Chapitre 1 : La Cité de la légende


Voilà déjà huit jours qu'Hermès, le messager des dieux, avait quitté l'olympe pour le monde des morts. Zeus attendait son retour en faisant les cents pas sur la plus haute crête du mont. Il était particulièrement angoissé par les dernières rumeurs qui circulait sur Terre et qui finissaient par s'échouer dans ses oreilles. Et les rapports quotidiens que lui faisait Hélios étaient loin d'être rassurants. Lui qui crut pouvoir instaurer une ère de paix éternelle après la chute de Kronos et la victoire sur les Titans… Comment aurait-il put croire cela de la part de son propre frère ? Mais les faits sont accablants. Un peu partout dans le monde, des royaumes entiers se préparent à recevoir la venue du seigneur ténébreux. Ici et là assiste-t-on à des insurrections, des émeutes et des révoltes. Les prêtres d'Hadès promettent aux malheureux et aux opprimés une vie éternelle où plus jamais la souffrance ne sévira. A ceux qui acclament Hadès, la Terre ne sera plus qu'une immense Elision. Aux autres, il ne restera que le Tartare.

" Hadès… Aurais-tu perdu la raison ? … Toi mon fidèle allié, sage parmi les sages… " Zeus porta sa main droite sur le front. " La paix n'est-elle donc qu'une chimère ? Gaïa ! Ô toi, qui nous contemple tous depuis la nuit des temps, as-tu une réponse ? L'univers n'est-il donc qu'une grande malédiction ? "

Zeus contempla l'horizon dentelé qui découpait le ciel. Nulle autres réponses ne sortit que le bruit du vent. A cette question, même notre mère à tous ne put répondre. Car ce n'est pas elle qui est à l'origine de la folie, mais ceux qui la génèrent.

" Zeus ! Zeus, mon frère ! Hermès est de retour ! Mais tu ne vas pas être heureux de le voir ! " Poséidon, le deuxième frère du roi des dieux semblait particulièrement anxieux. Zeus comprit aussitôt.
-Où est-il ?
-Il t'attend dans ton palais.

Tous deux se hâtèrent vers le palais du ciel. Alors qu'ils empruntèrent la grande passerelle menant à la haute citadelle d'or - peut-être devrait-on plutôt dire l'immense allée de pierre suspendue dans le vide - Zeus se rappela le pont arc-en-ciel qu'il traversa le jour où il était en visite à Asgard, une contrée extrêmement lointaine, sur l'invitation du grand seigneur Odin. C'était il y a bien longtemps. Le nouvel ordre de l'Olympe venait à peine d'être établi. Et la fière citadelle d'or n'était encore qu'un rêve lointain. Asgard, la terre des glaces éternelles, était alors un puissant royaume lourdement défendu par des dieux guerriers aux forces incommensurables, les ases. Alors qu'il était là-bas, le jeune roi de l'Olympe ne put refouler son admiration devant l'impression de grandeur et de stabilité que laissait l'image de ce pays. Là-bas, tout semblait être bâti pour l'éternité. Les pierres colossales du Walhalla, le palais d'Odin, se dressaient pour défier le temps et les aléas du destin. Rien n'aurait su altérer la pérennité établie. Et le grand Yggdrasil, le seigneur frêne immortel, était là pour asseoir cette certitude. Mais c'était il y a fort bien longtemps. Et en ce temps là, les innombrables poèmes et chansons racontant la légende du Ragnarök et la destruction d'Asgard n'étaient que pures distractions. Oui, à n'en pas douter, c'était il y vraiment fort longtemps. Zeus quitta ses souvenirs, et la mythique Asgard n'était plus. Les ases n'étaient plus… Mais les humains survivants héritèrent de leurs vestiges ; relique d'une guerre apocalyptique passée aux parfums de folie, de haine et de trahison… Le seigneur de l'Olympe porta alors son regard sur les hauts remparts dorés de son royaume. Quelle grandeur ! Quelle grâce ! La toute puissance infinie de l'Olympe semblait rayonner sur la Terre entière, embrasant même la voûte céleste. Oui, le royaume de Zeus était lui aussi bâti pour affronter l'éternité…

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Quelque part, dans l'attique, se trouve une côte occupée par plusieurs petits villages. Les origines des différents peuples remontaient à des temps immémoriaux. Mais les habitants auraient sans doute cohabités paisiblement si ce n'était à cause de l'avidité des puissants. Car cette contrée, bien que longuement sous influence culturelle égyptienne, était aussi revendiquée par la Mésopotamie. Et ici comme dans de nombreuses tragédies humaines, le choix des querelles avides entre les grands entraînent avant tout la souffrance de ceux qui ne peuvent choisir… Et cela, le jeune commandant de la garnison mésopotamienne en savait quelque chose…

" Le bruit des vagues… Une mélodie annonciatrice du salut, ou de la mort… Quelle nouvelle m'apporteras-tu aujourd'hui ? Quel est donc ce chant, océan ? " Aioros se laissa tomber sur le sable chaud. " Comme la guerre peut être désuète de signification. " Qui aurait cru qu'une telle pensée puisse effleurer l'esprit d'un des plus grands combattants et stratèges de la Mésopotamie ?

Pourtant, derrière une apparence noble et élégante, Aioros n'a jamais connu que l'errance depuis sa plus tendre enfance. Ses seules attaches étaient son jeune frère Aiolia, ainsi qu'un idéal aussi chimérique qu'inintelligible. Une sorte de quête intérieure dont l'objet est inconnu mais dont l'existence est néanmoins certaine. Tous deux sont nés en Macédoine, terre de violences et de peurs éternelles. Le pays était alors en pleine guerre civile après l'assassinat du roi. Des factions entières se dressaient les unes contre les autres… et des cadavres innombrables s'entassaient sur les plaines. En l'absence d'un homme fort capable de rassembler toutes ces hordes sous une même bannière, les seigneurs de la guerre se livrèrent des assauts meurtriers et interminables. Même la déesse Déméter ne pouvait faire germer le blé dans un champ irrigué par le sang.

