Chapitre 1 : Bienvenue en Asgard...


Le Carrosse avait quitté Ichtenheim depuis déjà presque six heures et n'avait pour le moment fait encore aucune halte. Sans doute le cocher n'avait-il pas pour habitude d'être en retard et désirait sûrement plus que tout arriver à bon port, s'épargnant ainsi la morsure prolongée et glacée de la neige qui tombait en épais flocons, et du froid intense qui semblait cristalliser jusqu'à l'air lui-même…
Mais ce n'était ni ce froid, ni ce vent, ni cette neige, qui le poussaient à en demander autant à ses pauvres chevaux, mais bien les deux personnes qu'il devait conduire jusqu'en Asgard...deux dignitaires de la plus haute importance pour le royaume tout entier, deux jeunes femmes qui allaient jouer un rôle primordial dans l'équilibre fragile du monde...
Il savait à quel point leur vie avait plus de valeur que la sienne, puisque lui n'était qu'un simple exécutant alors que ses deux "passagères" n'étaient autre que Hilda de Polaris, future Grande Prêtresse d'Odin et la princesse Flamme, sa jeune sœur...

Hilda était perdue dans ses pensées, alors qu'elle regardait par la petite fenêtre de la voiture ces somptueuses et froides étendues qui constituaient son magnifique royaume...
Comme elle pouvait aimer son pays, sa patrie! Elle était née ici, il y a dix-huit ans...et ne connaissait rien d'autre...
Elle ne savait pas même à quoi ressemblait le reste du monde car elle n'avait encore jamais quitté les frontières de sa froide contrée...
Tout ce qu'elle en avait vu, c'était les épais ouvrages de géographie qu'elle avait lus dans la grande bibliothèque de son château d'Ichtenheim qui le lui avaient fait découvrir...
Elle n'avait fait qu'entendre parler de ces verdoyants champs cultivés comme on en trouve dans les pays moins en proie aux rigueurs de l'hiver et du gel; elle n'avait jamais pu, comme les autres jeunes filles de son âge, exposer sa peau délicate aux chauds rayons du soleil, qui lui auraient alors donné une couleur ambrée comme le miel qu'elle avait eu la chance de goûter un jour...
C'est vrai, elle et sa sœur avaient eu l'opportunité, même si elles n'avaient jamais pu visiter ce qu'on appelait communément un verger, de goûter à des pommes acidulées...et même si rien, ou quasiment rien, ne poussait en Asgard, elles avaient aussi pu offrir à leur palais d'enivrantes et inoubliables saveurs: comme celles des oranges, des bananes, des cerises et autres grappes de raisin...
Elle se sentait privilégiée car dans son royaume, peu de gens pouvaient se targuer d'avoir pu un jour s'en délecter...
Elle et sa sœur étaient des princesses, et de ce fait, même si comme tous leurs sujets, elles étaient soumises aux blessures du frimas, elles vivaient mieux, car dans un certain luxe...

Comme elle pouvait se sentir misérable parfois, à profiter de tous ces avantages, alors que pendant ce temps, ses sujets devaient lutter pour survivre...lutter et toujours lutter...
Alors qu'elle vivait confortablement, au chaud, des hommes et des femmes devaient combattre le souffle glacé des Yules...
Alors qu'elle se laissait tenter chaque jour par de nouveaux mets, des enfants mourraient de faim...
Depuis toujours, elle s'était promis de changer tout cela, de soulager un jour son peuple de ce lourd et si épuisant fardeau...

Comme l'exigeait la tradition, elle allait devenir le nouveau Prêtre d'Odin, ou plutôt sa "Grande Prêtresse" , tout comme l'étaient toujours les filles aînées de sa famille, protégées par l'étoile Polaire...
Elle allait succéder à un certain Dolbar, qui avait occupé cette fonction durant presque vingt-et-une années maintenant...
Effectivement, son père avait, tout jeune, perdu sa seule et unique sœur, morte dans d'obscures circonstances...c'est pourquoi, c'est ce Dolbar qui fut nommé par Odin lui-même, dit-on, pour occuper cette illustre fonction...
Mais maintenant, alors qu'elle venait d'avoir sa majorité, elle se sentait prête à embrasser son destin et conduire son peuple vers des jours plus cléments...
Car non seulement la princesse Hilda allait devenir la grande Prêtresse d'Odin mais elle allait aussi devoir endosser le rôle de souverain d'Asgard, l'homme devant devenir roi ayant mystérieusement disparu lui aussi quelques mois auparavant...

La jeune femme sourit alors qu'elle passait une main dans ses longs et lisses cheveux argentés...
Elle allait devenir la souveraine d' Asgard et offrir à son peuple bien-aimé de meilleurs jours...
Elle jeta un rapide coup d'œil en direction de Flamme, sa jeune sœur, son amie de toujours, sa confidente...
Comme à chaque fois qu'elle devait effectuer un long voyage, la jeune fille s'était endormie, insouciante...
Hilda lui adressa un sourire rempli de tendresse, comme elle savait si bien les faire...car comme le disait Siegfried, ce jeune homme qu'elle avait rencontré lors de sa première venue au Palais royal, qu'elle avait souvent revu et avec qui elle correspondait intensément depuis, chacun de ses sourires était comme un plongeon dans une eau limpide et chaude...

"Siegfried"...Elle ne put s'empêcher de penser à lui...à ce jeune garçon, qui était devenu un homme à présent. Combien de temps avait-elle pu passer en sa compagnie?
Cela, elle n'aurait su le dire exactement mais elle savait néanmoins une chose, c'est qu'ils avaient partagé tant de bons moments tous les deux qu'elle se sentait plus proche de lui que d'une quelconque autre personne...
Elle appréciait tant ces instants passés près de lui, sa sincérité , son sens de l'honneur et sa bravoure...
Elle n'était sûrement pas venue plus d'une dizaine de fois dans le Grand Palais d'Asgard, résidence de Dolbar, mais chaque instant qu'elle avait passé là-bas, c'était aux côtés de Siegfried...
Jamais il ne l'avait quittée et même si elle devait regagner au bout d'un moment sa demeure d'Ichtenheim, il continuait à lui écrire...et elle, ne manquait pas de lui répondre...

Mais une inquiétante pensée lui traversa soudain l'esprit...
Et si sa nouvelle fonction, double de surcroît, changeait la nature de leur relation, les éloignant peu à peu, faisant d'eux des étrangers?

Non, cela, la belle Hilda ne voulait, ni ne pouvait le concevoir...
Siegfried était son ami, et jamais elle ne laisserait leurs liens se dénouer...
L'amitié et l'Amour qu'elle éprouvait envers les autres étaient plus forts que tout, et elle s'était juré, malgré la tâche qui lui incombait, d'être toujours là pour eux...
Elle était cependant consciente que son destin était "unique" car en tant que Grande Prêtresse d'Odin, elle ne pourrait jamais mener la vie que mènent les autres jeunes filles de son âge...
Dès l'annonce de son sacre imminent, elle avait décidé qu'elle ferait tout ce qui serait en son pouvoir pour endiguer le mal, et même mieux, faire en sorte qu'il ne franchisse jamais les limites d'Asgard...
Mais elle savait que cela s'avérerait toutefois difficile...et la guerre fratricide qui venait de saigner à blanc le Sanctuaire d'Athéna, la déesse de la guerre, en était la preuve...
Certes, Asgard était un bien petit royaume en comparaison du reste de la Terre, sous la protection de la fille de Zeus, mais n'a-t-on pas l'habitude de dire que le Mal lui, se fiche bien de la taille de l'hôte dans lequel il cherche à se loger... ?

