Chapitre 20 : Athéna et Arès! Un Combat de Légende


Saori

Mon armure me recouvrait à présent entièrement, comme une seconde peau de métal divin, et je ne me sentais pourtant qu'à moitié protégée. Il n'était pas question d'être effrayée, car je n'avais eu peur en ce qui me concernait, mais un immense sentiment de solitude régnait à présent autour de moi et sur l'île d'Azura entière. La vie de ce lieu, aussi morbide fusse-t-elle, venait de s'arrêter, alors que tous les Berserkers étaient morts, peu avant leurs maîtres Deimos et Phobos et que j'avais fait disparaître tous mes fidèles guerriers.
C'était leurs énergies, leur foi qui me manquaient, qui ne me soutenaient plus comme ils le faisaient sans même s'en rendre compte, dans une sorte d'inconscient collectif qu'ils me dédiaient innocemment.
J'avais ressenti la fin de leur combat, alors qu'ils se rassemblaient comme les constellations qui les veillaient depuis leur naissance, et j'avais deviné que le choc de l'explosion de cette attaque, qui existait depuis la nuit des temps mais n'avait été que très rarement exploitée, les aurait probablement fait dépérir si je n'avais pas eu le réflexe de les transporter ailleurs au moment du choc.
Je mordis ma lèvre inférieure alors que chacun de leurs visages s'esquissaient devant moi. Il était à présent certain qu'ils étaient en vie, sur l'île voisine d'Azura où je les avais transportés... mais la question était, en réalité, dans quel état? Je priais à cet instant mon père, cet homme que je n'avais pas connu car j'étais fille d'un Dieu, de les protéger, de les aider sur la voie d'une guérison qui durerait des semaines, peut-être même des mois.
Je battis rapidement des paupières alors que je m'avançais entre d'immenses colonnes qui projetaient des ombres sur ma peau, faisant hésiter mon teint entre le pâle et l'obscur.
Je les emmènerai à l'hôpital de la Fondation, seul endroit où l'on ne nous poserait pas de question et où les moyens techniques et scientifiques à leur survie existaient... que n'aurais-je donné pour être déjà à cet instant?
Je me figeais devant l'immensité d'une porte, plus grande et encore plus vaste que celle de la chambre sacrée dans laquelle j'habitais. Derrière... derrière cette mystérieuse entrée m'attendait celui qui était la cause de tout, de cette succession effrénée de guerre, de sang, de haine, celui que je devais vaincre, seule, pour rétablir la paix sur terre.
Je fermais rapidement les yeux, car je savais que le temps m'était compté, et tentais de me remémorer les traces d'un lointain passé dont je n'avais qu'à peine conscience. Je revoyais sous mes yeux se dessiner la fragile silhouette des oliviers qui parsemait la Grèce Antique, je passais par delà les montagnes, m'élevais au-dessus des nuages pour tenter de distinguer le paradis suprême : l'Olympe. C'était là qu'Arès et moi-même nous étions côtoyés, toujours comme deux ennemis, et c'était aussi de cela dont je n'arrivais pas à me rappeler. Car en plus d'être Athéna, j'étais Saori, et l'alliage n'était pas facile.
Je posais une main, ni tremblante ni assurée, sur l'un des battants, et ressentis immédiatement les vibrations qui se dégageaient de l'épaisseur de ce métal. Il était derrière, il m'attendait, cela ne faisait aucun doute... depuis l'aurore ou depuis l'éternité?
Je poussais la porte, la faisant pivoter, en même temps que mon destin basculait et...

Arès était assis sur son trône, démesuré et impartial, il était la représentation même de la divinité. Les traits réguliers et pourtant durs, son visage était pareil à celui d'une statue de l'Age d'Or, ses cheveux plus noir que l'ébène de son âme, et ses yeux plus pâle que les larmes que les hommes versaient par sa faute. Sa bouche se dessinait, fine et moqueuse tandis qu'un nez droit complétait ce visage aussi harmonieux qu'impassible. Il était beau, de cet majesté qu'accordait l'ichor, mais quelque chose en lui, quelque lien secret tissé par les mains des Moires, effaçait cette première impression pour faire place au malaise.
Il ne clignait pas des yeux, comme pour ne rien manquer de ce moment tant attendu. Il paraissait se contenir... mais pour combien de temps? Saori n'en avait pas la moindre idée alors qu'elle s'approchait des immenses marches qui conduisaient à son trône.
Quoi? Elle ne tremblait pas même? Mais qui était donc cette frêle jeune fille aux cheveux mauves pour oser défier un pouvoir comme celui du dieu de la guerre? Était-ce vraiment elle, cette Athéna qu'il avait attendue de voir? Était-ce vraiment cette enfant aux yeux sereins à qui des hommes comme Aiolia et Saga obéissaient de toute leur âme?
-Athéna...
La voix était dure, tranchante, coupante comme le fil de cette épée qu'il maniait depuis des siècles. Elle ne laissait pourtant pas transparaître de la haine, peut-être une nuance d'impatience, ou peut-être une lueur d'étonnement... elle ne le savait pas.
Saori leva son visage vers lui, comprenant rapidement que si il avait choisi cette position pour la recevoir, c'était probablement pour accentuer sa taille, déjà démesurée, en se trouvant sur son trône aussi imposant que haut.
Elle laissa errer son regard une demi seconde, enregistrant rapidement les éventuelles informations qu'elle aurait pu déceler dans ce décor. Une coupe de vin, ornée des plus beaux joyaux qu'elle n'avait jamais pu observer se trouvait à sa droite tandis qu'à terre, reposait un fourreau fermé... l'arme du dieu... elle resserra ses doigts sur son sceptre.
-Nous y voici. Enfin.
Elle plissa à peine ses paupières pour mieux le regarder, dans son immense toge noir et rouge, qui cachait la brillante kamui qu'il avait revêtu.
-Je t'attendais depuis l'aube...
-Moi de même.
Quelle voix étonnante pour une jeune fille... quel ton sans appel. Peut-être s'était-il trompé en se contentant de la juger sur son apparence. Oui, derrière ses yeux trop sages se cachaient sans doute ce qu'il attendait, ce qui le faisait vibrer depuis le matin même. Il passa une main sur l'accoudoir de son trône, espérant secrètement que cette réincarnation serait à la hauteur de la déesse qui l'avait enfermé, que la vengeance serait à la mesure de son ambition.
