Chapitre 6 : Dans les ruines de Delphes


Apollon, le Dieu Soleil…Il était ainsi revenu à la vie, lui aussi, pour prendre le contrôle de la Terre, et tromper les plans d'Athéna et du Grand Pope, qui ne s'attendaient pas à son retour. Les quelques chevaliers présents dans la Chambre Sacrée écoutaient attentivement les informations qui leur étaient révélées.

- Apollon, fit Athéna, est donc l'ennemi que nous allons devoir combattre ; c'est pour cette raison que je vous ai rassemblés en ce lieu. Vous avez été les chevaliers les plus méritants durant l'Epreuve que je vous ai fait subir, et vous avez montré face aux chevaliers d'or une bravoure et une témérité qui font de vous des chevaliers prêts à offrir leur vie pour la paix et la justice. Cependant, il nous faut rester prudent face à Apollon. Ce n'est pas l'Ennemi que nous attendions, et sa résurrection me laisse perplexe, car je croyais qu'il avait été définitivement vaincu lors de la précédente Guerre Sainte, sans moyen de pouvoir renaître à nouveau…Il ne s'est pas manifesté à nous directement et ne nous a pas déclaré la guerre, mais nous avons la preuve qu'il est bien de retour grâce à l'Oracle consulté par le Grand Pope ces deux derniers jours, et bien sûr à la mort de Jason du Bélier, qui porte sa marque. Aussi, j'ai la crainte qu'un piège nous ait été tendus, destiné à éliminer un à un les chevaliers d'Athéna…

Le Grand Pope paraissait perplexe. Il avait combattu effectivement Apollon près de deux siècles auparavant, et pensait à l'époque l'avoir vaincu pour de bon et empêché à jamais de ressusciter et de menacer la paix du monde. Comment avait-il pu revenir ?

- J'ai donc décidé, reprit Athéna, de ne prendre aucun risque pour l'instant et de ne pas lancer une attaque immédiate sur le Sanctuaire d'Apollon, qui laisserait notre propre Sanctuaire sans défense.

Athéna se tourna alors vers Doko et Yoko, qui se trouvaient en tête des chevaliers présents dans la salle.

- Doko du Dragon et Yoko du Tigre, vous avez été parmi les plus brillants participants à l'Epreuve, en atteignant la maison des Gémeaux et celle de la Balance. Je vous confie une mission importante. Vous allez dès maintenant vous rendre à Delphes, là où se trouvent des ruines constituant, depuis les temps les plus anciens, le Sanctuaire d'Apollon, et y observer ce qui s'y passe. Vous ne devrez en aucun cas vous faire repérer par les chevaliers d'Apollon, et revenir aussitôt à Athènes pour nous rendre compte de ce que vous y avez découvert. Nous aviserons d'agir ensuite, en fonction de ce que vous y aurez appris.

- Bien, déesse, répondirent à l'unisson Doko et Yoko.
- Cette séance est maintenant close, annonça le Grand Pope, je demande à chacun des chevaliers présents de regagner ses quartiers.

Seuls Athéna et le Grand Pope restaient dans la grande pièce.

- Déesse Athéna, dit le Grand Pope, je ne vous cache pas mon inquiétude. Apollon avait été vaincu lors de votre précédente incarnation, et il avait pourtant bien été mis à jamais hors d'état de nuire.
- Du moins le croyait-on, répondit Athéna. Il n'avait pas été tué corporellement, mais seulement enfermé dans une urne dont il ne pouvait, en principe, plus jamais s'échapper.
- Seule une aide extérieure pouvait lui permettre de revenir à la vie et de reprendre la guerre. Mais le moyen par lequel il avait été enfermé dans cette urne était un secret que seule une poignée d'entre nous connaissions. Qui diable aurait pu lui permettre de…
- Peut-être la même personne qui a tué si froidement le chevalier d'or du Bélier…
- Vous voulez donc dire que… ?
- Oui, Ivan. L'instigateur de cette nouvelle bataille est peut-être quelqu'un que nous connaissons ; un traître parmi les chevaliers d'Athéna !