Le carrosse, bien qu'à présent très près du palais Royal, continuait sa folle cavalcade à travers la petite route sinueuse qui traversait les bois.
A l'intérieur, la princesse Flamme dormait toujours et Hilda semblait ne pas pouvoir échapper au tourbillon de ses pensées...
Le cocher, quant à lui, était bien trop occupé à fouetter ses chevaux, pour apercevoir la fine silhouette qui les observait avec attention...

_Alors c'est toi Hilda de Polaris? lâcha l'homme, alors qu'il caressait de chacune de ses mains le dos de deux énormes loups...
Le hurlement inquiétant des bêtes accompagna la question de cet étrange personnage, dont les yeux de fauve ne laissaient transparaître que de la méfiance...


Le jeune homme écarta de sa main droite le rideau, laissant ainsi passer un léger rayon de lumière, qui eut pour effet d'illuminer le visage de sa jeune sœur, assise sur son lit, les jambes recouvertes de ses draps blancs.
Voilà déjà six jours qu'elle reposait sur ce grand matelas, victime d'une forte fièvre, et qu'elle n'avait pas quitté sa chambre, ainsi que sa couche, sous le regard inquiet de son frère bien-aimé...

Mais voilà qu'en ce jour, étrangement, elle allait mieux...

Sa température était tombée, offrant à son corps las et endolori un répit bien mérité...
_Odin soit loué...Nos prières ont été écoutées ma sœur...dit le jeune homme, le regard perdu dans l'immensité du paysage.
La jeune fille passa une main sur son front, d'un geste malhabile, fébrile, comme si elle avait peur de se rendre compte qu'en réalité, son état était toujours aussi critique...
Mais il n'en fut rien...et elle fut soulagée lorsqu'elle réalisa que ce maudit mal l'avait bel et bien quitté...
_Plus qu'Odin, je crois que c'est surtout à toi que je dois ce miracle Frey...Je te remercie...
_Je n'ai fait que rester à tes côtés...mais tu as raison...même si le seigneur Odin n'est pas étranger, j'en suis sûr, à ta soudaine guérison, tu es la première responsable de l'amélioration de ton état...ajouta son grand frère.
La jeune fille ne sut que répondre...son aîné était toujours si gentil avec elle, il la comprenait si bien...
Elle n'avait toujours connu que lui, Frey, son sang, l'unique homme de sa vie...
Il avait toujours été là pour elle, remplaçant le père et même la mère qui les avait quitté si jeunes...
Malgré cette "cruelle absence", elle ne s'était jamais sentie malheureuse, entourée de toute l'affection et l'Amour de son frère, protégée comme elle l'avait toujours été dans un véritable "cocon de bonheur"...
Bien sûr, il lui arrivait de se demander si Frey aurait pu aussi bien subvenir à ses besoins s'ils avaient été privés de l'importante fortune que leur avaient laissée leurs parents, à défaut d'images et de souvenirs qui auraient pu réchauffer leur cœur, bien trop souvent exposés, aussi bien aux rigueurs du climat que des hommes.
Elle se sentait heureuse, en sécurité, ce qui avait toujours été le cas d'ailleurs, puisque lorsque sa "moitié" était à ses côtés, une douce chaleur venait l'envelopper, se lovant autour d'elle comme un serpent autour de sa proie...
Qu'il était beau, grand, incroyablement généreux...Il était son frère mais aussi son meilleur ami, son confident, son gardien...
Elle perdit son regard sur lui, le parcourant de ses splendides yeux verts. Il était grand et de constitution à la fois gracile et robuste; ses cheveux, coupés relativement court en comparaison de ceux des autres guerriers du royaume, se perdaient en de gracieuses et fines boucles...
Debout, un avant-bras appuyé contre le mur et une main maintenant toujours écarté le rideau, il continuait à regarder à travers la fenêtre, noyant son esprit dans la claire immensité des collines, vallées et montagnes qui constituaient le paysage typique d'Asgard, qui lui était si familier...
Son port ne trahissait que de façon trop flagrante son statut de guerrier...Car tout dans sa façon de se tenir, de sa prestance à sa démarche, rappelait cette assurance dont seuls les combattants les plus aguerris savent faire preuve...
Le jeune homme lança un regard à sa sœur, un regard rempli de tendresse, qu'elle lui rendit aussitôt...
Cependant, elle devina que ces quelques jours passés à la veiller avait dû être des plus éprouvants pour lui...Peut-être n'avait-il même pas pu trouver le sommeil, attendant avec impatience son réveil, espérant à chaque minute, qu'elle rouvre les yeux...?
Des cernes discrets apparaissaient sous les yeux de Frey, qui lui, faisait mine d'être en pleine forme...même si sa voix, elle aussi, trahissait la trop grande fatigue qui s'était emparée de son être...
Elle le savait vaillant, fort...Ces nombreuses années d'entraînement intensif, doublées du soin tout particulier qu'il attachait à s'occuper d'elle, en étaient la preuve...mais elle savait aussi que cette dernière épreuve qu'ils venaient de traverser ensemble l'avait beaucoup marqué...Sans doute la peur de perdre la personne qu'il aimait le plus au monde l'avait-elle éprouvé plus qu'une journée entière, à battre des poings dans le froid sournois de cet hiver perpétuel...
_C'est aujourd'hui qu'elle arrive...je n'ose croire que ta guérison soit liée à son retour...et pourtant...lâcha Frey.
_Tu parles de la princesse ? Mais comment le sais-tu? demanda t-elle à son frère.
_Je la sens qui arrive...je reconnaîtrais son doux cosmos entre mille...Il n'y a plus de doutes à avoir à présent Freya...L'espoir va renaître en Asgard...