La bile et la haine l'envahirent soudainement, comme il en avait l'habitude, et une brusque montée d'émotions qui montaient comme un flot, l'ensevelit et annihila toutes ses facultés de réflexions. Non... non... ce n'était pas encore le moment. Il serra les mâchoires, les contractant en un tel mouvement de fureur que ce geste ne passa pas inaperçu aux yeux de Saori.
-Pourquoi, Arès? Pourquoi tout ceci, tous ces massacres? demanda-t-elle d'une voix forte.
Elle ne tremblerait pas devant lui, jamais. Pas devant l'abjecte sous forme divine.
-Pour t'attirer Athéna. Pour te presser. Pour ne pas te laisser le temps de te préparer et te voir venir en ma demeure plus rapidement.
Il se leva, implacable, une main crispée sur sa poitrine. Il semblait si grand et ténébreux que la déesse faillit émettre un léger sifflement de stupeur alors qu'un vague souvenir, latent comme une eau endormie, venait frapper à la porte de sa mémoire. Elle le chassa d'un frémissement de ses doigts, imperceptible mais nécessaire.
-Je n'irai pas jusqu'à te demander pourquoi t'achernes-tu ainsi sur les hommes car il n'y a jamais eu de raison à ton comportement.
-Athéna... comme je te retrouve. Déesse de la raison, tu étais, déesse de l'inconscient tu es devenue... tu es seule, sans même un chevalier.
-Tu n'es pas plus accompagné que moi. Les apparences t'aveuglent Arès, tu y prends trop garde.
Ce ton dur émanant d'une voix d'ordinaire si douce le laissait surpris. L'Athéna d'autrefois était plus froide, lui semblait-il. La jeune fille aurait-elle pris le pas sur la redoutable déesse... dans ce cas, la tuer serait un jeu d'enfant qu'il exécuterait du bout de ses doigts dégoûtés. Après une si fine organisation, allait-il laisser ce plaisir tant attendu lui échapper à cause d'une gamine qui cachait la véritable face de l'être divin?
-Ton nom? Quel est ton nom dans cette vie?
-Il est et sera toujours Athéna pour toi, Arès, n'en doutes pas.
C'était déjà mieux. Plus proche de celle qu'il avait connu.
-Entends-tu les hommes mourir, déesse? Leurs cris de souffrance et plus encore de haine te parviennent-ils avec assez de vigueur?
Le dieu de la guerre éclata d'un rire presque magistral, qui emplissait toute la pièce, comme son charisme par ailleurs qui broyait sous son gigantesque poids tout ce qui se trouvait à l'intérieur de la salle. Seule la frêle jeune fille ne bougeait pas, insensible à son aura mais touchée en plein cœur par cette monstrueuse folie.
-Oui, Arès, je les entends, depuis la première seconde où tu as commencé ce carnage qui est ton oeuvre. Je ne pourrai le supporter davantage... aurais-tu donc perdu jusqu'à la valeur des vies? Je me souviens pourtant que dans l'Antiquité, tu ne haïssais pas les hommes, tu défendais même certains de leurs idéaux en temps de guerre. Que s'est-il passé? Qu'es-tu donc devenu?
-Ce que j'ai toujours été, Athéna, un dieu aimant les carnages, la destruction, le sang et les blessures. Si je défendais certains hommes, c'était pour en tuer d'autres... l'histoire ne s'étend pas au-delà.
Saori plongea son regard dans celui de son adversaire, sans faille, froidement, comme elle l'avait un jour fait avec Poséidon, alors que le combat final qui les opposait touchait à sa fin. Elle n'avait pas peur pour elle, mais tremblait pour les siens, pour ses peuples en proie à la folie du dieu Arès et qui n'avaient pas d'autre échappatoire que celui de s'entre-tuer. Ce sadisme la dégoûtait, la submergeait bien au-delà de tous les mots qu'elle ne pourrait jamais prononcer.
-Et puis, je n'ai fait cela que principalement pour toi, je suis certain que tu le sais, déclara Arès d'une voix teintée d'un macabre amusement.
Athéna ferma ses paupières une demi-seconde, tentant de déchirer le sous-entendu qui la faisait trembler.
-Je ne peux pas croire... je ne peux pas imaginer que tu as fait tout cela... que tant des miens sont morts... simplement pour que tu me rencontres...
Arès esquissa un sourire devant ce ton contenu d'où s'échappait pourtant des vagues de dégoût et d'une colère viscérale. Ah... il avait presque l'impression d'être transporté dans le passé, mais cependant, ce goût d'autrefois n'était pas encore suffisant.
On entendit soudainement le bruit d'une porte s'ouvrant sur la salle principale, et les deux divinités se tournèrent en même temps, dans un même élan de surprise et de nervosité. Le combat allait commencer et ils s'interrogeaient l'un et l'autre sur l'identité de la personne qui osait intervenir dans un moment aussi crucial.
Une jeune fille aux immenses cheveux bleus, à la peau si pâle qu'on l'aurait cru bleuté, aux yeux noblement allongés vers la tempe et d'un éclat de saphir et aux lèvres plus foncés que la couleur d'une prune traversa d'un pas leste les quelques mètres qui la séparaient d'Arès. Cette beauté étrange esquissa un sourire mutin, à peine visible à cause de l'éclat de la Kamui qu'elle portait.
-Mon amour... murmura Arès d'une voix étrangement rauque... Eris, que fais-tu là, je t'avais dit de rester où tu étais.
La jeune fille sourit de plus belle, aussi assurée de sa beauté que de son emprise sur le dieu qui se trouvait devant elle.
-Et que voulais-tu que je fasse? Que je reste en dehors de tout cela alors que Poséidon arrive?
Saori se figea alors que l'image de Julian lui arrivait de plein fouet. Son ami était là, sur Azura, elle s'en doutait depuis maintenant longtemps, mais il lui suffisait à présent de fermer les yeux pour sentir la proximité de son aura. Ainsi, il avait bel et bien quitté le Sanctuaire pour prêter main forte à cette guerre sainte. Cela ne l'étonnait pas et une sorte de soulagement, qu'elle ne pouvait guère expliquer, l'envahit. Ainsi, si elle devait mourir, il resterait toujours quelqu'un pour terrasser le mal à son état le plus vil.
