Chapitre 1 : La rencontre de deux mondes


La cime de la Vallée des Rois...

Un homme regarde le Nil s’écouler lentement vers le Nord. Il fait encore nuit, mais l’horizon commence déjà à blanchir là-bas, vers l’est. Il est habillé d’une armure ornée de motifs, et il tient son casque sous son bras.

Un autre homme armuré s’approche, et dit:

" Heryenamon, enfin je te trouve.... "

Mais l’autre ne se retourne pas, et dit:

" Ne trouble pas la tranquillité de ces lieux et de ceux qui y reposent pour l’éternité, Meryrê...
-Je te cherchais...Tanoutamon veut nous voir tout de suite... "

En redescendant de la Cime, Heryenamon se demandait bien pourquoi la supérieure des Divines Adoratrices d’Amon voulait les voir...Tanoutamon sortait rarement du temple d’Amon, à côté duquel elle vivait. Il fallait une grande occasion pour qu’elle rassemble ainsi les différents ordres de chevalerie.

Les deux hommes descendirent de la montagne thébaine par un petit sentier, et passèrent le rideau de réalité. Le temps ne s’y écoulait pas de la même façon, ici on honorait encore les anciens dieux et l’on vivait encore selon le mode de vie des Anciens. Les deux réalités coexistaient...

Après un petit temps de marche dans sur un petit chemin, le temple d’Amon apparut, fier, avec des poteaux et ses oriflammes de pylônes flottant au vent. Une grande animation y règnait, ne troublant cependant pas les différents rites qui s’y déroulaient tout au long de la journée. De ces rites dépendait la survie du monde...

Une foule encombrait déjà la première cour, petites gens venus pour adorer Amon...Meryrê et Heryenamon continuèrent à l’intérieur du sanctuaire, et arrivèrent à une grande salle où se trouvait aussi une foule d’hommes et de femmes, tous armurés. Heryenamon et Meryrê reconnurent certains des gens de leurs ordres respectifs. Avec un sourire, Heryenamon interpella son ami Amenhotep de Napata, un impressionnant Nubien, mais n’eut le temps que de lui faire signe, déjà Tanoutamon entrait...

Elle s’installa majestueusement sur son trône. Etant la supérieure des Divines adoratrices d’Amon, elle était l’équivalent féminin du grand prêtre. C’était une belle femme, approchant de la quarantaine, à la tenue majestueuse et vêtue d’une robe en lin transparent soigneusement plissée. Sur sa tête, une perruque à nattes sur laquelle était posé un diadème. Elle resta un moment à regarder les visages devant elle, puis commenca:

" Chevaliers d’Amon, d’Isis, de Rê, d’Horus et d’Osiris, je vous ai réunis ici pour vous faire part d’une importante nouvelle. Vous n’êtes pas sans ignorer les récents événements de Grèce, leurs batailles ont pris fin, et le grand pope souhaite reprendre des relations avec nous, alors qu’il n’y en avait plus depuis plus de trois cent ans...Il va envoyer des chevaliers ici...Je compte sur vous tous pour leur faire le meilleur accueil, dorénavant nous travaillerons avec eux, comme nous l’avions toujours fait auparavant... "

Le chef des chevaliers d’Osiris, Ouseremibef, leva la main et demanda:

" Quand arriveront-ils ?
-Dans trois ou quatre jours...certains d’entre eux sont encore à l’hôpital. "

Ouseremibef hocha juste la tête...Le chef des chevaliers d’Horus, Horemheb, leva alors la main:

" Combien seront-ils ?
-Quatre, peut-être cinq... "

L’une des chevaliers d’Isis, Satiset, leva elle aussi la main:

" Ce ne sont que des hommes ? et quel est leur rang, à quel ordre appartiennent-ils ?
-Selon la nomenclature grecque, ce sont des chevaliers de Bronze, la hiérarchie inférieure, mais je sais qu’ils sont largement plus puissants que ça...j’ai fait ma petite enquête...et oui, ce ne sont que des hommes, du mois pour ceux-ci...mais j’attends leur confirmation pour savoir exactement combien viendront... "

Tanoutamon se leva alors:

" Je vous réunirai à nouveau à la prochaine lune...Entre temps préparez-vous...Que Amon, Mout et Khonsou vous protègent ! "

Et, suivie de ses aides, elle sortit de la pièce. Heryenamon suivit ses collègues, pensif...Les chevaliers se regroupèrent par ordre dans la cour, et Heryenamon rejoignit son ami Amenhotep de Napata:

" Hé, tu t’es enfin decidé à nous revenir ?
-On avait besoin de moi à Napata... et toi, comment vas-tu, mon ami ?
-Bien, merci...J’assure la protection du grand-prêtre Siamon en ce moment...
-Quelle promotion ! félicitations ! "

Mais tous deux se turent, car le chef des chevaliers d’Amon, Amenemheb, prenait la parole.