_Ca y est!!! Nous y sommes! Nous voilà arrivés Princesses! cria le conducteur.
Le cri de l'homme avait brusquement tiré Hilda de sa rêverie, qui réalisait seulement à l'instant qu'elle et sa sœur étaient enfin arrivées à bon port...
C'est d'un geste d'une infinie douceur qu'elle saisit sa cadette par l'épaule:
_Allez Flamme, nous sommes enfin arrivées...Il est temps pour toi de revenir peu à peu à la réalité petite rêveuse...
_Mmmm...Hilda? Qu'y a t-il? bredouilla difficilement la princesse Flamme, qui revenait lentement à elle.
_Je te l'ai dit...Regarde, nous voilà au Palais! lui répondit Hilda.
Flamme ouvrit grand les yeux et se jeta sur le côté, de sorte à avoir confirmation, en vérifiant par la fenêtre, de ce que venait de lui annoncer sa grande sœur.
Ses yeux s'écarquillèrent encore plus lorsqu'elle aperçut sur le côté un athlétique jeune homme.
Sa grande taille et ses lumineux et raides cheveux blonds ne pouvaient la tromper...
_Ha...Haagen?!? Regarde Hilda! C'est Haagen!!!!! hurla -t-elle, presque de façon hystérique.
D'un geste vif et même brusque, la jeune fille s'empressa d'ouvrir une des portes latérales du carrosse et se mit à courir comme une forcenée en direction de ce Haagen, venu lui souhaiter la bienvenue.
Le jeune homme fut à peine surpris de la voir se jeter dans ses bras:
_Et bien, princesse...On dirait que vous êtes en pleine forme...haha!
_Ooooh Haagen...Mon doux Haagen! Comme je suis heureuse de te revoir! Tu m'as tellement manqué! Dit-elle à toute vitesse et d'une voix forte, un air des plus enjoués sur le visage.
_Moi aussi je suis très heureux de vous retrouver...J'ai tellement de choses à vous montrer...tellement de choses! continua Haagen.

Hilda les observait, un air d'une infinie tendresse sur le visage...Elle savait que ces deux-là avaient toujours été inséparables, et que des liens très forts s'était tissés entre eux deux, de sorte que chaque instant passé loin de l'autre était comme un millénaire de solitude...
Elle se rendit alors compte que c'est justement ce qu'elle éprouvait lorsqu'elle était loin de Siegfried...
"Siegfried"...Pourquoi n'était-il pas là? A l'attendre, comme l'avait fait Haagen? Pourquoi, en descendant de la voiture, n'avait-elle pas aperçu son visage?
Toutes ces questions venaient s'entrechoquer dans son esprit alors que loin de sa sœur et de son ami, elle attendait, les deux mains jointes, les pieds dans la neige...
_Allons Princesse...Ne restez pas ainsi, dans le froid, vous pourriez attraper mal...

Cette voix...elle ne pouvait ne pas la reconnaître...C'était lui, c'était bien lui:

_Siegfried!!!!!!!
Elle n'avait pu s'empêcher de laisser éclater son soulagement en voyant celui qu'elle attendait tant.
_Princesse Hilda, dit-il doucement alors qu'il venait de se saisir de sa frêle main pour la porter à ses lèvres, je ne saurais vous dire à quel point mon cœur s'emplit de joie à votre seule vue...
La belle Hilda ne put s'empêcher de rougir, les mots de son ami la faisant trembler légèrement...
Voilà deux ans qu'ils ne s'étaient vu...deux longues années durant lesquelles ils s'étaient beaucoup écrit, soit, mais aussi au cours desquelles ils n'avaient pu s'apercevoir chez l'autre, des changements qu'opérait, sur leur physionomie d'adolescent, le temps...

La voix de Siegfried s'était faite plus grave, plus solennelle...Son visage aussi avait changé, sans parler de sa stature...
Il était à présent un homme, un combattant, d'après ce qu'il lui avait dit, au cours d'une de ses fréquentes lettres, récemment...
_Sieg...Siegfried...Mon ami...Si je ne te connaissais pas si bien, je crois que je n'aurais su te reconnaître... admit-elle, un rien confuse...
_Il est vrai que contrairement à Haagen, j'ai beaucoup changé...L'entraînement rigoureux de mon maître Nordr y est sûrement pour quelque chose...lui répondit son chevalier servant.
_Mais tu restes "mon" Siegfried non? Demanda t-elle, la voix comme étouffée par l'émotion.
Le jeune homme esquissa un sourire à la fois plein d'assurance et de gentillesse:
_Bien sûr Princesse...je suis et je reste votre obligé...

Inévitablement, un court silence vint s'abattre, recouvrant tel un léger voile, leur début de conversation, les plongeant chacun au plus profond du regard de l'autre...


" De retour..."


Siegfried : La voilà, toujours aussi belle
Rien n'a changé en elle
Un simple regard et pour toujours
Elle est enfin là, de retour...

Hilda : Est-ce lui?
Est-ce le même?
Un simple regard et pour toujours
Il est enfin là, de retour...

Siegfried : Malgré les années, leur usure
Sa troublante beauté perdure
Est-ce mon univers qui défaille?
Ou seulement la peur qu'elle s'en aille?

Hilda : Les milles, les lieues, la distance
Rien ne pourra briser cette danse
Est-ce mon cœur qui s'emballe?
Ou seulement la peur d'avoir mal?

Siegfried et Hilda : De retour...
Mon cœur, mon âme, mon seul Amour
Pas de pleurs, de larmes, de détours
Tes mots, tes joies et puis tes doutes
Je veux t'aimer, quoi qu'il m'en coûte.

Siegfried : Pour elle, j'irai frôler le ciel
Pour un sourire, pour qu'elle s'éveille
A tout mon amour...
J'irai au pied de l'Arc-en-ciel
Lui offrirai monts et merveilles
Et tout mon Amour...

Hilda : Pour lui, je n'aurai pas besoin
De faire semblant d'être quelqu'un
Je lui suffirai...
Et jamais je n'irai bien loin
M'égarer, m'éloigner du chemin
Je ne me perdrai...

Siegfried et Hilda : De retour...
Mon cœur, mon âme, mon seul Amour
Pas de pleurs, de larmes, de détours
Tes mots, tes joies et puis tes doutes
Je veux t'aimer, quoi qu'il m'en coûte.

Hilda et Siegfried


Flamme, au bras de celui qui lui avait tant manqué, ne mit pas longtemps à les rejoindre...
_Siegfried!!! Comme tu as changé!!! Tout comme Haagen, te voilà maintenant un grand et puissant guerrier! s'écria t-elle.
_Mmm...Et bien je me vois dans l'obligation de vous renvoyer votre compliment Princesse...Votre beauté n'a rien à envier à celle de votre sœur...lui répondit le jeune garçon aux cheveux ondulés.

Haagen s'avança vers Hilda, et d'un geste ample et gracile, se courba devant elle:
_Bienvenue en Asgard, Hilda de Polaris, Grande Prêtresse d'Odin et nouvelle souveraine de notre royaume...Je m'incline devant celle qui va arracher notre peuple à la misère, à la famine et à la mort...
La future Prêtresse fut si surprise par une telle marque de révérence, qu'elle ne réussit pas à trouver quoi répondre au jeune homme, qui restait la tête basse, les yeux fermés, attendant que sa nouvelle souveraine ne lui donne l'"ordre" de se redresser.
C'est Flamme, qui rajouta:
_Tu sais Haagen, elle sera bientôt prêtresse, mais elle reste la même Hilda que tu as toujours connu, celle avec qui nous jouions étant enfants...
Siegfried, à son tour, crut bon d'ajouter:
_Oui, car je sais que quelque soit son nouveau rôle ou ses nouvelles fonctions, elle sera toujours la Hilda que nous connaissons...Donc, Princesses, mesdemoiselles, mes amies...tout comme l'a fait Haagen, je vous dis ceci: Bienvenue en Asgard, votre royaume!


