Chapitre 38 : La Vengeance Divine


La salle du trône de l'Olympe, le cœur même du mont sacré et immortel qui abrite depuis toujours les dieux immortels. Aucun homme, jamais, ne pourrait même imaginer la splendeur qu'avait ce lieu.

Mais désormais, ce n'est plus qu'un nouveau champ de bataille.

Un nouvel éclair jaillit du marteau de Thor, crépitant de puissance divine. Mais Zeus fait un geste de la main et il dévie brusquement de sa course et vient s'écraser contre le sol de marbre avec un bruit fracassant.

_Ce n'est pas très sérieux, dieu d'Asgard, observe calmement le maître des nuées. Crois-tu vraiment pouvoir venir à bout de Zeus avec des éclairs, aussi puissants soient-ils ?

_Si je ne peux pas te vaincre ainsi, alors j'emploierai des moyens plus directs ! gronde Thor.

Il y a un roulement de tonnerre presque assourdissant au moment où le dieu nordique brandit Mjollnir, son marteau terrible, et embrase son aura jusqu'à son extrême limite. Une clarté aveuglante enflamme l'intérieur de la salle dévastée et l'air est parcourut d'un frémissement, pareil à celui qui précède les orages les plus violent. Bientôt, le marteau divin se met à son tour à luire, jusqu'à atteindre l'éclat d'un petit soleil.

Face à cette démonstration de puissance, pourtant, le maître de l'Olympe ne réagit pas. Immobile face à son adversaire, un sourire dédaigneux sur ses traits nobles, il se permet même de croiser les bras. Le visage ravagé de Thor se crispe en voyant cela, mais il attend cependant d'être parvenu au sommet de sa force pour déclencher son attaque.

_Tu vas mourir, Zeus !! hurle-t'il en s'élançant vers lui, son arme invincible brandie.

Il y a un bruit terrible au moment où Mjollnir s'abat sur le maître des nuées toujours immobile, et les quelques piliers encore intacts de la pièce volent en éclats, et le trône doré lui-même est renversé par le souffle de la déflagration.

Puis le silence, rompu seulement par le halètement exténué du dieu nordique. Au mouvement a succédé brusquement l'immobilité et les deux adversaires se font face, leurs visages à quelques centimètres seulement l'un de l'autre.

Mjollnir s'est immobilisé tout juste avant de frapper sa cible. La main de Zeus s'est refermée sur le manche du marteau divin, juste en-dessous de la tête massive, l'arrêtant brusquement dans sa courbe meurtrière.

_Qui crois-tu tromper, fils d'Odin ? demande avec dédain le maître des nuées.

Thor s'efforce d'arracher son arme à l'étreinte de son adversaire, mais il est trop faible pour encore y parvenir. Trop faible même pour se dégager et reculer.

_Tu t'imaginais vraiment que j'allais gaspiller ma force à t'affronter alors que ce n'était pas nécessaire ? interroge Zeus, ses yeux brillant d'une lumière froide et amusée. Tu me sous-estimes. Je ne suis pas étranger à la prophétie du Ragnarok.

Thor grogne et essaye de nouveau de se libérer, mais en vain. L'autre main de Zeus s'est refermée autour de son poignet, l'empêchant de faire le moindre mouvement.

_La prophétie du Ragnarok dit que Thor périra des effets du venin de Jormungand, poursuit Zeus, moqueur. Et ce genre de prophétie ne se trompe pas. Jormungand t'as bel et bien mortellement blessé et tu as pourtant pris sur tes dernières forces pour venir me combattre et m'affaiblir un peu tout en t'assurant une mort digne. Malheureusement…

L'étreinte de Zeus se desserre brusquement et Thor tombe à genoux, incapable de plus se tenir debout. La brûlure du venin est partout et son corps est plein d'une douleur infinie, comme seul un immortel peut en endurer. Le destin du Ragnarok s'accomplit en fin de compte et il n'a pas su s'en affranchir.

_Tu ne l'emporteras pas, Zeus, articule Thor, redressant la tête pour défier encore du regard le maître de l'Olympe. Le Ragnarok s'achève avec ma mort, mais le fil de ton destin ne lui survivra que peu de temps. Il ne te reste plus qu'une poignée de serviteurs que tu peux encore manipuler et même cela ne durera plus longtemps. Très bientôt, tu seras abandonné de tous et tes plans toucheront alors à leur terme.

Les lèvres de Zeus se plissent en un sourire méprisant tandis qu'il désigne un objet posé à même le sol, dans un coin de la pièce, intact malgré la destruction qui l'entoure. C'est le sablier marquant le déroulement du procès d'Athéna. Près des deux tiers du sable se sont écoulés, désormais.

_Très bientôt, je n'aurais plus besoin de personne d'autre, dit-il avec calme. Une fois que j'aurais absorbé en moi l'essence d'Athéna, mes pouvoirs ne connaîtront plus de limites. Quand bien même tous les autres dieux s'alliaient contre moi, ils ne pourraient m'empêcher de parvenir à mes fins.

_Il reste encore… du temps, halète Thor, s'appuyant sur son marteau pour ne pas tomber. Les quelques dieux qui te suivent encore … par aveuglement… ne pourront pas arrêter Athéna… et tous ses chevaliers divins…

Zeus hausse un sourcil tandis que le dieu nordique s'affaisse lentement sur le sol de marbre dévasté, étreignant toujours Mjollnir dans sa main droite.

_C'est vrai, reconnaît-il après un moment. Mais écoute-moi dans ce dernier instant de vie qui te reste encore, dieu d'Asgard. Il me reste une dernière carte à jouer pour neutraliser mes adversaires pendant le temps qui me sera nécessaire. Un instrument que j'ai créé, qui ne sert que moi et que j'ai placé dans un sommeil sans rêve il y a bien longtemps en prévision du jour où il pourrait m'être utile. Et aujourd'hui, il va me servir à acheter les minutes dont j'ai besoin pour atteindre la puissance suprême.

Zeus se taît. Devant lui gît désormais Thor, le dieu du tonnerre des pays nordique, terrassé finalement par son destin en dépit de sa force et de sa puissance. Un éclair blanchâtre marque la disparition d'une nouvelle divinité. Zeus demeure un instant immobile, comme songeant, puis finit par se détourner. Il lui reste beaucoup à faire.

Beaucoup d'autres dieux vont encore mourir dans l'heure qui vient.

* * *

_Alors, meurtrier de mon fils, demande Déméter, une expression impassible sur le visage, engagerons-nous le combat, toi et moi ?

Face à la déesse de l'agriculture et de la fertilité, Janus, le dieu de la dualité, paraît hésiter.

_Je suppose que je n'ai pas le choix, finit-il par dire.

Il y a une explosion de lumière et de ténêbres mêlées qui force Déméter à détourner brièvement le regard. Et, lorsqu'elle voit de nouveau, Janus a disparu. Face à elle se trouve deux hommes et deux enfants, les quatre guerriers qui s'étaient unis pour atteindre la divinité. Ils ne portent cependant pas leurs anciennes armures, mais des répliques de celle qu'a arboré le dieu de la dualité.

_Vous avez renoncé à votre fusion ? fait Déméter, fronçant les sourcils. Non, je sens bien que ce n'est pas cela.

_En effet, répondent-ils d'une seule et unique voix. Je suis toujours Janus. Les quatre parties qui me composent sont toujours rassemblées pour ne faire qu'une. Mais le temps presse et je ne peux pas me permettre de demeurer uniquement ici. Mon concept me permet de diviser ma conscience entre plusieurs corps et je vais m'en servir. Une partie de moi t'affrontera, puisque tu le désires, et les autres iront prêter main-forte à Athéna et à ses chevaliers.

_Es-tu si sûr de ta force que tu sois près à m'affronter avec seulement une fraction de ta puissance ? demande Déméter, dont l'aura brune et verte commence à s'étendre.

La partie de Janus qui arbore l'apparence du chevalier Kanon des Gémeaux lève une main et les trois autres disparaissent aussitôt, se volatilisant parmi les dimensions.

_Ma puissance n'est aucunement divisée, rétorque Kanon/Janus en se mettant en garde. Je peux la canaliser tout entière à travers seulement une partie de moi. De plus, j'ai conservé avec moi l'Urne d'Athéna. Crois-tu pouvoir me vaincre dans ces circonstances ?

Le regard de Déméter se pose brièvement sur l'objet sacré qui a servi dans le passé à emprisonner l'Ebranleur du Sol, Poséidon. Quelles sont ses capacités exactement ? Même ses sens divins sont incapables de le déterminer avec précision. Son adversaire lui-même le sait-il ? Rien n'est moins sûr.