" Nous serons chargés des abords du temple et aussi d’assurer les visites de nos invités...tenez-vous tous prêts, mais jusque-là continuez vos affectations normales...Qu’Amon veille sur vous ! "

Et tous se dispersèrent, prêts à assurer leur missions respectives...


Grèce, hôpital du Sanctuaire...

Une grande salle large. Onze personnes autour d’un lit, où repose un homme mince aux cheveux verts. Ils ont tous encore des bandages, et guettent avec intérêt le réveil de l’homme sur le lit...

Aldébaran demanda à Mû, qui se trouvait juste à côté de lui:

" Où l’ont-ils retrouvé ?
-Dans une île de la mer Egée, mais je n’en sais pas plus...
-Maintenant nous sommes au complet, douze à nouveau, comme autrefois... "

Mû jeta un regard vers la fenêtre...puis un regard à ses bandages. Douze, oui...mais pas comme autrefois. En effet, depuis la fin de la bataille d’Hadès et la réapparition des chevaliers d’or, il s’était avéré qu’aucun d’eux n’avait gardé ses pouvoirs. Cette réapparition venait de se terminer avec celle d’Aphrodite des Poissons, le douzième, qui était dans un état de faiblesse certain..tout comme les autres. Malgré ses dehors calmes, Mû bouillait. S’il avait gardé ses pouvoirs de guérison, il aurait pu aider tous les blessés qu’ily avait eu ici, au lieu de ça il avait été obligé de regarder, sans pouvoir rien faire, et il détestait ça par dessus tout.

Les médecins dirent enfin leur diagnostic: Aphrodite survivrait. Il lui faudrait beaucoup de repos cependant...Inquiets néanmoins, les autres chevaliers d’or restèrent là, autour du lit...


Un peu plus tard...

Mû était assis sur une des marches de sa Maison sous le chaud soleil de Grèce, sans même prêter attention à ce qui se passait autour de lui. Un bandage se voyait sous le tissu léger de sa manche, il revenait de loin, comme les autres…Mais, au delà de la perte de ses pouvoirs, une plus grande tristesse l'envahissait: la mort de la déesse qu'il avait tenté de protéger en y laissant sa vie. Mais la mort n'avait pas voulu d'eux…

Tout était encore très confus dans sa tête...Il semblait que sa clarté d’esprit légendaire ne soit plus qu’un lointain souvenir. Elle était liée à ses pouvoirs psychokinétiques, qui avaient aussi disparu, bien qu’ils les ait eus de façon congénitale...Mû, comme tous les chevaliers d’or, n’était plus maintenant qu’un homme comme les autres...Et personne ne savait si ses pouvoirs reviendraient un jour.

D'avoir revu son maître accentuait encore plus son vague à l'âme…Sion était le père qu'il n'avait jamais connu, la seule famille qu'il ait jamais eu, le voir au service d'Hades, même s'il avait appris plus tard que ce n'était que facade, lui avait miné le moral…Mais la Terre avait été sauvée, cela seul importait, les chevaliers de bronze eux aussi avaient survécu on ne savait comment, tout allait donc revenir dans l'ordre des choses…espérait-il.

Soupirant et désireux de se soustraire à ces noires pensées, il se leva et entreprit de faire le tour du Sanctuaire, comme il le faisait tous les jours depuis qu'il pouvait se lever.

Enfin douze à nouveau…Les pouvoirs n'étaient pas si importants que ça, après tout, l'important était d'être tous réunis.

Il croisa Saga, assis sur un muret de pierres sèches…Il l'interpella:

"Tiens, Mû…tu as fini de méditer ?
-Je ne méditais pas, je me contentais de bronzer…j'allais à l'hôpital…
-Aphrodite va plus mal ?
-Non, je vais voir nos amis…
-Je vais avec toi…"

Mû se dirigea vers l'hôpital, un peu à l'écart, Saga à son côté. La perte de leurs pouvoirs et tout ce qu'ils avaient vécu avait resserré leurs liens, et tous les chevaliers d'or se considéraient désormais comme des frères de sang. Mû salua le garde à l'entrée, et se dirigea vers une grande salle. Dans cette pièce, cinq lits, une table au centre…

Mû entra dans la pièce, suivi de Saga, et dit en souriant:

"Alors, comment ça va aujourd'hui ?"

Il en profita pour observer ce qui se passait dans la pièce. Seiya, Hyoga, Shun, Ikki et Shiryu étaient couchés sur leurs lits, certains encore reliés à des perfusions suspendues à des potences. Shunrei était assise à côté du lit de Shiryu, plongée dans un travail d'aiguille. Tous sourirent quand Mû et Saga entrèrent…Mû sourit lui aussi, et demanda:

"Comment ça va ?"

