Chapitre 2


" Parfait, Hermès. Mais même si la situation m'inquiète, je ne peux m'interposer entre Lui et Athéna. C'est à elle que j'ai laissé la défense de la Terre. Elle l'assume seule. "

L'athlète aux sandales ailées, agenouillé aux pieds de son interlocuteur, eut un sursaut d'indignation.

" Mais, Ô Zeus, c'est dramatique ! Elle et ses chevaliers ne pourront jamais Lui faire face, à Lui ; Il est trop puissant … Il est avec ses Guerriers… Il … "
" Assez ! " coupa Zeus d'un ton cinglant. " Je suis parfaitement conscient du danger… " Zeus se leva. Sa carrure imposante projetait une ombre démesurée sur Hermès, toujours prosterné. Le visage du plus puissant des Dieux s'était assombri à la lecture du parchemin que lui avait porté le messager. Ses traits sévères affichaient l'inquiétude, fait assez rare pour qu'Hermès le remarque. De sa voix posée, Zeus poursuivit, tout en laissant son regard vagabonder sur les ornementations délicates de la salle, ses yeux, petits et rayonnant à la fois de douceur, de respect, de sévérité et de rigueur, perdus dans le vague.
" Mais si d'aventure Athéna venait quérir mon soutien, alors je le lui apporterait. Jamais je n'agirais ainsi, s'il s'agissait de Poséidon ou d'Hadès, car toute intervention de ma part est proscrite par nos accords… Jamais non plus je ne prendrais la décision d'agir par moi-même. " Il soupira, faisant frémir les poils diffus de sa barbe poivre et sel. " Mais si la décision vient d'Athéna… et contre Lui… la situation est différente… Je la soutiendrai… et sans doute mes frères aussi seraient forcés de m'y aider -ou tout du moins de ne pas me faire obstacle… "

Le plus puissant de Dieux se retourna et fit quelques pas vers le fond de la salle, passant derrière son trône pour se poster face à une immense fenêtre panoramique. De là, il contemplait le Royaume des Cieux, l'Olympe, et au-delà, le reste du monde, au-delà encore, en accommodant de ses yeux divins jusqu'à l'infini, il contemplait tout l'Univers. Sans se retourner, il demanda au Dieu Messager :

" Dis-moi, Hermès, as-tu délégué la tâche d'avertir les autres dieux, ou bien tenais-tu as le faire toi-même ? "

Le messager baissa la tête en signe d'humilité avant de répondre :

" En fait, Ô Zeus, je comptais attendre vos instructions plutôt que de décider par moi-même, étant donné l'ampleur de la situation… "
" Tu as bien fait. Eh bien… " Zeus hésita un instant, semblant peser le pour et le contre de différentes possibilités. " Tu devrais aller prévenir en personne Hadès et Poséidon. Dans cet ordre. Et envoie qui tu veux prévenir tous les autres que je les convoque dans la Grande Salle. La nouvelle est assez grave pour que je donne une conférence. Après tout, mon père pourrait causer de terribles ravages. Il pourrait faire revenir les Titans… Il serait capable de tout… " Zeus sembla perdre son sérieux un instant, et ne put se retenir de faire une pointe d'humour, sans doute pour se détendre lui-même en une telle situation de crise. " Il a comme qui dirait mal digéré le fait de ne pas nous avoir digérés… "

Puis, après que le fugace sourire eut rendu sa place à l'habituelle impassibilité du visage divin, Zeus fit prendre congé à son messager.
Resté seul dans sa salle du trône, il se mit à espérer que la personnalité du corps mortel d'Athéna serait assez forte. Jusqu'ici, elle ne lui avait jamais fait défaut. Mais son corps d'emprunt à lui n'avait pas été à la hauteur… enfin pas autant qu'il aurait espéré… Mais après tout, engendrer cent enfants, cent demi-dieux dont le devoir serait de protéger Athéna et la Terre, en si peu de temps avait été éreintant pour un corps aussi vieux… et c'était extraordinaire que cela se fût avéré possible !
Quant au réveil si tardif de la mémoire divine de ce corps… c'était regrettable. Mais la naissance du corps d'Athéna et la rencontre du nourrisson en Grèce étaient les seuls déclencheurs possibles… Encore heureux que ce vieux Japonais se fût rendu en Grèce. C'était sans doute la mémoire latente du Dieu…
Zeus chassa ces pensées. Jamais une personnalité d'emprunt ne l'avait autant imprégné auparavant. Peut-être était-ce dû aux liens entre ce japonais et le bébé…