_A nous deux, jeune dieu, crie brusquement Déméter tandis que ses mains se nimbent d'un halo d'émeraude. Il est temps de tester exactement l'étendue de cette force dont tu te vantes !

* * *

Au même instant se déroule un autre combat, dans l'antichambre même du palais de Zeus. C'est là que deux dieux de l'Olympe font face à deux nouvelles divinités, deux jeunes chevaliers qui sont parvenus à s'élever jusqu'au neuvième sens en s'identifiant aux concepts qui leur étaient le plus proches.

Seiya jette un coup d'œil rapide sur le côté. Ni Hyoga ni Héra ne font le moindre mouvement, mais le combat entre eux est pourtant engagé. Deux auras se sont embrasées, l'une blanche comme la neige, l'autre rouge comme l'aurore, et la confrontation entre elles fait jaillir des éclairs de puissance tout autour. Mais le chevalier Pégase n'a guère le temps de se préoccuper de son compagnon d'arme. Il doit mener son propre combat et faire confiance à son frère pour l'emporter également, comme d'habitude.

Face à lui, Dionysos est toujours en train de le scruter avec attention, comme si son regard divin pouvait suffire à percer à jour tout ce qui compose son être.

_C'est bien ce que je pensais, finit-il par dire d'une voix pensive. Je vais avoir du mal à te vaincre physiquement. En fait, ta force brute est sans doute supérieure à la mienne.

_Dans ce cas-là, rend-toi ! lui rétorque Seiya. Jure de ne plus t'opposer à Athéna et je t'épargnerai !

Un rire léger échappe aux lèvres du dieu de l'ivresse. Entre ses mains, son sceptre change de forme pour devenir une longue hampe ornée de vignes. Le thyrse, l'emblème de Dionysos.

_J'ai dit que ta force brute était supérieure, dit le dieu avec amusement. Cela ne signifie pas nécessairement que tu saurais venir à bout de moi dans un combat. Et du reste, je ne tiens pas tellement à le vérifier. Zeus m'a demandé de te combattre, mais, en fin de compte, il y a un moyen plus simple. Je peux me contenter de t'immobiliser jusqu'à ce que le procès d'Athéna ait touché à son terme. Un match nul forcé, en quelque sorte, mais où je gagnerais par défaut.

Seiya fronce les sourcils, ne sachant exactement à quoi s'attendre au moment où Dionysos brandit son thyrse et que celui-ci se nimbe d'une aura violette rayonnante. Ses sens divins, auxquels il n'est pas encore habitué, lui disent que son adversaire est en train de manipuler les dimensions, mais il ne parvient pas à discerner exactement de quelle façon. Le reste de l'antichambre semble tout à coup très distant, tout en étant toujours à la même place. Les couleurs se ternissent et perdent leur éclat, jusqu'à ce que la scène ressemble à une vieille photographie. Il n'y a plus que cette lumière violette au rythme hypnotique.

Renonçant à attendre patiemment de voir ce qui va se passer, Seiya concentre à son tour son énergie, puis la relâche brutalement, lui donnant toute la force possible.

_Pegasus Ryu Sei Ken !!

Les traits de lumière bleutés déchirent l'espace, porteurs de destruction. Mais l'espace se tord devant eux au moment où ils vont frapper leur cible et l'attaque s'évanouit brusquement sans laisser de traces.

_Il est temps d'aller faire un tour dans un univers de folie, Pégase ! s'exclame Dionysos en brandissant son thyrse avant d'en frapper violemment le sol.

L'aura violette explose, forçant Seiya à fermer les yeux.

Lorsqu'il les rouvre, il est ailleurs.

* * *

Artémis essaye de se relever et y parvient la seconde fois. Elle se sent si… bizarre. Si faible. Comme si une force qui était en elle venait de disparaître. Une force à laquelle elle s'était tellement habituée qu'elle avait cru qu'elle faisait partie d'elle. Elle peut sentir le sang qui bat dans ses veines, l'air qui emplit régulièrement ses poumons. Elle n'est plus que cela, plus que cette enveloppe mortelle et fragile. C'est tout. Il n'y a rien de plus.

La déesse redevenue mortelle lève les yeux sur les quatre chevaliers élémentaires, qui la fixent tous avec des expressions allant du désintérêt à une sorte de dédain. Elle voudrait pouvoir les détruire, les tuer chacun mille fois. Mais c'est devenu impossible. Elle est désormais plus faible qu'aucun d'entre eux. Artémis se met à tousser. Privée de sa puissance divine, elle ressent chaque blessure avec une intensité accrue.

_Nous devrions partir, dit brusquement le chevalier du vide, Algébia, se tournant vers ses trois compagnons.

_Oui, allons-y. Nous devons retrouver Ikki et nous rendre ensuite au palais de Zeus.

Artémis ferme les yeux et souhaite la mort. Elle a perdu sa divinité et elle n'a même pas été capable d'arrêter un seul de ces mortels. Et maintenant, sa faiblesse est si grande qu'elle ne peut pas avertir son père. Pas lui avouer sa défaite. Artémis rouvre brusquement les yeux, consciente d'une présence qui vient d'apparaître à ses côtés.

_Tu ne m'as pas l'air en forme, dis-moi, Artémis.

Les quatre chevaliers élémentaires, sur le point de partir, se retournent brusquement.

_Moque-toi si tu veux, Hermès, parvient à répondre l'ancienne déesse. Tu ne m'as pas l'air en bien meilleur état.

Le dieu des voyageurs esquisse un sourire un peu crispé. Il ne reste plus rien de son bras droit, entièrement consumé par le sang acide de Loki. Pourtant, l'aura qui l'entoure est toujours aussi puissante qu'à l'ordinaire et s'il ressent une quelconque douleur, il ne le montre pas.

_J'étais sur le point d'aller rendre une petite visite à Apollon, fait-il d'un air dégagé, quand j'ai senti ce qui s'était passé ici. J'ai donc décidé de faire un petit détour.

_Tu tiens à subir le même sort qu'Artémis ? lance avec agressivité le chevalier du feu aux cheveux roux.

_Ah, ce serait effectivement intéressant, répond Hermès, dont le sourire s'élargit. Mais pour cela, il faudrait d'abord… que vous puissiez égaler ma vitesse !

Et quand il attaque, aucun des quatre chevaliers élémentaires n'a même le temps de le voir.

* * *

_Nous y voilà, dit simplement Athéna.

L'espace interdimensionnel s'étend à perte de vue, miroitant de couleurs impossibles. Cet endroit-ci ne semble pas différent d'un autre. Même les sens divins d'Ikki et de Shiryu ne parviennent pas à le percevoir. Quand à Seika, qui avait repris connaissance, elle semble encore sous le choc de tout ce qui lui est arrivé et de tout ce qui l'entoure désormais. Cela fait un moment qu'elle n'a pas dit quoi que ce soit.

_A partir de cet endroit, nous devrions pouvoir atteindre l'intérieur du temple de Zeus, reprend Athéna d'une voix songeuse tandis qu'elle enflamme son aura dorée. Ce ne serait pas si simple en temps normal, mais aujourd'hui n'est pas vraiment un jour normal. Tenez-vous prêts.

Ses deux chevaliers divins hochent la tête à l'unisson tandis qu'Athéna brandit son sceptre pour ouvrir une faille en direction de leur dimension. C'est un travail difficile et qui nécessite une grande précision. Bien que les protections habituelles de l'Olympe ait été détruites, la tâche n'en est guère plus aisée. De nombreuses perturbations ont agité le tissu dimensionnel, à commencer par le Ragnarok. Atteindre le palais de Zeus, le centre de l'Olympe, demande un effort soutenu.

C'est pourquoi, lorsqu'Athéna parvient finalement à ouvrir une porte dimensionnelle, elle est totalement prise au dépourvu par l'attaque qui lui parvient de l'autre côté.

Une vague d'énergie aveuglante déferle sur la déesse, qui n'a pas le temps de se protéger de son bouclier sacré. Son armure doit encaisser l'essentiel de l'impact, mais déjà une seconde attaque suit la première. Réagissant à la vitesse de la pensée, Ikki s'interpose pour protéger sa déesse. Le coup est si violent qu'il les projette tous deux en arrière, incapables de résister.

_Athéna ! Ikki !

