Chapitre 43 : Saigo No bunkai - Un jour…


Cette pierre, brise-la.

Seiya embrassa du regard tout ce qui l'entourait. Il se sentait désorienté, mais ce n'était pas dû au simple fait de se retrouver ici. C'était infiniment plus que cela, c'était…

Une pierre est faite d'atomes. Nos corps aussi sont faits d'atomes. Les fleurs, les arbres, les insectes et tout ce qu'il y a sur terre. Et aussi cette étoile qui brille dans la nuit.

L'étoile, oui. Un sourire se dessina sur les lèvres de Seiya. Il pouvait la voir, infiniment loin devant lui, juste au-dessus de l'horizon oriental. La première étoile du soir. La journée était en train de toucher à son terme. Ou, du moins, elle avait été sur le point de toucher à son terme lorsque la Terre s'était arrêtée. Au-dessus de sa tête, le ciel était d'un bleu presque indigo. Derrière, le soleil n'en finissait plus de s'abîmer dans une mer d'écarlate flamboyant.

L'heure était silencieuse. Même le grand Zeus, père et meurtrier des dieux, semblait attendre. Le pouvoir rayonnait de lui comme d'un soleil en éruption, mais son visage étrangement jeune avait une expression presque contemplative, comme si une pensée subite était venue interrompre momentanément sa furie destructrice.

Tout ce qui existe dans cet univers est fait d'atomes. Et tu dois savoir que la destruction de la matière passe par la destruction de l'atome.

Une journée. Seiya réalisa brusquement. Tout cela n'avait duré qu'une simple journée. Tous ces combats dans l'Olympe, à travers les temples des douze dieux, tous ces adversaires redoutables, tous ces périls qu'il avait fallu affronter. Il était devenu un dieu, avait retrouvé la déesse à laquelle il avait juré fidélité, puis l'avait perdu de nouveau. Il avait vu le visage de celle qui avait été son maître. Il avait combattu les dieux et assisté à la mort de plusieurs d'entre eux. Cela lui avait paru une éternité. En fin de compte, cela n'avait pourtant été qu'une journée.

Combien de temps s'était-il écoulé depuis le jour où il avait remporté son armure en ce lieu ? Même pas deux ans. Combien de choses avait-il accomplies depuis lors ? Combien de choses avait-il vécues ? Et pourtant cela n'avait été en fin de compte qu'une courte période, comparée aux six longues années qu'avait duré son entraînement.

Seiya, la technique de combat des chevaliers sacrés est liée à la création de l'univers et l'univers est né d'une explosion.

Seiya croisa le regard fixe du maître du tonnerre, dans lequel brûlait une flamme de démence, et il se sentit pris d'un vertige. Que représentaient ces deux années où il avait maîtrisé ses pouvoirs par rapport aux millénaires qu'avait vécu son adversaire ? Et que représentaient leurs existences à tous deux à l'échelle de l'univers ? Rien. Tout. La question avait-elle un sens ? Même s'il n'était en fin de compte qu'une parcelle infime de tout ce qui existait, il lui appartenait de se battre aujourd'hui, maintenant, ici.

Seiya, essaye d'exploser de l'intérieur et change tes coups en étoiles filantes…

Seiya leva les yeux, comme saisi d'une impulsion. Les trois Moires se trouvaient réunies au sommet de l'horloge du zodiaque. L'espace d'un instant, il croisa le regard de l'une d'entre elles. Et soudain, il se souvint de tout, depuis le jour de sa première naissance. Tout ce qu'il avait été, tout ce qu'il avait accompli, tout ce qu'il était devenu. Et, brusquement, il réalisa. En fin de compte, peut-être que toutes ces existences qui avaient été les siennes n'avaient eu d'autre but que de le préparer à cet instant-ci.

Puis Atropos, la Moire du passé, ferma ses yeux infiniment profonds et disparut.

_Et bien, enfant-dieu, dit soudain Zeus d'une voix qui se répercutait à travers l'espace, es-tu prêt à livrer bataille ou dois-je te foudroyer où tu te tiens ?

Seiya se retourna vers son adversaire immortel et ses yeux brûlaient d'une résolution éternelle.

_Je vais combattre.

Zeus leva une main et la foudre divine vint la nimber en une aura aveuglante. Pourtant, Seiya ne détourna pas le regard. La puissance du maître des cieux était de nouveau en train de s'accroître démesurément. Des éclairs multiples jaillissaient de son cosmos incandescent, faisant voler en éclats les dalles de pierre de l'arène et fracassant les quelques colonnes qui se tenaient à proximité.