******

Le ciel nocturne était clair et dénué de tout nuage. Ici, loin de toute civilisation et de toute lumière parasite, observer les étoiles était aisé : il suffisait de lever les yeux.
Un grondement de tonnerre incessant emplissait l'espace. De l'écume remontait du fond de la gorge jusqu'à la falaise où se tenait le petit homme. Il semblait endormi, mais se fier à son aspect ou à son comportement eût été trompeur. Tous ses sens étaient à l'affût.
Derrière lui, une petite maisonnette en bois recrachait un faible panache de fumée tandis que ses fenêtres brillaient de la lumière dansante d'un feu de cheminée où cuisait de la soupe.
Quelque chose attira l'attention du vieil homme vers un point précis du ciel.
Il leva lentement la tête en grommelant. " Ainsi t'es-tu échappé… " fit-il pensivement.
La porte grinça et une jeune fille émergea de la cabane pour venir à la rencontre du vieil homme. Il baissa la tête, quittant le ciel des yeux, et reporta son attention sur la demoiselle brune qui lui apportait du potage.

" Shunrei, " fit l'homme, " tu ne devrais pas sortir à une heure pareille… "

La jeune fille eut un sourire gêné. Elle était emmitouflée dans une couverture tandis que le vieillard n'avait qu'une draperie sur ses épaules et un chapeau de paille traditionnel sur sa tête.

" Maître… je ne pouvais pas dormir… Je suis soucieuse… Et je vous sens préoccupé aussi. Est-ce à cause de Shiryu ? " demanda-t-elle d'une voix inquiète.
" Rassure-toi mon enfant, Shiryu va bien. Mais en effet je suis inquiet de ce qui pourrait arriver désormais… " Il prit le bol que la jeune fille lui tendait. " Merci beaucoup. Tes attentions me touchent énormément " (la jeune fille s'inclina brièvement) " Je suis inquiet…oui… à cause " (il releva les yeux vers le ciel, contemplant un groupe particulier d'étoiles) " de la réapparition de la constellation du Sablier…
_Du sablier ? " interrogea Shunrei " Je ne connaissais pas cette constellation…
_Peu de gens la connaissent… " Dohko regarda la jeune fille droit dans les yeux " C'était bien avant les accords entre les Dieux d'aujourd'hui, à une époque où eux n'étaient que des subordonnés, des rivaux dont leur père se débarrassa en les dévorant… " Shunrei frissonna et réprima à peine une grimace de dégoût. " …comme il nous dévore tous petit à petit…Il n'est autre que Chronos, le Temps, lui qui dévore tous ses enfants. Jadis, Lui et Son épouse étaient les seuls dieux. Mais il eut de plus en plus peur des enfants qu'elle lui donna, car ils étaient de plus en plus nombreux, et devenaient chacun de plus en plus puissant… Il décida de s'en débarrasser, en les dévorant. Il n'était pas là à son premier méfait, car il avait pris le pouvoir en mutilant et handicapant gravement le Ciel, son père, Ouranos. Cependant, Gaia, qui avait engendré et épousé Ouranos fut épargnée à condition de devenir l'épouse de son fils et petit-fils Chronos. Elle accepta, à contrecoeur, tout en attendant l'opportunité de se venger. C'est pourquoi elle repéra le plus puissant d'entre les dieux nés de cette union incestueuse, et lui substitua une pierre. Cet enfant était Zeus. Il profita du sommeil de Chronos, et avec la complicité de Gaia, libéra ses frères et sœurs. Les dieux ainsi libérés entrèrent en guerre contre Chronos et ses frères les Titans. L'issue de cette guerre appelée Gigantomachie fut la défaite des Titans, et leur emprisonnement dans le Latium… " Le Vieux Maître posa à terre son bol, qu'il avait but à petite gorgées entre ses phrases, puis il poursuivit d'un ton plus grave encore. " Et de tous les Titans, Zeus enferma à part les plus forts, c'est-à-dire Chronos lui-même et Sa garde personnelle. Il conserva Ouranos et Gaia parmi les Dieux dignes de séjourner dans l'Olympe, et avec eux il éteignit la constellation du Sablier, dont les étoiles sont liées aux vies et aux cosmoénergies de Chronos et de Sa garde. De nos jours, ces étoiles seraient considérées par la science comme des étoiles cycliques, des quasars à très longue période -si tant est qu'on ne les considère pas comme de simples étoiles mortes, des supernova dont la lumière ne nous parviendrait qu'aujourd'hui… Mais elles se sont bien rallumées… Ce qui veut dire que Chronos s'est échappé. " Il posa une main paternelle sur l'épaule de Shunrei. " Mon enfant, ton Shiryu aura une fois de plus besoin de ton soutien… "
Il se retourna vers la cascade de Rozan. " Mais rassure-toi ", dit-il, " Shiryu ne craint rien. Lui et ses compagnons ont surmonté déjà tant d'épreuves qu'ils seront une fois de plus à la hauteur. "
Il voulait bien-sûr rassurer la jeune fille. Mais lui-même était en fait très inquiet. Certes, comme il l'avait dit, les Chevaliers d'Athéna n'en étaient plus à leur première bataille… Mais l'ennemi était plus redoutable encore que ceux qu'ils avaient dû affronter jusqu'alors… Et de plus, ils étaient si affaiblis par leurs combats en Asgard que cette fois-ci ce serait en pleine convalescence qu'ils devraient se battre…
L'aube commençait à poindre au-delà des montagnes, et aux Cinq Pics, auprès de la Cascade de Rozan, le Vieux Maître Dohko avait repris son impassible veille de sceau d'Athéna, bien que d'autres dangers préoccupassent désormais son esprit.