Les deux hommes s'étaient arrêté de parler depuis déjà plusieurs minutes, restant toujours assis sur ce vieux tronc, dos à dos, comme ils avaient l'habitude de le faire depuis qu'ils étaient tout petits...
Ils s'étaient habitués à rester un long moment sans dire un mot...
Ils savaient que souvent, le silence était bien plus explicite et bien plus significatif que toute parole...et puis, ils étaient ainsi faits...on ne pouvait pas changer cela...
_Tu as senti toi aussi non?
Le jeune homme aux longs cheveux blonds savait que son partenaire, son compagnon, finirait par rompre ce blanc...
_Quoi donc Hel? demanda t-il.
_Mmmm...Ne fais pas l'idiot Mime...Tu sais très bien de quoi je parle...répondit cet étrange personnage à la très longue et épaisse chevelure blanche comme la neige.
Celui qui s'appelait Mime passa nonchalamment une main dans ses cheveux d'or, sourit légèrement, de façon presque désinvolte et répondit:
_Oui...Elle est revenue...Hilda de Polaris...Cela fait presque deux ans déjà qu'elle n'avait pas remis les pieds ici...en tout cas, je salue son retour...et toi schneeweißes Haar (1) ? Que disent les esprits à ce sujet?

Hel, à son tour, afficha un bref sourire moqueur, sûrement plus adressé à lui même qu'à son compagnon, et avoua:
_Les esprits ne savent encore quoi penser...Pour ma part, j'espère qu'elle saura redonner à ces gens l'espoir, à défaut de leur offrir de quoi manger à leur faim et dormir au chaud...
Hel s'exprimait, comme à son habitude, de sa voix étonnamment grave et calme. Quiconque ne l'aurait pas connu aurait pu croire qu'il s'agissait là d'un être renfermé et insensible, mais Mime, lui, savait que son "frère" n'était rien de tout cela.
Il était sombre, soit, discret et peu causant, mais Hel était de ces personnes qui agissent plus qu'elles ne parlent.

Nombreux, dans la contrée, étaient ceux qui préféraient l'éviter, ne voyant en lui qu'un "magicien", un "sorcier", dont il valait mieux éloigner les enfants...
Après tout, il était le dernier des "Guerriers-Druides", et comme tous ses aïeuls, il était craint plus que tout...même s'il s'en fichait bien, car Hel avait appris à accepter le rôle qui était le sien depuis toujours: protéger le Royaume d'Asgard à sa façon, en s'attirant les faveurs des esprits...
Voilà maintenant des années qu'il vivait seul, dans cette forêt, avec pour seule visite celle de Mime, son meilleur ami, le seul qu'il ait jamais eu d'ailleurs.

Quelle étrange relation que celle qui avait toujours uni ces deux-là, ces deux énigmatiques personnages...si proches mais à la fois si distants...
Toute leur enfance, voire toute leur vie, ils l'avaient passé ensemble: à la fois dans la douleur et dans la peine, dans le silence mais aussi dans un infini respect mutuel...
Mime se mit à caresser lentement sa lyre alors que tous ces souvenirs lui revenaient en mémoire...puis il se releva, grattant une corde, puis une deuxième, entamant ainsi un nouvel air, au gré de son inspiration.
_Je vais devoir te laisser Hel...tes ancêtres ont sûrement bien des choses à te dire...dit Mime, levant légèrement la tête vers la cime enneigée des gigantesques arbres de la forêt.
_Qu'est-ce donc? Une ode en l'honneur de notre nouvelle souveraine?
interrogea le druide.
_Oui...Une personne de son rang mérite d'être accueillie avec tous les égards...non? poursuivit le musicien, alors qu'il s'éloignait, continuant à jouer de son divin instrument.

Hel resta le dos tourné, toujours assis sur cet immense tronc, les yeux clos, comme à son habitude...puis, c'est en saisissant soudain une des imposantes perles de son collier, qu'il conclut:
_Je souhaite que tu aies raison Mime...je souhaite de tout cœur que tu aies raison...


"...Solitude, mon amie..."


Voilà maintenant tant d'années
Passées à croire, à espérer
Entendre vos voix
Qui me murmurent
Que rester seul est le plus dur...

Mais j'ai vécu si peu de temps
Personne ne semble au courant
Au courant de ce triste murmure
A mes oreilles,
Leurs plaintes perdurent...

Mais loin d'être dure, loin d'être rude,
Toi, ma compagne, ma seule amie
Mon isolement, ma Solitude...
Je t'en supplie, encore une fois
Regarde moi, tend moi tes bras...

Voilà maintenant tant de peines
A l'abri des autres, de la haine
Deviner vos regards qui m'évitent
Et puis vos craintes qui me résistent...

Mes yeux ont vu si peu de gens
De chair et d'os, mais seulement
Des regards froids de déjà morts
Peut-être en fait n'ont-ils pas tort...

Mais loin d'être dure, loin d'être rude,
Toi, ma compagne, ma seule amie
Mon isolement, ma Solitude...
Je t'en supplie, encore une fois
Ecoute moi, ne t'enfuie pas...


Hel



Les retrouvailles avaient été chaleureuses même si chacun aurait aimé faire montre de plus de chaleur encore.
Après deux ans sans se voir, ils se retrouvaient enfin...et s'étaient promis de ne plus se quitter...
_Qu'il est étrange de se dire que nous allons maintenant passer le reste de notre existence en ce lieu magique! Avec nos amis! N'est-ce pas ma sœur? avait demandé la jeune Flamme.
La princesse, cette jeune fille aux longs cheveux blonds, ne cachait à quiconque son bonheur d'être en ces lieux. Tout comme l'astre du Jour, qui en cette morne journée, tentait tout de même de réchauffer le peuple d'Asgard de ses rayons, la princesse Flamme était à proprement parler "lumineuse", "rayonnante"...
Quitter leur précédente demeure ne semblait pas l'avoir perturbée plus que cela, même s'il avait dû être douloureux pour elle de devoir tourner le dos à ses parents et s'éloigner d'eux...

Hilda aurait voulu répondre à sa cadette mais une voix qui lui était familière la coupa dans son élan:
_Allons bon, voilà que nos chères princesses sont enfin de retour au "bercail"...

Cette voix, la princesse Hilda aurait pu la reconnaître entre mille...

Et, sortant des ténèbres que créait la gigantesque ouverture à l'entrée, surgit un autre garçon qu'elle ne connaissait que trop bien: un certain Erik, fidèle pupille de Dolbar lui-même.
Siegfried, le regard plein de méfiance, fit immédiatement un pas en avant:
_Il était inutile de te déplacer Erik, Haagen et moi avons prévenu son Altesse que nous nous en allions chercher les princesses Hilda et Flamme!
_Mmm...Mais je sais tout cela mon cher Siegfried...Seulement, notre maître à tous commence à trouver le temps long...C'est pourquoi il m'a envoyé m'assurer que vous n'étiez pas partis conter fleurette à ces gente demoiselles...héhé...siffla Erik, d'un ton narquois.
_Modère tes paroles, vil serpent! cracha Haagen, que Flamme tentait tant bien que mal de retenir.
_Voyons mon brave Haagen, verrücktes Pferdtoi (2), l'un de nos plus redoutables guerriers, que t'arrive-t-il donc? Le cheval fou perdrait-il son sang froid? continua l'élève de Dolbar, qui semblait-il, se plaisait à pousser les gens à bout...

