Chapitre 7 : Arès ou la résurrection


La nouvelle avait vite fait le tour du Sanctuaire. Des novices aux chevaliers d'Or, on ne parlait plus que de ça : les chevaliers du Phénix et d'Andromède, ainsi que les Gémeaux avaient quitté le Sanctuaire pour une mission secrète. Seuls Mû, Aioros, Doko et Athéna savaient de quoi il retournait réellement. La jeune déesse avait d'ailleurs eu beaucoup de mal à ne pas révéler toute la vérité à Seiya. Le chevalier Pégase, impétueux comme à l'accoutumée, avait exercé une réelle pression sur Saori, avant que celle-ce ne fonde en larmes. Seiya, excédé, avait quitté la pièce en claquant la porte.

Aioros descendait les marches qui le séparaient de la première maison paisiblement. Le soleil qui se couchait lui renvoyait une lumière rougeâtre sur le visage. Arrivé à la maison du Lion, il fit un rapide signe de la main à son frère, qui semblait très occupé avec Marine. Un léger sourire sur les lèvres, il poursuivit sa route jusqu'à la maison de Mû. Lorsqu'il pénétra dans la demeure du Bélier, ce dernier terminait de réparer l'armure de la Balance. En effet, celle-ci ainsi que celles du Lion, de la Vierge, du Verseau et du Sagittaire avaient été mises en pièces par Thanatos.

- Viens-tu vérifier si ton armure est réparée, Aioros ? As-tu si peu que cela confiance en mes talents ?

Le ton ironique du chevalier du Bélier n'échappa pas à Aioros. Il se mit immédiatement au diapason de son ami.

- Effectivement, je m'inquiète. Après tout je n'ai pas vu réparer des armures depuis des années. Peut-être as-tu perdu la main ?
- Sois rassuré, ma main est encore ferme !
- Plus sérieusement, Mû, as-tu des nouvelles ?
- Comment en aurais-je, répondit l'Atlante ?
- Par tes pouvoirs télépathiques.
- Non, je ne le peux pas. Seule la Grande Prêtresse est capable de passer les formidables barrières qui séparent l'Atlantide du reste du monde. Mes pouvoirs sont totalement inefficaces. Tout au plus puis-je te dire qu'ils sont encore vivants.
- Ce n'est pas là un bien grand secret, fit Aioros en haussant les épaules. Je parviens également à distinguer leurs cosmo-énergies. Mais je m'en veux, j'aurais du les accompagner.
- Qu'aurais-tu fait de plus, Aioros ? Deux chevaliers d'Or et deux chevalier divins ensemble, crois-tu réellement que ce n'est pas suffisant ? A mon avis, ces quatre-là sont largement capables de se débrouiller seuls.
- Oui, tu as probablement raison. Mais je donnerais cher pour savoir ce qu'il leur arrive en ce moment.
- Rassures-toi, moi aussi !

***

Le décor paraissait changé. Les trois chevaliers eurent la surprise de découvrir, autour d'eux, une salle qu'ils ne connaissaient pas. Ils ne l'avaient encore jamais visitée, mais elle leur semblait pourtant familière. Une autre pièce du temple, sans doute. Mais comment pouvaient-ils se trouver là, alors qu'à la seconde précédente, ils se tenaient encore au milieu de la rue déserte ? Kanon commençait à être excédé par tant de mystères.

- C'est encore un de vos minables tours de passe-passe, je suppose ? Si vous croyez que cela nous impressionne de quelque façon, vous vous trompez lourdement. Et n'espérez pas endormir notre méfiance je reste sur mes gardes. Je suis prêt à écouter vos explications, mais au premier geste hostile, je vous fracasse la tête, toute Grande Prêtresse d'Atlantide que vous êtes. Compris ?

Saga foudroya son frère du regard. Kanon était décidément incapable de la moindre diplomatie. Et il faisait exactement le contraire de ce qu'il fallait faire. Eileen représentait peut-être une menace, et peut-être qu'il n'en était rien. Impossible encore de le savoir, mais il ne fallait en aucun cas se montrer hostile envers elle. Sinon, ils seraient venus ici pour rien et devraient repartir bredouilles.