-Compterais-tu t'opposer à lui, ma chérie?
-Évidemment... il n'est pas question d'autre chose car que voudrais-tu faire face à deux divinités de la puissance d'Athéna et de Poséidon réunis? Tu n'aurais alors plus que de moindres chances de venir à bout de ceux qui défendent les habitants de cette planète. Et je ne souhaite pas voir notre défaite plus que toi, pas si près du but.
Arès hocha la tête avec un entendement langoureux alors qu'il saisissait de ces bras la jeune fille avant que leurs lèvres ne se rejoignent, échangeant un baiser passionné qui leur écorcha les lèvres jusqu'à faire poindre une goutte de sang à leurs bouches. Ils partagèrent un regard aussi violent qu'incontrôlable avant qu'Eris ne s'éloigne vers la sortie de l'immense salle où ils étaient auparavant.
-Ma petite sœur chérie, fais attention à toi...
-Ne t'inquiètes pas, mon frère, je te reviendrai toujours.
Et elle disparut dans l'encadrement de la porte, ombre aussi légère de stature qu'imposante de prestance.
Saori avait observé cette scène de fraternité incompréhensible derrière des yeux médusés mais aussi inquiets, ne sachant pas véritablement quand le premier coup surviendrait.
-Est-ce ta sœur? Des liens de sang vous unissent-ils?
-Tu sembles incrédule et pourtant, il s'agit bien de ma petite sœur, ce qui ne m'empêche pas de l'aimer avec ferveur. Cela te dérangerait-il? Opposerais-tu un veto à cette passion interdite? se moqua Arès d'une voix sarcastique.
-Fou que tu es, murmura Athéna sans se dépareiller.
Elle n'avait que faire de toutes ces histoires et sentait l'affrontement se rapprocher. Comme l'inexorable était difficile à admettre, mais il ne fallait pas se rebeller contre et s'y soumettre en laissant toutes ces forces dans cette lutte qui commençait à peine.
Le dieu de la guerre jeta soudainement sa toge noir et rouge à terre, dans un mouvement de colère aussi surprenant que foudroyant pour laisser apparaître la beauté de son armure divine. D'une main agile et d'une déconcertante rapidité, il saisit le fourreau de son épée et en sortit l'arme avec violence. Ses mâchoires étaient à présent contractées, aussi serrées que des étaux, et il jeta un regard d'une noirceur brûlante à Saori. Comme il était bon de retrouver le goût de la haine.
Il sauta toutes les marches qui le séparaient encore de son adversaire, élevant son épée au-dessus de lui tout en protégeant d'un de ses bras sa poitrine, laissée sans protection par ce mouvement osé.
-Prépares-toi à recevoir la mort!
L'épée s'abattait, fendant l'air, le transperçant comme un voile fin, comme si l'atmosphère elle-même se coupait sous l'effet de ce mouvement, et vint s'abattre sur Saori, qui levait à la même seconde son bouclier.
Un cri de rage sortit de la bouche du dieu de la guerre, alors que le tranchant de sa lame rencontrait l'opposition de cet indestructible bouclier.
La lutte commençait. Arès insistait sur le manche de son épée, comme si il avait voulu briser en deux morceaux la divine protection de son ennemi tandis que Saori, à bout de bras, soutenait son ultime défense. Leurs voix étouffées, leurs cris contenus troublaient le silence pesant de cette salle aux gigantesques proportions.
Le dieu de la guerre continuait de pousser, invariablement, laissant sa puissance retrouvée augmenter peu à peu, l'envahir dans toute sa grandeur alors qu'Athéna durcissait ses bras pour être certaine de ne pas rompre sous l'effet de ce coup. Mais elle savait que la musculature de son opposant était plus forte que la sienne et qu'elle n'avait que peu de chance...
Le bouclier lui échappa des mains, tombant à ses pieds dans un immense bruit de fracas alors qu'Arès courbait ses bras, fendant l'air et la jeune fille de son arme. Celle-ci esquissa un bon en arrière suffisant pour que la lame ne rentre qu'en contact avec sa joue, qui se déchira immédiatement dans un filet de sang.
Dans la rapidité de l'action, elle tendit ses bras vers le sol, son bouclier lui revenant comme un boomerang obéissant au moindre de ses ordres, et, grâce à Zeus, assez rapidement pour parer le prochain coup.
-Tu n'es pas de taille.
Les coups fusaient, la lame brillait dans l'immense pièce, l'éclat des métaux sacrés se rencontrant projetait d'immenses lumières sur les murs, alors que le fracas du combat s'amplifiait au fur et à mesure que les secondes s'écoulaient.
Coup d'épée... le bouclier se projetait en avant, feinte de la lame, la défense était tout aussi imparable... la moindre erreur conduisait à la mort, ils en avaient conscience l'un et l'autre.
Arès tenait maintenant son épée d'une seule main, soutenant tout le poids de cette arme sur les seuls tendons de son bras droit alors que de sa main libre, il agrippa soudainement le bord du bouclier de son adversaire. Sans cela, sans cette protection divine qui lui avait été conféré par la déesse de la justice, elle ne serait plus qu'une enfant apeurée aux prises avec lui. Il devait à tout prix le lui retirer.
-Voyons voir ce que tu peux faire sans cela! hurla-t-il en tirant de toutes ses forces sur la forme parfaitement ronde que Saori serrait maintenant entre ses doigts avec une puissance débridée.
Quoi qu'il fasse, et même si il ne s'en rendait pas compte, il ne pourrait pas le lui prendre, car jamais la déesse de la justice ne permettrait à Arès de toucher cette arme qui servait à la lutte pour la défense du genre humain.
Leurs doigts à l'un et l'autre, blanchissaient sous l'effort, leurs ongles perdaient leur couleur en même temps que leurs visages, devenus livides.
-Non! s'écria Athéna. Que la justice soit!
