Chapitre 20 : Le combat des dieux


La salle du trône était d'un silence mortel. Aucun bruit de la bataille qui devait pourtant se dérouler en cet instant juste à l'extérieur n'y filtrait. L'atmosphère qui régnait dans la pièce était étouffante, comme figée dans l'expectative. Le seul son qui venait la troubler était celui de la respiration presque oppressée de Laramil. Le jeune chevalier Pégase avait serré le poing, mais il ne parvenait pas à le brandir.

- Par le…

Les mots s'étranglèrent dans sa gorge. Face à lui, Poséidon le regardait calmement, assis sur son trône d'or massif. Aucun cosmos perceptible n'émanait de lui, mais personne, pas même quelqu'un qui aurait perdu l'usage de tous ses sens, n'aurait pu commettre l'erreur de croire qu'il avait en face de lui un humain ordinaire. Si la forme extérieure était en apparence similaire, la puissance et la majesté écrasante qui émanaient de la moindre parcelle de son être ne pouvait laisser aucune hésitation : celui qui se trouvait là, assis sur ce trône, était l'un des dieux immortels, devant lesquels les humains n'étaient que des grains de poussière.

Laramil voulut de nouveau lancer son attaque, mais s'en trouva incapable. Aucun de ses muscles ne lui obéissait et il était incapable d'articuler le moindre son. Celui qu'il voulait frapper ainsi était une divinité, l'un des souverains de l'univers. Comment pouvait-il seulement songer à faire une chose pareille ? Et même s'il commettait vraiment cet acte impensable, comment pouvait-il espérer que cela aurait le moindre effet sur Poséidon, l'Ebranleur du Sol, le maître des océans ? Une éternité de souffrances le punirait certainement de sa présomption s'il osait faire ne fut-ce qu'un geste.

L'espace d'un bref instant, Laramil faillit renoncer. Puis il repensa à sa sœur. Janeel n'avait pas abandonné. Et elle était morte, maintenant. Le froid royaume d'Hadès s'était refermé sur elle et ne la relâcherait jamais plus. Mycènes était tombé, son père et son frère avait failli mourir également. Et tout cela n'était dû qu'à un seul être, celui qui se trouvait devant lui en ce moment. Et ses seules raisons avaient été l'avidité et l'arrogance.

Laramil sentit une haine terrible apparaître soudain en lui, balayant la crainte révérencielle qui l'avait habité. Son cosmos bleuté s'embrasa sauvagement et ses mains esquissèrent rapidement le dessin de sa constellation protectrice. Dieu ou pas, Poséidon devrait payer pour tous ses crimes.

- Par le Météore de Pégase !!

*

Dans la vaste salle qui menait au souverain des océans, Denby et Eryx se faisaient face. Aucun d'entre eux n'attaquait encore, préférant jauger l'autre à la recherche de faiblesses possibles.

- La parade que tu as trouvé à ma mélodie mortelle était remarquablement créative, dit tout à coup Denby sans relâcher pour autant sa garde. Ta maîtrise des dimensions doit être impressionnante. Il faudra que je m'arrange à l'avenir pour que ma technique ne dépende pas exclusivement de la propagation du son.
- Ce serait effectivement une idée, répondit Eryx, un sourire sardonique apparaissant sur son visage. Mais pour cela, il faudrait évidemment… que tu aies un avenir !

Il fondit en avant au moment même où il prononçait les derniers mots. Les yeux écarquillés, Denby le vit arriver à une vitesse impossible. Il eut de justesse le réflexe de se jeter sur le côté pour esquiver mais, à cet instant-là, le chevalier des Gémeaux relâcha son attaque sur lui.

- Galaxian Explosion !!

Le déferlement d'énergie destructrice percuta le Général de plein fouet, le balayant comme un fétu et l'envoyant percuter violemment le mur une dizaine de mètres plus loin. D'extrême justesse, le fils de Poséidon parvint à maintenir son équilibre et retomba sur ses pieds. Son écaille marine avait absorbé l'essentiel de l'impact, le protégeant de blessures véritablement sérieuses, mais elle ne pourrait accomplir cet exploit une seconde fois. Un entrelac de profondes fissures couvrait désormais la protection sacrée et l'énergie qui s'en dégageait habituellement avait grandement diminué.

Denby se redressa, mais son expression trahissait pour la première fois un choc et… insuffisamment dissimulé, un début de crainte. Sa flûte dorée lui avait échappé et gisait désormais au sol. Il ne fit aucun mouvement pour aller la récupérer. Son adversaire s'approchait de nouveau, son cosmos doré surpuissant crépitant autour de lui.