_Il est temps d'en finir, dit calmement Seiya, comme indifférent à cette explosion de pouvoir.

_En effet, répondit le maître des nuées. J'ai sans doute tort de t'accorder plus d'importance qu'aux autres adversaires dérisoires qui veulent encore me faire obstacle. Mais tu m'intrigues, homme qui détient le pouvoir de tuer les dieux. Pour une raison étrange, je ne parviens pas à savoir quel concept tu incarnes.

Seiya se mit en garde. Le soleil était toujours figé juste au-dessus de l'horizon, plongeant le monde dans une semi-obscurité diffuse, mais l'énergie inconcevable qui émanait de Zeus illuminait l'intérieur de l'arène comme si cela avait été le milieu de la journée.

_Je ne suis pas surpris que tu ne parviennes pas à le savoir, répondit le chevalier Pégase avec un sourire de défi. C'est peut-être la seule chose que tu ne puisses comprendre, maître des dieux. Mais as-tu la patience d'entendre une légende ? C'est Marine qui me l'a enseignée.

Ses mains se déplacèrent, dessinant les contours de Pégase. Les mêmes mouvements qu'il avait pour la première fois effectué ici même. Ils faisaient autant partie de lui que son propre nom. Face à lui, Zeus attendait, le bras brandi, la foudre dans sa main droite.

_Il y a bien longtemps de cela, dit Seiya, dont les poings étaient en train de s'embraser d'une lueur bleue, les dieux offrirent au titan Epiméthée une femme nommée Pandore en mariage. Comme présent, ils offrirent à Pandore une jarre en lui enjoignant de ne jamais l'ouvrir. Mais la curiosité la dévorait et elle désobéit. Or la jarre contenait tous les biens qui existent en ce monde. Et, lorsque Pandore l'ouvrit, ces biens retournèrent au royaume des dieux. Mais elle eut le temps de refermer le couvercle et l'un d'entre eux demeura. Et ce bien-là est depuis toujours l'apanage unique de l'humanité.

Seiya s'arrêta. Il ressentait l'univers au plus profond de son être, avec une acuité qui lui faisait presque venir les larmes aux yeux. Clotho, la Moire du présent venait d'apparaître là où s'était autrefois tenu le Grand Pope et avait levé une main.

Un déluge d'étoiles incandescentes marqua le début de l'ultime combat.


_Qu'est-ce que c'est ? Qu'est-ce…

La voix de Nachi mourut sur ses lèvres. Le crépuscule était tombé sur le Sanctuaire, drapant tout ce qui s'y trouvait d'une infinité d'ombres. Et pourtant, à quelques centaines de mètres en contrebas, un deuxième soleil venait de naître au cœur des arènes anciennes. Sa clarté était si intense que, même à cette distance, il ne parvenait pas à le regarder en face.

_Ce ne peut être que Zeus, fit sourdement Alexer, une main en visière pour se protéger de la lumière aveuglante. Il a choisi cet endroit pour tout terminer.

_Pourtant, je ne ressens rien, dit Nachi nerveusement. Pas la moindre puissance. Rien.

_Le pouvoir de Zeus est au-delà de nos faibles perceptions, répondit Astrios avec une grimace crispée. Nous ne pouvons même pas le deviner.

_Je sens pourtant qu'il n'est pas seul, intervint Astreya, dont le sixième sens était le plus développé. D'autres pouvoirs se dressent face à lui et d'autres encore s'approchent pour prendre part au combat. Leur force est immense. Mais, malgré cela…

Un vent glacé se mit à souffler et plus aucun d'eux ne parla. Tous fixaient les arènes inondées de lumière intense autant qu'il leur était possible, s'efforçant de deviner ce qui s'y passait. Le dernier combat s'était-il déjà engagé ? Ils étaient incapables de le savoir, alors même que le champ de bataille se trouvait juste sous leurs yeux.

_Descendons, dit finalement Alexer. Quelle que soit la fin, je préfèrerais y assister directement.

Il n'y eut aucune réponse mais, comme d'un accord tacite, les quatre chevaliers entamèrent ensemble la descente des marches du Sanctuaire silencieux et abandonné.


