Chapitre 19 : La lumière et le vide


_Qu'est-ce que tu en penses ?

_Pour être honnête, on ne peut pas dire que la situation soit très brillante.

La Maison du Bélier, impériale de marbre blanc, se dresse silencieusement dans l'air limpide de la Grèce. Son parvis est éclaboussé de sang et trois corps gisent là, qui étaient autrefois trois Bersekers puissants et fiers. Tous les trois ils sont tombés devant cette Maison, la première du Zodiaque, qu'ils n'ont pas su franchir. Tous les trois ont été abattus par l'homme à l'écaille dorée qui se tient encore là, seul sur le lieu du carnage. Kanon des Gémeaux, le Dragon des Mers, l'homme qui a défié les dieux. Pour le moment, il se tient légèrement appuyé contre l'une des colonnes ornant le fronton de la Maison, les yeux mi-clos, comme songeur. Les combats qu'il a dû mener jusqu'ici ne l'ont aucunement fatigué, mais il demeure sur ses gardes, prêt à toutes les éventualités.

Ce qu'il ne peut pas voir, ce sont les deux hommes en train de l'observer avec attention, à quelque distance de là. Ils se tiennent tous deux sur une sorte de promontoire rocheux, à une centaine de mètres à peine de la Maison du Bélier, et ils sont en train de discuter entre eux de la situation.

_Il est vrai que je suis un peu surpris malgré tout. Je ne m'attendais pas à ce que Phobos et Deimos réussissent à vaincre tous les défenseurs du Sanctuaire à eux seuls, mais de là à ce qu'ils échouent devant un seul homme... Je les ai surestimés. Ou plutôt, j'ai sous-estimé cet homme.

Celui qui vient de parler est Hector, premier serviteur d'Arès et commandant des Bersekers. Il a l'air pensif. Dans sa main droite, il tient une lance dont l'apparence n'a rien de remarquable, si ce n'est qu'elle est presque aussi épaisse que son avant-bras. Son corps est totalement revêtu d'une armure d'un blanc émaillé, laquelle lui assure le maximum de protection tout en lui laissant toute sa liberté de mouvement. Seule sa tête est exposée, protégée seulement par le fin bandeau de métal qui ceint ses cheveux bruns.

_Kanon des Gémeaux n'est pas un adversaire ordinaire, c'est un fait. Et il n'est probablement même pas le plus puissant de ceux que nous aurons à affronter. Nous avons fait une erreur en n'employant pas immédiatement l'intégralité de nos forces et de nos ressources. Si nous ne le faisons pas immédiatement, la bataille se retournera définitivement contre nous.

Celui qui vient ainsi de répondre à Hector est Lumen, le Sculpteur de Lumière, serviteur de Zeus. Bien que celui-ci ne lui ait jamais accordé le moindre titre, sa puissance seule suffit à le placer au-dessus de tous les autres serviteurs mortels du maître de l'Olympe, hormis peut-être Arimaspe. En cet instant de tension, il semble malgré tout étrangement calme. La surface métallique de son armure miroite sous le soleil brûlant en un arc-en-ciel de couleurs vives. Bien que rien dans son expression ne puisse le laisser deviner, Lumen maintient actuellement une puissante illusion qui empêche qu'un adversaire éventuel ne s'aperçoive de leur présence.

_Maintenant que j'ai engagé la garde rapproché de mon seigneur Arès, la chance des chevaliers d'Athéna va commencer à tourner, observe Hector avec un sourire légèrement amusé.

_Où sont-ils au fait ? questionne Lumen en haussant un sourcil. Nous ne les avons pas vu depuis que nous sommes arrivés.

_J'ai envoyé l'un d'entre eux sur Star Hill, explique Hector. D'après mon seigneur, Apollon a révélé qu'il existerait là-bas quelque chose qui permettrait aux guerriers d'Athéna de mener une contre-attaque et de s'en prendre directement à l'Olympe. Ca ne me paraît pas très sensé, mais aucune éventualité n'est à exclure lorsqu'on est en guerre. J'ai ordonné à Doriens d'assister les incapables qu'Apollon a chargé de cette mission. Tous les autres membres de la garde rapprochée sont dispersés dans les environs pour attendre les renforts du Sanctuaire.

Lumen hoche la tête. Lui aussi a senti la présence de nombreux cosmos étonnament puissants se dirigeant ici. La garde d'Arès risque d'être mise à rude épreuve très bientôt.

_Bref, conclut Hector, il ne nous reste plus qu'à mener une offensive directe à travers les douze Maisons pour compléter le plan que nous avons préparé. Ce qui implique de passer tout d'abord sur le corps de Kanon. Je m'en serais occupé, mais puisque tu as choisi d'envoyer l'un de tes hommes...

Lumen hoche la tête de nouveau et sourit, passant une main distraite dans ses longs cheveux noirs. Somme toute, la situation ne s'annonce pas si mal que ça.

***

Kanon se raidit en entendant un bruit de pas précipité dans les escaliers qui menaient à la Maison qu'il défendait. Un autre adversaire, sans doute. Il est étrange qu'il vienne si tard, mais cela n'a guère d'importance dans l'esprit du chevalier des Gémeaux.

Une minute passe, tandis que Kanon se prépare à combattre de nouveau. Et, finalement, l'adversaire apparaît. Et le gardien de la Maison du Bélier, l'homme qui a défié les dieux, ne peut s'empêcher d'être surpris l'espace d'une seconde. Car c'est un enfant qui se tient devant lui, mince, presque frêle dans son armure aussi transparente que le cristal le plus pur. Un enfant aux cheveux noirs et au sourire innocent. Il ne saurait avoir guère plus de dix ans. L'espace d'une seconde, Kanon est surpris. L'espace d'une seconde seulement.