*****

Delphes, Sanctuaire d'Apollon

Nous avions très vite quitté le Sanctuaire, Yoko et moi, en route pour le lieu d'où provenait le mal qui s'emparait du Sanctuaire. En nous déplaçant à la vitesse du son, il ne nous fallut pas plus de quelques minutes pour traverser les grandes plaines et collines d'Attique qui séparaient Athènes de Delphes. Conformément à la demande d'Athéna, nous n'avions pas emmené nos armures de bronze avec nous, afin de ne pas éveiller nos cosmos et attirer notre ennemi. Néanmoins, je redoutais un possible affrontement. Il allait être difficile de pénétrer dans le Sanctuaire d'Apollon et d'y découvrir quelque chose sans être vus. Combien de guerriers avaient juré fidélité à Apollon ? Comme tant d'autres dieux désirant s'emparer de la Terre, il avait sans doute convaincu chacun d'entre eux de la corruption et du mal régnant dans le monde entre les Hommes, et de la nécessité de détruire ce monde pour en rebâtir un nouveau, purifié. Mon vieux maître Anatol m'avait enseigné que c'était toujours sur de tels discours qu'étaient nées toutes les guerres contre le Mal, par le passé, et que de nouveaux conflits rejailliraient hélas à l'avenir, incessamment. Que de sang versé, pour ces guerres finalement si vides de sens ; que de chevaliers, sans doute si braves à l'origine, aveuglés par le discours égoïste d'un Dieu, qui leur aura promis monts et merveilles !

Nous arrivâmes à Delphes à la nuit tombée, et nous dirigeâmes vers les ruines du Sanctuaire, dans les anciens quartiers de la ville. Nous fûmes surpris par la beauté des lieux, une végétation luxuriante s'étendait tout autour des ruines, et ne laissait en voir qu'une partie. Pour sûr, le Sanctuaire d'Apollon s'étendait bien au-delà de ces quelques ruines, et abritait le Dieu en un Temple somptueux et bien conservé. Nous décidâmes d'avancer prudemment en nous aventurant dans cette végétation, qui nous aidait en nous cachant. C'est alors que nous entendîmes de la musique, de plus en plus distinctement alors que nous avancions, une mélodie douce et apaisante, jouée à la harpe, un peu comme celle que Ménélas, le chevalier du Cancer, était réputé jouer. Cette musique semblait nous attirer, et elle était si belle qu'il était difficile de résister à l'écouter. Derrière un buisson, nous vîmes alors un homme assis près d'une fontaine, qu'éclairait un feu ardent à même le sol, d'où provenait cette musique magnifique. Un homme habillé d'une longue toge blanche, qui jouait d'une petite harpe, sans doute une cithare, et que des oiseaux, posés près de lui, semblaient écouter.

- Halte ! Qui va là !

Nous n'eûmes pas le temps d'observer d'avantage cet homme à la cithare; quelqu'un se tenait derrière nous et nous appelait. Nous avions échoués dans la discrétion que nous devions observer, et étions repérés.

L'homme était un chevalier ; son armure, malgré la nuit noire, brillait d'une lumière éclatante.

- Qui êtes-vous, étrangers, et que faîtes-vous ici, dans ce lieu sacré où nul homme n'a le droit de pénétrer ?
- Nous sommes des habitants de Delphes, tentai-je alors, et nous avons l'habitude de nous promener à la nuit tombée, mais nous venons de nous égarer.
- Que racontez-vous ! Pourquoi cette femme porte un masque ?

En effet, nous n'avions pas emporté nos armures, mais le masque de Yoko nous trahissait. C'en était fini de notre mission, il allait falloir se battre.

- Tu as raison, chevalier, fit alors Yoko, nous ne sommes pas de simples humains égarés en ces lieux. Nous sommes des chevaliers d'Athéna, et nous venons vous déclarer la guerre pour la mort abjecte du chevalier d'or du Bélier !
- Yoko ! Criai-je alors, désespéramment. Pourquoi ?
- N'aie crainte, Doko, nous sommes plus fort que lui. Chevalier, va voir ton maître et dis-lui que la déesse Athéna va venir le combattre entourée de ses plus vaillants combattants, dont nous faisons partie.
- Ah, oui ? Des vaillants combattants ? C'est ce que nous allons voir ; maintenant que je sais qui vous êtes, je ne vous laisserai pas quitter ce lieu en vie. Moi, Actéon du Cerf, Phébus de Neptune, l'un des sept chevaliers d'Apollon !
- Très bien ,en garde, Phébus de Neptune ! Reçois toute la puissance de mon attaque ! Par la Colère du Dragon !
- Que crois-tu pouvoir me faire avec ton attaque ridicule, et de plus sans ton armure ? ? Admire plutôt la toute puissance des Phébus d'Apollon ! Par les Rênes Foudroyants !