Un jour, alors que les deux enfants ramenaient du bois de la forêt, ils furent frappés par la fatalité du destin. Car au lieu de retrouver leur foyer et leur famille, ils découvrirent un amas de cendre fumant. Ils eurent beau appeler leurs parents, hurler le nom de leur sœur et implorer l'aide de Zeus, ils n'obtinrent nulles autres réponses que les cris des corbeaux… Alors, Aiolia faisant ce que tout jeune enfant ferait, se laissa tomber et pleura. Aioros, quant à lui, resta debout. Il décida de rester courageux. Oui, il en avait décidé ainsi. Rien ne saurait l'abattre intérieurement. Il quitta du regard les restes de bois calcinés et ses yeux furent étrangement attirés par les rayons du soleil couchant, à l'horizon. La lumière nous quitte mais ressurgit toujours, nous pouvons en être certains. Au bout du compte, jamais elle ne nous quitte vraiment. La force intérieure que le jeune garçon ressentit alors le plaça dans une grandeur majestueuse face aux lâches qui ont anéanti sa famille. Car les loups qui tuent sans pitié par peur de mourir n'ont nulle direction à suivre. Ils sont condamnés à se cacher éternellement, à fuir, et à hurler de terreur le moment venu… Mais lui, désormais, rien ne saurait plus le vaincre. Une étonnante quiétude l'envahit en l'espace d'un instant, puis disparut. Telle une étoile filante traversant le ciel, il eut une révélation. Alors il se jura qu'il ne cesserait plus jamais d'avancer, tant qu'il n'aura pas su retrouver la puissante lumière qui a inondé son cœur. Se retournant vers son jeune frère, il le prit sur son dos et quitta les lieux. Tandis que celui-ci continuait de pleurer, Aioros lui souffla doucement à l'oreille : " Allons, petit frère… Sache que les dieux tendent toujours la main aux braves. Chantons leurs louanges ensembles et ils sauront distinguer les saints des misérables. Maintenant, ne pleure plus et redresse-toi dans toute ta fierté jeune lion ! " Ces paroles furent prononcées avec une telle sagesse et une telle présence que le petit Aiolia, intrigué, cessa effectivement de pleurer. Relevant les yeux, il aperçut par-dessus les épaules de son frère les rayons du soleil, lui aussi. On raconte que ce soir là, dans le ciel de Macédoine, les constellations du Sagittaire et du Lion apparurent alors que le soleil n'avait pas totalement disparu. Et leurs lueurs semblaient s'intensifier sous les rayons d'or.

Aioros ouvra les yeux. Ces moments étaient à jamais gravés en lui. Car bien que fortement douloureux, il s'agissait du point de départ de son pèlerinage, le chemin de son accomplissement intérieur. Et il avait su emmener son frère dans ce formidable voyage. Tandis que son esprit revenait au présent, la mélodie des vagues orchestrant le chant des oiseaux de mer reprit. Puis, soudain, il sembla apercevoir quelque chose à l'horizon. A n'en pas douter, c'était le mât d'un navire de guerre. Aioros serra les dents.

" Le salut, ou la mort… Quelle nouvelle m'apporteras-tu aujourd'hui, océan ? "

Depuis le début, cette guerre était totalement stupide et allait à l'encontre de son véritable chemin. Alors qu'il pensait combattre pour protéger les intérêts des villageois, il comprit très vite après son arrivée qu'aucun des deux camps n'accordait grande importance à la vie des faibles et des innocents. Une fois de plus, ceux qui ne peuvent choisir n'ont qu'à subir. Et Aioros était devenu malgré lui le pion d'un échiquier, servant des intérêts sans scrupules. Toutefois, il lui restait le devoir d'assumer la vie de ses hommes. Car nul ne mérite la mort. Tous ont le droit de vivre et d'espérer une vie meilleure. Se relevant d'un bond, il quitta la plage et s'élança sur un des sentiers menant au sommet de la falaise où se dressaient encore les dernières fortifications précaires établies par sa garnison. Du haut de la tour de guet, il serait plus facile d'identifier l'éventuel ennemi ou allié. Mais alors qu'il était en train de gravir l'échelle de la tour, la voix de la sentinelle retentit :

" Cinq navires de guerre au Sud ! Ce sont des blasons égyptiens ! … Commandant ! Les égyptiens arrivent en force ! "

Aioros ne répondit pas. Cette fois c'était la fin. La Mésopotamie, bien que n'ayant pas fait rapatrier ses hommes, n'avait plus les moyens de poursuivre la lutte. La guerre était sur le point de se conclure. Au loin, Aiolia accourait à la tête d'une trentaine d'hommes. Arrivé sur les lieux, il fut surpris de voir que rien n'était prêt pour contrer l'assaut.

" Aioros ! Que t'arrive-t-il ? … Vous autres, tout le monde à son poste ! Archers ! Mettez-vous en ligne ! Préparez les balistes ! Allumez le feu ! Fantassins, restez en retrait jusqu'à… " Aiolia se tut. Une main ferme s'était posée sur son épaule.
" Que crois-tu accomplir là, Aiolia ? Même avec le plus grand des courages, nos hommes ne rencontreront que la mort… Ne pense-tu pas qu'il soit grand temps de mettre fin à ce carnage ? "

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Hermès s'efforçait de garder une allure digne malgré les douleurs qui le tiraillaient. Athéna, la déesse de la guerre et de la sagesse se tenait en face de lui, près du trône de son père. Le messager des dieux tenait à faire honneur à sa mission et à son souverain. Et puis, montrer un signe de faiblesse aurait été manquer de respect pour la princesse Athéna. Le roi des dieux arriva en compagnie du seigneur des océans. Quand il vit son messager, sa semi-surprise se mêla à une terrible colère.

" C'est absolument intolérable ! Insupportable ! Je ne peux admettre une telle chose ! C'est une déclaration de guerre ! "

Le pauvre Hermès souffrait déjà beaucoup et l'arrivée de Zeus n'était pas des plus agréables. Heureusement, il avait conscience que cette fureur ne lui était pas destinée. Avec son calme et sa douce froideur habituelle, Athéna intervint.

-Mon père, Hermès a certainement des précisions à apporter.

Zeus s'assit sur le trône.

-Bien Hermès, je t'écoute. Tu dois avoir hâte d'aller te reposer.
-Grand souverain, comme vous me l'aviez ordonnez, je me suis rendu au royaume des morts afin de m'entretenir avec votre frère, le prince Hadès. Mais à ma grande surprise, l'entrée m'en a été interdite. J'ai eu beau préciser que ma présence était l'affaire de votre volonté, puissant Zeus, mais je n'obtins que sarcasmes des spectres qui gardaient l'entrée.
-Quels sarcasmes ? Coupa Poséidon, outré.

Hermès prit un air embarrassé.

