Chapitre 14 : Et enfin, la flèche étoilée apparut


Seiya fit un discret pas de coté, pour s'écarter de Miho. Puis il s'avança un peu, et jeta un coup d'œil derrière lui. Miho était immobile, le visage impassible. Il reporta son attention vers l'avant, ses inquiétudes un peu calmées. Il fit glisser son pied au sol, prenant une pose plus stable, plus basse, puis il intensifia son cosmos.

Miho était couchée sur le béton froid d'un trottoir en plein Akiabara, ce quartier où elle et Seiya étaient venus acheter quelques disques de groupes de pop à la mode, mais personne ne s'en étonnait. En fait, personne ne pouvait s'étonner de rien, car les rues étaient désertes. Dans cette avenue habituellement noire de monde, ne se trouvaient que trois personnes : Miho, inconsciente après qu'un fort déplacement d'air l'ait jetée au sol où elle s'était assommée, Seiya, qui pressait sa main gauche contre son épaule droite pour juguler l'hémorragie naissante, et un guerrier qui venait de blesser le jeune chevalier et son amie et dont Seiya ignorait encore le nom, et qui se révèlerait plus tard être Eéséht du Minotaure, Berserker au service d'Arès.

Eéséht était un homme grand, frisant les deux mètres, et doté d'une musculature impressionnante. Vêtu de cuir clouté composant en grosse partie son armure, il avait un air bestial, primal, que démentaient des yeux vifs brillant sous le casque cornu. Seiya baissa le regard, regardant d'un air inquiet la grande hache de pierre qui frôlait le sol lorsque son adversaire faisait un mouvement. C'était une lourde hache à deux mains à long manche, une arme titanesque qui aurait nécessité deux chevaliers pour être portée, et que Eéséht tenait de sa seule main droite. Le regard de Seiya glissa sur les jambières renforcées, faites d'un métal inconnu à la couleur terne. Le point faible des hommes grands était les jambes, mais dans ce combat-ci, il serait impossible de vérifier ce principe. Seiya leva à nouveau les yeux vers le rictus carnassier de l'homme.

Lorsqu'il était apparu en plein milieu de cette ville, au beau milieu de la journée, Seiya avait été réellement surpris. Les guerriers au service des dieux prennent habituellement un soin particulier à ne pas apparaître en public, non qu'ils risquent quoi que ce soit des forces de polices ou même des militaires, mais les querelles des dieux ne concernent pas les hommes, il n'est nul besoin de les mêler à cela. A son arrivée dans une explosion de lumière, le Minotaure avait déclenché un vent de panique qui eut tôt fait de vider les rues, ne laissant que les deux adolescents pour affronter ce colosse. Eéséht fit un geste, et Miho fut renversée par un vent violent, se cognant le crâne contre le sol et perdant connaissance. Seiya tendit le bras pour rattraper son amie avant qu'elle ne s'assomme, mais d'un geste négligé, le géant fit balancer sa hache, dont le fer ouvrit largement l'épaule du héros.

Et en un instant, Seiya se trouvait en position de grande infériorité.



Kiki se matérialisa devant Saori, ce qui la fit sursauter. Elle avait bien du mal à s'habituer aux téléportations surprenantes du jeune apprenti ! Elle s'apprêtait à le réprimander mais l'enfant ne lui en laissa pas le temps et se mit à parler à toute vitesse.

- Athéna, c'est terrible, les forces d'Arès sont passées à l'attaque ! Adonis vient de me contacter par télépathie, Rigel est blessé après un combat contre un Berserker. Et je viens de recevoir un message de Hilda, qui m'a dit que Hyôga aussi avait été attaqué, et s'en était sorti de justesse. Et puis en plus, il paraît que Seiya et les autres vont subir le même sort ! Qu'est-ce qu'on fait, déesse ?
- Calme-toi, Kiki. Je sais que la situation est grave, mais pour le moment nous ne pouvons pas faire grand chose, si ce n'est nous préparer au combat. Seiya et ses amis sont forts, je leur fais confiance, ils parviendront à rester en vie. Mais la déesse continua mentalement pour elle-même :
- même si j'aurais souhaité qu'ils ne soient pas mêlés à cette guerre. Surtout Seiya.

Kiki paraissait néanmoins ne pas vouloir se calmer.
- Mais Athéna, il faut quand même faire quelque chose, leur envoyer de l'aide ! Hyoga a failli y rester, ce sont des ennemis très dangereux. Et puis Seiya….
- Je sais. Mais il faut quand même leur faire confiance. Cependant, essaie de trouver Seiya, Ikki, Shun et Shiryu, et préviens-les du danger. Il est préférable qu'ils rejoignent le Sanctuaire après avoir mis leurs proches à l'abri. Mais je crains qu'il ne soit déjà trop tard pour les prévenir, Arès a déjà du lancer ses guerriers à leurs trousses.

Kiki hocha la tête et se volatilisa. Il maîtrisait bien son art, mais il était encore incapable de se téléporter sur de très longues distances. Il lui faudrait sans doute plusieurs heures pour rejoindre le Japon, et Seiya et Shun n'auraient plus besoin d'aide alors. Et encore fallait-il qu'il les retrouve, bien que ce soit plus facile avec ces deux-là qu'avec Ikki, qui était injoignable la plupart du temps.

