Chapitre 5 : Frères d' Eternité


Shiryu

J'allais partir pour les Cinq Pics dès demain mais j'avais l'impression que j'allais attendre une éternité avant de revoir ces montagnes humides, cette nature verte et si puissante dont je ressentais la force à chaque fois que je me promenais au travers. Pourquoi étais-je encore persuadé que j'étais capable de voir lorsque je me trouvais à Rozan?
Et bien-sûr, il y allait avoir Shunreï. Comment allait-elle réagir à mon arrivée? Qu'allait-elle être la première phrase que nous trouverions à nous dire. Je ne le savais pas encore, mais je devinais qu'elle me monterait aux lèvres dès l'instant ou je sentirais sa présence auprès de moi. Tant de mots n'avaient pas encore été prononcés...
Je souriais alors que je me trouvais seul dans ma chambre, comme si elle avait déjà été présente. Elle me manquait tellement, et je me rendais compte que je n'avais pas eu le temps de m'occuper d'elle durant toutes ces années d'existence ou je devais livrer bataille après bataille, comme dans un cercle sans fin dont je voyais pourtant maintenant le bout venir.
Cette pensée en amena immédiatement une autre. Car s'il n'y avait plus de guerre sainte, cela signifiait aussi qu'il n'y avait plus de Saori. Ou était-elle? Etait-elle morte? Ou simplement disparue?
J'aurais tellement voulu croire qu'elle allait revenir, les vêtements lacérés par ce qu'elle avait vécu, mais toujours avec le même éclat au fond des yeux, cette lumière dans laquelle se reflètait toute la pureté de son être, de ses pensées à propos des hommes. Athéna, elle, n'était pas morte, je le savais puisqu'elle possèdait une âme immortelle, mais derrière la divinité se cachait toujours une personne et c'est celle-ci qui venait de mourir.
Je fermais mes yeux aveugles alors que le trouble s'emparait de mon esprit. Je n'avais jamais envisagé que Saori puisse mourir, pas même au plus fort de mes cauchemars et pourtant... je secouais vivement la tête pour faire partir tous ces lugubres songes. Non, elle était probablement la personne la plus puissante existant dans l'univers, jamais elle ne se serait laissée couler vers la mort aussi facilement. J'étais persuadé qu'elle était entrain de se battre contre ce froid glacial qui envahissait ses membres, que quelque soit l'endroit ou elle se trouvait, elle continuait inlassablement d'avancer pour nous rejoindre. Jamais elle ne nous avait abandonné et ce n'était pas maintenant que cela allait commencer.
-Tu penses à elle? me demanda une voix dans l'encadrure de la porte que j'identifiais immédiatement comme celle de Shun.
Il recherchait la compagnie, et moi aussi d'une certaine manière, de chaque depuis notre retour de l'Hadès. Il avait sans doute compris que le temps qui s'écoulait sur terre passait vite, trop vite et qu'il fallait s'en servir à bon essient pour être auprès de ceux que l'on aimait. Je comprenais cette façon de voir les choses mieux que quiconque puisque je l'approuvais et l'appliquais pleinement.
-Oui, murmurai-je du bout des lèvres tant j'avais peur que ma voix ne se mette soudainement à trembler.
Le silence glissa doucement dans l'air alors que je n'osais pas le briser, comme s'il avait été fait de fragile porcelaine. Saori... Saori nous reviendrait-elle?
Shun porta ses mains à son visage pour cacher ses yeux. Je ne vis pas ce geste, mais je le devinais comme je savais qu'une larme de cristal courrait actuellement le long de sa joue pour venir s'écraser sur son pantalon marron qu'il avait découvert dans une armoire, comme il me l'avait raconté ce matin.
Il pleurait. Il versait ses larmes qui, pour une obscrure raison, n'arrivaient plus à me monter aux yeux. C'était comme si j'avais été contraint de garder ma douleur en moi sans pouvoir la faire sortir et c'était par Shun qu'elle réussissait à s'écouler.
Je cherchais sa main et la pris dans la mienne en exerçant une pression dessus pour qu'il me regarde. Je ne savais pas comment l'aider, car j'étais dans le même état de trouble. Je ne possèdais pas les mots de ces personnes qui savent réconforter même quand le mal les touche elle-même... comme Saori était capable de le faire. Et comme Seiya.
Tout à coup, j'eus l'impression que cette souffrance latente que je n'arrivais pas à expulser remontait à la surface pour venir la percer, de la même façon que la glace se craquelle à l'arrivée du printemps. Je sentis enfin ses larmes de délivrance perler le long de mes cils alors que je prenais Shun dans mes bras. Mon frère. Il connaissait ce que je ressentais actuellement, il me comprenait. Il avait les mêmes plaies que moi, les mêmes joies, les mêmes instants d'infinie mélancolie...
Un sanglot me monta à la gorge mais je le retenais. Je voulais au moins garder un peu de ma dignité... je m'arrêtais. Quelle était donc cette stupide fierté qui me retenait de m'épencher librement sur ce chagrin qui m'arrachait le coeur et me volait mon âme? J'étais ridicule. Je souffrais et je n'en avais pas honte.
Je sentis Shun trembler contre moi alors qu'un frisson me parcourut aussi. J'avais soudainement l'impression que quelque chose venait de réussir à déchirer notre voile de chagrin qui obscurcissait notre vue sur le monde. Un phénomène était entrain de se produire mais je ne savais pas quoi.


Shaka

Les abords du Sanctuaire... cela ne m'étonnait guère puisque j'avais atteint une vitesse incroyable pour parcourir les milliers de kilomètres qui me séparaient de la Grèce. J'avais conscience que seul et dans l'état ou je me trouvais, je n'y serais jamais parvenu. Elle m'avait secondé, épaulé et guidé. J'avais senti à chaque instant sa présence et je ne doutais à présent plus du rôle qu'elle avait joué dans l'épuisant voyage que je venais d'effectuer. Mais je n'avais décidemment pas le temps de m'arrêter tranquillement comme cela. Non, je sentais que la situation devenait des plus urgentes et que moi, Shaka, du signe de la Vierge, était la seule personne au monde capable d'accomplir le miracle qui était nécassaire. Et si je n'arrivais pas à temps...
Je secouais la tête, un fugace sourire aux lèvres. Avais-je jamais échouer dans l'une de mes missions?
Je marchais à pas lents au travers des ruines des temples dont je sentais la force... cette puissance qui n'était pas sans me rappeler celle d'Athéna.
Le soleil tapait au-dessus de moi, me chauffant la peau et brûlant mes douloureuses plaies dont je savais faire abstraction. Mais comme tout à chacun, car je restais malgré tout homme, je connaissais mes limites et je devinais qu'elles allaient bientôt être atteintes.
Je ne doutais pourtant pas de ma capacité à accomplir ce qui était mon devoir. Mais je ne pouvais pas le faire seul, je n'avais plus assez de force pour cela et de toute manière, Athéna m'avait murmuré que certains seraient en mesure de me venir en aide. Et j'avais toujours su que je n'étais pas seul.
Je traînais difficilement ma jambe ensanglantée dans le sable alors qu'un souffle d'air brûlant vint me caresser la peau. Le contact était loin d'être agréable et je réprimais la légère grimace qui allait se répandre sur mes traits. Ce n'était pas le moment de se laisser distraire.
Je songeais soudainement à mon temple. J'allais le regagner pour méditer quant tout serait terminé. Il me semblait même qu'il s'agissait là d'une mesure d'urgence. Quelque soit mon état, il n'était pas question que je néglige les dieux. Et je devais retrouver ma force intérieure, cette équilibre qui faisait de moi l'homme le plus proche des divinités et que j'avais l'impression de perdre ces derniers temps. Ce n'était certes qu'une sensation, mais je ne voulais pas qu'elle s'incruste dans mes pensées pour venir les troubler.
J'incarnais le calme des hommes. J'étais sérénité tout comme Athéna était lumière.
Mon souffle devenait de plus en plus court alors que je marchais vers ce que je savais l'aboutissement de mon voyage.
Je devinais déjà, grâce à mon sixième sens extrêmement developpé, qui m'attendait à l'autre bout de ce chemin noueux, que l'on pouvait aussi appelé le chemin de la vie.