-Cela n'a pas d'importance pour le moment, reprit Zeus qui tentait de se contenir du mieux qu'il put. Les inepties des spectres m'importent peu. Continue.
-J'ai donc décidé de recourir à la force. N'ayant eu aucun mal à neutraliser ces idiots qui me barraient la route, je suis entré.
-Cet acte était fort courageux, mais fort mal inspiré, fit Athéna. Tu as toi-même déclenché les hostilités. Il n'appartient pas au messager de prendre de telles décisions.
-Athéna a raison, poursuivit Zeus. C'était une maladresse, mais peut-être que dans le fond, cela n'aurait rien changé à l'issue. J'écoute la suite.
" Alors que je posais mes premiers pas derrière la porte, une détonation assourdissante me projeta à terre. Lorsque j'ai relevé les yeux, je vis la silhouette de votre frère s'approcher calmement. Il dit alors en marchant : " Ainsi, mon frère m'envoie son serviteur me défier. Quel manque de considération de sa part ! " Son allure a profondément changé. Son regard était extrêmement lourd. Me relevant, j'allais tenter de lancer le dialogue lorsque ma langue se figea. J'étais pétrifié. Moi, le messager des dieux, ne pesait pas lourd face à la puissance de l'un des trois aînés de l'Olympe. J'étais totalement à sa merci. Avec un air grave, il prononça ces mots : " Il n'est nul besoin de discuter. Je n'apprécie pas que l'on enfonce ma porte et agresse mes gardes. Tout messager de Zeus que tu sois, tu n'es pas le bienvenu ! " Me préparant à recevoir son coup, je levai tant bien que mal les poings. Calmement, il sortit son épée du fourreau. Puis tendant la lame vers moi il dit : " A présent, tu vas payer le prix de ton insolence… " En un éclair, les rayons de sa lame traversèrent mon corps et ma cuirasse explosa. La douleur était atroce et je crus que ce fut la fin pour moi. Je crois alors que j'ai perdu connaissance à cet instant car je ne me souviens plus de la suite. J'ignore combien de temps cela a duré mais à mon réveil, j'étais enchaîné à une énorme pierre. Tel le titan Prométhée, j'étais situé au sommet d'un pic rocheux. A l'horizon, très loin devant moi, pouvais-je distinguer les silhouettes du Mont Olympe et de la Grande Citadelle d'Or. Hadès se tenait près de moi. Il semblait m'observer depuis un moment, attendant sans doute mon réveil. Il dit alors d'un ton sinistre : " N'est-ce pas une vue splendide que je t'offre là ? Regarde devant toi. D'ici tu pourras contempler la chute de l'Olympe. Tiens-toi tranquille, et peut-être déciderais-je avec clémence de ton sort après ma victoire. Adieu ! " Sur ce, il disparut. J'essayai alors de rassembler mes dernières forces pour me libérer. Mais tandis que je concentrais mon cosmos, les blessures causées par la lame noire s'ouvrirent horriblement et le sang jaillit en flot hors de mon corps. A cet instant, je perdis à nouveau connaissance. "

Hermès se tut et tomba à genou, à bout de force. Il était extrêmement pâle. Poséidon se précipita pour l'aider à se maintenir. Zeus fit signe aux gardes de l'emmener.

-Veillez bien sur lui.

Hermès semblait user de ses dernières volontés pour prononcer encore quelques mots. Zeus lui fit signe de se taire.

-Repose-toi, mon ami. Tu as parfaitement accompli ton devoir. Désormais, les choses sont claires.

Poséidon revint vers son frère.

-Oui, en fait Hadès s'est simplement servi du pauvre Hermès pour nous délivrer son message. Il l'a laissé sur ce rocher sachant que nous le retrouverions.
-Néanmoins lorsque sur les indications d'Hélios, je l'ai retrouvé, fit Athéna, presque tout son sang recouvrait le rocher. Il n'est pas certain qu'Hadès se soit inquiété du fait que nous le retrouvions mort ou vif ; ce qui est hasardeux de sa part.
-Probablement pas, rétorqua Zeus. Le message d'Hadès est un message de mort et de destruction. Il veut nous prévenir que la guerre est imminente.
-A ce propos, fit Poséidon, je trouve étrange qu'il tienne tant que cela à nous prévenir. Pourquoi n'a-t-il pas simplement planifié une attaque surprise ?
-Oui, je reconnais, acquiesça Athéna, que son comportement raconté par Hermès apparaît assez étrange. C'est comme si son esprit était perturbé. Il ne ressemble pas à celui que nous connaissons. Il doit bien savoir que la guerre contre l'Olympe est une pure folie. Quelque chose lui aurait-il fait perdre la raison ?
-Hadès ne possède pas ta sagesse, Athéna, ironisa Poséidon.

Zeus se leva de son siège.

-Quoi qu'il en soit, la menace que fait planer Hadès ne peut être prise à la légère. Cela aussi serait une pure folie. Son armée est puissante. Et à chaque instant qui s'écoule, elle s'agrandit d'avantage. Nul ne peut vraiment savoir à quoi s'en tenir. Par ailleurs, s'il est aisé pour lui d'apparaître n'importe où sur terre, prendre d'assaut le monde des morts est une entreprise autrement plus périlleuse pour nous tous. Nous ne pouvons donc que l'attendre. Enfin, je dois dire que son comportement me préoccupe beaucoup. Et si, plus que la victoire, il recherchait d'avantage la destruction de tous ? …

Le silence s'abattit soudain. Tous trois prirent une expression grave. Et l'angoisse semblait insoutenable….

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Sur la passerelle du navire amiral, se tenait un homme d'une grande taille et à la silhouette noble et élégante. Sa longue chevelure blonde et son teint clair laissaient comprendre qu'il n'était pas d'origine égyptienne. Il était tourné vers la côte mais son regard semblait se porter au delà, vers un vide infini. Son regard ressemblait par certains détails à celui d'Aioros. Un regard triste, et las, comme si cet homme n'avait pas sa véritable place sur ce navire. Seth, le frère du Pharaon, s'approcha de lui.

-Et bien, commandant, on dirait bien que la côte est déserte. Ces rats auraient-ils quelque peu abandonné leur poste à notre vue ?
-Ne te méprend pas Seth, répondit l'homme. Le lieu n'est pas désert. Je ressens une forte présence, une énergie formidable que tu ne peux même pas imaginer. Cela me préoccupe. Je ne crois pas qu'il soit bon de débarquer inconsciemment.
-Ah, oui ! J'avais oublié tes talents de sorcier. C'est pour cette raison que notre Pharaon a fait de l'esclave que tu es toujours un commandant. Mais n'oublie pas ton véritable rang !