Saori réprima un frisson. Et si ses quatre meilleurs guerriers tombaient au combat ? Il ne resterait plus alors que les Elemental pour défendre la Terre, ou alors…



Le guerrier à la hache ne faisait pas mine de bouger, aussi Seiya se risqua à une question :

- Qui es-tu ? Tu es incroyablement fort…
- Mon nom est Eéséht du Minotaure, Berserker de la Division Terreur, au service de Arès le Seigneur de la Guerre.
- Du Minotaure ? Mais je croyais que le Minotaure était un spectre d'Hadès, tué par Shiryu ?
- Il y a une raison fort simple à cela : le surplis du Minotaure a été créé par Hadès d'après le mien, non dans la forme bien sûr, mais dans l'esprit. Il y a fort longtemps, mon Seigneur trouva soutien auprès de Hadès dans sa guerre contre Athéna. Hadès n'avait pas encore de spectre à l'époque, et il a créé ses surplis en s'inspirant tant des Berserkers que des Sculpteurs de Lumière de Zeus. Il y a même des surplis de la Sirène ou du Kraken, imitant les armures des généraux de Poséidon. Hadès n'a jamais été un dieu très versé dans les arts de la guerre, car son royaume n'a jamais vraiment attiré la convoitise et lui-même préférait des plans plus subtils.
- En clair, c'est toi qui possède la véritable armure du Minotaure ?
- Nous les nommons "Cuirasse". Mais à quoi bon discuter avec un cadavre ? Je perds mon temps.
- Un instant s'il te plait ! Une dernière chose : pourquoi t'en es-tu pris à Miho ?
- La jeune fille ? fit Eéséht en la désignant du regard,
Parce qu'elle était là et n'avait rien à y faire. De toutes façons, elle est condamnée à périr comme tout humain sur cette planète maudite. Et puis, ce sera amusant de la tuer après toi, en profitant de son désespoir quand elle verra ton cadavre. Es-tu prêt à mourir, maintenant ?

Seiya ne répondit pas de suite. La tête baissée, ses cheveux dissimulant son regard au géant, Seiya tremblait de tous ses membres. Il avait relâché sa pression sur son épaule, et le sang coulait, poisseux, par saccades, au rythme d'un cœur affolé qui battait plus vite. Eéséht eut un frison de plaisir. Comme il aimait ce moment où sa proie était sujette à la peur et à l'angoisse, avant qu'elle n'implore pitié, avant qu'elle ne meure.

Mais lorsque Seiya releva la tête, ses yeux n'exprimaient ni peur, ni supplique. Sa voix ne trahit ni appréhension, ni soumission. Au contraire, tout son être exprimait une vive colère, et Eéséht comprit que si Seiya tremblait, c'était en fait de rage !

-"Berserker" gronda le jeune héros, "s'il y a bien une chose que tu n'aurais pas dû faire, c'est t'attaquer ainsi à Miho. La pire erreur qu'on puisse faire," acheva-t-il dans un cri en faisant exploser son cosmos, provoquant l'éclatement des vitres de tous les immeubles alentours, "c'est de s'en prendre à mes amis !"



Ikki posa pied sur le sol entre deux oliviers. Il leva la tête, et vit au loin le petit point noir dans le ciel, qui se rapprochait si vite. Cela faisait une heure maintenant qu'on le suivait à distance, et il n'aimait pas être suivi. Il s'était mis alors à voler, soutenu dans les airs par les incroyables pouvoirs de son armure divine, les grandes ailes dorées déployées dans son dos le portant à travers ciel là où il le désirait. Mais même alors son poursuivant avait continué sa course, se mouvant lui aussi dans les cieux.

Le Phénix attendit que l'homme le rattrape. Dans un jeu de cache-cache, il peut être amusant d'être poursuivi mais on connaît déjà le chasseur et ses intentions. Ici ce n'était pas le cas, et bien qu'il ne soit pas inquiet, confiant en ses forces et en son armure, il était tout de même las d'un jeu non voulu avec un inconnu. L'homme approcha, et se posa lui aussi, à quelques mètres de lui.

Ikki fut surpris, car il s'agissait en fait d'un tout jeune homme, guère plus qu'un enfant. Il devait avoir dix ou onze ans, n'était pas très grand, et ses yeux d'une bleu profond trahissaient une certaine innocence que lui-même avait perdue depuis longtemps. Mais son apparence juvénile était démentie par son corps parfait d'athlète entraîné au combat, visible à travers les parties non couvrantes de l'armure noire qui le vêtait. Etrange armure que celle-là ! Un plastron léger, une jupe métallique, une seule épaulière, et un simple cercle noir sur le front, où rutilaient deux rubis, perdus au milieu des cheveux bleus. Mais dans le dos, deux grandes ailes noires comme le jais étaient déployées, leurs ramiges touchant presque le sol, les plumes de métal semblant vibrer au rythme du vent. Sous son amure, le jeune garçon était nu, sa peau - bien que bronzée - paraissant si claire en comparaison de l'armure si sombre.

Le Chevalier faillit bien commettre l'erreur de sous estimer le garçon, et de lui demander innocemment ce qu'il lui voulait. Mais une intuition lui fit garder le silence quelques instants de plus avant de lui parler, et ce fut l'inconnu qui le fit donc en premier.

- Tu es Ikki du Phénix, n'est-ce pas ?
Sa voix était claire, son timbre de petit garçon trahissait son jeune âge. Mais en elle se mêlaient des dissonances, une sensation de malignité et de cruauté. Ikki eut l'impression de connaître cette voix, pourtant, il était certain de n'avoir jamais rencontré le garçon.