_Les généraux de Zeus font vraiment preuve d'une bravoure déconcertante, observe-t'il avec un rictus féroce. Parce que leurs tentatives précédentes ont lamentablement échouées, ils m'envoient maintenant un gamin dans l'espoir que je n'oserai pas m'en prendre à lui.

Un éclair de colère traverse ses yeux et ses poings se serrent. Face à lui, l'enfant sourit toujours. Il a l'air légèrement essouflé, comme si le simple effort de gravir les escaliers avait suffit à le fatiguer.

_Soyons clair, dit Kanon d'un air définitif. Je me moque de ton âge. Ce n'est pas ça qui m'empêchera de te tuer si tu essaies de passer. Mais, puisque tu as certainement été manipulé par les serviteurs de Zeus, je veux bien te laisser une chance de partir maintenant.

L'enfant incline la tête sur le côté, l'air étonné.

_Je suis venu ici pour me battre, chevalier Kanon. Si je reculai maintenant, on se moquerait de moi. Et j'ai très envie de vous affronter. Cela vous surprendra peut-être, mais vous êtes très connu dans l'Olympe, parce que vous avez défié les dieux et que vous avez survécu. Il y en a beaucoup qui m'envieraient ce combat, je suis sûr.

Tout ceci dit d'une voix légère, amusée. Comme s'il était question d'une sorte de jeu. Comme si rien de tout cela n'était sérieux.

_Comment t'appelles-tu ? demande Kanon.

_Gany. Ganymède. Je suis un Sculpteur de Lumière.

Kanon a un geste agacé. Il préfèrerait éviter un tel combat, mais cela ne change rien. Il doit défendre cette Maison et peu importe l'adversaire.

_Alors viens, Ganymède, je t'attends !

Le jeune Sculpteur de Lumière s'avance, passant sans un regard entre les dépouilles ensanglantées des Bersekers. Il sourit toujours, mais semble en même temps étrangement concentré. Kanon peut maintenant sentir son cosmos. Un cosmos étrange, presque incolore. Puissant, incontestablement, mais... vide ? Ce n'est pas le moment d'y réfléchir. Kanon a juste le temps de se mettre en garde au moment où Ganymède fond sur lui à une vitesse fulgurante. Il bloque d'une main le poing qui visait sa tête avant de tirer violemment en avant son adversaire pour le déséquilibrer. Ganymède ne met qu'une fraction d'instant à se reprendre, mais cela laisse le temps à Kanon de se baisser et de lui faucher brutalement les jambes. Le jeune Sculpteur de Lumière roule sur le côté pour se retrouver sur ses pieds mais il est déjà trop tard. Kanon a croisé les bras et...

_Par l'Explosion Galactique !

***

Troïlos s'avance sur Doriens, une fureur brûlante dans chacun de ses membres. Lorsque de la mort de Marine, le choc a plongé Algebia dans un choc si profond qu'il l'a fait renaître, lui, Troïlos, chevalier élémentaire du Néant. Et, à présent, il ressent une haine terrible, comme il n'en a jamais connu depuis qu'il a quitté les rangs des Bersekers. Son armure le recouvre de nouveau et le pouvoir afflue en lui comme une titanesque vague de fond.

Dans les yeux de Doriens, la stupéfaction fait brusquement place à la crainte devant ce cosmos terrible qui semble engloutir tout l'espace. C'est comme si une force primordiale venait de s'incarner dans le corps de ce chevalier qui est son adversaire. Une force... illimitée.

Mais le métal dont sont fait les membres de la garde d'Arès ne s'effrite pas si facilement. Concentrant à son tour son cosmos, Doriens de Sparte brandit sa lance étincelante. Quelle que soit la force de ce nouvel adversaire auquel il fait face, il a bien l'intention de se battre jusqu'au bout.

Troïlos ne semble rien remarquer, comme aveuglé par sa propre colère. Doriens se raidit. Il n'a sans doute aucune chance de vaincre le chevalier élémentaire du Néant, mais, s'il parvenait ne serait-ce qu'à le blesser... Troïlos fait un nouveau pas en avant. La lance de Doriens vole vers lui comme un faucon sur sa proie, un trait de lumière meurtrier vers le guerrier du vide.

Puis l'immobilité succède au mouvement, avec la même soudaineté. Dans un mouvement si vif que le serviteur d'Arès ne l'a même pas vu, Troïlos a déplacé latéralement sa main pour saisir la lance juste derrière le fer acéré, l'interceptant alors même qu'elle allait le frapper. Doriens, Berseker de la garde rapprochée d'Arès, ouvre de grands yeux, tétanisé par la stupéfaction. Et ses yeux s'élargissent encore plus lorsque la lance se désintègre entre les mains de Troïlos, la seconde d'après.

_Il est temps de mourir, Doriens, lance Troïlos d'une voix inexpressive.

Incrédule, le Berseker voit une sphère d'énergie apparaître entre les mains du chevalier élémentaire du Néant. Noire, si noire qu'elle semble être littéralement découpée sur l'espace qui l'entoure.

_Par le Chaos Originel !

***

Deux explosions titanesques déchirent le silence qui s'était brièvement emparé des environs du Sanctuaire. Toujours à leur poste d'observation, les deux commandants de la présente offensive contre le Sanctuaire ne peuvent que les entendre.

_Cette puissance...

Hector est troublé, ce qui ne lui est pas arrivé depuis tant d'années qu'il ne s'en souvient plus.

_L'une des deux explosions provenait certainement de Kanon, mais l'autre...

Lumen hoche la tête. L'autre a été provoquée par un cosmos terriblement puissant, un cosmos presque divin.

