on ne pouvait te vaincre en te portant des coups externes, il fallait trouver un autre moyen. Ma plume a sectionné ta trachée artère : tes poumons ne seront bientôt plus alimentés en air. Dans quelques minutes, tu auras rejoint le royaume d'Hadès.


Assise à un petit bureau dans sa cabine, Sandra est plongée depuis de longues heures déjà dans la lecture du vieux cahier découvert au sommet du Mont Etoilé, quand quelqu'un cogne à la porte. Issa entre dans la petite pièce après y avoir été invité. Son regard se pose immédiatement sur le cahier.

- J'ai lu celui que Valkhan avait écrit juste avant son combat contre le Chasseur. Je n'ai pas pu retenir mes larmes… Les sentiments qu'il éprouvait à notre égard étaient si forts.
- C'est vrai, acquiesce la jeune fille. Dans celui-ci, il parle de ma naissance, de la petite enfance de Vicky encore bébé, il parle de Liana. Il semble heureux jusqu'à… jusqu'à ce que j'arrive…
- Ne parle pas ainsi, ce n'est pas ta faute…
- Bien sûr que si ! Si Athéna ne s'était pas réincarnée, rien ne se serait produit. Le Chasseur n'aurait pas mis le Sanctuaire à feu et à sang ! Liana vivrait encore !
- Non ! C'est justement le contraire ! Athéna est… Tu es revenue parce que le Chasseur était devenu une menace !
- Tu sais bien que c'est faux. Ses meurtres inexpliqués remontent à une époque bien plus ancienne…

Le Chevalier Andromède ne parvient pas à trouver les mots capables de chasser le sentiment de culpabilité qu'il estime si injuste et qui est en train de plonger sa déesse, son amie, sa sœur… dans un profond désarroi… Dans un élan de tendresse, il la prend dans ses bras et la serre tout contre son corps.

- Il raconte ce qu'il a vécu en tant que Grand Pope cette année qui a vu sa chute, poursuit-elle. Il remet des Armures Sacrées aux Chevaliers qui réussissent leurs épreuves… Parmi eux, il y a Argon…
- Argon ?
- Oui, le Chevalier de l'Autel… Le maître de Vicky… J'ai lu qu'il devait bientôt devenir le conseiller personnel de mon père… Ca n'a plus aucun sens à présent… Où est Vicky ?

On frappe à nouveau à la porte. C'est la voix de Koji.

- Excusez-moi de vous importuner en si charmante compagnie, belle demoiselle, le bel Issa étant un beau parti je l'avoue, mais le capitaine me mandate pour vous informer que l'Arche atteindra sa destination dans moins de trois heures à présent.

La couleur du visage du Chevalier Andromède semble virer au rouge, plus à cause des paroles provocatrices du garçon d'équipage que de ses gestes affectifs. Ceux-ci auraient certes pu porter à confusion, pourtant Koji n'était même pas en mesure de les percevoir. Sandra esquisse un sourire. Rapidement, Issa retrouve ses moyens, adoptant un air surpris.

- Dans trois heures ! Déjà ? ! Mais nous n'avons quitté le Sanctuaire que depuis peu. Je pensais qu'il faudrait plusieurs jours pour atteindre le milieu du Pacifique…
- Hum… répond Sandra. J'ai moi-même été très étonnée la première fois que j'ai embarqué, par le peu de temps qu'il faut à l'Arche pour parcourir de très grandes distances maritimes. Sous son apparence d'antiquité, ce vaisseau est en fait une merveille de technologie ultramoderne. Monsieur Takeda m'en a brièvement parlé mais je t'avoue que les détails techniques me dépassaient un peu.
- Je l'aurais bien interrogé, dommage qu'il ait regagné le Japon si vite dans son héliojet.
- Demande à Hermion, je suis certaine qu'il en sait bien plus encore que Monsieur Takeda. Je sais que c'est lui qui a fait ressortir des cartons de la Fondation Graad le projet de réalisation de l'Arche, qui sommeillait depuis deux siècles.


Le Chevalier Noir du Petit Lion qui se croyait invincible gît désormais privé du souffle de la vie sur le sol du premier niveau de la tour de l'Ile de la Mort. La plupart des Chevaliers Noirs ont maintenant pénétré à l'intérieur de l'édifice afin de prêter main forte à leur nouveau seigneur. Sciron l'enragé ne cesse d'encourager ses hommes à s'unir dans la lutte ultime qui les attend.

- Le pantin de Cassandra n'est plus assez vaillant pour demeurer un obstacle. Némus n'est pas mort en vain. Si nous unissons nos forces, elle ne pourra rien faire. Le nombre et la volonté de nous libérer du joug de cette maudite femme feront notre force !

- Tu fais un bien mauvais chef, Sciron, l'interrompt la prophétesse. Sauran avait beaucoup plus de jugement que toi, il n'aurait pas pris le risque de s'attaquer à moi car il savait que cela vous serait fatal.
- Sauran n'était qu'un faible ! Maintenant qu'il est mort, tué de mes propres mains, j'ai prouvé que j'étais le plus fort et le seul capable de mener les Chevaliers Noirs à la victoire. Et puis j'ai une armure à présent !
- Pauvre inconscient. Armure ou pas, ça ne changera rien à ton destin déjà tracé. Sauran t'a pourtant sauvé la vie en t'empêchant de te mesurer à Phénix il n'y a pas si longtemps. Le sursis qu'il t'a accordé, tu viens de le gâcher en pénétrant dans cette tour, car comme je l'ai annoncé, tu as désormais un pied dans la tombe et tu ne survivras pas à cette journée.
- Balivernes ! Tu essaies de nous impressionner. Tu ne fais que ça depuis des années, mais nous prouverons notre supériorité ! Tuez-la !

Tout en criant, une horde sombre se précipite sur le Chevalier d'Argent, qui vient de faire apparaître une unique plume entre ses doigts.

- Pauvres fous ! Plumes Blanches !

Soufflant l'aigrette, celle-ci se démultiplie et des dizaines de projectiles viennent se planter dans les corps de ses assaillants, tandis que majestueusement, la Colombe s'envole avec grâce au-dessus de ses victimes. Certaines ne se relèveront pas.

- Ne la lâchez pas ! Continuez à l'attaquer ! Il ne faut pas lui laisser le moindre répit ! Nous l'aurons !

Resté en arrière, Sciron semble évaluer la situation, stimulant ses hommes, exhortant ceux qui n'ont pas encore pris part au combat à se joindre à leurs compagnons, sans perdre de vue Cassandra d'une seconde. Les plumes blanches fusent : à chaque assaut, des assaillants tombent, blessés, sans connaissance ou morts. Un véritable ballet mené par la Gardienne qui châtie tous ceux qui osent la défier. Sciron charge à son tour, intensifiant son Cosmos au maximum.
Le seigneur des Chevaliers Noirs bondit entre ses pairs, qu'ils soient vaillants ou tombant. Son poing concentrant toute la puissance de son Cosmos s'apprête à frapper son ennemie !

- Meurs !
- Que les Ailes de la Providence me protègent !

Alors que Cassandra lève son bras droit irradiant d'une blancheur immaculée, le poing de Sciron se heurte tout à coup à une barrière inattendue : les plumes qui sonnaient le glas de la défaite pour tant de guerriers viennent de se rassembler pour former un écran de protection tourbillonnant autour de la prophétesse. Abasourdi durant un bref instant, l'assaillant a bondi en arrière.

- Mes plumes ne me servent pas seulement pour l'attaque, elles me défendent aussi.
- Pauvre idiote ! Tu crois vraiment que ta défense sera efficace longtemps contre moi ! Je vais détruire ton précieux bouclier ! Chevaliers Noirs ! Suivez-moi ! Et attaquez-la de toutes vos forces !

Alors que Sciron s'élance à nouveau tout en projetant de son poing brandi en avant des flammes jaillies tout droit de l'Enfer, trois Chevaliers Noirs s'élancent à sa suite.

