Chapitre 1 : Le Sacrifice d'Andromède


Je m'éveillais dans une chambre d'hôpital. Tournant lentement la tête, j'aperçus le tuyau de transfusion. Tout mon corps était engourdit et malgré la faible lueur qui régnait dans la chambre, la lumière me faisait mal aux yeux.

Je gémis faiblement puis j'entendis un bruit d'étoffe. Une main se posa délicatement sur mon front. Elle était fraîche et ce doux contact me fit du bien. Je sus immédiatement qu'il s'agissait d'Athéna. Je souris puis je retombais dans l'inconscience.

Je me réveillais de nouveau. Il faisait jour à présent et j'entendais des voix tout prêt de moi. N'arrivant pas à garder les yeux ouverts, je les refermais et me concentrais sur les voix.

- Est-ce qu'ils vont mieux, docteur?
- Ils sont très fatigués, mademoiselle Kido. Je ne sais pas ce qui leur est arrivé, mais s'ils sont encore inconscients, ce n'est pas à cause de leurs blessures qui sont presque toutes guéries.
- Vous voulez dire qu'ils se laissent mourir? répliqua la jeune femme alarmée.
- Je ne sais pas. Vous avez dit que l'un d'eux s'est éveillé hier? Alors peut être n'ont-ils besoin que de repos… aussi bien physique que moral.
- J'y veillerais, docteur.

Je bougeais faiblement la main et je sentis une douce main se poser sur mon bras.

- Shun, murmura la jeune fille. Shun, comment te sens-tu?

J'ouvris les yeux avec difficulté et lui adressa un sourire réconfortant. Je ne me sentais pas assez fort pour parler. J'aurais voulu savoir où étaient mes frères. Etaient-ils dans la même chambre que moi? Tant bien que mal, je parviens à parcourir la chambre du regard et je fus soulagé de les voir près de moi. Ils étaient encore inconscient mais ils étaient là. Puis je ressentis une énorme pression sur mon cœur. Il manquait quelqu'un… Où était Seiya? Je m'agitais un moment mais Saori posa une main sur mon épaule.

- Calme-toi Shun. Tout va bien maintenant…

Je tournais le visage vers elle. Je sentis le goût salé de mes larmes sur mes lèvres. Je fis un effort surhumain pour prononcer un seul mot, si faiblement qu'elle du se pencher pour l'entendre.

- Seiya… murmurais-je.

Saori se redressa, les yeux embrumés de larmes. Elle secoua la tête puis se détourna de moi. Je ne comprenais pas. Pourquoi Seiya n'était-il pas là? Pourquoi mes larmes coulaient-elles à chaque fois que je pensais à lui? Et puis la vérité me revient…

Je revoyais Seiya prendre l'épée d'Hadès dans le ventre puis s'écrouler. Mais cette fois-ci, il ne s'était pas relevé. Il était mort… Une indicible douleur m'étreignit tout le corps et je me mis à me débattre. Affolée, Saori appela les médecins qui mirent un produit dans ma transfusion. Je replongeais alors dans les bienheureuses ténèbres.

Il m'avait fallut trois jours pour me remettre du choc. A présent, je parvenais à me lever. Je veillais avec attention mes frères et amis, essayant de ne penser qu'aux vivants. Mais je n'y parvenais pas vraiment. Depuis la crise que j'avais fais en me souvenant de la mort de Seiya, aucun son n'était sorti de mes lèvres. Malgré tous mes efforts, mes paroles s'étranglaient dans ma gorge et seule une râle lugubre sortait de ma bouche.

Avec infiniment de patience et d'amour, j'aidais mes frères à revenir parmi nous. Le visage toujours souriant, j'aidais mes frères à manger, à marcher dans la chambre. Mais je ne prononçais aucun mot. Je sentais parfois le regard inquiet de Ikki sur moi et je me retournais, un sourire réconfortant aux lèvres. Et mon frère semblait être rassuré.

