Chapitre 8 : Promesse De Sang


Lorsque Shiryu ouvrit les yeux, il vit son ami Shun d’Andromède s’asseoir avec difficulté, toussant de l’eau comme s’il s’était noyé. Pourtant, lui n’en avait pas dans ses poumons. La pièce dans laquelle il se trouvait avait l’air gigantesque et circulaire. Des murs de marbre rose, certainement indien ou peut-être thailandais, montaient sur une dizaine de mètres jusqu’à une coupole de cristal magnifique. Elle montrait une scène où une guerrière armée d’un arc de lumière abattait un taureau, avant de le jeter dans la mer. La salle s’étendait au sol sur trois grands paliers séparés par seulement quelques marches.

Pour seule décoration, en dehors de l’incroyable coupole de cristal peint à l’émail qui inondait la pièce de couleurs fantomatiques, on trouvait devant chaque colonne de marbre oriental une torche brûlant d’un feu bleuté. La lumière aveuglante qui avait accompagné sa chute il ne savait où, avait presque brûlé la rétine du Dragon. Il mit un certain temps à distinguer Hyoga, ailes déployées, baigné dans un cosmos blanc comme les neiges de Sibérie, en position d’attaque. Son Armure n'était plus la même : elle semblait avoir évoluée. Saori se trouvait devant lui, les bras écartés en position christique, dans une nouvelle Armure moins intégrale. Derrière elle, Hypnos baignait dans un cosmos noir comme une armée de ténèbres, lui aussi recouvert d'un Surplis différent. Il serrait le poing droit. Shiryu se releva avec peine afin d’avoir une meilleure vue de la situation. Il regarda ses mains et son nouveau bouclier du Dragon, perplexe. Shun était comme paralysé sur place, perdu dans l’incompréhension la plus totale. L'Armure d'Andromède était plus belle que jamais. « Pourquoi portons-nous de nouvelles Armures alors que nous venions juste d'en obtenir des divines ? Tout cela n'a aucun sens... Même Hypnos et Saori... »

• Arrête Hyoga ! ordonna la Princesse.
• Mais enfin, Princesse ! protesta le Cygne.

Hypnos serrait les dents de plus belle.

• Hyoga ! Je te demande de te calmer. Hypnos n’est pas notre ennemi. N’est-ce pas, Hypnos ? demanda-t-elle en tournant la tête sur le côté.
• Mais enfin qu’est-ce qui se passe ? s’inquiéta Shiryu.

Shun se leva à son tour, sa chaîne ne trouvant aucune hostilité venant de la part du dieu du Sommeil. Il avait pourtant l’air farouchement déterminé à rayer le Cygne et la Princesse de la carte. Pire encore, la Chaîne d’Andromède tournait frénétiquement sur place en direction du Cygne.

• Avant d’être emporté par la lumière bleue, Hypnos a voulu lever la main sur la Princesse ! Voilà ce qui se passe ! cria Hyoga à l’encontre de Shiryu.
• C’est moi qui l’ai mis en colère, Hyoga, précisa une Saori bien mystérieuse.
• Oui… murmura Shun. Je me souviens de vous avoir vu prendre la main d’Hypnos, Princesse. Mais pourquoi ?

Le cosmos d’Hypnos s’éteignit brutalement. Il se calma aussi vite et lança un sourire de défiance à Saori.

• Pffffffft. Je ferais mieux de garder mes forces si je veux survivre, maintenant. C’était un coup stratégiquement exceptionnel, Athéna. Je dois le reconnaître, lança Hypnos avec respect.

Hyoga se calma à son tour et ses ailes se replièrent d’elles-mêmes quand son cosmos disparut dans un tourbillon délicat de flocons de neige. Saori sourit à Hyoga pour le remercier. Cette marque d’amitié sembla ramener le calme dans le cœur du Cygne.

• J’ai échangé avec Hypnos La Promesse de Sang d’Hadès, lâcha-t-elle avec énigme.
La Promesse de Sang ? s’impliqua Shun, dont les chaînes ne bougeaient plus.
• Oui, exactement…
• Comment avez-vous eu connaissance de ce rituel, Athéna ? Presque tout le monde, même parmi les Juges, ignorait son existence. Je pensais qu’à part Pandore, Rhadamanthe et mon frère, personne ne connaissait ce rite.
• Une fois n’est pas coutume, vous avez sous-estimé les Chevaliers d’Or, Hypnos, répondit Saori.
• Qu’est-ce que les Chevaliers d’Or viendraient faire dans cette histoire, Athéna ? demanda Hypnos.
• Vous auriez tort de penser que Sion du Bélier et Doko de la Balance ont survécu plus de deux cent cinquante ans à veiller sur le Sanctuaire et la Montagne de Rozan sans tout apprendre des Spectres d’Hadès et des règles du monde auquel ils ont survécu. Mais ce n’est pas grâce à eux que j’ai pris connaissance de La Promesse du Sang
• Se pourrait-il alors… dit Hypnos en ouvrant en grand les yeux et en reculant d’un pas.
• Je vois que tu as compris, Hypnos, ironisa Saori.
• Moi aussi j’ai compris ! dit Shiryu en approchant de sa Princesse en courant. Vous vous souvenez, c’est bien ça ?
• Oui, Shiryu. Je commence à retrouver les souvenirs d’Athéna. C’est encore très diffus, mais certaines choses des Guerres Saintes passées me reviennent.
• Vous voulez dire… commença Shun, que vous allez finir par retrouver les souvenirs et la mémoire de toutes les anciennes incarnations d’Athéna ?
• Oui… avec du temps… confirma un Hypnos visiblement dégoûté. Je ne savais pas que La Promesse du Sang avait déjà été conclue par Athéna. J’aurais dû le savoir. Je ne comprends pas.