Erik...

Lui aussi était encore là...Elle aurait dû s'en douter, elle qui auparavant, avait dû supporter sa mauvaise humeur et son ambition démesurée...
Car si Hilda appréciait chaque instant, chaque seconde passée en la compagnie de Siegfried, chaque moment durant lequel elle avait dû souffrir toute la bêtise et le mauvais caractère de ce garçon restait à jamais gravé dans sa mémoire comme l'un des pires qu'elle eut jamais à vivre...
_Il suffit Erik...Je constate avec regret que tu n'as pas changé...cesse donc de tourmenter Haagen, et conduis-moi plutôt jusqu'à ton maître! le coupa la future grande prêtresse d'Odin.
Le garçon réprima une moue de frustration puis leur tourna rapidement le dos, d'une vitesse étonnante, qu'un oeil humain normal ne pourrait pas même saisir...
_Bien Princesse...de toute façon, je ne commettrai pas la folie de faire attendre son Altesse davantage...Si vous voulez bien me suivre...


_Aaaaargghhh! Mais par Odin, qui êtes-vous?!?
L'homme, après avoir été frappé par une violente décharge d'énergie, venait tout juste de se relever, du sang aux commissures des lèvres...
Ses yeux ne laissaient plus transparaître que de l'inquiétude, voire de la peur.
L'un des deux hommes qui lui faisaient face, l'un de ses deux agresseurs, lui adressa un charmant sourire et répondit ceci:
_A quoi bon te servirait-il de savoir mon nom?...Sache que je suis tout le monde et que je ne suis personne, que je suis le peuple, qui vient réclamer sa part, à laquelle il a droit...sache que je suis l'orphelin, qui a perdu sa mère...le père privé de ses fils...que je suis ce ventre désespérément vide...
Derrière lui, un gigantesque gaillard se tenait là, serrant dans sa main gauche un sac rempli ( à en croire l'état de la table de l'immense cuisine dans laquelle ils se trouvaient tous ) de victuailles, et dans la main droite un autre sac, mais cette fois rempli de pièces à en juger par ce cliquetis caractéristique des bourses de monnaie bien pleines.
L'homme, qui gardait toujours un genoux à terre, avait rassemblé derrière lui ce qui semblait être sa propre famille: une femme d'âge mûr et deux petites filles d'à peine peut-être six ou sept ans...

A chaudes larmes, il s'était mis à implorer ces hommes qui le malmenaient, leur demandant, par la grâce d'Odin, de bien vouloir épargner celles qu'il aimait:
_Je vous en supplie messieurs, je vous en conjure! Ne leur faîtes pas de mal! Elles sont ma seule famille!
L'un des deux hommes, celui qui avait déjà pris la parole, le plus petit des deux, regarda sa "victime" avec pitié, presque avec dégoût:
_Tu es ridicule...Crois-tu que mon camarade et moi-même sommes venus te priver de ceux que tu aimes? Nous crois-tu haineux au point de t'enlever ce qui a le plus de valeur à tes yeux? Non, tu peux bien ne voir en nous que des brigands, de vils voleurs, mais nous ne sommes pas des monstres...
Le second, ce géant aux cheveux d'argent, prit à son tour la parole:
_Nous ne sommes en aucun cas des meurtriers...Le seigneur Odin nous a donné à chacun une partie de son pouvoir et nous en profitons pour rétablir l'équilibre!
Le premier continua:
_Tu nous prends peut-être pour de simples barbares, incultes et idiots, mais il y a bien une chose que nous ne pouvons laisser faire, c'est de laisser notre peuple mourir lentement...sans intervenir, sans tenter de venir en aide aux plus démunis...
_Je ne comprends pas...sanglotait l'homme.
_Regarde-toi...Tu es heureux de pouvoir offrir à ta famille un toit, un feu, de la nourriture et une couche propre...Ne penses-tu pas qu'il en est de même pour chaque père en Asgard? Ne crois-tu pas que chaque habitant de ce royaume a lui aussi le droit de prétendre au bonheur? poursuivit le voleur aux cheveux roux...
_Ma famille a des terres...elles nous reviennent de droit...De plus, nous employons des gens pour les travailler...expliqua l'homme.
_Vraiment? Alors est-ce normal d'exploiter ces personnes comme tu le fais? De les traiter encore plus irrespectueusement que ton propre bétail?!?
Sais-tu qu'un de tes gens, un jeune garçon de dix ans, est mort de faim, il y a deux lunes?
_A...A quoi bon se préoccuper de ces chiens? Ils...ils ne sont pas comme nous...Vous qui m'avez l'air d'être de noble souche, je vous en prie, rendez-moi mon or! supplia l'homme.
Les deux "brigands" échangèrent un rapide regard, et sans dire un mot de plus, tournèrent les talons pour finalement disparaître à travers l'imposante entrée dont l'épaisse et lourde porte de bois avait été arrachée.
Lorsqu'ils furent suffisamment éloignés de la demeure de ce couard, l'un d'eux, le colosse à la chevelure et à la barbe argentée, s'adressa à son ami:
_Dis moi Heimdal, combien de temps encore devrons-nous jouer aux brigands?
Son compagnon le regarda avec surprise:
_Pourquoi? Ne me dis pas que cette larve a réussi à te faire douter mon ami?
_Non, ce n'est pas cela, et tu le sais bien...mais je veux parler du regard apeuré de ces fillettes...qui devaient sûrement se demander pourquoi nous avons été contraints de frapper leur père...
_Voyons Thol...Tu sais très bien, tout comme moi, que ce que nous faisons est nécessaire...As-tu oublié les dizaines et les dizaines de gens que, grâce à nos actions, nous avons peut-être pu sauver de la mort?
Le géant ferma un instant les yeux, comme pour garder en lui les paroles rassurantes de son meilleur ami, mais contrairement à ce que son imposante carrure laissait croire, il était loin d'être dénué de bon sens, au contraire...et c'est ce qu'il lui fit rajouter ceci:
_Oui...mais pour combien de temps?...car le froid, lui, est un ennemi bien difficile à combattre...


Le jour commençait sérieusement à décliner, et le père des Elfes, de plus en plus bas, semblait las, alors que ses rayons ne se faisaient déjà plus d'aussi agréable compagnie qu'ils ne l'avaient été tout au cours de l'après-midi...
Voilà de nombreuses heures qu'il était dehors, à battre la campagne, accompagné de Gladr, son chien, et de son maigre troupeau.
A cause de l'épaisse couche de neige qui avait recouvert la majeure partie des environs, il s'était vu contraint d'emmener ses chèvres paître à plusieurs milles de là, là où l'herbe n'avait pas encore gelé ou n'était totalement étouffée sous cette poudre blanche...
Aujourd'hui, il avait eu relativement de la chance et il s'en sentait satisfait...
C'est vrai, ce jour-là, ses chèvres avaient pu trouver de l'herbe encore fraîche, notamment grâce aux bienfaiteurs rayons du Soleil...