Seiya esquiva de justesse la première boule de foudre, bondit par-dessus la deuxième et détruisit la troisième d'une comète bleutée. Ce n'était pas suffisant. Face à lui, Zeus semblait presque s'amuser, pour autant qu'une telle émotion puisse encore caractériser le dieu. Les globes d'énergie crépitante jaillissaient de sa main les uns après les autres, avec une vitesse toujours croissante, et chacun d'entre eux était chargé d'une puissance dévastatrice. Seiya avait conscience du fait que se laisser toucher, rien qu'une fois, signifierait probablement la défaite. Il ne pouvait pas se permettre la moindre erreur.

La trajectoire des boules de foudre était erratique, défiant toute logique, mais leur rapidité n'était pas moindre. Même avec ses réflexes divins, Seiya ne disposait que d'un temps de réaction infime. Tôt ou tard, il allait être dépassé, réalisa-t'il. Autant reprendre l'offensive maintenant. Bondissant dans les airs pour éviter le restant de l'offensive, il concentra la totalité de son énergie dans son poing droit en une fraction de seconde avant de déclencher son attaque.

_Pegasus Ryu Sei Ken !!

Le regard flamboyant de Zeus croisa brièvement celui du chevalier divin au moment où partait le coup. Mais Seiya n'eut même pas le temps de distinguer la contre-attaque du dieu suprême. Un mur de lumière aveuglante le percuta de plein fouet, l'engloutissant dans un univers de douleur intense. Incapable d'esquisser le moindre mouvement pour résister à la force destructrice qui le submergeait, Seiya fut projeté comme un fétu dans une tornade. Lorsqu'il s'écrasa finalement à l'autre bout de l'arène, creusant un véritable cratère dans le sol dallé, c'était à peine s'il était encore conscient.

Il se releva pourtant presque aussitôt, chancelant mais déterminé au-delà de toute détermination. Si la douleur que pouvait ressentir un dieu avoisinait l'infini, il en allait de même pour les ressources dont il disposait, songea-t'il en essuyant d'un revers de main le sang qui maculait son visage. Il fallait maintenant qu'il sache en tirer pleinement parti.

Son armure divine l'avait protégé de l'essentiel de l'attaque. Mais ce ne serait pas le cas une deuxième fois. Seiya eut un choc en découvrant l'état de sa protection sacrée. Avec son accès au neuvième sens, l'armure de Pégase avait atteint sa forme la plus parfaite, une forme qui n'avait jamais dûe être imaginée par ses créateurs mêmes. Elle avait été étincelante de pouvoir quelques instants auparavant seulement, lorsqu'il s'était lancé dans la bataille. A présent, ce n'était plus qu'un entrelac de fissures béantes, qui laissait çà et là apparaître la peau nue. Un seul coup donné avec toute la force du dieu suprême avait suffit à la fracasser comme du cristal. Mais Zeus avait-il seulement utilisé toute sa force ?

Seiya se remit en garde. L'énergie vivante qui baignait d'ordinaire n'importe quelle armure avait totalement disparue des morceaux de métal qui le protégeaient encore et il avait froid. Face à lui, Zeus le regardait sans émotion apparente.

_Tu n'es rien devant moi, petit chevalier qui a accédé à la divinité, dit soudain le dieu du tonnerre d'une voix neutre, légèrement méprisante. Malgré toute ton évolution, tu n'es pas plus dangereux pour moi que tu ne l'étais la première fois où tu t'es tenu ici. Je peux créer des mondes entiers avec mon pouvoir, je peux faire et défaire les dieux à ma guise. Quelle que soit ta nature réelle, en fin de compte, elle ne te confère pas un pouvoir comparable.

Seiya ne prit pas la peine de répondre. Le mépris d'un adversaire était une arme, cela faisait longtemps qu'il avait appris cette leçon. Mais la pensée lui vint malgré tout que jamais l'écart de force n'avait dû être tellement en sa défaveur. Ni quand il avait affronté les chevaliers d'or, ni même lorsqu'il avait fait face à Hadès. Lui était-il seulement possible encore d'élever son niveau de puissance ?

Malgré toutes ses paroles, Zeus n'avait pas totalement absorbé son Ryu Sei Ken, réalisa brusquement Seiya. La constatation raviva son espoir. L'armure splendide du souverain des cieux était marquée de plusieurs fêlures. Infimes, mais réelles, bien qu'elles soient déjà en train de se résorber. Il ne devait pas être invincible malgré tout. Personne ne l'était.

Un sourire de dédain apparut sur les lèvres de Zeus, comme s'il lisait aisément les pensées de son adversaire.