_Seul un chevalier élémentaire a pu faire preuve d'une telle puissance, observe-t'il avec intérêt. Apparemment, l'un d'entre eux a réussi à s'accorder à l'esprit de son armure, au moins pour un instant.

Hector demeure un instant silencieux, tandis qu'il étend son sixième sens dans la direction de Star Hill.

_Doriens est mort, dit-il après un temps. Ca n'est pas surprenant. Je ne vois pas ce qui aurait pu résister à une telle attaque.

Les yeux du commandant des Bersekers s'étrécissent. Non, contre une telle puissance, il y a bien peu d'hommes qui auraient pu faire quelque chose.

***

Algébia tombe à genoux, haletant. Son coeur cogne comme un marteau dans sa poitrine et des taches noires dansent devant ses yeux. Des débris de pierre l'entourent de toutes parts. Qu'est-ce qui s'est passé ? Il ne se souvient plus. L'homme à l'armure argenté l'a attaqué. Il se souvient du choc, du sang sur ses mains. Marine, Marine l'a protégé... Elle l'a protégé de sa propre vie... Elle est... Les phalanges d'Algébia se crispe tandis qu'il se rappelle. Elle est morte.

Et après ? Il ne se souvient plus. Cette fureur blanche qui est apparue en lui, qui l'a submergé si totalement...

Algébia se relève. Péniblement. D'une façon ou d'une autre, il a encore beaucoup de choses à accomplir et les réponses peuvent attendre.

Ce n'est qu'alors qu'il remarque réellement la destruction qui l'entoure. Devant lui, il n'y a plus rien. La pierre a été réduite en poussière, ne laissant qu'un large cratère, comme une cicatrice au sommet de Star Hill. De son adversaire, il ne reste pas une trace.

A quelques mètres de lui seulement, Shina est en train de bercer doucement contre elle le corps inerte de Marine. Elle n'émet pas un son et il n'y a pas une larme sur ses joues, mais Algébia aurait préféré que ce fut le cas. Il aurait préféré cela plutôt que de voir l'expression sur son visage. Vide, tellement vide, comme anéantie. Algébia ferme les yeux un instant. Plus tard. Plus tard, il aura le temps de rendre hommage au chevalier de l'Aigle, à la femme que son frère a aimé et qui lui a sauvé la vie. Pour le moment, ils doivent continuer. Comme elle l'aurait voulu.

***

Kanon se fige. Cette sensation... Au moment même où il a lancé son attaque, une explosion gigantesque de cosmos a eu lieu quelque part dans les environs du Sanctuaire. Mais qui a bien pu en être à l'origine ? Est-ce un allié... ou un ennemi ? Kanon se maudit lui-même de ne pas avoir fait plus attention. Il était trop concentré sur son attaque pour pouvoir analyser ce cosmos proprement inhumain.

_C'était impressionnant, hein ?

Kanon se retourne. Un autre homme aurait été surpris, mais pas lui. Il a trop d'expérience et de maîtrise de lui-même pour s'étonner de ce que son adversaire ait survécu à son attaque. Dans un combat, ce genre d'erreur pourrait coûter la vie à celui qui la commettrait.

Ganymède se tient à quelques mètres seulement de lui, le regard légèrement dans le vague, comme s'il réfléchissait.

_Je suppose que ça venait d'un de vos chevaliers élémentaires, finit-il par dire en souriant, comme satisfait d'être parvenu à une conclusion. C'est curieux, j'ai déjà rencontré l'une d'entre eux il n'y a pas très longtemps et elle n'avait pas du tout ce niveau de puissance.

Kanon ne relâche pas son attention. Il reste concentré sur cet adversaire qui ne lui fait même pas face, qui parle de la guerre comme il évoquerait le temps qu'il fait. Mais, dans le même temps, une partie de son esprit entend les paroles de l'enfant et y réfléchit. Un des guerriers élémentaires, vraiment ? Si c'était le cas, le Sanctuaire disposerait là d'une puissance redoutable. Mais ce n'est pas le moment d'y songer.

_Comment as-tu évité mon attaque ? questionne Kanon, chacun de ses muscles prêts à délivrer la mort.

_Quoi ? Oh ! Je la connaissais déjà, c'est pour ça.

_Tu la connaissais déjà ?

_Oui, répond Ganymède avec un sourire radieux. C'est votre neveu qui me l'a appris. Nous nous entendons très bien, lui et moi.

_Mon... neveu ?

Saga... Saga aurait eu un fils ? Kanon est incrédule. C'est possible, pourtant, en imaginant que l'enfant soit né après qu'il ait été enfermé au Cap Sounion. De cette façon, il n'aurait rien pu en savoir. Pourtant c'est tellement étrange de penser que son frère ait pu avoir un enfant... Un bref instant, Kanon se demande à quoi il ressemble. Il aimerait voir cet enfant, le connaître. Un instant seulement. Puis il redevient le chevalier des Gémeaux, prêt à se battre.

_En y réfléchissant bien, poursuit Ganymède d'un air songeur, cela ne rend pas très juste notre combat. En contrepartie, je n'utiliserai pas mes jeux de lumière, qu'est-ce que vous en dites ?

_Tu t'imagines peut-être que tes illusions auraient pu me troubler ? rétorque Kanon avec un rictus amusé. Bats-toi comme tu veux ou même laisse-toi tuer sans résister, ça m'est bien égal.

Ganymède fronce légèrement les sourcils, réfléchissant visiblement.

_Bon, alors je vais vous laisser un petit moment de répit, finit-il par dire de sa voix enfantine. Comme cela, vous pourrez appeler votre armure d'or au lieu de cette écaille fragile. Vous *pouvez* appeler l'armure des Gémeaux, n'est-ce pas ?