Le "Soleil"...A quoi ressemblait-il donc?


On le lui avait décrit comme une gigantesque boule de lumière incandescente, isolée très loin, là-haut dans le ciel, à l'abri des caresses des hommes qui polissent...
Malgré sa cécité, il ne s'était jamais senti lésé, sans doute parce qu'il avait su très vite se rendre compte de la chance qu'il avait de tenir sa propre vie entre ses mains et de pouvoir en construire chaque lendemain, mais parce qu'il avait aussi appris à se satisfaire du bonheur des autres, qui le lui rendaient bien...
Il avait pu toucher la neige, mais n'avait jamais pu en admirer de ses yeux l'éclatante blancheur; il avait eu l'opportunité de goûter la plus suave des bières, sans pouvoir jamais en apprécier la magnifique robe cuivrée...; mais le Soleil... jamais il n'avait pu le toucher de ses mains, ni en voir la forme, la couleur...bien décidé, tapi sur son céruléen piédestal céleste, à lui échapper...
Mais comme pour tout, il avait appris à l'accepter et ne pas s'en maudire...
Ici, loin des hommes, dont il était pourtant éperdument amoureux, il vivait sereinement, de son élevage et du fruit de son dur labeur.
D'agréable compagnie, il ne restait jamais seul et très souvent, les enfants des alentours venaient lui rendre visite, écoutant avec attention les fantastiques légendes et autres histoires qu'il aimait leur conter, et qu'il tenait de celui qui l'avait élevé.

Aujourd'hui, ce dernier n'était plus, finissant par s'éteindre, il y a deux ans de cela, à plus de quatre-vingt printemps, emporté par le mal qui brûle les poumons mais dont personne ici ne connaît le nom exact...
Jamais il ne pourrait oublier ce triste jour où lui qui, malgré son handicap, n'avait toujours connu que le bonheur et la joie, avait pour la première et dernière fois de sa vie versé des larmes...
Depuis deux années alors, il vivait seul, même si restait à jamais présent en son cœur la fabuleuse et réconfortante chaleur de celui qu'il appelait "Papa Gün"...

La pente qui montait à sa modeste chaumière était, et c'est le moins que l'on puisse dire, des plus escarpées...en rendant très difficile l'accès aux personnes non coutumières de rudes efforts physiques...
Pour lui, bien sûr, gravir une telle montée était un geste des plus anodins, aguerri comme il l'était par toutes ces années passées à faire, inlassablement, le même chemin, même si c'était toujours en compagnie de son "père"...

Ce dernier, cependant, avait cru déceler chez son jeune "fils" un étonnant pouvoir, une sorte de sixième sens, quelque chose d'inhabituel, une énergie qui semblait entourer le jeune garçon , semblant se lover en un geste amoureux tout autour de lui, le traversant, l'inondant, au point de se fondre en lui en une totale symbiose...
Quelle était donc cette force? S'agissait-il de ce que l'on appelait "Cosmos"? Etait-ce cette force invisible dont se servait les plus grands guerriers du royaume pour accomplir des choses, à priori impossibles pour le commun des mortels?
Le vieil homme s'était souvent demandé si son "fils", ce jeune garçon qu'il avait recueilli, était destiné, lui aussi, à devenir l'un de ses hommes, l'un de ces "combattants", ne se plaisant que dans le sang et le carnage...
Cette idée l'horrifiait au plus haut point, et lorsqu'il s'éteignit, quelques années plus tard, c'est avec ce doute affreux, qu'il ferma pour la dernière fois les yeux...
"O Odin, faîtes qu'il ne devienne jamais l'un d'eux...Faîtes que même si ses yeux restent désespérément clos, il ne puisse jamais connaître l'horreur de la guerre, que jamais le goût du sang ne vienne effleurer ses lèvres d'enfant..." se disait souvent le vieil homme.
"Faîtes qu'il reste pur, que jamais il ne porte la main sur autrui, que jamais il n'ait à se battre..."
Mais ce dont cet homme n'avait pas pris conscience, c'est que cette force, ce "Cosmos" qui habitait son "fils", revêtait chez lui une forme plus que particulière, et le prédestinait, comme si les Dieux l'avaient écrit dans les antiques pages du Destin, à un jour prendre les armes, pour défendre, comme il le lui avait appris à le faire, ce qu'il croyait juste...

Reconnaissant, du bout de son bâton, le sol rocailleux de la petite butte sur laquelle avait été bâtie sa maisonnette, le jeune homme passa une main dans ses fins cheveux roses, se gratta la tête, puis posa au sol le maigre sac qu'il portait en bandoulière, rempli des quelques baies qui n'avaient pas succombé à l'incisif froid qui semblait avoir écorché vif les rares buissons qui se tenaient encore là...
Une odeur, cependant, semblait se répandre dans l'air, presque imperceptible pour le commun des mortels, mais pas pour lui, qui, à défaut de voir, avait appris à être à l'écoute de ses autres sens...
Ce léger parfum était des plus enivrants et bien sûr, il le reconnut immédiatement, comme étant celui de son amie Idunn.

_Vali! Te voilà enfin! s'écria la jeune fille.
Bien sûr, il ne l'avait jamais vue, et ne savait pas même à quoi elle pouvait bien ressembler...Il aurait bien posé ses doigts sur son visage, qu'il supposait être des plus doux, mais il n'avait jamais osé le faire, ayant trop peur d'offenser sa jeune amie...
Idunn avait toujours été là pour lui, et lui, toujours là pour elle, créant ainsi entre eux deux une sorte de lien très fort, indéfectible, vrai, pur...
Elle était sa lumière...cela il avait fini par le comprendre un jour, alors qu'elle venait lui rendre visite, un triste soir de pluie, glacial et sombre...

Il avait pu sentir, en la saisissant par le bras, en un tendre et charnel contact, ses vêtements trempés et collés à sa peau délicate, qu'il imaginait blanche comme le lait.
Il l'avait aussi senti tremblante, frigorifiée, les os et les chairs gelés par la pluie qui tombait, glaçante. Et c'est sans réfléchir qu'il l'avait rapproché de lui, serrant sa poitrine contre la sienne, et posant sa main gauche sur le derrière de son crâne...
En cette douce étreinte, il avait pu respirer son fameux parfum, si troublant, sonnant à ses narines comme une merveilleuse musique, chargée à la fois de tristesse et de joie...
En cette nuit d'orage, inquiète, elle avait couru jusqu'à la modeste chaumière du jeune homme, afin de le savoir en sécurité.
Vali savait qu'elle lui était très liée mais ce soir-là, il comprit que ce qu'il éprouvait pour la jeune Idunn était plus que de la simple amitié...

Quelque chose de nouveau venait d'envahir son cœur, son âme...

Depuis, et ce même s'il ne pouvait pas voir, il percevait la jeune femme avec d'autres yeux...