Seiya répondit:

"Bien, bien….mais c'est plutôt à toi que je devrais demander ça…
-Moi je vais bien…."

Shun dit:

"Et Aphrodite ?
-Il va se remettre."

Shunrei se leva alors:

"Je vais vous laisser discuter…Je reviens tout à l'heure…"

Avec un timide sourire à Shiryu, elle sortit de la pièce. Mû sourit plus largement, et lui demanda:

" Tiens, tiens…y'aurait-il du mariage dans l'air ?"

Le teint de Shiryu rosit légèrement, mais il ne répondit rien. Hyoga dit alors:

"Il n'ose pas encore…je crois qu'il ne sait pas comment s'y prendre…"

Shiryu rétorqua:

"Ce n'est pas ça…je veux qu'elle puisse juger en connaissance de cause, après tout elle ne connaît quasiment que moi…je ne veux pas profiter de la situation…"

Saga, qui n'avait encore rien dit, intervint alors:

"Qu'elle connaisse autre chose ne fait rien à l'histoire je crois…c'est toi qu'elle aime…"

Saga était fondamentalement quelqu'un de sage. Mû abonda dans son sens:

"Saga a raison, c'est toi qu'elle aime…et tu l'aimes aussi, ça se voit…suis ton instinct…"

Shun dit:

"C'est ce que je lui ai dit déjà, mais il est tellement timide parfois !"

Seiya sourit encore plus largement, et dit:

"C'est un intellectuel, il doit refléchir longuement avant…"

Shiryu rougit encore plus, et rétorqua:

"Je ne suis PAS un intellectuel ! "

Mû leva les deux bras et dit:

"Halte, vous n'allez pas vous battre pour ça…Laissons Shiryu faire comme il veut…"

La discussion roula ensuite sur l'état de santé des uns et des autres. Les chevaliers de bronze allaient mieux, après leur retour miraculeux au Sanctuaire. Chacun d'eux avait été trouvé dans un endroit différent, à quelques semaines d'intervalle, sans savoir comment il y était arrivé, mais chaque fois aux alentours du Sanctuaire. Le dernier d'entre eux, Ikki, avait été retrouvé deux mois auparavant, à Rodorio…il avait été recueilli et soigné par un couple de vieilles personnes généreuses.

Tous commencaient seulement à se remettre de leurs épreuves…

Les laissant se reposer, Mû et Saga sortirent, et croisèrent Shaina et Marine…Toutes deux avaient abandonné le masque depuis la fin de la guerre d'Hadès, et avaient fait un travail miraculeux de gestion du Sanctuaire, aidées par les chevaliers restants. Les chevaliers d'or valides les aidaient, mais étaient bien conscients que l'aide qu'ils pouvaient apporter était limitée. Cinq des chevaliers d'or étaient encore à l'hôpital, les cinq derniers, et les sept valides essayaient de mettre bon ordre dans un Sanctuaire décimé et secoué. Kanon, devenu grand Pope par ordre d'Athena elle-même, désigné par oracle, apprenait son nouveau métier…

Saga demanda alors brusquement à Mû:

" Et toi, qu’est-ce que tu vas faire maintenant ?
-Continuer à enseigner Kiki, bien qu’il soit de facto chevalier du Bélier...et ensuite je retournerai à Jamir, et je m’installerai quelque part...
-Et si tu retrouves tes pouvoirs ?
-Alors la question ne se posera plus... Et toi ?
-Je vais rester pour aider Kanon, il aura besoin d’aide...Et puis ma maison est ici... "

Mais Mû avait à faire, aussi continua-t-il vers son atelier. Ses outils étaient soigneusement rangés sur la table, brillant doucement sous la lumière...Alors il s’assit, et resta là, à les regarder...


Quelques jours plus tard...

" En Egypte ? "

Seiya était le plus surpris. Kanon, vêtu de son costume de grand Pope, continua:

" Cela fait trois siècles que nous avons rompu nos relations avec eux, il est temps de les reprendre...J’ai d’ailleurs écrit à Tanoutamon, la supérieure des Divines Adoratrices d’Amon, et au Grand prêtre, Siamon, pour leur dire cela. Je pensais alors déjà que je vous enverrais vous... "

Ikki dit:

" Et pourquoi nous ?
-Vous devez vous reposer, et l’Egypte possède un excellent climat pour cela...De plus, vu ce que vous avez subi, cela vous changera les idées...Vous verrez, l’hospitalité égyptienne est légendaire, et cela vous sortira du Sanctuaire... "

Il parlait calmement, sans élever la voix...Kanon le dévoré d’ambition avait changé, transformé par ses combats. Dans ses yeux bleus luisait une étoile de bonté. Il continua:

" Je dois me mettre d’accord avec Tanoutamon pour les modalités logistiques...je vous tiendrai au courant... "

Et ils sortirent tous. Shun dit:

" Eh bien, nous allons encore voir du pays...il paraît que l’Egypte est très belle... "

Seul Shiryu n’avait encore rien dit. Ikki lui demanda:

" Qu’est-ce que tu as ? Tu ne veux pas laisser Shunrei, c’est ça ?
-Elle est seule ici tant que notre maître n’est pas totalement remis et ne peut pas marcher... "

Il ne savait pas quoi faire, aussi décida-t-il de se promener un peu pour essayer de se clarifier les esprits...