Soudainement, un rayonnement s'échappa du bouclier, comme une immense colonne de lumière qui aveugla son opposant. Le métal, jusqu'alors tiède, devint brutalement brûlant comme le feu sacré des Dieux, et dans un hurlement de douleur et alors que sa main prenait feu, le dieu de la guerre lâcha violemment la prise qu'il tenait jusqu'alors.
Son cri résonna dans la salle comme celui d'un animal sauvage que l'on aurait tenté d'attraper et qui refuserait de rendre sa liberté. Sa voix était rauque et forte, et Saori recula instinctivement d'un pas alors qu'elle voyait l'épée qui gisait maintenant à terre... c'était peut-être à son tour de se saisir de l'arme de son adversaire. Son bouclier sous le bras, elle se précipita, comme porter par des ailes victorieuses, vers la lame qui était tombée dans un bruit de fracas alors que son maître la rejetait, tandis que des flammes s'emparaient de ses doigts.
Glissant un genoux à terre, en une génuflexion à la fois gracieuse et violente, elle parvint jusqu'à l'arme, tendit la main en effleurant à peine le manche avant d'être rejeté à des mètres et des mètres en arrière dans la salle. Son cri prit le relais de celui du dieu de la guerre, qui venait de s'arrêter, étant parvenu à endiguer le feu de sa main et en retrouvant un peu la souplesse malgré sa peau craquelée.
Athéna se cogna contre un mur, sa tête frappant avec violence le marbre et coula à terre dans un gémissement de souffrance alors que ses cheveux s'entachaient de sang. Son cuir chevelu venait de s'ouvrir, elle s'en rendit compte alors qu'elle passait une main derrière sa tête, qu'elle ressortit de la plus belle couleur vermeille.
Ainsi... il était impossible de s'emparer de l'arme d'un autre dieu, il venait de l'apprendre à leurs dépends et n'étaient près, ni l'un ni l'autre, de l'oublier durant cette bataille. Le bien n'acceptait pas le mal et l'adage était réversible... il faudrait donc compter sur d'autres idées pour parvenir à affaiblir l'autre.
Saori s'était maintenant relevée, et se tenait en face d'Arès, dont le regard enfiévré laissait présager le pire.
-Ton bouclier est toujours aussi puissant, même si la déesse de la justice ne se trouve plus auprès de toi.
Athéna hocha lentement la tête, alors que des fragments d"un lointain passé lui revenait... sa mémoire devenait floue, alors que des parcelles de sa vie présente et de celles d'autrefois se mélangeaient... son grand-père... Seiya... Zeus... Poséidon... l'Olympe... Saga...
Elle songea soudainement que si ses existences antérieures renaissaient en son esprit avec virulence, il ne pouvait s'agir d'une simple coïncidence... il y avait quelque chose à tirer de tout cela, elle le sentait d'instinct.
-Pourquoi, Arès... pourquoi t'être mis contre les hommes? lâcha subitement Saori avec un ton si noble, si divin que son adversaire lui-même esquissa un sourire.
-Je n'ai jamais, durant toutes mes vies, été particulièrement de leurs côtés et tu devrais t'en souvenir. Rappelles toi de tous ces affrontements qui nous opposaient l'un à l'autre, en Grèce, à Troie ou que ce fut-ce n'importe où d'autres... il n'y avait alors que de la haine de mon côté, et une soi-disant envie de justice du tien.
Athéna hocha la tête et clignant à peine des paupières.
-Je me souviens... mais il s'agissait de querelles qui ne concernaient que nous. Tu me jalousais pour ma force, tu me méprisais pour mon sens tactique et ma retenue pondérée... mais pourquoi t'être ensuite déchaîné contre la race humaine?
Le dieu de la guerre éclata d'un rire massif et teinté d'une violence sanguine. Tout en lui n'était que grandeur démesurée et geste de théâtre... ce dieu était grand, malgré sa haine des hommes, il était dans ses sentiments comme dans ses actes aussi chaud que le feu et c'était peut-être en cela, que quelque part, il était digne d'admiration... à l'instar des plus loyaux, il ne reculait devant rien, son courage ne connaissait qu'aussi peu de limites que sa force et c'est ce qui en avait toujours fait le dieu le plus redouté. Peut-être pour son cosmos, mais peut-être aussi car une fois dans l'euphorie de voir le sang coulé, il n'avait plus de conscience, plus de frontières et pouvait aller aussi loin qu'il le désirait, ne se rendant même plus compte des dangers qui auraient pu le menacer lui. Tel le violent, le haineux, le belliqueux Arès aux colères si virulentes, qu'elles étaient maintenant des mythes.
-Pourquoi ce dégoût de la race humaine! Mais parce qu'ils nous ont oublié, parce que tu les protèges, parce que je les hais, parce que j'aime la haine comme d'autre aime l'amour. Cela ne s'explique pas... tu as besoin de justice pour vivre, j'ai besoin de destruction, de cris de douleurs et de carnages... et ce depuis toujours.
Les traits de Saori s'étaient lentement décomposés devant cet aveu de folie, devant cette colère de braises et de ténèbres soudées.
-Fou que tu es... fou que tu es, dit-elle pour la seconde fois depuis qu'elle était entrée dans cette salle du trône aux proportions aussi dévastatrices que le caractère de celui qui l'occupait. Tu n'es qu'outrance, Arès...
Il eut un bref ricanement.
-Tu te souviens maintenant... tu te souviens, n'est-ce pas?

Les plaines d'Ilion étaient balayés par tous les vents, rabattant les cheveux de la déesse en arrière, ce qui lui permettait de mieux distinguer les traits de son adversaire. C'était la énième qu'ils se retrouvaient sur ce terrain si connus d'eux et de leurs sanglantes retrouvailles, qu'ils s'opposaient encore, chacun dans un camp différent.
Autour d'eux, les combattants se frappaient, les Saints affrontaient les Berserkers sans relâche et des hurlements s'élevaient dans l'infini. On entendait la voix gutturale de Leech, dont le cri de douleur était signe de défaite alors que les hurlements de Phaéton et d'Épiméthée étaient bien ceux de la victoire, mais les deux dieux étaient insensibles à ces bruits qui les entouraient.
Dans l'air, une flèche d'Or fut décoché et frôla les cheveux d'Athéna pour venir se ficher dans le bras de Dédale... le chevalier du Sagittaire était probablement le meilleur archer qu'on eusse put jamais trouver sur terre.