Quelques-uns des soldats présents regardèrent en directions des deux hommes. Ils semblaient gênés par les propos de leur prince. En fait, ils portaient bien d'avantage leur commandant dans leur cœur.

-Saga est devenu un commandant par ses mérites, et il est bien plus utile sur ce navire que toi, Seth ! Cécrops sortit de sa loge et toisa son jeune présomptueux d'élève. Il était le professeur de Seth et aussi un proche conseiller de Pharaon. Il s'agissait de l'une des rares personnes que Seth était contraint de respecter. Celui-ci ravala sa colère et s'éloigna d'un œil mauvais.
-Merci, maître, fit Saga, il a faillit anéantir le peu de moral qui me restait.
-Seth n'est qu'un jeune écervelé, et qui plus est, plein d'ambition. Notre Pharaon a été bien mal inspiré de l'envoyer avec nous.
-Notre souverain souhaite que son jeune frère puisse tirer des enseignements de cette expédition.
-Hélas, fit Cécrops, un être qui estime son savoir parfait ne peut en apprendre d'avantage. Pour être son professeur, j'en sais quelque chose.

Soudain, Cécrops retint sa respiration. Il lança un regard inquiet vers la côte.

-Tu l'as senti, toi aussi, demanda Saga sans lâcher la côte des yeux, cette énergie inquiétante que bien peu d'humains possèdent.

Pendant un long moment, Cécrops observait en silence. Il paraissait très préoccupé et semblait plongé dans ses pensées. Finalement, il se tourna vers Saga.

-Oui. Je ne pense pas qu'il soit bon de risquer inutilement la vie de nos hommes. Je vais m'y rendre moi-même et tâcher de parlementer. A mon avis, lui ou eux, ont sûrement du ressentir notre présence également.

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Poséidon se tenait près de Zeus, sur le sommet du mont Olympe. Il avait revêtu son uniforme de guerre, l'écaille de mer impériale. C'était une armure majestueuse et resplendissante, aux couleurs d'un poisson d'or. Les bordures étaient travaillées avec une finesse étonnante pour une tenue de combat. Sa main droite serrait un lourd trident d'or tandis que son bras gauche portait son casque. L'heure semblait grave. C'est du moins ce que l'on pouvait lire sur le visage des dieux. Soudain, tous deux tournèrent la tête vers la même direction. Athéna venait d'arriver, elle aussi revêtue de son armure divine, scintillante comme de l'or claire. La qualité du détail était encore plus travaillée et plus raffinée que sur l'armure de Poséidon. De son dos surgissait de grandes et fines ailes d'or qui retombait jusqu'au sol. Et cela ne semblait nullement indisposer la déesse dans sa mouvance. Bien au contraire, elle était d'une grâce infinie. Sa main gauche tenait un grand bouclier rond tandis que dans sa main droite se trouvait une lance acérée. Elle s'approcha puis s'arrêta sans dire mot. Zeus se retourna pour contempler l'horizon.

-Athéna, c'est toi que j'ai choisi pour aller sur les terres.

Athéna ne laissa rien échapper de ses pensées. Elle semblait simplement attendre la suite des instructions.

-Attend, Zeus ! s'exclama soudainement Poséidon. Ne crois-tu pas que la menace que fait planer Hadès mérite d'être mieux considérée ?

Sans surprise, Athéna, tourna calmement le regard vers Poséidon, comme si elle s'attendait parfaitement à sa réaction.

-Crois-tu vraiment qu'une fillette puisse assumer la défense de la Terre ? Qui plus est, face au seigneur de la mort ?

Athéna ferma les yeux et esquissa un sourire moqueur. Elle savait que la décision de son père était de toute façon irrévocable et que son pauvre oncle se donnait du mal pour rien.

-Poséidon mon frère, tu pêches par orgueil. Tu es l'empereur des océans. C'est là bas qu'est ta place. Ne crois-tu pas que cette responsabilité soit suffisamment lourde ? Le sanctuaire sous-marin est lui aussi menacé, l'aurais-tu oublié ? Par ailleurs, Athéna est la déesse de la guerre. Elle mérite le respect.
-Certes, repris Poséidon plus calmement, certes pour le respect… Mais une armée d'humains ne repoussera jamais un seul spectre.
-Le temps viendra où Athéna saura former sa propre armée elle aussi. Et ses combattants seront aussi puissants que tes marinas. Lorsque vous serez deux puissants alliés protégeant la Terre, vous comprendrez que ma décision n'était pas si absurde.

Poséidon se tut et s'inclina. Mais la perspective que semblait projeter Zeus ne lui plaisait pas beaucoup.

-Quant à toi Athéna, repris Zeus se tournant vers elle, tu dois dès maintenant choisir une cité où établir ton bastion. Ce lieu devra faire resplendir toute ta puissance sur le monde des hommes, et pour l'éternité.
-Le sanctuaire d'Athéna… murmura doucement la déesse.

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La petite embarcation allait toucher le sable chaud. Aioros attendait seul sur la plage. Il avait ressenti deux puissantes cosmo-énergies en provenance des navires et il avait deviné que l'un d'eux s'approchait sans laisser échapper d'émanations violentes. A n'en pas douter, c'était un parlementaire. Trois hommes descendirent de la barque. Le quatrième, le rameur, attendait. Cécrops, accompagné de deux soldats approcha, d'un air serein.

-Salut à toi, noble combattant, dit-il respectueusement. Ma présence ici a pour but de trouver un accord avec toi et tes valeureux hommes qui puisse être profitable à chacun de nous. Comme tu le vois, la flotte égyptienne est arrivée en grand nombre, et nous sommes en position de force. D'autre part, n'espèrent pas fuir par le nord, car nos troupes y stationnent. Autrement dit, vous êtes cernés.

Aioros garda un visage de pierre. Il ne laissa pas échapper la moindre pensée ni la moindre émotion.

-Ma proposition est simple, reprit Cécrops. Déposez les armes, et il ne vous sera fait aucun mal.
-Qu'adviendra-t-il de mes hommes ?
-Ils seront faits prisonniers et seront emmenés en Egypte. Je ne peux malheureusement proposer mieux. Néanmoins, tu as ma parole qu'ils seront bien traités. J'y veillerai personnellement.