- Oui, c'est moi Phénix.
- Alors tu es l'homme que je recherche. L'un d'entre eux du moins.

Ikki attendit. L'enfant devrait tout raconter avant que lui-même ne se mette à parler.

- Oui, tu es ma proie. Je me présente, je suis Geste, Berserker au service d'Arès, et je porte la Cuirasse du Merle.
- Un animal pas très vindicatif… fit le chevalier d'Athéna d'un ton moqueur.
- Détrompe-toi, le Merle est un oiseau intraitable. Quand il s'agit de sa survie ou de celle de sa famille, il est tout à fait capable de tenir tête à des prédateurs plus gros que lui.

Ikki préféra se taire. Qui vivra verra, pensa-t-il.

- Mon Seigneur Arès m'a ordonné de lui ramener ta tête, ce que je vais faire avec plaisir.
- De tels propos dans la bouche d'un gamin me choquent. Soit tu es présomptueux, soit tu as été trompé. Ma tête n'est pas à prendre, et ce n'est pas toi qui va y arriver.
- TAIS-TOI !!!

Le hurlement que poussa Geste eut des effets que Ikki n'attendait pas. Un vent soudain d'une intensité extraordinaire se leva et fit se coucher tous les arbres autour d'eux. Le Chevalier dut se protéger le visage de ses bras tant la bourrasque fut violente. Aussi vite qu'elle était apparue, elle se perdit dans le néant. Ikki se prépara à un combat difficile.

- Une dernière chose, chevalier Phénix. Avant que je ne te tue, je dois te mettre en garde : tes techniques ne marcheront pas contre moi. J'étais là et j'observais lorsque tu t'en es servi contre mon père, j'ai pu les analyser et elles seront inutiles. Tu fais partie de ceux qui ont tué mon père, et je le vengerai, je vous tuerai tous, Athéna comprise.
- Ton père ? Mais qui est-il ?
- "Tu ne le reconnais pas en moi ? " A cet instant, ses yeux furent traversés par une lueur de folie que Ikki ne se souvenait avoir vu que dans les yeux d'un seul homme, et cela lui rappela de cruels souvenirs. "Je suis le fils de l'homme qui faillit devenir un dieu. Je suis Geste, le fils de Saga."



Le géant para le coup avec aisance, mais fut surpris de sa puissance. Seiya s'était jeté sur lui tête baissée, pour lui décocher un direct, mais au dernier moment avait lancé un high kick de la jambe droite. Manifestement, malgré sa colère, Seiya était capable de se battre avec intelligence, et surtout en étant imprévisible, ce qui le rendait dangereux.

Eéséht était conscient que le chevalier divin disposait d'une force fabuleuse dont lui-même était encore loin. La force des cinq défenseurs d'Athéna était légendaire en Olympe, où on avait suivi leurs exploits, parfois avec inquiétude, parfois avec fièvre. Mais Seiya et ses compagnons manquaient encore d'expérience, et surtout de ce que les Berserkers appelaient la Rage, cette furie sanguinaire qui les prenait et faisait d'eux des guerriers invincibles. Sans elle, un combattant n'était pas complet, il lui manquait le désir de tuer, la pulsion de mort qui conduisait forcément à la victoire, dut-elle en passer par le trépas des deux adversaires.

Mais Seiya se défendait bien malgré cela, il enchaînait les coups sans interruption, obligeant le géant à reculer. Lorsqu'ils furent arrivés au coin d'une rue tout aussi désertée que la précédente, Seiya quitta le corps à corps et se mit à bonne distance de son adversaire et surtout de sa hache.

- Eh bien, déjà fatigué ? fit le Minotaure, goguenard.
- "Pas du tout." Seiya avait un sourire en coin. "Mais maintenant, on est assez loin."

Eéséht réalisa alors que Seiya s'était débrouillé pour s'éloigner le plus possible de l'endroit où son amie gisait. Il devait préparer quelque chose, alors.

Eéséht vit Seiya esquisser un sourire, tandis qu'il prenait ramenait son poing vers lui, et qu'un halo s'y concentrait. L'aura de Pégase grandissait, faite d'or pur, signe de son rang et de sa puissance. Seiya relacha soudain son énergie contenue.

- Pegasus Ryuseiken !

Des météores fusaient, provoquant d'énormes trous dans l'immeuble derrière Eéséht, tandis que celui-ci faisait tournoyer sa hache pour dévier les impacts.

- Inutile, Seiya, ma hache tourne si vite que tu ne pourras pas me tou… Urg !

Du sang coulait de ses lèvres tandis que le géant portait sa main à son abdomen où un impact rond et déjà bleuissant était visible.

- Quand ? cracha-t-il.
- Idiot ! Charon d'Acheron se vantait lui aussi de pouvoir arrêter tous mes coups ! Ca ne l'a pas empêché d'y passer !
- Je reconnais que je t'ai sous-estimé. Je vais devoir utiliser toute ma force. Es-tu prêt ?

Sous les yeux de Seiya, Eéséht jeta sa hache au loin, tandis que ses yeux se révulsaient, et qu'une écume blanche apparaissait au coin de ses lèvres. Il sembla grandir - comme s'il n'était pas déjà assez grand ! - et devenir plus musculeux. Ses bras, ses jambes, se nouaient, devenaient sombres et énormes, irradiant une impression de force animale pure. Les yeux de Eéséht étaient rouges, ses naseaux fumaient, Seiya ne faisait plus face à un homme, mais bel et bien au Minotaure de la légende !