_Tu ne m'intéresses déjà plus, chevalier-dieu. En fin de compte, tu ne méritais pas que je t'attache tellement d'importance.

Le maître de la foudre tendit les mains devant lui et une sphère de lumière se matérialisa entre elles. Face à lui, Seiya se tendit. Le choc qu'il venait de subir avait-il perturbé ses sens ? Il était totalement incapable d'évaluer la puissance de l'attaque qui allait venir. Mais une sorte d'appréhension était en train de l'envahir. Allait-il seulement pouvoir survivre à ce qui arrivait ?

Une main se posa sur son épaule. Tournant la tête, Seiya croisa le regard bleu glacier de Hyoga qui se tenait maintenant à ses côtés. Le chevalier divin du Cygne lui sourit brièvement tandis que son cosmos édifiait déjà une barrière de glace devant eux.

_Je ne sais pas si… commença Seiya.

Il n'eut pas le temps d'aller plus loin. L'attaque de Zeus déferla sur eux comme un fleuve d'énergie irrésistible, désintégrant en un instant la protection hâtivement suscitée. Les deux chevaliers se crispèrent, se préparant à endurer le choc. Mais lorsque celui-ci vint finalement, il fut encore bien plus terrible tout ce qu'ils avaient pu escompter.


Adonis faillit se laisser tomber au sol lorsqu'il franchit finalement le seuil dimensionnel pour se retrouver sur Terre. Il avait été le tout dernier à quitter enfin l'Olympe, alors que le mont divin commençait déjà à s'écrouler. Il lui avait fallu puiser dans des ressources qu'il n'avait jamais soupçonné en lui-même pour ne pas périr là-bas. Il garderait certainement des séquelles. Il était même probable que son cosmos ne retrouverait jamais son niveau d'antan. Mais quelle importance, désormais ? Pour survivre ou pour voir tout mourir, il était de retour dans son propre monde.

Ignorant les autres rescapés de l'Olympe, généralement effondrés au sol en train d'essayer de reprendre leur souffle, Adonis entreprit de se concentrer. Le simple fait d'avoir recours à son sixième sens était comme une brûlure qui ravageait son cerveau, mais il se força à ignorer la douleur. La bataille. Seule comptait la bataille. Mais où se déroulait-elle ?


Hyoga se redressa, non sans difficulté. Un coup d'œil lui apprit que Seiya n'avait pas eu autant de chance. Le chevalier de Pégase gisait sur le sol de l'arène, le visage contre les dalles antiques que maculait son propre sang. Son armure avait été totalement pulvérisée.

Un rictus désespéré apparut sur les lèvres de Hyoga. La sienne propre n'était guère en meilleur état. Une chiquenaude suffirait sans doute pour qu'elle achève de tomber en poussière.

Face à lui, Zeus ne manifestait aucune émotion à le voir encore debout. Mais son aura de puissance s'agitait furieusement autour de lui, comme sur le point d'échapper à tout contrôle. Hyoga se crispa. Ses sens divins lui permettait tout juste de deviner l'étendue du pouvoir de Zeus. Ou du moins, du pouvoir que le maître des cieux laissait paraître. Il ne pourrait pas faire face seul. Seiya était hors de combat pour le moment et il allait falloir encore quelques instants à Shiryu et Ikki pour reprendre connaissance. Il devait gagner du temps…

Du temps. Une inspiration subite lui vint à l'esprit. Embrasant son cosmos glacial, Hyoga le poussa en un instant jusqu'à son maximum. Un froid surnaturel s'abattit sur l'arène, gelant les dalles de pierre tout autour de Zeus. Le dieu de la foudre fronça très légèrement les sourcils, comme cherchant à deviner ce que tentait son adversaire. Hyoga ne perdit pas de temps. Se fiant aux souvenirs de ce qu'il avait déjà réussi une fois, il entreprit de figer tout ce qui entourait Zeus dans une glace intemporelle. L'air se ternit, la lumière même que dégageait l'aura du maître des cieux se mit à diminuer d'intensité. Plus de force, il fallait encore plus de force. Puisant dans toutes les ressources auxquelles il avait accès, Hyoga matérialisa une énergie supérieure à tout ce qu'il avait jamais atteint. L'espace commença à se solidifier devant lui.

Puis Zeus sourit.

_Je vois que tu as appris à geler le temps, jeune dieu, remarqua-t'il avec une apparente désinvolture. C'est là quelque chose dont bien peu de divinités seraient capables, en vérité. Malheureusement pour toi, ma maîtrise du temps va infiniment au-delà.