Une explosion nous balaya, Yoko et moi, dans un nuage de poussière, et nous fit perdre connaissance.
Je me réveillai le lendemain matin, au lever du soleil. Actéon m'avait sans doute laissé pour mort. Je regardai autour de moi sans voir Yoko. Je la cherchai un moment, mais en vain. Elle avait disparu.

*****

Athènes, Sanctuaire d'Athéna

Plusieurs heures s'étaient écoulées depuis le départ de Doko et Yoko, et l'inquiétude grandissait. Pourquoi ne revenaient-ils pas ? Que leur étaient-ils arrivés ? Athéna gardait une mine sereine, dans son palais, et le Grand Pope s'en étonnait. Il savait qui était Apollon, et de quoi il était capable. C'est parmi les chevaliers d'or que la tension était la plus palpable. Presque tous craignaient que l'Ennemi ne se lance directement à l'assaut du Sanctuaire pour prendre la vie de la déesse. C'était pour elle qu'ils existaient, et dans sa présence au Sanctuaire qu'ils puisaient leur raison de vivre. Ils étaient l'ultime rempart qui la protégeait de tout ennemi ; quand bien même tous les chevaliers de bronze et d'argent pouvaient être vaincus, ils étaient toujours là pour défendre leur déesse jusqu'à leur dernier souffle. Aussi, durant la bataille qui allait commencer contre le dieu Apollon, ils ne devaient pas intervenir et rester dans leurs maisons respectives, car le véritable Ennemi d'Athéna pouvait surgir n'importe quand, et il était bien plus puissant qu'Apollon.

C'est vers la fin de la matinée que des soldats du Sanctuaire vinrent annoncer le retour de Doko du Dragon au Grand Pope, mais en lui précisant qu'il était seul et relativement blessé. Comprenant que quelque chose de grave s'était produit, il rappela Athéna et fit venir Doko devant lui.

- Athéna, pardonnez-moi…j'ai échoué dans ma mission !
- Tu n'as pas à t'excuser, Doko du Dragon ; la mission que je t'avais confiée était périlleuse, et le risque d'être vu de notre ennemi était grand. Je vois que tu es couvert de plaies ; que t'est-il arrivé ?
- Yoko et moi avons été attaqués par l'un des chevaliers d'Apollon, le Phébus de Neptune. Et Yoko a, semble t-il, été enlevée…Tout cela est de ma faute !
- C'est moi qui ai commis une erreur en vous envoyant à Delphes sans vos armures, et sans mesurer le risque que vous encouriez. Malheureusement, Yoko du Tigre est tombée entre leurs mains…sans son armure, elle n'a sans doute pas pu opposer une grande résistance contre les chevaliers d'Apollon. Et, maintenant, il est probable qu'Apollon va se servir d'elle comme d'un moyen de chantage pour nous forcer à venir à lui. C'est un piège qui nous a été préparés, et il va falloir être extrêmement vigilants.
- Les Phébus…fit le Grand Pope. Ces guerriers sont redoutables, et égalent certainement la force des chevaliers d'or. Malheureusement, nous ne pouvons envoyer aucun des douze chevaliers d'or à Delphes. Ils doivent rester dans les douze maisons pour protéger leur demeure au cas où notre véritable Ennemi déclencherait une offensive contre le Sanctuaire.
- Les Phébus d'Apollon valent bien mieux que vos misérables chevaliers…
- Qui a parlé ? ? ? Qui est là ? ? ?

Une jeune femme fit son entrée dans la Chambre Sacrée, à la surprise générale. Elle ne portait pas d'armure, mais une longue robe blanche et un petit voile qui lui couvrait une partie des cheveux. Comment était-elle parvenue jusque là ?