- Tu n'as pas à me craindre, Kanon. Il est vrai que je vous dois des explications, mais il était nécessaire de créer un charme qui nous mettait à l'abri d'une intervention des Dissidents.
- Mais bon sang, qui sont ces Dissidents dont vous nous parlez ?

Eileen s'avança jusqu'à une grande table, sur laquelle elle posa son diadème argenté, avant de porter la main à son front, avec un soupir de lassitude.

- Nous sommes dans la salle du Conseil. Enfin pas exactement, mais c'est tout comme. Disons que je nous ai en quelque sorte transportés à un endroit où personne ne pourra nous déranger, et que je lui ai donné l'apparence de cette pièce. Peu importe, au fond. Mais je crois que c'était nécessaire.
- Alors on va commencer par le début. Expliquez-nous tout.
- J'ai sous-estimé la gravité de la situation. Je savais qu'Atlantide était à l'aube d'un inévitable conflit, mais je n'imaginais pas que cela prendrait de telles proportions. Ce n'est pas votre faute, mais je crois que votre arrivée a précipité les événements. Maintenant, nous ne pourrons plus faire demi-tour. Bien, vous connaissez déjà l'histoire de mon peuple. Mais je ne vous ai pas révélé toute la vérité. Lorsque la première Guerre Sainte éclata, nous avons dû faire un choix : trahir notre Dieu vénéré, Poséidon, ou renoncer à nos idéaux de paix. Confrontés à un tel dilemme, la plupart des Atlantes ont pris le parti de se rallier à Athéna, contre l'empereur des Mers. Mais une part importante lui demeura fidèle. Ceux-là refusaient de renier Poséidon, quitte à se laisser entraîner vers la violence la plus abjecte. Au moment ou l'Ebranleur du Sol déchaîna sa colère sur nos îles, nous nous trouvions en pleine guerre civile. Puis, au fil des siècles, nous sommes restés fidèles à Athéna, lui portant secours lorsque ce fut nécessaire. Mais récemment, tout a changé. Des craintes anciennes ont refait surface, tandis que le spectre de la discorde s'abattait sur nous. Et aujourd'hui, l'heure est grave. Il y a encore quelques minutes, je n'avais que des soupçons. Mais me voilà à présent forcée de faire face à la réalité. Plusieurs membres de notre communauté se sont sans doute ralliés à Poséidon. Depuis le cataclysme, l'unité des Atlantes n'a jamais été aussi fragile. Mais il y a autre chose, même si je n'arrive pas à définir quoi précisément. Une menace pèse sur nous... Quelque chose d'infiniment plus grave qu'une division religieuse ou politique. Et votre venue sur l'île ressemble à tout sauf à une coïncidence. Chevaliers, je vais avoir besoin de votre aide.

******

Un silence pesant se fit entendre. Pendant quelques instants, il n'y eut pas le moindre murmure, puis une voix s'éleva, empreinte de colère.

- Les Dissidents, hein ? Sachez que je n'ai pas pour habitude de me laisser mener par le bout du nez. Et votre petit comité d'accueil ne m'impressionne pas. Moi, je crois au contraire que je n'ai rien à vous dire. Je ne sais pas ce qui se passe, mais je ne resterai pas une seconde de plus ici !

Le chevalier Phénix, déterminé, se dirigea en direction de la porte par laquelle il était rentré. Il ignorait dans quel genre d'imbroglio il était tombé, mais il jugeait bon de partir, pour retrouver ses compagnons. Et Shun. Ce n'était pas la perspective d'un combat qui lui faisait peur, loin de là. Mais contrairement à ce qu'il pensait en arrivant sur l'île, il avait compris qu'il ne fallait surtout pas sous-estimer ces adversaires. Même s'il se savait très puissant, il estimait plus judicieux d'utiliser ses forces pour quitter cet endroit mystérieux, plutôt que pour lutter contre des ennemis dont il ignorait tout. Ce n'était donc pas du terme de "fuite" dont il se serait servi pour décrire son attitude, mais plutôt de celui de "repli stratégique". Malgré sa force, il n'avait pas coutume de s'engager dans un combat à la légère, sans savoir où il allait. Aussi prit-il le parti de tourner les talons. Mais ce ne serait que partie remise. En tous cas il en était convaincu.

