Chapitre 4 : Entraînement(s).


Milo

Cette scène avait incontestablement quelque chose d'irréel. Douze chevaliers d'Or en train d'effectuer des exercices d'échauffements musculaires ! Cela étant, ils étaient nécessaire car nous étions loin d'être en assez bonne forme physique pour nous en dispenser.

Shura avait un peu grossi.

Il valait peut-être mieux d'ailleurs, tant il était maigre ; Shaka aidait Saga à étirer ses jambes. Aphrodite et Masque de Mort, pardon Paolo - je ne m'y habituerais jamais - s'encourageaient mutuellement à faire des pompes. Le problème était qu'ils en étaient incapables, vu qu'ils éclataient de rire toutes les trois secondes. Cela me faisait bizarre de voir Paolo agir avec tant de légèreté.

C'est Dohko qui avait eu cette idée. Lors du conseil de la veille, où Kanon avait détruit ce qui restait des armures Noires, il avait émis la possibilité d'un entraînement commun dans la prairie qui se trouvait derrière le palais du Grand Pope, à l'abri des regards indiscrets. Les trois chevaliers d'Argent avaient été commis à la garde des deux Crétois ; en leur compagnie, les prisonniers pourraient se dégourdir les jambes à l'intérieur du Sanctuaire. Shiriu, Hyoga, Ikki et Shun nous accompagnèrent pour nous servir " d'adversaires ". Même s'ils n'avaient pas récupéré la totalité de leurs pouvoirs, ils étaient bien plus avancés que nous. Ils pourraient donc aisément parer nos - pathétiques - attaques et nous n'aurions aucun remords à les frapper de toutes nos forces. De plus, ils avaient bien entendu interdiction formelle de se servir de leur cosmos pour attaquer.

Seiya n'était pas là, bien sûr. Depuis son retour au Sanctuaire, trois jours plus tôt, il n'avait pas quitté la maison du Lion, où il demeurait avec Seika qui veillait sur lui, aidée par Marine et Shina. Aiolia habitait avec Marine et croyait naïvement qu'aucun de nous n'était au courant… Cela étant, je pouvais railler et persifler, deux de mes caractéristiques principales, j'étais seul, moi. Curieusement, mon célibat ne m'avait guère gêné lorsque j'étais le puissant chevalier du Scorpion. Après tout, c'était normal. J'avais dévoué ma vie à Athéna et n'avais pas franchement le temps ni même la motivation pour chercher l'âme sœur. Mais à présent que mon pouvoir avait presque entièrement disparu, je me sentais plus humain, plus accessible aux sentiments. Hyoga m'avait certes ouvert les yeux lors de notre affrontement, mais sans que je me remette véritablement en question. Les trois dernières semaines avaient été une période intense de réflexion pour moi. Pendant un temps, j'avais pensé abandonner mon titre de chevalier et m'en aller vivre une existence simple, dénuée de combats et de haines, de tueries et de massacres.
Puis j'ai compris à quel point mon attitude était égoïste ; il était impossible pour moi de voir mes compagnons donner leur maximum pour réorganiser le Sanctuaire et partir comme un lâche. Parce que cela revenait à ça. Et j'étais tout sauf un lâche. Je croisai le regard de Hyoga ; il me sourit légèrement et me fit un signe de tête. Je compris immédiatement où il voulait en venir : il me provoquait. Gentiment, mais il me provoquait. A pas souples, je me rapprochai de lui, le poing serré. Sans prévenir, je me fendis. Mon poing se dirigea très rapidement vers l'estomac de Hyoga. Du moins, je crus qu'il allait rapidement. Car Hyoga bloqua mon coup sans la moindre difficulté et avant que j'ai eu le temps de comprendre ce qui m'arrivait, son pied droit avait quitté le sol et percutait mon plexus. J'eus le souffle coupé et tombai à genoux. Je n'en revenais pas ; certes j'étais faible et il était vain de le nier, mais de la à capituler dès le premier coup…

Je m'attendis à un concert de railleries ; il ne vint pas. ils étaient probablement tous conscients qu'ils auraient subi la même déculottée que moi. Sauf peut-être Aiolia qui ne put réprimer un ricanement. Notre bouillant chevalier du Lion voulut à son tour se mesurer à un chevalier de Bronze, en l'occurrence Ikki. Sans doute estimait-il qu'ayant approché le septième sens quelques jours auparavant, il était capable de s'en sortir. Et face à Shiriu, Hyoga ou Shun peut-être aurait-il réussi. Mais face à Ikki… Aiolia mordit la poussière quelques secondes à peine après avoir " chargé ". Les yeux mi-clos, comme s'il se désintéressait totalement de la question de ce qui se passait, Ikki évita Aiolia avant de le cueillir d'un uppercut bien senti au menton.

