Chapitre 36 : Me voici


- " Dis-moi qui était Marine. "

Apollon sourit à la franche question que lui posait le jeune Seiya alors qu'ils gravissaient solennellement les marches des arcs-en-ciel sacrés.

- " Je ne le sais pas. "
- " Tu sais tout, Apollon. "

Le sourire divin se remplit de malice.

- Tu l'as connue mieux que moi, jeune et ardent Pégase.
- Tu sais très bien ce que je veux dire, fit Seiya sans s'empourprer.
- Oh, je crois que tu sais presque tout de Marine maintenant. Elle était la fidèle servante de mon père. Sa tâche était de te former pour que tu détruises Poséidon et Hadès, ce que tu as fait avec beaucoup de brio, félicitations, d'ailleurs, je tenais à te le dire.
- Ne fais pas semblant de ne pas comprendre. D'où venait-elle? Pourquoi m'épargner alors que je menace maintenant son maître? Pourquoi a-t-elle été tuée?

Apollon était stupéfait de s'entendre ainsi questionner avec tant d'assurance et d'opiniâtreté. D'un geste sec il ramassa les plis de son immense drapé et accéléra le pas.

- " C'est pourtant évident, non? Elle t'aimait. "
Seiya resta stupide.

- " Mais… je croyais… Aiolia… "
- " Je n'ai pas dit qu'elle était folle de toi, petit imbécile. Mais il arrive que nous, qui sommes dieux depuis une éternité, nous souvenions de notre ancienne condition humaine et que nous éprouvions de l'attachement pour qui le mérite. "

Les grands yeux solaires du dieu semblèrent se voiler à ces mots, comme si un douloureux souvenir les avaient recouverts.

- " Marine a toujours existé, reprit-il. Je n'étais encore qu'un enfant que je jouais déjà avec ses belles boucles rousses. Elle était la mémoire de l'Olympe en quelque sorte. Je l'appréciais pour son aura mystérieuse. Artémis l'estimait pour sa farouche indépendance. Athéna l'aimait pour ses qualités militaires. Et elle a dû voir en toi notre futur. Comme je le vois moi-même. "

- " Marine était… une déesse ? "

- " Je n'ai jamais vraiment su ce qu'elle était. Une immortelle, sans aucun doute. Maîtrisant assez le Grand Pouvoir pour l'enseigner à la plupart d'entre nous. Sais-tu que c'est elle qui m'a appris à tirer à l'arc? Elle nous guidait, nous surplombait. Elle était notre maître. Notre Ciel incarné. "

Seiya baissa les yeux pour masquer sa douleur. " Et elle était mon humanité " finit-il par murmurer.

Sa tête était en pleine effervescence. Sa nature le poussait à agir, à essayer, à pousser toujours plus haut, toujours plus loin, et là, il suivait docilement le fils préféré de Zeus. Cela le faisait bouillir, mais il savait qu'il devait essayer cette voie.
Et les autres? Il avait senti Ikki accéder au sens ultime et s'éveiller à l'univers entier. Mais il ne comprenait encore ni comment ni pourquoi. Shiryu, lui, avait même accédé à une réalité supérieure, celle de la Justice. Une divinité immatérielle que Seiya ne soupçonnait pas encore en lui-même. Mais dont il sentait qu'au moment où il y toucherait, ce serait l'apocalypse.

Pourtant ce n'est pas cette question qui le tourmentait le plus. A la limite, il ne se la posait même pas.
La seule chose qu'il ne cessait de se demander, bercé par le pas cadencé d'Apollon, c'était où se trouvait Saori.

***

Hyôga emboîtait le pas de la divine Héra sans sourciller.

- " Il ne fait pas chaud en ta compagnie, jeune dieu…fit-elle en frissonnant. "
-" L'idée de me jeter dans la gueule du loup ne me remplit pas de folles ardeurs, divine Héra. " répondit Hyôga sans ironie.
- " Tu sembles me vouer une méfiance particulière, je me trompe? "
Marchant derrière elle, il devinait pourtant la lueur d'ironie de son regard. Il répondit sans détour.