Kanon

Cette histoire avec Rhadamanthe ne cessait plus de m'agiter.
Aujourd'hui, j'avais pu sortir, du mieux que j'en avais été capable, à l'extérieur et je m'étais presque directement rendu à l'endroit ou je m'étais écrasé. Et là, j'avais vu exactement ce à quoi je m'étais attendu.
Un trou béant s'était découvert à mes yeux, et on remarquait clairement que ce cratère avait été créé grâce à l'impact de deux formes arrivant sur terre à une vitesse vertigineuse. Je savais bien que je n'avais jamais été fou, et pourtant, personne n'avait l'air d'adhérer à ma thèse comme quoi le Spectre du Wyvern était encore en vie.
Pourtant, du plus profond de mon être, je le savais. Je devinais presque sa présence tant l'intensité de notre combat nous avait relié mentalement. Il avait été un adversaire hors du commun, quelqu'un à ma mesure, la plus puissante des 108 étoiles maléfiques... il n'y avait qu'à voir qu'il avait survécu!
J'esquissais un sourire qui me tirait la peau et craquelait une plaie qui me griffait la joue depuis le haut de ma pomette jusqu'au bas de mon menton. Je n'étais pas fier à voir, mais cela n'avait aucune importance. Je savais que les cicatrices partiraient un jour ou l'autre car ma faculté de récupération était hors du commun. Par contre, ce qui menaçait de rester, était mes interrogations à propos de Rhadamanthe!
Je me détournais du lieu de mon atterrissage et commençais à partir en direction des hautes herbes ou je m'étais traîné il y avait de cela moins de trois semaines. Comment avais-je fait?
Je me rappelais de ma foi inébranlable en Athéna, du courage de cette Marine qui avait tout fait pour me raccrocher à la vie et de cette main qui m'avait remonté du gouffre de l'enfer, celle de mon frère, celle de Saga. On ne pouvait pas me tromper sur lui, je le connaissais depuis toujours, il était mon jumeau. Là encore, j'étais persuadé de quelque chose que personne n'aurait jamais admis si je l'avais exprimé à voix haute. Il était sur terre et de retour parmi les vivants. Je ne devinais pas ou, ni quand il allait revenir, mais je sentais chaque jour sa présence se rapprocher un peu plus de la mienne. Et j'avais pour ma part encore du mal à y croire et c'est pourquoi j'essayais de ne pas trop y songer. J'avais certes pleinement confiance à mon instinct mais si jamais il s'était avéré mauvais...
Je remontais lentement la pente qui me menait aux ruines du Domaine Sacré, celles dans lesquelles j'avais passé tant de temps durant ma jeunesse. J'allais souvent y songer alors que les jours s'écoulaient, que je me transformais, à la manière dont tournait mon existence alors que peu à peu, le mal s'insinuait en moi comme une maladie insidieuse et mortelle. Et pourtant, j'y avais survécu... mais à quel prix!
Je ne regrettais rien de ce que j'avais accompli ces derniers mois, puisque je n'avais fait que regagner cette route que mon frère m'avait toujours montré du doigt.
L'ironie de la situation m'arracha soudainement un rire amusé teinté de malice. Dire que c'était à moi à présent que l'on voulait confier la gérance du Domaine Sacré! Les chevaliers de Bronze ainsi que les femmes habitant encore au Sanctuaire avaient décidé que j'étais le plus apte à diriger le demeure d'Athéna. Si j'avais été flatté, je m'étais à la fois senti un peu mal à l'aise par rapport à cette nouvelle tâche que l'on venait de m'assinier. Evidemment, je me savais parfaitement apte à la relever, car un domaine de cette évergure ne m'effrayait nullement, mais je n'arrêtais pas d'y repenser. A cette période. La plus sombre de mon existence. Et je devais reconnaître qu'au fond de moi, j'avais peur de mes propres réactions face au pouvoir qu'allait me conférer cette nouvelle tâche. Je savais pertinnement que je ne pourrais jamais redevenir comme autrefois et pourtant, un soupçon me parcourait de temps à autre.
Je secouais la tête tout en croisant mes bras sur ma poitrine endolorie. Je n'aurais jamais du m'aventurer si loin dans l'état ou je me trouvais. J'étais presque aussi abîmé que l'homme qui s'avançait à pas lents dans ma direction.
Comment? Un homme en lambeaux évoluait vers moi?
Je me figeais une demi-seconde avant que tous mes réflexes ne reviennent immédiatement. Pendant un rien de temps, je crus appercevoir Rhadamanthe mais mes sens reprirent le dessus rapidement et je me précipitais en boîtant vers ce visage inconnu car rendu méconnaissable.
-Attendez, criai-je d'une voix enrouée par ma propore souffrance à courir dans une montée. Attendez, ne partez pas!
J'avais l'impression que... Cet homme, mais oui! D'immenses cheveux d'un blond d'or flottaient derrière lui alors que ses yeux clos semblaient pourtant regarder droit devant lui! Shaka... Shaka du signe de la Vierge se trouvait parmi nous!
Je crus que le ciel et la terre se précipitait l'un dans l'autre, m'engloutissant tant le choc était brutal. Ce n'était pas possible, je ne pouvais pas croire ce que mes battements de coeur affolés sous-entendaient! Ce n'était pas lui... il était mort, disparu comme les autres chevaliers d'Or devant le mur des Lamentations et pourtant, c'était bien lui que je découvrais debout, malgré la douleur, le visage impassible, malgré son teint si blême alors qu'il menaçait de s'écrouler d'un instant à l'autre en une attitude que seul un chevalier d'Athéna est capable de prendre face à l'adversité.
Je me mis à trembler autant d'excitation que d'incrédulité. J'allais parvenir à sa hauteur alors que j'avais le soufflle court et les yeux à demi-clos à cause de la forte lumière de l'astre du jour qui me forçait à plisser les paupières.
-Shaka!
Il inclina légèrement la tête comme pour me saluer et me sourit. Tout à coup, ses genoux cédèrent et il tomba à terre dans une envolée de cheveux blonds. Je m'accroupis d'un mouvement fébrile près de lui et le rattrapais juste à temps avant qu'il ne touche terre.
Je le soutenais à présent d'un bras alors qu'il appuyait ses mains sur ses genoux pour reprendre sa respiration. Il était à bout de force, cela se voyait bien, à bout de tout, aurais-je même été tenté de dire.
-Kanon, murmura-t-il dans un souffle alors que ce seul mot ressemblait aux dernières paroles d'un mourrant venu confié son secret. Ecoutes-moi... bien. Il faut rentrer au Sanctuaire car Athéna...
Sa phrase se supsendit alors qu'il cherchait désespérémment de l'air pour en remplir ses poumons probablement déchiquetés au même point que les miens. Mon sang ne fit qu'un tour en entendant son dernier mot.
-Athéna? Que se passe-t-il? Va-t-elle revenir? Est-ce que tu sais quelque chose?
Mon caractère emporté et impatient refaisait déjà surface alors que le chevalier de la Vierge paraissait toujours empreint de la même sérénité malgré l'urgence de la situation.
-Non, guère plus que toi seulement... elle m'a chargé d'une mission de la plus haute importance.
Il hâpa de l'air avec la force du désespoir et porta vivement une main à sa douloureuse poitrine. Je savais que le raison m'ordonnait de le faire taire et de le ramener d'abord à l'infermerie mais je comprenais aussi autre chose, car j'étais semblable à lui. Il était un chevalier de la déesse de la guerre, et jamais il n'accepterait de partir ou de bouger avant d'avoir livrer son secret, le devoir passant avant sa propre existence. Et même si j'étais entrain de me mourir sous les brûlants rayons du soleil, j'aurais choisi de supporter ce martyr des heures entières pour ouïr la fin de son discours.
-Seiya... Pégase n'arrive pas à rentrer, il faut que nous l'aidions, sinon il va mourir. Athéna l'a ressucité mais l'expérience l'a probablement privé de toutes forces et il compte sur nous. Quant aux autres...
Je me suspendis à ses lèvres, fixant sa bouche du regard.
-Ils arriveront à revenir parmi nous, comme tu l'as fait, et comme je l'ai fait. Maintenant, laisses-moi et va trouver les autres chevaliers pour leur demander d'essayer de guider Pégase. Sinon, il dérivera à jamais dans les autres dimensions.
Je hochais la tête. Maintenant, la situation me semblait très claire mais je n'allais le révéler à personne car si jamais les chevaliers ne revenaient pas, les Bronze Saints tomberaient sans doute du haut de leurs utopies.
Je passais un bras sous les épaules de Shaka pour l'aider à se relever. Il adoptait immédiatement la même posture que moi. Nous allions revenir ainsi jusqu'au Domaine Sacré, tels les deux rescapés que nous étions. Là-bas, nous pourrions alors accomplir ce que notre déesse nous avait demandé, quitte à donner nos dernières forces dans cette ultime entreprise.