- Pegasus Ryuseiken ! hurla-t-il en décochant un million de coups à la vitesse de la lumière.

Mais tous les météores rebondirent sur le corps souple du monstre, et celui-ci ne tarda pas à contre-attaquer ! Chargeant tel un taureau, il manqua Seiya de peu, et fit demi-tour pour revenir à l'attaque. S'ensuivit une corrida effrénée où Seiya restait sur la défensive, se contentant d'esquiver les assauts, tandis que le monstre tentait de saisir Seiya pour le broyer entre ses bras puissants.

Seiya bondit soudain, et passa par dessus la bête pour lui porter un coup sur l'échine. Mais Eéséht, bien que transformé en bête furieuse, n'en demeurait pas moins un expert du combat, et jetant son pied en arrière haut au dessus de sa tête, il repoussa Seiya et l'envoya bouler dans un magasin tout proche.

Seiya allait se relever lorsqu'un pied gigantesque serti dans une jambière métallique se posa sur sa poitrine. Et la chose émit un son bovin :

- Toi… mmourir… mmmaintenant !



Ikki s'élevait dans les cieux, sa surprise augmentant avec ses doutes. Lorsque Geste avait déchaîné tout son pouvoir, le sol de la petite île s'était fendu, comme sous l'effet d'un tremblement de terre ; puis l'île tout entière avait sombré dans les flots de l'Adriatique, ne laissant à Ikki que le temps de s'envoler. Et maintenant, il était pourchassé par le Merle d'Arès, comme tout à l'heure, sauf que maintenant, l'identité et les intentions du chasseur étaient claires.

Ainsi Saga avait eu un fils. Ikki se demandait, dans un coin de son esprit, quelle femme avait bien pu aimer un tel homme, schizophrène, psychopathe, et un rien violent. Un autre coin de son esprit l'enviait un peu : ainsi même les dérangés comme Saga pouvaient espérer avoir une famille ? Peut-être un jour pourrait-il lui aussi goûter ce bonheur ? Mais le plus gros de son esprit était centré sur une seule certitude : un enfant au pouvoir démesuré et à la rancune tenace le traquait, et il connaissait toutes ses techniques.

Ikki se demandait cependant si le simple fait d'avoir pu voir ses attaques serait suffisant pour savoir les arrêter. Les techniques de combat du Phénix n'étaient pas des plus simples, et Geste ne pouvait pas en avoir saisi toute la subtilité en les voyant exécuter sous ses yeux contre une autre personne, fut-elle son père. Ikki pensait que sa chance pouvait se trouver là, mais c'était un pari risqué. Si Geste parvenait à résister à l'attaque comme il le prétendait, alors Ikki n'aurait plus aucun moyen de le vaincre.

Sa décision fut prise, il devait tenter le coup.

Il baissa sa vitesse pour se laisser rattraper, puis d'un seul coup, s'arrêta, figé en plein air comme si une main divine et invisible le soutenait au milieu des nuages. Le Merle, emporté par sa vitesse, fut sur lui en un instant, mais Ikki était déjà prêt.

"Phoenix Genma Ken" hurla-t-il en lançant un trait de lumière en plein milieu du front du garçon. Le rayon traversa le cerveau, et Ikki put pénétrer l'esprit sans défense pour y instiller l'illusion la plus appropriée.

Peur. Silence. Noir. La vie du jeune garçon semblait remplie de ces trois choses terrifiantes.

La peur. La peur d'un père sévère, au comportement imprévisible, parfois bon, parfois injuste. La peur de mourir de sa main, tout comme sa mère mourut lorsqu'elle mécontenta l'homme aux cheveux gris. La peur de devenir comme lui, comme ce monstre haï et aimé à la fois, ce père aux deux visages, ces deux visages qui parfois l'horrifiaient, parfois le fascinaient. La peur devant l'impressionnant dieu barbu, malgré ses paroles bienveillantes, alors qu'il reçoit son cadeau, son armure.

Le silence. L'attente de l'instant où son existence serait dévoilée au monde, aux chevaliers, et où lui, Geste, pourrait apparaître fièrement comme le fils du chef du Sanctuaire, celui qui succéderait au Pope après sa mort. Et cet instant qui ne venait jamais, que toujours l'homme aux cheveux bleus repoussait, alors que l'envie de parler aux quelques rares personnes au courant de son existence le brûlait au tréfonds de son cœur. Le silence d'un homme sur ses motivations secrètes, sur ses sentiments envers son fils et sa mère, sur ses techniques qu'il ne voulut jamais enseigner à quiconque.

Le noir. Le noir des cheveux de la femme qui le mit au monde, un noir profond, soyeux, beau. Le noir, oppressant et de la cellule où il était enfermé pendant des heures lorsque son père était mécontent de lui, ou parfois, sans raison aucune. Le noir, lisse et brillant, des plumes des corneilles et des corbeaux qui lorgnent d'un air gourmand le corps d'une femme aux cheveux noirs et soyeux, gisant sur la terre froide et dure tandis que son fils d'à peine sept ans creuse à main nue une tombe. Le noir enfin, métallique et glacial, d'une armure à sa taille, et qui fait de lui, enfant surdoué doté de la même ambition que son père, l'un des plus puissants guerriers de ce temps.