******

L'aube faisait place au jour. Les rayons de soleil s'abattaient sur les jardins de la fondation Graad. Cinq jeunes gens s'entraînaient déjà depuis des heures. Leurs mouvements, leur force et leur vélocité auraient laissé incrédule quiconque aurait surpris cet incongru spectacle. Mais le terrain de la fondation était assez étendu pour que les chevaliers restent loin des regards indiscrets.

" Allez ! Du nerf vous autres ! C'est à nous qu'il revient de protéger Athéna désormais ! Les autres doivent récupérer ! "

L'un des jeunes hommes, aux cheveux courts et noirs et à la stature plus qu'imposante tenta de modérer les ardeurs de l'autre, un garçon aux cheveux brun-clair en jeans :

" Ca va, Jabu. On fait notre maximum. C'est de Chevaliers d'Or que nous aurions besoin pour nous entraîner… Seiya et les autres ont mis du temps à accroître leurs pouvoirs…
_Geki a raison… " soupira un autre, aux yeux creux et noirs et à la longue chevelure argentée.
" Salut ! " fit une voix qu'ils n'attendaient pas et les fit sursauter. Ils se retournèrent, prêts à se battre.
" Oh là, du calme ! " poursuivit le jeune homme vêtu d'un costume traditionnel chinois blanc aux gros boutons noirs et aux cheveux retombant jusqu'à son bassin. " Mais je trouve que vous sous-estimez tant vos capacités d'apprentissage que nos capacités de récupération…
_Bien dit, Shiryu. " approuva un jeune homme blond apparu à ses côtés. " Peut-on se joindre à votre entraînement, faute de Chevaliers d'Or sous la main ? "

Deux autres s'étaient joints à eux. Un garçon d'air timide aux cheveux verts et mi-longs, en salopette, et un gars hagard aux cheveux brun foncé en jeans et polo rouge.

" Alors les gars, contents de nous voir ? " fit Seiya, tout en narguant Jabu avec un pied-de-nez.
" Attends un peu que je t'attrape ! Convalescent ou pas, tu vas passer un sale quart d'heure, Seiya ! " fit rageusement le Chevalier de Bronze de la Licorne en se lançant à la poursuite de son compagnon.

À part quelques plaisanteries et chamailleries supplémentaires, les neuf Chevaliers de Bronze se mirent à s'entraîner, inconscients du danger qui les guettait.
Deux jours à peine s'étaient écoulés depuis leur victoire face à Hilda de Polaris, et seulement un après-midi depuis leur retour au Japon. Shiryu, le seul qui eût pu être informé de la menace, n'avait pas encore eu l'opportunité de se rendre chez son Maître, aux Cinq Pics. Et leurs armures attendaient d'êtres apportées à Mû, Chevalier d'Or du Bélier, au Sanctuaire d'Athéna, seul être au monde à pouvoir les réparer.



Du lointain résonna une voix autoritaire :

" Non ! N'entrez pas ! " Puis, sur un même ton, bien qu'on pût y deviner l'émergence d'un sentiment de peur : " Arrêtez ! " S'ensuivit un hurlement bref, coupé en son milieu.

Les Chevaliers de Bronze s'entre-regardèrent, perplexes, l'air grave.

" C'était quoi, ça ? " s'enquit Nashi.
" On aurait cru l'un des gardes de l'entrée principale… " fit Jabu. " Qu'en pensez-vous ? "

Mais ceux à qui la question était destinée ne l'entendaient pas. Ils écoutaient leur instinct, et se concentraient sur les cosmoénergies qu'ils venaient de percevoir. Décidément, ceux qui revenaient d'Asgard n'avaient plus grand-chose en commun avec leurs compagnons que l'ordre des Chevaliers désignait pourtant comme leurs égaux…
Les quatre jeunes gens restaient aux aguets. Les feuilles bruissaient doucement du vent qui les caressait, mais les oiseaux s'étaient tus. Nul crissement d'insecte ne subsistait non plus. Tous les sens des Chevaliers étaient en alerte.
Soudain, une rafale de vent inopinée vint frapper le sol, à l'endroit précis où se tenait Shiryu un instant plus tôt, avant qu'il s'en écarte d'un bond.