- Je suis Europe, l'une des Nymphes d'Artémis, au service du dieu Apollon.
- Une Nymphe ? Et comment est-tu parvenue jusqu'ici ?
- Oh, le chevalier du Dragon n'a pas été très observateur en revenant à Athènes ; je l'ai suivi durant tout ce trajet sans qu'il ne se rende compte un seul instant de ma présence et il m'a amené ainsi jusqu'au pied des douze maisons sans la moindre difficulté. Ensuite, il m'a suffi d'être persuasive avec vos chevaliers d'or, pour qu'ils me laissent traverser leur demeure…ils sont plus dociles que vous ne le pensez, vous savez…
- Ca suffit, Nymphe ! Venons-en tout de suite au cœur du sujet, fit le Grand Pope. Tu es venue porter la parole d'Apollon ?
- En effet, si je suis venue jusqu'à vous, c'est pour vous annoncer que mon maître a l'intention de prendre le contrôle de la Terre dans les jours qui viennent, et de provoquer l'extinction de toute forme de vie sans délai. Il va pour cela déployer un dispositif qui a déjà commencé à faire effet…
- Comment ? ? Que dis-tu ? ? Fit le Grand Pope.
- Ne sentez-vous rien d'anormal dans l'air de cette matinée ?
- Que veux-tu dire ? Qu'y a t-il dans l'air, hormis ce temps chaud qu'il fait depuis plusieurs jours ?
- Il fait chaud, en effet, et, si je ne m'abuse, nous sommes en plein hiver…
- …Non, ce n'est pas possible ! ! ? ?
- Si, vous l'avez parfaitement compris. Mon maître Apollon va augmenter progressivement la température du soleil, et provoquer un réchauffement climatique jusqu'à ce que toute forme de vie disparaisse de la surface de la Terre. Bientôt, la chaleur sera telle que l'eau va s'évaporer et totalement disparaître, toutes les mers et océans se vider, et les humains périr suffoqués, dans d'atroces souffrances…Seuls nous, Phébus et Nymphes d'Apollon et d'Artémis, y échapperont, car le Sanctuaire d'Apollon est protégé par un bouclier thermique dû à la seule volonté de notre divin maître…
- Je ne peux le croire…fit Athéna, sans perdre son sang froid habituel. Quelle cruauté ! Jamais nous ne le laisserons faire !
- Et Yoko ? ? Demanda Doko, décidé à prendre la parole. Que lui est-il arrivée ?
- Yoko du Tigre ? Tu devrais t'en douter, chevalier du Dragon…Elle est retenue prisonnière, et sa vie ne dépend que de la volonté de notre vénéré maître le Dieu Apollon. Sachez aussi bien sûr que le chevalier Jason du Bélier a été exécuté par nos soins, cela va sans dire…il s'agit d'un premier avertissement, destiné à vous montrer que même vos chevaliers d'or ne sont rien face aux Phébus d'Apollon, et que, si vous voulez vous mesurer à eux, ce sont les onze autres chevaliers d'or qu'il vous faut envoyer. Mais sachez que mon maître a grand cœur, et qu'il vous offre la possibilité d'échapper à la destruction de la Terre…si vous acceptez de vous rallier à lui, en devenant chevaliers de sa garde personnelle, et vous-même, Athéna, en régnant à ses côtés sur le nouveau monde que nous allons reconstruire!
- Tu perds la raison, nymphe Europe ! ! S'écria Athéna. Tu vas à présent retourner voir ton maître et lui dire que je ne le crains pas et que je viens sur le champ le combattre, entourée de mes chevaliers. Et qu'il se souvienne des guerres passées, où je l'ai vaincu à chaque fois !
- A votre place, je ne serais pas si optimiste…

La nymphe Europe s'en retourna à Delphes, et Athéna convoqua à nouveau, dans la Chambre Sacrée, les quelques chevaliers qu'elle avait convoqués la veille pour les féliciter de leur performance durant l'Epreuve. Il y avait une absente de marque dans le petit groupe, en la personne de Yoko. Au-dehors du palais du Grand Pope, dans un ciel bleu azur, le soleil brillait violemment, d'une manière plus qu'inhabituelle, et la chaleur était de plus en plus pesante d'heure en heure.