- " Tu m'as déçu, Héra. "
- " Vraiment? " La reine des Dieux ne cacha pas sa surprise. " Et pourquoi, je te prie ? "
- " Parce que tu es la déesse des épouses et des mères, et que tu admets qu'il existe des orphelins. "

C'est sur ces paroles glaciales qu'ils quittèrent son temple et virent s'ouvrir devant eux le Grand Escalier menant vers le palais de Zeus.

***

Athéna ferma les yeux au frisson de la disparition des Elémentaires. Elles les sentait s'éloigner doucement et n'avait rien pu faire.
N'avait pu, si.
Elle n'avait voulu rien faire.
Il ne lui aurait pas été difficile, en temps normal, de mettre sa marâtre au tapis, ou même de braver son père au combat. Mais ce n'était pas ce qu'elle avait cherché en revenant ici. Et Zeus l'avait compris. Et il l'avait diminuée pour l'empêcher de nuire; elle était libérée de ses chaînes, mais mise à demeure dans les ruines de son propre temple. Et épuisée.
Elle était trop fine pour ne pas comprendre les intentions de son père. Oh oui, elle comprenait très bien. Simplement, elle ne parvenait pas à l'admettre. Elle se souvenait de ses gestes d'amour, de ses parti-pris en sa faveur, de ses clins d'œil complices. Que s'était-il passé ? Elle ne pouvait pas s'être leurrée à ce point… Elle ne pouvait pas être issue de ce monstre. Quelque chose devait s'être passé, qu'elle seule pouvait découvrir. Et cette idée lui redonna un peu de courage.

Elle leva des yeux fatigués vers son geôlier.

- " Héphaïstos " murmura-t-elle, " je t'en prie, parle-moi. "
- " Que veux-tu que je te dise. "
- " Il fut un temps où nous nous entendions si bien que je n'avais pas besoin de te questionner pour savoir ce qui n'allait pas. "
- " Tu as fait tuer ma femme, voilà ce qui ne va pas. " bougonna le forgeron.

Elle se tut, puis s'enhardit. Héphaïstos l'aimait tendrement depuis toujours ; elle pouvait tout oser.

- " Tu sais pourtant que c'était nécessaire, reprit-elle après un long silence. Et ne va pas me faire croire que tu la pleures, je te connais trop bien ! "

Après un court moment de stupéfaction, il se mit à hurler :
- " Comment oses-tu dire une chose pareille, Athéna ?!!!! Tu… tu sais bien que… "
- " Oui, je sais bien toute la répulsion que son infidélité t'inspirait, tout le dégoût que tu avais de ton frère, et de leur liaison, Héphaïstos ! "
A ce moment elle posa la main sur son épaule.
- " …Et je sais aussi la tendresse que tu as pour moi. Alors ne fais pas semblant d'être mon ennemi. "

Elle plongea ses yeux pers dans le regard du Dieu et le vit faible comme un enfant. Elle avait presque gagné.

" Tu cherches à m'hypnotiser, Athéna. N'oublie pas que moi aussi, je te connais. " fit-il pourtant en détournant la tête. " N'espère pas que je vais te laisser faire avant la reprise de ton procès. "
- " Quel procès? Il a été suspendu, rappelle-toi. Apollon et Artémis se chargent des négociations. "
- " Il reprendra très bientôt. " répondit-il en lui tournant le dos.
Les mains désormais libres d'Athéna se crispèrent sur le marbre d'une colonne.

- " … Que veux-tu dire, mon frère… "
- " Tu as très bien compris ce que je veux dire, ma sœur bien-aimée. "

***

Le vol d'Ikki n'avait ni commencement ni fin. Il surplombait de ses ailes divines l'immensité de l'Olympe. La chaleur de ses ailes était désormais bienveillante, douce, et puissante. Feu destructeur ou feu purificateur, Ikki incarnait désormais quelque chose de sacré, une flamme qu'on ne peut atteindre, et qui nous brûle, nous attise, nous pousse vers l'infini.
Ses ailes finirent par se poser.

Elle était là.
Shina.
Morte comme elle avait vécu, dans le sang et le sacrifice de soi. Ikki passa la main dans la chevelure qui lui rappelait tant celle de son frère, et la considéra, dans toute sa beauté, dans toute sa pâleur, son sang l'ayant quitté. Il ne s'était jamais rendu compte à quel point elle ressemblait à Shun. Et à Esméralda. Une douleur passa dans ses yeux.