- On dirait que tu es moins brillant face à des adversaires qui savent se défendre, observa Eryx d'une voix moqueuse. Voilà qui n'est guère glorieux, tu ne trouves pas ?

Une bouffée de fureur saisit le général de la Sirène. Il ne se laisserait pas insulter ainsi ! Le sang qui coulait dans ses veines était d'origine divine. Aucun mortel, quel qu'il soit, ne pouvait rivaliser avec sa force. Et il allait le prouver à ce serviteur insolent d'une déesse pathétique !

- Voilà qui semble un peu plus conséquent, fit le chevalier des Gémeaux, voyant le cosmos de son adversaire commencer à s'amplifier. Il ne te reste plus qu'à rassembler suffisamment de courage pour m'attaquer, maintenant. Mais peut-être que tu n'oseras pas…

Le cri de rage de Denby au moment où il déchaînait sa puissance meurtrière fut la seule réponse qu'il obtint.

*

Au camp d'Athéna, le petit groupe de chevaliers présents s'était rassemblé en toute hâte pour écouter le récit de Myrtès, seul chevalier pour le moment à être revenu de l'expédition au cœur du temple de Poséidon.

- Je vois, dit la déesse de la sagesse lorsque le jeune aveugle eut fini de parler. Tu as eu raison de te retirer du combat. Sans ton armure, tu aurais couru des dangers trop grands. Je préfère que tu sois revenu ici, pour aider à protéger cet endroit au cas où quelque chose tournerait mal.

Myrtès s'inclina en silence. Même s'il était conscient que cela avait effectivement été la bonne chose à faire, il ne pouvait pas s'empêcher de le regretter à moitié. Avoir dû abandonner les autres chevaliers n'avait pas été quelque chose de facile. Dans les combats qu'ils auraient encore à affronter, sa force aurait peut-être pu jouer un rôle malgré tout. Mais il était trop tard pour ce genre de considérations. Il ne lui restait plus qu'à attendre et à faire confiance à celui qui s'était présenté à lui comme s'appelant Eryx.

- Déesse Athéna, intervint soudain Lon, resplendissant dans son armure d'or du Scorpion, êtes-vous vraiment certaine de ne pas vouloir revenir sur votre décision ? Je ne doute pas de la sagesse de votre choix, mais la victoire finale est désormais à portée de main. Une aide - aussi limitée qu'elle soit - augmenterait grandement les chances des chevaliers qui se trouvent toujours là-bas.
- Je ne changerai pas d'avis, Lon, répondit Athéna d'une voix douce, mais ferme. Poséidon n'a rien en commun avec ses Généraux des mers et le danger qu'il représente est infiniment supérieur. Le nombre rangé devant lui importe peu. Mais ne te décourage pas, je n'ai pas l'intention d'abandonner à leur sort ceux qui vont devoir l'affronter.

Elle n'en dit pas plus et l'ancien chevalier du Lynx ne put que s'incliner. Il faisait toute confiance à Athéna, mais il lui était malgré tout difficile de rester ainsi dans l'inaction alors que d'autres risquaient au même instant leurs vies dans une bataille sans merci. Son armure dorée frémissait autour de lui comme une seconde peau, brûlant de puissance brute. Et il ne pouvait rien faire.

Etre un chevalier sacré était difficile à plus d'un titre.

*

Jaelrina était au bord du coma. Cela faisait des heures qu'elle n'avait pratiquement pas reposé ses outils. Forger l'armure du Scorpion l'avait vidée des quelques forces qu'elle possédait encore et elle avait été sur le point de s'allonger dans un recoin de sa tente pour céder à un sommeil réparateur lorsque était brusquement arrivée la requête d'Athéna. La jeune Nubienne avait failli refuser. Est-ce qu'elle n'avait pas déjà largement payé la faute qu'elle avait commise en forgeant les écailles marines ? Mais la pensée des trois autres Forgerons, partis pour un combat dont aucun ne reviendrait peut-être, l'avait finalement décidé. Depuis, elle travaillait à l'œuvre la plus étrange et peut-être la plus remarquable qu'elle ait jamais réalisé.

L'objet lui-même était de petite taille et de facture relativement simple. Mais le soin qui devait être apporté à sa réalisation défiait l'entendement. Il fallait qu'il puisse contenir intégralement une énergie phénoménale, sans rien en laisser filtrer. A peine capable de voir encore ce qu'elle faisait, Jaelrina en était réduite à se reposer sur son instinct et sur l'expérience qu'elle avait accumulée. Ses mains lui faisaient horriblement mal et il lui semblait qu'elle allait s'évanouir d'un instant à l'autre.