La Princesse avança en direction d’Hypnos, pas à pas. Son masque doré cachait toujours son doux visage et il était impossible de savoir si ce dernier était sous l’Armure divine d’Athéna qui semblait avancer d’elle-même, celui d’un ange ou d’un démon assoiffé de conquêtes. Hypnos faillit reculer à nouveau d’un pas, mais se ravisa par orgueil. « Si Athéna retrouve totalement sa mémoire et que Seiya est réveillé, son pouvoir sera sans limite et elle pourra régner définitivement sur la Terre. Est-ce vraiment ce que je souhaite ? Mes millénaires de tourments ne sont-ils pas une bénédiction comparés à ce scénario improbable ? Si elle se souvient peu à peu, alors elle retrouvera aussi ses attaques capables de détruire des soleils… », pensa Hypnos. Saori s’arrêta à quelques mètres de lui.

• Je ne me souviens pas bien… C’était juste avant la chute de Rome. Athéna était… J’étais… dans le jardin d’Elision

Sous son masque d’Or, Saori ferma les yeux…

Athéna se trouvait au sommet d’une petite colline recouverte de fleurs. Son Armure divine ne portait aucun dégât apparent, si ce n’est qu’elle manquait d’éclat à cause du combat qui venait de prendre fin. Elle regarda son bouclier en l’inclinant un peu avec ce qui lui restait de forces. Une brûlure colossale lui avait fait perdre tout son éclat et l’avait presque parfaitement matifié. Elle était assez profondément blessée à la main gauche et un fin filet de sang coulait sur le masque qu’elle tenait à la main. Derrière elle, le Sépulcre d’Hadès devait reposer quelque part au sein de ce temple aux colonnes gigantesques. Elle tourna le visage jusqu’à pouvoir croiser le regard de son amie, qui se trouvait à côté d’elle.

• Syrielle… commença Athéna. Les autres sont déjà partis vers le Temple d’Hadès… Mais si Thanatos réussit à amener lui-même l’urne contenant le sang de la Cascade Rouge jusqu’au cercueil de son Seigneur, il pourra le ressusciter.
• Je sais, Athéna, répondit Syrielle du Wyvern. J’ai trahi sa Majesté et faire machine arrière est maintenant impossible. Je ne pourrai jamais vous remercier d’avoir épargné mon frère. Lorsqu’il s’est endormi dans mes bras, encore baigné de votre cosmos, j’ai senti à quel point il était pur et chaleureux. Je vous rembourserai avec ma vie.
• Je ne désire rien en retour, Syrielle. Tu as assez combattu. Tu dois te reposer ou tu saigneras à mort ! s’exclama Athéna.

Le Surplis du Wyvern faisait à Syrielle une silhouette parfaite. Ses longs cheveux blonds bouclés étaient tâchés par le sang qui s’écoulait encore d’une entaille inquiétante sur le sommet de son crâne. Ses ailes avaient été arrachées par Hypnos, avant qu’il ne soit enfermé dans la Boîte de Pandore. Elle reposait sur le sol, à côté de Syrielle. Celle-ci regarda le petit écrin de bois précieux orné d’Or et de pierres, puis sa main transpercée par le trident de Pandore. Elle tendit cette même main vers Athéna, qui la regarda sans comprendre.

• Prenez ma main, Athéna, demanda Syrielle.

Athéna accepta et serra chaleureusement la main de Syrielle. Leur sang se mélangea.

• C’est La Promesse de Sang… déclara le Spectre du Wyvern.
• Qu’est-ce que… commença la déesse.
• C’est un rite ancestral du Royaume. « Un sang pour un sang. Une vie pour une vie. De l’Hadès au Paradis, nous resterons à jamais unis. » C’est la formule consacrée. Je viens de jurer solennellement de vous protéger pour toujours, ce qui n’excusera jamais mon geste…
• Quel ges… commença la Princesse Myliana.

Elle n’eut pas le temps de finir. Des larmes dans les yeux, Syrielle du Wyvern venait de lui asséner un violent coup de son casque sur la nuque.

