Chapitre 2 : Destins parallèles


Il était tard. Le soleil avait depuis longtemps cédé sa place à la lune. Le Sanctuaire reposait paisiblement, excepté les sentinelles qui montaient la garde. De la troisième maison, Saga et Kanon contemplaient les étoiles sans mot dire. C'était la première fois que les deux frères se retrouvaient ensemble, en chair et en os, dans la demeure des Gémeaux. Ils avaient tant à se dire et nulle part où commencer. A chaque fois que l'un ou l'autre commençait une phrase, il s'arrêtait aussitôt, de peur de ce qu'il allait dire. Depuis leur retour des Enfers, ils dormaient dans la même maison. C'était Saga qui avait insisté pour soigner lui-même son frère, arguant que leur gémellité lui donnait la prééminence sur les médecins, attendu qu'il savait mieux qu'eux de quoi son frère pourrait avoir besoin. Il avait veillé sur son frère pendant tant de jours et tant de nuits qu'il ne s'en souvenait même plus.

A quelques reprises et à sa grande surprise, Ikki était venu le relayer au chevet de Kanon. Sans dire un mot, le chevalier Phénix s'était approché et avait posé sa main sur l'épaule de Saga lui indiquant du regard le lit. Ce dernier n'avait guère protesté, conscient que lui-même était encore fatigué.
Finalement Saga, en sa qualité d'aîné, décida qu'il lui revenait de faire le premier pas.

- Qu'est-ce qui t'a réellement décidé à rejoindre le camp d'Athéna, Kanon ?
- Curieuse première question, mon frère, répondit-il avec un petit sourire.
- C'est que je ne sais pas tellement quoi te dire mon frère, répliqua Saga avec le même sourire.
- C'est logique, remarque. Depuis combien de temps ne nous étions-nous pas vu ?
- Longtemps. Trop longtemps. Nous étions ennemis…
- Nous l'avons toujours été, interrompit doucement Kanon.
- C'est vrai. Même lorsque nous étions petits, il y a toujours eu cette rivalité latente entre nous. Je ne suis pas sûr de savoir pourquoi, pourtant…
- Voyons Saga. J'apprécie ta délicatesse, mais toi et moi savons pertinemment que j'ai toujours été la brebis galeuse. Je t'ai toujours envié parce que tu étais le chevalier des Gémeaux et pas moi, alors que j'estimais être aussi fort que toi.
- Et tu l'es.
- Je le suis devenu, corrigea-t-il. En me battant pour la bonne cause, j'ai accru mon cosmos et suis devenu un chevalier d'Athéna digne de ce nom.
- J'ai été chevalier des Gémeaux pendant de longues années. Veux-tu prendre ma place à présent ?
- Non, Saga. Tu as été fait chevalier par Athéna et tu dois le rester. L'armure est tienne, même si elle répond à mon commandement. Cela étant, je ferais mon possible pour t'aider dans ta tâche, comme te remplacer si tu es fatigué ou malade… Après tout on se ressemble tellement…

Saga regarda son frère, perplexe. Etait-il sérieux ? Puis il vit l'étincelle briller dans les yeux de son frère et se mit à rire, imité rapidement par Kanon. Il y avait bien longtemps que personne n'avait entendu de rire dans la maison des Gémeaux.

***


Le lendemain trouva Shun affalé sur une des tables de la bibliothèque du Sanctuaire. Il avait passé la nuit là et, à en juger par l'impressionnante quantité de papiers qui jonchaient le sol, en avait passé plusieurs autres. On distinguait pêle-mêle sur la table des ouvrages sur les quatre-vingt huit armures, sur leur origine, sur les origines exactes du Sanctuaire…
Le chevalier Andromède dormait paisiblement lorsque la porte s'ouvrit pour laisser passage à Mû et Kiki. Le jeune apprenti ne put résister à l'idée de jouer un tour à Shun. Il utilisa donc son pouvoir de télékinésie pour soulever tous les livres posés sur la table avant de les laisser retomber bruyamment. Shun fit, littéralement, un bond jusqu'au plafond. Quand il reconnut l'auteur du coup pendable, il ne put réprimer un sourire.

- Tu as de la chance, Kiki. Si tu avais fait ça à Seiya ou à Ikki, tu ne serais probablement pas beau à voir en ce moment.
- Oh, mais il n'y a aucune chance que cela m'arrive ! Seiya est trop occupé avec sa sœur et Ikki…

Kiki ne termina pas sa phrase. Il avait vu le doux visage de Shun s'assombrir à la mention de son frère. Habilement, Mû relança la conversation.