- Par l'Enfer de la Mort ! scande Sciron.

Les flammes n'atteindront jamais Cassandra, mais tel n'est pas le but de Sciron. Consumées par le feu, les plumes cessent d'apporter la moindre protection quand les trois Chevaliers Noirs portent leur remarquable attaque combinée.

- Par l'Ouragan des Coups du Diable !

Le premier d'entre eux griffe la gorge de Cassandra, tandis que le second lui assène une avalanche de coups de poings dans l'abdomen, et que le dernier lui décoche un coup de pied dans le dos d'une rare violence. Pourtant… Le Chevalier d'Argent n'a pas bougé.
Alors que les cendres de son bouclier blanc se dispersent, Cassandra a porté sa main à sa gorge, essuyant une unique goutte de sang suite à la griffure, ou plutôt à l'égratignure, que le premier de ses assaillants lui a faite. Médusés, les Chevaliers Noirs ne comprennent pas comment elle a pu s'en sortir avec si peu de dommages, car elle ne porte aucune autre marque de coups.

- Votre stratégie était excellente, Chevaliers Noirs, reprend-elle solennellement, mais vous avez négligé un détail important. Je suis un Chevalier d'Argent et ma vitesse d'action est telle que vous ne percevez pas mes mouvements. La première de vos attaques n'a fait que m'effleurer, et ce grâce à l'effet de surprise, car je l'avoue, je ne m'attendais pas à une telle action si magistralement coordonnée. Mais pour la suite de vos assauts, il m'a suffit d'éviter chacun de vos coups en me déplaçant simplement trois fois plus vite que vous, ce qui pour moi était chose aisée. A présent, il est temps d'en finir. Que s'accomplisse la promesse que je vous ai faite ! Par le Vol de la Colombe !

Cassandra étend ses bras pour que de son aura, naisse une immense colombe d'énergie pure. Celle-ci fond dans les rangs ennemis, fauchant un grand nombre d'entre eux qui retombent avec fracas sur le sol. Les survivants commencent à être pris par la panique alors que la Gardienne s'apprête à porter à nouveau son attaque.

- Arrête ou je tue ton compagnon !

La voix criarde de Sciron interrompt le ballet mortel de la blanche Colombe. Le seigneur des Chevaliers Noirs a saisi les cheveux d'Hassadan pour relever la tête du Chevalier de Bronze tandis que son autre main lui saisit la gorge.

- Rends-toi ou je vais le tuer, je te le jure !
- Non… gémit Hassadan. Ne l'écoute pas…

Le Cosmos de Cassandra s'apaise alors, chassant toute agressivité, toute puissance manifeste. Baissant sa tête masquée, Cassandra pose un genou à terre. Sa voix envoûtante empreinte de tristesse résonne.

- Le destin de chacun est écrit. Celui des Chevaliers Noirs, le mien, mais le tien aussi Hassadan… Et tu ne dois pas mourir aujourd'hui… Ceux qui vont mourir le savent… du moins le devraient-ils… (A Sciron…) Chevalier Noir ! Qu'il en soit ainsi… Je me rends… Mais je ne vous suivrai qu'à une condition : aucun d'entre vous ne mettra plus les pieds dans cette tour…

Alors qu'elle parle, un tapis de plumes se forme discrètement à l'insu de ses adversaires, recouvrant bientôt toute la pièce et ressemblant à une gigantesque toile d'araignée. Lorsque celui-ci est complet, Cassandra le désigne aux Chevaliers Noirs survivants.

- Si un seul d'entre vous devait à nouveau pénétrer en ces lieux après les avoir quittés, je vous promets que vous connaîtrez le repos éternel. Je saurai immédiatement si quelqu'un pénètre sur mon tapis de plumes. Hassadan restera ici et nul ne l'inquiétera plus !
- Entendu, Gardienne, répond Sciron sur le ton de la détermination. J'accepte ton marché. Mais il ne devra plus quitter ces lieux non plus ! (A ses hommes…) Enchaînez-le au mur ! (En pensée…) Si je parviens à la mener jusqu'à la cellule, je n'aurai plus rien à craindre d'elle car les vapeurs toxiques du volcan l'affaibliront et finiront par la tuer ; quant à lui, il finira par succomber à ses blessures ou par mourir de faim et de soif…

Hassadan enchaîné au mur, les Chevaliers Noirs sortent de la tour, encerclant la prophétesse qui a laissé son Armure Sacrée avant de les suivre. Un instant, elle se tourne vers le seul homme qui était resté à l'extérieur, toujours dissimulé derrière sa cape, ce qui pour une aveugle ne sert pas à grand chose.

- Un Chevalier de Bronze qui s'allie aux Chevaliers Noirs, voilà qui n'est pas commun, lui clame-t-elle. Mais toi au moins, tu n'as pas bravé le destin, tu n'es pas entré dans la tour…

Regardant le cortège s'éloigner, Garrick ôte sa cape, révélant son Armure du Petit Renard. Il sourit comme il sait si bien le faire alors que, gardant ses distances, il suit ceux qu'il doit aider.

- Je connaissais ta réputation, Cassandra, pense-t-il. Et je n'ai pas l'intention de mourir aujourd'hui… Alors pourquoi tenter le destin inutilement ? Hin hin hin…


Quelque part dans le Pacifique, sur le pont de l'Arche. Alors que le navire vogue sur les flots au gré des indications que lui fournit Hermion depuis le gouvernail situé au centre du pont, Shin, auprès du capitaine excentrique, s'interroge autant sur les étonnantes performances du vaisseau que sur les étranges motivations qui peuvent avoir conduit la Fondation Graad à leur apporter leur aide. Les regards soupçonneux du jeune garçon ne sont pas sans échapper à la perception du capitaine, lequel semble même s'en amuser.

- Et bien soit, je vais soulager ta curiosité intellectuelle, lui déclare tout à coup le fantasque capitaine. Tu ne comprends pas comment fonctionne ce bateau. Tu ne t'expliques pas comment nous avons pu franchir de telles distances en si peu de temps. Et compte tenu de notre rapidité, lorsque nous sommes sur le pont, nous devrions ressentir cette vitesse alors qu'il nous semble que nous voguons lentement. Pourquoi le vent marin ne nous emporte-t-il pas ? Pourquoi supportons-nous aussi aisément la traversée alors que nous dépassons la vitesse du son ? N'est-il pas étrange aussi que le seul moyen de manœuvrer l'Arche soit simplement ce gouvernail ?
- J'ai beaucoup de mal à me l'expliquer, c'est vrai…

Accentuant son sourire, Hermion détache une de ses mains gantées du gouvernail pour la montrer au jeune asiatique. Le regard de Shin se pose sur ce fin gant noir… Quand il prend conscience qu'Hermion avait enfilé sa paire de gants seulement au moment de contrôler le gouvernail.

- Toutes les fonctions de l'Arche peuvent être déclenchées à partir de ce gouvernail, merveille de haute technologie. Ces gants assez spéciaux permettent la connexion de mon cerveau via les terminaisons nerveuses de mes doigts, et par-là même ma volonté, directement à l'ordinateur central de l'Arche dont les commandes sont toutes dans le gouvernail. Il module la vitesse du navire, mais aussi sa force gravitationnelle, ce qui lui permet de se libérer de l'attraction terrestre et de l'influence des vents et des courants. Je peux aussi neutraliser tous les effets extérieurs grâce au dôme de protection invisible que je peux activer à volonté : c'est pourquoi nous ne sommes pas affectés par la vitesse du navire ni par toutes les conséquences qu'elle pourrait engendrer.
- Mais à cette vitesse, en mer, il est impossible de prévoir les obstacles pour un navire ! Ne risquons-nous pas de heurter une autre embarcation ou un récif ?
- Ha ha ha ! C'est toi qui me dis ça, un Chevalier d'Athéna ? N'es-tu pas toi-même capable de porter des coups et de te mouvoir à la vitesse du son et même plus encore ? N'es-tu pas en mesure de disséquer une attaque qui te serait portée à cette même vitesse, de prévoir et d'anticiper tes réactions ?
- Cela n'a rien à voir. Ces capacités sont inhérentes à mon Cosmos, à ma volonté, celle d'un homme, alors que l'Arche n'est qu'un bateau.
- Certes, mais dirigée par un homme. Et je suis parfaitement en mesure de réagir aussi vite que toi, Chevalier du Dragon.
- Alors… Tu es un Chevalier toi aussi ?
- Non… reprend-il après un bref silence, mais disons que j'ai reçu l'enseignement de quelqu'un qui m'a permis de développer certaines capacités qui leur sont similaires. Après sa disparition, je me suis rendu au Japon, pour demander à la Fondation Graad de vous apporter le soutien logistique nécessaire à votre croisade, à la demande de feu mon maître.
- Ton maître ?
- Oui, si on peut l'appeler ainsi, j'ai beaucoup appris sous la houlette de Soliman le Visionnaire.