Mais s'il avait pu voir l'intérieur de mon âme, il ne l'aurait probablement pas été. Mes larmes avaient cessé de couler sur mes joues mais des larmes de sang emplissaient mon esprit. Je ne pouvais oublier. J'avais été Hadès et mon frère, mon ami était mort de la main du Dieu des Enfers. J'essayais de garder la tête hors de l'eau, hors du désespoir qui m'étreignait le cœur. Je devais être fort pour eux, pour mes frères.

Nous sortîmes enfin de l'hôpital. Dans la voiture qui nous ramenait au manoir Kido, mes frères parlaient joyeusement, essayant de combler mon silence. Je les écoutais, un léger sourire aux lèvres, le visage paisible. La voiture s'immobilisa enfin. Lentement, nous descendîmes de la voiture. Devant la maison, Saori nous attendait. A son côté se tenait Tatsumi et derrière elle je pus voir mes autres frères.

- Shun! s'écria une voix derrière moi.

Je me retournais pour recevoir June dans mes bras. Elle s'accrocha désespérément à mon cou. Je la serrais brièvement sur mon cœur puis la repoussais gentiment, un doux sourire aux lèvres. Elle ne portait pas son masque et l'amour que je lus dans ses yeux me firent mal. Je fus surpris de cette souffrance. J'aimais profondément June… Son amour aurait dû faire fondre la glace qui entourait mon cœur… Mais ce n'était pas le cas; je sentais que ces yeux remplis d'amour resserrait l'étau de mon cœur.

Les jours qui suivirent, je décidais de reprendre goût à la vie. Il fallait que je sorte de cette spirale infernale qu'était le désespoir. Il fallait que je retrouve ma voix… Avec infiniment de patience, June restait à mes côtés, m'apportant son soutient. Je sentais aussi la présence réconfortante de mon frère Ikki. Nous partions faire de longues promenades où il me parlait de tout et de rien.

Et un matin, je me réveillais libéré de mon désespoir. Je descendis dans la salle à manger où tous mes frères prenaient leur petit déjeuner. La pièce résonnait de cris et de rires. En me voyant entrer, Ikki se leva. Je lui adressais un sourire joyeux. Le premier qui fut sincère depuis notre retour des Enfers. Les yeux de mon frère s'éclaircirent et il me rendit mon sourire. Les voix s'étaient tues et tous les yeux étaient braqués sur moi.

- Ben alors Shun? T'as fait la grâce matinée? lança Jabu. Tu as faillit ne plus rien avoir! Géki a presque tout mangé!

Nous nous mîmes à rire de toute notre âme. Qu'il était bon de rire avec des personnes chers à mon cœur. Je m'assis entre June et Ikki. Je me fis quelques tartines que je mangeais avec appétit.

Je m'éclipsais discrètement et me rendis dans la forêt. Arrivé dans un endroit paisible, j'inspirais profondément et ouvrit la bouche. Mais aucun son ne sorti… Je recommençais, essayant de forcer ma voix à revenir mais rien n'y fit. Des larmes de frustration se mirent à couler sur mes joues. Pourquoi? Pourquoi n'arrivais-je pas à parler? Pourtant je me sentais mieux. La mort de Seiya ne me pesait plus autant alors pourquoi? Je sentis une main sur mon épaule. Je me retournais pour voir des yeux bleus qui me regardait avec sympathie.

- Laisse-toi un peu de temps. Je suis sûr que ta voix reviendra.

Impulsivement, je me blottis dans ses bras, pleurant toutes les larmes que j'avais retenues jusqu'ici. Hyôga me serra dans ses bras jusqu'à ce que mes sanglots se calment. Je m'écartais alors de lui pour sécher mes larmes. J'avais besoin d'un mouchoir. Gêné, j'en cherchais un dans mes poches. Un bout de tissus blanc me fut alors mis sous les yeux. Je regardais Shiryu avec reconnaissance et m'empressais de me moucher. Je reposais les yeux sur Hyôga pour constater que le tee-shirt de celui-ci était tout mouillé à cause de mes larmes.

