Chapitre 4 : Anamnèse


La confusion semblait totale. Shiryu était trop travaillé par les révélations d’Hypnos pour songer à un quelconque piège de la part de ce dernier. Shun, quant à lui, semblait avoir du mal à ingérer toutes les informations. Il arborait un visage incrédule, essayant de comprendre ce qui s’était passé il y a deux cent ans, à la fin de la dernière Guerre Sainte, et ce qui devait se passer maintenant. Pour la première fois, Kiki s’avança avec un rayon de lumière dans le regard.

• Je comprends tout maintenant… lança-t-il avec satisfaction. Maître Mû m’a déjà parlé de la ceinture du Zodiaque et de celle de Cristal avant que vous alliez combattre dans le Royaume de Poséidon.
• Que dis-tu, Kiki ? demanda Hyoga.
• Oui… Avant que je vous accompagne, Maître Mû m’a plus ou moins expliqué ce qu’était la Sphère du Zodiaque. Je ne comprenais pas pourquoi l’Armure du Sagittaire était capable de voyager d’elle-même comme elle l’avait fait pour protéger Seiya lors de son attaque par Aiolia devant la clinique. Maître Mû m’a dit quelque chose que je n’oublierai jamais… se souvint Kiki en fermant les yeux.

Il se souvint d’une conversation qu’il avait eu avec le Chevalier d’Or du Bélier sur les marches de la Maison du Lion. Mû avait pour une fois ses longs cheveux violets détachés, tous impeccablement posés sur le dos de son Armure d’Or. Il se tourna vers son apprenti, Kiki d’Appendix et fit tomber une mèche de cheveux sur une des impossibles cornes qui encerclaient son cou. Il était assez tôt dans la journée et une fine brume de chaleur régnait sur le Sanctuaire. Le soleil perçant cette nappe de brouillard translucide donnait à l’Armure du Bélier des reflets plus roux que dorés, et Kiki se dit alors qu’il n’y avait rien d’étonnant à ce que l’Armure du Bélier soit la plus belle qu’il ait jamais vue.

Son Maître était assis sur les dernières marches qui menaient à la demeure du Lion. Aiolia regardait Mû de Jamir et son apprenti depuis quelques dizaines de mètres, adossé à une colonne de marbre. Les bras croisés, le Lion était parfaitement immobile. Seule sa cape blanche immaculée baignait dans la brise et semblait le rendre vivant. Kiki avait beau se concentrer de toutes ses forces, il ne percevait aucune aura ou aucun cosmos venant du Chevalier d’Or. Aiolia fit un petit geste de la main au jeune apprenti de son ami, avec un sourire sincère et chaleureux. Kiki lui rendit son salut avec une grimace des plus gentilles, qui fit presque rire Aiolia comme Aldébaran savait le faire. Pourtant, malgré cette décontraction apparente, Kiki n’arrivait toujours pas à sentir la présence d’Aiolia qui se tenait à quelques poignées de mètres de lui. Le jeune garçon adressa un regard admiratif au Chevalier du Lion.