Kanon se tend. Brièvement, il se demande comment l'enfant a deviné. Ce n'est pas vraiment important, bien sûr. Il ne garde l'écaille que pour déstabiliser ses adversaires, comme il l'a fait contre Phobos et Deimos. Mais cette provocation ne fonctionnera visiblement pas contre Ganymède. L'aura du jeune Sculpteur de Lumière est étrangement vide de toute émotion, hormis cet amusement qui transparaît sur son visage. Et, de toutes façons, il est probable que d'autres adversaires plus puissants succèdent à celui-ci. Autant être prêt.

Un rugissement de pouvoir emplit les oreilles de Kanon au moment où il appelle à lui l'armure des Gémeaux. Un flamboiement doré emplit l'espace et, l'instant d'après, l'écaille du Dragon des Mers a disparu pour être remplacée par une cuirasse étincelante de puissance.

_Ainsi, l'armure d'or des Gémeaux est vraiment revenue, observe Ganymède avec une sorte de fascination. Quand je pense que nous vous avons envoyé des illusions exprès pour vous tromper...

_Pour autant que je sache, répond Kanon en se préparant à attaquer, l'armure des Gémeaux est la seule à être revenue. A moins qu'Adonis... Peu importe.

Un cosmos intense vient nimber la silhouette du chevalier Gemini.

_Maintenant que je porte cette armure, il ne te reste plus qu'à mourir !

***

Lumen tend le doigt.

_Tu les vois ?

Hector hoche la tête après une seconde. Oui, il les voit. A quelques mètres seulement de Kanon et Ganymède qui ont repris leur combat, trois silhouettes indistinctes sont en train de se faufiler jusqu'au seuil de la Maison du Bélier, presque invisibles dans la lumière du jour.

_C'est assez impressionnant, admet le commandant des Bersekers.

Lumen hausse les épaules.

_C'est l'une des techniques de base des Sculpteurs de Lumière. Ca ne tiendrait pas contre quelqu'un comme Kanon s'il n'était pas distrait par Ganymède. Une fois qu'ils auront traversé la Maison du Bélier, ils iront débusquer tous les autres chevaliers qui pourraient protéger les onze Maisons restantes. Je ne pense pas qu'il en reste beaucoup.

Hector hoche la tête, mais sa main se resserre néanmoins sur sa lance.

_Il n'empêche que les renforts que nous avons sentis seront là d'un instant à l'autre, observe-t'il. Idéalement, il nous faudrait avoir éliminé toute résistance ici avant de leur faire face.

Lumen ôte une poussière imaginaire sur son armure.

_Et bien, d'après le plan, fait-il en souriant, ce sera à toi de monter l'offensive principale une fois que le combat entre Kanon et Ganymède sera terminé. Si Ganymède gagne, vous pourrez être tous les deux pour traverser les douze Maisons. Sinon, tu devras te débrouiller tout seul avec l'aide de mes autres Sculpteurs de Lumière.

_Et toi, où est-ce que tu vas ?

_Star Hill ! répond Lumen avec superbe.

_Tu tiens vraiment à mourir ? demande Hector, à demi-amusé.

_J'ai très envie de rencontrer enfin ces chevaliers élémentaires, fait Lumen. Surtout celui d'entre eux qui a pu dégager le cosmos que nous avons ressenti tout à l'heure. Mais je serai prudent, autant que possible.

_Prudent ou pas, si tu vas les affronter, je ne parierais pas sur tes chances.

_Eh, j'ai quelques tours qui pourraient même impressionner un chevalier élémentaire, je suis sûr, répond Lumen en souriant de nouveau.

Hector éclate de rire sans pouvoir se retenir. Cela fait tellement de temps qu'il n'a pas rit, qu'il n'en a pas eu l'occasion. Et pourtant, en cet instant où il dirige le combat le plus meurtrier qu'il ait jamais connu, il ne peut pas s'en empêcher.

_Je comprends pourquoi Arimaspe ne peut pas t'encaisser, finit-il par dire. Tu es vraiment d'une arrogance sans égale.

_La fausse modestie n'a jamais été mon fort, dit Lumen en rejettant en arrière une mèche qui lui est tombé sur les yeux.

_Je vois ça, oui, fait Hector, toujours amusé.

Un bref instant de silence passe entre les deux guerriers. Puis Hector tend la main et Lumen la serre.

_Je ne crois pas que nous nous reverrons dans cette vie-ci, dit Hector en haussant les épaules. Mais, d'une façon ou d'une autre, nous laisserons aux chevaliers d'Athéna de quoi se souvenir de nous. Surtout, fais attention à mon frère. Troïlos est devenu très puissant...

Lumen hoche la tête, mais ne répond rien. Lui aussi sait que, même si les forces de l'Olympe reste toujours les plus nombreuses, les troupes d'Athéna sont néanmoins beaucoup plus puissantes que Zeus lui-même ne semble l'avoir prévu. Leur victoire ne s'achètera pas sans beaucoup de morts, et possiblement les leurs, étant en première ligne. Le fait de mourir ne le dérange pas. Ni même le fait de perdre. Les lèvres de Lumen se plissent en un sourire. A condition que son adversaire ait au moins la puissance d'un dieu.

Un nouvel instant de silence s'écoule. Puis Lumen se détourne et prend le chemin de Star Hill. Alors qu'il quitte le promontoire où il se trouvait, Hector voit la lumière se déformer autour de lui comme au travers d'un prisme aux éclats multiples. Et puis, tout à coup, Lumen disparaît à ses yeux.