Hyoga écarquilla les yeux au moment où son contrôle lui échappait. D'un simple geste de la main, Zeus dissipa tous ses efforts et le temps reprit son cours normal autour de lui. Incapable de récupérer suffisamment rapidement, le chevalier du Cygne n'eut que le temps d'esquisser un mouvement avant qu'une lumière grise ne descende sur lui et ne l'engloutisse dans une infinité vide.

avant qu'une lumière grise ne descende sur lui et ne l'engloutisse dans une infinité vide.

ne descende sur lui et ne l'engloutisse dans une infinité vide.

ne l'engloutisse dans une infinité vide.

une infinité vide.

vide.


Zeus sourit de nouveau. Puis il tendit une main et l'oiseau de feu crépitant d'énergie qui fondait sur lui vint s'écraser sur une barrière immatérielle.

_C'est vraiment très inutile, observa-t'il avec une sorte d'ennui. Je t'aurais cru bien placé pour comprendre qu'une telle puissance ne pouvait strictement pas m'affecter, quand bien même elle aurait sans doute été suffisante pour détruire ce sanctuaire de fond en comble.

Debout devant le maître des cieux, Ikki ne répondit pas immédiatement. Il l'avait su, c'était vrai. Depuis qu'il avait repris totalement connaissance, un instant auparavant seulement, une multitude d'intuitions et de quasi-connaissances étaient apparues dans son esprit. Etait-ce là la véritable portée du concept qu'il incarnait ? Son regard croisa brièvement celui de la Moire qui présidait à leur duel. Peut-être qu'elle seule aurait pu répondre à sa question. D'une façon ou d'une autre, cela ne lui était en fin de compte d'aucune aide. En cet instant, les fils du destin étaient si emmêlés que, même en pouvant les voir, il était incapable d'en tirer aucune conclusion quant à l'avenir. Peut-être était-ce tout simplement impossible.

Ikki se retourna vers Hyoga, qui se tenait toujours à l'endroit où l'attaque de Zeus l'avait frappé. Mais le chevalier du Cygne était totalement immobile, comme figé dans l'espace d'une seconde, et sa silhouette était transparente, irréelle.

_Je l'ai emprisonné dans une boucle temporelle, dit Zeus avec calme, anticipant la question. Quelque chose qui dépasse même la compréhension de la plupart des dieux. Mais pour moi, ce genre de choses ne demande plus qu'un effort infime. J'aurais pu le détruire, mais à quoi bon ? Les instants qui restent à ce monde tirent déjà à leur fin.

La rage immortelle du Phénix embrasa Ikki.

_Tu te crois donc le maître de tout ce qui existe ? cracha-t'il avec fureur.

_Bien entendu, répondit Zeus sans la moindre expression. En vérité, c'est là mon concept lui-même. La souveraineté. Peu importent les principes et les forces qui régissent cet univers. La seule chose qui importe est la volonté de celui qui peut les contrôler. Ma volonté.

Les muscles d'Ikki se tendirent et une aura flamboyante naquit autour de lui, s'étendant jusqu'à presque rivaliser d'intensité avec celle qui recouvrait Zeus. Les ailes enflammées du Phénix vinrent l'entourer comme une deuxième armure et un cri strident déchira l'air du crépuscule.

_Tu n'es pas encore omnipotent ! lança-t'il avec défi.

_Peut-être pas, admit Zeus sans paraître aucunement troublé. Mais la distance qui m'en sépare n'est pas plus épaisse qu'un cheveu. Et, en ce qui vous concerne, cette distinction est purement rhétorique. Votre force reste infiniment insuffisante. C'est particulièrement vrai de toi.

_De moi ? répéta Ikki avec méfiance.

_Bien entendu, dit Zeus en tendant un doigt vers lui. Pauvre petit humain, tu t'es naïvement imaginé que tu pouvais être un dieu et un chevalier élémentaire à la fois. Tu as même cru que cela renforcerait ta force, alors que c'est tout le contraire. On ne peut pas à la fois incarner une partie de la réalité et la canaliser à travers un concept, c'est un paradoxe. Et ce paradoxe va suffire à provoquer ta destruction maintenant.

