Chapitre 6 : Découvertes


- Pour moi, fit Tolivar, l'air incrédule ?
- Il semblerait, votre Altesse, répondit seulement Alcyar.

Le prince héritier de Mycènes reporta son regard sur l'armure émeraude qui se tenait devant lui. Le soleil - qui réapparaissait enfin après de nombreuses journées pluvieuses - se reflétait sur sa surface brillante, accentuant les formes souples et élégantes et mettant tout particulièrement en valeur les griffes acérées de la créature fantastique qu'elle représentait.

- Un dragon, répéta Tolivar.

Au fond de lui, il ressentait l'envie d'essayer immédiatement cette armure merveilleuse, de savoir quelle sensation cela ferait de la porter, d'en ressentir la puissance contre sa peau. En voyant Laramil, puis Janeel revêtir de telles armures, Tolivar n'avait pu s'empêcher de ressentir de la curiosité quant à leurs capacités. Désormais, il allait avoir l'occasion de les explorer par lui-même. Mais pas maintenant, décida-t-il résolument. En tant que dirigeant provisoire de son peuple, il avait d'autres devoirs, bien plus urgents.

- Je vous remercie pour cette armure, dit-il, s'inclinant légèrement devant Alcyar. Je l'essaierai dès que j'aurais suffisamment de temps de libre.

Le forgeron de Mu hocha la tête sans mot dire, comme s'il s'était attendu à cette réponse.

***

- Alors, comment a-t-il réagi en la mettant ?

Jaelrina était en train de jongler sans les mains avec une demi-douzaine de pierres. C'était un exercice élémentaire de psychokinésie et n'importe quel enfant du peuple de Mu était capable d'en faire autant dès l'âge de sept ans. Mais Jaelrina était née en Nubie et elle n'avait pas un don aussi puissant, loin s'en fallait. Pour l'heure, elle était assise en tailleur à même le sol et se concentrait sur l'exercice sous l'œil plutôt amusé d'Arathorn et celui, indifférent, de Sauron.

- Il ne l'a pas essayé, répondit calmement Alcyar en rejoignant les trois autres forgerons.
- Quoi ? Mais pourquoi est-ce qu… Aïe ! Aïe ! Aïe !

Les six cailloux, échappant à son emprise mentale, venaient de tomber sur la tête distraite de la forgeronne du sud.

- Je suppose qu'il a considéré que son devoir de souverain devait passer avant, observa Arathorn en hochant la tête. Ce jeune homme a un haut sens des responsabilités. Tant que son père ne sera pas rétabli, je ne pense pas qu'il acceptera de consacrer une fraction de son temps à autre chose que son peuple.
- Mais, si un nombre suffisant de guerriers accordés à leurs armures ne viennent pas rejoindre le camp d'Athéna, son peuple n'aura pas grand avenir, fit Sauron d'une voix grondante.

Le forgeron du nord se distinguait par rapport aux trois autres de par sa taille et sa carrure. Dépassant aisément les deux mètres, il avait des épaules larges et carrées. Sa peau avait été tannée par les éléments impitoyables des terres nordiques. Son visage était rugueux et les plis en étaient sévères. Ses cheveux noirs et épais lui tombaient dans le dos presque jusqu'à la taille. Les vêtements qu'il portait étaient de cuir et de fourrure, comme parmi les peuplades chez qui il avait vécu.

De tous les forgerons, Sauron était celui qui s'était le plus tenu à l'écart au cours des années écoulées et aucun des trois autres ne savaient exactement ce qu'étaient devenus ses pouvoirs et ses connaissances. Leurs avis à son sujet étaient disparates. Alcyar le respectait pour sa compétence. Arathorn reconnaissait sa valeur, mais conservait une certaine distance malgré tout. Et Jaelrina avait un peu peur de lui.

- Je ne sais pas grand-chose de ces généraux de Poséidon, dit Sauron, mais, si le quart de ce que j'ai entendu à leur sujet est même vaguement vrai, alors ils sont des adversaires particulièrement dangereux. Il ne sera pas possible de s'opposer à eux simplement à l'aide de bons sentiments. Beaucoup trop de temps a déjà été perdu. Ils nous faut deux choses pour prétendre remporter cette guerre : suffisamment d'armures et suffisamment de guerriers pour les porter.
- Maintenant que nous sommes quatre, nous allons pouvoir produire ces armures plus rapidement et plus efficacement, observa Arathorn.
- Mais nous n'avons pas de matières premières infinies à notre disposition, dit Alcyar, fronçant les sourcils. Le gammanium peut se fabriquer et le sang n'est pas encore denrée rare. Mais l'orichalque et la poussière d'étoiles sont difficiles à se procurer, et chaque armure en demande une certaine quantité. Au rythme où nous allons, j'estime que nous pouvons peut-être produire encore une douzaine d'armures plus ou moins équivalentes à celles que nous avons déjà réalisées.
- Nous pourrions nous adresser aux autres membres de notre peuple, grogna Sauron. Certains d'entre eux doivent encore disposer de ces matières premières.
- Mais pas en grande quantité, et ils sont loin d'ici, contra Arathorn. Le temps presse, comme tu l'as rappelé.
- Les serviteurs de Poséidon disposent de grandes quantités d'orichalque, intervint Jaelrina, qui avait été en train de réfléchir. Je l'ai vu, dans un de leurs temples.