Une éternité sembla encore s'écouler avant que l'œuvre ne soit finalement achevée et, lorsque ce fut fait, la jeune femme était totalement incapable de voir même si elle avait bien accompli ce qu'on lui avait demandé. Vaguement, elle distingua une silhouette indistincte apparaître devant elle et prendre l'objet.

- Tu as accompli un travail digne d'Héphaïstos, Jaelrina, lui parvint une voix douce. Avec ceci, il est possible que Poséidon soit arrêté sans qu'il soit besoin de verser beaucoup de sang. Alcyar serait fier de toi.

Mais la jeune femme n'entendait déjà plus. La dernière parcelle de volonté à laquelle elle s'était accrochée venait finalement de disparaître et ce fut avec un soulagement intense qu'elle réalisa que plus rien ne l'empêchait désormais de sombrer dans l'inconscience.

*

La conscience était en train de revenir à Tolivar. Il était étendu sur le sol de pierre froid, revêtu de son armure. Que faisait-il donc ainsi ? Puis il se souvint. Denby ! Le général de la Sirène les avait endormi avec sa flûte enchantée, les réduisant à l'impuissance sans la moindre difficulté. Mais comment se faisait-il qu'il n'en ait pas profité pour les achever ? Etait-il possible que quelque chose soit venu le distraire ? Si c'était le cas, il ne devait pas perdre un instant pour en profiter !

Se relever fut étonnamment facile. Toute trace de sommeil avait à présent disparu de son esprit et il se sentait exactement dans le même état qu'auparavant. A ses côtés, Alcyar et Sauron se redressaient également, mais Tolivar les ignora momentanément, cherchant du regard Denby. Si le fils de Poséidon était toujours là, ils étaient tous en danger de perdre la vie. Il ne se laisserait pas surprendre si facilement cette fois-ci, cependant.

Puis Tolivar vit Denby. Mais le général de la Sirène avait de toutes autres préoccupations que leur existence pour le moment. Embrasé d'un cosmos si intense qu'il en était presque aveuglant, il était en train de combattre avec acharnement un chevalier en armure dorée… Tolivar plissa les yeux, interloqué. L'espace d'un instant, il lui avait semblé que c'était Erèbe, mais ce n'était pas le cas, encore que la ressemblance soit troublante. Et la puissance qui émanait de lui dépassait de loin celle qu'avait atteinte le jeune chevalier des Gémeaux. Son armure était la même, pourtant…

Le duel se poursuivait entre les deux combattants, sans prêter la moindre attention aux trois chevaliers qui venaient de reprendre conscience. La rapidité des coups échangés était fulgurante, et leur puissance démesurée. Les traces du combat titanesque parsemaient la totalité de la salle, désormais presque complètement détruite.

- Nous ne devrions pas traîner ici, dit soudain Sauron. Nous risquons de le gêner si nous intervenons. Mieux vaut continuer.

Alcyar et Tolivar hochèrent la tête et le trio de chevaliers s'apprêta à se diriger vers la porte massive qui donnait sur la salle du trône lorsqu'une déflagration massive fit trembler le sol, les arrêtant sur place. Se retournant, ils virent que Denby avait été projeté en arrière par une attaque plus violente que les autres. Il s'était repris presque aussitôt, mais, l'espace d'un très bref instant, il fut en position de déséquilibre. Seul quelqu'un d'infiniment rapide aurait pu profiter d'une telle faiblesse. Le chevalier d'or qui lui faisait face se classait dans cette catégorie. Ses mains se joignirent devant lui, embrasée subitement du feu de mille soleils. Denby n'eut pas le temps de se protéger.

- GALAXIAN EXPLOSION !!!

Une explosion assourdissante eut lieu, illuminant toute la salle d'une lumière d'un blanc aveuglant. Lorsqu'elle se dissipa finalement, le fils de Poséidon gisait au sol au milieu de son propre sang et des débris de son armure. Le chevalier d'or s'avança avec une certaine prudence, mais c'était inutile. Denby avait cessé de vivre.

- Voilà qui est fait, dit finalement l'homme qui ressemblait à Erèbe, se retournant vers les trois autres chevaliers. Tous les généraux sont morts, à présent.

Alcyar fronça les sourcils. L'aura qui se dégageait de l'inconnu était à la fois terriblement familière et pourtant différente de tout ce qu'il avait jamais rencontré. Il avait la sensation désagréable que quelque chose lui échappait.

- Qui es-tu, demanda-t-il ?

L'homme leur offrit un demi-sourire.

- Je suis un allié. Vous pouvez me faire confiance, mais les explications devront attendre. Le temps presse et Laramil est seul face à Poséidon.