_J'ai dû aujourd'hui faire un détour plus long...La verdure commence à se faire de plus en plus rare...répondit Vali avec amertume, sortant ainsi de ses pensées pour finalement revenir à la réalité.
_Je me suis inquiétée...ajouta timidement Idunn, les lèvres tremblantes.
_Je te l'ai déjà dit Idunn, tu n'as pas à t'en faire, crois moi...
_Je le sais mais...bredouilla la jeune fille.
_Tu sais, un handicap n'en est vraiment un que lorsqu'on l'accepte comme tel...Et ce n'en est pas un pour moi...lui dit doucement Vali, alors qu'il ordonnait à ses chèvres, d'un rapide geste de la main, de regagner leur ridicule enclos.
Gladr s'occupa des quelques animaux récalcitrants et les fit vite rejoindre le reste du troupeau, qui devait tout au plus comporter neuf ou dix bêtes.
Idunn s'écarta de la porte pour laisser Vali pénétrer à l'intérieur. Celui-ci trouva rapidement la petite chaise qui se trouvait à côté de la triste paillasse qui lui servait de lit et y déposa l'épais gilet de laine qui le préservait, lors de ses fréquentes sorties, de la morsure sadique du froid.
La jeune femme se mordit la lèvre inférieure, comme si elle cherchait à retenir des paroles qui voudraient sortir d'elles-mêmes.
Vali, comme à son habitude, perçut immédiatement le trouble qui s'était emparé de son amie.
_Idunn...je sais que tu t'es beaucoup inquiétée à mon sujet mais...je sens qu'il y a autre chose...
_Je...Vali, c'est si dur...
_N'hésite pas à me faire part de ce qui te tracasse… Les soucis, si on les garde pour soi, sont comme un poison pour l'esprit...Libère-t'en Idunn...Je t'écoute. lui dit calmement le berger, qui tenait plus que tout à soulager celle qui était venue lui rendre visite.
_Oh...Vali, c'est terrible...à Innsbruk, de plus en plus de gens succombent à la faim...Il n'y a plus rien à manger, le froid a fini d'achever le peu de bétail qui n'avait pas été touché par les épidémies du mois de Février...lâcha la jeune fille, éclatant en sanglots.
Vali resta bouche bée, sans dire mot...Il savait la situation critique mais voilà bien des lunes qu'il ne s'était rendu à Innsbruk, le village voisin.
_Combien de gens sont-ils déjà morts Idunn? Demanda-t-il, inquiet.
_Trop, Vali...Beaucoup trop...sanglota-t-elle.
_Combien Idunn? Combien? lui répéta le jeune homme, la saisissant par les épaules.
Son amie tourna la tête sur le côté, comme si elle ne voulait pas croiser le regard du jeune chevrier.
_Six personnes sont mortes en l'espace de deux jours...et beaucoup d'autres ne se sont plus alimentées depuis plusieurs lunes...
Soudain, la jeune fille sembla perdre pied et commença à chanceler.
Vali la retint, et une nouvelle fois, la rapprocha de lui, la serrant très fort. Il se rendit alors compte que sa peau semblait ardente, comme roussie par le feu divin du perfide Loki.
_Idunn! Tu es brûlante de fièvre! Depuis quand n'as-tu rien avalé? s'écria Vali, qui pour la faire revenir à elle, s'était mis à la secouer avec vigueur.
_Là...Là-bas, mon frère Hans et ma...ma mère...articula-t-elle difficilement.
_Que leur arrive-t-il?
_La...la faim...les emporte doucement...murmura Idunn.
Vali déposa son amie sur la paillasse, alla chercher un des petits récipients en métal dans lequel il conservait le lait de ses chèvres, l'ouvrit et en porta le goulot à la bouche de la jeune fille.
_Idunn! Bois ça! Tu as besoin de forces! Je vais porter mes chèvres jusqu'à ton village, et les habitants pourront s'en nourrir...
_Non Vali! Ce sont tes chèvres...Que...que te restera-t-il si... tu t'en sépares? chuchota Idunn, portant sa frêle main au visage de Vali.
_Peu importe ce qu'il adviendra de moi...Tu as bien fait de venir me chercher...Je ne serai pas long, je ferai aussi vite que je le pourrai...ne t'inquiète pas douce Idunn...Les tiens ne mourront pas! Je ne laisserai pas arriver une telle chose! s'écria Vali, les mâchoires serrées...
_Non...Je t'en prie...Ne fais pas ça Vali...
_Ne parle plus...Ton état n'est pas critique mais parler serait gaspiller tes forces...Je laisse à côté de toi cette bouteille et ces quelques baies...
Restaure t'en Idunn, fille de l'aurore...
_Vali...tenta-t-elle de dire.
Le jeune homme, à son tour, posa la paume de sa main sur la joue de sa visiteuse et laissa glisser ses doigts tout le long de la surface de sa peau, brûlante mais infiniment douce.
_Ne parle plus...Je serai bientôt de retour...repose-toi maintenant...
La jeune fille, déjà, avait fermé les yeux et semblait s'être endormie, trop fatiguée pour pouvoir lutter davantage.
Le fils de Günter, alors, se pencha lentement sur le visage d'Idunn et c'est avec délicatesse qu'il déposa sur son front un tendre baiser...
_Je ne laisserai pas les tiens mourir, aie confiance...lui murmura-t-il, avant de se lever, de remettre son gilet de laine, se saisir de son bâton, qu'il avait laissé près de l'entrée, puis de se diriger au dehors, en direction de l'enclos où étaient parquées ses bêtes...


"Ne me plaignez pas"


Ne me plaignez pas,
Pourquoi cela?
Gardez vos larmes,
Ne les gâchez pas...

Le noir n'est pas pour moi,
La lumière me guide,
Le chemin est là,
Je ne connais pas le vide...

Des yeux éteints,
Un cœur à l'écoute,
Un bleu sans fin,
Je ne connais pas le doute...

La peur n'est pas pour moi,
Vos chaleurs me guident,
Je me fie à vos pas,
Je ne connais pas le vide...

Des pupilles endormies,
Une âme sur la route,
Des orbites démunies,
Mais qui restent à l'écoute...

Ne me plaignez pas,
Le bonheur remplit mon cœur,
Gardez vos pleurs,
Ne les gâchez pas...

Vali



_Princesse Hilda !!! Comme je suis heureux de vous retrouver Princesse!
L'homme, sur son trône, n'avait pas même daigné se lever pour saluer celle qui allait bientôt prendre sa suite.
_Sachez que c'est réciproque votre Altesse...
Hilda et sa cadette connaissaient bien le Seigneur Dolbar pour l'avoir souvent côtoyé lors de leurs séjours au palais...
Elles ne s'étaient cependant jamais entichées de lui, comme elles auraient pu le faire avec un grand oncle ou un parent éloigné chez qui elles seraient venues passer leurs vacances...
Il faut tout de même dire que ce Dolbar, le Grand Prêtre d'Odin, n'avait rien de bien attirant ou quoi que ce soit qui suscite de la sympathie...
Grand, livide et osseux, sa silhouette de revenant ne donnait pas l'envie de le connaître davantage...et son austère visage, rendu plus inquiétant encore par son regard sournois, ne jouait pas en sa faveur, loin de là...
D'ailleurs, on disait dans le royaume qu'aucune femme n'avait eu assez de courage pour devenir sienne...non pas que le Grand Prêtre était d'une laideur sans nom, mais plutôt qu'il n'était pas disons...très "rassurant"...