Rhadamanthe

Je n'aimais pas ce soleil qui me mettait mal à l'aise. Pour une étrange raison, qui prenait sans doute source dans mon passé, je préferais rester dans l'obscur plutôt que de m'exposer sous les rayons de l'astre du jour. Je n'aimais pas cette lumière agressive alors que je pouvais me glisser dans les ombres feutrées.
Cela étonnait beaucoup le paysan qui avait accepté de me ramener chez lui et qui me permettait de prendre ma convalescence un livre à la main sous les immenses arbres près desquels il aimait cultiver la terre.
Bien souvent, je levais les yeux des lignes que je parcourais et je l'observais derrière des yeux froids et calculateurs. Je devais admettre que cet homme représentait la générosité même mais cependant, je n'arrivais pas véritablement à m'attacher à lui. Il éprouvait sans doute de vifs sentiments à mon égard, mais je n'arrivais pas à lui rendre même si je le simulais à la perfection.
Nous n'étions pas semblables, il venait d'un autre monde, un monde ou je n'avais jamais eu ma place. Je secouais la tête devant ses propos sans queue ni tête que je n'arrivais pas à m'expliquer. J'aurais tout donné, comme je n'avais rien cela aurait donc été facile, pour retrouver des bribes de mes souvenirs. J'étais incapable de comprendre ce qui se passait dans mon esprit, de voir autre chose qu'un gouffre béant, une tour au milieu des flots de la mer, un nombre, 108 en l'occurence, ou encore une femme.
Je fermais les yeux alors que j'entendais les branches de l'arbre sous lequel je m'étais abrité s'agiter doucement sous le joug de la brise.
Oui, cette femme entrait dans mes pensées sans que je sache de qui il s'agissait. Elle m'observait derrière des yeux mi-clos, un sourire glaciale aux lèvres alors que son éclatante beauté était voilée d'une couche de froid que nul n'avait envie de percer. Je me souvenais d'un détail stupide, du reflet argenté de la maigre lumière qui filtrait dans la pièce sur ses immenses cheveux de jais. Elle était assise sur un tabouret de bois ciselé d'or fin et ses mains étaient posées sur une harpe dont elle tirait des sons que je ne savais guère apprécié car je n'aimais pas la musique. Ma vision s'arrêtait à l'instant ou son regard se fixait sur ma personne. Il me semblait que je la voyais d'en dessous, comme si j'avais été agenouillé devant elle.
Je rouvris brusquement mes paupières. Qui était-elle, que faisais-je à ses pieds?
J'étendis mes jambes devant moi alors que Mélios, le paysan qui m'avait recueilli, me faisait signe de la main alors qu'il s'occupait de son champs. Je lui rendis son salut en hochant la tête.
Et qui étaient ces deux hommes, l'un blond, l'autre brun, qui parcouraient mes rêves sans jamais dévoiler leurs identités? Et qui portait ce nom qui me revenait sans cesse aux lèvres, Kanon?
Je ne savais plus ou j'en étais, ni ce que je devais faire pour récupérer ce passé qui m'avait été ravi. Je cernais au fur et à mesure des jours mon caractère, mais cela ne me servait guère. Enfin, les médecins avaient dit que j'avais peut-être des chances de retrouver progressivement la mémoire si je possèdais une grande force morale. Et je l'avais, à n'en pas douter.
Je me demandais soudainement ce que je ferai lorsque j'aurais tout recupéré. Je haussais les épaules.
Je reprendrais probablement alors mon existence à l'endroit même ou je l'avais laissé.


Shun

Shaka était revenu parmi nous, aussi incroyable que cela puisse paraître ce chevalier d'Or miraculé était parvenu à accomplir l'impossible en se dirigeant vers la terre après l'explosion du Mur des Lamentations.
C'était Kanon qui l'avait ramené jusqu'à l'infermerie ou nous nous trouvions encore tous. Son état était catastrophique, ce qui n'avait finalement rien d'étonnant, et pourtant, il refusait de s'asseoir ou de s'allonger avant d'avoir déclarer de ce qu'il avait de si précieux à nous dire. Je l'avais admiré à cet instant, plus que n'importe qui.
Je me rappelais qu'alors que nous nous étions trouvés dans l'Hadès nous l'avions pour la dernière fois vu un sourire aux lèvres, tel le grand frère auquel nous l'avions identifié. Et maintenant, il revenait d'entre les morts, comme le combattant hors-norme qu'il avait toujours été.
Des larmes me montèrent aux yeux alors que je songeais à tous les autres guerriers disparus au nom des hommes mais aussi et surtout à cause d'Hadès, à cause de moi. Je sentais mes pleurs me brûler les yeux alors que j'étais seul dans ma chambre ou je m'étais enfermé à double-tour, préférant laisser Shaka se reposer comme il méritait même s'il n'acceptait pas de se laisser soigner.
L'empereur des enfers m'avait possédé, il avait été en moi, mieux, il avait été moi et je n'avais rien sur faire. Evidemment, j'avais résisté de toutes mes forces, cherchant même à le tuer en m'étranglant moi-même, mais cela n'avait pas suffi. Il était trop puissant, sa volonté était trop impérieuse et il avait finalement réussi à écraser la mienne, à la réduire à néant. A plusieurs reprises, j'avais cru que son âme se mélangeait à la mienne que nous n'étions qu'une seule et même personne ravagée par la haine.
Je tombais à genoux sur mon lit, la tête entre mes mains. Il m'aurait suffi de me battre un peu plus pour éviter aux chevaliers d'Or de mourir, à Seiya de périr devant le dieu du mal, et à Athéna de s'éteindre telle la plus belle des lumières dans les sombres ténèbres. Jamais je ne pourrais me pardonner ce que j'avais commis, non pas de mon plein gré, mais à cause de ma faiblesse. J'avais eu beau me battre après être redevenu moi-même, je me sentais terriblement coupable alors que j'étais vivant... et les autres morts.
Toutes ces morbides idées, je ne les faisais partager à personne, car je ne pensais pas que quelqu'un aurait pu me comprendre, du moins jusqu'à présent. Mes frères étaient trop dans leurs propres cauchemars pour que je vienne les déranger, et Kanon n'aurait sans doute pas compris ce qui m'arrivait car sa personnalité était trop différente de la mienne. Mais maintenant qu'il y avait Shaka, j'étais persuadé qu'il pourrait m'aider à retrouver le chemin de la lumière qu'il empruntait lui-même depuis des années.
Je songeais au chevalier de la Vierge, à son retour inattendu et à l'incroyable sentiment de joie qui s'était emparé de moi alors que je l'avais reconnu. Il avait survécu. En pensant à cette phrase j'eus l'impression de mieux respirer.
Shaka nous avait parlé de quelque chose dès son retour. Il avait mentionné Seiya à de nombreuses reprises dans les phrases entrecoupées qu'il tentait de former. Il fallait le sauver, je l'avais bien compris, mais nous ne savions pas comment et il n'avait pas été à même de nous le dire, tout son corps refusant d'être dompté par son invincible esprit.
Mon frère, j'aurais aimé pouvoir venir à son secours, mais je ne savais pas ou il se trouvait. Une nouvelle fois, je sentis mon coeur se briser dans ma poitrine et mon souffle tourner court.
J'entendis tout à coup quelqu'un frapper à ma porte avec vivacité. Je me redressais vivement, aussi bien moralement que physiquement pour accueillir ce visiteur impromptu.
-Entrez, dis-je d'une voix que je voulais assurée mais qui me parut sonner terriblement faux.
Hyoga déboula dans ma chambre, la mine hagarde, les cheveux en pagaille et un large sourire aux lèvres.
-Vite, Shun, il faut rejoindre Shaka dans les ruines de son temple ou il s'est rendu avec Kanon! Il paraît qu'ils ont trouvé grâce au peu d'énergie qu'ils leur restent ou dérivait Seiya. Ils veulent le guider jusqu'en Grèce à présent et ils ont besoin de nous!!
Le chevalier du Cygne criait à en perdre haleine de surexcitation et je sentis subitement la même exaltation me gagner. J'avais envie de me laisser emporter dans un moment de liesse aussi intense que celui qui m'était offert et je bondis hors de ma couchette.
-Il n'y a pas une seconde à perdre, répliquai-je en me précipitant dans le couloir avec une force d'autant plus décupler que d'elle dépendait la survie de mon frère de légende.
Le chevalier Pégase.