Plusieurs d'entre nous subirent la même humiliation, même si celle qu'infligea Shun à Aphrodite fit moins mal à celui qui l'avait reçu. La vieille réticence du chevalier Andromède, sans doute… Puis nous assistâmes à un magnifique combat d'art martiaux : Dohko vint se placer devant Shiriu et regarda son ex-disciple droit dans les yeux. Ce dernier ne cilla pas, se contentant d'incliner la tête très légèrement et de se mettre en garde. Sans prévenir, Dohko attaqua du poing gauche. Shiriu para et un étrange ballet s'engagea alors. C'était à croire qu'ils l'avaient répété pendant des années. Mais nous savions que c'était impossible. Et pourtant… A chaque attaque, l'autre trouvait immédiatement la riposte adéquate. Cela dura pendant plusieurs minutes jusqu'à ce que Shiriu glisse. Du moins c'est ce qu'il nous sembla ; Dohko aussi du reste, car il en oublia sa légendaire prudence et se précipita sur Shiriu. Ce dernier posa sa main gauche sur le sol et tendit sa jambe droite qui frappa les mollets de son maître. Celui-ci, totalement pris au dépourvu, subit un balayage en règle. Il tomba, le postérieur en premier, à terre. Le regard qu'il lança à Shiriu traduisit à la fois la stupéfaction et la fierté qu'il ressentait à son égard. Le chevalier du Dragon s'approcha et, en s'inclinant, tendit sa main. Dohko la saisit, un large sourire aux lèvres.

- Tu me surprendras décidément toujours Shiriu. Je ne t'aurais jamais cru capable d'une telle improvisation.
- Mes multiples combats m'ont obligé à m'adapter, maître.
- Tu n'as plus aucune raison de m'appeler ainsi, coupa vivement Dohko. Tu es largement mon égal, si ce n'est mon supérieur. Non, ne m'interromps pas, enchaîna-t-il vivement, il est temps que tu laisses derrière toi ce trop grand respect que tu me portes.

Shiriu inclina la tête en signe d'assentiment, mais il était visible qu'il n'en pensait pas moins. Dohko choisit de ne pas relever et s'adressa à nous.

- L'un d'entre vous désire-t-il lancer un dernier défi ?

Personne ne répondit. Nous étions tous hors d'haleine, hormis peut-être Shaka et Mû qui ne s'étaient guère risqués à se mesurer aux chevaliers de Bronze, sachant probablement ce qui les attendaient. Nous rentrâmes donc tranquillement vers nos maisons. Pour ma part, si je me sentais toujours très loin de mon ancien niveau, j'avais incontestablement progressé ce matin-là. J'étais donc un homme heureux lorsque nous traversâmes le treizième temple. Puis, nous croisâmes l'une des deux prêtresses de Knossos. Pas celle qui jouait de sa beauté comme d'une arme, l'autre. Son nom m'échappait pour le moment. Toutefois, après l'avoir regardé et surtout remarqué le léger coup d'œil qu'elle m'adressa, je me jurai de l'apprendre à nouveau pour ne plus jamais l'oublier.

Lorsque je pénétrai dans ma maison, j'étais un homme amoureux.

***

Shaka

Combien de temps allais-je pouvoir continuer à mentir ? Combien de jours, d'heures, de minutes peut-être, avant que quelqu'un ne finisse par se rendre compte ?

J'avais retrouvé mes pouvoirs.

J'en m'étais rendu compte pour la première fois lors de l'entraînement entre Aiolia et Marine. La manœuvre du chevalier du Lion, aussi rapide fut-elle, m'apparut d'une lenteur terrible. Je compris alors que mon cosmos s'était réveillé. Cette nuit-là, je quittai silencieusement ma maison, du moins les quelques murs qui la formaient pour l'instant. Je marchai pendant plusieurs dizaines de minutes, jusqu'à une petite crique des environs. J'avais coutume de m'y rendre assez souvent, avant de me retrancher dans la maison de la Vierge, fermé au monde extérieur. Cette nuit-là était magnifique. Pas un nuage ne venait cacher les étoiles et la pleine lune irradiait au-dessus de ma tête. Je contemplai la falaise devant moi. Il fallait que je sache, que j'obtienne une certitude. Pourtant, au moment où j'allais faire appel à mon cosmos, j'eus un instant d'hésitation. Les conséquences inhérentes au retour du cosmos étaient en effet incalculables.