- Que cherches-tu exactement, Shun ?
- Exactement, je ne sais pas. Je cherche probablement un précédent à la situation actuelle, tout en sachant bien entendu qu'il n'y en a pas.
- Comment pourrait-il y en avoir ? Vous avez tué l'enveloppe charnelle du Dieu des Enfers. Les Guerres Saintes sont terminées.
- Crois-tu ? Moi, je n'en suis pas si sûr. D'après ma jeune expérience, chaque bataille a été suivie d'une autre. Pourquoi ne serait-ce pas le cas encore cette fois ?
- Et contre qui ?
- Je ne sais pas ! C'est bien pour ça que je cherche ! Pour voir si je trouve des ennemis potentiels et ensuite voir si l'on peut s'y préparer. Et toi, Mû, que viens-tu faire ici ?
- Des recherches, comme toi.
- Sur quel sujet ?
- Sur mon peuple. Je voudrais savoir pourquoi Kiki et moi sommes les derniers. Que nous est-il arrivé ? C'est une question que je me pose depuis longtemps, mais je n'ai jamais eu réellement le temps de chercher.

Le dialogue fut alors interrompu par une nouvelle entrée dans la pièce. Sans dire un seul mot, Ikki alla droit à l'un des rayons, se saisit de deux ou trois ouvrages et alla s'asseoir à l'opposé de son frère et de ses interlocuteurs. Très droit, il ne leur accorda pas un regard et se plongea immédiatement dans sa lecture. Shun n'eut toutefois aucun mal à lire le titre de l'ouvrage : " Réflexions sur l'Armure du Phénix " par Sion, Grand Pope d'Athéna.

***


Dans l'arène, Milo et Camus se faisaient face, en position de combat. En accord avec Athéna, ils s'entraînaient. Leur aventure aux Enfers avait coûté beaucoup d'efforts aux chevaliers d'Or, et beaucoup peinaient à retrouver leur puissance d'antan. Milo et Camus décidèrent donc d'organiser des séances d'entraînement, qui étaient finalement destinées aussi bien aux chevaliers d'Or qu'aux novices qui apprenaient énormément.
L'entraînement ne consistait pas à utiliser ses attaques contre l'autre. De toute façon, cela n'aurait pas servi à grand-chose, dans la mesure où un combat entre deux chevaliers d'Or pouvaient durer mille jours et mille nuits. Non, il fallait ruser et surprendre. En servant des diverses techniques d'arts martiaux connus, il fallait mettre son adversaire à terre. Le premier à terre avait perdu. Milo se concentra et lança un coup de pied retourné que Camus para avec aisance, puis riposta avec un crochet du droit, qui atteignit Milo en plein dans l'arcade sourcilière.

- Mais enfin, fit le chevalier du Scorpion, c'est un coup de boxe ???
- Et oui, j'en ai fait un peu lors de mon enfance en France. Je ne me débrouillais pas mal, d'ailleurs.
- Je vois ça, oui.
- Allons, Milo, ce n'est qu'une égratignure !
- C'est ça, je vais t'en coller une d'égratignure, moi !

Un superbe ballet eut alors lieu. Les deux amis utilisèrent toutes leurs connaissances pour tenter de déstabiliser l'autre, mais rien n'y faisait. Ils étaient tous deux en nage. Le sang avait fini de sécher sur la tempe de Milo et cela lui donnait un air de fauve sanguinaire. Après quelques instants, ce dernier détendit son poing droit vers le visage de Camus. Celui-ci se baissa au dernier moment, avant d'envoyer un énorme uppercut au menton de Milo. Le chevalier du Scorpion fut KO pour le coup. Il prit la main que lui tendait son ami pour se relever et sourit.

- M'apprendras-tu la boxe, Camus ?
- Si tu es sage, peut-être, répondit avec un sourire mutin le chevalier du Verseau.

Pour prix de sa taquinerie, Camus reçut une bourrade dans le ventre. Les deux hommes rejoignirent leurs maisons tranquillement, un large sourire aux lèvres.

***


Ikki était assis sur un rocher, face à la mer. Les vagues déferlaient sur le rivage avec violence. On sentait la tempête approcher. Les éléments commençaient à se déchaîner mais il n'en avait cure. Il recevait régulièrement de l'eau sur lui, sans que cela paraisse l'affecter le moins du monde. Son regard bleu acier, habituellement si dur, semblait emprunt d'une profonde mélancolie. Un peu plus loin, derrière lui, se tenait un autre homme. Les bras croisés et les yeux mi-clos, il était adossé à une paroi. Sans doute légèrement plus jeune qu'Ikki, on lisait néanmoins une grande détermination sur son visage, semblable à celle du chevalier Phénix.

Finalement Ikki se leva et en se retournant, vit l'homme. Une lueur interrogatrice se fit dans son regard. " Que diable fait-il là, grommela-t-il ? ". Il s'apprêtait à rentrer au Sanctuaire, mais ses pas le conduisirent vers l'homme. Il s'en arrêta à quelques mètres.

- Que fais-tu là, Aioros ?
- La même chose que toi, chevalier Phénix ; j'essaye de réapprendre à vivre.