Le premier réflexe de Shiryu est d'aller leur prêter secours immédiatement, mais il se contient. De toute évidence, un adversaire dangereux se trouve là. Lui tourner le dos ne serait-ce qu'un instant pourrait se révéler fatal. D'une main, il fait signe à Seika de se mettre à l'écart. La sœur de Seiya obéit sans un mot, visiblement apeurée.

_Qui est là ? demande le chevalier du Dragon d'une voix dure, tandis qu'il se met en garde.

La porte dimensionnelle est en train de se résorber, laissant apparaître une silhouette lumineuse dont les traits peu à peu se dessinent.

_Je suis une divinité et une abstraction à la fois, une entité de lumière, fille de la nuit éternelle…

Dans une main, elle tient une grande faux, au manche noir et à la lame tranchante, brillante comme de l'argent pur. Une armure sombre la recouvre, mais ne semble pas suffire à dissimuler l'éclat en elle.

_…la justice qui distribue, la vengeance divine…

Ses cheveux courts sont d'un blanc laiteux et sa peau légèrement bronzée. Ses yeux sont habités d'une lumière froide, comme deux étoiles distantes.

_…celle qui veille sur l'ordre divin et apporte le châtiment aux impies qui tentent de le violer…

La femme (la femme ?) s'arrête face à Shiryu et brandit sa faux. Tout son corps brille d'une énergie à peine contenue et elle semble plus l'incarnation d'une force qu'une divinité.

_…celle dont le nom est Némésis, l'incarnation de la justice divine !

Shiryu ne répond pas immédiatement, troublé par ce qu'il ressent. La justice ? Alors pourquoi éprouve-t'il une telle… répulsion ? Comme si celle qui se tient devant lui représentait tout ce à quoi son être s'oppose ?

_Si tu étais véritablement l'incarnation de la justice, dit-il en intensifiant son aura, alors tu ne servirais pas Zeus ! Depuis le début, c'est Athéna qui défend la justice et le maître de l'Olympe qui la bafoue ! EXCALIBUR !!

La main du chevalier du Dragon s'abat en un arc meurtrier, étincelant de lumière, mais celle à qui il s'attaque se contente d'interposer le manche de sa faux, contre lequel se brise l'attaque.

_Tu ne comprends rien, mortel qui prétend à la divinité ! s'exclame Némésis en le forçant à reculer. Votre justice n'est que la justice des hommes et elle est aussi imparfaite qu'eux ! La justice que je défends est la seule qui soit absolue ! C'est la justice divine, le respect de l'ordre imposé par les dieux depuis l'éternité ! Cet ordre que vous n'avez pas cessé de violer par votre orgueil et votre arrogance !

Shiryu bondit en arrière pour esquiver le tranchant de la faux. Némésis s'apprête à suivre, mais s'immobilise brusquement et se retourne au moment où une tempête d'énergie incandescente s'abat sur elle.

_L'ordre imposé par les dieux est aussi inique qu'eux-mêmes ! lance Ikki, enveloppé de son aura flamboyante. Nous le renverserons avec eux ! C'est le destin que j'ai choisi d'incarner !

L'attaque cesse finalement et Ikki ne peut s'empêcher d'être légèrement surpris. Némésis a interposé sa faux comme un bouclier pour se protéger et ses cheveux ne sont même pas légèrement noircis.

_Je ne crois à aucun destin, répond Némésis d'une voix indiciblement froide, sinon à l'ordre universel. Lui seul est parfait. Je me battrai toujours… pour préserver cette perfection !!

Avant même de finir sa phrase, elle s'est de nouveau retourné vers Shiryu, brandissant son arme redoutable. Pris au dépourvu l'espace d'un très bref instant, le chevalier du Dragon se reprend aussitôt et interpose son bouclier.

Un bruit résonne dans l'espace interdimensionnel, comme du verre brusquement fracassé.

Le silence s'ensuit, tandis que des morceaux de métal divin s'éparpillent comme des grains de poussière. La faux de Némésis vient de fendre en deux le bouclier du Dragon, sectionnant presque l'avant-bras de Shiryu dans le même temps.

_Je t'avais averti, lance la déesse de la vengeance tandis que son adversaire titube en arrière sous l'effet de la douleur. Rien ne résiste à la justice. Rien ne peut s'y opposer.

_Dans ce cas, prépare-toi à disparaître, déesse maudite ! hurle Ikki, se lançant à l'attaque à son tour. HOYOKU TENSHO !!

Le phénix se matérialise autour de lui en hurlant, étincelant de pouvoir, embrasant le vide interdimensionnel de ses flammes immortelles.

Némésis se contente de lever sa faux et des éclairs bleutés viennent bientôt nimber la lame meurtrière.

Il y a une déflagration terrible au moment où les deux forces se percutent, puis plus rien.

Némésis se retourne vers Seika qui tremble de tout son corps. Shiryu et Ikki gisent inconscients, percutés de plein fouet par l'onde de choc. La déesse de la vengeance n'a pas une égratignure. Ses yeux inhumains sont terribles à affronter.

Un long instant, Némésis se contente de fixer la jeune fille, comme pour l'évaluer. Puis elle fronce les sourcils, comme surprise.

_Je ne vois pas le mal en toi, finit-elle par dire, comme étonnée par sa propre conclusion. Tu n'as rien à faire ici.

D'un geste de sa faux, Némésis ouvre une déchirure dans le tissu dimensionnelle. D'un geste de la main, elle y précipite Seika, qui y disparaît sans un son. La déchirure s'estompe aussitôt et la déesse de la vengeance se retourne vers ses adversaires. Shiryu et Ikki sont en train de se relever péniblement, s'efforçant d'enflammer leur aura pour compenser leurs blessures.

Un sourire plisse les lèvres de Némésis.

_Il est temps de payer.

La faux décrit une courbe aveuglante tandis que la déesse de la vengeance attaque. Face à elle, les deux chevaliers divins s'efforcent de se reprendre, mais il est déjà bien trop tard pour esquiver.

Il y a un choc métallique.

Quelque chose ressemblant presque à de la surprise traverse les yeux de Némésis. Au dernier moment, Athéna est venue s'interposer, bloquant le coup de son bouclier sacré. Puis la déesse de la guerre ramène son sceptre en avant et frappe à son tour, s'en servant comme d'une lance. Némésis ne réagit pas assez rapidement et le sceptre la percute en plein visage, la projetant en arrière.

Athéna se retourne vers ses deux chevaliers divins, qui luttent encore pour se tenir debout.

_Je vais mener ce combat seule, dit-elle d'une voix brève. Vous devez rejoindre Hyoga et Seiya. Je compte sur vous.

Shiryu et Ikki ouvrent la bouche au même instant pour protester, mais n'en ont pas l'occasion. Athéna fait un geste et une sphère de lumière se referme autour d'eux avant de disparaître, les emmenant ailleurs.

_Crois-tu donc qu'ils pourront ainsi échapper au châtiment ?

Athéna se retourne. Némésis s'est relevée et s'approche de nouveau, son arme brandie. Une trace noire marque son visage là où le sceptre l'a frappé, mais ses yeux n'en brillent qu'avec plus d'intensité.

_Tu ne peux pas me vaincre, déesse Athéna, et tu sais très bien pourquoi.

_Nous verrons, répond seulement la fille de Zeus.

* * *

Kanon/Janus grimace légèrement. Il a récolté une blessure en travers de la poitrine lors du dernier assaut, quand un coup plus violent que les autres a transpercé son armure. Ce n'est pourtant qu'une estafilade, en fin de compte. La régénération divine a déjà commencé et la plaie se sera bientôt refermée.

Kanon redresse les yeux. Déméter se tient devant lui, impassible. Il n'est pas encore parvenu à l'atteindre, mais elle n'a jamais réussi non plus à le blesser grièvement. Le combat va peut-être mieux qu'il ne le craignait.

_Je ne m'attendais pas à ce que la déesse de l'agriculture attaque ainsi, lance-t'il pour la provoquer et la distraire. Combattre au corps à corps ? J'aurais pensé que ce n'était bon que pour Arès !

Un sourire presque amusé se dessine sur les lèvres de Déméter.

_Je ne suis pas une déesse guerrière, mais il faut savoir s'adapter. Tu es à ma merci, désormais.

Kanon hausse un sourcil, interloqué. A sa merci ? Puis il réalise qu'il se passe effectivement quelque chose d'étrange. Il ressent comme un fourmillement désagréable sous sa peau et ses muscles ont brusquement cessé de lui obéir.