C'est alors que la voix résonnante de Koji depuis la vigie détourne l'attention de tous les occupants du navire rassemblés sur le pont.

- Ile en vue. Putain ça dégage ! Le volcan pète du tonnerre ! L'île tout entière est couverte par une épaisse couche de vapeurs volcaniques on dirait.

A l'avant du navire, Kemri plisse ses yeux orangés pour percevoir l'île qu'il a quittée il n'y a pas si longtemps. Cassandra lui avait bien dit qu'il reviendrait bientôt.

- Le volcan s'est réveillé mais la brume qui recouvre l'île semble différente. Il se passe quelque chose d'anormal… J'ai un mauvais pressentiment…

Ses quatre frères d'armes et sa sœur divine rejoignent bientôt le Chevalier Phénix, lequel dresse le tableau infernal de ce qui les attend : la chaleur insoutenable, le sol couvert de braises fumantes, les vapeurs toxiques, le volcan en éruption et… les Chevaliers Noirs. S'étant approché, Pygmalion ne peut s'empêcher de plaquer ses deux mains sur ses deux joues à l'écoute du récit de Kemri, le petit garçon semble terriblement impressionné.

- Je ne vous demanderais qu'une seule faveur, dit Kemri en serrant son poing alors qu'il sent la colère monter en lui. Si nous devons croiser celui qui porte le nom de Sciron… il est pour moi !


Un épais brouillard couvre la berge où accostent les cinq Chevaliers de Bronze et la jeune Déesse Athéna. A la demande de celle-ci, ses fidèles guerriers ont revêtu leur Armure Sacrée. Quintes de toux, essoufflements prématurés, bouffées de chaleurs… autant de premiers symptômes dans cet enfer où on ne voit pas à plus de deux mètres tant la brume est intense.

- Pouah ! râle Néo. Cette purée de pois est terrible… On ne voit presque plus nos pieds quand on regarde le sol.
- Cette brume n'est pas normale, se répète inlassablement Kemri… Pourtant… Elle me rappelle quelque chose que j'ai vécu il n'y a pas si longtemps.

Issa acquiesce de la tête, indiquant qu'il devine à quoi pense son compagnon, alors que sa chaîne commence à bouger, indiquant une présence hostile tout près d'eux. Les cinq garçons se disposent en demi-cercle autour de Sandra alors que plusieurs silhouettes sombres apparaissent et que le brouillard s'éclaircit légèrement. Ils sont à peu près une demi-douzaine, des garçons devant avoir à peu près le même âge qu'eux, tous vêtus de noir, tous semblent avoir les mêmes yeux et cheveux… noirs… L'un d'eux s'avance, révélant les contours d'une armure autour de sa silhouette, il prend la parole.

- Soyez les malvenus sur l'Ile de la Mort, Chevaliers d'Athéna. Bon retour parmi nous, Phénix…

Kemri sent tout à coup son corps entièrement parcouru d'un frisson d'angoisse. Tout dans celui qui parle évoque un malaise en lui : sa voix, sa silhouette… Il lui ressemble tellement… On dirait presque un miroir… Seuls ses cheveux et ses yeux permettent de le différencier de lui, ainsi que la couleur de son armure.

- Oui, Phénix, je suis le Phénix Noir… ton double… ton ombre…

Kemri n'est pas le seul à montrer son étonnement, tous ses compagnons ne peuvent masquer leur surprise et leur inquiétude devant celui qui a les mêmes traits que leur frère…

- Il faudra vous y faire Chevaliers, poursuit le Phénix Noir d'une voix calme et assurée. Car ici, sur cette île, chacun d'entre vous risque de croiser son ombre… Et soyez assuré que tout Chevalier Noir du même signe que vous n'aura qu'un seul objectif : vous éliminer. Car il ne peut… Car il ne doit exister deux Chevaliers du même signe… Tu comprends ce que cela signifie, Phénix ?
- Bien sûr, répond un Kemri qui retrouve tout son sang-froid. Tu me lances donc un défi ; je le relèverai. Mais avant, je voudrais que tu répondes à une question…
- Bien entendu, reprend l'ombre de Kemri, je suis aussi là pour t'informer de certaines choses.
- Trop aimable. D'habitude, les Chevaliers Noirs ne s'éloignent pas tant de leur repaire…
- Les choses ont changé depuis ton départ, Phénix, nous ne craignons plus la Gardienne…
- Cassandra ! ? s'exclame-t-il. Que s'est-il passé ?
- Si tu parviens à atteindre la tour, tu sauras ce qu'il est advenu d'elle. Je peux simplement te dire qu'elle n'est plus une menace pour nous.
- Je t'ordonne de parler ou…
- Ou quoi ? Tu me tues ? Et comment pourrais-je parler ensuite ? Non, ce sont les ordres du Seigneur Noir, je ne te dirai rien sur elle !
- Le Seigneur Noir ? ! Sauran ? !
- Sauran est mort, Phénix, tu en avais fait un zombie. Il n'était plus digne d'être notre chef. Sciron l'a tué et a pris sa place.
- Comment ? Ainsi Sauran est mort, poursuit Kemri en baissant la tête. Et cette larve de Sciron a dû vouloir conquérir toute l'île… Je vais le tuer !

Kemri sent la colère monter en lui, le souvenir de Sciron il y a des années l'humiliant refait surface. Aujourd'hui ce méprisable insecte a peut-être fait du mal à son maître. Il ne pourra jamais se pardonner si quelque chose est arrivé à Cassandra ou à Hassadan, surtout après avoir eu l'occasion de tuer ce triste sire de Sciron lors de sa dernière rencontre avec lui. Sciron doit payer : il doit mourir… et maintenant. Comprenant que le combat est inévitable, Kemri laisse grandir son Cosmos, obligeant ses camarades à s'écarter. Mais le Phénix Noir s'enfonce en courant dans la brume.

- Je vois avec plaisir que tu relèves le défi de Sciron, Phénix ! Si tu veux parvenir jusqu'à lui, il te faudra d'abord me rattraper et me vaincre.

Le regard de braise de Kemri s'est enflammé, il perçoit l'ombre du Phénix Noir disparaître dans le brouillard, et s'élance à sa poursuite.

- Attends-moi Phénix Noir ! J'arrive !

Ses compagnons n'ont pas le temps de réagir que Kemri a déjà disparu dans les brumes impénétrables. Les ombres de tous les autres Chevaliers Noirs se dispersent en ricanant sur le ton du défi. C'est une déclaration de guerre.