Shiryu...

Moi qui ai toujours été sûr, qui ai toujours su quoi faire, je suis plongé dans la confusion...La raison voudrait que je laisse Shunrei connaître le monde autour d’elle, faire l’expérience de la rencontre avec d’autres personnes...mais mon coeur, lui, ne semble pas être d’accord. Elle ne connaît que moi, après tout...je ne dois pas la forcer, elle doit pouvoir choisir en toute connaissance de cause.

Mon maître Doko m’a dit un jour que je ne connaissais rien à l’amour des hommes, au tout début de la bataille d’Hadès. Mais je ne dois pas douter de l’amour de Shunrei, elle m’a toujours sauvé grâce à lui. Alors que dois-je faire ? Dois-je la laisser découvrir le monde et ainsi risquer de la perdre ? Non, je ne le supporterais pas...alors est-ce cela l’amour ? Ce besoin irrépressible de courir à elle, de la prendre dans mes bras et de ne plus la laisser partir ? Je ne sais pas, je ne sais plus...

Mais que puis- je y faire ? C’est un sentiment qui me prend tout entier, m’obsède...

Où veut me mener cette indécision ? Je dois agir...mais j’ai besoin d’être sûr: est-ce que je l’aime assez pour passer ma vie à ses côtés ? Ne vais-je pas la rendre malheureuse ? A aucun prix je ne le voudrais, mais ce n’est pas une preuve en soi...

Je n’ai jamais douté lorsque je combattais, mais là le doute m’emplit. Je ne sais vraiment pas quoi faire du tout...

" Eh, Shiryu ! "

C’est Shun, le plus jeune de mes frères...Que veut-il ?

Il respire la gentillesse, et un sourire flotte sur son visage. Pourra-t-il me comprendre ? Non, tout ceci ne concerne que moi et Shunrei, je dois régler ça moi-même. Il est vrai que jusque-là personne n’a envisagé notre retour en tant que combattants parmi les troupes du Sanctuaire, après Poseidon de toute façon la déesse elle-même avait décidé que nous avions assez combattu. Alors...

Sans doute, dès l’arrivée de Shunrei au Sanctuaire, ai-je pensé à cette éventualité, mais j’étais trop faible encore à ce moment-là pour réfléchir…mais la première personne à laquelle j'aie pensé a été elle. C'est sans doute un signe…

Shun me sourit gentiment, et me dit:

"Encore en train de penser ? "

Sa gentillesse me va droit au cœur, il sait toujours me réconforter…


Thèbes-ouest, le lendemain…

Rê va seulement sortir des montagnes de la rive est, mais Heryenamon est déjà de service. Il doit assurer la protection de Siamon, le grand-prêtre, pour les cérémonies du matin. Il voit les prêtres chargés du nilomètre descendre dans le puits qui sert à mesurer le niveau du Nil, et ressortir en secouant la tête: non, le Nil n'a pas encore commencé à monter. La crue est en retard…

Heryenamon sait que si le Nil ne monte pas assez les cultures s'en ressentiront, mais il n'a pas le temps d'y penser, il encadre Siamon qui gagne lentement la partie la plus sacrée du temple pour y réveiller rituellement la statue du dieu Amon. Heryenamon et le second chevalier qui assure la protection de Siamon, Bakenamon, restent à la porte, ce qui se passe derrière ces deux lourdes portes n'est pas pour eux. Un peu plus tard, alors que tous deux ressortent pour prendre une pause bien méritée, Bakenamon demande à son collègue:

"Tu crois que c'est une bonne chose que nous reprenions des relations avec les gens du Sanctuaire de Grèce ?
-Oui, moi je le pense vraiment, cela ouvre des perspectives nouvelles. "

Heryenamon pensait la même chose. Il pensait depuis longtemps que ce n'était pas bon de vivre ainsi renfermé sur soi-même, et l'occasion était bonne pour enfin renouer les liens rompus depuis si longtemps.

Il croisèrent, se dirigeant vers le petit temple de Rê à ciel ouvert adossé au temple d'Amon, Meryrê et un camarade à lui, Neferkarê. Tous deux leur firent signe et leur dirent:

"Qu'est-ce que vous pensez de cette histoire de Grèce ?"