Hector se laisse aller à une sorte de rêverie l'espace d'un instant avant de redevenir véritablement le commandant inflexible des Bersekers. Quoi qu'il advienne, c'est maintenant à lui seul de diriger cet assaut et d'évaluer toutes les contingences possibles. Les renforts du Sanctuaire vont commencer à arriver dans moins de deux minutes. Il est assez improbable que la garde rapprochée d'Arès réussisse à les vaincre tous, compte tenu de la puissance qu'il perçoit, mais le combat sera certainement long et serré, avec des pertes des deux côtés. En cet instant même, les trois Sculpteurs de Lumière sont en train d'envahir secrètement le Sanctuaire. Même si leur force ne peut se comparer à celle de Ganymède ou de Lumen, ils parviendront sans doute à éliminer la plupart de ceux qui s'opposeront à eux. Il ne reste probablement plus beaucoup de guerriers qui défendent les douze Maisons. Quel que soit le résultat du combat entre Ganymède et Kanon, Hector est raisonnablement certain de pouvoir triompher de toute opposition à lui seul.

Ce qui le préoccupe surtout, comme toujours, c'est ce sur quoi il n'a pas le moindre contrôle. Dans cette situation, ce qui se déroule sur Star Hill. Pour autant qu'il sache, les forces de l'Olympe qui ont été envoyées là-bas ont été détruites, laissant la voie libre aux chevaliers d'Athéna. A Star Hill se trouve au moins un chevalier élémentaire, peut-être plus. Et qui sait ce qu'ils pourront y trouver...

Lumen est parti pour Star Hill et cela réconforte quelque peu Hector, qui a déjà eu des aperçus de la puissance considérable du Sculpteur de Lumière. Mais, contre Troïlos au zénith de sa puissance, il sait que même lui aura du mal, en dépit de toutes ses ressources.

Hector hausse les épaules. Il ne peut rien y faire. Pour le moment, il ne peut qu'attendre l'issue du combat qui se déroule devant lui.

***

Devant la Maison du Bélier, le combat se poursuit dans une furie indistincte, où les coups pleuvent de chaque côté, sans toucher encore vraiment. Protégé par la fabuleuse armure d'or des Gémeaux, Kanon a recours à toute sa puissance immense. Face à lui, Ganymède se repose essentiellement sur sa vitesse hors du commun.

Kanon bat en retraite l'espace d'un instant pour mieux lancer une contre-attaque. Il est légèrement étonné malgré lui par le style de son adversaire. Kanon sait que chacun de ses gestes se fait à la vitesse de la lumière, et qu'ils devraient donc être à égalité au point de vue de la rapidité. Mais les réflexes surnaturels de Ganymède et la fluidité stupéfiante de ses mouvements parvient à creuser l'écart sur ce point. Cela ne lui a malgré tout pas permis d'obtenir le moindre avantage face à l'expérience de Kanon.

Une pause infime. Alors qu'il paraissait sur le point de lancer une nouvelle attaque, Ganymède vient de bondir dans les airs, léger comme un rayon de lumière. Le soleil se reflète sur son armure cristalline alors qu'il ramène son bras droit au niveau de sa taille...

_Par la comète flamboyante !

Une boule de foudre apparaît dans le creux de sa main au moment où il s'abat sur son adversaire comme un prédateur. Le bruit d'une déflagration assourdissante se répercute entre les murs vides de la Maison du Bélier au moment où il porte son coup. Kanon a esquivé, se jetant de côté au dernier instant. Ganymède se redresse aussitôt, prêt à poursuivre son assaut, mais...

_Que le triangle des Bermudes t'engloutisse !

Un frémissement parcourt l'air et la lumière devient étrangement terne, grise. Ganymède s'immobilise, tendu. Autour de lui, le sol, les piliers, et même la majesté hiératique de la première Maison du zodiaque semblent déformés, comme vu à travers une vitre trouble. Il n'y a que son adversaire, dressé devant lui, qu'il puisse encore distinguer parfaitement.

Kanon voit Ganymède hésiter et devine que l'enfant est en train d'essayer de deviner la nature de l'endroit où ils se trouvent. Mais il ne compte pas lui en laisser le temps. En ce lieu, sa maîtrise de l'espace est presque totale et cela lui confère un avantage absolu.

Ganymède se raidit au moment où Kanon disparaît brusquement pour reparaître juste derrière lui. Mais il n'a pas le moindre instant d'hésitation, comme s'il s'y était attendu. Il pirouette sur lui-même, prêt à frapper... Kanon disparaît de nouveau pour réapparaître sur sa droite. Ganymède n'a pas le temps de réagir. Il esquisse tout juste un mouvement d'esquive...

_Deep Rising !!

Puis le choc terrible l'engloutit et tout disparaît.

***

La Maison du Taureau, deuxième étape des longs escaliers qui mènent jusqu'à la demeure d'Athéna. Le silence y a succédé aux bruits du combat. Dans la demeure sacrée aux somptueuses colonnes de marbre, trois silhouettes se tiennent debout et deux autres sont étendues sur le sol froid.

Astrios et Astreya, les deux chevaliers d'argent qui n'aimaient pas se battre, ont malgré tout résisté jusqu'au bout, comme en témoignent les nombreuses blessures qu'arborent les trois Sculpteurs de Lumière. Mais, en fin de compte, ils n'ont pas su faire face aux illusions redoutables que projetaient leurs adversaires et ils sont tombés tous les deux, le frère, puis la soeur. Ils respirent encore, mais ce n'est plus qu'à peine. Sans un mot, l'un des Sculpteurs de Lumière s'avance vers eux, revêtu de son armure étincelante. Il lève le bras pour frapper... et une douce mélodie l'arrête au moment même où il s'apprêtait à donner la mort.

_A ce que je vois, des rats se sont introduits au Sanctuaire malgré la vigilance de Kanon.