Ils se fixaient l'un et l'autre, immobiles parmi ce carnage avant, soudainement, de se précipiter à la rencontre de l'autre, leurs kamuis brillants de façon aveuglante dans la lumière d'Hélios.
Leurs mains se joignirent, leurs doigts s'entrelacèrent non pas comme deux amants mais comme des ennemis de toujours qu'une haine unissait aussi fortement, aussi violemment qu'une passion. Ils se poussaient l'un l'autre, alors que la terre glissaient sous leurs jambes dont tous les muscles étaient tendus à l'extrême.
L'ossature d'Athéna était frêle et pourtant, elle paraissait résister à son paroxysme repoussant peu à peu le dieu de la guerre, gagnant lentement, mais assurément du terrain. Justice... justice, elle ne voulait que cela alors qu'il ne recherchait que le sang, que d'inutiles blessures dans une quête de haine qu'elle jugeait sans but, sans fondement et pourtant bien présente. C'était cela qu'elle devait annihiler.
Arès leva brusquement son épée sur elle et vint frapper de toute ses forces la poitrine de la fragile déesse qui ne vacilla pourtant pas même. La puissance physique n'était rien quand la foi de la justice n'y était pas.
Elle attrapa subitement Arès à la gorge, le projetant à des mètres et des mètres en arrière :
-Fou que tu es... tu vas périr sous mes coups si tu ne comprends pas ce qu'est le mot respect!
Du cosmos d'un doré sublime apparut dans ses mains, comme une énergie étoilée, et elle entama de la projeter. La guerre prendrait fin en même temps qu'elle enfermerait cette âme maudite dans une urne, après l'avoir réduite en poussières. Elle aurait voulu répondre autrement à la violence que par des gestes brutaux, mais on ne lui avait pas laissé le choix.
Et dans les plaines de l'Ilion, ce fut le cri d'Arès qui retentit en dernier.


Saori parut se réveiller de sa vision à yeux ouverts en même temps que le dieu de la guerre et une interrogation la frappa de plein fouet. Quel cri s'élèverait en dernier, entre les murs de ce temple?

Julian

Alors que je me dirigeais vers les marches du temple avec une rapidité accrue par ma peur de ne pas arriver à temps, une fine silhouette se découpa brusquement devant moi, alors qu'un rire malicieux retentit dans l'encadrement de l'immense entrée. Je me figeais, tous mes sens immédiatement en alerte, avant de ne poser mes yeux sur une jeune fille, que j'estimais d'une quinzaine d'années, aux yeux aussi saphirs que la chevelure et dont la peau trop pâle n'était pas s'en rappeler une couleur légèrement bleuté. Elle était belle à n'en pas douter mais d'un charme à la fois vénéneux et agréable...
Je plissais les yeux alors que mon âme divine se soulevait brusquement, provoquant les remous de ma mémoire... si cette créature n'était pas la déesse maléfique à laquelle je m'attendais, je voulais bien vendre mon trident au plus offrant...
La jeune fille se courba doucement, avec grâce et ironie, et me sourit de ses lèvres foncés et brillantes :
-Eris... déesse de la...
-Discorde, finis-je à sa place comme si l'identité découlait de source.
-Tu me connais? dit-elle d'un ton qui n'était ni satisfait ni particulièrement prétentieux comme je m'y serai attendue.
-Qui ne se souviendrait pas de la main qui provoquât la guerre de Troie? répliquai-je d'une voix suave et moqueuse.
-Ah ça! fit-elle en fronçant les sourcils. Ne serai-je rentrée dans l'histoire que par l'intermédiaire de cette pomme? Cela devient lassant, vois-tu, Poséidon. J'ai fait nombre de guerres et de carnages aussi... mais il semblerait que les Anciens n'aient désiré que me voir comme celle qui provoquât l'irréparable pour la ville de Troie... et pour les Athéniens, cela va de soi.
Elle descendit prestement une marche, d'un saut silencieux et agile qui prouvait déjà qu'elle savait tirée avantage de son propre corps et de sa petite taille.
-Dis-moi, maître des mers... que tiens-tu si précieusement dans tes mains? me demanda--t-elle d'une voix si faussement enjouée qui j'esquissais un sourire.
Cette jeune fille aurait été parfaite dans les soirées que je fréquentais autrefois, et elle aurait probablement fait merveille dans le monde des affaires car je voyais en elle un talent de menteuse et de charmeuse si flagrant qu'il ne pouvait que sauter au visage. Elle me regarda de ses yeux de chatte à la fois langoureuse tout en étant prête à bondir sur moi en sortant ses griffes acérées. Quel joli personnage...
-Rien qui ne te regardes curieuse Eris.
-Et pourquoi donc?
Ses pupilles se firent plus troubles et elle esquissa quelques pas dans ma direction avant de se glisser doucement à mes côtés en posant une main sur mon bras. Le métal froid de ma Kamui parut se réchauffer à ce contact et ses doigts caressèrent mon armure avant de remonter jusqu'à ma joue. Elle approcha son ravissant visage du mien, ses lèvres prêtent à toucher les miennes alors que son parfum d'orchidée me montait aux narines. Nos bouches ne se joignirent pas mais en prononçant ses mots, Eris m'en donna l'illusion :
-Es-tu certain de ne pas vouloir me dire ce dont il s'agit?
Et moi qui m'était attendue à une attaque directe et massive de sa part, je me retrouvais aux prises avec une situation toute différente et que je m'étais si peu attendue à retrouver sur cette île que j'en restais médusé. Voilà une déesse qui n'hésitait pas à jouer de sa provocante beauté.
Elle effleura d'une main ce que je tenais serré contre moi et qui m'avais été remis des mains de Kiki et d'Olivier, et je la repoussais avec violence, la jetant à terre dans un bruit de métal froissé et pointant directement mon trident sous sa gorge.
-Ne t'avise pas de me dérober ce bien, Eris, car tu le paierais de ta vie.