Ainsi était l'esprit de Geste, le fils de Saga.

Ikki, en parcourant en une fraction de seconde l'esprit de sa victime, ne put s'empêcher de ressentir une sorte de pitié pour lui, ce qui l'étonna car il n'avait pas l'habitude de s'apitoyer sur ses adversaires. Mais son instinct de tueur reprit le dessus, et il trouva une faille dans la psychée de l'enfant, et déclencha son illusion.



Shun laissa tomber la manette de sa console NES à l'instant où il sentit le choc des cosmos. Il venait de passer des heures à jouer à Super Mario Bros, et un adolescent normal aurait été réticent à cesser de jouer après tous ces efforts, pourtant en cet instant, Shun n'en avait cure. Son frère Seiya était en danger, cela il en était sûr.

Il sortit promptement du manoir Kido, suivi par Tatsumi qu'il venait de croiser dans le couloir, et qui en voyant la mine inquiète du chevalier, se mit à redouter le pire. Shun n'entendit pas les questions angoissées du majordome, tout son esprit tourné vers le lointain, à la recherche des cosmos qui étaient si brillants l'instant auparavant. Il les trouva, en plein milieu de Tokyo, à quelques kilomètres à peine. Un bond, un seul, effectué à la vitesse de la lumière, et il serait sur place, pour aider son ami.

Mais à l'instant où il allait bondir, une voix se fit entendre derrière lui.

- Ah non, Shun, tu ne peux pas y aller. Tu as rendez-vous avec moi…

Shun se retourna, surpris, et vit que, debout sur le toit du manoir, se tenait celle qu'il considérait depuis toujours comme son amie, June du Caméléon. Revêtue de son armure, la jeune femme, le visage toujours dissimulé derrière un masque, attendait.

- Rendez-vous ? Mais June, Seiya est en danger, je dois y aller.
- Non, tu ne bougeras pas d'ici. Ou alors, il te faudra me vaincre.
- June, je ne comprends pas. Pourquoi m'empêcher d'aller aider Seiya ?
- Parce que le Berserker qui est là-bas pourra peut-être vaincre un chevalier divin, mais pas deux. Alors je dois te retenir ici. Non, mieux que cela, je dois te TUER ici ! Yaaaah !

June bondit, et dans le même mouvement, déchira l'air de son fouet. Shun, surpris, n'esquissa même pas un mouvement, et la lanière tressée vint effleurer sa joue, la barrant d'un trait écarlate.

- June, que t'arrive-t-il, serais-tu devenue folle ?
- Pas le moins du monde. Mais mes ordres sont formels, je dois t'éliminer.

Shun frémit, car June avait dit cela d'un ton froid et détaché, comme si elle parlait d'un ennemi qu'elle détestait, et non d'un ami d'enfance. Etait-ce vraiment la même June qui avait partagé avec lui l'enseignement de leur maître Céphée ?

- Tu es envoûtée, c'est ca, June, quelqu'un t'a lancé un sort, t'a lavé le cerveau ? Ou alors, tu es une illusion, comme lorsque Karsa de Lymnades avait tenté de me tuer sous les traits de mon frère ?
- Non, je suis bien réelle. Et j'ai toute ma conscience.
- June, je ne comprends rien…. Mais je t'en prie, arrête. Tu sais que tu n'as aucune chance face à moi, et même si je ne veux pas te tuer, je pourrais sans le vouloir te faire très mal si je ne contrôle pas bien ma force.
- Tu me crois donc si faible ? Essaie ca, alors : Whip Tongue !!

Le fouet fila à la vitesse de la lumière, et transperça l'épaule de Shun comme une dague de fer. Andromède recula, stupéfait de voir une telle puissance chez son amie. Il revêtit son armure, qui venait d'apparaître à sa demande, pour se protéger des attaques à venir en attendant de trouver comme ramener la jeune femme à la raison.

Mais il remarqua soudain un détail curieux : le cosmos de June n'était ni doré, comme celui des chevaliers d'or, ni verdâtre, comme il l'était d'habitude. Au contraire, une lueur mauve irradiait d'elle, et Shun commençait à comprendre la supercherie.

- Chaine Nébulaire, trouve mon ennemi !

Il lança la pointe, qui fendit l'air à tout vitesse, passa à coté de June sans la toucher, et atteignit le toit du manoir. Elle s'enroula dans le vide comme autour d'une branche invisible, et resta là, comme pour retenir ce qu'elle avait attrapé. Une voix alors résonna.

- Bien joué, Andromède, tu m'as trouvé.

Un homme apparut, son bras gauche prisonnier de la chaîne. Il n'était pas très grand, ses cheveux roux et hirsutes, sa peau blanchâtre, et son visage cruel faisaient de lui un être au physique fort disgracieux. Une lueur mauvaise brillait dans ses yeux, et sa voix nasale avait l'accent de la traîtrise.

- Je suis Néron de la Main Ouverte, au service d'Arès. C'est bien moi qui contrôle ton amie June.
- Relâche la tout de suite, ou je te tue !
La voix de Shun s'était faite plus sourde, pleine de menaces.
- Et puis quoi encore ? C'est elle qui va accomplir ma mission, pourquoi me salirais-je les mains ? A toi, June !

Et la femme chevalier du Caméléon bondit en avant, faisant tournoyer son fouet.