Depuis combien de temps n'avait-il pas regagné le temple de la Vierge? Depuis combien de temps n'avait-il pas vu ses colonnes détruites, ce paysage rasé, ce sol de cendres et cette terre désolée?
Shaka ferma les yeux pour se replonger à un instant de son existence qu'il aurait sans peine pu qualifier des plus instructifs, des plus intenses et des plus difficiles.
Des pétales de fleurs volant autour de lui alors que Twin Sal allait se décomposer d'ici quelques quarts de secondes, les visages ravagés de Saga, Camus et Shura, qui n'avaient finalement jamais voulu aller si loin, et ce dernier enseignement qu'il avait laissé aux hommes, au cas ou il ne reviendrait pas ou il ne serait plus.
"Les fleurs naissent puis fanent, avait-il dit alors que les doigts glacés de la mort attirait son corps dans l'oubli, les étoiles brillent et un jour s'éteignent, même la terre, le soleil, notre galaxie et l'univers tout entier... un jour viendra ou ils disparaîtront, le vie d'un homme comparée à cela, ne représente qu'un battement de cils. Pendant cet infime laps de temps, l'homme naît, aime quelqu'un, en hait un autre, rit, pleure, se bat, se blesse, est heureux et malheureux et enfin, tombe dans ce sommeil éternel appelé mort."
Il avait ensuite écris de son sang un message, un simple mot à Athéna qui avait immédiatement compris et pris sa décision. Et il était reparti dans ce monde de ténèbres ou il avait livré combat, mais jamais il n'avait connu plus terrifiant affrontement que contre ses trois frères d'Or.
Il esquissa un sourire en entendant le son des petits carillons tibétains que Mu lui avait offerts alors qu'ils étaient devenus amis il y avait de cela bien longtemps... Shaka s'agenouilla et les ramassa car ils étaient tombés dans cette terre bénite ou il était mort, tel Bouddha. Quelle ironie... ainsi ces simples objets ancêstraux avaient survécu à la bataille, mais comment était-ce possible?
Il caressa le présent du chevalier du Bélier du bout de ses doigts abîmés, une expression de sérénité flottant sur les lèvres et le visage. Ce simple miracle ne s'expliquait pas, il fallait juste s'en réjouir, y voir un phénomène de la nature inexplicable ou une sorte de message que Mu lui aurait envoyé pour le prévenir de son retour.
Shaka releva brusquement la tête en entendant des pas sur les marches, ou plutôt sur la pente qui conduisait à ce qui lui avait anciennement servi de demeure. Les chevaliers de bronze arrivaient pour l'aider. Kanon devait les attendre dans l'entrée, il avait probablement préféré le laisser méditer seul sur la perte de ce lieu sacré. Mais les endroits n'avaient pas beaucoup d'importance, seul comptait les vies humaines et il y en avait une à sauver... à défaut de plus car il ne pouvait rien faire pour les chevaliers d'Or.
Il se releva, rentrant avec lui les petits carillons d'argent qui chantaient sous l'effet du vent qui aimait à les agiter. Il savait qu'il s'apprêtait à vivre quelque chose d'extrêmement difficile mais auquel il ne pouvait, ni ne voulait, se soustraire. Seiya avait une véritable valeur de myth, c'était, tout comme ses frères, un chevalier d'ampleur divine et il n'avait pas le droit de le laisser disparaître dans l'espace.
Il aurait pourtant eu besoin de repos, car il risquait son existence à chaque pas qu'il esquissait, à chaque mouvement qu'il entreprenait d'exécuter mais il avait préféré accomplir la mission que sa déesse lui avait confié.
-Shaka! Shaka!
On l'appelait à présent, et il était temps pour lui d'accomplir cette mission divine.


Ils étaient tous en cercle, au centre de ce terrain ravagé qui avait autrefois été baptisé Twin Sal et même encore dorénavant, l'endroit portait bien son nom car il ne s'y élevait plus que deux maigres arbustes qui menaçaient de mourir mais qui résistaient bravement, comme eux, les chevaliers de l'Espoir.
Combien de fois n'avaient-ils pas cru voir leurs âmes s'échapper de leurs corps? Combien de fois n'avaient-ils pas senti la douceur de la mort venir les emporter et les faire délicatement glisser dans ce qu'ils croyaient être un repos sans souffrance? Mais aussi, combien de fois ne s'étaient-ils pas relevés pour leur cause, n'avaient-ils pas affronté, bravé toutes les douleurs et les peurs pour atteindre leur but?
Tant de fois, qu'ils ne pouvaient plus les dénombrer. Et maintenant encore, ils allaient tenter d'accomplir l'impossible, une sorte de résurrection... un miracle ensemble. Ils savaient déjà tous que leur foi en Athéna et en l'espoir leur permettrait de continuer à avancer et à vider leurs dernières forces au nom de la justice.
Ils se tenaient fièrement debout, la tête haute malgré la douleur que leur infligeait leurs blessures dont ils n'avaient que faire. Seiya... son visage était ancré en chaque esprit alors qu'un cosmos doré commençait à les entourer, lentement mais de plus en plus intensément.
A eux six, ils pourraient sans doute réunir assez d'énergie pour tracer une route à Pégase. Bien-sûr, il faudrait ensuite que celui-ci s'accroche à la vie avec passion, mais ils savaient qu'il ne les decevrait pas. Ils avaient une confiance absolue en sa personne.
Shaka ouvrit ses paumes aux cieux, se concentrant au maximum pendant qu'en face de lui, Kanon fermait les yeux en même temps que les Bronze Saints.
Une lumière éclatante les entoura subitement, alors que leurs auras se mélangeaient, se fondaient les unes dans les autres pour ne plus former qu'une seule et même puissance. Ils sentirent leurs corps vibrés, leurs os se mettrent à trembler dans leurs corps alors que la pression augmentait de plus en plus, tout comme la clarté qui remplissait dorénavant les cendres de Twin Sal.
Ils sentaient tous une force terrifiante qui leur venait en aide, ou bien était-ce la leur qui les éblouissait de cette façon? Cette question n'avait de toute façon pas d'importance, sans leur concentration l'opération ne pourrait pas fonctionner.
-Pour Seiya, dit soudainement Shaka alors qu'il repérait sa présence dans l'espace temps ou il déambulait sans but, Créons un miracle!
Un même cri.
Une même montée de puissance, de courage, de force, de foi les envahit alors qu'ils se soulevaient presque de terre en dégageant des vagues d'énergie. Pégase... Pégase, ils ne voyaient plus que lui, ne connaissaient plus que son nom alors que le Sanctuaire entier se mettait à trembler, à vasciller sous l'effet de leur cosmos commun. Ils allaient y parvenir, le guider, même si leur vie en était le prix à payer.
Une lumière blanchâtre et aveuglante réduisit soudainement leur vision à néant, l'espace ou ils se trouvaient fut tout à coup englouti par une explosion de clarté qui se répandit par vagues succesives à l'intensité croissante, telle une reproduction à moindre échelle du Big Will.
Puis, le noir de nouveau, car le soleil était descendu il y avait de cela un moment. Les étoiles dans le ciel avaient une scintillance particulière comme si elles avaient donné tout ce qu'elles pouvaient à ceux qui cherchaient à faire revenir un homme de nulle part, du néant.
Puis on entendit le bruit de six corps tombant à terre.