Les deux chevaliers d'Amon se regardèrent, et dirent en chœur:

"Nous trouvons que c'est une bonne chose…"

Décidément tous les ordres de chevalerie s'étaient donné le mot, car avant midi l'affaire du Sanctuaire de Grèce était devenu le principal sujet de conversation dans le temple d'Amon et les petits sanctuaires adjacents. Même les chevaliers d'Isis, peu enclines généralement à s'intéresser à autre chose, en parlaient volontiers…Pourtant, elle vivaient à l'écart, consacrées au culte d'Isis à l'études des textes magiques ancestraux. Leur chef, Isetemibes, était connue pour être intraitable, mais peu étaient ceux qui l'avaient rencontrée.

Même Horemheb, le chef des chevaliers d'Horus, un foudre de guerre toujours enclin au conflit, pensait que c'était une bonne chose.

Un peu plus tard dans la journée, Tanoutamon reçut le grand-prêtre dans ses appartements…Personne ne put vraiment savoir ce qui se dit, mais on vit l'un des prêtres attachés au service de Siamon lancer de la terrasse astronomique un pigeon…Cela devait avoir encore un rapport avec la Grèce…


Grèce, le Sanctuaire, quelques jours plus tard…

Kanon, les deux mains sur la balustrade de son balcon, observait d'un œil intéressé ce qui se passait en bas. Les chevaliers de bronze étaient en train de discuter gaiement sous le soleil écrasant de la fin de la matinée, et Kanon sourit à l'idée qu'après ce qu'ils avaient vécu ils reprenaient goût à la vie. Seul Shiryu paraissait soucieux, et Kanon savait pourquoi…il avait été jeune lui aussi !

Il prenait son rôle de grand Pope très au sérieux, et cette nouvelle fonction lui allait bien. Il se sentait bien, comme il ne s'était pas senti depuis longtemps. Avec son frère jumeau Saga, il était de loin le plus âgé des chevaliers d'or, ce qui lui conférait une certaine sagesse. Mais il avait décidé une fois pour toutes de mettre son expérience au service d'Athéna.

Il repoussa une de ses mèches de cheveux en arrière et continua à observer ce qui se passait en bas. Puis, tout à coup, conscient d'une présence familière, il se retourna, et vit son frère jumeau derrière lui, un genou à terre…Kanon lui sourit d'un air entendu et lui demanda:

"Tu voulais me voir ?"

Saga sourit lui aussi, reflet du sourire de son frère, et dit:

"Pas spécialement…Mais je voulais te demander quelques éclaircissements au sujet de l'Egypte…
-Oui, je compte envoyer à Tanoutamon nos chevaliers de bronze, ils ont besoin de repos…Il ne peut rien leur arriver là-bas…En fait, je veux qu'ils reprennent progressivement une vie normale, et ce voyage en Egypte en est le premier stade…"

Sur un geste de son frère, Saga se releva et regarda lui aussi les chevaliers de bronze, en bas. Les autres venaient de les rejoindre, Ichi, Nachi, Jabu, Geki…tout ceux qui n'avaient pas directement participés aux combats contre Hades. Mais c'étaient eux qui faisaient tourner le Sanctuaire, se chargeant de toutes les besognes logistiques et intendantes, avec l'aide appréciée de Marine, Shaina et tous les autres chevaliers restants.

En retrait, assise sur une pierre, se tenait Shunrei, en dehors de la vue de Shiryu. Elle ne l'avait pas beaucoup vu ces temps derniers, mais elle le devinait soucieux, distant…Puis, incapable de poursuivre son regard, elle se leva et partit en direction de sa chambre en secouant la tête.

Kanon vit cela, et jeta un regard entendu à son frère. Il dit alors:

"Ah, la jeunesse…"

Saga releva, et appuya:

"De toute façon, cela se terminera par un mariage…il reste juste que les principaux intéressés agissent maintenant…
-Ils ont le temps, ils sont jeunes…"

Soudain, un pigeon se percha sur la balustrade du balcon, portant un message. Kanon l'enleva, et lut attentivement le texte qu'il contenait avant de sourire et de dire:

"C'est Tanoutamon, elle est prête à accueillir nos chevaliers quand il nous conviendra…Bien, je lui répondrai dans la journée…"

Saga sourit doucement:

"Enverras-tu Shunrei avec eux ?
-Justement, je ne sais pas encore…j'hésite…Une partie de moi pense que ce serait une bonne chose, mais une autre partie pense que je n'ai pas à me mêler de ce qui ne me regarde pas…"

C'est alors que Saga eut une idée lumineuse:

"Demande-lui…Elle est à même de décider seule, même si elle est jeune. "

Et Saga sortit. Kanon resta assis dans son trône, le message à la main. La tête rêveusement appuyée contre le bois, il réfléchit un petit moment, puis appela son majordome et le pria de bien vouloir faire venir Shunrei devant lui. Le silence revint dans la grande salle, seulement troublé quelques dizaines de minutes plus tard par la lourde porte et les pas légers de Shunrei. La petite chinoise s'inclina doucement, et resta assise sur ses genoux, attendant les paroles de Kanon. Il chercha ses mots deux minutes, puis commença.