Il concentra son Cosmos, en prévision d'une attaque qui ne vint pas. Ses interlocuteurs ne semblaient pas esquisser le moindre geste pour l'arrêter. Tant mieux. De toute façon, un petit Envol du Phénix les aurait remis à leur place. Telle fut la pensée qui le traversa, au moment où il franchit la porte qui le séparait du couloir.
Il fit quelques pas dans le passage, avant de jeter un regard en arrière, afin de s'assurer qu'il ne courait aucun danger.
Mais une expression de surprise apparut sur son visage, et y resta ancrée de longues secondes durant. Un mur blanc. Voilà ce qu'il avait devant les yeux. Un large et épais mur immaculé, dont aucune anfractuosité ne faisait entamer la régularité. Où était la porte ? La pièce ? Il était bien sorti de la salle... Son esprit se brouilla un instant, le laissant incapable de raisonner. Une voix narquoise et satisfaite mit fin à sa confusion.

- Tu ne nous quitteras pas ainsi, Ikki. Tu crois pouvoir partir aussi facilement ? Ne nous sous-estime pas.

L'interpellé se retourna vers ce qu'il avait cru être un couloir. Et se retrouva face à ses interlocuteurs, qui n'avaient pas bougé d'un pouce.

- Vous commencez à m'énerver. Et je vous préviens qu'il ne vaut mieux pas se trouver dans les parages du Phénix lorsque celui-ci se met en colère.
- Tu te trompes d'adversaire, chevalier. Nous ne te voulons aucun mal. Seulement parler.

Avec un haussement de sourcils sceptique, Ikki concentra à nouveau son Cosmos, tentant encore une fois d'appeler son armure. Mais peine perdue, celle-ci demeurait désespérément sourde à ses appels. Tant pis. Il ne restait plus que la manière forte, de toutes façons. Cela valait mieux que de rester les bras croisés.

- Je sais à quoi tu penses, Ikki, fit Elias. Ton armure ne peut pas recouvrir ton corps en ces lieux, une force supérieure l'en empêche.
- Ce n'est pas ça qui m'empêchera de vous donner une bonne leçon ! Par l'Envol du..
- Non, Ikki, arrête ! Nous ne sommes pas tes ennemis ! C'est Eileen qui t'a menti !

Le chevalier Phénix arrêta son geste, saisi d'un doute. Pourquoi tenait-il tant que ça à partir ? Peut-être n'étaient-ils pas une menace, après tout.

- Ikki, nous avons d'importantes révélations à te faire. Si tu nous attaques, tu perdras toute chance de découvrir la vérité sur ton armure.

Solagar avait su employer les mots justes. Ikki abaissa les bras, renonçant au moins temporairement à la violence. S'ils avaient des secrets à lui révéler, il se devait de les écouter. Même s'il ne pouvait se retenir de ressentir un certain malaise. Cette situation n'était guère confortable. Mais il ne voyait d'autre solution que de parlementer. Dans tous les cas, Shun et les autres finiraient par venir à son secours.

- Bien, tu deviens enfin raisonnable. Nous allons tout t'expliquer; tu vas comprendre dans quel genre de piège Eileen espère vous attirer, tes amis et toi.

******

Une fois de plus, Kanon commençait à se laisser aller à l'énervement, excédé par une situation qu'il ne comprenait pas.

- Comment ça, "vous aider" ? Nous sommes venus ici dans un but bien précis, et c'est vous qui nous réclamez de l'aide ! Cette histoire de Dissidents, quel rapport avec nous ?

Eileen s'appuya sur la table et se massa le front.

- Je ne sais pas encore exactement. Au moins deux chevaliers de Vermeil, Tarkan et sans doute Elias, sont fidèles à Poséidon. Et c'est là qu'est tout le problème. Les armures de Vermeil ont été conçues en même temps que celles d'Athéna, mais elles sont détenues par nous. Et leurs propriétaires doivent fournir leur soutien au Sanctuaire. Ainsi en a décidé l'accord millénaire entre Athéna et mon peuple.
- Alors dans ce cas, Tarkan et Elias devraient logiquement rendre leurs armures, puisqu'ils ont rallié Poséidon.

C'est Shun qui venait de parler. Eileen, interrompue, l'observa d'un regard étrange. Elle semblait vouloir déceler un secret enfoui au plus profond du chevalier Andromède. Puis elle reprit son discours.