- Bien, annonça Athéna ; de nouveau vous voilà rassemblés, car cette fois les données sont précises et l'heure est venue de livrer sur-le-champ notre première bataille. Cinquante et un chevaliers de bronze et d'argent ont jusqu'ici tenté l'Epreuve que j'avais organisée, sur un total de soixante-sept chevaliers ; seuls seize n'ont pas encore eu l'occasion d'y participer. Vous êtes les sept chevaliers, sur ces cinquante et un, à avoir réalisé les meilleures performances en parvenant tous au moins à franchir le seuil de la première maison. Le destin a donc fait de vous ceux qui vont m'accompagner dans cette bataille contre Apollon.
- Chevaliers, fit le Grand Pope, au nom de la déesse Athéna, je vous demande à nouveau de vous présenter et de renouveler votre serment de fidélité.
- Je suis Khalid, chevalier de bronze de la Licorne, et je jure fidélité jusqu'à la mort à la déesse Athéna.
- Je suis Doko, chevalier de bronze du Dragon, et je jure de me battre jusqu'à mon dernier souffle pour la paix et la justice sur Terre.
- Arcanan, chevalier d'argent du Corbeau. Je jure d'offrir ma vie pour la victoire d'Athéna contre le Mal.
- Neil, chevalier de bronze du Lynx. Je jure de vouer ma vie et mon âme pour la gloire de la déesse Athéna.
- Polydecte, chevalier d'argent de Céphée, au service d'Athéna contre le Mal.
- Je suis Adam, chevalier d'argent de l'Horloge, et je me battrai jusqu'à la mort pour Celle que j'ai pour devoir de protéger.
- Tom, chevalier d'argent du Lézard. Je jure d'être toute ma vie fidèle au nom de la déesse Athéna.

- Et maintenant, chevaliers, sans attendre davantage, rendons-nous à Delphes, terre du Dieu Apollon, pour combattre et vaincre notre ennemi !

*****

Delphes, Sanctuaire d'Apollon

La chaleur du soleil envahissait la terre depuis plusieurs heures, de plus en plus violemment. A quelques mois près, rien n'aurait laissé présager la raison divine de cet ensoleillement intensif. Seul le souvenir d'être au mois de février de l'an de grâce 1743 faisait naître un sentiment d'inquiétude. En la ville de Delphes, calme et paisible depuis des années sans guerre, tout comme le reste de la province ottomane de Grèce, les habitants sortaient de chez eux et profitaient agréablement de cette chaleur opportune, sans se douter du terrible conflit qui se préparait, à quelques foulées de là, dans les faubourgs abandonnés de l'ancienne ville.

Dans ces faubourgs, d'ailleurs, rien n'indiquait non plus l'imminence de ce conflit. Une forêt vaste et dense, qui avait poussé là avec les siècles, recouvrait une grande partie des ruines de ce qui était jadis le sanctuaire du dieu Apollon, et masquait en réalité une agitation grandissante depuis plusieurs jours.

- Nous y sommes, déesse Athéna. C'est ici même que, hier, je me trouvais avec le chevalier du Tigre lorsque nous avons été agressés par ce Phébus d'Apollon. Un certain Actéon du Cerf.

Ainsi parlait Doko, qui menait le petit groupe de chevaliers accompagnant la déesse vers son ennemi, en les orientant vers les sentiers qu'il reconnaissait avoir empruntés il y a peu.

- C'est aussi ici que Yoko a été enlevée…
- Ne t'en fais pas, Doko, nous la retrouverons, sois-en sûr. De plus, il n'est pas impossible qu'elle ait réussi à échapper à sa captivité et à s'enfuir. Même sans son armure, elle reste l'un de nos meilleurs chevaliers. N'est-ce pas toi qui me l'a répété lors de l'Epreuve ?
- Mais pourquoi ne nous aurait-elle pas rejoint dans ce cas ? Je ne sens nulle part sa cosmo-énergie et ne peux m'empêcher de m'inquiéter.
- Nous le saurons sans doute très bientôt ! Fit Tom, le chevalier d'argent du Lézard. Ne sentez-vous pas ce cosmos qui se rapproche de nous ?
- Ce cosmos…fit Athéna. Il ne me semble pas hostile ni violent, bien au contraire. Il ne s'agit pas d'un chevalier…
- C'est exact, déesse Athéna.

Une voix féminine inconnue venait de prononcer ses paroles. Athéna et les sept chevaliers l'accompagnant se retournèrent. Derrière eux, sur le flanc d'une petite colline d'herbe, se tenait une jeune femme blonde, sans armure, vêtue d'une longue robe blanche et d'un voile, exactement comme la nymphe Europe qui s'était adressée à eux dans la Chambre du Grand Pope, peu de temps auparavant. Son regard était pur et profond, et, effectivement, aucune hostilité ne se dégageait d'elle.