Seiya sentit que son sternum n'allait pas résister longtemps, aussi réagit-il très vite. Une boule de lumière apparut dans le ciel de Tokyo, et ce projectile nouveau heurta de plein fouet le Minotaure en l'envoyant au loin. Seiya se releva en un instant, et l'armure divine de Pégase, qui venait ainsi de faire son apparition fracassante, vint le couvrir.

Revêtu de son armure, Seiya se sentit beaucoup plus confiant, et il décida d'en finir vite avec le monstre. Il fonça sur lui, prêt à le pourfendre de ses météores, mais la créature surgit du tas de décombres où elle gisait, et détourna l'assaut en saisissant le bras de Seiya au vol, et en le projetant au loin. Seiya retrouva son équilibre, et se remit en garde. Il se demandait comment il pourrait vaincre un tel adversaire, qui même en étant diminué mentalement, restait un maître du combat.

Pégase se décida pour un assaut frontal suivi d'une feinte, pour vérifier une théorie. Il s'élança droit devant lui, et le monstre se prépara à le recevoir, l'écume aux lèvres, levant haut ses bras pour les abattre sur Seiya quand il serait sur lui.

Mais Seiya, appliquant son plan, se jeta sur le coté au dernier instant, évitant les deux poings titanesques qui auraient dû l'écraser, et lança son attaque. Les météores frappèrent le flan découvert de la créature, et Seiya fut certain que l'une des côtes au moins avait été brisée. Mais il en fallait plus pour arrêter Eéséht, et le Berserker fit volte-face, lançant un nouvel assaut. Seiya esquiva facilement les coups de poing lourdauds et prévisibles de la créature, et prit une bonne distance avant de lancer son attaque suivante.

Le monstre, comme il l'avait prévu, pouvait être facilement berné, et Seiya finirait bien par trouver un angle d'attaque propice pour lui porter un coup mortel. En attendant, il devait le presser de coups pour lui faire commettre le plus d'erreurs possible, et pour entamer aussi sa résistance.

Seiya se lança donc à nouveau, prêt pour la même feinte. Mais à l'instant où il esquiva les poings du Minotaure, il se rendit compte de son erreur. Le monstre ne se laissait pas prendre au piège cette fois-ci, et d'un revers du coude, il balaya Seiya, lui ôtant toute chance d'attaque. Puis le monstre prit une garde étrange, alors que Seiya se relevait.

"Mmmma…rteau… Mmma… léfique !" meugla-t-il avec un semblant de voix humaine.

Abattant ses deux poings simultanément sur le sol, un éclair en jaillit, qui vint frapper Seiya malgré la tentative de ce dernier pour s'écarter de sa trajectoire. Seiya sentit plusieurs dizaines de millions de volts le traverser, et sans son armure divine, aurait sans doute grillé sur place. Il retomba au sol lourdement, sonné, et vit le monstre se jeter sur lui, prêt à le déchiqueter de ses mains.

Dans un mouvement de pur réflexe, Seiya évita les griffes de la créature, la laissa lui passer devant, la saisit par derrière, et lança son terrible "Pegasus Rolling Clash".

Les deux adversaires s'élevèrent dans le ciel, vers la cime des immeubles, puis retombèrent lourdement sur l'asphalte, le Minotaure nuque la première, provoquant de grands dégâts à la chaussée. Seiya se releva prestement, mais pas Eéséht, qui semblait mort.

"L'aurais-je eu ?" se demandait Seiya, presque soulagé.

Mais immédiatement, ses espoirs disparurent, alors que la silhouette géante du Minotaure se dressait à nouveau devant lui.

Cet homme était-il indestructible ?



Le Noir. La Peur. Le Silence.

Geste se sentait oppressé par ces trois choses terribles qui avaient marqué son existence tout entière. Il se tenait seul, nu, dans une pièce sombre et vide. Pas un son ne venait à ses oreilles, et l'obscurité lui masquait ce qu'il y avait dans cette pièce. Pourtant il savait qu'il y avait là quelque chose ou quelqu'un qui était à l'origine de sa terreur.

Son père ?

Saga était mort, il le savait. Il avait assisté de loin au combat final opposant les chevaliers de bronze et celui qui se disait le Pope. Il était allé sur sa tombe une fois, plus pour s'assurer que cet homme était bien mort que par respect, amour, ou dévotion. Et pourtant, au fond de lui, une voix lui disait que jamais il ne serait débarrassé de lui.

Qui était là dans la pièce ?

- Qui êtes-vous ?

Le Silence.

Il s'avança dans les ténèbres, fouillant du regard.

Le Noir.

Et pourtant, il y avait quelqu'un.

La Peur.

"Je ne dois pas céder à la panique. Comment suis-je arrivé ici ? Pourquoi suis-je enfermé là ?"

Il plissa le front, concentré. Des souvenirs remontaient en lui, provoquant une douleur qu'il n'aurait pas cru possible.

Une femme aux cheveux noirs. Un homme aux deux visages. Un dieu barbu. Une armure ailée. Une autre, colorée celle-là. Un homme au visage traversé d'une balafre. Un rayon de lumière.

"Je suis sous l'emprise de Phénix. Il m'a envoyé sa fameuse illusion. Je me souviens que mon père n'avait pu la contrer. Ikki est très puissant. Mais je suis plus fort que lui."