Et c'est à ce moment qu'il eut une autre perception. De lui-même. De ce qu'il était. Il y voyait clair, à présent, au milieu de ces colonnes sombres, penché sur le corps de sa camarade de combats. Cette douleur, il l'aimait. Elle était son être profond, sa véritable existence. Ce pressentiment sacré qui bouillonne dans tout votre être et qui seul vous amène à la compréhension de l'extérieur. Ce feu qui vous brûle et qui vous régénère. Cette force que vous tirez de la contemplation de la Mort en face.
Il était le Destin, tout simplement, ce Destin qu'il avait si souvent combattu, contre lequel il s'était toujours rebellé, et dont, jusqu'ici, il croyait être le prisonnier. Alors qu'il n'était rien d'autre que lui-même.

Puis ce fut un frisson.
Seul les sens survoltés du jeune dieu pouvaient le sentir désormais. Le frisson de la vie.

Il se détacha pour la contempler. Etendue sur le ventre, baignant dans le rouge de son sang, dans les débris de son armure, son cœur battait.
Non, pas son cœur, son ventre.
Ikki sentit de douces palpitations la parcourir.

Elle rampait.

Elle ne bougeait pas les bras, ne bougeait pas les jambes, mais elle avançait. Elle rampait comme un serpent, puisant sa force et sa souplesse dans le sol qu'elle embrassait de tout son corps. Non plus le serpent, non plus la Terre, mais la force la plus puissante qui soit : l'alliance des deux, de la créatrice et de la créature, le Serpent devenu un avec le Sol. Elle absorbait à nouveau son propre sang et s'en nourrissait.

Ikki sourit en la reconnaissant.

- " M'entends-tu, Gaia ? "
Et elle siffla doucement entre ses dents :
- " Oui, divin Ikki à qui rien n'échappe. "

Elle se releva d'une ondulation souple et mystérieuse.

- " Comme les monstres des légendes tu reprends vie au contact de la Terre. Ainsi voilà ce que dissimulait vraiment ton nom…La Terre mère, et son incarnation, le Serpent originel dont le ventre épouse chaque mouvement du sol. Pytho. Echidna. Tu es tout cela et l'as toujours été, petite Shina, chevalier d'argent du Serpent. D'ailleurs, à sentir le goût tellurique et solide de ton cosmos, je suppose que tu n'as plus de problème de double personnalité, maintenant… "

Il ne reconnut pas tout à fait l'expression apaisée de Shina. En fait, il n'avait jamais vu Shina apaisée. Elle l'était désormais. Pleinement, divinement. Elle était enfin elle-même.

- " La Shina que tu connaissais est morte, comme tu l'as remarqué. Je suis aussi Pytho en effet, je le sais désormais. Et tellement d'autres déesses-serpents. Gaia est le nom que l'on m'a donné en Grèce, et il m'a fallu ta chaleur pour m'en souvenir, mon ami. Je te remercie, tout va bien pour moi à présent. Il est temps que j'aille voir ce qui se passe de plus près, car ma Terre est en danger. "
- " Tu sais que nous sommes là pour nous en occuper. "

Il y eut un silence.

- " D'ailleurs, je trouve ton attitude étrange… " reprit-il. " Une question me brûle les lèvres, je voudrais comprendre. "
- " Quoi, Ikki ? "
- " Tu es la Terre. Pourquoi te mettre au service d'Athéna en tant que Chevalier élémentaire, et simple chevalier d'argent? "

Shina, puisque est plus facile de lui donner ce nom, sourit, et ses yeux couleur de feuillage s'illuminèrent.

- " Athéna faisait bien mon travail à ma place, mon ami. Zeus m'a tout pris, mon époux, mes enfants, la domination de ce monde. Il était plus sage pour moi de me faire oublier. La meilleure solution était encore de me mettre au service discret de sa fille, pour qui j'ai toujours eu une grande estime et qui me l'a toujours rendue. Voilà, tu sais tout. "

Une malice discrète plissa les lèvres d'Ikki lorsque pensa aux statues d'Athéna recouvertes de franges de serpents. C'était pourtant évident. Les deux déesses marchaient main dans la main depuis le début. Le tout début. Il ne put s'empêcher un clin d'œil :

- " Et dire que tu rêves secrètement de massacrer Saori, hypocrite … "

Et ils quittèrent les ruines en riant.