Saga

Je l'avais senti, aussi sûrement que j'étais perdu dans tous ces paysages que je traversais tant bien que mal. Je ne savais pas si que c'était passé, mais ils avaient accompli quelque chose d'incroyable... cela avait éveillé en moins une soudaine puissance et sans que je comprenne pourquoi, je m'étais mis à communier avec eux. Je n'avais pas eu la concentration nécessaire pour déterminer exactement les personnes qui se trouvaient là-bas, mais une énergie familière m'avait permis de comprendre, ou plutôt de m'assurer de ce que je savais déjà.
Kanon était en vie. Au Sanctuaire.
Je tombais à genoux dans le sable brûlant qui pénétra sans même que je m'en rende compte dans mes plaies béantes. Je portais mes mains à mon visage alors que j'éclatais en de longs sanglots. Jusqu'à présent je n'avais pas réalisé ce qui m'arrivait mais tout à coup, je comprenais tout ce qui se produisait alors que mes larmes me brûlaient la peau en courant le long de mon visage déséché par le chaud soleil.
J'étais en vie... j'étais sur terre... j'allais retrouver mon frère Kanon et je servais de nouveau la justice.
Tout mon corps était secoué par ce que je qualifiais comme une brusque montée d'exaltation quasi hystérique. Cela me faisait mal, agitait trop mon corps endolori, mais ce n'était pas grave car la joie, non, le mot ne suffisait pas, le sentiment d'être comblé pansait toutes mes blessures.
Mes pleurs me déchiraient la poitrine alors que je le revoyais, enfant, que je repensais au fossé qui s'était peu à peu installé entre nous et maintenant, ces retrouvailles qui nous étaient offertes... nous n'avions jusqu'à présent jamais eu de chance, mais dorénavant, le destin allait tourner en notre faveur.
Une brusque raffale de vent vint me secouer, m'agiter comme si je faisais parti intégrante de la végétation et je tentais de résister bravement à cette attaque brutale de la nature. Je pouvais me courber, mais ne jamais casser, c'était d'ailleurs presque une règle de vie pour les chevaliers.
J'avais mal à la gorge et à la tête à force de pleurer de cette façon, mais l'image de Kanon hantait mon esprit, le faisait sien, mon frère, mon ami, mon jumeau... j'avais cru le perdre mille et mille fois durant ces années que nous avions traversé non pas ensemble, mais côte à côté, comme deux inconnus qui auraient été forcé de vivre l'un près de l'autre. C'était douloureux à admettre évidemment, mais la réalité faisait souvent mal à regarder et de toute manière, on ne pouvait pas changer le passé.
Une vive souffrance m'assaillit brusquement à la poitrine et je portais une main à mon coeur. Je n'allais plus tenir bien longtemps à marcher indéfiniment entre tous ces villages qui étaient séparés par des kilomètres de sable à chaque fois. J'avais beau avoir de l'endurance, l'excercice devenait de plus en plus difficile. Mais je savais que lorsque je me sentais trop mal, il y avait quelqu'un qui n'était pas une simple personne et qui se manifestait sous la forme d'une énergie divine.
Athéna. Par delà l'endroit ou elle se trouvait, elle me secourait, m'encourageait, ravivait la flamme de ma foi et de ma vie avec douceur et force à la fois. Car elle représentait ce mélange parfait de tendresse et de puissance entrelacée. Pour elle, j'aurais accompli des miracles, j'aurais donné ma vie, et j'aurais cent fois parcouru le chemin sur lequel j'évoluais.
Je me relevais péniblement, un peu calmé, mais toujours en proie à des troubles qui bousculaient mon âme tout en la faisant vibrer.
-Kanon, murmurai-je en repartant sans trouver rien d'autre à ajouter, Kanon...


Hyoga

-Saga! Saga!
Je me relevais brusquement dans mon lit, trop heureux qu'un cri vienne me sortir du cauchemar que je faisais. J'avais vu mes frères mourir atrocement sous mes yeux, alors que j'avais été impuissant, je les avais regardé agonisant en sachant parfaitement que les instants qui allaient suivre, mon tour viendrait assurément. Et j'avais senti la mort s'approcher de moi, inévitablement... était-ce bien un rêve ou simplement un souvenir?
Je passais une main sur mon front pour en éponger la sueur qui s'y glissait incidieusement. Il faisait encore nuit dehors. Et qu'avait-il bien pu me faire sortir de ce sommeil agité? Je l'avais déjà oublié mais ne me sentais plus capable de me glisser de nouveau entre mes draps pour reprendre là ou j'en étais.
Et pourtant! J'étais complètement épuisé, à bout de force. Maintenant que j'avais, avec les autres et lors d'un moment d'une incroyable instensité, tracé une voie de retour pour mon frère Seiya, je ne possèdais plus la moindre once de cosmos. Je n'étais plus qu'un humain normal et incapable de se sublimer comme autrefois. Marine disait qu'il fallait attendre un peu et ne pas s'affoler, et je voulais bien la croire parce qu'elle avait un sourire confiant, et parce que cela m'arrangeait.
-Saga! Saga!
Je me figeais.
Cette fois-ci, j'avais clairement entendu un appel, ou plutôt un gémissement douloureux qui me faisait souffrir comme si je l'avais ressenti. Je sautais de mon lit, m'écroulant par terre de fatigue avant de me relever immédiatement. Je n'étais pas de ceux à rester au sol après une mauvaise chute, ni après une dizaine d'ailleurs...
Je me dirigeais péniblement dans le couloir, y évoluant à tâton dans le noir, puisque je ne pouvais plus faire confiance au sixième sens que j'avais perdu. Je passais mes mains le long des murs, en ressentant tous les creux et toutes les lézardes, et marchais au ralenti pour être certain de ne pas me cogner. J'entendais comme des froissement de draps qui me permettaient de me guider dans la direction d'ou la voix provenait. J'avais eu du mal à ouïr ce que cette personne disait, mais j'avais songé que c'était le nom du chevalier des Gémeaux disparu, c'est pourquoi je ne fus qu'à demi étonné en me retrouvant devant la porte de Kanon.
Je frappais doucement contre, de peur qu'il ne sorte en colère et qu'il ne me dise de le laisser tranquille. Il n'avait pas un caractère très amicale même si sa grandeur d'âme ne faisait maintenant plus le moindre doute.
Je sentis soudainement la poignée tourner sous mes doigts et je vis le visage de mon ancien ennemi apparaître dans l'encadrure de la porte. Il avait les yeux encore embrummés de sommeil mais avait apparament pris le temps de se peigner, ce qui n'était pas mon cas, je le sentais à mes cheveux ébourrifés sur ma tête!
-Cygnus... qu'est-ce que tu fais là? me demanda-t-il d'une voix qui me fit sursauter car il n'y avait pas la moindre trace de fatigue et que cela formait un curieux décalage avec son attitude.
-Euh... je passais par là, quand je t'ai entendu appeler ton jumeau, je crois et je me demandais si tout allait bien.
-Comme tu peux le constater, me répondit-il en haussant les épaules avec une feinte désinvolture qui cachait une certaine exaspération. J'appelais Saga disais-tu?
Je hochais la tête avec assurance, attendant sa prochaine réaction. Il ne rétorqua rien et parut réfléchir quelques instants en se passant son index sur le menton. Il parcourait du bout de ce doigt l'une de ses cicatrices qui n'étaient pas sans me rappeler les miennes.
-Je ne sais pas si la nuit porte aux confidences, Hyoga, mais écoutes bien ce que je vais te dire...
Kanon qui se confiait à moi? Non, là, je devais rêver... il n'échangeait d'ordinnaire que quelques syllabes quand il me croisait car il était toujours beaucoup trop perdu dans ses pensées pour me remarquer.
-Je crois, non, je suis certain que quelque part dans le monde, Saga est encore en vie.
Je reculais d'un pas, incrédule devant la nouvelle qu'il venait de m'annoncer froidement et en soutenant sans peur mon regard. Mais... mais...
-Comment peux-tu le savoir? interrogeais-je en articulant avec beaucoup de difficulté.
-C'est mon jumeau, je ne peux pas me tromper. Toute notre vie nous avez été liés l'un à l'autre, et cela a voulu d'ailleurs pas mal de dégâts, aussi, même maintenant, au travers des années ou nous avons survécu, plus mal que bien, je reconnaîtrais son énergie entre toutes. Il se trouve sur terre, il est très mal en point mais il a décidé de revenir. Je le sens. Il se rapproche du Domaine Sacré d'heure en heure.
La nouvelle était de taille mais je n'étais pas homme à me laisser surbmerger par les évènements. Au contraire, j'avais plutôt l'impression qu'il me fallait prendre une décision. Je tendais un bras pour m'appuyer nonchalamant contre le mur.
-Nous devrions l'aider.
-Et comment? enchaîna Kanon, Alors que nous n'avons plus de pouvoirs, et rien pour le localiser que quelques rêves que je fais de temps à autre, entre deux ou Rhadamanthe se trouve.
-Tu as raison, murmurai-je, le mieux est peut-être d'attendre. Mais je ne crains...
-Non, me répliqua mon interlocuteur, c'est un chevalier de l'espoir. Tu ne devrais pas même douter.
Je hochais une nouvelle fois la tête, ne comprenant que trop bien ce qu'il voulait signifier.