_Les plantes que je cultive dans mon jardin ne sont pas toutes inoffensives, reprend Déméter en tendant une main dans laquelle se trouvent plusieurs graines au formes différentes. Certaines sont dangereuses. Lorsque je t'ai blessé, j'ai planté une de ces graines dans ton sang. Il ne lui faudra que très peu de temps pour croître et se répandre dans tout ton corps. Mais je suppose qu'elle doit déjà t'empêcher de bouger.

Kanon grimace. De fait, il a beau se concentrer, il est incapable de faire un mouvement. Certes, il lui reste toujours la possibilité de renoncer à ce corps. En tant que Janus, il n'y est pas limité. Mais cela entraînerait une perte importante de pouvoir et pourrait amener plus tôt la fin de leur fusion.

Face à lui, l'aura de Déméter s'est de nouveau embrasée. Elle est désormais d'un brun sombre, si sombre qu'il en est presque noir. La déesse a joint les mains devant elle, comme pour former une sorte de coupe.

_Je ne suis pas une divinité destructice. Mes pouvoirs visent la création et la préservation. Mais je ne te pardonnerai pas la mort de mon fils. Pour le venger, je vais recourir à la seule attaque mortelle que j'ai jamais développée. Une attaque dont je ne pensais jamais me servir.

Kanon ne peut que regarder tandis que l'énergie de Déméter se déverse lentement entre ses mains.

_Connais la puissance de Déméter ! Que le Sang de la Terre te consume !

Un flot écarlate part des mains de la déesse, emplissant l'espace, fusant vers Kanon pour le balayer et l'engloutir. L'énergie dégagée est telle que le sol de l'Olympe se met à trembler comme sous l'effet d'un tremblement de terre. Dispersé à travers le mont sacré, les dieux encore en vie le sentent et savent que, pour la première fois, la déesse de la vie et de la fertilité a choisi d'utiliser son pouvoir pour détruire.

L'impact ne s'accompagne d'aucune explosion, juste d'un flamboiement incroyablement intense, comme si un soleil rougeoyant s'était brièvement matérialisé là. Puis cela disparaît et le silence revient.

Les yeux de Déméter s'écarquillent de surprise.

Devant elle se tient toujours Kanon, immobile, sans la moindre blessure. Flottant devant lui au niveau de sa tête est l'urne d'Athéna, rayonnant désormais d'un éclat rouge contenu.

Avant que la déesse n'ait le temps de réagir, Kanon et l'urne disparaissent. Déméter est brièvement surprise, puis se ressaisit et entreprend de fouiller l'espace à l'aide de ses sens divins.

_Inutile de me chercher, je suis ici.

Kanon est réapparu derrière elle, un sourire tranquille sur le visage. L'urne n'est plus avec lui.

_Où étais-tu parti ? interroge Déméter, défiante.

_Me débarrasser de ta plante, réplique Kanon, bougeant le bras pour illustrer ses dires. Je suis juste allé faire un tour dans une dimension particulièrement hostile. Elle n'y a pas résisté.

_Et l'urne d'Athéna ?

Le sourire de Kanon s'élargit.

_Une merveille, n'est-ce pas ? Je n'étais pas sûr qu'elle parviendrait bien à emprisonner l'énergie de ton attaque. J'ai dû risquer le coup. Cela a marché, en fin de compte. Et cela m'a même donné l'occasion d'observer ton attaque. Sans compter que toute cette énergie pourra certainement me resservir.

_Tu espères peut-être utiliser ma propre attaque contre moi ? demande Déméter en entreprenant de nouveau d'intensifier sa puissance.

_Pas vraiment, rétorque Kanon en l'imitant. Je l'ai juste envoyé à une autre partie de moi pour qu'elle s'en serve. Et maintenant reprenons ce combat.

* * *

Un bruit sec et bref, celui d'un bâton brusquement sectionné en deux par un instrument tranchant.

Le bâton est la hampe du sceptre d'Athéna et l'instrument tranchant est la faux de Némésis.

Une explosion blanche et silencieuse illumine l'espace interdimensionnel au moment où l'incarnation de Niké disparaît des mains de la déesse de la sagesse.

_On dirait que la victoire n'est plus avec toi, Athéna, persifle Némésis. Je t'avais dit que tu ne pouvais pas l'emporter et il y a trois très bonnes raisons à cela. La première, c'est que tu es de plus en plus affaiblie au fil de ton procès. La deuxième, c'est que tu n'agis pas en conformité avec ton concept en défendant servilement les humains comme tu le fais. La troisième…

La déesse de la vengeance brandit sa faux qu'un halo bleuté crépitant vient entourer.

_La troisième et la plus importante, c'est que tu as violé l'ordre divin en connaissance de cause et que tu continues à le faire ! Plus le crime est grand, plus la justice est terrible, et ma force s'accroît de la même façon lorsque je suis confrontée à ceux qui enfreignent les lois sacrées !

La tête d'Athéna est légèrement baissée, comme perdue dans une pensée distante.

_Il ne t'est jamais venu à l'esprit que Zeus lui-même pouvait violer cet ordre divin dont tu parles ? Qu'il pouvait en fait avoir l'intention de détruire tout ce qui existe ?

_Impossible ! s'exclame Némésis tandis que sa faux se met à tournoyer au-dessus de sa tête. Et même s'il avait cette intention, cela signifierait qu'elle est juste ! Zeus incarne l'ordre divin, comment pourrait-il l'enfreindre ?

Un éclair de résolution traverse le regard sombre d'Athéna tandis qu'elle se redresse. Une main se tend, celle qui autrefois tenait Niké, et une lance au fer brillant vient s'y matérialiser. La déesse de la vengeance ne peut s'empêcher d'être surprise tandis que l'aura d'Athéna se met à flamboyer avec une intensité terriblement puissante et agressive.

_Fort bien, fait la déesse aux yeux pers en s'avançant vers Némésis. Tu m'as reproché de ne pas agir en fonction de mon concept. Pour sauver ce monde, je vais donc redevenir Athéna, la déesse de la juste guerre. Prépare-toi à combattre !

Son bouclier dans une main, sa lance dans l'autre, Athéna pousse un cri terrible en chargeant son adversaire, un cri dont l'écho se répercute entre toutes les dimensions de l'existence.

Et, lorsque la lance et la faux se croisent, l'explosion fait penser à la naissance d'un soleil.

* * *

Hyoga intensifie encore son cosmos pour accroître la force déjà terrible dont il dispose, une force dont il n'aurait sans doute pas rêvé la veille seulement. Mais aujourd'hui, il ne ressent aucun émerveillement de maîtriser cette puissance si terrible. Il ne ressent que l'aiguillon de la nécessité, de l'urgence. Il a besoin de plus de pouvoir, plus encore, pour pouvoir l'emporter sur Héra. Mais jusqu'où cette force qui l'habite peut-elle aller ?

Autour des deux divinités, l'ancienne et la nouvelle, l'espace même semble en train de se figer sous l'effet du froid infini. Héra pourtant ne semble guère affectée. Elle a érigé une sorte de cercle de protection autour d'elle, à l'intérieur duquel le froid ne semble pas pénétrer, et elle paraît satisfaite de laisser son adversaire conserver l'initiative pour le moment.

Du coin de l'œil, Hyoga regarde l'endroit où se trouvait Seiya et Dionysos quelques instants auparavant. Ils ont tout les deux disparu, sans doute dans une autre dimension. Hyoga sent toujours la présence de Seiya, mais celle-ci paraît étrangement ténue, comme si elle était difficile à percevoir. En son for intérieur, le chevalier du Cygne espère intensément que son compagnon viendra à bout de son adversaire. Combien leur reste-t'il de temps avant la fin du procès d'Athéna ? Une demi-heure ? Moins ?

Hyoga se retourne vers son adversaire et, l'espace d'un très bref instant, un sentiment de stupéfaction traverse son esprit froid et réfléchi. Car c'est désormais sa mère à laquelle il fait face. Natassia, exactement comme dans son souvenir, sinon qu'elle est désormais revêtue de l'armure d'Héra.

_Tu croyais vraiment m'abuser ou me troubler avec une illusion aussi simple ? lance-t'il d'une voix glacée. Crois-tu que mon esprit soit si faible ?

_Je ne crois rien, répond Héra/Natassia. Ce n'est qu'une manière de te faire réfléchir à qui tu t'opposes. Je suis la déesse des épouses et des mères. L'affection qu'éprouvait ta mère pour toi et l'amour que tu avais pour elle sont parties intégrantes de ce concept qui est le mien. Malheureusement, en devenant un dieu, tu sembles avoir renoncé à ces émotions.