Parce que les autres finiraient par retrouver leurs cosmo-énergies également ; ce n'était qu'une question de temps. Finalement, ma curiosité l'emporta et je laissai éclater mon cosmos. De longs frissons me traversèrent alors que les familières vibrations d'énergie parcouraient à nouveau mon corps. Mon poing se serra, presque malgré moi et se dirigea avec violence sur la paroi rocheuse. Le cratère que j'avais réalisé était béant, mais probablement pas autant que ce j'aurais pu faire auparavant. Quoique je ne m'étais jamais exercé à frapper un rocher. Des applaudissements se firent soudain entendre derrière moi. Mais des applaudissements que je devinai aisément moqueurs.

Il ne s'agissait ni d'un chevalier d'Or, ni d'un chevalier de Bronze ; je connaissais trop bien leurs cosmo-énergies. Non, je n'arrivais pas à trouver. Pourtant je l'avais déjà rencontré, j'en étais certain. Je me retournai et vit Néa face à moi. C'était la première fois que je la voyais sans son armure et jamais, je crois, je ne fus ébloui par tant de beauté. D'ordinaire pourtant, la beauté des hommes et des femmes me laissait indifférent. Je parvenais toujours à percevoir qu'en dessous de la dorure, brillaient des sentiments moins purs tels que l'égocentrisme, le narcissisme et j'en passe. L'exemple d'Aphrodite était sur ce point parfaitement frappant. Mais je ne voyais rien de tel chez Néa. Son attitude restait modeste, comme si elle avait été inconsciente de son charme.

- Que fais-tu là, Néa, finis-je par articuler au bout de plusieurs secondes ?
- Je vous ai suivi, chevalier Shaka. Je me demandais pour quelle raison vous pouviez quitter le Sanctuaire en pleine nuit.
- Tu me surveillais ?
- Pas vous particulièrement, non. Mais le Grand Pope m'a ordonné de veiller la nuit sur le Domaine Sacré.
- Pourquoi as-tu quitté ton poste dans ce cas ?
- Oh, répondit-elle d'un ton désinvolte en faisant tourner ses cheveux, c'est la première qu'il se passe quelque chose, alors j'ai voulu voir.
- Attends un instant, c'est seulement la deuxième nuit que tu passes au Sanctuaire, non ? Et tu en as déjà assez ? ? ?

Néa eut un petit rire.

- Alors comme ça, fit-elle en détournant la conversation, vous avez récupéré vos pouvoirs.
- Oui, répondis-je d'un ton un peu sec. Tu m'obligerais d'ailleurs en ne le révélant à personne.
- Vous pouvez compter sur moi. Dites-moi, ajouta-t-elle, que diriez-vous d'un petit assaut ? Vu les circonstances, nous devrions être de force sensiblement égales, non ?

Je manquai de lui répondre vertement. Un chevalier d'Argent, aussi puissant qu'un chevalier d'Or ? Quel délire ! Puis je me rappelais la situation. Elle était un chevalier d'Argent en pleine possession de ses moyens et je n'étais qu'un chevalier d'Or convalescent.
Je la fixai quelques secondes, tentant de déterminer si elle plaisantait, ou si elle était sérieuse. Après réflexion, j'optais pour la seconde hypothèse.

- Soit, Néa, fis-je en haussant les épaules, un assaut. Et un seul.
- Comme vous voudrez.

Elle se mit en garde. Un cosmos de couleur mat l'entoura alors. Je lui opposai mon aura dorée. Au moment où celle-ci apparaissait, je me rendis compte à nouveau à quel point mon cosmos m'avait manqué. Cet instant délicieux où le sentiment d'être un surhomme faisait son apparition. Je respirai le bonheur ; pour la première fois depuis des semaines, je me sentis enfin complet. Néa tendit son bras droit et ouvrit sa main.

- Par le Miroir de l'Autel !