***

Le temple d'Athéna. Même s'il était désormais en ruines, quand Orphée et Astérion le virent droit devant eux, ils ne furent pas dépaysés. Le Sanctuaire Terrestre avait été fait à son image, il avait tenté de reproduire sa lumière un peu crue et sévère, mais si rassurante dans sa grandeur et sa stabilité.
Par contre, Saori, qui aurait dû se sentir chez elle, fut bouleversée. Non pas parce qu'elle s'y reconnaissait, mais parce qu'elle y était une totale étrangère.
Dans son cœur à elle aussi, c'était la chamade.

Qui était-elle, en fin de compte?

Elle avait toujours cru être différente de Julian, non pas une simple enveloppe charnelle humaine qu'un dieu aurait empruntée, mais la déesse elle-même, sous une autre forme. Or il fallait bien se rendre à l'évidence. Athéna avait une existence autonome. Certes diminuée, mais elle était un être à part. Alors qu'était Saori ? Même pas un être humain comme l'était Julian Solo. Rien. Un amas de chair sans identité. Le grand Pope l'avait trouvée un soir au pied d'une statue. Pas de père, pas de mère, pas d'histoire. Elle n'était même pas amnésique, les vies précédentes qu'elle avait oubliées n'étaient pas les siennes mais celles d'Athéna. Saori n'avait tout simplement pas d'âme.

Avant de s'effondrer dans les bras d'Orphée, elle serra de ses mains tremblantes son armure. Enfin… l'armure d'Athéna.

Orphée et Astérion, l'ayant pris dans leurs bras, levèrent les yeux et contemplèrent le porche du temple, encore intact. Ses colonnes doriques imposaient par leur force, leur blancheur disait la pureté, de chaque côté poussaient deux oliviers magnifiques, étincelants, immortels. Et de chaque côté de la porte, deux femmes en armure.

- " Halte, chevaliers !" tonna la première, aux épaules solides, à la chevelure dorée abondante et aux yeux noirs. Son armure avait les reflets roses de la peau des enfants. Ilithye , patronne de la douleur des accouchements.

- " Nul n'entre dans ce temple. Partez si vous tenez à la vie ! " renchérit avec grandiloquence la seconde, brunette à la peau blanche et aux cheveux lisses. Son armure avait le pourpre vif de la bouche des jeunes filles. Hébé, l'éternelle jeunesse, l'éternelle vigueur.
Placées par Héra pour surveiller sa dangereuse belle-fille.

***

Ikki eut un frisson. Il savait ce qui allait se passer. Et prit son vol sans réfléchir davantage, laissant Shina rencontrer le Destin qu'il voyait pour elle.

***

Athéna ouvrit grand ses yeux et comprit que tout allait se précipiter. Saori était là, tout près d'elle. Quel que soit son état de fatigue, elle devait agir. Maintenant. Et redevenir la Guerrière qu'elle avait toujours été.

***

Pendant ce temps, Héra et Hyôga étaient arrivés devant les portes du palais de Zeus. Le jeune chevalier-dieu resta imperturbable devant une architecture aveuglante de lumière, devant des portes gigantesques, couvertes de feuilles d'or, niellées de pierres rares et flamboyantes, devant l'immense tapis de pourpre qu'il foulait.
Plantées de chaque côté des portes, les gardiennes de la demeure du Ciel, les Saisons, garantes de l'immortalité du cycle des jours. Chacune tenait dans sa main un sceptre divin des Heures. Dans leur pose hiératique, elles protégeait depuis des milliers d'années ce sanctuaire.

Mais quand Hyôga passa les portes, précédé de la Reine, même Hiver ne put s'empêcher de souffler dans ses mains pour se réchauffer.

Après les portes, ce n'était qu'une étendue sans fin de colonnades, de tableaux, de sculptures, de tapisseries précieuses et d'arbres fruitiers. Sans doute des siècles terrestres étaient en train de s'écouler pendant que Hyôga arpentait le divin corridor, à moins que ce ne fussent que quelques secondes. Il ne jeta pas un regard aux exploits titanesques de Zeus racontés sur les murs, sur les sculptures faites par Héphaïstos, les peintures d'Apollon, les tapisseries d'Athéna tissées pendant ces milliers d'années. Et enfin ce fut une nouvelle porte, une nouvelle salle.