- Ikki, je sais que c'est toi qui es dans cette pièce. Pas la peine de te cacher. Viens te battre.

Les ténèbres s'ouvrirent, se dissipèrent. Il avait vaincu le noir. Le bruit des pas de l'homme qui ouvrait les ténèbres résonna, il avait vaincu le silence. Mais soudain, il vit le visage de l'homme qui s'avançait, et fut saisi d'effroi. La Peur, seule, restait, et elle était plus forte qu'avant.

En face de lui se tenait… lui-même. Un double parfait, un sosie aussi nu que lui, mais dont pourtant un détail différait : ses yeux et ses cheveux n'étaient pas bleus, mais gris. Comme ceux de ce père schizophrène qui avait tué sa mère, l'avait battu, l'avait humilié. Geste eut un haut-le-cœur : le sosie se mit à parler avec sa voix.

- Eh bien Geste, tu ne me reconnais pas ?
- Qui es-tu ?
- Je suis toi. L'autre toi.
- Non, c'est faux. C'est mon père qui était ainsi !
- Non, tu le sais. Je suis là depuis toujours.
- Je n'ai jamais été fou ! C'est une illusion de Phénix !
- Pas du tout. Cesse de te mentir. Tu sais que j'existe, depuis…
- Depuis ?
- Tu le sais bien. Tu m'as vu dans le miroir. A travers mes yeux, tu m'as vu. A cet instant, nous étions tous les deux conscients.
- Non, je ne te crois pas. Je ne t'ai jamais vu.
- Peut-être m'as tu pris pour un autre ? Peut-être que tu as confondu cette image de toi avec celle de ton père. Peut-être que tu essaies de t'en persuader.
- Non ! Non !

Des images dansaient devant les yeux de Geste, des images du passé. Un homme aux yeux et aux cheveux gris, la main rougie de sang. Le corps d'une femme aux cheveux noirs et soyeux, gisant sur le sol écarlate. L'homme aux cheveux gris rit, mais ce n'est pas la voix de Saga son père.

Non, c'est la sienne, celle de Geste. Celle de Geste aux cheveux gris.
Celle de Geste, le matricide.

- NOOOOOOOOOOONNNNN !!!!!!!!!

Ikki regardait Geste en proie à ses démons intérieurs, à ces visions du passé qu'il avait tenté de juguler en lui. Le garçon serait inoffensif maintenant, son mental détruit par le poids de sa culpabilité. Ikki le regarda tomber lentement, incapable de se maintenir en vol malgré son armure ailée. Il disparut entre deux nuages.

Ikki fit demi-tour et prit la direction du Japon. Son frère Shun serait sans doute attaqué lui aussi, il devait l'aider.

Mais soudain, un cosmos s'embrasa, et un guerrier vêtu d'une armure noire surgit devant lui.

- Geste ? Mais comment ? Je t'ai vu te détruire sous mes yeux, rongé par le remords après l'Illusion du Phénix.
- Tu avais raison. Geste est mort.

Le regard de l'enfant n'était plus le même. La lueur de folie que Ikki avait déjà vue, traversa à nouveau ses yeux, mais y resta ancrée cette fois.

- Tu as eu tort, Ikki. Tort de le tuer. Car en supprimant l'esprit de Geste, tu me donnes à moi le contrôle total de cette enveloppe charnelle.
- Alors tu es comme Saga…
Ikki avait dit cela dans un souffle, comprenant sa terrible erreur.
- Oui, en effet. Et maintenant que je suis éveillé, tu vas souffrir.

Et Geste, le nouveau Geste, le guerrier fou, le Berserker, intensifia son cosmos.



- June ! Arrête, je t'en prie !

Malgré ses suppliques, Shun ne parvenait pas à calmer son amie, qui continuait comme un automate à l'attaquer de son fouet. Sans son armure divine et ses réflexes de chevalier, Shun n'aurait sans doute pas survécu aux attaques violentes de la jeune femme. Le parvis du manoir en témoignait : vasques brisées, cratères fumants, sol défoncé, étaient la preuve que le chevalier du Caméléon ne retenait pas ses coups.

- Néron, ça suffit ! Sois un guerrier et viens te battre !

Shun tentait de provoquer son adversaire pour l'obliger à laisser son amie en dehors de ce combat, mais rien n'y faisait. Par trois fois, Shun avait tenté de s'en prendre directement à Néron, mais June s'était alors interposé, et Shun avait du interrompre son assaut de peur de blesser son amie.

- Ah ah ! Tu sais pourquoi on m'appelle le Berserker de la Main Ouverte, Shun ? Parce que tel un marionnettiste, mes doigts guident ma victime dans un ballet de mort, et ma main, seuil de mon pouvoir, est capable de prendre le contrôle de n'importe qui. En fait, c'est moi qui avait enseigné cette technique à Aiacos le Spectre, mais il n'était pas aussi doué que moi !
- Et tu trouves loyal de faire combattre des innocents ?

Néron fit mine de réfléchir quelques instants puis fit :

- Hmmm… Oui !

Shun évita le fouet qui claqua juste devant lui, et le saisit par son extrémité. D'un coup sec, il désarma June.

"Une bonne chose de faite" pensa-t-il.

Mais la jeune femme ne ralentissait pas pour autant sa course poursuite, et se mit à l'attaquer de ses pieds et de ses mains.