Hyoga ne se trouble pas. C'est exactement la voix de sa mère, à la nuance près, mais les intonations sont celles d'Héra. Est-elle donc si faible, qu'elle doive recourir à des artifices si enfantins ? Hyoga chasse l'idée de son esprit. Non, elle le sous-estime, c'est tout. C'est l'occasion pour lui de prendre l'avantage. Au prix d'un nouvel effort de volonté, le chevalier du Cygne augmente l'énergie qui l'entoure.

_Tu vas pouvoir continuer tes discours dans l'autre monde, déesse hypocrite ! lance-t'il en levant un bras. Que les glaces éternelles se referment sur toi !

* * *

_Où suis-je ?

Le monde tout autour est… étrange. Il ressemble vaguement à une sorte de paysage naturel, mais dont les détails sont impossibles à saisir, même avec des sens divins. Les formes qui le composent changent d'un instant sur l'autre, suggérant des arbres, puis des rochers, puis des collines, sans cesse. Les couleurs se mélangent et se divisent, passant d'une teinte à l'autre en une succession ininterrompue. Le sol lui-même ne semble pas stable. Il ondule comme de l'eau.

_Tu te trouves dans un monde un peu particulier, Pégase, lui parvient de nulle part la voix de Dionysos. C'est une dimension complexe où s'entrecroisent l'espace et le temps. Les règles normales ne signifient pas grand-chose, ici. Je pense que même un dieu aurait du mal à s'y retrouver. Mais je suis le dieu de l'ivresse et de la folie. Je suis ici chez moi.

_Dionysos, montre-toi ! crie Seiya, s'efforçant de le chercher du regard.

_Je n'en ai aucunement l'intention. Nous allons rester ici bien tranquillement jusqu'à la fin du procès d'Athéna. Le temps s'écoule un peu bizarrement en ce lieu, alors ça paraîtra soit très long soit très court. Appelle-moi si tu veux boire quelque chose d'ici là !

_Dionysos !!

Seiya lance une attaque qui pulvérise tout ce qui trouvait autour de lui, mais n'obtient aucune réponse de son adversaire. L'instant d'après, le paysage détruit s'est déjà reconstitué sous une forme différente.

_Ce n'est pas possible, souffle Seiya en observant désespérement ce qui l'entoure.

L'endroit semble s'étendre à l'infini. Même ses sens divins n'en perçoivent pas la limite. Comment trouver Dionysos ici, dans ce monde qu'il contrôle totalement ? Sa force supérieure ne lui sert à rien, et toute sa volonté non plus !

Seiya se force à se calmer. Il doit réfléchir logiquement. Deux possibilités se présentent à son esprit. La première est que l'endroit qui l'entoure soit en fait le résultat d'une attaque mentale, d'une illusion sophistiquée. Mais cela ne semble pas être le cas. La deuxième est qu'il s'agisse effectivement d'une dimension étrange. Auquel cas, il doit lui être possible de la quitter grâce à ses nouveaux pouvoirs. En théorie.

Seiya se concentre et s'efforce de visualiser le tissu dimensionnel, de le déformer pour s'échapper de cet endroit. Une minute passe, puis une deuxième. Rien à faire. Pour une raison ou une autre, la nature de cet endroit semble lui échapper. Peut-être que la réalité est effectivement trop complexe en ce lieu, comme le prétendait Dionysos.

Seiya s'efforce de ne pas céder à la panique. Que peut-il faire, s'il ne peut ni combattre ni s'enfuir ? Il ne lui reste plus qu'à essayer de retrouver Dionysos, raisonne-t'il en se maîtrisant. Dissimulé ou pas, le dieu est certainement à proximité afin de contrôler ses faits et gestes.

Seiya s'engage dans une direction, un peu au hasard. Un petit chemin s'ouvre devant ses pieds, bordés de marguerites blanches, qui grandissent tout à coup jusqu'à devenir des arbres énormes. Puis les branches tombent par terre et deviennent une foule de serpents qui s'éloignent en sifflant. Loin devant, le ciel vert est en train de s'éclairer d'une aube violette. Le chemin est devenue une voie pavée de marbre et de gigantesques nuages de papillons virevoltent aux alentours avant de se changer en une pluie multicolore qui vient former de grandes flaques irisées sur le sol. Seiya arrive à un carrefour. Une sorte de panneau indicateur s'y trouve. Les flêches indiquent " par ici ", " par là " et " autres directions ". Seiya hausse les épaules, perplexe, avant de suivre cette dernière indication. La voie est bordée de jeunes arbustes en fleurs, mais les fleurs deviennent bientôt des fruits, qui laissent chacun apparaître une petite clochette. Le vent se lève, faisant vibrer les branches, et Seiya est bientôt entouré de toute une mélodie de tintements. Un lapin blanc traverse la voie devant lui avec un air pressé.

_Houlala, je suis en retard ! s'exclame-t'il en regardant sa montre à gousset. Terriblement en retard ! Plus que vingt-neuf minutes avant la fin du procès d'Athéna !

De plus en plus bizarre. Seiya s'immobilise. Ici, le tintement harmonieux a été remplacé par un chuintement régulier, et les arbres par des sabliers de toutes tailles et formes. Ce ne serait rien si le sable ne s'écoulait pas vers le haut.

_Qu'est-ce que c'est encore que ça ? se demande Seiya en se grattant la tête.

Une silhouette sombres, aux traits indistincts, est en train d'arpenter l'endroit de long en large. Elle se retourne vers lui à son approche.

Qui es-tu ? Un esprit ? Un fantôme ? Après ce qui m'est arrivé, je serais prêt à croire n'importe quoi.

Une voix d'homme, assez âgé et soucieuse. Seiya est saisi de la brusque impression qu'elle lui est familière, mais aucun nom ne se présente à son esprit.

_Je ne suis pas un fantôme, répond-il d'une voix ferme. Je suis perdu ici et j'ai besoin d'aide.

L'autre laisse échapper un rire sans joie.

Nous sommes deux dans cette situation, alors. Désolé, esprit, ou qui que tu sois. J'ai mes propres problèmes et ils sont lourds à porter.

_Mais Athéna va mourir, si je ne quitte pas ce lieu ! s'exclame Seiya, de nouveau saisi par l'angoisse. Il ne reste presque plus de temps !

Athéna ?

La voix de l'autre semble troublée à ce nom.

_Oui, Athéna, la réincarnation de la déesse de la sagesse, Saori Kido ! Je ne sais pas qui vous êtes, mais si vous pouvez m'aider de n'importe quelle façon…

Je n'ai pas de pouvoir particulier, juste une responsabilité hors du commun et un devoir difficile à assumer. Mais, d'une certaine façon, ce que tu dis m'apportes un peu d'espoir quant au choix que je m'apprête à faire, quand bien même tu ne serais en fin de compte qu'un produit de mon imagination. As-tu un nom ?

_Je m'appelle Seiya, répond l'intéressé, presque désespéré de ne pas recevoir d'aide. Seiya, chevalier de Pégase.

Seiya… Je vois. Soit mon imagination est véritablement débordante, soit le fil du temps est en train de faire des nœuds. Peu importe. Ecoute-moi, Seiya, je ne sais pas dans quelle situation tu te trouves, je ne sais pas à quoi tu es confronté. Si Athéna est en danger, alors tu dois tout faire pour la protéger. Mais ne te laisse pas emporter par tes émotions. Il y a des moments, aussi difficile que cela soit, où il faut se servir de son esprit et réfléchir froidement à une situation, quelles que soient les circonstances. Voilà mon conseil. C'est bien la seule chose que je puisse te donner.

La silhouette vacille légèrement et semble se détourner, puis s'arrête et parle de nouveau, d'une voix à peine audible :

J'espère qu'avec le temps, tu as trouvé la force de me pardonner.

Puis d'un ton songeur :

Saori… C'est un joli nom, je crois qu'il lui irait bien…

Abasourdi, Seiya suit encore la silhouette du regard tandis qu'elle s'estompe peu à peu parmi les ombres multicolores. Tout autour, les sabliers se sont remis à couler normalement. Le monde qui l'entoure est redevenu comme avant. Enfin… non. Mais il est de nouveau aussi anormal qu'auparavant.