- Si ça se passait ainsi, il n'y aurait aucun problème. C'est déjà arrivé par le passé. Mais dans le cas présent qu'ils ne l'aient pas fait me fait craindre une menace bien plus grave. Je crois qu'ils préparent quelque chose de précis, comme une prise du pouvoir. Mais je pense que cela va encore plus loin que ça. Et je ne sais pas exactement... Je suppose qu'ils vont profiter de votre présence pour mettre leur plan à exécution.

Kanon fronça les sourcils, intéressé.

- En quoi notre venue pourrait-elle les y aider ?
- Partons du principe que Tarkan, Elias et Solagar sont tous trois des Dissidents. Bien qu'ils soient trois, je serais en mesure de les vaincre s'ils s'en prenaient à moi. Mais ils ont peut-être imaginé pouvoir rallier l'un d'entre vous à leur cause. Ils vont sans doute vous proposer de rejoindre leur camp.
- Mais alors... C'est à Ikki qu'ils vont s'en prendre !
- C'est probable, fit Saga, mais calme-toi Shun. Malheureusement, on ne peut rien faire pour l'instant. Seulement essayer d'en savoir plus.
- Désolé Prêtresse, reprit Kanon, mais je ne vois toujours pas en quoi nous sommes concernés. Nous allons chercher Ikki, faire ce pour quoi nous sommes venus et repartir tranquillement chez nous.
- C'est plus compliqué que ça, j'en ai peur. Les chevaliers de Vermeil peuvent dépasser les chevaliers d'or, et leurs armures sont particulières. Si trois d'entre elles sont en possession de fidèles de Poséidon, la situation est grave.
- Mais pourquoi ? Poséidon a été enfermé dans l'urne d'Athéna, il n'est plus une menace pour quiconque avant deux siècles, j'en sais quelque chose !
- Arrête, Kanon, ne te voile pas la face, intervint Saga. Tu sais très bien que trois chevaliers de Vermeil opposés à Athéna sont une menace très sérieuse. Mais je ne cesse de me poser plusieurs questions.
- Lesquelles ?
- Quels sont les pouvoirs des armures de Vermeil ? Qu'est-ce qui les rend si puissantes ? Et surtout pourquoi leur puissance varie-t-elle en fonction de leur porteur ?
- Les armures de Vermeil sont indestructibles. De plus, à la différence des armures que vous connaissez, mis à part bien entendu celle de la Balance, elles ont des armes.
- Des armes ?
- Oui, l'armure de Cassiopée dispose d'une lance, celle du Lynx d'un fléau d'armes, celle de la Couronne Boréale d'une hache et celle de la Couronne Australe d'une épée.
- Nom de Zeus, lâcha Saga ! Je le savais, l'armure de Cassiopée est la quatrième armure de Vermeil ! Ainsi, depuis la nuit des temps, cette armure se trouvait en votre possession.
- Oui, mais ce n'est pas ce qui me préoccupe pour l'instant… Leur puissance varie en fonction de l'enseignement reçu et de la capacité à faire exploser son cosmos. Selon les témoignages écrits, bien des chevaliers de Vermeil avaient à peine la puissance de chevaliers de Bronze. Le problème…
- Est que nos amis ont acquis une puissance incalculable qui font d'eux des hommes aussi puissants, sinon plus, que des chevaliers d'Or, compléta Shun. Est-ce exact ?
- En effet.
- Eileen, que pouvons-nous faire, alors ?
- En premier lieu, retrouver Ikki. Et puis il faudrait savoir précisément ce que préparent les Dissidents. Il est d'ailleurs possible qu'ils soient en possession de la seconde armure des Gémeaux.

Une lueur s'alluma dans les yeux de Kanon. Enfin ce débat commençait à l'intéresser.

- Alors allons-y.
- Non, attendez, j'ai encore quelque chose à vous dire. Cela vous concerne tous deux, Ikki et toi, Shun.

Tous s'arrêtèrent pour écouter Eileen, dont la mine était devenue grave.

- Shun, tu es le chevalier d'Andromède, n'est-ce pas ?

Shun acquiesça lentement de la tête, sans trop savoir où la Grande Prêtresse voulait en venir.

