Les Ombres du Sanctuaire


Un frémissement d'excitation parcouru le public entassé dans l'arène. Le soleil était haut dans le ciel, la chaleur accablante faisait vibrer l'air mais personne ne semblait y prêter attention.
Tous regardaient avidement les deux corps qui s'affrontaient, ruisselants de sueur et couverts de poussière. Le combat, commencé lorsque le soleil avait surgit du dessus du temple d'Athéna, s'achèverait dans quelques instants. Les deux adversaires soufflaient forts, ne se quittant pas des yeux, exténués, le prochain coup serait le dernier…
Le dernier et celui qui déterminerait le reste de leur vie. Tout ce pour quoi ils avaient vécu, souffert, enduré ces longues années se réaliserait ici maintenant ou jamais.
Soudain le choc de deux corps dans un éclair aveuglant ! Deux cris de défi lancés simultanément ! La foule retint son souffle.
Un corps s'effondra. La foule se leva, hurla sa joie, scandant le nom du vainqueur. Les premiers rangs envahirent le sable de l'arène entourant le champion, le touchant, cherchant à profiter de la gloire auréolant ce nouvel héros.
Venant des gradins, le silence s'imposa de nouveau. La foule s'ouvrit en deux laissant passer un homme drapé dans une longue robe blanche, portant les emblèmes de la plus haute instance au service d'Athéna : le Grand Pope. Alors, le jeune homme qui quelques instants auparavant ne voulait pas plier genou devant son adversaire, se prosterna sans hésiter devant lui. D'un geste du Grand Pope, une urne métallique apparut, des murmures extasiés parvenaient du public. Le garçon se releva, s'approcha avec vénération de la boite qui semblait l'appeler et posa la main dessus. L'espace paru éclater, un éclair aveuglant puis la vision d'un animal fantastique qui se démembra pour recouvrir le corps de l'homme auréolé d'un cosmos qu'il n'avait jamais réussi à développer aussi intensément jusque lors.
Lorsque le calme revint, ce n'était plus un simple mortel qui se tenait debout face au Grand Pope mais un Chevalier Sacré au service d'Athéna…
Alors que le représentant du Sanctuaire l'accueillait au sein de la chevalerie, à quelques mètres de là un homme se relevait. Le corps meurtri, saignant, suant, gémissant, du sable collé sur sa peau et ses plaies. Nul ne le regardait, nul ne s'intéressait à lui. Il était seul. Il tenait à peine debout mais refusait de s'effondrer une seconde fois. L'orgueil suffisait à le soutenir, même si personne ne l'observait, il ne tomberait pas ! Il ne pouvait s'empêcher de dévisager son vainqueur mais plus que cela, il contemplait l'armure. Dire qu'il avait été à deux doigts de la porter, c'était son nom qu'on aurait du entendre hurler, c'était lui le nouveau chevalier d'Athéna, c'était lui qui devait remporter de nombreuses batailles pour Sa gloire !… Il serra les mâchoires pour empêcher un sanglot de sortir de sa gorge.
Le nouveau chevalier entamait maintenant un tour d'honneur, il saluait le public qui l'acclamait. Il faisait le tour de l'arène, souriant, éclatant de rire dans son armure rutilante. Il regardait tous les gens amassés près des limites des gradins, il jetait des clins d'œil à tous, leur lançait des réflexions qui les faisait hurler de rire. Mais jamais, jamais il ne tourna le regard vers le centre de l'arène, il savait son adversaire encore présent mais pour lui il n'existait déjà plus.
Brusquement, une marée humaine déferla de nouveau sur le sable de l'arène, elle se pressait contre le nouveau chevalier, le soulevant, le portant en triomphe, sans prendre garde à son infortuné adversaire. Ce dernier se trouvait bousculer de toute part, il trébucha plusieurs fois sous la pression de la foule, manquant à chaque moment de tomber. Les quelques forces qui lui restaient n'allaient pas résister à ce traitement, il fallait absolument s'en extraire, il devait parvenir à se dégager. Soudain, une nouvelle pression le projeta de côté, il entendit un craquement, son genou déjà fortement malmené pendant le combat venait de céder, il s'écroula. Il réussit à ne pas complètement s'effondrer, se réceptionna sur son genou valide et sur ses mains, des larmes de douleur et de honte coulèrent sur ses joues et mouillèrent le sable. Lentement, péniblement, il réussit à se relever, il essuya ses joues d'un geste rageur, maculant de sable son visage. Doucement, il se mit à marcher, regroupant ses dernières forces, son orgueil et sa fierté faisant office de béquilles. Il quittait l'arène sans qu'une seule personne ne s'inquiète de son sort.
Il devait rejoindre l'infirmerie s'il ne voulait pas rester boiteux le reste de son existence. Chaque pas effectué lui arrachait un cri de douleur. Régulièrement, il s'interrompait pour reprendre son souffle, tant la souffrance était forte, pour un peu il en aurait hurlé. Il pensait qu'il n'arriverait jamais à atteindre son but lorsque le bâtiment grossier apparu devant lui, il s'appuya sur la porte qui s'ouvrit sous son poids, son corps s'écroulait sur le plancher du dispensaire en même temps qu'il perdait connaissance, maculant le sol de son sang.
Il se réveilla dans un lit, on l'avait soigné, il ne souffrait presque plus. D'après le soleil, on devait être en fin d'après midi. Maintenant qu'il allait mieux, il pouvait réfléchir à sa nouvelle situation, il essayait d'envisager le futur. Il lui faudrait quitter le Sanctuaire, certainement, mais… comment vivre ? A part se battre, il ne savait rien faire et même ça il n'en avait pas été capable ! Il ferma les yeux avec rage sentant les larmes poindre de nouveau.
Il était perdu dans ses pensées moroses lorsqu'il sentit une présence près de lui.