- Nous devons atteindre la tour de Cassandra, reprend calmement Sandra. Et pour se faire, il faudra sûrement vaincre les Chevaliers Noirs.
- Tu peux compter sur nous pour cela, Sandra, rétorque Néo. Ils trouveront à qui parler s'ils essaient de nous barrer la route.
- Malheureusement, continue Issa, cette brume demeure un sérieux handicap. Je n'arrive déjà plus à percevoir les vibrations cosmiques de Kemri, comme si elle les masquait. Le Chevalier du Petit Renard utilisait une brume similaire empêchant de repérer sa présence, mais ici aucun Cosmos ne semble pouvoir être perçu. Ce ne sera pas facile, d'autant plus que nous risquons de nous perdre, et même ma chaîne semble éprouver des difficultés à trouver une direction.
- Alors suivons notre intuition, réplique Shin. Traversons ces brumes jusqu'à ce que nous trouvions la tour. Séparons-nous, cela augmentera nos chances pour que l'un d'entre nous l'atteigne au plus vite.
- Mais on ne peut pas laisser Sandra toute seule ? reprend Sven. Sandra, peut-être devrais-tu regagner l'Arche…
- C'est hors de question, répond-elle. Je dois absolument voir Cassandra… au plus vite. Je suis certaine qu'elle est encore en vie et qu'elle a besoin de nous… et de moi…
- Alors l'un d'entre nous restera avec toi, propose Néo en lui prenant la main.
- Je veux bien que tu viennes avec moi, suggère Shin. Si tu restes à côté de moi, je pourrai toujours te protéger avec mon bouclier.
- C'est d'accord Shin, répond-elle alors que Néo arbore une mine dépitée de ne pouvoir assumer le rôle de chevalier servant qu'il avait sollicité. Ne perdons pas de temps, allons-y !

Les quatre Chevaliers s'élancent alors dans quatre directions, parfaitement au hasard, mais comme il est impossible de s'orienter dans les brumes de l'Ile de la Mort, il n'y a sans doute pas de meilleure solution. Accompagnant le Chevalier du Dragon, Sandra semble se concentrer, portant toujours en main le Sceptre de la Victoire.

- Puisse Niké vraiment nous soutenir et nous apporter la victoire. Pour ma première bataille !

Quelques instants après le départ des Chevaliers de Bronze, un pied se pose sur la berge de l'île. La silhouette d'un Chevalier en Armure s'enfonce dans les brumes : un nouvel arrivant a débarqué sur l'Ile de la Mort, l'esprit inlassablement martelé par le souvenir incessant de paroles entendues quelques semaines auparavant.

- Tu sais ce que tu dois faire à présent, Chevalier. C'est l'honneur de ton nom qui est en jeu !


Au sommet du piton rocheux de l'Ile de la Mort, un Chevalier Noir vient glisser quelques mots dans le creux de l'oreille de Sciron, assis sur un trône de pierre creusé à même la roche. Le visage couvert de cicatrices et de tatouages du Seigneur Noir se déforme de jubilation : les nouvelles sont bonnes.

- Excellent ! Je ne pensais pas qu'il reviendrait aussi vite. Je vais pouvoir en finir avec toi une bonne fois pour toutes, Phénix. Ton double mettra un terme à ta légende ridicule. Ha ha ha !

Assis en tailleur à quelques mètres de Sciron, Garrick ouvre un œil pour toiser le chef des Chevaliers Noirs. Décidément il ne l'aime vraiment pas, et dire qu'il doit rester à ses côtés tant que les renégats désignés par le Grand Pope seront encore en vie. Fort heureusement, il semble que ces derniers soient arrivés, le calvaire de Garrick ne devrait donc point excéder cette journée.

- Dis-moi, renard ! beugle Sciron. Comment fais-tu pour maintenir cette brume sur l'île tout entière ? Cela me paraît bien puissant pour un simple Chevalier de Bronze.
- Je ne suis qu'un focus, un intermédiaire. Ma technique se limite à générer une brume capable de dissimuler ma présence sur une faible superficie, la brume est capable de masquer les vibrations émises par mon Cosmos et de me cacher aux perceptions de mes adversaires.
- Ca veut dire que quelqu'un d'autre se sert de ton pouvoir pour l'amplifier à une zone plus étendue et le généraliser à toutes les présences, c'est ça ?
- Il semblerait bien en effet. Mais je ne saurais expliquer comment.
- Cet être doit être extrêmement puissant. Qui est-il ?
- Tu tiens vraiment à le savoir ?
- Oui, arrête de jouer avec moi !
- Entendu… Et bien sache que celui dont le pouvoir est assez grand pour parvenir à réussir un tel exploit, c'est… le Grand Pope.
- Ne te moque pas de moi ! Tu me crois assez stupide pour gober ça !
- Réfléchis donc au lieu de t'agiter inutilement, Sciron. Qui donc pourrait être assez puissant pour accomplir un tel prodige… si ce n'est le maître suprême des quatre-vingt-huit Chevaliers d'Athéna ?

Restant un instant interdit et perdu dans de sombres pensées, Sciron se lève de son siège, il s'approche de l'entrée de la grotte qui s'enfonce dans les ténèbres du rocher.

- Le Grand Pope ? Mais pourquoi diable le Grand Pope aurait-il intérêt à m'aider ? ! rugit-il.
- PARCE QUE LE GRAND POPE EST L'AGENT DES FORCES DU MAL ! MAIS IL NE T'AIDE PAS, IL SE SERT DE TOI ET DE TA NAIVETE !

Sciron sursaute. Il reconnaît l'écho majestueux de la voix qui vient de résonner depuis les profondeurs de la grotte. Garrick aussi est perturbé un bref instant par la puissante voix de la prophétesse prisonnière avant de reprendre sa concentration pour maintenir la brume. La surprise passée, Sciron ricane.

- Ha ha ha ! Cassandra ! Ainsi les vapeurs toxiques émanant des geysers qui encerclent ta cellule ne t'ont pas encore assez affaiblie ! Tu trouves encore la force de te manifester. Bientôt tu ne seras plus que l'ombre de toi-même, incapable de parler !
- TU MOURRAS AVANT MOI, TOI QUI NE SURVIVRAS PAS A CETTE JOURNEE ! TU AS SCELLE TON DESTIN EN NE PRENANT PAS GARDE A MES PAROLES PROPHETIQUES ! TREMBLE SCIRON, CAR TES HEURES SONT COMPTEES !
- Tu ne m'intimides plus, Cassandra. Je ne te crois pas.

Concentré sur sa tâche, Garrick médite les paroles de la prophétesse : se pourrait-il qu'elle dise vrai ? Que le Grand Pope serve des intérêts maléfiques ? Cette pensée disparaît aussi rapidement qu'elle était apparue, il réfléchit à présent à l'attitude de Sciron, obstinément aveugle aux paroles de Cassandra.

- Dans la mythologie grecque, pense-t-il, personne ne voulait croire les prédications de la princesse Cassandre, et pourtant… tout s'est passé comme elle l'avait prédit…


Sur un chemin rocailleux, Néo progresse à travers les vapeurs étouffantes alors que la chaleur torride l'accable. Les hautes températures lui étaient habituelles en Grèce, mais jamais elles n'avaient atteint de telles extrémités. Tout en observant scrupuleusement autour de lui, dans le but de distinguer quelque chose à travers les brumes, il marche prudemment.

- Comment peut-on réussir à vivre dans un tel endroit ? Je ne comprends vraiment pas que des gens aussi peu scrupuleux que ces Chevaliers Noirs aient élu domicile ici. Eux qui ont l'air si avides de gloire facile, de conquête et de confort. Il y a vraiment des choses qui m'échappent. Quand je pense qu'à quelques kilomètres seulement, il doit y avoir de superbes îles polynésiennes avec tout plein de filles belles à faire pâlir ce pauvre Koji… Hein ?

Une silhouette sombre semble s'approcher de lui. Néo s'arrête, en garde, prêt à se défendre. La brume s'est légèrement éclaircie à l'approche de l'ombre, exactement comme lorsque le Phénix Noir s'était manifesté quelques dizaines de minutes plus tôt. Un petit ricanement accompagne sa venue.