• Moi non plus, Kiki.
• Pardon, Maître ? s’interrogea le jeune apprenti.
• Moi non plus, je n’arrive pas à sentir la présence d’Aiolia quand il s’entraîne le matin.
• Maître, c’est impossible ! Comment vous, ne pourriez-vous pas sentir son cosmos ?
• Parce qu’il n’en a pas, répondit un Mû amusé.
• Je ne comprends pas, Maître…
• C’est l’Esprit du Lion qui résonne dans l’Armure d’Aiolia. Avant l’attaque, il est impossible de savoir où se trouve le Chevalier du Lion si on ne le voit pas. L’Esprit du Lion peut cacher le cosmos d’Aiolia ainsi que sa présence, comme le ferait un prédateur s’approchant d’un troupeau d’antilopes.
• L’Esprit du Lion… marmonna Kiki, pensif.
• Kiki, si tu veux devenir Chevalier, tu dois comprendre certaines choses. Tu sais déjà que les Armures du Zodiaque sont vivantes n’est-ce pas ?
• Oui, Maître.
• Eh bien, ce n’est pas l’exacte vérité… Une Armure n’est pas à proprement parler vivante. En fait, il subsiste en chaque Armure une partie de l’âme de tous les Chevaliers qui l’ont portée. Toutes ces volontés animées de courage finissent par créer un Esprit de l’Armure.
• Un Esprit… de l’Armure ?
• Exactement. C’est cet Esprit, fruit des volontés et des expériences de tous les Chevaliers du Sagittaire, qui anime l’Armure d’Aioros. C’est cet esprit qui reconnaît Seiya comme un porteur potentiel parce qu’il a prouvé sa valeur.
• Si je comprends bien Maître, votre Armure d’Or du Bélier est animée par l’Esprit du Bélier ? L’Esprit de tous les Chevaliers d’Or du Bélier de l’histoire ?
• Je vois que tu as compris, Kiki. Il te reste néanmoins une chose à apprendre. Il existe d’autres domaines au-dessus de la Terre. Des Sphères qui ne sont accessibles qu’à certains moments cardinaux de l’histoire.
• Cardinaux, Maître Mû ?
• Oui, Kiki. Cela veut dire importants, capitaux.
• Oh, je vois… s’excusa presque l’enfant.
• Dans l’avant-dernière Sphère qui constitue la Voie Lactée, celle du Zodiaque, reposent les Esprits de toutes les Armures, les formidables sommes de toutes ces volontés des Chevaliers passés.
• Maître… vous voulez dire que vous pourriez rencontrer l’Esprit du Bélier en vous rendant dans la Sphère du Zodiaque ?
• Hypothétiquement, oui.
• Existe-t-il des Chevaliers qui ont déjà rencontré l’Esprit de leur Armure ?
• Il en existe un seul que tu connaisses, Kiki…
• Serait-ce…
• Oui, Kiki. Cet homme n’est autre que Shaka de la Vierge, la réincarnation de Çâkyamouni…

Lorsque Kiki eut fini son histoire, Hyoga regarda ses mains silencieusement. Ikki regarda dans la direction de Shun.

• Shun. Tu te souviens lorsque tu me parlais de l’Armure d’Andromède ? Que tu avais l’impression que la volonté même d’Andromède animait tes chaînes lorsque tu étais en danger de mort ?
• Oui, je me souviens. Je pense que nous l’avons tous déjà ressenti. Notamment lorsque nous avons reçu par deux fois de nouvelles Armures rayonnant de puissance. C’était comme si Andromède me parlait jusque dans mes os, répondit Shun.
• Je l’ai ressenti aussi, dit Shiryu. Lorsque je me battais contre le Masque de Mort.

Hypnos s’avança de plusieurs pas, les mains jointes dans le dos, jusqu’à se tenir en face de Kiki d’Appendix. Il arbora un sourire satisfait.

• Je comprends mieux comment ton Maître, héritier de Sion de Jamir, a pu vaincre Myu du Papillon avec une telle facilité. Il possède une grande connaissance des Sphères Célestes.

Il se tourna vers tous les Chevaliers présents, les fixant un à un.

• Je pense que vous avez compris, à présent.
• En effet, lança Ikki, les yeux fermés. Il nous faut donc aller dans la Sphère du Zodiaque pour réclamer le corps de Seiya à l’Esprit de Pégase, c’est bien cela ?
• Je vois que tu as presque tout saisi, Chevalier du Phénix. Je vais vous emmener dans quelques temps à la Tour de Babel, lorsque celle-ci sera apparue.
• La Tour de Babel, dis-tu ? demanda Hyoga. Oh, mais oui, mon Maître Camus m’en a déjà parlé lors de mon entraînement ! Un jour où je lui demandais ce qui arrivait à un Chevalier qui avait été mauvais au cours de sa vie, il m’a répondu que si le Chevalier mourrait en regrettant ses actes, il devait gravir la Tour de Babel afin de prouver sa valeur.
• C’est à peu près ça, précisa Hypnos. La Tour de Babel est un Purgatoire.

Shina d’Ophiucus allongea Marine sur le sol, gémissant presque à chaque geste. Sans se retourner, elle essuya la sueur de son front avec le revers de sa main, puis prit la parole d’un air lointain.