Une bouffée d'angoisse traversa Tolivar à cette révélation. La douleur d'avoir perdu sa sœur était encore vive en lui, même s'il avait tenté de la refouler jusque-là. Et maintenant, son frère risquait de subir le même sort ! Il ne pouvait pas supporter la seule idée de le perdre à son tour. Devoir expliquer à son père qu'il n'avait su protéger aucun d'entre eux… Non, il préférait mourir lui-même ! Sans plus accorder la moindre attention aux trois chevaliers d'or qui l'accompagnaient, le chevalier du Dragon courut en direction de la porte massive.

Eryx, Sauron et Alcyar le suivirent au moment où il pénétrait dans le sanctuaire du Dieu des Océans.

*

La salle du trône de Poséidon, le cœur même de son temple magnifique, était silencieuse de nouveau. Mais elle ne le demeura pas longtemps. Des bruits de pas vinrent soudain l'emplir, se répercutant contre les murs. Puis un cri :

- Laramil !

Tolivar se précipita vers son jeune frère, qui gisait en sang sur le sol de pierre froide. Laramil respirait encore, réalisa-t-il avec un soulagement indescriptible. Il avait de nombreuses blessures et son armure était couverte de fissures, mais sa vie n'était pas menacée.

Ce fut seulement lorsque les trois chevaliers d'or vinrent se placer à son niveau, leurs cosmos prêt à livrer bataille, qu'il se souvint de l'existence de Poséidon.

Le maître des océans s'était levé de son trône, mais il n'avait pas encore descendu les quelques marches qui le rapprocheraient d'eux. Sa main droite enserrait son trident meurtrier et le regard qu'il posa sur eux était empli de tout le poids d'une fureur immortelle. Il se dégageait de lui une aura de violence destructrice à peine supportable, alors même qu'il n'avait pas fait le moindre mouvement.
C'était le tremblement de terre sur le point de raser une cité, la vague gigantesque qui s'abattait sur une côte, emportant les humains chétifs comme autant de débris et les engloutissant dans les profondeurs.

- Chevaliers d'Athéna, dit-il d'une voix grondante comme la tempête, vous avez commis de nombreux crimes contre moi, et le dernier n'a pas été le moindre. Vos vies pitoyables sont bien insuffisantes pour supporter tout le poids de ma vengeance, mais votre déesse timorée et votre peuple paieront également pour la mort de mon fils.

Il fit un pas en avant, brandissant son trident devant lui.

- L'insecte qui est venu me défier ici n'est encore en vie que parce que je me suis contenté de lui renvoyer ses propres coups ridicules. Mais vous avez mérité ma colère et vous aller en subir les conséquences.

La puissance sauvage qu'il dégageait s'accrut encore, saturant tout l'espace autour de lui et faisant trembler les murs comme le sol. Il semblait qu'un seul effort de volonté aurait suffi pour qu'elle détruise totalement la pièce, le temple et l'île toute entière où il se trouvait. C'était une force sans limite, à laquelle rien d'humain ne pouvait même espérer résister un instant. La réalisation frappa les quatre chevaliers en même temps. Ils n'avaient aucune chance. Malgré toutes les épreuves qu'ils avaient franchies et tous les pouvoirs dont ils pouvaient disposer, ils ne pouvaient pas l'emporter face à Poséidon. Sa puissance les balaierait, son trident transpercerait leurs armures comme si elles n'existaient pas et ils mourraient. Il n'y avait pas d'autre issue possible. Ils ne pouvaient pas gagner face à un dieu.

- Préparez-vous à mourir, dit le maître des océans, pointant son arme crépitante d'énergie meurtrière dans leur direction.
- Je ne te laisserai pas faire, Poséidon.

La voix calme résonna à travers la pièce, dissipant la crainte indicible qui avait saisi les quatre humains face au dieu. Tous se retournèrent dans la même direction, saisi du même espoir et de la même incrédulité.

Revêtue de son armure divine rayonnante de lumière, Athéna venait d'apparaître à l'entrée de la salle du trône. Son visage à l'harmonie parfaite était marqué par la résolution et l'énergie sereine qu'elle dégageait vint se répandre à travers la pièce, repoussant la puissance destructrice de l'Ebranleur du Sol. Son large bouclier se trouvait à son bras gauche et une lance étincelante dans sa main droite.

A ses pieds, brillant d'une lumière sourde, se trouvait une urne dorée.

Chapitre précédent - Retour au sommaire - Chapitre suivant

www.saintseiya.com
Cette fiction est copyright Emmanuel Axelrad et Romain Baudry.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.