- C'est certainement un Chevalier Noir, marmonne le jeune Danois. D'après ce que Kemri a expliqué de leur mentalité, il y a peu de chance que je puisse le convaincre de ne pas combattre. (D'une voix forte…) Tu es un Chevalier Noir si je ne me m'abuse. Puis-je me permettre de te soumettre une suggestion qui aurait l'avantage de nous épargner bien des efforts mais aussi de te laisser la vie sauve ? Laisse-moi passer et poursuis ton chemin.
- Pauvre idiot ! Si tu avais vraiment voulu t'éviter des efforts inutiles, tu n'aurais pas perdu ton temps dans une proposition aussi stupide !

Alors que le Chevalier Noir n'est pas encore pleinement perceptible, des cendres se lèvent de terre, mues par un tourbillon de vent sans aucun doute généré par le Cosmos de l'ombre. Tournoyant autour de lui, elles le masquent davantage. Ne comprenant pas vraiment ce qui est en train de se passer, si ce n'est que celui qui devient son adversaire a refusé sa proposition pacifique, Néo recule d'un pas et s'apprête à attaquer.
- Je ne sais pas quel tour pendable tu es en train de préparer, Chevalier Noir, clame le Chevalier Pégase tout en dessinant sa constellation avec ses deux mains. Mais je ne te laisserai pas m'impressionner, pas plus que je ne perdrai plus de temps à attendre de voir ce que tu es en train de manigancer ! Par les Météores de Pégase !

Néo déclenche son attaque redoutable et charge son adversaire… mais ses coups semblent vains car aucun de ses météores ne semble heurter le moindre corps. Il traverse l'endroit où il a pensé brièvement rencontrer son ennemi. Après être passé, il se retourne pour voir la silhouette floue de son adversaire toujours entourée de ces cendres tournoyantes, lesquelles viennent se poser alors sur son corps, éclaircissant brusquement la scène. Le Chevalier Noir porte une armure qui ne semble pas totalement étrangère à Néo… tant elle est identique à la sienne : le Phénix Noir les avait prévenus. Tout en essayant de masquer sa surprise, non pas celle d'être confronté à un double qui lui ressemble tant, mais celle de l'inefficacité de son assaut, Néo reprend son discours.

- Ainsi tu es le Pégase Noir, j'aurai dû m'en douter. L'un des tiens m'a déjà informé qu'aucun d'entre vous ne supportait l'idée de savoir en vie un Chevalier d'Athéna du même signe que votre sombre armure. Permets-moi de te féliciter pour ta remarquable entrée en scène, très théâtrale je dois dire. Mais à présent le spectacle est terminé. Par les Météores de Pégase !

Sans attendre, Néo renouvelle son attaque, décochant ses coups à une vitesse dépassant le son en direction de son ombre. En face de lui, le Chevalier Noir de Pégase se tient prêt à les encaisser, esquissant un demi sourire plein d'assurance. Le choc n'est pas ce que Néo attendait. Le Pégase Noir bloque aisément le premier de ses coups, déplaçant ses deux bras assez vite pour pouvoir parer les suivants : aucun des météores de Néo n'a pu atteindre le Chevalier Noir. Se retrouvant de l'autre côté de son adversaire, Néo se retourne à nouveau. Cette fois, il ne peut plus cacher sa surprise.

- J'y crois pas ! Personne ne peut parer la technique secrète d'un Chevalier sans l'avoir étudiée auparavant !
- Alors Pégase ? On n'est plus aussi sûr de soi à présent ? Tu feras bientôt moins le fanfaron quand je t'aurai envoyé rejoindre tes ancêtres.
- Attends ! Comment tu as fait ?
- En plus tu es stupide ! Tu as déjà porté ton attaque quand je suis arrivé, mais masqué dans la brume et le tourbillon de cendres que j'avais préparé, tu ne pouvais pas me localiser avec assez de précision pour pouvoir me toucher. Il m'a suffit de t'esquiver, et dans le même temps j'ai pu observer la manière dont tu portais tes coups.
- Je vois, mais j'ai du mal à croire que tu as pu si facilement décortiquer mon attaque en y ayant seulement assisté une fois dans ta vie ! Il n'y a que les meilleurs Chevaliers qui soient capables d'analyser et de comprendre une technique secrète la première fois qu'ils la voient. Morgane mon maître pense que seuls les Chevaliers d'Or le peuvent. Alors je ne peux pas admettre que toi, tu y sois parvenu. Il y a autre chose…
- Très bien, tu vas comprendre pourquoi il m'était facile d'analyser le mode opératoire de tes Météores de Pégase, dit-il tout en commençant une gestuelle qui n'est pas sans rappeler quelque chose de familier à Néo.
- Quoi ? ! Mais… Il dessine…
- Que les Météores Noirs te terrassent !

A son tour, le Pégase Noir projette une pluie de coups qui s'abat sur Néo. Ainsi tout est clair à présent, son double utilise une technique secrète dont le mode opératoire est très proche de celui de la sienne, c'est pour cela qu'il a pu comprendre et parer son attaque aussi facilement auparavant. Néo est emporté par la pluie de coups, bien qu'il parvienne à rapidement se ressaisir pour réagir de la même manière que l'avait fait le Pégase Noir. Après avoir encaissé les premiers coups, Néo pare et bloque tous les suivants. Mais il lui a fallu fournir un effort considérable. L'assaut terminé, Néo reprend son souffle tout en plongeant son regard dans les yeux sombres de son adversaire, lequel sourit.

- Tu as perdu Pégase.
- Je ne dirai pas cela si j'étais à ta place. Ton attaque ne m'a pas vaincu. J'ai réagi à temps et ai pu bloquer la plupart de tes coups, et ceux qui m'ont atteint manquaient de réelle puissance pour véritablement m'abattre. Tu as commis une erreur, car si tu avais porté tes premiers coups à pleine puissance, peut-être aurais-tu pu me tuer.
- Cela n'était pas nécessaire, poursuit le Pégase Noir tout en se retournant et en s'enfonçant à nouveau dans les brumes épaisses. Le combat est fini. Tu es déjà mort. Bientôt tu t'en rendras compte.
- Qu'est ce que c'est encore que cette ruse grossière ? Attends ! Je n'ai pas dit mon dernier mot !

Alors que Néo s'apprête à poursuivre son adversaire, il s'arrête brusquement, scrutant tout autour de lui comme si quelque chose avait attiré son attention.

- Bizarre, murmure-t-il. J'ai eu la brève impression d'être observé. J'ai dû rêver… (Criant…) Ne crois pas t'en tirer à si bon compte, Pégase Noir ! Attends-moi !

Néo s'élance à travers les brumes, dans la direction où s'est enfoncé son adversaire. Il court, mais rien à faire, il n'y a plus aucune trace de l'ombre, et naturellement, il est inutile d'essayer de repérer les vibrations émises par son Cosmos. Peut-être est-il tout près, mais pour le moment il est impossible de le percevoir. Le jeune Chevalier choisit de reprendre sa route.

Peu après son passage, une silhouette indistincte lui emboîte le pas en marchant lentement. Des cheveux blond cendrés noués dans son dos, un regard gris bleu sur un visage austère. Il porte sa main au niveau de son épaule droite où une lancinante douleur qui ne cesse de le faire souffrir depuis des semaines rappelle sans cesse à sa mémoire de bien sombres paroles.

- Ils doivent mourir. Tu n'as pas d'autre choix si tu veux laver le déshonneur qui entache ton nom, et la piqûre de l'Aiguille Ecarlate te le rappellera sans cesse, Chevalier.


Deux hommes courant à toute allure à travers le brouillard, deux Phénix engageant un combat inévitable : il ne doit en rester qu'un ! Kemri n'a pas perdu de vue un seul instant le Phénix Noir filant tel le vent. Il n'est pas dupe, il sait bien que le Chevalier Noir s'est enfui simplement pour le séparer de ses compagnons et l'attirer en un lieu où personne ne pourra les déranger dans leur combat. Quand enfin Kemri le rattrape. Une première frappe de son poing oblige le Chevalier Noir à bondir sur le côté et surtout à cesser sa course. Face à face à quelques mètres de distance, les deux hommes s'observent alors que la brume laisse à peine distinguer plus de leur être que leur silhouette.