Un gigantesque miroir apparut. Il tournoya quelques instants, puis capta les rayons de la Lune, me les projetant directement. Au départ, je crus qu'il s'agissait d'une sorte d'illusion, mais lorsque le premier rayon me pénétra la jambe, je ne pus réprimer un hurlement de douleur. Le suivant me transperça l'aine, mais j'avais eu le temps de me reprendre. Je parais les rayons de plus en plus facilement et, en même temps, je me rapprochais de Néa. Lorsque je fus suffisamment prêt, je frappai à mon tour. Une boule d'énergie - Je ne voulus pas utiliser mes puissantes attaques, car je ne savais si je pouvais m'en servir, ni quelles pouvaient en être les conséquences - quitta ma main et frappa Néa en plein plexus. Sous le choc, elle recula d'une dizaine de mètres, toutefois sans tomber.

- Tu m'as vaincue, Shaka. Si tu avais utilisé le quart de ta puissance, je serais morte.
- Ton attaque est bonne, rétorquais-je, mais tu dois te tenir sur tes gardes. Tu n'es jamais à l'abri d'une contre-attaque. Il faut être plus souple sur tes jambes et l'œil toujours aux aguets.

Néa se remit droite et s'inclina devant moi.

- Merci maître, fit-elle dans un ton où l'ironie se mêlait au respect. Accepteriez-vous de m'enseigner ?
- T'enseigner quoi ? Tu es déjà chevalier, non ?
- Oui, mais je n'ai pas terminé mon entraînement. C'est vrai, je suis chevalier et je dispose de pouvoirs qui sont loin d'être faibles. Je peux ouvrir des brèches dimensionnelles pour me déplacer d'un point à un autre. Je peux me servir de la Lune ou du Soleil pour attaquer. Mais je n'ai pas de plan de rechange. Si mon attaque n'est pas décisive, je suis morte. Jusqu'ici j'ai eu de la chance. Tous mes adversaires ont succombé au premier coup, ce qui m'a permis de m'en sortir.
- Je comprends. Qui était ton maître ?
- Akalos, chevalier d'Argent du Peintre.
- Akalos… Voyons, ce nom me dit quelque chose…Mais bien sûr ! Il était grand, les cheveux noirs, le regard clair, n'est-ce pas ?
- Oui… Mais comment le connaissez-vous ?
- Oh, c'est ma foi assez simple. Je l'ai vaincu en combat singulier.
- Vous l'avez combattu ? Pour quelles raisons ?
- L'armure de la Vierge, tout simplement. Ton maître et moi nous entendions à merveille, même si je ne passais pas énormément de temps avec lui. L'entraînement pour l'obtention de l'armure de la Vierge requiert beaucoup de méditation. Toutefois, afin de nous rappeler que nous ne sommes pas uniquement des " pensants ", l'épreuve finale est un duel entre les deux meilleurs disciples.
- Et vous l'avez dominé.
- Oui. Mais il n'avait rien à se reprocher : les dés étaient pipés. Je devais devenir le chevalier de la Vierge. Et je crois que c'est parce que ce combat était quelque peu truqué, qu'Athéna lui a permis de revêtir une armure d'Argent.

Tout à coup, mes jambes se dérobèrent sous moi et je commençai à tourner de l'œil. Tout à ma conversation, je ne m'étais pas aperçu que mes blessures continuaient à saigner. Néa s'approcha de moi, arracha deux bandes de tissu de son t-shirt et me fit deux garrots. Lorsqu'elle se pencha pour serrer mon pansement, elle m'offrit - bien involontairement - une vue plongeante vers sa généreuse poitrine. Et pour une fois, lorsque je fermai les yeux, ce ne fut pas pour méditer. Néa s'aperçut de mon trouble et commença à me poser questions sur questions concernant son ancien maître. J'appris également que ce dernier était mort, tué par des inconnus. Intérieurement, je ne pouvais m'empêcher de me demander si Saga n'avait pas quelque chose à voir là-dedans, puis je me dis qu'il était impossible de rejeter toutes les fautes du monde sur celui-ci. Peut-être était-il responsable de la mort d'Akalos, peut-être pas. Mais il ne m'appartenait pas d'en juger.

Notre discussion nous tint éveillés jusqu'au lever du soleil. Puis, Néa me fit remarquer qu'il me fallait rejoindre ma demeure. Mes blessures étaient certes peu profondes, mais il fallait les cacher. Elle m'aida à me remettre sur pied et je m'appuyai sur elle, même si je détestais cet aveu de faiblesse. Nous ne rencontrâmes pas âme qui vive. Malgré mes dénégations, elle tint à m'aider également à me coucher, de peur que je rouvre mes blessures par un faux mouvement. Je ne me déshabillai bien évidemment pas. Elle me remonta la couverture, puis resta immobile quelques secondes. Sans que je m'y attende, elle se pencha et m'embrassa très légèrement sur le front, puis elle partit.