"Cela fait six mois que tu es arrivée ici, mon enfant, et je n'ai pas encore pris le temps de te recevoir…J'en suis désolé…"

Shunrei inclina seulement la tête…Kanon continua:

"Je souhaitais savoir tout d'abord si tu te portais bien…"

Shunrei releva la tête et dit de sa voix douce:

"Je vais très bien, et vous êtes bon de prendre de mes nouvelles…"

Kanon l'observa un moment. A presque quatorze ans, la beauté de Shunrei rayonnait déjà de toute sa force. Simplement vêtue d'une tunique et d'un pantalon en soie bleue, cette simple vêture la rendait encore plus belle. Ses cheveux de jais étaient noués, comme à l'habitude, en natte serrée, et ses grands yeux noirs regardaient attentivement Kanon. Alors il décida de rentrer dans le vif du sujet:

"Je sais l'attachement que tu as pour Shiryu…Tout comme ses congénères, je vais l'envoyer en Egypte, tu dois le savoir je pense…Je voulais savoir si tu voulais accompagner Shiryu là bas…"

Le sang se retira d'un coup du visage de Shunrei, et quelques larmes apparurent dans ses yeux. Mais elle trouva la force de dire:

"Je ne veux pas être une charge pour Shiryu…jamais…"

Elle était sous le coup d'une forte émotion. Puis elle supplia:

"Permettez-moi de rester ici…"

La décision était prise. Emu, Kanon descendit de son trône et releva gentiment Shunrei, puis il lui dit:

"Ne t'inquiète pas…Shiryu reviendra intact…Ce n'est qu'une mission diplomatique…"

Shunrei leva la tête vers le visage de Kanon, et, au mépris de toute étiquette, scruta son regard bleu. Elle y trouva de la gentillesse, de la compassion…elle voulut avoir confiance en lui. Il lui dit:

"Tu peux rester ici, ta place y est, en tant que successeur du Vieux Maître je dois prendre soin de toi, c'est mon devoir…Tu as pris ta décision…N'hésite pas à revenir me voir, quand tu le voudras, si tu as besoin de quoi que ce soit…ou simplement besoin de parler un peu…"

Shunrei sourit timidement, puis plus largement…Elle se releva, et s'inclina longuement devant Kanon avant de sortir. Kanon soupira longuement, et jeta un regard par la fenêtre. C'était presque logique qu'elle refuse d'accompagner Shiryu, même si elle savait pertinemment qu'il était au courant de ses sentiments envers lui…Enfin, ce laps de temps de réflexion ne pourrait que lui être salutaire…

Oh, et ça suffisait pour aujourd'hui, son rôle était de diriger le Sanctuaire, et non pas la rubrique courrier du cœur !C'était un peu de l'ancien Kanon qui ressortait dans cette pensée…

Il se rappela brusquement que dans une heure il devrait participer à une réunion avec Jabu, Ichi, Nachi et Geki qui devaient lui soumettre la liste des nouveaux entrainés…Finalement le Sanctuaire était comme le phénix, il se relevait de ses cendres. Ah oui, et ne pas oublier les multiples signatures à apposer sur la liasse de papiers apportées par son secrétaire un peu plus tôt…Seul, Kanon fit un geste qu'il ne se permettait plus en public: il passa la main dans ses cheveux et les secoua…Ce geste lui permettait de revenir à la réalité après avoir réfléchi. Il prit une toute petite feuille de vélin, et commença à écrire soigneusement le message pour Tanoutamon:

"Bien reçu votre message. Je vais envoyer les chevaliers Seiya de Pegase, Shun d'Andromède, Shiryu du Dragon, Ikki du Phénix et Hyoga du Cygne. Ce sont des chevaliers expérimentés qui représenteront au mieux notre Sanctuaire…Ils arriveront où et quand vous le souhaiterez…En attendant, veuillez agréer mes meilleures salutations…"

Satisfait de son message, déjà extraordinairement long par rapport à la longueur du papier, il le roula soigneusement et demanda un pigeon reposé. Ceci fait, il prit le temps de se remémorer tout ce qu'il avait encore à faire avant de se coucher, et soupira doucement. Mais, malgré les multiples devoirs de sa charge, il se sentait utile, et enfin pardonné de ses mauvaises actions….