- Phénix Noir, somme Kemri, je te le demande pour la dernière fois : où est Cassandra ?
- Très bien, je peux te le dire à présent que tu es seul car tu ne survivras pas à notre combat et tu ne pourras jamais le révéler à tes compagnons.
- Alors parle, et vite !
- Le Phénix s'impatiente ? Pour quelqu'un qui est sensé avoir l'éternité devant lui, ce n'est pas banal… Cassandra est retenu prisonnière dans le piton rocheux de l'Ile de la Mort, ce pic émergeant de la mer, relié au reste de l'île par un pont de bois, qui est notre repaire à nous, les Chevaliers Noirs. Dans la galerie souterraine, des geysers produisent des émanations de soufre dangereuses pour quiconque les respire. C'est là que Cassandra est enfermée, dans une cellule où elle finira par mourir des suites des vapeurs toxiques qu'elle est en train de respirer.
- Je ne peux pas croire que Cassandra a été défaite par Sciron.
- Elle s'est rendue d'elle-même, afin que nous épargnions le sous-fifre qui se croyait assez puissant pour tous nous défier.
- Hassadan ? Que lui est-il arrivé ?
- Celui-là devrait bientôt succomber à ses blessures si celles-ci ne sont pas rapidement soignées.
- Vous l'avez emmené dans votre repaire lui aussi ?
- Non, nous l'avons enchaîné à l'intérieur de votre précieuse tour, qui deviendra son tombeau… à moins qu'il ne le soit déjà… Vit-il seulement encore ?

Sans attendre davantage, Kemri charge son adversaire, lequel l'attend de pied ferme pour un premier échange de coups de poings et de pieds. Kemri sent la tension monter en lui, il ne cesse de voir défiler les images de Cassandra et d'Hassadan, il sait qu'ils sont en danger et qu'il doit les sauver, mais pour cela, il lui faut rapidement en finir avec le pâle ersatz de lui-même qui lui fait face… D'un bond, Kemri se dégage du corps à corps, puis s'envole en intensifiant son Cosmos. Le Phénix Noir recule un instant pour ne pas se laisser surprendre.

- Phénix Noir ! clame Kemri. Maintenant que je sais où sont mon ami et mon maître, je n'ai plus besoin de te garder vivant, prépare-toi à mourir !

Comme porté par des ailes, Kemri écarte ses bras tandis que les flammes naissantes de son Cosmos viennent se rassembler autour de ses deux bras qu'il projette en avant, déployant le terrible oiseau de feu devant lui.

- Par le Vol du Phénix !

Le phénix flamboyant percute de plein fouet le Chevalier Noir, lequel est emporté par l'assaut et projeté à plusieurs mètres de distance, perdu dans les brumes. Kemri observe les lieux un instant puis s'élance en courant dans une autre direction.

- Tu n'étais pas de taille pour te mesurer à moi, Phénix Noir ! Tu aurais dû te souvenir de Sauran, lui t'aurait dit qu'il fallait me craindre !
- Pauvre idiot !

Kemri s'arrête net, reconnaissant la voix de l'adversaire qu'il croyait mort, terrassé par sa plus puissante attaque. Il observe alentour, sans repérer la moindre présence.

- C'est toi, Phénix Noir ? Ainsi donc tu serais plus résistant que ce que je croyais. T'aurais-je sous-estimé ? Eh bien montre-toi, que je rectifie cette erreur.
- Oh que oui tu vas me voir, répond la voix en ricanant, mais ce sera trop tard ! Par l'Illusion Noire !

Alerté par ses sens, Kemri se retourne brusquement pour voir fondre sur lui le spectre ténébreux d'un gigantesque oiseau sombre, lequel le frappe au milieu du front, traversant son cerveau. Sans doute Kemri ne se serait pas laissé surprendre si la brume mystique n'avait pas dissimulé la présence de son adversaire, et s'il n'avait pas été trop confiant dans sa victoire qu'il croyait acquise. Il ne voit plus le Chevalier Noir pourtant ensanglanté et couvert de brûlures, dont l'armure a éclaté en de nombreux endroits, qui, dans un ultime effort, l'a saisi à la gorge de ses deux poings, et qui maintenant essaie de l'étrangler.

- L'Illusion Noire t'a plongé dans un autre monde. Tu ne peux plus agir dans le réel désormais et la strangulation va continuer de générer dans ton esprit des hallucinations jusqu'à ce que, privé d'air, tu meures définitivement. Car même le Phénix a besoin de respirer.

Kemri erre au milieu de la brume. Il court, il cherche désespérément son maître qu'il appelle. Enfin il retrouve la tour. Il se précipite à l'intérieur… Enchaîné à un mur, le corps meurtri d'Hassadan provoque en lui un profond malaise. Il tente de l'arracher à ses chaînes. Le corps de son ami retombe lourdement sur le sol.

- Hassadan ! Réveille-toi ! Je suis venu pour te sauver… Hassadan ? Non…

Reculant lentement, Kemri ne peut retenir ses larmes : son ami est mort. Il n'y a plus rien à faire, il est arrivé trop tard. Il repart précipitamment, il doit absolument atteindre le piton rocheux pour sauver Cassandra, il pourra peut-être au moins la sauver, elle !

- Je suis le Phénix ! Je peux revenir de l'autre monde, je peux franchir les dimensions… Maître ! J'arrive ! Tenez bon !

S'envolant au-dessus de l'île tel une étoile filante, Kemri plonge vers le repaire des Chevaliers Noirs, il s'engouffre dans les galeries, saute entre les geysers quand enfin il la voit. Il s'arrête, ses yeux orangés remplis de larmes la contemplent, seule au milieu d'un îlot encerclé par les flammes.

- Maître ! Je suis venu !
- Je t'ai attendu, Phénix… Mais c'est trop tard à présent…

Cassandra s'effondre dans les flammes qui l'encerclaient. Hurlant, Kemri tente de se jeter à travers le feu pour la rattraper mais un choc violent le dévie de sa trajectoire. Il se relève pour ne voir que le corps de Cassandra léché par le feu de l'Enfer. Il la saisit dans ses bras, son masque fondu se détachant de son visage…

- Elle est morte, Phénix !

Cette voix ! La voix criarde de Sciron ! Kemri se relève pour voir que celui qui l'a empêché de sauver son maître, c'est lui : Sciron. Alors que son aura s'enflamme, Kemri défie de ses yeux larmoyants son ennemi juré, et bientôt ses larmes consumées se changent en flammes alimentant son regard de braise, son regard de haine. En face, le ricanement sadique et les petits cris jubilatoires de Sciron résonnent de toutes parts.

- Par le Vol du Phénix ! hurle Kemri.

Comme s'il s'agissait d'un geste naturel pour lui, Sciron tend la main devant lui, bloquant net et retenant l'oiseau de feu qui devait le faucher, et dans une explosion de rire, il le retourne contre Kemri, balayé par sa propre attaque. Se fracassant contre le sol, il sent ses dernières forces disparaître… en même temps que ses dernières larmes se tarissent…

Desserrant son étreinte, le Phénix Noir soupire, haletant. Il regarde son adversaire, resté debout, l'œil vide.

- Le Phénix a cessé de respirer en même temps que ton cauchemar a pris fin. J'ai mis un terme à ton existence : tu es mort, Chevalier Phénix. Adieu…

D'une simple poussée, le Chevalier Noir fait tomber le corps sans vie du Chevalier Phénix, celui que l'on croyait immortel.

Dans une galerie souterraine, les larmes coulent le long d'un masque d'argent recouvrant le visage de la prophétesse étendue au cœur d'un îlot encerclé de flammes, sous les vapeurs toxiques des geysers qui l'encerclent.

- Je t'ai attendu, Phénix…


Alors qu'il est toujours à la recherche de son double perdu dans le brouillard, le Chevalier Pégase voit un instant sa vue se troubler. Il s'arrête, essoufflé, sentant tout son corps s'alourdir terriblement.