- Ne serais-tu pas une nymphe, toi aussi ?
- Je vois qu'Europe vous a laissé un certain souvenir, et je m'en réjouis. Je suis effectivement moi aussi une nymphe d'Artémis, au service de notre seigneur Apollon. Mon nom est Mégare. Je vous souhaite tous la bienvenue au sanctuaire de notre maître. Que nous vaut l'honneur de votre visite ?
- Je suis venue ici pour rencontrer ton maître, répondit Athéna, et lui demander de cesser immédiatement le réchauffement de la Terre ; ainsi que pour retrouver le chevalier du Tigre, Yoko. Cela ne devrait pas te surprendre ! Mes plus fidèles chevaliers m'ont accompagnée jusqu'ici et sont prêts à se mesurer aux guerriers d'Apollon s'il le faut. Ils ne les craignent pas.
- Quelle naïveté…croyez-vous que vous êtes de taille à vous mesurer à eux ? Il ne sert à rien d'engager ce combat, qui fera couler beaucoup de sang inutilement. Contentez-vous d'attendre paisiblement la destruction de ce monde, qui est imminente. Souvenez-vous de ce qu'Europe vous a dit : acceptez de vous rallier à notre maître, et vous aurez la vie sauve.
- Tu oses me demander de me rallier à la folie sanguinaire d'Apollon , à moi, Athéna, qui ai repris vie sur cette Terre pour la protéger ? Depuis les temps les plus anciens, une poignée de dieux ont tenté de s'emparer de la Terre, au mépris des hommes qui l'habitent. Les chevaliers d'Athéna ont toujours été là pour les en empêcher. Aujourd'hui encore, ils ne laisseront jamais triompher les desseins égoïstes de ton maître.
- Il ne s'agit que de rendre à ce monde l'apparence qu'il avait à l'origine, et qu'il doit retrouver. Ce monde est devenu laid, il a été terni par la volonté des hommes de s'enrichir par le travail et de vaincre les forces de la nature en détruisant celle-ci. Ce que veux notre divin maître Apollon est le retour d'un monde beau, comme il l'était lorsque les dieux y vivaient encore. Un monde enchanteresse, où l'on pourrait vivre sans travailler, se nourrissant des fruits d'une nature féconde ainsi que du nectar coulant de fontaines intarissables, en se laissant enivrer par le chant des oiseaux et le son des cithares…Le retour de l'Age d'Or ! Le règne de la Beauté ; en d'autres mots, le Paradis sur Terre ! N'est-ce pas merveilleux ?
- Un monde, reprit Arcanan du Corbeau, où Apollon règnerait sans partage, après avoir exterminé l'humanité toute entière ! Crois-tu une seule seconde que nous allons vous laisser faire ? En garde, nymphe Mégare ! Tu vas regretter tes paroles ! !
- Arrête, Arcanan ! Fit Doko en lui attrapant le poignet pour l'empêcher d'attaquer la nymphe. Cette Mégare n'est pas notre ennemie, tu ne dois lui faire aucun mal. Mégare, tu vas nous dire où se trouve ton maître, nous allons le trouver immédiatement et le sommer de se rendre.
- Vous n'êtes pas sérieux ! Mon maître est un Dieu, et un Dieu n'acceptera jamais de rencontrer de misérables humains tels que vous. Vous ne seriez même pas autorisés à voir le bout de ses pieds. Seule Athéna peut espérer le rencontrer, c'est d'ailleurs ce qu'il attend. Mais sachez, chère déesse, qu'il ne vous laissera que deux alternatives…
- Ah oui ? Fit Neil du Lynx. Je serais curieux de savoir lesquelles.
- L'union avec lui, ou la mort, bien évidemment…
- Il n'en est pas question ! Fit Polydecte de Céphée. Nous allons accompagner notre déesse jusqu'à Apollon, et nous ne la laisserons pas seule un seul instant.
- Soyez raisonnable, et rentrez chez vous… Vous n'êtes pas de taille à vous mesurer à un Dieu.
- Elle dit la vérité, chevaliers, fit Athéna.
- Quoi ? ? ?
- C'est à moi, Athéna qu'il revient de rencontrer Apollon pour le forcer à renoncer au réchauffement de la Terre. Vous devez me laisser m'y rendre seule pour le rencontrer. Moi seule suis en mesure de l'affronter. Votre mission à vous, est de veiller à ce qu'aucun des guerriers d'Apollon ne quitte ce Sanctuaire. Car ces guerriers menacent, d'une minute à l'autre, de mettre le monde à feu et à sang . N'est-ce pas, Mégare ?
- Vous êtes perspicace, Athéna…En effet, le réchauffement de la Terre ne suffira pas à purifier la totalité de sa surface ; quelques humains tenteront sans doute de résister en s'abritant de la température par divers moyens, du moins dans l'immédiat. Les guerriers d'Apollon ne vont pas tarder à investir toute la surface de la Terre, et leur mission est de se débarrasser de ces résistants de fortune. Mais vous ne pourrez jamais vous mesure à eux ; leur pouvoir est incalculable. Je vous l'ai dit, renoncez à ce combat, il est parfaitement inutile. Ne souillez pas ce lieu sacré de votre sang impur !
- Jamais ! Tu m'entends ? Jamais nous ne vous laisserons faire, répondit Neil. Et même si ce combat est comme tu le dis inégal, nous le tenterons malgré tout, car tel est notre devoir, et nous défendrons le nom de la déesse Athéna jusqu'à notre dernier souffle.
- Quelle déclaration de témérité, chevalier ! Je n'en attendais pas moins de vous ; on dit que les chevaliers d'Athéna sont têtus, et vous êtes à la hauteur de votre réputation, c'est le moins que l'on puisse dire. Si vous y tenez vraiment, provoquez-les…mais vous le regretterez. Il est temps que je reparte auprès d'Artémis, à présent. Déesse Athéna, si vous voulez bien me suivre…
- Entendu, Mégare, amène-moi auprès de ton maître Apollon. Chevaliers, fit-elle à ses sept accompagnateurs, je compte sur vous pour vaincre les guerriers d'Apollon et empêcher l'accélération de la destruction de la Terre. Je vous jure, de mon côté, de tout faire pour que cesse le réchauffement de la planète. Je vous souhaite bonne chance à tous.
- Mais, Athéna ! ! S'écria Doko, avec un regard incrédule. Nous ne pouvons vous laisser aller seule à la rencontre d'Apollon, c'est bien trop dangereux pour vous !