Alcyar tourna le regard en direction de son ancienne élève, mais, pour une fois, ce n'était pas de l'irritation qu'il éprouvait en se souvenant du rôle qu'elle avait joué au profit de l'Empereur des Mers.

- C'est une chose à laquelle il faudra réfléchir, fit-il d'un air songeur. A défaut de nous emparer, nous pouvons toujours essayer de découvrir d'où ils le tiennent. Oui, il faudra y réfléchir.
- Reste l'autre problème, reprit Sauron, l'air toujours aussi renfrogné. Une armure ne sert à rien s'il n'y a pas quelqu'un pour la porter. Jusqu'ici, vos trois armures ont chacune trouvé un porteur qui semble convenir, mais cela ne sera pas toujours aussi simple. Il est temps de commencer à rechercher activement des porteurs potentiels.
- Cela risque d'être difficile, admit Arathorn, pensif. Ce genre de capacités est relativement rare. Sur une centaine de candidats, il est très possible de n'en trouver qu'un seul qui convienne à peu près. - Voire pas du tout, dit Sauron d'un ton sans réplique.

Du doigt, il désigna les innombrables tentes qui les entouraient. L'installation précipitée du camp commençait à se faire sentir, et le désordre et la saleté régnaient.

- Il n'y a pratiquement plus aucun homme valide ici, poursuivit le forgeron du nord. Tout n'est pas nécessairement perdu pour autant, parce que les pouvoirs qu'il nous faut permettraient même à un enfant de compenser son manque de force physique. Mais l'enfant doit malgré tout avoir suffisamment de résistance et de maturité pour apprendre. Et, parmi tous ceux qui répondront à ces pré-requis, seule une poignée aura les capacités qu'il nous faut. Alcyar, tu dis que nous avons encore de quoi réaliser une dizaine d'armures. C'est possible, mais je ne sais pas s'il y a ici dix hommes ou enfants capables de revêtir une armure. Je ne sais même pas s'il y en a cinq.

Le silence revint tandis que chacun des forgerons considérait la chose.

***

Le visage de la déesse Athéna était à lui seul un don du ciel, songea Tolivar, pour la centième fois peut-être. Le simple fait de la voir suffisait à alléger soudain son cœur fatigué de ses soucis, comme si une main divine les avait effacés d'un geste.

- Tu voulais me voir, Tolivar demanda la déesse aux yeux pers ?
- Oui, Athéna, répondit en s'inclinant le prince héritier. Je pense qu'il va falloir que je prenne une décision dans les jours qui viennent et j'aimerais votre avis.
- Parle, je t'en prie, répondit-elle avec sa douceur coutumière.
- Voilà, dit Tolivar en se redressant, je pense que nous ne pouvons plus rester ici très longtemps.

La déesse haussa un fin sourcil, comme l'incitant à s'expliquer.

- Au début, nous pensions que Poséidon nous avait oublié, reprit Tolivar, qu'il pensait nous avoir défait et qu'il ne se souciait plus de notre existence. Mais il semble maintenant que ce ne soit pas le cas. L'un de ses généraux est venu ici, sans doute dans le but de supprimer les forgerons qui ont rejoint notre cause. Peut-être même savent-ils que nous sommes en train de réaliser ces armures. Je ne pense pas qu'il soit sage de demeurer ici plus longtemps considérant tout cela. Si plusieurs des généraux revenaient ici pour une attaque concertée, ce serait un massacre.
- Tu penses donc lever ce camp et emmener ton peuple quelque part où l'Empereur des mers aura plus de mal à vous trouver ou à vous atteindre, dit Athéna ?

Tolivar hocha la tête.

- C'est cela.
- Tu réalises qu'une telle marche forcée risque d'avoir des conséquences fatales pour les nombreux blessés, les vieillards, les femmes enceintes, voire les enfants trop faibles, fit la déesse de la sagesse d'une voix neutre. Y compris pour ton père, qui est toujours inconscient.

Tolivar hocha la tête une nouvelle fois, sombre.

- Je sais, dit-il seulement.