Celui qui vient de parler se tient nonchalamment appuyé contre un mur, resplendissant dans son écaille flamboyante, et une flûte dorée est à ses lèvres. Ses yeux rouges regardent les serviteurs de Zeus d'un air moqueur.

Pris au dépourvu l'espace d'un instant, les trois Sculpteurs de Lumière se reprennent aussitôt et déploient leur puissance. Plusieurs dizaines de reflets apparaissent autour d'eux, les rendant impossible à discerner, tandis qu'ils s'avancent à pas prudents de façon à encercler le général de Sirène. Mais Sorrento rit.

_Je suis désolé pour vous, mais de simples rats ne peuvent pas faire grand-chose quand vient le joueur de flûte. Ils ne peuvent que le suivre jusqu'à leur mort. Ecoutez votre propre marche funèbre...

Une minute plus tard, tout est terminé, et les trois corps convulsés des serviteurs de Zeus gisent sur les dalles de pierre. Interrompant finalement sa mélodie mortelle, Sorrento va rapidement vérifier qu'Astrios et Astreya sont encore en vie. Puis, constatant qu'ils ne risquent pas de mourir immédiatement, il s'assied en tailleur à même le sol, au milieu de la demeure de nouveau silencieuse.

_Apparemment, c'est désormais à moi de défendre la Maison du Taureau, observe-t'il à mi-voix. Kanon, j'espère pour nous deux que ce ne sera pas nécessaire.

***

Une nova entre en éruption. Kanon se retourne brusquement. Il avait cru Ganymède mort après qu'il soit venu s'écraser contre le parvis de la Maison du Bélier, mais...

Une main devant les yeux pour se protéger de la clarté éblouissante, Kanon voit le jeune Sculpteur de Lumière se relever avec difficulté. Son armure de cristal a été pulvérisée par l'impact comme si elle n'avait été faite que de verre et la tunique blanche du jeune guerrier est trempée de sang. Pourtant, la puissance qui émane de lui est encore supérieure à ce qu'elle était quelques minutes auparavant.

_Mon maître dit toujours que nous ne finissons jamais de progresser.

C'est Ganymède qui vient de parler, d'une voix calme malgré la douleur qu'il doit nécessairement ressentir.

_Il dit aussi que seul un adversaire véritablement valeureux peut nous permettre de continuer de nous améliorer lorsque nous croyons avoir atteint une limite. Je dois donc vous remercier, chevalier Kanon des Gémeaux.

_Qui est donc ce maître dont tu parles ? ne peut s'empêcher de demander Kanon.

Un sourire radieux éclaire le visage contusionné de Ganymède.

_C'est le plus puissant des Sculpteurs de Lumière, beaucoup plus puissant que moi, même maintenant. Je n'ai jamais rencontré son égal. Il s'appelle Lumen. C'est lui qui m'a appris tout ce que je sais.

_C'est lui qui a fait d'un enfant un tueur sanguinaire, riposte Kanon avec une grimace.

_Ne parlez pas de ce que vous ne comprenez pas, chevalier Kanon, répond Ganymède en secouant la tête. Sans mon maître, je ne serais rien. C'est par respect pour lui que je me bats.

_C'est une raison idiote, fait Kanon avec agressivité.

_Elle en vaut une autre, dit Ganymède en écartant les mains d'un air évasif. Et vous, chevalier Kanon, pourquoi vous battez-vous ? En toute logique, vous auriez dû mourir lors de la bataille contre Hadès. Qu'est-ce qui vous a ramené ? Vous sentez-vous encore coupable des morts dont vous êtes la cause ?

_Je ne tiens pas à exposer mes raisons, ni à philosopher en vain, rétorque Kanon, se remettant en garde. Et, si j'agis comme je le fais, ce n'est aucunement pour apaiser ma conscience.

Un instant, Ganymède semble vouloir répondre quelque chose... Puis il hausse les épaules et se jette brusquement sur Kanon, qui est cette fois presque pris au dépourvu. La vivacité du jeune Sculpteur de Lumière s'est encore accrue, et c'est à peine s'il semble encore effleurer le sol. Confronté à une grêle de coups fulgurants, le chevalier des Gémeaux est acculé sur la défensive, bloquant ou parant chaque attaque sans avoir la moindre occasion de riposter. Bientôt, il est forcé de reculer pour ne pas être débordé par cette offensive. Mais Kanon ne perd pas son sang-froid. Lentement, très lentement, il réduit la distance entre Ganymède et lui, guettant le moment propice. Attendre... Attendre... Maintenant !

Le poing de Ganymède fuse comme une étoile filante mais Kanon ne tente pas de le contrer. Au lieu de cela, il choisit de lancer sa propre attaque pendant l'instant infime où Ganymède est à découvert.

_Par l'illusion démoniaque !

Kanon ressent l'impact du coup qui vient le frapper en pleine poitrine, mais il n'éprouve aucune douleur car, l'instant d'après, le rayon mental vient frapper son adversaire en pleine tête. A présent, il ne lui reste plus qu'à... A présent, il... A présent...

La conscience de Kanon envahit l'esprit de Ganymède sans rencontrer la moindre résistance. Un esprit... vide, blanc, désert. Il ne s'y trouve aucune émotion, aucun sentiment, rien sur lequel il puisse avoir la moindre prise pour exercer un quelconque contrôle. Pas totalement vide, pourtant. Des images y sont enfouies, profondément. Des images - des souvenirs ? - brusquement ramenées à la surface par l'attaque de Kanon et qui affluent tout à coup dans son propre esprit.

Une goutte de sang perle à la naissance des cheveux de Ganymède...

(Noir. Faim. Froid. Douleur. Peur.)

...coule sur son front...

