Au Commencement


" C'est pitoyable ! "

Le Sanctuaire était repeint en rouge et blanc. Le rouge du sang, et le blanc des pierres et des os brisés. Les corps décortiqués dans leurs armures éclatés ajoutaient une pointe de contraste dans le schéma coloré du champ de bataille, avec parfois quelques touches de marron et pourpre là où quelques cadavres avaient cure bon de partager leur viscères avec le monde.

La nuit viendrait bientôt, gommant les contrastes, éclipsant les couleurs et la vue ; dans quelques heures, la scène appartiendrait à l'odorat et à l'ouïe. L'odeur des corps récemment ennemies se décomposants dans une fraternité cadavérique, et le bruit des charognards, animales et humains, qui dépouillerais leurs os des dernières traces de chairs et de richesses.

Mais pour le moment, le rouge et le blanc dominaient.

" C'est pitoyable ! " répéta Athéna.

Quatre-vingt six de ces chevaliers avaient amenés leurs disputes avec les specters d'Hadès au point ultime, se dépouillant de leurs vies au passage. Ce qui laissaient au total...

" Deux Chevaliers ! " cria la colère d'Athéna. " Deux pitoyables chevaliers ! C'est tout ce qui me reste ! "

Un de ces deux chevaliers pitoyables était agenouillé à ses pieds, buvant ses paroles. Aucun autre être vivant n'aurait osé élever la voix devant la rage divine ; mais moi, chevalier du Bélier, je savais que le lien qui m'unissait à ma déesse était très spécial ; tâtonnant pour les mots dans le chaos mental qui suivait le massacre, j'essayais de la réconforter. Son Sanctuaire serait reconstitué, je promettais, bien plus beau que jamais ; les meilleurs architectes bâtiraient des édifices qui abriteraient une nouvelle génération de chevaliers, la plus puissante de tout les temps. Quand à sa victoire sanglante, elle deviendra une histoire, une légende qui résonnera à travers l'éternité...

" Ça suffit, Sion ! " dit-elle, s'asseyant royalement sur le restes brisés de son trône. La déesse soupira, se frottant les yeux. " Je t'en veux pas, je suis contente que tu soit l'un des survivants. " Qu'elle admette ce fait si ouvertement devant moi montrait à quel point elle était exténuée. Je commençais à devenir très inquiet pour elle. " Tu est le seul avec lequel je peux parler ouvertement et honnêtement, " continua-t-elle. " Maintenant qu'on s'est débarrassé de l'autre... "

Dhokko de la Balance n'était effectivement plus parmi nous. Une vague histoire de Misopetha-Mens, des cinq pics en Chine, du réveille prochain d'Hadès... En autre mot, de quoi le maintenir calme et hors de nos pattes pour les deux prochains siècles. Mon cœur commença à battre très fort avec la confirmation que c'était effectivement pour qu'on soit seules ensembles qu'Athéna s'était livré à cette comédie. Mais déjà la déesse continuait :

" Tu vois, Sion, j'ais plus la fougue. Du tout. Que mes chevaliers se fassent battre si facilement... C'est tragique, mais j'en arrive à me dire que je me fiche complètement. La justice, l'humanité, tout ça... s'était bien beau au début, ça me donnait le feu au corps, mais maintenant... Qu'on me redonne de la motivation, ou au moins des chevaliers compétents... "

J'en pouvais plus de la voir si vide, si éteinte, je souffrais avec elle. Déesse... il fallait raviver la flamme, la conviction qui avait brûlé en elle, il fallait la faire revivre. Je parlais vite, sans trop réfléchir, essayant de couvrir et de cacher son désespoir :

" Les chevaliers d'Or, il faut les oublier... ce n'est pas avec eux qu'on fera grand chose. Ils sont trop imbus de leur force et de leur rang pour se remettre en question... Peut-être qu'avec les chevaliers d'Argent ou même de Bronze... "

Je m'arrêtai la, sans trop savoir comment compléter la phrase devant le regard d'acier de la déesse de la guerre. " Explique ! " exigea-t-elle, froide et royale.

Il fallait que je développe ma vague idée... Déesse, que pouvait on donc faire avec des chevaliers de Bronze ? C'était pas évident, mais pourtant...

" On pourrait... " commençais-je, " On pourrait... Imaginons qu'il y ait une intrigue autour de votre prochaine réincarnation... "
" Il y en a toujours, " me coupa-t-elle, tranchante.
" Oui, oui, mais... pas exactement une intrigue, plutôt une rébellion. Oui, oui... un des chevaliers d'or devient Grand Pope, ou quelque chose du genre, et essaye de vous renverser. Vous, vous n'avez qu'une poignée de chevaliers de Bronze pour vous défendre... "
" Pourquoi ? "
" On trouvera ça après, faites moi confiance... Mais, l'idée est que ces chevaliers de Bronze parviennent peu à peu à vaincre leurs supérieurs, les chevaliers d'Argent au service de l'usurpateur, et ensuite même les chevaliers d'Or. Ça vous donnerait des chevaliers excellents, des demi-dieux vers la fin... Et les chevaliers de rang supérieurs, vaincus par de simples chevaliers de Bronze, se remettraient en question, chercheraient à faire oublier leur défaite en se surpassant. Beaucoup de morts, bien sur, mais ce qui resterait de l'ordre serait purifié et renforcé. "
" Hum... " murmura-t-elle, sceptique.
" Bien sûr, il faut surtout que se soit intéressant pour vous... Vous ne devriez leur venir en aide avec votre force divine que très rarement, au dernier moment peut-être. Et, enfin, si je puis me permettre, pour que vous puissiez vraiment profiter de ces batailles, que vous sentiez encore le frison des émotions vous parcourir à nouveau, il faudrait... que vous preniez des risques. Que la victoire ne soit pas assuré, loin de la... Moins vous en ferez, plus cela deviendrait intéressant... "

Elle réfléchissait. Intensément. La sagesse millénaire d'Athéna se penchait sur ma proposition, pesait le pour et le contre, cherchait la faille, analysait... Et puis, d'un geste las, elle écarta toutes ses pensées.

" Peux-tu vraiment m'arranger tout ça ? "
" J'ais plus de deux siècles, " répondit-je, " durant lesquelles je pourrais reconstruire le Sanctuaire, le forger dans ma propre image. Je vous jure, Athéna, que tout sera prêt pour votre retour. "

Elle souriait. Un sourire carnassier, un sourire remplie d'une joie intense. Et, pour la première fois, j'étais inclus dans son sourire. Mon bonheur était totale : je l'avais rendue heureuse.

" Qu'il en soit ainsi fait ! " proclama-t-elle.

Je courbai la tête, et elle me regarda un long moment. Puis, ses mains divines empoignaient ma tête, la remontait, la forçait à monter vers la sienne.

" Baste, " dit Athéna, " toutes ces lois me lassent, de toute façon. Autant t'accorder ce que tu désires depuis si longtemps... "

*****

J'ais vue le visage de Saga ce matin ; il me tuera ce soir, c'est parfait. Je pense que tout est en place...

*****

Et, enfin bien sûr, lors de la bataille d'Hadès, j'ais accepté de revenir à la vie, pour écrire un autre chapitre de cette histoire qui s'était révélé si passionnante pour la grande Athéna. Et surtout, pour revoir une dernière fois ma Déesse.

Elle savait que je venais, bien entendue ; mais elle ne m'a pas attendue. Que veux tu, disait-je au soleil qui me désagrégait, c'est une déesse ; elle n'a pas à être loyale...

Retour au sommaire

www.saintseiya.com
Cette fiction est copyright Stuart Armstrong.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.