Je fus incapable de réprimer le sourire béat que je sentais venir sur mon visage.

***

Androgée

Les premiers rayons du soleil apparurent. Idoménée dormait encore, du sommeil du juste. Dans la pièce à côté, je pouvais percevoir les ronflements sonores d'Aldébaran.
Je levai la tête et vis Kanon des Gémeaux, assis sur les marches devant sa maison, le dos adossé à une colonne. Tout avait bien changé depuis les premières nuits. Au début, Aldébaran montait la garde à la porte de leur chambre et Kanon se tenait debout, avec son armure, devant la troisième maison. Puis, ils se sont tous deux rendus compte que nous n'avions aucune velléités d'évasion et leur attention s'était relâchée. Aldébaran avait bien changé, du moins au point de vue du caractère. Il n'avait plus grand-chose à voir avec le jeune garçon un peu fou que j'avais connu à Knossos. A cette époque, il était toujours le premier à faire toutes les bêtises possibles et imaginables. Notre maître, le vieux sage, usait ses derniers pouvoirs à lui infliger des corrections mémorables, dont Aldébaran se relevait presque toujours indemne. Sa faculté de récupération et d'encaissement des coups était exceptionnelle. Je me souvenais qu'une fois, notre maître m'avait ordonné de passer l'après-midi à le frapper et que pas une fois, il n'avait cillé.

Nous étions devenus amis assez rapidement. Il faut dire que sa bonne humeur perpétuelle était contagieuse. Il nous arrivait d'avoir des fous rires que nous étions absolument incapables de réprimer ; dans ces cas-là, invariablement, nous voyions mon père arriver. D'ordinaire, à sa vue, je me redressais immédiatement et attendais ses ordres. Mais lorsque nous avions nos fous rires, j'étais incapable de recouvrer mon sérieux. Mon père me regardait alors avec ce regard noir qu'il affectionnait et partait en pestant auprès de Poséidon pour demander quelle faute il avait bien pu commettre pour se retrouver affublé d'un rejeton pareil. Je ne me suis rendu réellement compte de la supériorité d'Aldébaran que le jour où il est revenu avec l'armure du Taureau. Je savais que l'épreuve pour l'obtenir était des plus terribles et de voir que mon camarade l'avait réussie m'avait beaucoup impressionné. Puis Aldébaran quitta la Crète pour rejoindre le Sanctuaire ; je ne le revis plus jusqu'au moment où nous arrivâmes dans les Arènes. Je le reconnus tout de suite. Seule une plus grande maturité pouvait se lire à présent sur son visage. Ses muscles s'étaient certes épaissis et son visage était un peu plus carré, mais globalement, il était resté le même.

Il ne s'autorisa un sourire - et encore, un pauvre - que lorsque nous fûmes seuls. Idoménée avait été prié de rester dans notre chambre pendant qu'Aldébaran et moi avions une explication.

- J'attends tes explications, Androgée, fit-il en soupirant.
- Quelles explications ?
- Qu'est-ce qui a bien pu te pousser à vouloir tuer les chevaliers de Bronze ?

Je lui expliquai tout. Mon serment à la déesse, mes relations avec mon père, celles avec Seika. A la mention de cette dernière, son œil brilla légèrement. Et pour finir, la mort de Miho qui, si elle n'était pas de mon fait, m'incombait tout de même en temps que nouveau roi de Knossos

- Tu t'es mis dans une situation difficile, Androgée. Les chevaliers de Bronze sont les emblèmes du Sanctuaire. En l'absence d'Athéna, ce sont eux qui garantissent la cohésion du Domaine Sacré.
- Mais et vous, ne pus-je m'empêcher d'interrompre ?
- Nous ? Nous ne sommes rien, comparés à eux. Nous avons aussi tenté de les combattre et nous avons tous été vaincus, sans exception. Ce sont nos successeurs. Et ceux qui s'avisent de toucher à un seul de leurs cheveux, ou à ceux des personnes qu'ils aiment, se mettent automatiquement dans un grand embarras. Tu as de la chance qu'Aiolia ou Camus n'aient pas recouvré leurs pouvoirs parce que j'ai lu une grande colère dans leurs yeux.
- Et maintenant, que va-t-il nous arriver ? Nous sommes venus nous remettre à la justice du Grand Pope. Combien de temps va-t-il nous laisser sous ta garde ?
- Quelques jours, je pense. Ton cas est exceptionnel, Androgée. Tu es, malgré tout, un roi. Dohko ne peut te juger en quelques heures. Il va probablement convoquer le Conseil et demander l'avis des chevaliers de Bronze.
- Bien, nous attendrons.