Athéna l'examina un instant en silence, comme si elle cherchait en lui quelque chose que seul son regard divin puisse déceler. Finalement, elle sourit.

- Très bien. Tu as raison, c'est sans doute le meilleur choix. Je ne peux malheureusement pas créer pour vous un endroit où vous seriez à l'abri de Poséidon, mais j'utiliserai tous mes pouvoirs pour vous aider à trouver un tel endroit et vous protéger sur votre route.

Tolivar s'inclina, intensément soulagé.

- Je vous suis éternellement reconnaissant, déesse Athéna.

Le sourire de la déesse aux yeux pers fut sa seule réponse.

***

Pas en avant. Deux pas en arrière. L'épée bien ferme dans sa main, devant lui. Une fois de plus, Arathorn s'émerveilla de la finesse remarquable de sa réalisation. Au cours de son existence de forgeron, il lui était arrivé plus d'une fois de réaliser des armes. Mais jamais aucune n'avait eu une telle puissance, ou même ne s'en était approché.

Il se tenait au milieu du bois avoisinant le camp. Après leur discussion, les quatre forgerons avaient décidé de s'accorder une heure de répit avant d'entreprendre la construction d'une nouvelle armure. Il avait mis l'occasion à profit pour tester l'épée merveilleuse offerte par la déesse Athéna.

Un bref mouvement du poignet, et le tronc sectionné d'un jeune arbre bascula et tomba sur le sol, fauché comme une brindille. L'arme était véritablement comme un prolongement de son bras, songea Arathorn. Il la sentait presque vibrer dans sa main.

Il n'avait jamais été véritablement un guerrier jusqu'ici. Le fait d'être forgeron lui avait suffit. En tant que descendant du peuple de Mu, il disposait aussi de ses pouvoirs psychokinésiques. Mais il n'avait jamais véritablement cherché à acquérir la puissance d'un véritable guerrier. Une puissance comme celle des généraux, ou des futurs porteurs des armures qu'ils construisaient.

Mais les temps changeaient, et Arathorn eut soudain le pressentiment qu'avant longtemps, il aurait de nouveau à faire usage de l'arme qu'il tenait en cet instant.

***

Janeel avala la maigre portion de viande, puis fit subir le même sort à la miche de pain qu'elle tenait dans sa main gauche, avant finalement de vider son verre d'un trait.

Face à elle, Jaelrina sourit, et Janeel se sentit rougir.

- Je suis désolée, s'excusa-t-elle, je ne suis pas si mal élevée d'ordinaire. Mais j'ai terriblement faim depuis déjà plusieurs heures.
- C'est normal, la rassura Jaelrina avec un geste de la main. Le fait d'utiliser des pouvoirs comme ceux que vous avez découvert est terriblement usant, surtout au début. Et vous vous êtes entraînée sans relâche depuis ce matin.

Janeel hocha songeusement la tête. C'était donc cela. Ce n'était pas étonnant, en y réfléchissant bien. La découverte de ces nouvelles facultés l'avait un peu grisée, sensation dont elle n'était pas coutumière, et elle n'avait cessé de les employer, comme si elle désirait en explorer toute l'étendue en quelques jours seulement. A l'avenir, se promit Janeel, elle serait plus raisonnable. Qui savait ce qui pourrait se passer si elle abusait trop de son pouvoir ?

- Comment fonctionne l'armure au fait, demanda-t-elle, subitement curieuse? Je veux dire, le pouvoir vient de moi, pas d'elle, mais c'est seulement en la revêtant que j'ai pu faire ce genre de choses.
- Oh, et bien c'est quelque chose de très intéressant, fit Jaelrina. Voyez-vous, l'armure joue un rôle de catalyseur, c'est-à-dire qu'elle aide à révéler les capacités de celui qui la porte. Bien entendu, cela ne fonctionne pas de façon automatique. Il faut pour cela être accordé avec l'armure, ce qui nécessite non seulement un certain niveau de pouvoir latent, mais aussi une compatibilité parfaite avec ce que représente l'armure. Le concept qu'elle incarne, je veux dire. Les éléments qui composent l'armure jouent un rôle évidemment essentiel, tout particulièrement la poussière d'étoile qui fait écho à…

Fatiguée comme elle l'était encore après sa matinée d'entraînement, Janeel eut tout le temps de regretter sa question pendant le reste de l'heure.

***

Dans la petite tente à l'écart des autres, Alcyar veillait le roi de Mycènes toujours inconscient.

Le visage d'Antar était pâle et sa carrure robuste s'était quelque peu étiolée après tous ces jours qu'il avait passé quelque part entre la vie et la mort. De fait, n'était la bénédiction d'Athéna, il serait probablement passé dans l'autre monde depuis longtemps déjà, faute de s'alimenter.