La ville d'Athènes et sa chaleur étouffante, même au mois de mai... pour rien au monde ils n'auraient voulu manquer cela. Les chevaliers de bronze avaient décidé de se promener dans ces rues qui ne leur étaient pas familières mais qu'ils aimaient malgré cela du plus profond d'eux-mêmes. C'était par-là que tout avait commencé, depuis la nuit des temps... les visiteurs qui évoluaient innocemment en ces lieux n'admiraient finalement que la surface, ils ne voyaient pas en dessous, ils ne réalisaient pas que se tenait dans l'ombre la personne la plus importante existante. Mais eux, ils le savaient et cela leur suffisaient. Partout, dans chaque recoin, près de chaque monument ou dans chaque place ou endroit, on sentait qu'elle veillait, toujours égale à elle-même et malgré tout si lointaine
Athéna.
Oui, il semblait qu'elle gardait sa ville chérie alors qu'elle n'était plus même sur terre. Mais sa force était éternelle et par delà les dimensions, elle continuait à garder la terre comme elle l'avait toujours fais, et comme elle le ferait toujours.
Cette pensée les aidait à continuer d'avancer, ils avaient alors presque l'impression qu'elle se tenait près d'eux, qu'elle leur souriait, qu'elle caressait du regard ces lieux qu'elle avait su faire siens. Elle faisait parti intégrante de l'endroit, elle en était même l'âme, et étrangement, toutes les personnes qui les bousculaient par inadvertance en passant près d'eux ne semblaient pas le deviner.
-Les êtres humains sont-ils aveugles? songea Ikki en secouant la tête avec indifférence.
-En tout les cas, cela vaut mieux, lui répondit sans le savoir mentalement Shun.
-Les hommes doivent pouvoir vivre en paix sans se soucier de leur avenir en permanence, enchaîna silencieusement et pour lui-même Shiryu.
-Oui, puisque nous sommes là pour les y aider, conclut Hyoga en clignant des yeux face à la lumière du soleil.
Les rues étaient désertes dans le coin ou ils se trouvaient et qu'ils n'avaient jamais eu l'occasion d'explorer. D'ailleurs, ils n'avaient jamais eu le temps de voir grand chose avec leurs existences menées tambour battant et ne leur laissant aucun répit. Mais maintenant qu'il n'y avait plus de sang à faire couler, qu'il n'y avait plus de larmes à verser ou de cause à défendre, il leur fallait se tourner vers l'avenir et c'était cela le plus difficile. Surtout sans lui... et sans elle. En réalité, ils n'avaient jamais songé que cela se terminerait de cette manière, car même si le pessimisme les avait envahi à plusieurs reprises durant les évènements de leurs tortueuses destinées, ils s'étaient toujours raccrochés à l'espoir qu'ils s'en sortiraient tous. Et ils n'abandonnaient pas cette idée qui leur permettait de s'accrocher avec plus de fermeté à leurs existences.
Un souffle de vent vint agiter un papier journal qui traînait dans la rue. Quelque chose planait dans l'air, ils le sentaient.


Shiryu

La ruelle dans laquelle nous nous trouvions n'était pas l'une de ces avenues commerçantes que les touristes affectionnent particulièrement. Il s'agissait simplement d'une route pavée avec sur les côtés quelques établissements comme un prêteur sur gage ou une banque... autant d'endroits ou personne n'avait véritablement envie de se rendre, du moins le supposais-je.
Ce matin je m'étais rendu seul à Rodorio, pour voir une personne que Seiya ne pourrait peut-être plus jamais rencontrer... Seïka. Elle avait préféré quitter le domaine sacré en apprenant que Pégase était mort. Je comprenais son besoin de s'isoler dans son chagrin même si je jugeais cela néfaste. Mais comment l'en blâmer? J'avais moi-même tant de fois désirer me drapper dans un deuil que l'on ne me laissait pas le temps de porter.
J'avais été la trouver et je l'avais vu, alors que se peignait sur son visage le même sourire mélancolique que lui lorsque les choses n'allaient pas comme il l'entendait et qu'il tentait de le cacher. Etait-il plus cruelle douleur que celle de l'abscence? Le vieux-maître aurait certainement su que me répondre à cet instant, mais malheureusement, il faisait parti intégrante de ma souffrance de solitude.
Seïka ne m'avait pas reconnu, elle ne m'avait d'ailleurs jamais vu alors comment aurait-il pu en être autrement? Je lui avais expliqué la situation et la manière dont j'étais revenu sur terre... mais sans son frère. Mes mots n'avaient en rien adouci sa peine, et seule Athéna elle-même aurait su trouver la phrase juste et le geste de réconfort nécessaire.
Pourtant, Seïka m'avait fait rentrer et nous avions discuter de lui. De Seiya. C'était douloureux de voir parfois à quel point ils se ressemblaient l'un et l'autre dans leurs attitudes mais je devais faire fi de cet air de famille qui me brisait le coeur autant que l'âme.
Maintenant, j'avais demandé aux autres Saints de venir avec moi le voir, cet après-midi, car je devinais sous son sourire aimable et poli une terrible solitude dont nous pourrions peut-être la couper quelques heures. Ce n'était pas grand chose, et je m'en rendais parfaitement compte, mais je savais que parfois, les menus détails pouvaient aider et faire cette différence capable de tout changer.
Je secouais la tête tout en continuant à marcher.
Elle serait ravie de nous rencontrer, nous qui avions vu son cadet grandir, rire, se battre, aimer... vivre tout simplement alors qu'elle-même n'avait pas eu cette chance. J'étais trop mature pour me rebeller contre l'injustice du destin et c'est pourquoi je laissais seulement une amer mélancolie envahir mon esprit.
Elle aurait sûrement beaucoup de questions à nous poser, assez pour nous occuper jusqu'à la fin de l'après-midi. Je supposais sans peine ce qu'elle espérait de cette rencontre, le retrouver au travers de nous, de nos souvenirs et je songeais d'ailleurs que pendant quelques heures, nous réussirions à le faire de nouveau vivre grâce à nos voix.
Seiya avait toujours été mon meilleur ami en plus d'être mon frère adoré. Nous avions tout traversé épaule contre épaule, pour être certain de nous en sortir. Combien de fois ne nous étions nous pas raccrocher l'un à l'autre avec la force de ce desespoir qui nous animait et nous permettait toujours de vaincre?
Je me revoyais parcourant le temple des Gémeaux et le tenant par le poignet pour le précipiter vers une sortie qui se dissimulait derrière une illusion, j'entendais encore nos pas dans le temple du Cancer, ou le bruit de nos corps fracassant le sol alors que Milo se riait de notre état... ma mémoire n'était plus qu'une relique de ce qui avait été les pires instants de ma vie mais aussi les meilleurs parce que je l'avais toujours senti auprès de moi. Mais maintenant, plus rien de tout cela ne serait possible.
Je soupirais bruyamment alors que Hyoga se retourna vers moi, un sourcil arqué par la surprise.
-Eh bien Shiryu, ce n'est pourtant pas dans tes habitudes de transmettre tes pensées de cette façon...
-Je sais, mais il est des jours ou l'on n'a plus de mal à se contenir que les autres. Surtout lorsque comme moi, l'on arrête pas de songer à...
Je coupais ma phrase en plein milieu car il était inutile de continuer. Ils avaient compris sans que j'en ajoute plus et ils venaient de baisser leurs visages vers le sol d'un même mouvement, excepté Ikki qui regardait l'horizon sans rien laisser transparaître de ses émotions.
Il se figea soudainement et je m'arrêtais à côté de lui sans me demander ce qu'il avait avant de lever les yeux vers le ciel d'Athènes, sans nuage. Mais il n'était rien de plus normal par le chaleureux mois de mai qui avait commencé. La rue ou nous nous tenions était à présent plus animée et on entendait un brouhaha de voix qui s'élevait dans l'air.
Nous allions quitter la rue lorsqu'Ikki stoppa net sa marche.
Il sentait visiblement comme quelque chose d'inexplicable qui l'empêchait de continuer, comme si l'on voulait retenir son attention. C'était étrange. Il avait peut-être comme moi l'impression d'être interpellé, appelé par quelque mystérieux échos de son âme qui lui demanderait de ne plus bouger et d'attendre. Mais d'attendre quoi, il n'en avait pas la moindre idée, pas plus que nous autres en tous cas.
Shun faillit se cogner à lui et trébucha avant de se reprendre. Il tourna son visage angélique vers son frère avec étonnement et ouvrit plus grands ses yeux.
-Quelque chose ne va pas, nissan?
Ikki ne répondit rien, préférant se fondre dans l'atmosphère qui changeait soudainement.
-Non, rien, ce n'est vraiment rien d'important. Continuons notre route.
Il nous indiqua du menton que mieux valait avancer.