Ikki se tendit, prêt à contrer ou à esquiver toute attaque dirigée contre lui. Une nouvelle intuition était en train de se former dans son esprit. Une intuition terrible. Mais il ne fut pas assez rapide. Son cosmos entra brusquement en éruption et se retourna contre lui-même. Toute la puissance qu'il avait concentrée reflua à travers son corps en un contre-coup destructeur, calcinant sa chair et faisant bouillir son sang. Ravagé par la douleur, incapable de faire quoi que ce soit pour faire cesser cette offensive qui venait de lui-même, Ikki tomba à genoux, s'efforçant malgré tout de reprendre le contrôle.

Mais il ne pouvait surmonter sa propre force.


Zeus regarda un instant le chevalier Phénix en proie à ses propres flammes. Le spectacle avait quelque chose d'assez ironique. Puis il se détourna pour faire face au dernier des chevaliers divins, qui avait fini par se relever à son tour.

Seul à être encore debout face à Zeus, Shiryu ressentait une appréhension presque incontrôlable. Ses trois frères étaient incapables de lui prêter la moindre assistance. C'était à lui, qui n'était plus un dieu, de gagner les quelques instants nécessaires. Nécessaires à quoi ? Il n'en était pas certain. Privé d'opposition, Zeus détruirait le monde. Il ne pouvait rien faire que l'affronter en espérant que d'autres viendraient l'aider. Ou tout disparaîtrait. Le Sanctuaire, Rozan, Tokyo… Shunrei… Il ne resterait plus rien.

_Dois-je vraiment m'abaisser à t'affronter ? interrogea soudain Zeus avec un mépris amusé. Même s'il est vrai que, comparé à ma force, il n'y a pas de grande différence entre toi et tes frères, je ne tiens pas à perdre du temps pour un chevalier qui n'a été un dieu que quelques brefs instants.

_Dans ce cas, auras-tu du temps à perdre pour entendre les paroles de Shaka ? lança Shiryu.

Toute trace d'amusement disparut brusquement du visage de Zeus et les yeux du dieu s'étrécirent dangereusement.

_Quelle folie inventes-tu là, chevalier d'Athéna ? demanda-t'il d'une voix agressive. Shaka est mort.

Shiryu ouvrit la bouche pour répondre lorsqu'une douleur sourde naquit dans l'arrière de son crâne, obscurcissant presque sa conscience et l'empêchant de faire le moindre geste. Indistinctement, il sentit que quelque chose était en train de fouiller les méandres de son esprit. Puis l'impression disparut.

_Tu ne sembles pas mentir, dit finalement Zeus, une expression indéchiffrable sur le visage. Les ressources de mon élèves sont véritablement étonnantes. Mais il est perdu pour moi, quoi qu'il en soit, ou il se serait manifesté bien plus tôt. Quel est donc son message ?

Shiryu prit une inspiration. Il n'avait pas imaginé devoir transmettre le message de Shaka de façon si abrupte. Mais il était incapable de trouver une autre façon pour le moment. Les mots mêmes de celui qui avait été le chevalier de la Vierge devraient suffire.

_Il a dit que la fleur n'est pas encore éclose, dit-il, s'efforçant de mettre tout le poids possible dans ses paroles, et qu'il faut lui laisser le temps de le faire.

Le silence s'ensuivit.

_Peut-être que sa sagesse a finalement dépassé la mienne, dit soudain Zeus d'une voix pensive. Cela ressemble à quelque chose que j'aurais pu lui dire, à l'époque où je lui enseignais.

Son aura flamboyante avait perdu sa clarté agressive et éblouissante et le pouvoir qui se dégageait toujours de lui par vagues semblait plus apaisé qu'un instant auparavant. Le regard de Zeus avait un peu perdu de sa démence et quelque chose qui n'était pas tout à fait du regret semblait y transparaître.

_Il a raison, dit finalement le maître de la foudre, tournant le regard vers le ciel crépusculaire. La fleur n'est pas encore éclose.

Puis son cosmos explosa. Shiryu fut projeté en arrière, aveuglé, et ne parvint que de justesse à se recevoir sur ses jambes. Des éclairs de puissances brutes vinrent pulvériser les dalles de pierre tout autour de Zeus et, lorsque celui-ci parla de nouveau, sa voix roulait comme l'écho du tonnerre.