- Ce n'est rien, répliqua Hyôga en comprenant ma gêne. Ce n'est qu'un maillot sans importance.
- Allez viens, Shun, dit Shiryu en entourant mes épaules de son bras. Ikki te cherche partout.

Timidement, je lui tendis son mouchoir. Il le regarda un moment puis se mit à rire, imité par Hyôga.

- Garde-le!

Les jours suivant furent heureux. Ma voix ne s'était pas décidée à revenir et malgré la frustration que je ressentais, je restais calme. Ma relation avec June devenait de plus en plus importante à mes yeux et je savourais enfin la paix retrouvée. Et mes frères paraissaient également totalement remis de la perte inextricable de Seiya. De loin, Saori nous observait, calme et tranquille, présence rassurante et protectrice.

Nous fîmes alors la plus grosse erreur de notre vie : nous retournâmes au Sanctuaire pour l'enterrement de tous ceux qui avaient perdu la vie durant la guerre contre Hadès.

La douleur était insupportable. D'un bras ferme et rassurant, Ikki me soutenait. Mais qui le soutenait lui? Saori parlait de la vaillance de ces hommes, de l'immense vide qu'ils avaient laissé dans nos vies. Je défaillis. Ikki resserra sa prise autour de mes épaules. Saori s'était tue et me regardait, les yeux indéchiffrables puis repris son discours.

A côté de nous, je voyais la pâleur de Hyôga et les yeux vides de Shiryu. Pourquoi étions-nous venu? Cette cérémonie faisait plus de mal que de bien. Je sentis ma tête tourner.

- Allons-nous en, murmura alors Hyôga.

Je vis Jabu hésité à nous retenir mais Ban l'arrêta. Nous marchâmes tous les quatre droit devant nous sans nous occuper du regard de reproches de Saori. Il était encore trop tôt pour nous. Nous ne pouvions pas encore accepter si simplement la mort de Seiya. Après tout ce que nous avions vécu ensemble, ce n'était pas si facile. En trois mois, nous avions certes fait de gros progrès mais pas suffisamment pour supporter cette épreuve.

Nous quittâmes le Sanctuaire pour nous retrouver bientôt dans la ville d'Athènes. Je sentais le regard intrigué des gens qui nous croisaient mais nous continuions à marcher. On s'arrêta enfin dans une vaste plaine remplie de fleurs. J'avais complètement perdu la notion de temps. Où étions nous? Depuis combien de temps marchions-nous? Je m'arrêtais et mes frères se tournèrent vers moi. Lentement, je m'assis par terre bientôt imités par eux. Shiryu regarda autour de lui avec intérêt.

- Où sommes-nous à votre avis?
- Loin du Sanctuaire, c'est tout ce qui compte, répliqua Ikki.

Shiryu hocha tristement la tête. Nous restâmes dans ce champs jusqu'à la tombée de la nuit. Je ressentis alors le scintillement des étoiles au-dessus de moi. Je m'allongeais sur le dos et me mis à les contempler. Je repérais facilement ma constellation puis mes yeux se posèrent sur Pégase. Elle avait perdu de son ancien éclat mais elle était toujours là, immuable.

- J'ai l'impression d'entendre son rire… murmura Shiryu à côté de moi.

Je tournais la tête vers lui. Il regardait lui aussi les étoiles. Je levais une main et la posais sur son bras. Aux rayons de la lune, je le vis me regarder puis me sourire.

- Ce ne sont pas des souvenirs tristes, continua-t-il. On doit se souvenir que des bons moments. De ses sautes d'humeurs, de sa fougue, de son courage…

Et ils se mirent à parler de tous ces moments inoubliables qu'on avait vécus avec lui. Nous n'avions pas sommeil. Nous restâmes allongés sur l'herbe, revoyant notre frère, notre ami nous sourire. Mais il s'éloignait… Le silence se fit. Nous regardâmes sa constellation s'évanouir dans les premiers rayons de l'aube… et nous lui fîmes nos adieux.