Seïka

Mon frère... je ne songeais plus qu'à lui depuis maintenant deux mois que je torturais mon âme à ressacer à ce qui s'était passé, à la manière dont nos existences avaient été séparés puis s'étaient de nouveau entrecoupées inexplicablement. La destinée, sans doute et même sûrement. Il avait du être écris dans les étoiles que nous ne pouvions pas vivre l'un sans l'autre.
Je sentis des larmes glacées courir le long de mon visage alors que j'étais debout dans la cuisine, entrain de préparer du thé pour les amis de mon cadet venus me rendre visite. Ils étaient tous très différents l'un et des autres et je n'aurais peut-être jamais osé leur adresser la parole tant ils m'impressionnaient par la force qui se dégageaient d'eux si nous n'avions pas eu ce point commun. Mon frère. A nous tous, nous pouvions reconstituer l'intégralité de son existence, dont j'avais à peine fait parti. C'était difficile à s'avouer et j'avais encore du mal à me remettre de tout ce qui se bousculait dans mon esprit.
Seiya, je l'avais retrouvé pour mieux le perdre. Encore. Et maintenant, j'avais parfaitement assimilé que je n'avais aucune chance de le revoir. Pourtant, ses compagnons semblaient garder espoir, et même si je voulais les croire de toutes mes forces mon état mental actuel m'en empêchait.
Je me tournais vers la porte qui donnait sur le salon.
J'étais retourné chez le marchand qui m'avait recueilli après que tout fut terminé. Que Seiya eut disparu aurais-je du dire... je n'arrivais pas à analyser ces mots. Malgré l'amnésie qui m'avait frappé, j'avais toujours su au fond de moi que quelqu'un m'attendait quelque part. C'était inexplicable mais la raison ne permet pas toujours de comprendre l'essentiel, du moins à mon avis. Je me souvenais que lorsque je me promenais dans les rues d'Athènes, alors que mon père adoptif m'avait envoyé faire quelques courses, je cherchais en permanence quelqu'un du regard, effleurant chaque personne qui se pressait autour de moi. Mais je ne l'avais jamais trouvé et alors que les jours passaient, une terrible sensation de frustration s'emparait de mon esprit. Je ne savais nullement d'ou cela provenait et pourtant... cette émotion s'ancrait en moi de façon irrémédiable si bien que je n'arrivais plus à la chasser.
J'avais fait aussi beaucoup de rêves ou je me revoyais ailleurs... avec un enfant, mais je n'avais jamais pu faire le rapprochement, les médecins auprès de qui je me faisais traiter soulignant sans cesse que j'avais très peu de chance de recouvrir la mémoire.
Et malgré toutes ces prédictions, maintenant je me souvenais... et je me demandais si ce n'était pas finalement pire. J'aurais peut-être souhaité ne jamais savoir, car cela m'aurait permis de ne pas souffrir, de vivre tranquillement même si un arrière goût de trop peu serait resté dans ma gorge. Mais il était de toute façon trop tard pour songer à cela. Et puis, lorsque je me faisais plus courageuse, je me disais que mieux valait que j'ai connu Seiya durant ses premières années que pas du tout. Il avait représenté toute ma vie à une époque, et on me l'avait soudainement retiré, sans me demander mon avis, me volant l'être le plus important de mon existence.
Cette fois-ci, se furent des larmes de rage qui m'emplirent les yeux. Jamais je ne pourrais pardonner à la destinée d'avoir fait cela, surtout lorsque je songeais que nous aurions pu passer tant d'années l'un près de l'autre. Cela me faisait mal, plus encore que je ne pouvais le dire.
J'inspirais profondément, cherchant à dissiper le malaise qui règnait dans l'air et que j'avais moi même provoquer en faisant rejaillir toute ma douleur. Je devais me reprendre si je voulais faire face aux quatres hommes qui m'attendaient à côté. Seiya aurait sans doute souhaité que je me montre digne devant sa mort et que je noue des liens d'amitié avec ses frères.
La porte de la cuisine s'entrouvrit à l'instant ou je soulevais le plateau sur lequel j'avais déposé les tasses et les gâteaux que j'avais préparés ce matin, après la visite du chevalier du dragon.
-Pourrais-je vous aider?
Le jeune garçon aux cheveux verts me regardait avec gentilesse et je refusais poliment sa demande. Il se dégageait de lui une pureté et une bonté d'âme que je n'avais encore jamais rencontré auparavant et je l'appréciais déjà, sans même l'avoir cotoyé plus de quelques secondes.
Je passais devant lui en souriant et pénétrais de nouveau dans le salon. Ils étaient tous assis silencieusement car ils cherchaient probablement chacun les mots à me dire, les mots qui auraient su me réconforter, mais j'aurais pu alléger la peine qu'ils se donnaient à mon égard en leur disant que rien n'aurait pu changer à ma tristesse. Elle faisait maintenant partie de ma personnalité et je ne pouvais plus m'en séparer.
Hyoga sourit et se pencha vers nous, il avait visiblement quelque chose d'amusant à raconter et cela me rassurait car je ne craignais que l'ambiance soit mal aisée.
Je voyais ses lèvres bouger, mais je n'entendais pas vraiment, même s'il parait d'un souvenir drôle ou vivait Seiya. Je ne pensais plus à qu'à mon frère alors que je voyais ses amis m'adresser la parole, essayer de me faire partager ces années que j'avais perdu et qu'il m'était impossible de remonter ou de rattrapper. Mais je répondais malgré tout, comme l'automate que j'étais devenue par la force des choses.
J'allais sourire tout l'après-midi, tentant d'être une hôtesse agréable et une amie pour eux qui avaient sans doute autant besoin de consolation que moi, et ensuite, lorsqu'ils seraient partis, je courrais dans ma chambre. Je m'enfermerais alors à clé et j'éclaterais en sanglots pour faire couler cette peine qui me déchirait l'âme.