Aioros aimait le style de Cécrops. Car celui-ci n'employait aucun subterfuge. Sa voix n'était pas mielleuse mais sincère et droite. Néanmoins, il ne peut décider de l'esclavage de ses hommes à leur place. Pharaon n'était pas réputé pour sa clémence. Il ne doutait pas de la bonne foi de Cécrops mais du poids qu'il pourrait avoir à la cour. Pour sa part, il refuse l'idée même de la servitude.

-Revient demain, lança-t-il soudain. Les hommes qui auront choisi de se rendre seront sur la plage, les armes à terre. Ceux qui choisiront de combattre vous attendront au fort.

Le visage de Cécrops sembla alors exprimer une étrange satisfaction, comme si la réponse de son interlocuteur était celle qu'il attendait. Aioros s'en retourna au fort de la falaise, Cécrops rentra au navire. Le destin était en route et seuls les dieux sauront en inverser le cours.
Mais la nuit porte conseil dit-on. Sous la lueur des étoiles, Saga veillait impassiblement sur le pont. Il méditait en regardant la côte. Un lourd silence semblait y régner. Qu'étaient donc ces hommes qui attendent la mort avec un tel calme ? Ceux-là même qu'il devra sans doute tuer de ces propres mains ? Il a toujours détesté les armes car elles peuvent tuer ou mutiler sans demander l'avis de ceux qui les manient. L'épée n'est pas le prolongement du corps du combattant. C'est un pur objet de destruction. Mais Saga maîtrisait les flux d'énergie qui parcouraient son corps de façon à en faire une arme redoutable. Ainsi pouvait-il tuer ou simplement neutraliser ses adversaires selon sa propre volonté. En contrepartie, il ne peut se déresponsabiliser de la mort qu'il donne contrairement à un soldat qui agite sa lame dans tous les sens au sein d'une mêlée. Oui, chaque vie qu'il retire s'ajoutait à sa conscience. Il était toujours contraint de plonger dans le regard de chaque ennemi qu'il tuait, et d'y voir la lumière s'éteindre… Cela lui pesait lourd sur les épaules mais il préférait cela à l'idée d'un carnage aveugle. C'était sa façon d'assumer la responsabilité d'un criminel. Ainsi lorsque le juge des enfers rendra son verdict pourra-t-il au moins lui répondre : " Oui, je le sais. "
L'aube était sur le point de se lever et Saga n'a pas dormi de la nuit. Il ne parvenait pas à trouver le calme en lui. Ses pensées s'agitaient anormalement. Il se sentait étrangement excité, tel un enfant voulant aller rejoindre un compagnon de jeu. Un très ancien compagnon de jeu. Il était presque frustré de ne pas avoir accompagné Cécrops la veille. Il ne pouvait se l'expliquer, mais il se sentait étrangement attiré par la côte. Il désirait ardemment rencontrer ces deux hommes dont la cosmo-énergie lui semblait si familière, si proche de la sienne. Ne serait-ce que pour voir à quoi ils ressemblaient ; oui, ça en était presque puéril. La lueur de l'aube fit apparaître une fine ligne blanche à l'horizon, scindant le ciel et l'océan. Les rayons du soleil semblèrent s'élancer vers toutes les directions réchauffant la froide lueur des étoiles. Les constellations des Gémeaux, du Sagittaire et du Lion irradièrent d'une puissante lueur d'or. Elles semblaient se faire face dans le ciel. Saga ne put attendre d'avantage. Il ne voulait pas que ses hommes débarquent. Il se dirigea seul et en silence vers la barque et décida de suivre cet irrésistible appel du destin. Les gardes qui veillaient le regardèrent d'un air étonné mais il leur fit signe de poursuivre la ronde.

-Saga, tu t'es donc décidé ? Cécrops apparut. Depuis le début, cette guerre te répugnait. Tu étais venu là uniquement pour eux, n'est-ce pas ?

Saga ne sembla nullement surpris par cette remarque. Cécrops était un oracle et un sage extrêmement respecté. Sa perspicacité et sa lucidité étaient légendaire. Il avait su lire dans le cœur de Saga sans que celui-ci ne s'en rende compte et y voir des choses qui échappaient à Saga lui-même.

-J'ignore si je suis venu pour quelqu'un, mais quelque chose m'appelle, c'est certain.

Cécrops eut un sourire bienveillant, comme s'il contemplait son propre fils. Son visage était d'une grande douceur.

-Alors va, va et trouve l'objet de ta quête. Ce à quoi ta véritable existence est destinée.

Sans se retourner Saga sauta sur l'embarcation. Un des gardes arriva mais Cécrops lui demanda de le laisser. Puis tournant le regard vers son jeune protégé qui s'éloignait seul, il dit doucement : " Puisse la prophétie se réaliser, princesse Athéna. Puisse ta lueur nous hisser hors des ténèbres. "

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Du haut de la tour de guet, la sentinelle s'écria : " Une petite embarcation s'approche commandant ! " La faible lueur de l'aurore qui inondait déjà la surface de l'océan laissait apparaître une silhouette sombre qui s'approchait lentement. Aioros descendit seul sur la plage. Lui aussi avait entendu l'appel du destin. Toute la nuit, il a éprouvé des sensations étranges. Aiolia était encore jeune et il fut moins réceptif à ses signaux. Son frère aîné lui a ordonné de demeurer au fort.
L'inconnu sauta hors de l'embarcation. Il avait de l'eau jusqu'à la taille. Sa longue chevelure d'or se laissait bercer par les vagues. Il était fort bel homme et ses traits étaient d'une grande délicatesse, ce qui contrastait avec son regard d'un bleu froid et déterminé. Il avait le regard impénétrable de tous les grands guerriers. Lorsqu'il vit Aioros, ses pensées se troublèrent. Etrangement, il y a peu, il jubilait inconsciemment comme s'il allait revoir des êtres chers après une longue période de séparation. Mais la personne qui était en face avait le regard aussi froid que lui. Son visage était celui d'un parfait inconnu. Et son uniforme était celui d'un ennemi. Alors, la fierté et l'orgueil refoulèrent toutes inspirations créatrices et le ramenèrent à la routine ordinaire, ennuyeuse. Il était venu pour le défier et le tuer, tout simplement. Il ferma les yeux et intensifia son cosmos. Aioros fut impressionné par cette émanation. Les ondes qui sortaient de Saga étaient extrêmement virulentes. Soudain la mer se dispersa autour de lui et une vague alla s'abattre sur son adversaire. Ce n'était qu'un test et la vague explosa sans frôler Aioros. Saga sourit, il ne s'était pas trompé sur les capacités d'Aioros.