Son regard s'alluma comme des braises et elle m'en fusilla avec une haine qu'elle cachait jusqu'à présent à merveille au fond d'elle. Elle ne perdait pourtant pas de sa superbe alors qu'elle se retrouvait assise dans l'herbe, aux pieds des marches du temple de son maître et elle se mit à rire. Elle jeta un vague coup d'œil à la pointe de mon trident, l'effleura du bout de l'un de ses doigts avant de dire :
-Décidément, les dieux... tous les mêmes...
Elle se releva d'un bond leste, sans prendre garde à l'arme que je laissais braquée sur elle et épousseta le dos de sa kamui, aussi rouge que les armures des Berserkers, mais infiniment plus belle... et plus solide. Il me semblait à cet instant que sa coquetterie était fort mal placée mais je me gardais bien de desserrer les lèvres.
-Tu le prends sur ce ton, très cher Poséidon... Je n'ai donc plus besoin de me montrer aimable...
-Drôle d'amabilité, rétorquai-je avec ironie.
-Ce n'est pas la galanterie qui t'étouffe, répliqua-t-elle avec une moquerie hautaine. Je récupérerai ce que tu as, pauvre imbécile, car si tu penses que je n'ai pas compris ce dont il s'agissait, tu te trompes du tout au tout. Chien maudit, si c'est du sang que tu veux, je te ferai boire le tien!
Ses mains parurent faire vibrer l'air qui l'entourait et deux objets fusèrent dans l'air, me déchirant la peau, la lacérant de toute part sans que je ne comprenne rien... je me retrouvais brusquement soulevé dans les airs, propulsé à des mètres et des mètres de hauteurs alors que des entailles béantes s'ouvraient sur la partie de mes bras que mon armure ne protégeaient pas. Je serrais les dents, alors que je retombais avec violence contre le sol, pour ne pas crier, halluciné par cette attaque dont je n'avais pas même compris d'où elle provenait.
Eris éclata d'un rire si sombre, si lugubre, que je l'eus cru tout droit sorti d'un méandre obscur de l'un de mes cauchemars d'enfant... elle n'avait plus rien de frivole, et en une demi-seconde, était devenue le monstre dont on vantait la force et la haine sur les champs de guerre.
Je levais mes yeux sur elle alors qu'entre ses mains fines brillaient deux boomerangs aux lames dangereusement acérées. Un sourcil relevé en arc ironique, elle me toisait telle une mouche, et je compris que ces armes étaient la cause de mes plaies. Enfin... ce n'était pas cela qui allait m'arrêter, une fois la surprise passée, elle allait être à ma merci.
-C'est toi qui a tué Deimos et Phobos, me dit-elle d'une voix rageuse et méprisante.
-Non, ce sont les chevaliers.
-Sans toi ils seraient tous morts, ils ne seraient plus que des carcasses dont les Kères pourraient boire le sang noire dont elles se délectent... mais maintenant, c'est de ton cadavre que je vais devoir les nourrir.
Je ne pus retenir ma moue de dégoût hautaine, dont je ne savais pas si elle était du à Julian ou à Poséidon. Les deux étaient en train de se mêler insensiblement, et c'était bien à présent que j'allais devenir le plus dangereux...
-Ainsi... celles que l'on appelle les "chiennes d'Hadès" se sont réfugiés chez Arès, murmurai-je... et où se trouvent-elles?
-Dans les prisons, rétorqua la jeune fille alors que son cosmos s'allumait et faisait vibrer brutalement toutes les cendres du verger qui nous entouraient.
J'en fis de même, à l'exception près que mon énergie était bien plus destructrice que la sienne et que je ne m'apprêtais qu'à faire une bouchée de cette déesse à la fois effrontée et colérique.
Je pointais mon trident sur elle, et d'un seul coup, usant de la même surprise qu'elle, je lui assénais un formidable coup de cosmos, laissant la marée de force bleue que je dégageais se répandre comme un océan en fureur, ensevelissant tout sur son passage. Je sentis même, que d'où ils étaient, Arès et Athéna stoppèrent leur combat pour tenter de comprendre ce que se passait à l'extérieur, l'un se sentant menacer, et l'autre, étrangement rasséréner... ah... Saori... je venais à toi! Ma force se déchaîna avec encore plus de grandeur, magnanime et implacable, Poséidon était au sommet de son art guerrier, il était l'un des quatre maîtres de l'univers et nul être, pas même une divinité, ne pouvait prétendre dompter sa fougue!
Puis le silence... ce fameux manque de bruit, de voix qui suit la mort où l'irrémédiable blessure.
Mes yeux mirent quelques secondes à s'acclimater aux couleurs de la fin du jour après avoir vu un tel déchaînement de nuances de la mer, et ce fut seulement ensuite que je découvris Eris, prostrée à terre et maculée de sang, les mains contre sa poitrine et ses deux boomerangs tombés près d'elle.
Je m'avançais dans sa direction, déjà prêt à l'achever. Elle gémissait rageusement, car même la douleur paraissait de ne pas pouvoir dompter son caractère aussi flamboyant que celui d'Arès lui-même... des faux-jumeaux... voici ce qu'ils auraient pu être.
-Que la peste t'emporte... murmura-t-elle... qu'elle t'étouffe, Poséidon, car tu t'es trompé de camp.
Je pointais mon trident dans sa direction, de nouveau vers sa gorge comme au début de notre rencontre.
-Non... tu me tueras, mais pas pour l'instant.
Elle avait dit cela de façon si évidente que malgré mon devoir, que je connaissais et qui était celui d'écourter ses jours, je ne pus m'empêcher de sursauter vaguement. Savait-elle depuis le début qu'elle mourrait dans notre rencontre? Avait-elle deviner dès les premiers instants que face à un dieu de ma trempe, elle ne pourrait tenir bien longtemps? Dans ce cas, au moins, son courage ne pouvait que forcer l'admiration.
-Je ne suis ici que pour te retenir le plus longtemps possible loin du dieu de la guerre et c'est ce que je ferai. Je dois lui laisser le temps de se rendre maître d'Athéna, pour qu'ensuite, il puisse venir à bout de toi... et avec tout le cosmos dont tu es capables, tu ne m'empêcheras pas de me relever encore et encore, car si les Saints et leur justice en sont capables, les gens d'Arès ne le sont pas moins...