Aioros leva alors les yeux et regarda Ikki. Immédiatement, ce dernier comprit qu'il avait trouvé là un compagnon d'infortune. Sans mot dire, les deux hommes rejoignirent le Sanctuaire. Par les voies détournées que seuls les chevaliers d'Or connaissaient, ils parvinrent à la maison du Sagittaire sans que personne ne les remarque. Là, Ikki découvrit une autre facette des temples du zodiaque. En effet, lors de la Grande Bataille du Sanctuaire, ses compagnons et lui-même n'étaient passé que par les salles principales, sans réellement savoir que des hommes vivaient là. Evidemment, la maison du Sagittaire avait requis beaucoup de travail, ayant été sans occupant pendant plus de treize ans. Ils entrèrent dans une pièce qui pouvait servir de salle à manger ou de salon, sans que l'on puisse réellement savoir. D'un geste, Aioros invita son invité à s'asseoir. Ikki ne savait pas bien ce qu'il faisait là. Grand solitaire devant l'Eternel, il avait pourtant éprouvé le besoin d'aller vers cet homme et de le suivre.

Ils étaient assis l'un en face de l'autre. Chacun buvait un verre de ce vin grec qui monte si facilement à la tête. Finalement, Ikki prit la parole.

- Pourquoi m'as-tu dit que tu " essayais de réapprendre à vivre " ?
- Parce que c'est la vérité, Ikki. Je te rappelle que je suis mort voilà plus de treize ans. J'étais alors le chevalier d'Or le plus vieux, hormis Saga. Mon frère Aiolia n'avait guère plus de sept ans et je devais m'occuper de lui, le protéger. Aujourd'hui, c'est moi le plus jeune et Aiolia se figure que c'est à son tour de me protéger. Je n'ai pas connu réellement de vie normale, Ikki, tout comme vous il est vrai. A cette différence notoire que la mienne s'est arrêtée, avant de repartir. J'avoue ne pas bien savoir où j'en suis.
- Pourtant tu es le chevalier le plus aimé de tous ! C'est pratiquement sous ta bannière que nous nous sommes battus !
- Non, Ikki. C'est sous celle d'Athéna.
- Mais sans toi, il n'y aurait jamais eu d'Athéna ! C'est à toi que nous devons la paix actuelle.
- Je n'ai pas combattu, Ikki, je n'ai jamais combattu. Hormis, cet ersatz de duel face à Shura.
- Mais tu as sacrifié ta vie, comme tous les autres, au Mur des Lamentations !
- Et quel sacrifice… J'étais déjà mort Ikki.
- Je ne te comprends pas, Aioros. Je n'aurais jamais imaginé que tu sois si triste.
- Je sais, personne n'est au courant, pas même Aiolia. Il n'y a que toi à qui je pouvais me confier.
- Pourquoi ?
- Parce que nous sommes pareils, Ikki. Nous avons tous deux un problème qui nous ronge de l'intérieur. Tu connais le mien à présent.
- Quel problème, fit Ikki haletant, comme piqué par un morceau de fer rouge ?
- Le Phénix, Ikki. Tu ne cesses de t'interroger sur l'origine de ton armure et sur ses conséquences sur toi. Tu sais que tu es le premier à avoir jamais revêtu l'armure du Phénix. Nombreux sont ceux qui ont posé des questions sur cette armure, mais personne n'y a jamais répondu. Et cela ne cesse de te travailler. Tu n'as jamais eu le temps de t'en préoccuper, ton esprit étant obnubilé par les différentes batailles que vous avez du livrer. Mais à présent, tu ne peux pas penser à autre chose.

Pendant l'exposé d'Aioros, Ikki s'était pratiquement levé, de rage. Comment quelqu'un avait-il pu lire dans son esprit de la sorte ? Puis, petit à petit, il s'était calmé et réinstallé confortablement dans son fauteuil. Lorsqu'il prit la parole, ce fut d'une voix parfaitement calme.

- Tu as raison, Aioros. Tu viens de m'exposer avec une incroyable clarté ce que je m'étais refusé à admettre pendant longtemps. Il faut donc que je m'en aille. Il faut donc que je cherche le secret du Phénix.
- Tu ne peux partir comme ça.
- Pourquoi pas ?
- Parce que tu ne sais pas où chercher, Ikki. Ta quête pourrait durer toute ta vie. Si tu ne sais pas où chercher, tu es voué à l'échec.
- Mais qui pourrait me renseigner ?
- Mû, je pense.
- Mû ?
- Oui, Mû. Je te rappelle que c'est son peuple qui a construit les armures d'Athéna. Il ne saura probablement pas répondre à tes questions, mais peut-être pourra-t-il te donner une piste.
- Oui, tu as raison, Aioros. Je te remercie pour ton aide. Y a-t-il quelque chose que je puisse faire pour te rendre cette aide ?
- Accomplis ta quête, Ikki. Nous en reparlerons alors.

Ikki serra fort la main que lui tendait Aioros. Une amitié indéfectible venait de se créer entre les deux hommes. Aioros resta quelques instants à contempler son verre, songeur, lorsqu'une voix se fit entendre.

- Alors, comment cela s'est-il passé ?
- De mon côté, pas trop mal, Mû. Mais je ne saurais trop te conseiller d'avoir quelques informations à lui donner, car sinon le répit que connaît son esprit risque d'être bien court…
- Ne t'inquiètes pas. J'ai ce qu'il lui faut.
- Je l'espère pour lui…

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Cette fiction est copyright Emmanuel Axelrad et Clément Baudot.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.