_Mes hommages mon Seigneur, avait chuchoté Flamme, d'une voix presque inaudible.
_Même la délicieuse Flamme est présente! Allons mon enfant, te fais-je toujours aussi peur? demanda le prêtre de sa voix de "grand méchant loup".
_Vous savez votre Altesse, j'ai grandi...Je ne suis plus une petite fille...dit la jeune femme, ne se laissant pas démonter, même si au son de sa voix, on pouvait déceler chez elle une certaine émotion, proche de l'appréhension.
Haagen sourit, sûrement on ne peut plus fier de son amie.
Dolbar, lui, avait déjà détourné ses yeux de Flamme pour les poser sur Hilda, celle qui allait lui succéder...
-Alors Princesse? Terrorisée à l'idée de devoir monter sur le trône et de devenir Prêtresse? Emue peut-être? Ou inquiète? demanda-t-il de sa voix de serpent.
_Non, pas le moins du monde mon seigneur...Mon seul soucis en ce moment est de savoir comment je vais bien pouvoir tirer mon peuple, notre peuple, de ce mauvais pas...lui répondit-elle de sa voix à la fois pleine de douceur et de fermeté.
_Oui, je vois bien de quoi vous vous voulez parler...mais vous vous rendrez compte qu'il n'est pas si aisé de venir en aide à des paysans qui ne veulent plus travailler...
_Comment? s'étonna Hilda, comme si elle avait mal entendu les propos de Dolbar.
_Et bien oui ma chère...La populace est devenue exigeante, les gens en ont assez de devoir vivre sous ce froid perpétuel...Ils aimeraient eux aussi pouvoir goûter aux délices d'un arbre fruitier, courir dans de vastes étendues verdoyantes et ne jamais se soucier de ce qu'ils auront dans leur assiette le soir...mais encore aucun d'entre eux ne s'est rendu compte que malgré toutes leurs prières, cela leur serait impossible...Nous sommes en Asgard, et c'est la volonté de notre seigneur Odin que de nous infliger ces incessantes vagues de froid, afin de tester notre foi en lui...
_Non votre Altesse, car malgré tout le respect que je vous dois, je dois vous dire que je ne suis pas de votre avis...avait-elle ajouté.
_Et?
_Et bien, soit, comme vous l'avez dit, c'est le Seigneur Odin qui a choisi de soumettre son peuple aux rigueurs continuelles de l'Hiver, mais cela n'est en aucun cas pour mettre sa foi à l'épreuve...non...car il sait les Asgardiens plus forts, plus solides et plus durables que le Cristal...
Jadis, il accepta de faire d'Asgard, la terre des Dieux, le pôle régulateur de toutes les eaux et glaces du monde...et ainsi d'offrir au reste de la planète une vie plus clémente...en laissant à Athéna, son amie, le soin de protéger la Terre...

Le Prêtre fixa de ses yeux chassieux la jeune fille, ce petit bout de femme qui venait de le contredire.
Il n'en était cependant qu'à moitié surpris...car déjà toute petite, Hilda avait toujours affiché un caractère bien trempé et une détermination à toute épreuve...un tempérament commun, selon l'histoire, à toutes les grandes Prêtresses d'Odin, et ce depuis les temps les plus anciens...
Rapidement, il échangea un discret regard avec son pupille, Erik, der schlimmste von allen (3), qui lui non plus, n'avait pas perdu un mot de ce qu'avait répondu Hilda.
Ce garçon, pour l'avoir déjà côtoyé, n'ignorait pas que la jeune femme savait, lorsqu'elle le désirait, se faire entendre.
Siegfried et Haagen continuaient à observer avec attention la scène, comme s'ils se préparaient dès maintenant, sans plus attendre, à leur rôle de "chevaliers servants", guerriers protecteurs de la divine Hilda.
Quant à Flamme, elle devait lutter pour ne pas être troublée plus que cela par les regards lourds et presque malsains que lançaient Dolbar, cet homme si influent, si puissant, qu'elle avait rencontré à maintes reprises et qui l'avait toujours tant effrayé, à sa sœur bien-aimée...
L'étrange architecture de la salle du trône n'aidait en rien à rendre ce moment moins crispant...
Immense, froide et inquiétante, malgré la relative clarté qui réussissait à s'infiltrer à travers les rares ouvertures, cette pièce semblait irradier la peur et la terreur, faisant naître, inévitablement, dans la gorge de tous ceux qui y pénétraient, une boule des plus désagréables...
_Bien, bien...de toute façon, je crains que nous devions repousser cette discussion à demain très chère...car comme vous le découvrirez bientôt, l'emploi du temps d'un Prêtre d'Odin est relativement chargé...et oh combien éprouvant...même si on finit par en prendre l'habitude...rajouta Dolbar.
_Je comprends, votre Altesse...lui répondit Hilda, inclinant légèrement la tête vers le bas, en signe de révérence.
_Et je me doute bien que votre jeune sœur et vous, devez être épuisées par un tel voyage, si éreintant...C'est pourquoi je vais vous laisser regagner vos chambres, afin que vous puissiez vous y reposer...continua le prêtre.
_Nous vous sommes tellement redevables mon Seigneur...poursuivit-elle.
_Oh vous savez...je tiens surtout à ce que mon héritière soit en pleine possession de ses moyens lorsqu'elle devra devenir prêtre à ma place...Odin nous gâte tellement, nous nous devons de le lui rendre...finit-il, un rictus étrange déformant son visage.


Ainsi le Grand Prêtre d'Odin et celle qui allait lui succéder, venaient de se rencontrer...
En prémisse aux sombres événements qui allaient troubler la "relative" quiétude du Sanctuaire de glaces, une puissante bourrasque de vent vint s'abîmer sur une des parois extérieures de la gigantesque salle...
En effet, le ciel commençait à se déchirer dangereusement, les nuages s'entrechoquant pour se fondre dans un ballet des plus violents...

Siegfried leva la tête, inquiet, se demandant quel présage une telle manifestation pouvait laisser deviner...
Son compagnon, Haagen, fit un pas en direction de Flamme, n'osant la prendre par le bras devant le Grand prêtre d'Odin lui-même, mais cherchant tout de même, et de façon somme toute discrète, à la protéger.

Les cieux allaient se tordre encore durant de longues heures ce jour-là, dont la sombre et froide nuit allait bientôt prendre la place...
Le destin du Royaume d'Asgard semblait déjà tout tracé, condamné à se mourir lentement...ou peut-être pas après tout, car les Dieux n'avaient pas su se montrer catégoriques...

Son avenir, sa survie, ce peuple tourmenté allait devoir se les construire lui-même, même si alors, il n'en avait pas encore pris conscience...

Fin de l'épisode 1...



(1)Chevelure de neige

(2) Cheval fou

(3)Le pire d'entre tous

Chapitre précédent - Retour au sommaire

www.saintseiya.com
Cette fiction est copyright Ronald Narcisse.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.