Il s'attendait à être amené dans le tribunal. Pas du tout. Il était dans le cabinet privé de Zeus, la chambre secrète du Dieu des dieux lui-même. Assis simplement sur des coussins, le Maître du Cosmos, une coupe de vin à la main. Et debout près de lui, Apollon. Et Seiya.

- " Hyôga, mon frère… " murmura Pégase.
- " Je crois que nous ne sommes pas là pour les effusions, mon frère. Nous sommes en grande compagnie. "

Seiya ne put retenir un sourire moqueur devant l'air solennel de Hyôga. Pas plus que lui, il n'était impressionné par la circonstance, mais cela se traduisait d'une autre façon, par cette liberté de ton qui lui était si familière quand il était mortel, et qu'il garderait toujours.

Zeus ne jugea pas bon de se lever pour parler. Sa voix puissante forçait tant le respect qu'il n'avait pas besoin d'adopter une pose convenue. Il ferma les yeux en dégustant le vin de Dionysos, puis prit la parole en ces termes :

- " Je ne suis pas mécontent de te revoir, Pégase. Cela fait, au sens propre, une éternité que je t'attendais. Mais te voir accompagné de la sorte, et dans un tel fracas, même Apollon ne l'avait pas prévu… "

L'Astre Solaire détourna son regard et il fit plus sombre d'un coup dans la pièce.

- " Tu me voulais ? Me voici. Mais qu'exiges-tu de moi, Zeus, après avoir tenté de me tuer, et de faire mourir ta fille adorée ? " demanda calmement Pégase.
- " Un peu de respect, gamin " lâcha sèchement Héra, qui serra dans sa main droite les plis de sa cape de paon. Cependant Zeus ne sembla réagir en rien à cette provocation.
- " Vous n'êtes pas sans savoir que l'Olympe est la proie de barbares venus du Nord - Hyôga sursauta à ce mot - et qu'il sont difficiles à contrôler. Or beaucoup des miens sont morts. Beaucoup des vôtres aussi. Ma proposition n'est donc pas seulement simple, elle est évidente : une trêve. Il s'agit d'unir nos forces déclinantes contre un ennemi redoutable. "

- " Une… alliance? cria Seiya, hors de lui. Ce n'est pas ce que tu oses me proposer, j'espère ! Mais…? Mais c'est une plaisanterie !!! Beaucoup des nôtres ont péri dans le Ragnarok, c'est vrai, mais moins que sous les coups de tes enfants, Zeus !
Tu oses me proposer de te servir en échange de la vie d'Athéna? Mais qui me dit que tu ne nous tueras pas de toute façon ??? "

La réponse ressembla à un coup de tonnerre et la voûte de la pièce s'ébranla sous le grondement divin.

- " Parce que tu serais déjà mort, impertinent ! N'oublie pas qui t'a fait ! Je suis celui qui t'a fait ! Je suis celui à qui tu dois d'être ici aujourd'hui, ver de terre !!!! "

Seiya laissa échapper un sourire en coin.
- " Alors, mon cher Créateur, explique-moi vraiment pourquoi tu as besoin des vers de terre. "

***

Orphée regardait, incrédule, le sang jaillir de sa bouche, pendant que des douleurs infernales lui tiraillaient le ventre. Inutile de préciser qu'il n'avait rien vu venir lorsque Ilithye avait tourné son regard mortel vers lui.
Près de lui, Astérion subissait le plus atroce des supplices : ses bras mollissaient, ses cheveux blanchissaient, sa peau se flétrissait. La main collée sur son front, Hébé, comme une succube, lui aspirait sa jeunesse.
Orphée reconnut alors la souffrance qu'il connaissait bien et qui lui avait déjà coûté la vie, il y a très longtemps : ses entrailles étaient en train de se déchirer, comme pour l'enfantement de quelque monstre porté en lui. Ilithye allait le réduire en pièces de l'intérieur. Ses yeux se couvrirent d'un voile blanc, et se posèrent une dernière fois sur le corps évanoui de Saori, étendue sur le perron sacré, à quelques mètres de sa main tendue dans le vide.