Vers la fin du même après-midi, Mû, assis à l'ombre de sa Maison, vit arriver vers lui Camus. Celui-ci boitait encore, mais refusait, par fierté, d'utiliser ses béquilles...ce qui n'étonnait guère Mû d'ailleurs, qui avait l'honneur de connaître Camus depuis bien longtemps. Il lui sourit et l'interpella:

"Eh Camus ! Qu'est-ce que tu fais sous ce soleil ? Je croyais que le médecin t'avait interdit de te lever…"

Camus avait été l'avant-dernier retrouvé, quatre semaines auparavant, sur un iceberg en mer de Barents, aussi n'était-il pas encore remis totalement. Ses jambes avaient été fortement touchées, et il ne s'en était fallu de peu qu'il ne perde la jambe droite, mais sa volonté de fer avait fait le reste, et voilà qu'il parvenait maintenant à se mouvoir relativement bien.

Camus s'assit à côté de Mû, et demanda d'un air détaché:

"Je cherche Milo….tu ne l'aurait pas vu par hasard ?"

Cela non plus n'étonnait pas Mû, Milo était la seule personne qui parvienne à 'dégeler' et comprendre un peu Camus, et tous deux étaient très amis depuis l'enfance. Mais lui-même s'entendait aussi bien avec Camus…Tous deux restèrent là, à réfléchir sans dire un seul mot, communiant dans le même silence, puis Camus se leva:

"Je vais continuer à le chercher…bon après-midi…"

Et il repartit. Mû resta encore là un bon moment, plongé dans ses pensées, avant d'en être tiré par une autre voix connue…Aldébaran se tenait là, mais pas seul, accompagné de Aiolia. Aldébaran dit:

"Nous allions boire une tasse de thé chez moi…te joindrais-tu à nous ?"

Mû accepta avec un sourire, content d'être tiré de ses noires pensées. En effet, chacun de ses bandages lui rappelait cruellement la guerre et la perte de ses pouvoirs, et même s'il le prenait avec une certaine philosophie, il avait une cruelle tendance à la mélancolie ces temps derniers dès qu'il se trouvait tout seul.

Assis autour de la petite table en bois de cèdre d'Aldébaran, il oublia tout cela momentanément pour parler avec ses amis, ses frères…Les blessures guérissaient avec le temps, et les siennes, intérieures comme extérieures, guériraient aussi, tout comme celles du Sanctuaire. Il lui restait la mission de finir d'enseigner son élève…


Le Sanctuaire d'Amon, trois jours plus tard…

La plus grande effervescence règnait dans la première cour. Les préparatifs des festivités des jours Epagomènes (cinq derniers jours de l'année où des rites destinés à écarter tout danger devaient être faits) avaient commencé…mais ce qui inquiétait le plus les prêtres était le retard de la crue. Les astronomes, qui surveillaient l'apparition de l'étoile Sothis (Sirius) comme signal du départ des festivités du Nouvel An, étaient pourtant optimistes. Tanoutamon et Siamon avaient cherché des précédents ainsi que le remède trouvé, on fit des prières et des offrandes à Hâpy, le dieu du fleuve…et l'on attendit.

Tanoutamon venait d'annoncer l'arrivée prochaine des chevaliers du Sanctuaire, et tous les ordres de chevalerie avaient commencé à se préparer. Les armures fêlées avaient été confiées à Ptahemheb, grand-prêtre du dieu Ptah de Memphis (Ptah est le dieu des artisans) et seul habilité à les réparer, et celui-ci y travaillait déjà avec acharnement. Amenemheb, chef des chevaliers d'Amon, Ouseremibef, chef des chevaliers d'Osiris, Horemheb, chef des chevaliers d'Horus, Menkheperrê, chef des chevaliers de Rê ainsi que Isetemibes, chef des chevaliers d'Isis, sortie de sa retraite pour l'occasion, avaient une réunion destinée à mettre en place les détails du séjour des chevaliers grecs. Pendant ce temps, les autres les attendaient dans la seconde cour du temple. Personne n'avait son armure, ils étaient tous en civil mais un pendentif d'argent à leur cou indiquait leur ordre. Ils discutaient gaiement, les différents ordres s'entendant bien entre eux, même les chevaliers d'Isis, qu'on savait magiciennes et dangereuses. Elles étaient peu nombreuses, seulement six, mais il fallait vraiment compter avec elles pendant les combats, leur magie puissante faisait souvent la différence. Les autres ordres comptaient huit membres seulement, mais leurs rangs avaient été décimés quelques dizaines d'années auparavant, et ceux qui étaient là formaient la nouvelle génération, les premiers formés après la dernière guerre qu'avait eu à affronter le Sanctuaire egyptien…

Tout le monde attendait avec impatience la visite des chevaliers grecs, et cela distrayait l'attention des problèmes causés par la non-venue de l'inondation…


Le Sanctuaire, quatre jours plus tard…

Kanon lut avec attention le message envoyé par Tanoutamon, et commença à prendre les dispositions nécessaires. Puis il convoqua les chevaliers de bronze, et leur dit:

"J'ai reçu un message de Tanoutamon, vous partirez dans deux jours, en avion jusqu'à Louqsor d'abord, elle enverra quelques personnes vous chercher pour vous conduire jusqu'au temple. Il faudra traverser le rideau de réalité, mais ça ne devrait pas vous poser de problèmes majeurs…"

Pas un ne posa de questions, la parole de Kanon était sacrée.