- Je suis quant à moi, comme toutes les Grandes Prêtresses de l'Atlantide avant moi, le chevalier de Vermeil de Cassiopée.

Eileen s'arrêta et commença à marmonner des paroles que les chevaliers ne comprenaient qu'à moitié.

- Quelle ironie... Mû m'avait révélé que Mitsumasa était le père de plusieurs membres de votre ordre, mais je ne me serais jamais imaginée que...

Shun était interdit. Une idée venait de lui traverser l'esprit pour s'imposer à lui comme une évidence. Dans la mythologie, Cassiopée était la mère d'Andromède. Il rassembla péniblement ses souvenirs issus de ses nombreuses lectures faites au Sanctuaire. Andromède était la fille de Céphée, roi de Jappé en Ethiopie, et de Cassiopée. Celle-ci, vaniteuse avait osé prétendre que sa fille était plus belle que les Néréides. Celles-ci allèrent se plaindre auprès de Poséidon qui pour les venger et punir Cassiopée, envoya un monstre marin femelle. Pour calmer le monstre, Andromède allait devoir être sacrifiée, nue portant quelques bijoux, enchaînée à un roc au large de la mer. Heureusement pour elle, Persée qui revenait d'avoir tuer la Gorgone, la vit et s'engagea auprès de Céphée et de Cassiopée, à tuer le monstre en échange de la main d'Andromède.
Ceux-ci acceptèrent et Persée terrassa le monstre grâce à sa serpe divine. Plus tard, lors du mariage de Persée et d'Andromède, Cassiopée trahit les deux amoureux en dénonçant l'accord passé avec le sauveur. Surgirent alors plus de 200 guerriers qui avaient pour but de tuer Persée. Celui-ci n'eut d'autre solution que de brandir la tête de Méduse, statufiant ainsi toutes les personnes présentes à l'exception de lui et de sa bien aimée. Pour punir Cassiopée, Zeus la plaça dans le ciel, dans une coupe de fruit qui se renverse la moitié de l'année, donnant un air ridicule à la reine d'Ethiopie... Mais alors, serait-il possible que Eileen soit… ? Non, ce serait trop énorme. Et pourtant…

******

- Et vous vous imaginez que je vais avaler ça ?

Ikki n'en revenait pas. Le croyaient-ils assez naïf pour croire à une histoire aussi tordue ?

- C'est pourtant la vérité, fit Solagar. Eileen veut se débarrasser de nous par tous les moyens, c'est la seule chose qui l'intéresse. Elle a l'intention de se servir de vous, de vous manipuler, pour arriver à ses fins. Vous n'êtes que des jouets à ses yeux. Lorsqu'elle aura atteint son objectif, elle vous éliminera, comme elle veut le faire pour nous.
- Ca ne tient pas debout. Pourquoi vous en voudrait-elle autant ?
- Elle n'admet pas que nous soyons restés fidèles au Dieu des Océans. C'est vrai, Ikki, comme nous te l'avons expliqué, nous sommes ceux qu'on appelle les Dissidents. Nous vénérons Poséidon. Et après ? Est-ce que cela fait de nous tes ennemis pour autant ? Notre dieu et la tienne ne sont plus en guerre, tu n'as donc aucune raison de te méfier de nous.

Le chevalier Phénix commençait à se demander de quel côté se trouvait la vérité. Eileen s'était montrée si mystérieuse, qu'elle pouvait effectivement être le personnage ambitieux et manipulateur que lui décrivaient ses interlocuteurs. Il secoua la tête. Non, c'était grotesque. Si elle était fidèle à Athéna, elle n'avait aucune raison de se conduire de cette façon.

- C'est stupide. Je crois plutôt que vous me retenez ici pour vous servir de moi. Vous préparez une prise de pouvoir, et vous me considérez comme un allié potentiel. Je me trompe ?
- Tu fais erreur, Ikki. Tout ce que nous souhaitons, c'est être reconnus comme des fidèles de Poséidon, et pas comme des renégats. Ce n'est pas parce que tu es un chevalier d'Athéna que tu dois forcément t'opposer à nous. Nous ne sommes pas hostiles envers le Sanctuaire. Mais Eileen, elle, prépare autre chose. Elle est infiniment plus dangereuse que tu ne peux te l'imaginer. Si elle venait à contrôler les quatre armures de Vermeil plus celle des Gémeaux, elle deviendrait alors une menace réelle pour le Sanctuaire.