-Je suis surpris de voir que tu maîtrises ce genre de technique. C'est la première fois que je rencontre quelqu'un comme toi. J'ignorais que cela était enseigné au sein de l'armée mésopotamienne.
-Tu as raison, ce n'est pas au sein de l'armée que j'ai découvert cela… Le reste ne te concerne pas.
-En effet, d'ailleurs je ne comptais pas t'en demander d'avantage. Prépare-toi !

Saga jeta son glaive. Il détacha les lacets de son plastron et le laissa tomber sous l'eau. Il le provoquait en duel. Aioros retira lui aussi son armure. Tous deux se dressèrent face à face, torse nu. L'énergie qu'ils dégageaient tous deux s'amplifiait à une vitesse colossale. Là encore, il s'agissait d'un test, d'une épreuve d'intimidation. Ils étaient comme deux titans se rencontrant pour la première fois. Aucun des deux n'a encore affronté d'adversaire de ce type, et ils allaient peut-être devoir mobiliser bien plus d'énergie qu'ils n'ont jamais eu à le faire. Ils ignoraient totalement quel pourrait être l'issu d'un tel combat. Soudain, Saga croisa les bras au-dessus de sa tête. Aioros écarquilla les yeux. " Galaxian explosion ! " La détonation fut assourdissante. La mer fut projetée sur un rayon de dix mètres. Aioros avait su distinguer les boules de lumière filant droit vers lui. Il se protégea de ses bras mais son corps fut soufflé comme un fétu de paille et alla s'écraser sur la falaise, deux cent mètres plus loin. Il retomba sur le sable et son corps fut enseveli sous les énormes blocs de calcaire qui s'effondraient après l'impact. Des cris d'horreur s'élevèrent depuis le fort. Les soldats mésopotamiens étaient à la fois apeurés et ébahis. Ils crurent qu'un dieu était venu les châtier et que leur commandant venait quitter ce monde. Saga sortit de l'eau et avança calmement vers le talus. Soudain, une silhouette se jeta au-dessus des remparts du fort et fondit sur lui tel un fauve affamé. " Lightning bolt ! " Saga fit un énorme bond en arrière et se réceptionna à genou. A l'endroit où il se trouvait une demi-seconde plus tôt, un cratère fumant avait creusé le sable.

-Pas mal du tout. Ainsi c'est toi le deuxième que je vais devoir tuer ? Mais tu me parais bien jeune. Es-tu sûr de vouloir insister ?
-Garde ta salive, je n'ai nul envie de discuter ! Meurs ! Lightning bolt !

Le jeune Aiolia engagea toute sa force. Il chargeait tel un lion enragé et le sable se souleva en trombe sur la trajectoire de son attaque masquant ainsi la scène. Mais lorsque la visibilité se rétablit, Saga avait disparu et la boule d'énergie avait filé au-dessus de la mer et s'était dissipée. Aiolia regarda partout aux alentours, il n'en crut pas ses yeux.

-Je t'avais dit que tu es encore trop jeune. Tes coups sont d'une lenteur déplorable.

Aiolia leva la tête. Saga était perché au sommet de la falaise. Les soldats étaient terrorisés et certains coururent se terrer où ils pouvaient.

-Petit, tu as encore beaucoup de chose à apprendre. Ta vie ne devrait pas s'arrêter aussi bêtement.
-Tais-toi ! Tu crois que je vais abandonner mon frère ?
-Aiolia, recule immédiatement ! Je t'avais dit de rester au fort !

Des traits de lumière s'échappèrent du talus où était enterré Aioros. Puis les blocs s'éparpillèrent dans une grande déflagration. Aiolia lui-même était surpris. Aioros sortit, mais il paraissait épuisé.

-En garde ! Tâche de survivre toi aussi !

Se redressant, il poussa un puissant cris de rage ce qui libéra une violente onde de choc. Son cosmos était sur le point d'exploser. Plaçant son poing gauche à l'avant et son poing droit à la hanche il bondit vers Saga. " Lightning bolt ! " La puissance fut phénoménale. Les soldats se jetèrent au sol et se bouchèrent les oreilles. Aiolia se protégea les yeux.
Depuis le navire amiral, Cécrops observa l'immense aura aveuglante avaler une bonne partie de la plage. La secousse provoqua de violentes vagues qui manquèrent de peu d'envoyer des soldats par-dessus bord. Seth sortit de sa cabine en courant.

-Maître ! Maître ! Que se passe-t-il ici ?

Il se tut brusquement et écarquilla les yeux devant le spectacle qui s'offrait au loin. Il ne sentait plus ses jambes, et manqua de perdre l'équilibre. Il laissa échapper quelques mots.

-Maître… Mais enfin…
-Tiens-toi tranquille Seth. Saga ne fait qu'accomplir le destin que les dieux lui ont choisi.

Aioros tomba à genoux sur la plage, totalement à bout de force. Sa main droite serrait fortement son cœur et sa bouche était grande ouverte, comme s'il peinait à respirer. Il essayait d'avaler un maximum d'air. Il toussa puis cracha du sang. Cette fois il était allé beaucoup trop loin, bien au-delà de ce qu'un corps humain pouvait supporter. Aiolia se précipita vers son frère. Saga s'approcha, le regard porté vers le ciel.

-Crois-tu au destin Aioros ? Ne trouve-tu pas étrange que deux hommes comme nous se retrouvent face à face aujourd'hui ?
-Tu penses que c'est là la volonté des dieux ? Que l'un de nous doive mourir aujourd'hui ?
-Les dieux sont cruels, et nous, nous ne choisissons pas notre destin. Nous sommes condamnés à nous battre. La mort seule abrègera nos tourments.
-Nous pouvons croire en un monde meilleur ! C'est nous qui choisissons !
-Tel était donc ton choix. La puissance de ton coup était colossale. Jamais je n'aurais du survivre, et pourtant je n'ai aucune égratignure. Tu l'as dévié au dernier moment car tu n'arrivais pas à te décider ; c'est là une faiblesse fatale pour un soldat !
-J'ai compris au dernier moment que je n'ai aucune raison de te tuer, tout comme toi, c'est une certitude profonde.
-Et que propose-tu ? de déserter ?
-Je n'en sais rien ! Mais toi aussi tu ressens cette émotion étrange, n'est-ce pas ? C'est pour cette raison que tu es venu nous chercher !