(La nuit est noire, seulement éclairée par les éclairs répétés. Une voix. Plusieurs voix qui crient. Qui sont en colère contre lui.)

...dessine une arabesque écarlate au coin de son oeil...

(Les coups pleuvent avec la même régularité que les gouttes de pluie, sans jamais s'arrêter. Il hurle, hurle à en perdre la voix.)

...glisse le long de sa joue...

(L'éclat terne d'un couteau. Cette fois-ci, ils vont le tuer. Cette fois-ci, cette fois-ci, ils vont vraiment le tuer. C'est ce qu'ils sont en train de crier en le frappant.)

...atteint sa mâchoire...

(Il faut que quelqu'un l'aide. Par pitié, il faut que quelqu'un l'aide, QUE QUELQU'UN L'AIDE !!!)

...tombe...

(Un éclair blanc derrière ses paupières.)

...et vient s'écraser contre le sol de pierre.

(Les flaques d'eau sont rouges autour de lui. La pluie ruisselle sur son visage. Le couteau est dans sa main. Il n'y a plus de cris, plus de coups, plus rien.)

Ganymède incline la tête légèrement sur le côté et sourit.

_Est-ce que ce que tu as vu t'as plu ?

Et, pour une fois, Kanon ne trouve rien à répondre.

_Vous autres, les chevaliers d'Athéna, avez pour mission de protéger les autres, n'est-ce pas ? poursuit Ganymède, dont les lèvres se crispent. Mais il n'y avait personne pour me protéger quand j'avais besoin d'aide. Vous n'étiez pas là. J'ai prié, pourtant, prié pour que quelqu'un vienne me secourir. Mais personne n'est venu. Vous ne m'avez pas protégé. Pourquoi... Pourquoi est-ce que...

Un éclair de rage embrase brusquement les yeux sombres du jeune Sculpteur de Lumière et son cosmos se met à flamboyer avec une furie infernale.

_POURQUOI EST-CE QUE VOUS N'ETIEZ PAS LA QUAND J'AVAIS BESOIN D'AIDE ?!!!

Kanon se tend. Il n'a pas de réponse à apporter. Ce n'est pas son rôle. Il ne peut même pas se permettre de faire preuve de pitié à l'égard de cet enfant, parce que c'est également son adversaire. La chose la plus miséricordieuse à faire est encore d'achever ce combat très vite. Maintenant que Ganymède dévoile enfin ses émotions, il est aisé de deviner ce qu'il va faire. Il va attaquer, attaquer de toute sa vitesse, sans accorder la moindre pensée à sa propre protection. Kanon sait qu'il ne pourra pas se montrer plus rapide, mais, s'il parvient à éviter cette attaque, il aura alors une occasion parfaite pour contre-attaquer. Mais... est-ce qu'il sera possible de l'éviter ?

Ganymède se précipite en avant avec rage, la main droite brandie au niveau de sa tête, le bras comme enveloppé de flammes aveuglantes.

_Par le sabre incandescent !

La main descend en une courbe porteuse de destruction. Kanon la voit, mais il attend le tout dernier moment pour se jeter de côté. Là ! Une gigantesque faille déchire le parvis de la Maison du Bélier, mais Kanon a esquivé. Maintenant est le moment idéal pour riposter. Maintenant ! Maintenant !

_Par l'Ange de la Vengeance !

Une explosion de cosmos qui nimbe Ganymède comme une seconde peau tandis qu'il percute son adversaire de plein fouet. Submergé par la vague d'énergie terrible, Kanon part en arrière, incapable de faire quoi que ce soit pour se défendre, incapable de comprendre. Enchaîner si rapidement deux attaques d'une telle puissance... Cela aurait dû être impossible ! Mais...

Kanon va heurter violemment le sol. Son armure d'or étincelante est couverte d'un entrelac de fissures profondes. C'est incroyable, songe le chevalier des Gémeaux tandis qu'il s'efforce difficilement de se relever. Il y avait une telle concentration d'énergie dans cette dernière attaque... Kanon parvient finalement à se remettre debout. Il a un goût de sang dans la bouche.

_Le combat sera fini dans une seconde, Kanon, lâche froidement Ganymède. Ton armure t'a sauvé la vie, mais c'est terminé.

Kanon a un rictus. Ainsi va donc finir son existence. Peu importe, au fond. Il a tant de fois échappé à la mort déjà. Mais il ne disparaîtra pas sans accomplir au moins une chose.

_Ganymède, demande-t'il, articulant les mots avec difficulté, pourquoi te bats-tu avec les troupes de Zeus ? Pour quelle raison ?

_Je te l'ai déjà dit, répond Ganymède avec indifférence. Je me bats pour mon maître. Je me moque bien de Zeus et des autres dieux de l'Olympe, qui n'ont pas plus répondu à mes prières qu'Athéna. Si c'était possible, je voudrais qu'ils s'entretuent tous au cours de cette guerre.

Kanon a une grimace de douleur. Même si son armure l'a effectivement protégé lors du dernier coup, elle n'a pas encaissé l'intégralité de l'impact. Il sait qu'il a subi des blessures sévères. Mais cela n'a plus trop d'importance.

_Dans ce cas, dit-il d'une voix tendue, il est effectivement temps de conclure ce combat. Et je jure de te toucher, cette fois.

Ganymède ne répond que d'un sourire mauvais. Puis il se lance en avant, fondant sur son adversaire de toute sa rapidité démesurée. Et Kanon l'imite, qui a intensifié au maximum son cosmos gigantesque. Et lorsque le chevalier des Gémeaux et le Sculpteur de Lumière se rencontrent enfin, la déflagration qui s'ensuit fait voler en éclat les colonnes qui se tenaient à proximité et trembler les piliers blancs de la Maison du Bélier.