Et sur ses paroles, elle se remit sur pied en titubant, vacillant comme une pauvre feuille morte au gré des vents de la vie qui m'aurait presque fait pitié si je n'avais pas été en guerre... si tant est que Poséidon eut pu ressentir, sans mon aide colossal, un tel sentiment.
Et bien, le combat promettait d'être plus long que je ne l'aurais cru...
Et tout à coup, sans prévenir et du mouvement désespéré de celui qui n'a plus rien à perdre, elle planta l'un de ses boomerang en plein dans mon cœur.

Athéna se figea. Elle sentait qu'au dehors, il arrivait quelque chose à son ami Julian... une goutte de sueur perla à son front comme un joyau de guerre. Elle était à présent aussi bien faite de chair que d'un sang qui collait entre sa kamui et son propre corps. La fatigue la saisissait à la gorge alors que son opposant paraissait infatigable, malgré son teint verdâtre que les nombreux coups reçus le forçait à adopter. Cependant, quelque chose en eux, malgré leurs plaies, rayonnait avec une puissance qui n'allait pas en s'atténuant... était-ce cela que la divinité? Saori commençait à le réaliser.
Tout d'abord, elle ne s'était jamais crue capable de cela, elle qui avait toujours été défendue par ses plus fidèles amis, elle n'avait jamais songé que dans un corps à corps, elle puisse rendre la mesure à un opposant aussi farouche que le dieu de la guerre... ensuite, sa mémoire se rouvrait, comme une porte de grenier trop longtemps close et recelant de secrets, lui laissant entrevoir qu'en plus d'être une humaine, elle était aussi cette déesse qui se devait de protéger les siens.
Athéna... elle l'avait été dans l'Hadès, tout en restant Saori... elle se revoyait sauvant Shun en maculant le dieu des enfers de son ichor brûlant, chassant son âme du corps de son ami... elle se revoyait, alors que ses cinq compagnons venaient de vaincre Hypnos et Thanatos, debout, face au noble et glacial empereur des morts, lui expliquant ce qu'était l'amour humain, ce sentiment sublime et palpitant qu'il ne connaîtrait jamais... dans ces moments là, elle était à la fois la déesse et la jeune fille, elle était en même temps la gardienne de la terre et l'amie de ses chevaliers, mais ici, tout était différent. Elle sentait que quelque chose de mystique s'opérait en elle, et que Saori s'effaçait lentement, dans des teintes d'aquarelles, pour laisser place entière à la divinité.
Arès, en face d'elle, la toisait impitoyablement... la haine lui dévorait son visage parfait comme la lèpre mangeait la face des mendiants. Cependant, son cœur battait plus vite, autant à cause de l'action que de ces retrouvailles qui l'excitait plus qu'il n'aurait su le dire. Sa meilleure ennemie... elle était là, en face de lui, et pourtant pas tout à fait elle-même... Ah! Dans quelques minutes, peut-être que la déesse de la Sagesse aurait totalement reparu, en tous les cas, il appelait ce vœu de toutes ces forces monstrueuses.
Il sourit pleinement, dévoilant des dents de carnassier régulières et immaculées... dehors, Poséidon se tordait de douleur sous les coups de sa belle Eris, dont le cosmos s'affaiblissait de plus en plus mais dont il ne doutait pas. Elle lui reviendrait entière et si tel n'était pas le cas, sa fureur n'en serait que décupler et le combat irait encore plus vite... mais ce n'était pas l'instant de penser à cela.
D'un bras ourlé de sang, il plaqua son épée contre lui avant de se précipiter vers son adversaire, il la saisit ainsi, dans la surprise la plus absolue, par le cou, la soulevant de terre comme pour l'égorgée. Les pieds de la jeune fille ne touchaient à présent plus le sol et son visage était à quelques centimètres de celui d'Arès. Il lui aurait suffi d'une pression de la main pour qu'il tranche le fil ténu de sa vie, mais ce n'était pas ce qu'il voulait, car Elle n'était pas encore là.
-Tu vas te réveiller, Athéna! Tu vas revenir à toi où je te tuerai avant même que tu n'es pu te défendre.
-Pauvre fou, inconscient, ne vois-tu pas que je suis là?
La voix était dure, sans appel, Saori partait lentement... encore quelques instants, et elle serait là, enfin, après tant de siècles, la déesse serait complètement revenue et le caractère de la réincarnation supplanté.
Arès la propulsa contre l'une des colonnes contre laquelle elle s'écrasa avant de se précipiter sur lui, le sceptre à la main, le frappant de plein fouet avec. Les coups fusaient à nouveau, distribuant autour de leur étrange ballet des étincelles d'un cosmos où baignait une lueur de Big Will.
Le Sceptre contre l'épée, ils se repoussaient mutuellement, comme deux animaux cherchant à gagner la moindre parcelle de terrain pour repousser l'autre au plus profond de lui, au sommet de ses limites. Avec leurs forces égales, ils ne purent cependant que faire exploser entre eux leur énergie, ce qui les amena à se retrouver à terre, plus sanglant que jamais.
-Et où sont les Saints, Athéna?
Une idée venait de lui traverser l'esprit... et pourquoi ne pas la faire souffrir aussi bien mentalement que physiquement?
-Plutôt périr que de te le dire.
-Pourquoi? Penses-tu que j'irai les chercher? Penses-tu vraiment que j'en ai le temps où aurais-tu si peu confiance en ta victoire que tu chercherais à les protéger malgré tout... malgré toi et moi!
-Non... je ne leur accorde qu'une paix durement gagnée en te cachant le lieu de leur maigre repos... ils l'ont plus que mérité.
-Car en plus, tu les aimes! s'esclaffa Arès dans un éclat de rire violent et passionnel.
-Ils sont mes fidèles depuis la nuit des temps, ils sont le plus pur, le plus beau, le plus courageux de l'Homme et je les aime plus que ma vie.
-Est-il pire faute que d'aimer ses soldats? Était-il pire folie que de les chérir alors qu'on les envoie au combat en sachant qu'ils vont mourir?
Saori esquissa un sourire. Pareil à Hadès, il ne comprendrait jamais ce qu'était un cœur qui bat pour son prochain.