Nous n'avions pas envi de retourner au manoir Kido ni au Sanctuaire… pas encore. Nous avions envi d'être ensemble. Après une brève discussion, nous décidâmes d'allez en Sibérie, là où Hyôga avait subi son entraînement. Le froid piquait mes joues mais cela me fit du bien. Je ne m'étais jamais senti aussi vivant. Et au scintillement que je voyais dans les yeux de mes frères, je savais qu'eux aussi se sentais bien.

Nous restâmes une semaine entière. Jouant dans la neige, comme des gamins que nous n'avions jamais pu être. Quel enivrant sentiment de liberté! Nous étions si bien… Mais nous ne pouvions pas rester indéfiniment coupés du monde. D'un commun accord, nous décidâmes de retourner au manoir Kido.

Devant les portes de la grande demeure, Ikki hésita. Je lui lançais un regard de compréhension. Il nous regarda entrer dans le manoir puis tourna le dos. Sur le pas de la porte, je le regardais s'éloigner, un pincement au cœur. Mais Ikki était un solitaire et je le comprenais. Il reviendra, j'en étais sûr. Shiryu m'appela de l'intérieur et je m'empressais d'entrer puis de refermer la porte.

Saori se tenait devant nous. Elle nous regardait avec une expression indéchiffrable puis elle se détourna et monta le grand escalier. Nous échangeâmes un regard perplexe. Tatsumi apparut alors et nous couvrit de reproches. Je voyais les yeux de Shiryu s'embrasser et le visage de Hyôga rougir de colère. Tatsumi dû le voir également car il se tut puis s'éloigna précipitamment. Je posais une main sur le bras de chacun d'eux et ils se calmèrent.

Nous montâmes alors dans nos chambres. Je m'allongeais sur mon lit. J'étais fatigué et une petite sieste ne me ferrait pas de mal. Je m'endormis rapidement. A mon réveil, June était près de moi. Doucement, elle se pencha sur moi et m'embrassa sur le front.

- Je suis heureuse que tu sois revenu…

Je lui adressais un sourire d'excuse et, impulsivement, je la pris dans mes bras.

Je travaillais comme bénévole dans un hospice. Aider ses gens me faisait du bien. J'avais l'impression de ne plus être ce messager de mort. Me battre m'avait toujours été pénible mais ici, j'étais utile et j'aimais les gens avec qui je travaillais. Malgré la tristesse que m'avait causé le départ de Shiryu et Hyôga, je restais serein. Je ne pouvais pas leur en vouloir : eux aussi devaient trouver un but à leur vie. Le mien était d'aider mon prochain.

Ma vie de chevalier me semblait si loin… Je n'avais pas fait appel à mon cosmos depuis la fin de la guerre et j'espérais secrètement que tout cela était bien fini.

Et puis dans quelques années, lorsque je serrais assez âgé, je me marierais avec June et nous vivrons heureux… c'est tout ce que je désirais.

C'était une petite fille belle comme un bouton de rose. Ses yeux étaient d'un bleu si intense qu'il faisait fondre les cœurs les plus durs. Et ses cheveux ressemblaient aux blés. Son sourire suffisait à éclairer une morne journée. Comment s'appelait-elle? Qui étaient ses parents? Je ne le saurais jamais… mais quand la voiture a foncé sur elle, je me suis précipité et l'ai poussée vers le trottoir. Pourquoi n'ai-je pas réussit à éveiller mon cosmos? Pourquoi n'ai-je pas réussis à éviter la voiture? Je ne le saurais jamais. Je n'entendais que des bruits confus, mes yeux ne voyaient qu'une tâche rouge…

Je suis un chevalier… J'ai survécu à bien pire… alors pourquoi? Pourquoi? Dans un dernier sursaut de vie, je parviens à murmurer un mot :

- Ikki!

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