Puis le silence revient. Les deux adversaires se tiennent face à face, immobiles, haletant. La main de Kanon s'est arrêtée à un cheveu de la tête de Ganymède. Celle de Ganymède est plongée dans le coeur de Kanon. Un instant s'écoule. Puis Kanon s'écroule en arrière dans une gerbe de sang, sous les yeux de celui qui a été son adversaire. Ganymède regarde le chevalier vaincu et se demande ce qu'il a voulu accomplir lors des derniers instants de son existence. L'attaque de Kanon n'était pas physique, mais mentale, et il sait qu'elle l'a touché. Pourtant, il ne sent aucun changement en lui, si ce n'est que la haine qu'il ressentait s'est finalement apaisée et qu'il se sent de nouveau calme. Peut-être Kanon n'a-t'il pas eu l'occasion d'achever son attaque. Peut-être...

_Beau travail ! Je suis impressionné, malgré tout ce que Lumen m'avait dit de toi.

Ganymède se retourne pour trouver Hector devant lui. Le commandant des Bersekers sourit en lui tapant sur l'épaule.

_Que dirais-tu maintenant d'accomplir quelque chose que personne n'a jamais réussi auparavant ? Franchir les douze Maisons du Zodiaque et prendre la vie d'Athéna.

Ganymède semble réfléchir un instant, puis il sourit. L'idée est attrayante.

_Allons-y !

Hector hoche la tête.

_Dépêchons-nous, même. Les renforts du Sanctuaire seront là dans une seconde et...

Une vibration dans l'air. Hector se retourne, sa lance entre les mains. Trois silhouettes viennent de se matérialiser à quelques mètres seulement de lui. Leurs ennemis, déjà ? Comment ont-ils fait pour franchir sans combat l'obstacle de la garde d'Arès ? Puis Hector réalise de qui il s'agit et c'est de la surprise qui apparaît dans son esprit.

_Geste ! s'exclame Ganymède en riant. Tu t'es remis ?

_Salut Gany ! répond son jeune ami, souriant dans son armure noire de jais. Oui, je suis remis de ton coup sur la tête. Et je suppose même que je dois te remercier à ce sujet.

Ganymède hausse les épaules, l'air embarrassé. Geste a l'air beaucoup plus calme que lors de son combat contre Phénix, mais ses cheveux ne sont pas revenus à leur couleur d'origine. Ils sont toujours d'une teinte indistincte, quelque part entre le bleu et le gris.

_Geste, interrompt Hector, pourquoi est-ce que tu les a amenés ?

Geste a l'air surpris.

_Et bien, essaie-t'il d'expliquer, ils sont venus me trouver lorsque je me suis réveillé et m'ont dit que je devais les amener au Sanctuaire, alors...

_Tu n'as pas l'air très heureux de nous voir, Hector, coupe Sylphia/Thidiakyne avec un rictus amusé. Je me demande pourquoi...

_Qu'est-ce que vous faites là ? tranche sèchement Hector.

_Nous sommes venus observer les opérations, répond Meyastes/Inachos d'une voix sans expression. Cela paraissait intéressant.

Un long moment de tension s'écoule entre le commandant des Bersekers et les deux chevaliers élémentaires. Pendant ce temps, Geste est allé jusqu'au parvis de la Maison du Bélier et il regarde le corps de Kanon avec une expression étrange. Cet homme étendu au sol, mort, et qui ressemble tellement à son père...

_Bon, très bien, finit par dire Hector. Vous nous accompagnerez pendant l'ascension. Mais qu'une chose doit claire. C'est *moi* qui donne les ordres.

_Bien entendu, répond Sylphia, l'air mauvais.

_Alors allons-y.

_Parce que tu t'imagines peut-être que nous laisserons qui que ce soit franchir cette demeure ?

Hector se retourne, légèrement surpris. Deux nouveaux chevaliers viennent d'apparaître juste devant la Maison du Bélier et leur barrent le chemin d'un air résolu. Ils ont enflammé leurs cosmos et semblent prêts à combattre.

_Je suppose que je devrais demander qui vous êtes ? fait Hector d'un air las.

_Je suis Géki de l'Ours.

_Et moi Ban du Lionnet.

_C'est très bien, fait Hector en levant les yeux au ciel. Vous êtes deux chevaliers de bronze qui faites face à un homme qui a plusieurs siècles d'expérience derrière lui. C'est très courageux. Et maintenant, mourrez !

Hector fait un geste de la main. Un coup fuse, plus vite que les yeux ne peuvent suivre. Ban et Géki volent en arrière, catapulté par une force démesurée, et vont s'écraser lourdement au seuil de la Maison qu'ils comptaient défendre.

_A présent, il est temps d'inscrire deux pertes supplémentaires pour le camp d'Athéna, fait Hector en s'avançant avec désinvolture, sa lance à la main.

_Un instant !

Hector s'arrête. Une jeune femme aux longs cheveux d'un vert sombre vient d'apparaître devant lui, revêtu d'une armure étrange.

_Tu es ?

_Je m'appelle Sayan, rétorque la jeune femme. Je ne comprends pas ce qui se passe ici, mais je ne te laisserai pas tuer comme ça ceux qui m'ont fait traverser la moitié du globe pour arriver ici.

Un instant de silence absolu s'ensuit. Mais une étrange sensation, comme un bourdonnement, traverse l'esprit de Meyastes et de Sylphia, qui se tiennent derrière Hector, de Sayan qui leur fait face, et même de Shina et Algébia à Star Hill. Et c'est alors qu'ils réalisent, dans un recoin de leur esprit.

Pour la première fois depuis des siècles, les cinq guerriers élémentaires vont être réunis.

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Cette fiction est copyright Romain Baudry.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.