-Non, tu te trompes, Arès... est-il pire bassesse que de ne pas aimer ceux qui nous servent de toute leur âme? Car je ne me trompe pas en clamant que tu n'as pas aimé tes Berserkers.
Le dieu de la guerre éclata de nouveau de rire, comme si il se gorgeait de la propre rage destructrice qu'il éprouvait.
-En a-t-il même été question un jour?
Athéna chassa de sa main à la fois fataliste et vengeresse, les mots qui venaient de s'échapper de la bouche d'Arès.
-Comment peux-tu dire cela? Ils t'ont servi fidèlement, t'ont accompagné au-delà de toute abnégation, ont accepté de mourir sous la férule de ton pouvoir et de ton ordre et maintenant, en ton nom, tu les renies? Mais qui es-tu donc pour cela, Arès? Tu n'es qu'un être pathétique et dénudé d'âme...
-Tu es folle de rage, Athéna... mais ce n'est pas encore assez...
Il paraissait réfléchir à voix haute, comme pour prendre conseil de lui tout en s'exprimant pour elle.
-Non seulement, je ne les aimais pas, mais je les méprisais... ils n'étaient que des objets entre mes mains divines, ils n'étaient que des pantins que j'utilisais au gré de mes inspirations et en plus de tout cela, ils n'étaient que de pauvres imbéciles qui ont tous autant qu'ils sont acceptés de me suivre par dépit de leur existence précédente. Comme ils ont été faciles à convaincre ces stupides soldats uniquement bon pour la guerre et comme il a été simple d'attiser la haine que d'autres avaient fait naître en eux en les repoussant et en les rejetant.
Arès se rapprocha de son ennemie d'un pas chargé de sous-entendu et il se pencha vers elle, de toute sa haute et sombre stature comme un loup vers une enfant
-Les poupées de bois... font les meilleurs soldats, murmura-t-il avant de se ployer en arrière sous la force de son rire hystérique.
Saori chassa le frémissement qui la traversa. Ainsi donc, il était possible de n'être que haine... ainsi donc, un être pouvait égaler, voire même surpasser, dans le mépris Hadès. Elle n'avait jamais voulu y croire et pourtant... si le dieu des enfers ne ressentait qu'une froide indifférence pour ses guerriers, celui de la guerre les piétinait sans plus de vergogne.
Elle ferma brièvement les yeux, laissant filtrer sous ses paupières le visage de ses amis, de ses combattants pour qui elle donnerait tout. Elle réprima un sursaut... ainsi, c'était cela que de pouvoir tout abandonner pour autrui... était-ce sentiment qu'elle ressentait, elle, l'ancienne enfant gâtée et méprisante qui avait su snobé Seiya? Elle avait du mal croire qu'elle eusse un jour été semblable à cette petite fille moqueuse alors qu'elle découvrait l'immensité de la force que procurait le don de soi.
Les dieux aux visages maléfiques songeaient que la haine apportait sommet de grandeur et ivresse de pouvoir, mais l'absolu ne venait-il pas plutôt de l'oubli de soi-même? Elle éprouvait maintenant la même sensation que l'un de ses guerriers... et son cœur se mit à battre plus vite alors que ses yeux se troublèrent.
Arès l'observait avec acuité. Il en avait presque fini avec elle... bientôt... un peu de patience, et elle serait entièrement prise sous sa grandeur divine.
-Athéna, déclara-t-il, tu ne peux pas me vaincre.
-Et pourquoi cela?
-Car où comptes-tu enfermé mon âme? interrogea-t-il de la voix doucereuse du loup déguisé en agneau.
-Dans l'urne où je t'ai placé.
Bref éclat de rire ou lame tombant contre le sol? Elle ne savait identifier le bruit.
-Elle n'existe plus, cette urne, Athéna... je l'ai brisé en m'en échappant et tu n'as plus de moyen de me faire prisonnier de ton sceau... que dis-tu de cela? Que penses-tu de cette formidable nouvelle?
Ses éclats de rire, de joie féroce et son regard de sauvage ne parvenaient pas à troubler le calme immortel qu'elle ressentait. Elle savait depuis longtemps ce qu'Arès lui avait appris, c'était pour cela que la veille au soir, elle avait tenté de cacher un mystérieux paquet dans une petite maison du Sanctuaire et qu'elle s'était retrouvée aux prises avec Nérée. Elle avait bien songé qu'en revenant à la vie, le dieu de la guerre avait détruit sa prison, et c'était pour cela qu'elle avait conservé la boîte merveilleuse dans laquelle Héphaïstos avait fait mettre de la poudre pour recréer les armures des Saints.
En voyant cette ouvrage du dieu des Forges, elle avait immédiatement su qu'il n'avait pas choisi ce moyen de transport pour rien, elle avait saisi qu'il fallait y voir au-delà d'un simple présent et que cet objet servirait à enfermer Arès au cas où son urne n'était plus rien. En saisissant cette finesse de ce fils de Zeus, elle avait décidé de mettre en sûreté cette divine boîte afin, qu'en cas d'attaque du Sanctuaire, un Berserker ne s'en empare pas... et sa rencontre avec Nérée lui avait fait oublier de l'emmener avec elle, sur l'île maudite d'Azura.
Mais Julian, par un obscur moyen, avait lui aussi compris l'essentiel de cette mystérieuse affaire, et était venu, armé de cette boîte, sur le domaine d'Arès. Maintenant, il lui suffisait de lui remettre et Arès ne serait plus rien qu'une âme endormie...
-Je sais ce que tu m'avances, Arès, articula lentement Saori. Et pourquoi crois-tu donc que le dieu des mers soit venu à mon aide? Ne penses-tu pas qu'il a quelque chose à me remettre?
Une expression d'intense panique se plaqua sur le visage d'Arès et il se tourna avec rapidité vers la porte d'entrée par laquelle son ennemie était précédemment passée, comme si il s'était attendu à voir Poséidon y arriver.
Et quand il se retourna, ses yeux s'ouvrir plus grand, sa bouche s'arrondit imperceptiblement car il était déjà trop tard... par Zeus... où était Saori?
En tous les cas, plus dans le regard de cette jeune fille qui venait de perdre ses pupilles en signe de divinité...
Athéna était parmi les hommes.

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Cette fiction est copyright Caroline Mongas.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.