- Néron, je ne comprends pas ce que tu me veux ! Que t'ai-je donc fait pour que tu m'attaques ainsi ?
- Rien du tout, mon ami, rien du tout. Mais tels sont les ordres, et tu sais ce que c'est, il faut obéir, c'est tout.
- Mais c'est absurde ! Une nouvelle guerre va donc se déclencher parce que des dieux jaloux veulent en découdre, et ce sont encore les guerriers comme nous qui vont en souffrir ! Ne me dis pas que tu es d'accord avec ça ?
- Ah mais je suis tout à fait de ton avis, c'est encore nous qui allons nous taper le sale boulot. Mais c'est notre boulot. Et je n'en changerai pas pour tout l'or du monde.

Shun se demandait comment il pourrait se sortir de là. S'enfuir ? Néron pourrait s'en prendre à June. Attaquer ? Cela était exclu, la jeune femme n'y résisterait pas. Ou alors peut-être… ?

Shun prit une grande inspiration, et ordonna à l'armure de le quitter.

Il devait jouer le tout pour le tout.



Eéséht sembla rétrécir, et ses yeux cramoisis reprirent une couleur normale. Il quitta peu à peu son aspect de bête pour reprendre celui d'un humain. Sa fureur bestiale semblait être retombée en même temps qu'il prenait une sévère correction. Sans doute une part de son esprit avait dû déduire qu'il valait mieux affronter Seiya avec un minimum d'intelligence, tant le chevalier était vif.

- "Tu te… défends pas mal…" souffla le Berserker épuisé.
- Je peux en dire autant de toi. Tu es le plus terrible adversaire que j'aie jamais eu.

Malgré ces paroles, Seiya était tout de même en position de supériorité, n'ayant pas subi jusqu'alors de grave blessure, alors que la résistance de son adversaire était déjà sapée. Mais il n'en relâchait pas sa garde pour autant. C'était une erreur qu'il n'avait jamais faite, et ce n'était pas le moment de commencer.

- Berserker, je crois qu'il est temps d'en finir ! Mon amie est blessée, je dois la faire soigner rapidement.
- Je suis d'accord, il faut en finir. Mon maître ne serait pas content si je mettais plus de temps à t'écraser. En garde !

Et les deux guerriers se firent face à nouveau, concentrant leurs énergies pour l'ultime assaut. Ce coup-ci serait mortel, ils le savaient tous deux. Chacun profiterait du fait que l'autre était en train d'attaquer, vulnérable, pour placer son propre coup. La vitesse, mais aussi le pouvoir de destruction, la rapidité d'analyse mais aussi d'action, l'intensité du cosmos, la résistance physique, la précision, tout cela serait utilisé à l'extrême dans ce dernier échange.

Et ils s'élancèrent.

Pour un simple mortel qui aurait assisté à la scène, celle-ci aurait eu l'air à ses yeux d'un duel entre deux dieux se terminant dans un grand éclair blanc. Mais au court de cet instant fugace, au cœur de cette éclatante lumière provoquée par le choc des énergies, deux guerriers échangèrent des dizaines de milliers de coups, afin d'en placer un et un seul, mortel.

La lumière ne dura pas plus que le temps d'un battement de cil, et les deux hommes se séparaient déjà, le combat terminé. Un homme s'écroula au sol dans une mare de sang, tandis que son adversaire touchait le sol avec agilité, se retournant pour voir son adversaire gésir, vaincu, au sol. L'homme à terre tenta de se relever, mais s'écroula, privé de forces.

C'était Seiya.

Eéséht du Minotaure, triomphant, s'approcha du chevalier divin et constata que Seiya vivait encore, mais cela n'allait pas durer. Sans soins appropriés, il ne survivrait pas à ses blessures.

- Navré, Seiya, mais tu devais trépasser. Tel était l'ordre de Arès. Mais rassure-toi, tu ne vas pas souffrir. Je vais te couper la tête, que je dois ramener en guise de preuve à mon seigneur. Prépare-toi.

Seiya eut, à la place du rictus de douleur qui lui déformait le visage, un étrange sourire.

- Ca… m'éto…nnerait. On a… jamais… vu un… mort… couper une tête.

Eéséht s'interrogeait sur le sens de ces paroles quand une fissure apparut sur son armure grise. Puis une deuxième, dans la seconde qui suivit. Puis d'autres, et dans le même temps, une grande douleur s'emparait de lui. L'armure explosa, tombant en mille éclats autour et sur Seiya. Et le corps de Eéséht aussi explosa, à retardement, sous l'impact des Météores. Le Minotaure tomba en arrière, tandis que de ses innombrables blessures jaillissait sa vie. Elle le quitta avant qu'il ne touche terre.

Seiya ferma les yeux. Au moins il ne serait pas mort en vain. Il espérait que ses frères auraient plus de chance que lui.

Un grand froid l'envahit, et il se laissa glisser dans le néant.

Un homme étrange, vêtu d'un étrange habit coloré aux reflets métalliques, assistait à ce double trépas depuis le sommet d'un building. Il choisit cet instant pour cesser de jouer les témoins, et bondit depuis le sommet de l'immeuble. Il atterrit à côté de Seiya.

Lorsque Kiki arriva sur les lieux quelques dizaines de minutes plus tard, il trouva l'avenue noire de monde, policiers et militaires entourant le corps d'un géant étendu mort au milieu d'une rue dévastée. Mais de Seiya, aucune trace.

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Cette fiction est copyright Patrick Huart.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.