- C'est sûrement l'atmosphère étouffante et la chaleur accablante de cette île. Je suis de plus en plus fatigué. Aaaaah !

Ressentant brusquement une violente douleur au niveau de la poitrine, Néo tombe un genou à terre, il a l'impression qu'il se consume de l'intérieur. Sa douleur s'étend lentement.

- Mais qu'est-ce qui m'arrive ? Ca me brûle atrocement, hurle-t-il en arrachant son plastron devenu pour lui un vrai calvaire.

C'est avec effroi que Néo constate la terrible tâche noire brûlante qui a recouvert une partie de son thorax… et qu'il commence à comprendre pourquoi le Pégase Noir lui avait dit que le combat était terminé.

- Tu as perdu Pégase… Le combat est fini… Tu es déjà mort… Bientôt tu t'en rendras compte…

Les paroles de l'ombre prennent tout leur sens à présent. C'est sans doute de cela qu'il parlait. Voilà pourquoi il n'avait pas eu besoin de mettre tant de puissance dans son attaque : celle-ci a un effet bien plus redoutable que ce qu'il avait cru.
De nouvelles brûlures, de nouvelles tâches. Sur ses bras… Sur son abdomen… Sur ses jambes… Bientôt tout son corps le fait terriblement souffrir. Néo ne peut supporter son armure davantage tellement elle le brûle, augmentant encore ses blessures et sa souffrance. Une à une, il ôte ses protections. La douleur intérieure se propage petit à petit, insoutenable… Néo sent ses forces le quitter, il s'effondre au sol dans un râle… Alors qu'alentour le ricanement sadique de son double résonne.

- Pé… Pégase Noir… C'est toi ?
- Oui, c'est bien moi, chuchote ce dernier en s'approchant. Je t'avais dit que tout était fini, que je t'avais vaincu. Vois-tu Pégase, dans la vie, chacun peut être confronté à la victoire ou à la défaite, mais ici sur l'Ile de la Mort, nous sommes condamnés à ne connaître que la victoire, car la défaite est inexorablement fatale, elle est synonyme de mort. Dès l'instant où nous nous sommes rencontrés, l'un d'entre nous devait mourir, le destin a choisi que ce serait toi.
- Argh… Je… Je…
- Lutter ne sert à rien, Chevalier Pégase. La malédiction de la Mort Noire a déjà fait son office. Lorsque mes Météores Noirs t'ont touché tout à l'heure, tu as cru avoir évité leurs effets en parant la majorité d'entre eux, mais il a suffi d'une seule touche, même mineure, pour que la terrifiante Mort Noire s'empare de toi. Ta peau est en train de devenir toute sombre, à l'image du destin qui t'attend, causant en toi d'atroces souffrances. Et tu ne peux rien y faire, car en vérité c'est ton organisme qui est infecté par un mal incurable : ton sang est malade. Et à terme, lorsque tout ton sang aura été contaminé par le virus de la Mort Noire, tu auras quitté ce monde. Adieu, Chevalier Pégase.

Les paroles du Pégase Noir paraissent de plus en plus lointaines à Néo, de plus en plus irréelles. Il ne parvient bientôt plus à savoir si elles appartiennent au monde de la réalité ou au monde du rêve. Il se sent disparaître… mourir…

- Voilà, il semblerait que tu sois en route pour l'autre monde, je n'ai plus rien à faire ici. Je ferai bien de rejoindre Sciron maintenant.

Alors qu'il s'apprête à partir, le Chevalier Noir est contraint de s'arrêter car il perçoit à travers la brume une silhouette qui vient vers lui. Une silhouette qu'il ne connaît pas. Il sourit.

- La malédiction de la Mort Noire fera bientôt une nouvelle victime, pense-t-il. (A voix haute…) Je ne te connais pas ; pourtant tu dois être un Chevalier d'Athéna si j'en juge à l'Armure Sacrée que tu portes, mais tu n'étais pas parmi ceux qui ont débarqué avec la fille tout à l'heure. Qui es-tu ?

Le jeune homme continue de s'approcher jusqu'à être clairement visible pour le Chevalier Noir. Une fine aura mauve nimbe son corps tout entier et fait étinceler son Armure Sacrée de mille feux. Son visage est dur et fermé, ses yeux gris bleu semblent inexpressifs, ses longs cheveux blond cendrés noués dans son dos volent légèrement au vent que dégage l'expression de son Cosmos, une petite cicatrice apparaît sur le côté gauche de son cou. Il toise le Chevalier Noir du regard.

- Quoi ? Ma tête ne te revient pas ? Tu as perdu ta langue, Chevalier.
- Pourquoi tant de cruauté inutile, Chevalier Noir ? dit-il enfin. Pourquoi ne pas l'achever et abréger ses tourments ? Qu'as-tu donc à gagner à te réjouir des souffrances de ceux que tu bats ?
- J'en éprouve un plaisir immense, vois-tu. Mais je ne vois pas en quoi cela te regarde, étranger ! Vas-tu me dire qui tu es à la fin ?

Le jeune Chevalier au visage fier et austère continue de dévisager le Chevalier Noir, lequel s'en sent offensé et montre des signes tangibles d'un agacement certain. Quand après un long silence, il reprend.

- Je connais trop la souffrance et la douleur pour permettre qu'on s'en amuse, Chevalier Noir. Tu ne mérites que mon mépris.


Le volcan de l'Ile de la Mort continue de cracher son souffle de feu. Marchant entre les coulées de lave, le Chevalier Andromède ne peut s'empêcher d'être très inquiet pour ses compagnons. Même s'il ne peut ressentir leur présence, son intuition ne le trompe que trop rarement.

- Kemri… Néo… Je sens qu'ils ont des problèmes… Où êtes vous ? Pourquoi ma chaîne ne parvient-elle pas à vous localiser ? Maudite brume…

A plusieurs centaines de mètres de là, Sandra et Shin se sont arrêtés. La progression sur le flanc du volcan, entre les geysers toxiques et les coulées de lave, devient de plus en plus difficile, alors que les conditions climatiques les handicapent déjà tous deux fortement.

- Nous devons reprendre notre route, Shin, dit la jeune fille haletante tout en essuyant les gouttes de sueur qui coulent sur son visage. Il n'y a pas un instant à perdre.
- Mais tu es épuisée, Sandra. Tu n'as pas suivi l'entraînement des Chevaliers…
- Je n'ai pas le droit de me plaindre… surtout si je suis une déesse… Allons-y !

Accrochant sa main à celle du Chevalier du Dragon, Sandra se relève et poursuit la marche, dépassant son épuisement. Elle n'a pas le droit de rester inactive alors que ses Chevaliers sont sûrement en train de livrer une terrible bataille… à cause d'elle… pour elle…

Le Chevalier du Cygne s'est accroupi au-dessus d'un corps. Il observe longuement le cadavre de celui qui ne peut être qu'un Chevalier Noir, s'il en juge la couleur de ses cheveux, de ses vêtements et des restes de son armure brisée.

- Cet homme a reçu un coup extrêmement puissant pour avoir été mis dans cet état… Mais ?

Pris d'une étrange impression, Sven examine plus attentivement le visage du Chevalier mort. Pendant un bref instant, l'effroi et l'angoisse s'emparent de lui… quand l'étrange ressemblance entre Kemri et le Phénix Noir lui revient en mémoire : se pourrait-il que chaque ombre ait systématiquement les mêmes traits que son homologue Chevalier d'Athéna ? Posant sa main sur la corne brisée de ce qui reste du casque, il soupire… Après tout il n'a pas la même couleur de cheveux : ce cadavre a de longs cheveux noirs noués dans le dos. Se relevant, Sven sourit parce que son cœur se réjouit.

-Tu es revenu…


S'avançant au-dessus du corps étendu, noirci et inconscient, du Chevalier Pégase, le Chevalier qui n'a pas daigné donner son nom au Pégase Noir ferme les yeux. A quelques mètres de lui, le Chevalier Noir sent monter sa colère envers celui qui n'a cessé de le mépriser depuis qu'il est arrivé.