Aiolia était particulièrement nerveux. Il ne savait pas s'il devait passer à l'attaque ou laisser son frère tenter de convaincre son interlocuteur. Saga fixa silencieusement Aioros. La barrière opaque de son regard semblait s'ébrécher. Aioros crut pouvoir lire le doute à travers ses yeux. Ce doute qui existait depuis le début mais qui était refoulé par la peur de souffrir. Puis le voile s'abaissa à nouveau et Saga redevint un soldat implacable. Il avait trop souffert depuis son enfance. Il ne pouvait croire en les paroles d'Aioros. C'était de l'idiotie. Mais Aioros pouvait déchiffrer et comprendre les sentiments de Saga car lui aussi y a souvent été confronté. Alors, il s'écria :

" Pense-tu être le seul a avoir connu la souffrance ? Ne peux-tu lire dans mon regard et comprendre les liens qui nous rapprochent ? Le malheur ne doit pas nous interdire de croire en autre chose ! "

Soudain, une puissante voie raisonna du plus profond de l'océan, tel un tonnerre faisant trembler le ciel.

" Croire est une chose, mais la réalité, tu y es confronté depuis ta plus tendre enfance, Saga ! "

Les trois hommes se tournèrent vers la mer, surpris. Depuis leurs navires, les égyptiens entendirent aussi ces paroles. Du haut des remparts du fort, des têtes se penchèrent pour écouter la suite.

" Saga, c'est ta force qui a fait de toi ce superbe commandant, ce ne sont pas tes rêves. Et c'est encore une fois ta force qui fera de toi le vainqueur aujourd'hui. Les rêves d'Aioros s'arrêteront avec sa vie, ta force elle, continuera d'exister car tu continueras d'exister. Ta place n'est pas auprès des hommes médiocres ! "

Saga s'avança vers la mer, ravalant sa peur.

-Qui es tu donc ? Que veux-tu exactement ?
-Je vois que ta force nourrit ton courage. Je suis celui qui sait reconnaître les grands hommes de la vermine. Rejoins moi, Saga, et tu endosseras la tenue de mes généraux ! Le plus grand gage de ta puissance véritable ! Oui, tu cesseras d'être un humain ordinaire et deviendras un marina ainsi que le roi de ces terres !

Les trois hommes écarquillèrent les yeux. Depuis le navire, Cécrops eut un air d'effroi. Ce n'était pas ainsi qu'il souhaitait voir tourner les choses. " Puissante déesse ! Pourquoi demeure-tu sourde à l'appel de tes fils ? "

" Poséidon, l'empereur des mers et des océans… Celui que tous les marins redoutent… " Saga eut presque un sourire amusé en prononçant ces mots.
-Et que dois-je faire pour rejoindre tes rangs de marinas ?
-Je ne peux accepter que les vrais guerriers à mes côtés. Réussi donc là où Aioros a échoué ! Montre-moi la véritable force des vainqueurs !

Saga s'attendait parfaitement à cette réponse. Il esquissa un nouveau sourire. Mais ce sourire était rempli de désespoir. Il en avait assez. Que devait-il choisir ? Restez prisonnier du sort des humains, et continuer à obéir aux intérêts d'un monarque quelconque ? Continuer à tuer pour des motifs douteux ? Ou bien faire la même chose mais auprès d'un dieu ? Il profiterait cependant d'une stature supérieure, lui dit Poséidon. Est-ce là l'objet de sa quête ? Est-ce là l'aboutissement de son voyage ? Au bout du compte, voilà les seuls choix qui s'offrent à lui. Que tout cela est ridicule ! Toute sa vie a été ridicule. Une faible voix se fit entendre non loin de lui. " Saga ! La force, oui ! Mais ne crois-tu pas que notre force devrait être mise au service de ce qui a toujours manqué dans notre vie ? A quoi bon posséder une force qui ne sert à répandre que du malheur ? " Aioros, celui qui aurait pu être son meilleur ami… Oui, sa quête n'est qu'une chimère. " Saga, notre rencontre n'est pas le fruit du hasard ! Tu le sais ! Cela ne peut se finir par un bain de sang ! Ce serait trop ridicule ! " Oui, ridicule. Comme toute sa vie… Assez ! Il continua d'avancer vers la mer.

" Poséidon ! Si le destin des hommes comme Aioros est de périr à cause de leur faiblesse…alors…alors… " Il se retourna vers Aioros. Aiolia se dressa devant son frère, la gorge serrée. Aioros lui, le regardait d'un air étrangement serein. Comme Saga enviait cette sérénité… Il se retourna vers les flots, et hurla : " Alors je choisis de périr à ses côtés ! "

L'orage éclata. Un gigantesque tourbillon se format à la surface de l'eau, puis s'étira vers le ciel. Il s'approcha alors de la plage où se trouvait les trois hommes. Les soldats du fort, apeurés, franchirent les remparts et s'enfuirent en hurlant.

" Stupide humain ! Tonna Poséidon. La faiblesse et la stupidité sont vos caractères propres à tous. Disparaissez ! "
" Galaxian explosion ! " Les jets de lumière de Saga se dissipèrent immédiatement. Tout comme Aioros et Aiolia, il était un humain aux pouvoirs exceptionnels, mais sa cosmo-énergie était tout à fait ridicule face au souffle d'un dieu. Le tourbillon était proche. Et des trompes d'eau s'écrasaient à grand fracas sur la plage.
" Va-t'en Saga ! Ne reste pas là ! Je crois que je n'en ai plus pour très longtemps ! "