_Elle n'est pas encore éclose et elle ne le sera jamais ! Cela fait longtemps que le gel l'a desséchée, sans quoi mes efforts seraient parvenus à la faire s'ouvrir ! Shaka se trompe ! Et toi, qui me rapportes ses paroles, tu vas pouvoir contempler de tes propres yeux l'étendue du pouvoir qui va arracher cette fleur déjà morte et en recréer une autre ! Apprends que ma force est telle que je peux non seulement détruire les dieux…

La lumière s'intensifia devant Zeus jusqu'à acquérir une substance propre. Incapable de regarder en face la clarté aveuglante, Shiryu se protégea les yeux de la main. Une silhouette était en train d'apparaître au sein de cette concentration de puissance, plus brillante que le cœur d'une étoile.

_…mais aussi les recréer pour qu'ils me servent !

La lumière s'évanouit brusquement, laissant une silhouette derrière elle. Les yeux de Shiryu s'écarquillèrent lorsqu'il la reconnut. Un sourire inhumain se dessina sur les lèvres de la divinité ressuscitée. Et lorsque la faux s'abattit, ce ne fut que de justesse qu'il parvint à l'esquiver.


Zeus n'accorda qu'un regard très bref au combat qui commençait. Le résultat, même s'il paraissait écrit d'avance, ne l'intéressait pas. Ramener une divinité du monde des morts , une tâche que tous les dieux de l'Olympe n'auraient pu accomplir, ne lui avait coûté en fin de compte qu'une parcelle infime de son pouvoir. Une parcelle qu'il ne lui faudrait que quelques secondes pour récupérer totalement. Voilà, c'était fait.

Tout cela n'était rien, en fin de compte, seulement une façon de tester progressivement toutes les possibilités du pouvoir qui était désormais sien. Une façon d'attendre que ses derniers adversaires se manifestent enfin.

Zeus se retourna vers le centre de l'arène. Il ne fut pas véritablement surpris de ce qu'il vit.

_Tu te relèves encore une fois.

Seiya parvint à esquisser un sourire, mais ne répondit pas immédiatement. Il en était incapable. Chaque nouvelle inspiration ravivait la douleur de ses blessures et c'était à peine s'il parvenait à se tenir debout tant ses jambes étaient vides de force. Son armure avait été pulvérisée et il n'était plus vêtu que de sa tunique protectrice, laquelle était déchirée en plusieurs endroits et maculée de son sang. Pourtant, il sentait que le pouvoir qui l'habitait n'avait pas diminué. Au contraire, peut-être même qu'il augmentait encore.

_Mon concept ne peut me permettre d'abandonner, répliqua-t'il en se remettant en garde. Plus je me relève, plus ma puissance augmente.

_C'est ce qui a fait ta force jusqu'à présent, dit Zeus sans guère d'expression. Mais l'espoir n'a plus lieu d'être lorsqu'il n'existe plus rien.

Il tendit un doigt nimbé d'une lumière éblouissante vers son adversaire. Son regard étincelant de clarté blanche ne manifestait pas plus d'intérêt que celui d'un homme sur le point d'écraser un insecte quelconque.

Face à lui, Seiya sentit l'appréhension se raviver en lui, presque aussi forte que l'espoir qui l'animait. Il avait peur. Pas seulement pour lui, mais pour tout ce qui était l'enjeu de cet instant. Le monde. Le simple mot ne suffisait pas à rendre compte de ce qu'il devait défendre, de ce que Zeus détruirait s'il l'emportait. Des milliards d'hommes, de femmes et d'enfants. L'espèce humaine dans son ensemble. Zeus effacerait jusqu'à son souvenir.

_C'est exact, dit le maître des nuées, lisant ses pensées. Je ne laisserai rien subsister de ce qui existe en cet instant. Mais tu ne le verras pas arriver, car ton existence absurde s'achève maintenant !

L'éclair fusa plus vite que la lumière, si rapide que mêmes les sens divins de Seiya parvinrent à peine à le saisir. Zeus était donc parvenu à s'affranchir même de cette limite-là, songea-t'il dans l'instant qui précéda l'impact. Il n'avait pas le temps d'esquiver, tout juste celui d'essayer de contenir à mains nues la puissance brûlante de Zeus. Une tentative vouée à l'échec, savait-il alors que le déferlement d'énergie destructrice s'abattait sur lui, mais sans l'espoir, il ne lui restait plus rien que la certitude de la fin. Seiya ferma les yeux au moment où l'impact le submergeait, effaçant instantanément tout ce qui se trouvait autour de lui.

Il eut l'impression de perdre connaissance, pendant une seconde ou une minute. Le vide l'entourait et il ne ressentait plus rien, ni son corps, ni son cosmos. Seule sa pensée subsistait encore au milieu des ténêbres. Etait-il donc mort ?