" - Je suis le capitaine des gardes du Sanctuaire. J'ai assisté à ton combat. Tu t'es fort bien battu.
- Pas suffisamment il faut croire.
- A chacun sa destinée, la tienne n'était pas d'être chevalier.
- Comment savoir ce qu'elle est maintenant ?
- Je peux t'en offrir une. Rejoint nos rangs, deviens un soldat d'Athéna.
- Une Ombre du Sanctuaire ? Jamais !
- Oui, c'est vrai, on nous surnomme ainsi. Nous sommes pareils à l'ombre, présent partout dans le domaine sacré et pourtant nous sommes invisibles. Personne ne nous regarde, on ne prend conscience de notre présence que pour nous donner des ordres ou nous mépriser, mais nous assurons la sécurité du Sanctuaire. Nous lui sommes indispensables.
- Et vous voulez que je vous rejoigne ? Il me reste encore mon honneur, je n'accepterai pas cette humiliation devant mes camarades d'entraînement.
- Tu n'as plus de camarades d'entraînement, tu n'es qu'un chevalier raté ! Comme moi. Comme tous les autres gardes. La question est de savoir ce que tu vas faire maintenant. Vas-tu utiliser tes connaissances au service d'Athéna ou vas-tu fuir au loin, incapable de te comporter en homme à défaut de chevalier et de prendre tes responsabilités vis-à-vis de ta déesse ? Je ne te mens pas, nulle gloire ne s'attachera jamais à nos noms. Mais le devoir d'un homme est d'utiliser ses compétences au mieux. Tu as échoué à devenir chevalier et pour cela tu vas renoncer à tout ce pourquoi tu as souffert et t'es entraîné. Que diras-tu à ta mort lors de ton jugement ?
- Que je suis resté digne et fier!
- Ou que tu as fui, ne supportant pas d'être moins que ce que tu croyais ! Nul ne chantera nos louanges à notre mort mais nous pourrons être sans crainte, nous aurons accompli notre tâche du mieux que nous le pouvions. Tout le monde peut-il en dire autant ? Qu'est-ce qui est le plus utile d'après toi ? Réussir une seule chose sur toute une vie mais qui apporte le renom ou réussir une multitude de petites choses, jour après jour, mais dans l'anonymat le plus absolu ? On nous appelle les Ombres du Sanctuaire, et bien je me félicite d'en être une partie. Je laisse les actions d'éclat à d'autre, je reste ici, pour que le plus grand nombre de personnes puissent bénéficier de la fraîcheur de notre ombre, même si jamais on ne nous en remercie. Réfléchie bien à tout cela, chevalier raté, tu étais prêt à te sacrifier pour Athéna, renoncerais-tu si vite ? "

Sur ces mots, le garde sortit de la chambre, le laissant seul face à son destin. Saisissant l'assiette posée près de lui, l'ex-postulant la jeta violemment contre la porte qui venait de se fermer, elle se fracassa dans un bruit sourd et recouvra le sol de débris brunâtres. Il ne se sentait plus de fureur ! S'il avait encore pu marcher, il l'aurait rattrapé pour lui apprendre à vivre. Comment osait-il le juger ? ! De quel droit ?! Jamais il ne rejoindrait la lie du Sanctuaire, JAMAIS ! Dès qu'il irait mieux, il quitterait le Sanctuaire et tenterait sa chance dans le monde…
Oui, mais comment ? Il en revenait toujours au même point, il ne savait rien faire. Il ne savait même plus à quoi ressemble l'extérieur, comment est la vie hors du Sanctuaire ? Il était arrivé à six ans et n'avait jamais quitté le domaine sacré, sa vie était là.
Il ferma les yeux, il ne pouvait plus empêcher ses larmes de couler, des sanglots secouaient son corps encore faible. Il se laissa submerger par la douleur de la tristesse, ses gémissements brisaient le silence qui régnait dans l'infirmerie déserte. Il pleura longtemps… Puis, il réussit à se reprendre, les sanglots s'arrêtèrent, il venait de prendre sa décision. Il savait maintenant ce qu'était sa destinée.

Le Soleil se couchait sur le Sanctuaire. Un jeune chevalier fêtait bruyamment son nouveau statut avec ses pairs alors qu'à l'autre bout du domaine, un jeune garde prenait ses fonctions dans le silence et l'indifférence générale.

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