La banque restait ouverte une heure de plus ce jour-là car un retard de travail avait été accumulé depuis la semaine précédente et la nécessité de fermer plus tardivement s'était immédiatemment imposée. La salle était silencieuse, on entendait que le bruit de la plumo des stylos frottant le papier en un agréable chuitement et un son de feuillets vaguement parcourus et posés négligemment.
Les portes de l'extérieur avaient été bloquées mais leur réparation se faisaient imminente car elles ne fonctionnaient plus qu'à moitié. Aucun employé n'aimait quand toutes les mesures de sécurité n'étaient pas respectées car cela engendrait un certain sentiment de malaise.
Des plantes vertes avaient été disposées un peu partout dans la salle afin d'égailler l'ensemble austère que formait les teintes grisâtres choisies par le sol de faux marbre et les murs. Un escalier s'élevait pour monter à un étage uniquement constituer de salle d'archives et d'un bureau réservé au dirigeant de l'agence.
Aucun guicher n'avait été laissé ouvert pour rendre service au client tardif désireux de vérifier ses finances. La caissière était pourtant encore là et il s'agissait d'une jeune femme blonde, d'une trentaine d'années, qui portait sur son visage une mine extrêmement appliquée.
On entendit le cliquetis de la porte, indiquant que quelqu'un arrivait.
Deux hommes pénétrèrent dans la salle, avec leurs hautes statures et leurs étranges sourires carnassiers qui n'avaient rien de rassurants. Ils avaient tous deux des barbes et la jeune femme qui leur sourit aimablement mais non sans dissimuler son épuisement le remarqua immédiatement, comme si cet infime détail avait eu de l'importance.
-Messieurs, j'ai le regret de vous annoncer que la banque est fermée jusqu'à demain matin, leur dit-elle simplement.
C'est alors qu'elle comprit, lorsqu'ils sortirent leurs armes de sous leurs manteaux et que tous les autres employés autour d'elle se levèrent silencieusement. Elle poussa un cri de panique avant de mettre vivement ses mains devant sa bouche. Elle voulait tout faire, sauf les énerver. Elle inspira profondément alors que les deux malfras hurlaient littéralement leurs ordes à ses oreilles.
Elle éclata en sanglots de terreur alors qu'elle se levait rapidement, manquant de trébucher tant ses jambes étaient devenues molles et ne la portaient plus. Elle aurait sans peine pu s'évanouir si elle n'avait pas su qu'il fallait gagner du temps. Elle était loin de possèder un naturel courageux et elle lança une oeillade aussi désespérée qu'embrumée par les pleurs à ses compagnons de travail.
On lui avait ordonné d'aller chercher immédiatement l'argent d'un coffre qui ne s'ouvrirait automatiquement que le lendemain matin. Elle n'avait pas osé leur dire et de toute façon, elle avait perdu sa voix sous l'effet du choc et de l'angoisse.
Elle passa dans la pièce d'à côté et tapa de ses mains moites et tremblantes un code qu'elle savait ne pas fonctionner. Elle sentait que son coeur allait s'arrêter de battre, qu'elle allait tomber au sol, inanimée, incapable d'accomplir quoi que se soit.
Elle entendit qu'à côté, l'un des hommes lui hurlait de se dépêcher, menaçant d'abattre quelqu'un si elle n'accèlerait pas ses actions. Elle hocha la tête, tremblante comme une feuille morte sous l'effet du vent alors qu'elle ne parvenait plus à retenir ses larmes.
Ce qu'elle aurait désiré, ce qu'elle aurait voulu plus que tout à cet instant, en jurant aux dieux de ne plus jamais rien leur demander d'autre, c'était quelque chose d'impossible à réaliser, un miracle.
Un bruit de chute.
Un bruit de chute se répandit soudainement dans la salle alors que l'on entendit des cris s'élever de l'extérieur.
-Regardez, vite, Shiryu, Ikki, vite, c'est... c'est!!!
Des hurlements d'exaltation s'élevèrent alors que les employés tournèrent les yeux vers le dehors, sachant qu'ils n'avaient aucun moyen de le rejoindre.
Tout à coup, ce fut comme si leurs tympans étaient percés et que le temps suspendait son envol pendant quelques secondes. Le sol trembla, les parois des murs résonnèrent alors qu'on pouvait deviner que la porte de la banque était de nouveau forcée.
On entendait plus que des cris à l'instant ou le toit se transperça, ou des briques, du béton tombèrent, s'effondrant de l'endroit ou ils avaient été placés. Un épouvantable son d'explosion se répandit dans l'atmosphère alors que chacun était aveuglé par l'énorme nuage de poussières qui formait comme un épais rideau que l'on ne pouvait passer.
Des personnes venaient de s'introduire dans l'agence mais ils n'arrivaient pas à savoir de qui il s'agissait car ils n'avaient pas encore appelé à leur aide. Ils n'avaient pas la moindre idée de ce qui se passait, de qui intervenait peut-être pour leur sauver la vie. Cela n'eut de toute façon plus la moindre importance quand le sol explosa avec une puissance phénoménale.
Tout le monde avait du mal à reprendre ses esprits tant la peur et l'épouvante s'incrustait dans le lieu, en voyant des éclats des dalles du sol être projetés partout dans la pièce. On retenait sa respiration, on arrêtait de penser, de bouger car la terreur de ne cessait plus de se répandre qu'avec une facilité et une intensité croissante.
Et puis, la poussière qui voletait dans l'air se dissipa et tout le monde pu le voir. Non, les voir!
Un jeune homme aux cheveux châtains était enfoncé dans le sol, comme s'il y avait été incrusté, autour de lui, d'autres garçons et une jeune fille le regardaient, s'agenouillant près de lui alors que des larmes de joie courraient le long de leurs visages.
-Non, ce n'est pas vrai...
Shun éclata en sanglots, ne pouvant plus contenir davantage les émotions qui le secouaient de toute part.
Derrière eux, les malfaiteurs prenaient la fuite de frayeur, alors que plus personne ne faisait attention à eux, reportant l'attention générale sur la folie de l'évènement qui arrivait.
D'une main tremblante, Hyoga posa ses doigts sur le cou de Pégase, afin de prendre son pouls. Non, ce n'était pas possible... il n'était quand même pas...
-Je crois que...
Un battement de coeur très faible cogna au travers de la peau du chevalier du Cygne, se répandant dans tout son être comme s'il avait été sien.
-Il est en vie! hurla Hyoga en se tournant vers ses frères et en se jetant dans les bras de Shiryu qui lui tenait grand ouvert.
De nouvelles exclamations fusèrent alors qu'Ikki regardait distraitement les braqueurs partirent.
-La justice même à moitié mort... dit-il en esquissant un sourire songeur et en pensant qu'il devrait raconter l'incongru de la situation à son frère dès qu'il irait mieux.
Le corps de Seiya bougea soudainement, en un mouvement convulsif, comme s'il était agité d'un spasme et il rouvrit les paupières d'un seul coup, s'attendant déjà à voir l'infini du néant. Mais non, rien de tout cela ne s'offrit à sa vue seulement le visage de ses frères... et de...
Sa soeur se pencha au-dessus de lui, prenant son corps transformé en cadavre contre elle avec son habituelle douceur avant d'éclater en de longs sanglots. Plus rien n'existait autour d'elle, d'eux.
Le chevalier Pégase était de nouveau sur terre.

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Cette fiction est copyright Caroline Mongas.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.