- Si tu veux te battre, rugit-il, je suis ton homme ! Admire bien la carcasse de cette larve gisant à tes pieds car bientôt toi aussi tu lui ressembleras !

Levant sa main droite, le jeune garçon aux longs cheveux noués, montre son index et son majeur qu'il joint, s'apprêtant à les abattre sur le corps de Néo. Le Chevalier Noir de Pégase s'interroge.

- Tu as l'intention d'abréger ses souffrances ?

A peine le Pégase Noir a-t-il terminé sa phrase que déjà, les deux doigts du mystérieux Chevalier se sont enfoncés dans la poitrine de Néo, une gerbe de sang jaillissant de la plaie. Surpris, le Chevalier Noir ne peut se retenir d'exploser de rire.

- Ha ha ha ha ha ha ! Pauvre crétin que tu es ! Tu ne comprends donc pas que tu ne feras ainsi qu'augmenter ses souffrances. Regarde donc ce que tu as fait : tu as simplement provoqué une hémorragie de plus qui ne peut qu'aller dans le sens d'une mort à petits feux. Tu n'as même pas touché un point vital ! Tu es vraiment nul, amateur !

Le Chevalier jette un œil à la plaie comme pour vérifier les dires du Chevalier Noir. Puis il s'apprête à porter un nouveau coup avec ses deux doigts.

- Je rêve, s'esclaffe le Pégase noir. En plus il recommence. Alors, va-t-il réussir cette fois ? Ha ha ha !

Alors que les doigts du Chevalier à l'Armure mauve perforent à nouveau un endroit du torse de Néo, le rire du Pégase Noir redouble d'intensité. Le Chevalier se relève, attendant visiblement le verdict du Chevalier Noir. Il le scrute, silencieux et attentif.

- Décidément, je ne croyais pas que des Chevaliers d'Athéna pouvaient être aussi mauvais en anatomie. Tu as encore raté.

S'accroupissant à nouveau au-dessus du corps meurtri de Néo, le Chevalier renouvelle son action, sous le regard amusé du Pégase noir. Il frappe une fois, puis une autre, et encore, provoquant de multiples plaies en différents endroits du corps du pauvre Chevalier Pégase.

- Quand je pense que tu disais que tu n'aimais pas faire souffrir les autres inutilement, tu es pitoyable… Mais…

Alors que le Chevalier d'Athéna se relève, le Pégase Noir est tout à coup saisi d'un soupçon qu'il prend le temps de vérifier. Il observe les plaies que vient d'infliger l'étrange Chevalier à Néo. La stupeur apparaît sur son visage…

- Mais…
- Oui, on dirait que ce n'est pas moi l'amateur, n'est-ce pas, Pégase Noir ?
- Les blessures que tu lui as faites représentent la constellation de Pégase ! Tu as frappé selon la disposition des treize étoiles ! Qu'est-ce que ça veut dire ? !
- J'ai frappé son Point Etoilé, ce qui signifie que le sang contaminé va pouvoir s'évacuer de son corps. Ensuite ce sera à lui de décider s'il veut vivre ou mourir, s'il a assez de volonté.

S'écartant du corps de Néo, dont le sang noir commence à s'écouler des treize plaies qu'il vient de lui infliger, le mystérieux Chevalier se rapproche du Pégase Noir, le défiant de son regard.

- Tu t'es payé ma tête, Chevalier ! hurle le Chevalier Noir gagné par une rage indicible. Je te jure que tu vas le regretter ! Par les Météores Noirs !

Le Chevalier Noir laisse exploser son Cosmos au maximum tout en déclenchant sa redoutable attaque, mais son adversaire bondit, esquivant chacun de ses coups aussi facilement qu'un cheval franchit le gué d'une petite rivière, avant de retomber de l'autre côté du Pégase Noir.

- Quoi ? ! s'exclame ce dernier alors que la panique le gagne. Mais on ne peut pas éviter la technique secrète d'un Chevalier !
- Ce n'est pourtant pas ce que tu disais tout à l'heure quand tu affrontais le Chevalier Pégase.
- Tu veux dire que tu as assisté à notre combat ?
- C'est exact. Et je t'ai donc déjà observé quand tu as utilisé cette technique tout à l'heure. Et tu sais bien qu'une attaque ne marche jamais deux fois contre un Chevalier !
- C'est faux ! Cette règle ne s'applique que chez les Chevaliers les plus puissants, c'est Pégase qui l'a dit tout à l'heure. Et tu n'es qu'un Chevalier de Bronze, non ?
- Tout cela est parfaitement exact. Mais même si je suis un simple Chevalier de Bronze, sache que tu as en face de toi celui qui a survécu à un combat contre un Chevalier d'Or. Mon Cosmos est incroyablement plus élevé que le tien, la vitesse d'exécution de tes coups est ridiculement lente par rapport à mes capacités de perception. En conséquence, je n'ai eu aucun mal à disséquer ta technique tout à l'heure. Tu ne pourras jamais me toucher, la malédiction de la Mort Noire ne fera plus de victime.
- N'en sois pas si sûr ! J'ai plus d'un atout dans ma manche !
- Tu as dis tout à l'heure que la vie d'un guerrier était constituée de défaites et de victoires, mais que sur l'Ile de la Mort, on ne connaît la défaite qu'une seule fois. Alors prépare-toi, car ta défaite arrive. Je vais te tuer, et comme promis, tu ne souffriras pas ! Ecoute-moi bien car les paroles que tu vas entendre seront les dernières de ton existence !
- Je ne te crois pas !
- Je suis le Chevalier de Bronze du signe de la Licorne, et tu vas subir le même sort que mon double ! Je m'appelle Vicky !

Bondissant en direction du Chevalier Noir, Vicky intensifie son Cosmos jusqu'à son paroxysme, décochant alors un coup de pied tournoyant à une vitesse prodigieuse.

- Par le Galop de la Licorne !

Le choc est monumental. Le pied du Chevalier de la Licorne éclate littéralement le plastron et le casque du Chevalier Noir, lequel est projeté contre la paroi d'une falaise. Son corps retombe lourdement sur le sol, subissant désormais la sentence une nouvelle fois vérifiée de la défaite sur l'Ile de la Mort qui porte bien son nom.
Après un bref regard empreint de mépris à l'égard du défunt Pégase Noir, Vicky s'agenouille au-dessus de son frère d'autrefois. Une larme coule le long de sa joue pour venir mourir sur le visage de Néo.

- C'est à toi de jouer à présent. Je ne peux plus rien pour toi maintenant. J'ai fait tout ce que je pouvais.

Après s'être redressé, Vicky s'éloigne du corps de son ancien camarade entre la vie et la mort. Des images et des mots continuent de hanter le souvenir de l'enfant de Valkhan : la vision de Khyron le Sinistre, dans son Armure d'Or rutilante, lui adressant ces ordres douloureux.

- Vicky ! Ne gâche pas la chance qui t'est offerte aujourd'hui. Tu sais ce que tu dois faire à présent, Chevalier. C'est l'honneur de ton nom qui est en jeu ! Ton père a trahi le Sanctuaire et la cause de la Déesse Athéna. Même après sa mort, les traîtres qu'il a formés poursuivent son crime. Ils doivent mourir. Tu n'as pas d'autre choix si tu veux laver le déshonneur qui entache ton nom, et la piqûre de l'Aiguille Ecarlate te le rappellera sans cesse, Chevalier.

Portant sa main à son épaule alors qu'une lancinante douleur s'en est saisie, Vicky redresse la tête pour scruter l'horizon au-delà des brumes, et d'un pas déterminé, il poursuit son chemin.

- Je ne reçois d'ordres de personne, Chevalier du Scorpion ! Jamais je ne trahirai mon père, jamais je ne trahirai ma famille !

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Cette fiction est copyright Laurent Habault.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.