Seiya pense au conseil qu'on lui a donné. Réfléchir froidement à la situation. Quel est l'intérêt de Dionysos ici ? Il obéit à Zeus, certes, mais en fin de compte, sa raison principale est de lutter contre toute la destruction à laquelle il a assisté, de préserver l'idéal auquel il est attaché…

_Dionysos ! lance-t'il à la cantonade, sachant que le dieu ne doit pas se trouver loin. Est-ce que je t'ai raconté comment Zeus a mis toute cette guerre en œuvre depuis le début exclusivement pour pouvoir déclencher l'apocalypse ?

* * *

_Pandemonium Evil Fire !
_Leviathan Watersplash !
_Par la foudre d'acier !

Les trois attaques paraissent emplir tout l'espace à la fois en une fraction d'instant. Mais Hermès ne les a pas attendu. Il semble que le fait de perdre un bras n'ait aucunement nui à sa rapidité.

_Revenez dans un siècle, vous serez peut-être assez rapides ! s'exclame-t'il en réapparaissant derrière eux. Par le messager de mort !

Une pluie de traits d'énergie argentés jaillit des doigts tendus du dieu vers les chevaliers élémentaires, traversant cette dimension et toutes les dimensions voisines où il serait possible de se réfugier.

_Par la barrière du vide !

Au dernier instant, Algébia vient s'interposer devant l'attaque, matérialisant devant lui sa protection immatérielle. Les traits d'énergie se brisent contre la barrière du vide comme autant de flêches contre un mur de pierre.

_Impressionnant, admet Hermès en haussant un sourcil. Cette technique reste efficace même devant l'attaque d'un dieu. Dommage qu'elle soit si épuisante, n'est-ce pas ?

De fait, Algébia est tombé à genoux juste après que l'attaque ait cessé, et il s'efforce actuellement de reprendre son souffle tant bien que mal. Mais les trois autres chevaliers élémentaires ont mis à profit ce temps pour se remettre en garde.

Un silence s'écoule tandis que les quatre mortels font face au dieu. Puis une vibration traverse l'air et une petite silhouette apparaît aux côtés des chevaliers élémentaires.

_Mademoiselle Shina ! J'étais sûr que nous nous retrouverions !

_Ganymède ?

Le jeune Sculpteur de Lumière secoue la tête en souriant.

_Pas exactement. Je suis quelque chose de plus, en ce moment, même si je ne sais pas combien de temps ça va durer. Oh, j'allais oublier !

Il y a un bref éclair de lumière et l'urne d'Athéna se matérialise entre les mains de Ganymède/Janus. Une lumière rouge s'en diffuse toujours, comme si l'urne était tout juste suffisante pour contenir la puissance qu'elle a emprisonné.

_Je suis sûr que ça pourra être utile ! fait Ganymède en se retournant vers Hermès.

_Nous verrons, quart de dieu, rétorque le protecteur des messagers et des voleurs.

_Je suis un dieu tout entier, répond Janus avec le sourire du jeune Sculpteur de Lumière. Pas plus Ganymède que Kanon, Saga ou Geste. Pas moins non plus.

Les lèvres de Gaïa se plissent en un sourire. Elle a mis à profit la distraction passagère d'Hermès pour augmenter la gravité autour de lui, inspirée par ce que lui a montré Artémis quelques instants auparavant seulement. L'attraction terrestre se multiplie par deux, quatre, dix, vingt, cinquante, cent…

_Tu crois vraiment ralentir le dieu de la rapidité avec tes petits tours ? demande Hermès, un sourir méprisant sur le visage. Je vais te montrer qu'il n'en est rien !

Il attaque, et la lumière elle-même ne semble pas aussi rapide. N'était le contact étroit que les chevaliers élémentaires ont avec la nature de la réalité, ils ne se rendraient même pas compte qu'il a bougé. Au moment où Hermès est sur le point de l'atteindre, Gaïa inverse brusquement l'effet qu'elle maintenait. La gravité se réduit brusquement à un centième de ce qu'elle est en temps normal. Emporté par sa rapidité insurpassable, Hermès n'a pas le temps de se reprendre. Son dernier pas l'emmène bien au-dessus du sol et de sa cible.

_A nous ! s'écrie Meyastes, tandis que Sylphia et lui concentrent leur cosmos.

Déployant son pouvoir comme des ailes pour se stabiliser dans l'air, Hermès voit arriver les attaques jointes des deux chevaliers élémentaires. Son réflexe instinctif, développé au cours de toute sa vie immortelle, est d'esquiver dans une autre dimension. C'est pourquoi il est totalement pris au dépourvu lorsque cela ne fonctionne pas. Un peu tard, il voit Algébia agenouillé à même le sol, en train de concentrer toute l'énergie qui lui reste pour le limiter à cette dimension grâce à la barrière du vide.

Il a tout juste le temps de protéger son visage du seul bras qui lui reste avant que les deux attaques ne le percutent. Elles sont puissantes, lancées avec toute la force des chevaliers élémentaires, mais cette puissance est bien insuffisante pour percer l'armure divine et infliger de véritables dommages. Elle est pourtant assez intense pour déséquilibrer Hermès, qui se reçoit difficilement sur le sol, juste devant Ganymède qui sourit.

_Je crois qu'il va déjà être temps de rouvrir cette urne ! fait le jeune Sculpteur de Lumière en brandissant l'objet sacré entre ses mains.

Il y a un flamboiement rouge au moment où le couvercle de l'urne d'Athéna se descelle, libérant brusquement toute la puissance qui y était contenue.

Que le Sang de la Terre te consume !

La voix de Déméter jaillit en même temps que son attaque dans un torrent de force destructrice qui balaye tout sur son passage. Et même Hermès, avec sa rapidité plus que divine, n'a pas le temps d'esquiver. Le choc le frappe de plein fouet dans une explosion pareille à l'explosion d'un astre.

Et quand le silence revient finalement sur l'endroit dévasté, il ne reste plus trace du dieu.

* * *

_Ca va mieux ? interroge Geste/Janus.

Ikki hoche la tête avec une demi-grimace. Certes, son accession à la divinité semble avoir encore renforcé ses pouvoirs de régénération, et son armure comme son corps semblent parfaitement intacts. Mais il n'en reste pas moins qu'il vient d'essuyer une défaite assez cuisante en un temps particulièrement bref.

_Ne te fais pas de reproche, lui dit Shiryu. Je ne crois pas qu'il était en notre pouvoir de l'emporter cette fois-là. Cette femme, qui qu'elle soit, a visiblement une très grande force. Et c'est Athéna qui a décidé de l'affronter seule.

Ikki hoche de nouveau la tête sans mot dire, visiblement peu convaincu.

Tous les trois se tiennent actuellement dans une bulle interdimensionnelle qu'a créé Geste lorsqu'il a retrouvé les deux guerriers divins. Le tissu dimensionnel défile tout autour d'eux, illuminé de couleurs impossibles tandis qu'ils se dirigent vers le palais de Zeus.

_Comment va ton bras, au fait ? demande finalement Ikki, s'arrachant à ses sombres pensées.

_Ca pourrait être pire, fait le chevalier du Dragon en examinant une fois de plus la blessure noirâtre qu'a laissé la faux de Némésis. Le sang a cessé de couler et la plaie s'est plus ou moins refermé. Il va me falloir encore du temps pour me resservir de ce bras-là, ceci dit. Et mon bouclier a été totalement détruit.

_Malgré tout, il va falloir vous préparer, dit Geste/Janus en se retournant vers eux. D'ici une petite minute, nous serons parvenu au palais de Zeus et il ne restera plus beaucoup de temps pour se reposer.

Les deux chevaliers divins ne répondent pas, partagés par la même préoccupation intérieure. A quoi bon arriver à temps pour arrêter le procès d'Athéna si celle-ci périt dans son combat contre Némésis ?

* * *

L'espace interdimensionnel s'étend à l'infini, vide et stérile. Vide ? Pas entièrement, car il porte encore les traces du combat titanesque qui vient de se dérouler ici. Des éclairs d'énergie le traversent encore à intervalles irréguliers, ultime écho d'un déchaînement de puissance hors du commun.

Deux silhouettes se tiennent encore face à face au milieu de cet infini agité, mais elles sont immobiles et ont cessé de se combattre, trop épuisées.

_Je dois admettre que tu m'impressionnes, Athéna…

Némésis rayonne toujours du même éclat intérieur qui reflète sa force terrible, mais cela ne l'empêche pas de paraître désormais très affaiblie. Son armure sombre s'est depuis longtemps disloquée sous les coups de son adversaire et une multitude de blessures laissent s'écouler son sang divin. Ses mains sont crispées autour du manche noir de sa faux, comme pour conserver son équilibre.