C'est alors qu'Athéna, dans un silence angoissant, regarda fixement ses sept chevaliers dans les yeux, avec un léger sourire muet, qui semblait leur communiquer une détresse indicible. Il leur sembla qu'elle tentait de retenir quelques larmes. Puis elle retourna la tête vers la nymphe Mégare, sans un mot, et se mit à marcher avec elle, en s'éloignant des chevaliers, leur tournant le dos.

- Non ! ! Attendez ! ! !

D'un élan désespéré, Tom du Lézard courut vers Athéna et Mégare, qui s'évanouirent alors dans une sorte de brume naissante.

" Athénaaaaaaaaaa… "

Il n'y avait plus personne. Les sept chevaliers se trouvaient seuls.

- Mais pourquoi ? Pourquoi ? ?

Doko était à terre, à genoux, ne comprenant toujours pas la réaction d'Athéna. Quelques larmes de consternation lui perlaient sur les joues.

- Pourquoi a t-elle refusé que nous la suivions jusqu'à Apollon ? Nous, qui sommes ses chevaliers, à qui elle avait fait appel pour l'accompagner jusqu'ici et la protéger ? ? ?

- Lorsqu'elle nous a regardés une dernière fois avant de s'en aller, j'ai vu une larme couler sur sa joue, fit Khalid de la Licorne. Elle avait comme une expression de désespoir. Comme si…comme si…
- Comme si elle savait que Mégare avait raison, que le combat était perdu d'avance et que nous ne pourrions rien faire contre les chevaliers d'Apollon, rétorqua Neil. J'ai bien peur qu'elle ne veuille tenter de…
- Tu ne penses tout de même pas que… ! ! !
- Si, répondit Neil, qu'elle ait compris que la seule solution qu'elle avait pour vaincre Apollon et sauver le monde, était de se sacrifier. D'offrir sa vie ! ! !
- Et elle aurait refusé que nous l'accompagnions pour préserver nos vies ! Car elle savait que nous étions prêts à nous sacrifier pour elle !

Adam de l'Horloge, qui était resté muet depuis le début, prit alors la parole.