Aiolia serra fort son frère dans ses bras. Saga contempla la scène et se mit à sourire tendrement. Il semblait enfin goûter à cette fameuse sérénité. C'est une sensation de quiétude extrême que l'on ressent lorsque l'on sait que l'on a fait tout ce qui avait à faire, et que l'on a préservé en soi l'essentiel. Il n'y a plus rien auquel on tienne et que l'on puisse perdre.
" Désormais, tous les trois, nous combattrons côte à côte pour l'éternité. " Aioros fit signe à Aiolia de suivre Saga. " Bien, rassemble tes dernières forces. " Saga et Aiolia firent barrière pour protéger Aioros. Ils intensifièrent leur cosmos jusqu'au maximum de leur possibilité. " Lightning Bolt ! " " Galaxian explosion ! " La puissance conjuguée des deux attaques ne forma bientôt plus qu'un seul et même jet de lumière d'une puissance inouïe. Le tourbillon sembla un instant freiner sa course puis s'arrêta. Mais son intensité ne faiblissait pas. " Ha ! Ha ! Ha ! Vos misérables forces m'amusent ! Combien de temps pensez-vous tenir ainsi ? " Saga commençait à fléchir. Il tituba. " Non, non, il faut tenir aussi longtemps que nous vivrons ! Nous ne pouvons pas baisser les bras alors que nous nous rencontrons enfin ! Même face à un dieu ! " Aiolia était lui aussi à bout de force. L'attaque lumineuse s'éparpilla. Le gigantesque tourbillon allait s'abattre sur eux. " Non, Poséidon ! Tu n'as pas le droit ! " Une boule d'énergie engloba les trois hommes. Et le tourbillon s'abattit dessus avec une violence inouïe. Toute la bordure de la falaise s'écroula emportant avec elle les pierres du rempart. Mais lorsque tout fut terminé, Aioros, Aiolia et Saga furent étendus sur le sable. Autour du groupe, se dessinait sur le sol un grand cercle. Cécrops s'avança vers eux.

-Poséidon, ta place n'es pas ici, retourne d'où tu viens. Tu as suffisamment fait souffrir les humains, à présent laisse-les.

La mer demeura silencieuse. Cécrops reprit.

-Ils t'ont montré qu'ils ne désiraient pas se rattacher à toi. Alors à quoi bon les malmener ? Les humains ont le droit de choisir. Et puis leur bravoure ne mérite-t-elle pas ton respect ?
-Oui, Cécrops a raison, fit soudainement une voix dont la douceur était telle une perle au milieu de ces décombres à la vision apocalyptique. Au son de cette voix, les trois jeunes hommes étendus se réveillèrent, comme si un appel profond venait de les hisser hors de la torpeur, pansant leurs innombrables blessures, et soulageant leur douleur. Cécrops eut des larmes aux yeux. La voix reprit.
-Poséidon, tu dois admettre le résultat de l'épreuve que tu leur as infligé. Les humains t'ont prouvé qu'ils étaient dignes de protéger la Terre car ils sont capables de compassion. Maintenant, tu n'as plus rien à faire ici, retourne au sanctuaire sous-marin.

La mer s'agita. On eut cru entendre un rire.

-J'admets que tu marques un point, Athéna, répondit Poséidon. Soit, je retourne dans mon royaume. Mais méfie-toi, nous verrons bientôt si tes humains sont aptes ou non à protéger la Terre. A bientôt !

La plage redevint calme. Sortant de nul part, une jeune fille s'approcha des quatre hommes. Elle était d'une beauté à couper le souffle. Son armure resplendissait tel le soleil. Et cette lumière, tel un phare guidant les navigateurs perdus, réchauffait les cœurs meurtris. Au loin, revenaient les soldats qui se sont enfuis. Les villageois qui avaient l'habitude de se terrer pour échapper au chaos de la guerre sortirent, étonnés. Les égyptiens débarquaient sur la plage et s'approchèrent timidement, parmi eux, Seth était encore tout abasourdi. Athéna fut bientôt le noyau lumineux d'un immense attroupement d'hommes, de femmes et d'enfants, animés par une étrange curiosité. Tous, sentirent un profond réconfort dans leur cœur. C'était un instant qui rendait tout espoir possible. Cécrops s'inclina respectueusement devant la déesse. Athéna lui rendit amicalement son salut. Ils semblaient parfaitement se connaître. Saga et Aiolia aidèrent Aioros à se relever. Tous trois se dirigèrent vers Athéna, puis se mettant à genoux, lui dire : " Alors c'était donc toi, Athéna, celle que nous recherchions depuis le début de notre vie. Ta cosmo-énergie est si semblable à cette formidable lumière qui sut en tout temps nous guider à travers les ténèbres. Oui, c'est à toi seule Athéna que nous confions notre existence, car il n'y a qu'auprès de toi que l'existence prend un sens. " Les mots n'étaient pas prémédités. Ce furent des paroles innées, comme si elles sortaient directement de leur cœur. Ils n'eurent pas à réfléchir, car dès l'instant où ils l'aperçurent, les choses étaient devenues parfaitement claires. Athéna leur sourit tendrement. Elle posa sa main droite sur leurs épaules gauches, puis prenant un air grave, elle leur dit :

-Vous le savez, si le destin a fait en sorte que nos chemins se croisent aujourd'hui, c'est pour de bien sombres raisons. Etes-vous prêts à livrer bataille à mes côtés ?
-Nous sommes des soldats, répondit Aioros en levant vers elle un regard plein de dévotion, ce ne sont pas les batailles qui nous font reculer mais l'absence de foi. Tant que ta lumière nous guidera, jamais nous ne fléchirons. Nous en faisons le serment.

Athéna leva le regard vers les cieux. " Père, une nouvelle génération de combattants est sur le point d'apparaître. Je ferai comme tu me l'as demandé. Je fonderai une nouvelle cité sur ces terres et veillerai à ce que jamais le mal ne puisse la souiller. Une grande guerre est sur le point d'apparaître. Et beaucoup de gens souffriront et mourront. Mais je veillerai sur les hommes comme tu me l'as demandé. " Athéna regarda autour d'elle. Les hommes et les femmes de tous lieux s'étaient unis autour d'elle. La déesse sourit. " Oui, les hommes peuvent s'aimer. Alors profitons de cet instant pour célébrer la paix entre les frères et sœurs qui se retrouvent et se reconnaissent enfin. "
Une lumière apparut du haut de la falaise, sur les décombres de l'ancien fort. Les blocs de pierre bougèrent comme si quelque chose poussait en dessous. Soudain, apparut une frêle tige verte. Tous portèrent un regard attentif. La tige verte grandit lentement, timidement, mais finalement, elle devint un arbre. C'était un olivier. Un magnifique olivier. Et ses feuilles d'un vert encore tendre rayonnait d'une jeunesse pleine de vigueur. Les hommes et les femmes eurent alors un sourire émerveillé. Cécrops prit la parole :

Athéna, puisse ta sagesse imprégner à jamais le sol de la toute jeune Athènes.

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Cette fiction est copyright Vitony Y.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.