_Tu es forte… aussi…

Face à elle, Athéna n'est guère en meilleur état. Elle a perdu son casque et ses cheveux violets sont maculés de rouge. Son bouclier sacré résiste encore, mais sa surface est striée de profondes fissures. Elle tient toujours sa lance, mais semble à peine avoir encore la force de la soulever.

_Je tire ma force de la justice, répond Némésis en s'efforçant de se redresser. C'est la grandeur de tes crimes qui me donne cette puissance. Mais toi, d'où te vient ta force ? Je croyais que tu en étais venue à te reposer uniquement sur tes chevaliers…

Quelque chose qui ressemble presque à un rire de dérision échappe aux lèvres de la déesse de la vengeance tandis que ses deux yeux s'embrasent d'une lumière blanche.

_Une telle force… Pourquoi ne l'as-tu pas utilisé plus tôt ? Pourquoi as-tu attendu qu'il soit trop tard pour y avoir recours ? Elle égale ou dépasse celle de n'importe quel autre dieu. Seule la puissance de Zeus lui-même pourrait lui être supérieure…

Athéna se redresse à son tour, respirant difficilement.

_Cela fait longtemps que j'ai renoncé à me battre pour ma gloire, répond-elle simplement, affrontant le regard de son adversaire de ses yeux sombres. Je ne fais plus qu'inspirer les humains en les poussant à lutter pour leurs idéaux. C'est à cela que doivent servir les dieux. Aujourd'hui, j'ai fini par renoncer à cette réserve parce que ma vie va bientôt s'achever et que cela n'a plus d'importance. Comme tu le dis, il est trop tard…

Un instant de silence passe encore entre les deux adversaires. Puis Némésis prend une profonde inspiration et saisit sa faux à deux mains.

_Si tu n'avais pas été affaiblie par le procès en cours, tu m'aurais peut-être vaincue, reconnaît-elle, une expression presque étonnée sur son visage inhumain. Mais ce n'est plus possible maintenant. Le procès s'achèvera dans un peu plus de vingt minutes. Il ne doit même plus te rester assez de forces pour guérir tes blessures. Mais je ne reprendrai pas ce combat. Zeus m'a interdit de te tuer et j'ai déjà rempli mon rôle, qui consistait à te retarder. Tu ne constitues plus une menace, maintenant, et j'ai d'autres crimes à châtier.

Un grand vent se lève dans l'infinité entre les dimensions au moment où Némésis fait tournoyer sa faux au-dessus de sa tête et, lorsqu'il cesse, la déesse de la vengeance s'en est allée.

Restée seule, la déesse de la juste guerre laisse enfin choir son bouclier sacré, devenu trop lourd pour elle, et s'appuie sur sa lance comme pour en tirer un réconfort.

* * *

_Je voudrais retrouver mon frère.

_Je sais, répond Hestia en posant une main sur l'épaule de Seika. Mais, pour le moment, il est encore en train de se battre. Pour toi, pour Athéna et pour le reste du monde. Il ne faut pas le déranger.

Seika baisse les yeux. Elle se tient en ce moment dans l'une des pièces immenses du palais de Zeus. De nombreuses parties de l'édifice autrefois sans pareil sont désormais en proie à la destruction et à la ruine. Mais même la guerre sans précédent qui règne désormais sur l'Olympe se tient à distance du lieu qu'a choisi la déesse du foyer pour attendre l'issue des combats.

_Athéna, dit Hestia à mi-voix, je te fais confiance. Et sache que tu as mon soutien, maintenant et toujours.

Un roulement de tonnerre distant vient faire écho à ces mots, puis le silence revient.

* * *

_Est-ce que ça l'a tué ? demande Sylphia en examinant les environs avec attention.

_Je ne pense pas, répond Ganymède/Janus. L'attaque l'a touché de plein fouet et elle a dû le blesser grièvement, mais la mort d'un dieu ne passe pas inaperçue. Il a sans doute utilisé les forces qui lui restaient pour se réfugier ailleurs.

_Si j'avais pu maintenir ma barrière plus longtemps, je l'en aurais empêché, peste Algébia, à genoux sur le sol en train de reprendre son souffle.

_Ne raconte pas n'importe quoi, lui dit Gaïa. C'est déjà un miracle que tu aies pu l'utiliser deux fois de façon si rapprochée.

L'endroit où s'est déroulé le combat n'est même plus un champ de ruine. Il ne reste plus rien, tout simplement. L'ultime attaque, employant l'énergie dérobée à Déméter, a achevé de détruire les quelques décombres qui subsistaient encore. Le paysage se limite désormais à une sorte de vaste dépression stérile.

_En tout cas, je suis impressionné par la puissance de cette urne sacrée, fait Meyastes en haussant un sourcil. J'en avais entendu parler, mais je ne savais pas qu'elle était capable d'emprisonner toute la force d'une attaque divine. Cela pourrait se révéler très utile dans les combats à venir.

_Si nous réussissons à retrouver le chevalier de l'air et que nous conservons cette urne, nous avons peut-être une chance de neutraliser Zeus, approuve Gaïa en hochant la tête.

_C'est quelque chose à tenter ! lance Ganymède en brandissant l'objet sacré. Mais c'est moi qui la garde en attendant !

_Oh ? fait quelqu'un.

_Garde-la si tu y tiens, dit Sylphia, tant que tu restes avec nous.

Ganymède ouvre la bouche pour répondre, mais aucune parole n'en sort. Lentement, sa tête bascule en avant, comme s'il était pris d'un assoupissement irrésistible. Et ce n'est que lorsqu'elle se sépare de son cou que les chevaliers élémentaires réalisent qu'il est mort. Un bruit métallique accompagne la chute de son corps tandis que les morceaux de l'urne fendue en deux viennent heurter le sol.

Encore sous le choc de ce qui vient de se passer, les chevaliers élémentaires ne peuvent que lever les yeux vers celle qui vient d'apparaître derrière le cadavre, une lourde faux entre les mains.

_Ganymède… fait Gaïa/Shina, abasourdie.

_Il n'est pas mort, répond froidement la nouvelle-venue. Je n'ai fait que détruire cette enveloppe charnelle. Ca lui enlèvera un peu de son pouvoir et il aura du mal à en recréer une, voilà tout.

_Qui es-tu ? lance Meyastes avec agressivité, se mettant en garde.

_Je m'appelle Némésis et je ne suis pas venue pour vous, chevaliers élémentaires. Prenez cependant ce qui vient d'arriver comme un avertissement : ne vous opposez pas à Zeus davantage. Si vous le faites, vous serez détruits.

_Nous incarnons les éléments, l'essence même de la réalité, riposte Algébia. Pour quelle raison devrions-nous obéir à Zeus ?

_Vous êtes pires qu'aveugle si vous pensez qu'incarner les éléments vous confère un quelconque droit, répond Némésis avec dédain. La matière n'a pas de vie et ce ne sont que les idéaux qui peuvent l'animer et lui donner une valeur. La justice est tout. Enfreignez-la et vous subirez son poids.

Il y a un silence prolongé tandis que la déesse d'un côté, les quatre chevaliers élémentaires de l'autre s'affrontent du regard. Aucun des mortels ne se sent réellement en état de combattre après avoir affronté successivement deux divinités. De son côté, Némésis porte encore de nombreuses blessures sévères, mais le pouvoir divin qui la baigne est déjà en train de les refermer.

_A présent, je m'en vais, dit finalement la déesse de la vengeance en se détournant.

_Némésis…

L'interpellée se fige en entendant la voix et se retourne aussitôt. Artémis, restée de côté tout au long du combat contre Hermès, vient de se relever de l'endroit où elle restait prostrée et se dirige vers elle.

_Déesse Arté…

La voix de Némésis s'éteint tandis qu'elle découvre le visage maculé de celle qui n'est désormais plus qu'une mortelle.

_Cela n'est pas possible.

Elle reste un instant immobile, comme incapable d'accepter ce qu'elle voit. Et quand elle se retourne finalement, les quatre chevaliers élémentaires ne peuvent s'empêcher de ressentir une crainte irraisonnée en affrontant son regard. Ses yeux brûlent comme deux flammes de glace et sa voix est d'un calme mortel lorsqu'elle parle.

_Chevaliers élémentaires, vous avez commis le pire crime qui puisse exister. Vous allez devoir payer.

_C'est toi qui vas payer ! s'exclame Sylphia en créant une boule de feu écarlate entre ses mains tendues et en la projetant vers elle de toutes ses forces.