Quelques minutes plus tard, les deux jeunes filles se serrèrent la main, satisfaites. Se débarrasser de ce cadavre éviscéré et de cette momie serait ce qu'il y aurait de plus pénible dans cette mission enfantine. Il restait à s'occuper de la petite mortelle dont les cheveux en cascade tapissaient l'entrée du temple d'Athéna.
Les instructions d'Héra avaient été très claires : une fois qu'aurait été récupérée son armure, ce qui était désormais chose faite, il fallait tuer cette fille qui risquait de redonner sa vigueur à la déesse de la Guerre. Le plus simple était encore de la réduire en poussière.

Un coup léger suffirait.
Un doigt levé.
Un éclair.

Et la main d'Ilithye fut arrêtée net.

***

Seiya n'attendit pas la réponse de Zeus et sentit son cœur se réjouir. Hyôga relâcha quelques instants l'intensité de son regard et une lueur de soulagement apparut dans ses yeux. Tout irait bien, maintenant. Ikki protégeait Saori.

***

Ilithye considéra la brûlure sur son poignet. Elle avait marquée dans sa chair la trace d'une main bouillante qui l'avait serrée, et puis rien d'autre. Quelqu'un était là, elle le savait, quelqu'un de menaçant.

Le chevalier-dieu était là; son cosmos flambait autour d'elle. Mais quand allait-il frapper?
L'air fut comme suspendu pendant de longues minutes. Un silence insondable.

L'impatiente Jeunesse n'y tint plus.
- " Montre-toi, prétentieux ! Tu as peur que les gamines te flanquent une raclée? Allez, viens, vieux machin, tu vas avoir une surprise ! "

Soudain Hébé hurla comme si on l'avait ébouillantée. La jeune femme se retourna, affolée, prête à riposter. Mais il ne semblait y avoir personne…

Puis Ilithye sembla distinguer une main, une main de flammes, prendre le bras de sa sœur, et ce fut alors une vision d'horreur.
Le bras magique de Hébé semblait se diriger de sa propre volonté, ou plutôt était comme mû par cette aura enflammée. Il se rapprochait insensiblement du front de la jeune fille.

- " Non !!!! Hébé !!! Résiste je t'en supplie !!! "
- " Je… je ne peux pas, il est trop fort !!!!! Je vais… je vais mourir !!! "
- " Montre-toi, Ikki ! Lâche que tu es !!! "

Une voix sembla alors surgir de nulle part. Profonde et terrifiante.

- " Lâche? Tu oses me dire cela, toi qui allais tuer une simple mortelle, sans défense, évanouie, toi qui as renié ta tâche de sage-femme pour mener à la mort, et non à la vie? "
Puis il ricana.
" Et toi, Jeunesse… Tu semble te croire invincible, immortelle… le Sacré, tu t'en moques, n'est-ce pas. Tu dispenses ou tu ôtes la vie comme bon te semble, comme tu viens de le faire de manière si horrible à ce pauvre Astérion. Tu méprises ce qui n'est pas de ton âge, tu as la supériorité de l'ignorant... Ai-je un jour été si arrogant ? J'espère du moins que ma morgue n'était pas si pleine de sottise. Mais tu vas savoir ce que c'est que la peur de la mort et le prix de la vigueur, petite idiote. "

Quand la main d'Hébé toucha son front, il y eut comme un surchauffement, un sifflement, et puis tout fut très rapide. Le pourpre de ses lèvres se mua en un violet froid, les roses de des joues pâlirent et se couvrirent de flétrissures, ses cheveux devinrent évanescent, tout son corps si ferme, orgueilleux et vigoureux rapetissa, se ratatina, se rida comme une vieille pomme et sécha comme la mue d'un criquet.

Ilithye restait stupide devant ce cadavre fumant qui avait été il y a encore quelques secondes sa toute-puissante sœur. A côté de la force d'Hébé, elle n'était rien. Elle pouvait faire souffrir mille morts, faire éclater les entrailles, mais qu'était son pouvoir vers ce qui pouvait de plus avoir d'entité réelle qui n'était qu'un cosmos brûlant, plus brûlant que tous les feux de l'enfer ?