• Promettez-moi de veiller sur mon frère, Athéna. Dites-lui combien je l’aime et combien j’aimerais que nous nous ralliions à votre cause à nouveau dans notre prochaine vie…

Des larmes de joie mêlées à des larmes de tristesse remplissaient les yeux de Syrielle. La Promesse était scellée et Athéna ne devait pas mourir. Les Chevaliers de Bronze avaient pris de l’avance et il n’était pas question que l’un d’eux porte le coup de grâce à Thanatos. Elle s’en chargerait pour venger les yeux de son frère et elle y laisserait sa vie. Quand elle commença à courir, son Surplis sembla retrouver une brillance renouvelée. Des étoiles dansaient sur ses cuisses et ses jambières alors qu’elle accélérait sa course. Une de ses larmes tomba sur la joue d’Athéna, ou bien était-ce une larme de la déesse…

Saori rouvrit les yeux derrière son masque et Hyoga sembla être le seul à l’avoir noté. Une autre vie où le Spectre du Wyvern, Général des Juges d’Hadès, était une femme. Une autre vie où Syrielle du Wyvern avait péri afin de sauver Athéna et ne revit plus jamais son frère. Hyoga se jura qu’au premier pas de travers de la part d’Hypnos, la main de ce dernier ne toucherait plus jamais personne. Des larmes dans les yeux lui aussi, Shun essaya d’imaginer qui avait pu avant lui revêtir l’Armure d’Andromède. Il pensa au tragique destin de Syrielle du Wyvern et se demanda pourquoi tous les héros finissaient tôt ou tard comme l’héroïne dont il portait l’Armure.

• Oui… Encore une fois où je suis retombé prisonnier de cette maudite boîte… se rappela Hypnos. C’est donc à ce moment-là que cette traîtresse de Syrielle vous a enseigné ce rite… Il semble que vous aimiez vous lier par le sang avec des traîtres, ironisa-t-il.
• En effet, lança Saori en fixant Hypnos.

Le dieu du sommeil étouffa un rire amusé, comme s’il n’était pas du tout affecté par l’insulte évidente de la Princesse.

• Cette promesse ne vaut rien ! protesta Shiryu. Quelle importance une telle promesse peut-elle avoir pour un traître ?

Saori intervint avant qu’Hypnos ne puisse faire ou dire quoi que ce soit.

• Shiryu ! As-tu oublié Canon des Gémeaux ?

Le Dragon baissa la tête et serra les dents.

• Lui aussi était un traître. Et Milo l’a pardonné et accepté comme un frère au nom des Chevaliers d’Or.
• Qu’Hypnos commence alors par remettre sa vie entre nos mains comme Canon l’a fait avec le Chevalier d’Or du Scorpion ! s’exclama Hyoga.
• Il vient de le faire, Hyoga… déclara Saori. Il vient de le faire…

Hypnos regarda la main que Saori avait serrée dans la sienne. Il prit la parole.

• Au Royaume d’Hadès, il faut laisser toute espérance. C’était la règle instaurée par Hadès lui-même. Mais il l’a modifiée. Pour remercier Orphée de la Lyre un jour qu’il avait joué pour lui toute une après-midi jusqu’à en avoir les doigts en sang, Hadès lui accorda un vœu à condition qu’il ne concerne pas Eurydice. Orphée a souhaité qu’il subsiste de l’espoir en Hadès. Hadès était très contrarié, mais accepta. « Puisque j’ai espoir que tu reviennes jouer pour moi demain, avec ton sang, je vais créer une possibilité d’espoir pour l’homme en mon Royaume. Le faible pourra être protégé, si le fort l’accepte. », avait dit Hadès. C’est ainsi qu’est née la Promesse de Sang. Elle fut imposée comme une règle immuable et nous vivons avec depuis des centaines d’années. La seule limite est que peu de personnes connaissaient cette loi : il fallait la découvrir de soi-même.
• Et qu’est-ce qui nous prouve que tu vas tenir cette promesse, Hypnos ? demanda Shiryu.
• Rien du tout, Dragon… rien du tout, s’amusa Hypnos.

Saori serra son bouclier de plus belle. Pouvait-il être si suffisant et si malhonnête qu’il irait contre une tradition divine séculaire de son Royaume ? La perplexité de Saori fut vite troublée par des applaudissements lents et calculés démontrant tout le mépris de leur auteur. La Chaîne d’Andromède ne bougeait pas d’un pouce, et personne n’avait senti de cosmos dans la pièce.

• Une déesse essayant d’abuser un dieu, un dieu essayant d’abuser une déesse… Vraiment, les Sphères inférieures n’ont pas changé d’un pouce, dit une cristalline voix de femme.

Tout le monde se retourna vers le fond de la coupole. Quelqu’un était bien là, assis dans le noir sur de petites marches, adosséà une colonne. Certainement depuis leur arrivée et personne n’avait senti de présence. Shun regarda sa chaîne inerte et repensa à l’histoire de Kiki d’Appendix essayant de capter la présence d’Aiolia lors de son entraînement matinal… Si cet adversaire possédait un pouvoir comparable à celui du Lion, toute la tension dégagée par ses compagnons d’arme serait vite focalisée ailleurs que sur eux-mêmes…

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