C'était nécessaire


Le vent souffle sur la plaine déchiquetée. Tu éponges nerveusement la sueur en train de couler sur ton front. L'aube est là et l'horizon est toujours vide. Tu as l'estomac noué. Tu voudrais que l'ennemi apparaisse enfin et que cette attente s'achève.

Tu tournes légèrement la tête pour observer les autres chevaliers. De là où tu te trouves, au tout premier rang, tu ne peux pas tous les voir, même si tu sens la présence de chacun d'entre eux. Ceux qui se trouvent autour de toi te dépassent tous d'au moins une demi-tête. Ils ont le visage fermé et tu ne saurais pas dire ce qu'ils ressentent. Sans doute sont-ils en train de se préparer intérieurement au combat. Ils font tous un effort pour paraître confiants quand ils voient que tu les regardes. Tu sais que c'est parce que tu es le plus jeune des soixante-dix chevaliers. Ils ne veulent pas avoir l'air inquiet devant toi. Un peu de la nervosité que tu ressentais disparaît.

L'ennemi n'est toujours pas là. Pour t'occuper, tu examines l'armure qui recouvre ton corps, comme s'il pouvait y avoir le moindre défaut dans sa surface vert émeraude. Tu te demandes, une fois encore, qui l'a réalisée et avec quels matériaux. L'armure est étrangement tiède au toucher et elle te protège du vent glacé. Tu t'attardes un instant sur le bouclier à ton bras gauche. Tant que tu le porteras, rien ne pourra t'atteindre. Il est indestructible.

Tu repenses aux trois années qu'a duré ton entraînement. Un temps normalement trop bref pour former un chevalier, t'a dit ton maître, mais c'était nécessaire ainsi. Une grande bataille approchait et il fallait faire vite. Il t'a dit aussi que cela te suffirait, que, s'il avait eu le temps, il t'aurait entraîné pour devenir chevalier d'or. Il t'a dit qu'il était fier de toi. Tu te souviens de ses yeux qui fixaient la grande cascade alors qu'il te disait cela. Tu te demandes pourquoi ils avaient l'air tellement tristes. Sûrement il ne pensait pas que tu étais déçu de ne pas avoir pu devenir chevalier d'or, n'est-ce pas ?

Tu te retournes. Ton maître ne se tient pas juste à côté de toi, mais il ressort aisément parmi ceux qui l'entourent. Lui aussi fixe l'horizon. Sa main droite tient un trident étincellant et la gauche est posée sur l'épaule d'un autre chevalier en armure dorée. Tu sais que ce sont les deux plus puissants parmi ceux qui sont ici. Personne n'est aussi fort. Avec eux, il est impossible que la bataille soit perdue. Dohko de la Balance et Shion du Bélier.

Tu aimerais bien redire à ton maître à quel point tu es heureux d'avoir été son élève. Tu n'es pas sûr qu'il s'en rende vraiment compte. Mais il ne regarde pas dans ta direction et ce n'est pas le moment de quitter ta place. Tu pourrais l'appeler, mais tu ne veux pas déranger les autres chevaliers. Ils sont tous très silencieux à présent, en train de se préparer. Tu es le seul à ne pas regarder la plaine.

Tu réalises que tu ne connais vraiment aucun d'entre eux, hormis ton maître. C'est à peine si tu saurais mettre une dizaine de noms sur les visages qui t'entourent. Après avoir remporté ton armure, tu as quitté la Chine sereine pour la Grèce brûlante. Mais tu n'y es même pas resté une semaine avant que vous n'ayiez tous à vous rendre ici, sur le champ de bataille. Pourtant, tu leur fais confiance. Tu sais qu'ils sont tous forts, même si tu ne les as jamais vu se battre. Tu aimerais être aussi calme qu'eux le sont. Vous pourrez faire connaissance après la bataille, songes-tu, même s'il y aura certainement beaucoup de blessés. Ton maître t'a appris à guérir en utilisant les points vitaux. Cela sera sûrement utile à ce moment-là.

Un frisson parcourt l'ensemble des chevaliers et tu te retournes aussitôt. L'ennemi vient. Tu le sens, avant même de le voir ou de l'entendre. Il arrive, à l'autre bout de la plaine. Autour de toi, tu sens les auras des chevaliers s'apprêtant à combattre. Même si aucun sens normal ne permet encore de déceler les adversaires qui approchent, tu sais qu'il ne leur faudra qu'un instant pour être là. Tu sais qu'ils sont cent-huit en tout. Tu sais qu'ils sont dangereux. Tu sais que, même tués, ils renaissent tous les deux ou trois cents ans. Mais tu sais aussi que c'est le devoir des chevaliers de combattre ce mal éternel. Et tu sais que, jusqu'ici, vous avez toujours remporté la victoire. Il en sera forcément encore ainsi cette fois, alors que vous êtes si nombreux. N'est-ce pas ?

L'ennemi est là, une masse sombre sur la plaine pâle. L'anxiété ressurgit brusquement en toi. Tu repasses en esprit les mouvement nécessaires à l'utilisation de ton attaque secrète. Tu n'en connais qu'une. Ce serait mieux autrement, mais elle devra suffire contre ceux qu'il te faudra affronter. Avec elle, tu es capable d'inverser le cours d'une cascade. Et hier, juste hier, ton maître t'a confié que, poussée à son extrême, cette attaque pouvait acquérir une puissance véritablement irrésistible. Tu te souviens de son visage presque blanc et de la sueur qui coulait sur son front alors qu'il te disait cela, hésitant sur chaque mot, à peine une heure avant que tous les chevaliers ne doivent quitter le Sanctuaire pour aller se battre. Tu ne comprends toujours pas pourquoi il a attendu autant pour te révéler cela. Est-ce qu'il avait peur que tu ne saches pas l'utiliser ?

La bataille va s'engager dans un instant. Tu te retournes une dernière fois. Et là, c'est la déesse Athéna que tu vois. Elle se tient au milieu de ses chevaliers, revêtue de sa propre armure, prête à se battre elle aussi. Elle te regarde. Uniquement toi. Et ses yeux bruns sont tristes, comme le jour où ton maître t'a présenté à elle, où elle t'a dit qu'elle avait besoin de toi. Tu te souviens à quel point cela t'avait rendu fier. Tu ne comprends pas pourquoi elle a l'air si triste en te regardant, ni pourquoi tu as l'impression de voir une larme couler le long de sa joue. Tu n'aimes pas la voir ainsi. Tu n'aimes pas penser qu'elle puisse risquer d'être blessée. Cela n'arrivera pas, décides-tu. Tu la protègeras autant qu'il le faudra. Si seulement elle pouvait sourire, maintenant...

Mais l'ennemi est sur vous, déferlant comme une nuée de monstres. Tu te mets en garde et tu enflammes précipitamment ton cosmos, prêt à...


_Astrios ?

Astrios se réveilla en sursaut quand sa soeur posa la main sur son épaule. Il s'était endormi en lisant l'un des nombreux livres d'archive du Sanctuaire. Et, pendant son sommeil, il lui avait semblé rêver... Ignorant les questions d'Astreya, il chercha rapidement la ligne où il s'était arrêté. Là.

Gaherys, chevalier de bronze du Dragon
Mort en employant la technique interdite de l'Ultime Dragon au service d'Athéna

Plus bas, presque effacées, deux dates.

1735-1743

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Cette fiction est copyright Romain Baudry.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.