Alors elle oublia tout, son instinct, son rang, sa dignité, son ancienneté et sa personne auguste, et se mit à genoux pour pleurer.
Elle supplia pour sa vie, promit de partir, de laisser Saori en vie, de faire en sorte qu'Héra n'apprenne jamais la vérité, et de travailler en secret pour les protecteurs d'Athéna. Elle promit tout pour avoir la vie sauve.

Ikki se matérialisa au dessus de cette forêt de cheveux secoués par les sanglots. Il avait passé l'âge de la pitié mais aussi du mépris. Il pensa juste à Shiryu pour sa droiture, à Hyôga pour son sang-froid, et vit dans une clarté éblouissante ce qu'il avait à faire.
Il leva le bras pour lui couper la tête.
Mais il se souvint aussi de lui-même, et de ce que lui imposait la charge du Destin et de ce qu'il en coûte de le forcer. Alors il frappa sur le crâne et se contenta d'espérer que son coup l'avait tuée.

***

Athéna tourna la tête vers le sol de sa demeure. Elle y considéra un instant, attristée, le corps d'Héphaïsos qui le jonchait. Endormir cette masse quelques instants l'avait épuisée, et il ne lui restait que très peu de forces pour faire ce qu'elle avait à faire. Elle traînait les pieds, hésitante, claudicante, manquant de tomber à chaque pas, mais elle avançait toujours, mue par ce même élan qui avait fait toujours avancer ses chevaliers. Elle pensait à Seiya, Hôga, Shiryu, Ikki et Shun, à tout ce chemin qu'ils avaient parcouru pour son Amour, et aux quelques mètres qu'elle devait maintenant parcourir pour l'Amour d'eux. Elle n'avait que très peu de temps désormais, et connaissait à son tour l'horreur de l'horloge qui tourne.
Enfin elle sortit sur le pas de son temple.

Elle était là, étendue, sa part terrestre, ses souvenirs de cette nouvelle vie incarnés dans un petit bout de femme à la chevelure couronnée de violettes, qu'on avait baptisée Saori Kido. Plus loin, les cadavres mutilés d'Orphée et d'Astérion, devant les marches du palais, semblaient rappeler à tous qu'aucun mortel ne brave impunément l'ordre olympien. Sur le côté enfin, les corps des filles d'Héra, ainsi que l'armure divine d'Athéna qui avait roulé sur les marches en contrebas.
Il flottait, en plus, une chaleur étrange dans l'air, et Athéna sourit. Elle se sentit enveloppée par la chaleur du cosmos d'Ikki.
Elle descendit doucement vers Saori et s'agenouilla près d'elle. Elle souleva un peu ses cheveux et s'amusa de la voir dormir si paisiblement devant tout ce carnage. Tout serait tellement plus facile, maintenant.

***

Ilithye se réveilla. Elle regarda autour d'elle et eut un pressentiment horrible. Elle vit le corps décrépi de sa sœur, mais plus son ennemi. Pire que tout, elle ne le voyait plus mais le sentait près d'elle, tout autour d'elle. D'un bond elle se releva, et ses sangs se glacèrent : dans une lumière aveuglante, Athéna, penchée sur Saori, qui se fondait dans le halo de son cosmos, qui se penchait, qui s'estompait, qui disparaissait….

Ce fut alors un éblouissement.
La lumière remplit l'espace de l'Olympe. Zeus frissonna et fit trembler l'univers. Le hurlement d'Héra fut strident. Seiya sourit, et Hyôga poussa un soupir.

Puis rien, rien qu'un chant d'harmonie.

Ilithye clignait des yeux mais restait aveugle. Des siècles lui semblèrent alors s'écouler. Mais non, tout se passa très vite, à la vitesse de cette immense lumière.
Le monde reprenait enfin ses couleurs. Il subsistait pourtant, sous les yeux de la petite déesse des accouchements, un halo de cosmos concentré absolument opaque, qu'elle fixait avec peur et fascination. Puis bientôt, le halo lui aussi s'estompa, et elle apparut.

Elle avait revêtu son armure. Lorsqu'elle se redressa doucement, la cascade souple de ses cheveux de violettes retomba sur les franges de son Egide. Son teint était pâle, mais son maintien était ferme et puissant, prêt à combattre et à tuer comme elle l'avait fait depuis des milliers d'années.

Et ses yeux, toujours pers, dardaient de la lumière.

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Cette fiction est copyright Laetitia Lorgeoux.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.