Une fois de plus, Alcyar concentra son esprit et entreprit de sonder le corps inerte qui gisait devant lui. Mais il n'obtint pas plus de réponse que toutes les fois précédentes. Le corps d'Antar était guéri, Athéna y avait veillé. Les cicatrices, auparavant nombreuses et profondes, semblaient désormais terriblement anciennes, presque oubliées.

Et pourtant, le souverain de Mycènes ne se réveillait pas. C'était comme si son esprit, pour une raison ou une autre, ne pouvait rejoindre son enveloppe corporelle. Alcyar avait beau faire tout son possible, une telle guérison était au-delà de ses capacités. Et du reste, si la déesse de la sagesse elle-même avait jugé préférable de ne pas agir, il était probablement mieux de laisser les choses en l'état.

Mais Alcyar ne pouvait s'empêcher de se sentir vaguement inquiet malgré tout.

***

Laramil était en train de s'entraîner à l'écart du camp. Son armure, qui lui paraissait aussi lourde et inconfortable qu'à l'accoutumée, le recouvrait de la tête aux pieds. Mais il n'avait pas l'impression qu'elle lui apporte véritablement une quelconque force.
C'était bien plutôt un fardeau écrasant, qui le gênait dans chacun de ses mouvements. Comment serait-il possible d'accomplir quoi que ce soit en portant cela ?

Laramil s'entraînait contre un rocher, lequel faisait tout juste un peu moins d'un mètre de hauteur. Pour l'instant, il s'efforçait simplement de le briser en le frappant du poing, comme on lui avait dit de le faire.
Cela faisait maintenant plusieurs heures qu'il y était et le rocher ne donnait pas signe de devoir partir en morceaux d'un instant à l'autre.

- Pourquoi diable est-ce que je me fatigue avec ça, pesta Laramil entre ses dents tandis qu'il frappait une fois de plus la surface de la pierre ?

C'était tellement inutile ! Au début, lorsqu'il avait appris ce qu'était l'armure qu'il avait revêtu, il avait pensé que ce serait là l'occasion de devenir un véritable héros, de protéger ce qui restait de son peuple. Mais ça ne se passait pas du tout comme il s'y était attendu. La force qu'il avait cru ressentir un instant était bien loin, maintenant, et il n'avait pas encore accompli quoi que ce soit de remarquable jusqu'ici. La seule chose de remarquable, songea-t-il avec agacement, c'était l'insistance qu'il mettait à répéter quelque chose de si visiblement inutile. Et dire que Janeel avait reçu une armure plus tard et qu'elle parvenait déjà à l'utiliser ! Il se sentait ridicule.

- Tu t'y prends mal.

Laramil se retourna brusquement, surpris. Mais ce n'était pas un général de Poséidon qui était apparu là pour le tuer. Ce n'était que le dernier forgeron arrivé au camp, un colosse qui le dépassait de plus de deux têtes et dont les muscles saillants semblaient plus suggérer un guerrier qu'un artisan.

- Qu'est-ce que vous voulez dire par là, demanda Laramil, se reprenant ?
- Tu ne fais que frapper inutilement le rocher avec ton poing, dit le forgeron en s'approchant. Tu y mets autant de forces que possible, mais tu ne te concentres pas véritablement.
- Bien sûr que si, protesta Laramil !
- Regarde, poursuivit le forgeron, ignorant son interjection. Regarde bien le rocher qui est devant toi. Tu ne peux pas espérer détruire quelque chose que tu ne connais pas.

Laramil regarda. Le rocher avait toujours autant l'air d'un rocher que la dernière fois qu'il l'avait observé.

- Et maintenant, pense que ce rocher n'est pas là. Non, tout ce qui se trouve devant toi, ce sont des grains de poussière, séparés par le vide. Ce n'est que parce que ces grains de poussière sont si serrés que tu as l'impression qu'il forme quelque chose de complètement solide. Mais ce n'est qu'une illusion. Est-ce que tu vois ?

Laramil fronça les sourcils. Des grains de poussière ? C'était un rocher, oui ! Un fichu rocher, bien massif et lourd… Il plissa les yeux subitement. C'était comme si les mots du forgeron lui avait soudain révélé une manière de regarder qui lui avait échappé jusque-là. Sous cet angle… Oui, sous cet angle, il lui apparut tout à coup qu'il n'y avait pas de rocher. Rien que des particules infimes de matière, isolée par le vide.

- Et maintenant, frappe-le.

Sans réfléchir, Laramil ramena le poing en arrière, puis l'abattit.

La déflagration qui s'ensuivit s'entendit à travers tout le camp.

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Cette fiction est copyright Emmanuel Axelrad et Romain Baudry.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.