Ikki était ébranlé. Solagar avait décidément la capacité de rendre vraisemblable les histoires les plus incohérentes. Mais ils ne pouvaient avoir raison.

- Et d'après vous, pourquoi Eileen aurait-elle besoin de nous pour accomplir ses desseins ?
- Saga et Kanon sont pour elle le vecteur idéal pour qui veut s'emparer de la seconde armure des Gémeaux.
- Vous voulez dire qu'elle n'est pas en sa possession ?
- Bien sûr que non. Mais tu n'as pas besoin d'en savoir davantage là-dessus. Quant à toi et ton frère, vous lui êtes indispensables.
- Tiens donc... Et en quoi ?
- Il y a quelque chose que tu ignores. Que tu n'as jamais su. Mais nous l'avons deviné, lorsque nous t'avons vu arriver, avec Shun. Vous n'êtes pas venus ici par hasard.

Solagar poursuivit son discours. Il parla encore pendant de longues minutes, tandis que la stupéfaction d'Ikki allait croissante. Celle-ci laissa bien vite à place à la colère, puis à la fureur. Rien de ce qu'il avait imaginé n'aurait pu le préparer à une si terrible vérité. Non, c'était impossible... Et pourtant, la preuve était là. Il ne pouvait en faire abstraction. Son regard se durcit. Peu importait que les intentions des Dissidents soient bonnes ou mauvaises. Ce qu'il venait d'apprendre avait réveillé en lui une colère ancestrale, qu'il croyait avoir définitivement abandonnée. Une seule pensée l'agitait désormais : elle allait payer pour tout ce qu'elle avait fait. Son cosmos explosa alors en une formidable aura orange et, sous les yeux écarquillés des trois chevaliers de Vermeil, l'armure du Phénix apparut.

- Mais c'est impossible, hurla Elias ! Le cosmos de Poséidon qui règne ici empêche tout homme qui n'est pas un de ses guerriers de pouvoir faire appel à son armure ! Serais-tu un dieu, Ikki ?
- Oui.

Elias et les autres se regardèrent, hallucinés. Ce n'était pas la voix d'Ikki ! Elle était beaucoup plus grave, plus profonde que celle du chevalier Phénix. Lentement, d'un pas incertain, Elias s'approcha et demanda.

- Ikki ?
- Ikki n'est plus, j'ai pris sa place.
- Mais… Mais qui êtes-vous ?
- Je suis Arès, le dieu de la Guerre et de la Vengeance !

******

- C'est peut-être lui. Peut-être eux. Je dois en avoir le cœur net. Il faut que je sache.

Eileen était parcourue de pensées brèves et fébriles, et elle ne voyait qu'un seul moyen de faire disparaître le doute qui s'était insinué en elle. Cette fois elle parla tout haut.

- Shun, montre-moi ton poignet gauche.

Le chevalier Andromède fut surpris par de telles paroles. Mais il obtempéra, les sourcils froncés. Il tendit sa main à Eileen, qui la prit et la tint solidement. Elle observa un instant son poignet, avant d'exercer une pression dessus, sur les veines précisément. Shun allait manifester son mécontentement lorsqu'un cercle bleu apparut qui brilla durant quelques secondes avant de disparaître ; Eileen avait enlevé sa main.
- Qu'est-ce que ça veut dire ?