" Attention ! " hurla Shun en se jetant sur Geki et le plaquant au sol.

Une puissante décharge de Cosmos venait de creuser un cratère dans le sol.

" Montrez-vous ! " cria Seiya aux arbres environnants. " Ne vous comportez pas en lâches ! "

Un ricanement lui parvint de toutes les directions à la fois. C'étaient deux voix qui se mêlaint dans ce rire moqueur et malveillant.
Hyoga posa une main sur un arbre qui commença à se changer en glace sous l'effet de la cosmoénergie du Chevalier. " Tant pis pour le jardin… " pensa-t-il.
Une silhouette sauta à terre depuis l'arbre. Un homme au teint basané et aux yeux d'un bleu intense se tenait, une main et un genou posés sur le sol, dans la position où il s'était réceptionné lors de sa chute.
Sa jambe droite était gelée, ainsi qu'une partie de son ventre.

" Pas mal. " fit l'homme en se relevant. Son armure bleue avait des formes arrondies et semblait lisse comme la peau d'un batracien. Sa cosmoénergie faisait fondre la glace de Hyoga et libérait son corps de l'emprise de ses entraves. " Mais pas terrible, cependant…
_Vous pourriez faire mieux ? " fit une autre voix, dans la pénombre du sous-bois. Une silhouette élancée émergea des branches et s'approcha de l'autre assaillant. Cet homme était blond malgré son teint mat et sa peau foncée. Son armure était d'un bleu clair tel qu'on l'aurait pu croire blanche, et de nombreuses arêtes saillantes la faisaient ressembler à un récif minéral.
" Qui êtes-vous donc ? " demanda Shun, plein de défiance.
" Nous sommes des Titans, de la Garde Personnelle de Chronos, et nous venons défier Athéna. Mais, tant qu'à être là, je pense bien que nous pourrions déjà nous débarrasser de vous. "

C'était le premier arrivé qui venait de parler. Il s'était intégralement libéré de la glace de Hyoga, et le Chevalier du Cygne contemplait consterné cet état de fait.

" Je suis d'accord, Delmys. " fit le second " Alors, ne perdons pas de temps. "

Il ouvrit sa main droite tout en formant un poing de sa main gauche, puis les joignit à hauteur de sa taille. Il releva ensuite soudainement ses main accolées, bras tendus vers le ciel.

" Par la Tornade Hurlante ! " lança-t-il.

Un tourbillon d'air s'éleva alors qui s'empara des infortunés Chevaliers, impuissants.
Le second visiteur bondit à son tour et vint frapper un à un les jeunes gens prisonniers de l'attaque de Thyppaon, le Titan du Vent. Alors que Delmys s'apprêtait à porter enfin des coups sérieux et à cesser de jouer avec ses proies, une langue de feu vint s'abattre sur son poing, avant qu'une autre force Thyppaon à bondir de côté pour l'esquiver. Les Titans avaient été forcés d'interrompre leur attaque, mais les Chevaliers de Bronze, qui s'abattirent lourdement au sol étaient durement blessés.

" Qui ose ? " s'indigna Thyppaon.
" Ce serait plutôt à moi de vous demander qui vous êtes pour oser vous en prendre aux Chevaliers d'Athéna. " répondit une voix grave en provenance de la cime d'un arbre. " Je suis Ikki, le Chevalier Phoenix. " fit le nouvel arrivant en sautant au sol. Il avait son armure, qui contrairement à celles de ses compagnons se régénérait seule. Ses cheveux d'un bleu sombre retombaient sur ses épaulettes brillantes. Il gardait les yeux fermés alors qu'il parlait. " Et vous n'avez rien à faire ici.
_Tu sembles plus intéressant que ces loques… " Observa Thyppaon. " Mais cela ne change rien à nos plans. Nous allons t'affronter.
_En ce cas ",rétorqua Phoenix, toujours les yeux fermés, " faites-moi au moins l'honneur de vous présenter comme il se doit pour de dignes adversaires. "

Les Titans sourirent méchamment.
Au sol, Seiya frémissait de souffrance : " Ikki, méfie-toi. " le mit-il en garde d'une voix faible qui était à peine un souffle.

" Mon frère… merci… " soupira Shun.
" Bien, Chevalier Phoenix. Puisque tel est ton vœu… Je suis Thyppaon, Titan du Vent, et mon compagnon s'appelle Delmys, il est le Titan du Dauphin. Nous sommes membres de la garde de Chronos, notre Seigneur, qui veut défier -et vaincra- Athéna. "

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Cette fiction est copyright Florent Potel.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.