Némésis ne fait pas un mouvement, se contente de contrer du tranchant de sa faux et l'attaque explose sans la blesser. Déjà, les trois autres chevaliers élémentaires se sont joint au combat, employant leurs techniques de destruction à la puissance sans rivale. Mais la faux recourbée érige un mur d'acier invisible devant leur adversaire, et tous les coups viennent s'y briser.

_La grandeur de votre crime me donne la force nécessaire pour employer le plus terrible pouvoir dont je dispose, dit Némésis en faisant tournoyer son arme autour d'elle comme pour tracer un cercle. Que les Abîmes du Tartare vous engloutissent !

Il y a un rugissement terrible au moment où l'espace se déchire tout autour d'eux. Renonçant à encore essayer d'attaquer, les chevaliers élémentaires s'efforcent de résister en s'agrippant au sol. Gaïa augmente la gravité autour d'eux tandis qu'Algébia tente de rétablir sa barrière du vide une nouvelle fois.

_Le Tartare est endroit situé plus profondément encore que les Enfers, leur parvient encore la voix de Némésis. C'est là que sont enfermés les pires criminels, ceux qui ont violé l'ordre sacré et immuable. C'est la prison ultime, une dimension dont il est impossible de s'enfuir. Vous y demeurerez emprisonnés jusqu'à ce que cette guerre soit terminée, après quoi je m'occuperai de vous châtier comme le mérite votre audace sans pareille !

La réalité se brise en éclats de verre et un cercle de lumière noire vient se refermer autour des quatre chevaliers élémentaires, leur ôtant toute possibilité de s'échapper. Et, lorsque Némésis relâche finalement toute l'énergie qu'elle a accumulé, le sol sous ses adversaires s'ouvre sur un gouffre noir et sans fond qui les engloutit sans leur laisser le temps de crier.

Une seconde plus tard, la réalité est revenue à la normale, si ce n'est qu'il ne reste plus aucune trace des quatre chevaliers élémentaires. Le corps de Ganymède et les débris de l'urne brisée d'Athéna ont également été emportés.

_Je regrette de ne rien pouvoir faire pour vous aider, Artémis, fait Némésis en se retournant vers elle. Mais mes pouvoirs ne me le permettent pas. Vous devriez aller voir votre père. Quant à moi, j'ai une tâche urgente à mener à bien.

Si Artémis savait quelle était la nature de cette tâche, nul doute qu'elle déciderait de l'en empêcher par la force. Peut-être même qu'elle l'emporterait. Après tout, la déesse de la vengeance est momentanément affaiblie après son combat contre Athéna et la technique surpuissante qu'elle vient d'employer, et sa force serait de toute façon limitée contre quelqu'un qui n'a aucunement enfreint l'ordre divin. Mais Artémis ne connaît pas les ordres qu'a donné Zeus à Némésis et elle se contente de la laisser s'en aller sans rien dire. Un bref éclair bleu marque le départ de la déesse de la vengeance.

Restée seule, l'ancienne déesse de la chasse demeure immobile un long moment. Puis, lentement, elle se met en route sur l'un des chemins menant au palais de Zeus.

* * *

Athéna flotte librement à travers le vide entre les dimensions, les yeux grand ouverts, une main encore crispée autour de sa lance. Le sang de ses blessures s'échappe de son corps de façon ininterrompue, l'enveloppant d'un brouillard de gouttelettes écarlates. Elle a tellement froid.

S'accrochant à toute sa volonté, la déesse de la sagesse s'efforce de se redresser. Elle se sent terriblement faible. Vide, même. Ses pouvoirs sont terriblement affaiblis, au point qu'elle ne parvient même pas à refermer les blessures laissées par la faux de Némésis. Ses sens divins semblent en train de s'embrumer peu à peu.

Non ! Ce n'est pas le moment de se laisser aller, surtout pas maintenant. Dans un sursaut d'énergie, Athéna parvient à se relever. Son armure lui paraît terriblement lourde, un fardeau démesurée qu'elle ne va pas pouvoir supporter plus d'un instant.

Le vide l'entoure de toute part, infini et éternel. La seule façon d'y échapper est de créer une issue. Mais l'effort paraît impossible à réaliser. Athéna ferme brièvement les yeux.

_Grand-père, murmure-t'elle pour elle-même, je crois que je vais mourir.

Puis ses yeux sombres se rouvrent et la déesse de la sagesse brandit sa lance, concentrant toute la puissance qui lui reste, sa force vitale, sa volonté, ses sentiments, son orgueil même. L'arme se met à brûler d'une aura dorée aveuglante. Puis Athéna fait un geste et une brèche s'ouvre en direction de l'Olympe.

* * *

Quelque part, à l'endroit où devait autrefois s'élever un temple majestueux, gît le corps presque immobile d'un dieu baigné de son propre sang. Hermès aux pieds ailés est allongé là, s'efforçant péniblement de retrouver ses forces. L'attaque qu'il a reçu n'a pas infligé le moindre dommage à son armure divine. Tel n'est pas le pouvoir de Déméter. Elle s'est directement attaqué à la force vitale de son corps pourtant immortel, le détruisant littéralement de l'intérieur.

Il a survécu, pourtant, grâce à son essence divine. Mais son enveloppe corporelle est terriblement endommagée et ne semble pas se régénérer à la vitesse normale. Dans ces conditions, il ne peut guère faire quoi que ce soit, sinon attendre.

_Zeus, murmure le dieu des messagers dans un souffle, je prends parti contre Athéna.

L'unique éclair qui lui répond illumine brièvement le ciel éthéré de l'Olympe.

* * *

Apollon interrompt sa méditation et l'esprit du dieu du soleil regagne son enveloppe corporelle. Il se trouve assis en tailleur au milieu d'une caverne de pierre blanche, quelque part sur l'Olympe. A une époque, cet endroit a été un endroit de culte, mais désormais, plus personne ne l'utilise. C'était là qu'Apollon a choisi de se réfugier temporairement pour échapper à Zeus.

_Je vois, fait-il pensivement. Hermès a décidé contre Athéna en fin de compte. Mais le procès n'est pas encore achevé. Il faut que je retrouve Athéna pour lui prêter secours.

Le dieu s'engage dans l'étroit couloir menant vers l'extérieur éclairé, échafaudant dans le même temps une multitude de plans pour sauver encore la situation. Il ne reste plus qu'une vingtaine de minute avant la fin du procès. A ce moment-là, Zeus se prononcera à son tour et il sera libre d'absorber l'essence d'Athéna.

_Uranie ! Calliope ! Erato ! appelle brusquement Apollon. Venez, j'ai des tâches importantes à vous confier.

Aucune réponse ne lui parvient. Surpris, Apollon parvient à l'extérieur. Une surface plane s'étend là, pavée de marbre au flanc de l'Olympe. C'est là que ses Muses devaient monter la garde pour le protéger tandis qu'il observait les évènements à distance.

Apollon cligne des yeux au moment où la clarté du jour éternel vient frapper ses yeux. Le marbre est écarlate et les colonnes ciselées ont été pulvérisées. Au sol gisent les membres déchiquetés de ses trois derniers serviteurs.

_Apollon, dit celle qui se tient devant lui, sa faux encore dégoulinante de sang à la main, tu étais le fils préféré de Zeus et tu l'as trahi. La justice éternelle demande que tu payes pour ton crime.

Mais le dieu ne la regarde pas, ne croise pas ses yeux d'un blanc lumineux. Il regarde les corps en lambeaux de ses trois Muses, fidèles jusqu'au bout et morts pour le défendre une dernière fois, et son cœur immortel se charge d'un chagrin profond.

_Ils ne faisaient que m'obéir, dit-il finalement en relevant la tête. C'était uniquement par fidélité envers moi.

_Je sais, dit Némésis en brandissant sa faux. C'est pour cela que je les ai laissés mourir rapidement et relativement sans souffrance. Ton châtiment sera bien pire, dieu renégat.

_Qu'il en soit ainsi, répond Apollon en enflammant son aura autant que l'astre du jour. Ce combat sera pour moi l'occasion d'expier la faute que j'ai commise en ne soutenant pas Athéna plus tôt !

Némésis ne répond pas, mais la lame écarlate de son arme démesurée brûle désormais d'un feu aussi glacial que celui de son regard.

L'impact qui suit leur première attaque fait trembler le sol de l'Olympe et enfouit la caverne abandonnée sous un monceau de rochers.

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Cette fiction est copyright Romain Baudry.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.