- Assez ! Ca suffit ! ! !

Les six autres chevaliers, tous les larmes aux yeux, tournèrent leurs regards vers le chevalier d'argent de l'Horloge.

- Regardez-vous tous, en train de pleurer ! Vous êtes pitoyables ! Allez, relevez-vous !

Ce fut fait dans les secondes qui suivirent. Déterminé, Adam reprit.

- Pourquoi pleurez-vous ? Athéna nous a souhaité bonne chance avant de s'en aller ! Elle a dit qu'elle nous faisait confiance ! Elle sait que nous combattrons les chevaliers d'Apollon et que nous les vaincrons. Ce n'est pas en pleurnichant de la sorte que vous vous donnerez les moyens d'y parvenir !
- Bien, Adam ! ! Répondirent-ils tous en chœur.
- Oui, tu as raison, fit Doko, nous sommes ridicules. Athéna savait ce qu'elle faisait. Elle n'a pas contesté les ordres de Mégare, mais elle sait très bien, au fond d'elle, que nous allons la retrouver très bientôt et l'aider à combattre Apollon, une fois que nous aurons vaincu ses guerriers.
- Allez, assez parlé, fit Adam. Les chevaliers d'Apollon sont certainement encore à l'intérieur de ce Sanctuaire. Il faut les empêcher de quitter ces lieux avant qu'ils ne partent mettre la Terre à feu et à sang. Séparons-nous tous les sept et retrouvons ces chevaliers ! Et rendez-vous au temple d'Apollon, pour y aider Athéna !
- OUI ! ! !Firent six personnes à l'unisson, avant de disparaître en plusieurs jets de lumière dans des directions opposées.

*****

Depuis plusieurs minutes, Arcanan du Corbeau suivait un sentier qui contournait une forêt et s'élevait dans la montagne. Cette route semblait ne pas avoir de fin, et l'altitude, plus élevée qu'au Sanctuaire d'Athéna, commençait un peu à lui peser. Il pouvait voir sur sa gauche un magnifique paysage ensoleillé se dessiner au fond d'une vallée, mais il n'avait évidemment pas le temps de le contempler.

- C'est étonnant, je ne ressens plus la chaleur torride de tout à l'heure, se dit-il. La nymphe Europe avait raison; le Sanctuaire d'Apollon est tout entier protégé par une sorte de bouclier thermique. Quand je pense que, tout près d'ici, des milliers de personnes commencent à suffoquer sous de lourdes températures…Il faut se dépêcher, il n'y a pas de temps à perdre !

Il accéléra le mouvement ; c'est alors qu'il parvint devant les ruines d'un temple, dont quelques colonnes doriques restaient encore debout.

- Je sens une présence ici…corbeaux, venez à moi !

Arcanan produisit un sifflement de deux doigts dans la bouche, et cinq corbeaux noirs comme l'ébène volèrent à lui, comme jaillis de nulle part. Ils avaient suivi leur maître d'Athènes jusqu'à Delphes.

- Allez, cherchez votre ennemi !

Les corbeaux se mirent à plonger dans plusieurs directions opposées. C'est alors que l'un d'entre eux tomba à terre en poussant un cri, laissant quelques plumes au passage, touché par une sorte de corne.

- Je t'ai repéré ! Montre-toi, chevalier !

Un homme sortit de derrière un arbre, vêtu d'une armure d'un brun scintillant violemment, comme reflétant à Arcanan les rayons du soleil. Il mit plusieurs secondes avant de pouvoir s'habituer à cette lumière et de distinguer le visage de l'homme.

- Je m'apprêtais à quitter ces lieux sacrés pour remplir sur Terre la mission qui m'a été confiée…est-ce toi qui as osé m'en empêcher ?
- Oui, c'est moi, et je t'en empêcherai définitivement, car je vais te tuer !
- Tu es amusant de naïveté…tu ne sais pas à qui tu as affaire…
- Je suis Arcanan, chevalier d'argent du Corbeau, au service de la déesse Athéna, et je te combattrai jusqu'à la mort ! Dis-moi qui tu es, à présent !
- Puisque tu tiens tant à le savoir, tant pis pour toi…Je suis Erymanthe du Sanglier, Phébus d'Uranus, l'un des sept guerriers d'Apollon !

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Cette fiction est copyright Christophe Becquet et Fabrice Willot.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.