Eileen avait reculé, effrayée. Elle semblait en proie à un trouble intense. Ce n'était pas possible. Ca ne pouvait pas être une coïncidence. Shun était... Des souvenirs réapparurent, après être restés des années enfouis au plus profond d'elle. Elle n'avait que 17 ans à l'époque. Jeune fille, elle avait interrompu sa formation de Grande Prêtresse pour venir en Grèce rencontrer le Grand Pope, Sion du Bélier. Mais en réalité elle se moquait du Sanctuaire. Elle voulait surtout voir le monde. La vie sur Atlantide était étouffante, surtout si elle devenait, comme cela était prévu depuis sa naissance, Grande Prêtresse de l'île. Elle avait passé des heures à se promener à Athènes. Tout d'abord effrayée par la civilisation moderne, elle avait bien vite pris goût à cette liberté dont elle jouissait pour la première fois. Puis elle le rencontra, un jour, par hasard, si tant est que le hasard ait sa place dans cette histoire. Il s'appelait Mitsumasa Kido. Elle goûta auprès de lui les prémisses du bonheur pendant presque une année. De leur union naquit un enfant. Elle s'apprêtait à partir au Japon avec lui, ses responsabilités totalement oubliés, quand sa tante, alors Grande Prêtresse, se manifesta à elle par le biais d'un songe. Eileen reprit alors ses esprits et partit en pleine nuit pour rejoindre les siens, laissant le fruit de ses amours à son amant. Pourtant, le souvenir de l'homme qu'elle avait aimé ne la quittait plus. Un jour, un peu plus d'un an après, elle se décida à retourner en Grèce. Elle savait, Mitsumasa le lui avait dit, qu'il passait tous ses étés dans le Péloponnèse.
Ses pouvoirs lui permirent de le trouver sans grosses difficultés. Elle lui avoua la vérité, lui faisant jurer le silence. Ils s'aimèrent toute une nuit. Puis au matin, les larmes aux yeux, Eileen se décida à quitter à jamais son amant. Mais avant de partir, elle lui fit don d'une potion et lui dit :

- Je sais que nous venons de concevoir un enfant. Je me débrouillerai pour te l'envoyer au Japon, afin qu'il vous rejoigne toi et son frère. Je te prierai alors de leur faire boire à chacun, une moitié de cette bouteille. Ainsi, si le Destin veut qu'un jour je les vois, je saurai les reconnaître.
- Mais je ne comprends pas…
- C'est normal, mon amour. Je te demande simplement de me faire confiance et de me promettre que tu le feras.
- Je te le promets.

Eileen se mit alors sur la pointe des pieds, embrassa tendrement son amant et lui dit adieu.

***

Eileen ferma les yeux. Abandonner ses enfants. C'est ce qu'elle avait été contrainte de faire. Une Grande Prêtresse ne pouvait pas avoir de famille. Quelle loi barbare !

- Il y a autre chose, dont je ne vous ai pas parlé parce que je n'en étais pas sûre. J'en ai eu l'intuition à votre arrivée, mais je viens seulement d'en avoir la preuve.
- La preuve de quoi ?

Eileen n'était pas du genre à larmoyer. Avec le temps elle s'était habituée à l'idée qu'elle n'aurait jamais de famille. Elle avait assisté, de loin, à la destinée de Mitsumasa Kido et de ses enfants. Non sans quelque amertume. Mais au fil des années, elle avait enfoui ces douloureux souvenirs au plus profond d'elle-même, au point de presque les oublier. Mais l'arrivée des quatre chevaliers était venue la chambouler totalement. Surtout en de pareilles circonstances. Cela avait forcément une signification.

- La preuve de quoi, Eileen ?

Elle reprit brutalement conscience. Elle se trouvait encore face à Shun, Saga et Kanon. Ils étaient impatientés, frustrés par une situation si incompréhensible. Ils attendaient des explications. Très bien, elle allait devoir leur en donner. On aviserait après.

- Shun, tu es mon...

Elle s'interrompit aussitôt. Une douleur atroce lui vrillait le cerveau, un son suraigu lui parcourait les oreilles. Jamais elle n'avait eu aussi mal. Des images défilaient devant ses yeux, chacun de ses sens était noyé sous un flot continu d'informations qui la faisaient souffrir horriblement. Mais d'où venait une telle douleur ?
Soudain, elle vit Shun se prendre la tête à deux mains, comme si l'insupportable douleur s'attaquait aussi à lui. Saga et Kanon ne ressentaient rien de particulier, et ne comprenaient pas l'attitude de leur interlocutrice et de leur ami. Ils se bouchait les oreilles, espérant sans doute mettre un terme à leur torture, mais peine perdue. Le décor commença à disparaître, les couleurs se fondre les unes dans les autres et les formes se dilater dans tous les sens. Eileen s'écroula par terre, évanouie. Shun la suivit rapidement. Au même moment, la pièce acheva de se transformer, et les deux chevaliers d'Or perdirent à leur tour connaissance.

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Cette fiction est copyright Emmanuel Axelrad et Clément Baudot.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.