• Dans les temps anciens, les hommes essayèrent de rejoindre les dieux. Ils construisirent la Tour de Babel afin de s’approcher des cieux. Blessés par cet orgueil, les dieux inventèrent le langage, avec une langue différente pour chaque travailleur de la Tour. Les hommes ne pouvaient plus synchroniser la construction car ils ne se comprenaient plus. Mais à force d’apprentissage et de courage, les hommes transcendèrent cette barrière et la Tour continua de monter vers l’espace. Les dieux furent obligés de la frapper d’un éclair afin de la détruire…
• C’est une nouvelle fois exact, ajouta Hypnos.
• Mais quand apparaîtra ce Purgatoire ? demanda Ikki. A un moment cardinal de l’histoire c’est bien ça ?
• Dans vingt-sept jours très exactement, clarifia le dieu qui commande au Sommeil.
• Pourquoi dans vingt-sept jours ? s’interrogea Saori, de plus en plus épuisée. Ne sommes-nous pas en train de vivre un moment cardinal de l’histoire des hommes en ce moment-même ?
• Bien sûr que si, s’amusa Hypnos. La Tour de Babel est apparue au Guatemala dès que Seiya a profané Elision. C’était il y a environ trois heures. La Tour doit être sur le point de disparaître à l’heure qu’il est. Elle apparaît aléatoirement sur Terre à chaque moment déterminant de l’histoire. Elle est apparue dans la jungle Birmane lorsque Saga a tué Sion du Bélier, mais aussi dans les neiges de l’Alaska quand Julian Solo s’est réincarné en Poséidon, ou encore dans le désert du Zaïre alors que Seiya recevait son Armure de Pégase. Elle ne reste visible qu’une poignée d’heures.
• Mais alors… il faut se dépêcher ! s’exclama Seika.
• Non, lâcha Ikki comme un soupir. Cela ne sert plus à rien.
• Qu’est-ce que tu dis, Chevalier Phénix ? s’énerva Kiki.
• Je veux dire que si la Tour de Babel est sur le point de disparaître, nous ne la rejoindrons jamais à temps au Guatemala. Il faudra attendre le prochain évènement. Dans vingt-sept jours. N’est-ce pas Hypnos ? essaya Ikki avec un sourire noir.
• Effectivement. Dans vingt-sept jours, la Tour de Babel apparaîtra pour la dernière fois avant deux cent ans, de même qu’elle est apparue pour la première fois depuis deux cent ans à votre naissance, Chevaliers. Dans vingt-sept jours, le Chevalier Pégase ne pourra plus être ramené à la vie.

Hypnos écouta avec délectation les cris et bruits de stupeur provoqués par l’étonnement des Chevaliers. Il lut sur chaque visage l’inquiétude et l’impatience, sauf sur celui d’Ikki. La nature tragique du dernier évènement cardinal de ce cycle céleste n’avait échappé qu’à la pauvre Marine, inconsciente.

• Je viendrai à vous pour vous guider dans vingt-sept jours, dans les jardins de la fondation de Mitsumasa Kido, au Japon. Prenez le temps de panser vos blessures.

Il dévisagea Seika, se demandant pourquoi cette fille lui était si familière. Elle lui rappelait Pandore dans sa jeunesse, mais dégageant plus de douceur et d’amertume. Il lui faudrait savoir qui était cette fille, et pourquoi il ressentait de la crainte en sa présence. A tout prix…

Il se retourna et marcha vers un ensemble de colonnes de Corinthe épargné par les batailles. Sa marche était légère, mais chaque pas résonnait dans la tête de Shiryu. Tout ce que faisait le dieu était parfaitement hypnotique. Un vent se leva tout-à-coup et balaya Hypnos dans des volutes grises et charbonnées de poussière d’étoile. Saori eut le temps de voir la tête d’Hypnos se retourner alors que son corps avait déjà totalement disparu dans cette danse funèbre. Le dieu lui souria sincèrement. Hyoga eut aussi le temps de le voir très clairement. On aurait dit le sourire que son Maître Camus lui avait adressé avant que son corps ne disparaisse dans une explosion de cosmos sous la verrière du Château de Pandore.

La fraîcheur de la nuit ne troubla personne. La lune presque rouge faisait danser de folles lumières sur les ailes de Hyoga. Shina s’endormit sur place malgré la tension, la tête posée sur le dos de Kiki qui semblait perdu dans les pensées de son Maître. Shun sourit tristement à son frère, comprenant qu’il ne le reverrait que dans vingt-sept jours, sans mot dire. La Princesse Saori regarda son bouclier, presque étonnée d’avoir pu soulever une telle surface de métal céleste. Son Armure restait en excellent état malgré quelques fissures minimes. Elle se dit que le temps et la lumière la restaureraient totalement avant la prochaine apparition de la Tour de Babel. Elle repensa au sourire reposé de Seiya lorsqu’il les avaient quittés. Un sourire paisible qui voulait dire : « Enfin, je peux me reposer… ». Saori essuya une goutte de sueur qui perlait sur sa joue avec sa main droite. Ou bien peut-être était-ce une larme…

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