En sortant, Shiryu aperçut Shunrei, assise derrière un pilier, seule. Il dit à ses compagnons:

"Partez devant, je vous rejoindrai tout à l'heure…"

Pas un ne fit de commentaire…

Shunrei, plongée dans ses pensées, ne l'entendit pas arriver, et manqua faire une crise cardiaque quand elle entendit sa voix. Shiryu décida de s'en remettre à son instinct, et dit:

"Cela fait quelques jours que je ne t'ai pas vue, je me demandais si tu n'étais pas malade…"

La tête baissée, Shunrei répondit qu'elle se portait très bien…Shiryu reprit alors:

"Je voulais te voir avant de partir en Egypte, car je pars après-demain mais je ne sais pas si j'aurai le temps de faire quoi que ce soit demain…"

Il tentait de garder les idées claires, mais l'émotion le gagnait…Il reprit:

"J'espère que tout va bien…"

Alors Shunrei, réussissant à regagner ses esprits peu à peu, releva la tête et dit:

"Tout va bien, j'ai tout ce que je veux ici…"

Tout deux restèrent là, à se regarder, puis Shiryu dit:

"Voudrais-tu venir avec moi te promener un peu ?"

Il sourit, et tendit son bras afin qu'elle le lui prenne. Shunrei hésita, mais, voyant les étoiles dans le regard bleu-gris métallique de Shiryu, finit par accepter.

Ils marchèrent un moment, puis Shiryu parla:

"J'ai déjà pensé à ce que j'allais faire après cela…je suis libéré de toute obligation pour l'instant, et je comptais retourner à Rozan…c'est là que sont mes racines, que je me sens bien…"

Shunrei l'écoutait religieusement, et il continua:

"Je travaillerai dans les rizières, apportant mon aide là où on en aura besoin…j'aime cette terre…"

Il s'arrêta, et regarda Shunrei dans les yeux:

"J'aimerais que tu sois à mes côtés…"

Toutes ses belles résolutions et hésitations avaient disparu, il avait eu le temps de réfléchir et était sûr de lui maintenant. Shunrei le regarda dans les yeux un long moment,et dit:

"Tu n'es pas obligé de faire cela…je sais que tu l'as juré au Vieux Maitre, mais…"

Doko de la Balance était le seul à être encore dans un coma profond, nul ne savait s'il en sortirait un jour…Alors Shiryu, laissant sa timidité de côté, dit alors:

"Ce n'est pas que cela qui me motive…je veux que tu sois à mes côtés, c'est tout…"

Il y avait des choses difficiles à dire, et celle-là en était une. Alors il décida d'agir…Doucement, sans brusquer, il se pencha et l'embrassa. Shunrei ne fit rien pour se défendre, sans doute trop surprise…

Alors il lui prit la main, et dit:

"Accepterais-tu d'être ma compagne ? Tu n'es pas obligée de répondre tout de suite, nous sommes jeunes, nous avons le temps…"

Mais la décision de Shunrei était prise…Elle lui dit:

"Je serai ta compagne…Pars, et reviens plus vite encore…"

Il garda sa main droite dans la sienne, et dit:

"Je suis heureux comme je ne l'ai pas été depuis longtemps…Je t'ai toujours sentie à mes côtés quand je combattais, ton amour m'a toujours aidé…"

Ils avaient peu besoin de mots, leurs regards suffisaient. Alors Shunrei détacha son bracelet de son poignet et le lui donna:

"Ainsi je serai auprès de toi quand tu seras en Egypte…"

Shiryu prit le bracelet et le serra dans sa main gauche…

Un peu plus loin, Seiya et les autres observaient la scène. Shun protesta:

"On devrait les laisser seuls…c'est très malpoli ce qu'on fait là…"

Et il se tourna pour bien montrer sa désapprobation. Seiya grommela:

"D'accord, d'accord…"

Et tous prirent une direction opposée…Shun, à part lui, pensait que le voyage en Egypte serait salutaire pour tout le monde…Même si Shiryu semblait enfin avoir résolu ses problèmes, eux-mêmes ne les avaient pas tous résolu…Seiya avait réglé les siens, et sa sœur, découvrant ses pouvoirs, avait pu intégrer le Sanctuaire, mais un certain nombre restait en suspens…

Il jeta un regard vers le ciel, et son esprit plana loin, vers l'Egypte immémorielle…

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Cette fiction est copyright Anne-Laure Perrin.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.