Aldébaran ferma les yeux. J'en profitai pour me lever et rejoindre ma chambre qui se trouvait à côté.

- Androgée ?
- Oui, répondis-je sans me retourner ?
- Ne tente rien de stupide. Kanon n'est pas quelqu'un que l'on dupe et le personnage est assez soupe au lait. Surtout, il est beaucoup plus puissant que toi…
- Ne t'inquiète pas ; je n'ai aucune intention de m'enfuir.

Alors que cette phrase quittait mes lèvres, un nom me venait : Seika…


Ce matin-là, alors qu'Idoménée commençait à se réveiller, Aldébaran entra.

- Dohko a convoqué le Conseil, nous annonça-t-il sans ménagements. Comme prévu, la présence des chevaliers de Bronze est également requise, ainsi que celle de Shina et de Marine. La vôtre le sera d'ici deux jours, semble-t-il. J'ai réussi à convaincre Dohko que vous n'aviez aucune intentions de vous enfuir et c'est pourquoi vous êtes aujourd'hui libres de vos mouvements, à l'intérieur du Domaine bien entendu. Toutefois, les chevaliers d'Argent auront pour tâche de vous surveiller de loin.
- Merci Aldébaran, répondis-je en m'inclinant.

Le chevalier du Taureau sortit et quitta la maison. Sur son chemin, il trouva Mû qui l'attendait. Ensemble, ils rejoignirent Kanon et Saga et se dirigèrent vers le haut du Sanctuaire. Je laissai Idoménée à ses étirements et me dirigeai vers les Arènes. Je marchai quelques minutes, croisant à droite et à gauche les disciples qui s'entraînaient sous la férule de leurs maîtres.
Je sentais également, au loin, le regard des chevaliers d'Argent censés me surveiller. Puis, un peu plus loin, assise et me tournant le dos, une tête rousse. Je respirai un grand coup et soufflai.

- Seika.

Elle ne se retourna pas. Pourtant, je savais qu'elle m'avait entendu car je la vis se raidir. Mon cœur battait la chamade et j'étais incapable de l'arrêter. Jusqu'à ce que sa voix me fasse toucher terre.

- Que me veux-tu, Androgée ?

Son ton était froid et cassant. Rien à voir avec la voix mélodieuse à laquelle je m'étais habitué.

- Rien… Rien de spécial. Je t'ai vu et j'ai voulu te parler.
- Je ne suis pas sûre d'avoir envie de t'écouter.

Elle se retourna alors et je vis les éclairs danser dans ses yeux. Elle n'avait peut-être pas envie de m'écouter, mais j'étais à peu près certain que j'allais en prendre pour mon grade.

- Toi, tu vas m'écouter, Androgée. J'ai vécu à Knossos quelques jours de pur bonheur. J'avais retrouvé mon frère, je me sentais heureuse et en plus j'avais rencontré un homme formidable, que je croyais bon et honnête. Et tu m'as trahi !

Son ton était allé croissant et sa dernière phrase me fit encore plus mal que les attaques conjuguées des chevaliers de Bronze que j'avais subi dans le Labyrinthe.

- Je n'avais pas le choix, commençai-je à répondre…
- Ah non, m'interrompit-elle ! Tu ne vas pas me servir encore ton boniment de serment à la noix !
- Mais c'est pourtant la vérité. Tu ne sais pas ce que c'est de jurer sur l'autel de la Déesse. C'est bien plus fort que jurer fidélité à un Dieu ou à une déesse. C'est un serment qui te marque dans ta chair et…

Je m'arrêtai. Les larmes qui avaient commencé à perler, coulaient à présent sans retenue sur le joli visage de Seika. Je voulais m'approcher, pour la prendre dans mes bras, mais je savais qu'elle me repousserait.

- Tu ne crois pas que tu en as fait assez, Androgée ?

Je tournai les épaules et vis Shunrei qui me regardait avec des yeux vibrants de colère. Elle me passa devant et pris Seika dans ses bras. Celle-ci s'abandonna tout à fait et les sanglots redoublèrent de plus belle. Je serrai mes poings de dépit et m'en fus.

J'avais joué ma dernière carte et j'avais perdu.

Chapitre précédent - Retour au sommaire - Chapitre suivant

www.saintseiya.com
Cette fiction est copyright Emmanuel Axelrad.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.