Puis un frémissement le parcourut et ses sens commençèrent à lui revenir lentement. Si c'était bien la mort, alors elle avait une étrange apparence, observa-t'il brusquement. Il sentait un poids contre sa poitrine et ses mains s'étaient refermées sur le contact de l'acier. Un toucher soyeux lui caressait un côté du visage. Et il y avait ce goût de pêche contre ses lèvres…

Les yeux de Seiya se rouvrirent brusquement pour se perdre dans le regard émeraude de Shina.

_C'est au moins la quatrième fois que nous nous retrouvons dans cette situation, observa-t'elle malicieusement. Non pas que je trouve cela vraiment désagréable.

_Shina… tu…

Un instant, Seiya ne sut pas exactement ce qu'il allait dire. Tous ses sens étaient brusquement revenus, amenant avec eux une conscience aiguë des formes de Shina pressée tout contre lui.

_…tu es blessée ?

La jeune femme haussa les épaules et s'écarta… juste un peu.

_Pas vraiment, fit-elle, se retournant tout en laissant un bras autour de sa taille. Depuis que j'ai fusionné avec Gaïa, j'ai atteint la maîtrise totale de mon potentiel. Dans ces conditions, mon armure est plus indestructible que ne l'était de toute évidence la tienne.

_Fusionné ? répéta Seiya en fronçant les sourcils.

_Oui, lui répondit-elle avec un sourire. Elle est dans ma tête en permanence, maintenant. Ce n'est pas aussi désagréable que je l'avais imaginé au début. Et, maintenant que je suis avec toi, c'est à peine si je sens encore sa présence. Mais ce n'est peut-être pas le moment de nous raconter l'un à l'autre tout ce qui s'est passé aujourd'hui.

Elle avait raison, réalisa Seiya, brusquement ramené sur terre. Zeus se tenait toujours là, au centre de l'arène désormais à demi dévastée. Pour le moment, cependant, il ne semblait pas leur accorder une véritable attention. Son regard était tournée vers les trois guerriers qui se tenaient juste devant lui, rayonnants de pouvoir.

_Nous nous rencontrons… enfin… fit Zeus d'une voix calme. Cela faisait un moment que je vous attendais, chevaliers élémentaires. L'un d'entre vous est censé être mon successeur, après tout.

_Ta succession ne nous intéresse pas, Zeus, rétorqua Algébia, qu'entourait une aura de lumière noire. Nous ne sommes venus que pour mettre un terme à ton usurpation. L'univers ne t'appartient pas.

_Oh ? J'ai pourtant le pouvoir de le détruire.

_Nous te l'arracherons, dit Meyastes d'une voix froide.

Un éclair de lumière intense traversa brièvement le regard de Zeus, qui ne répondit pas. Le cosmos qui le recouvrait entra de nouveau en expansion. Son éclat était tel qu'il éclipsait presque totalement la force pourtant considérable des trois chevaliers qui lui faisaient face.

Seiya sentit Shina se serrer plus fort contre lui.

_Je crois qu'il va bientôt être temps de jeter toutes les forces qui nous restent dans la bataille, murmura-t'elle. Alors, avant cela, je voudrais que tu m'apportes enfin une certaine réponse.

Seiya la regarda. Les traits fins de son visage ne laissaient transparaître aucune émotion, mais il pouvait malgré tout deviner le désir intense qui était en elle d'avoir enfin une réponse. Elle voulait savoir ce qui était dans son cœur. Mais le savait-il lui-même ? Avec surprise, Seiya réalisa que oui. Cela faisait longtemps qu'il le savait, même s'il avait futilement essayé de le cacher aux autres et à lui-même.

_J'aime Saori, dit-il, et cette simple admission retira subitement un poids immense de ses épaules, qu'il avait transporté depuis bien longtemps. Pas en tant qu'Athéna, mais pour tout ce qu'elle est à mes yeux, même la petite fille arrogante qui n'avait rien d'une déesse. Peut-être que j'ai commencé à l'aimer la première fois où elle est venue me voir dans mon appartement, alors que tous nos combats étaient encore à venir. Elle m'avait parue tellement froide jusqu'à ce jour-là et c'était comme si je découvrais brusquement quelqu'un de totalement différent. Je ne sais pas s'il est encore possible de la sauver, mais je ferai tout ce que je pourrai pour y parvenir en me souvenant qu'un jour, alors que rien ne l'y incitait, elle a choisi de me faire confiance.

Shina avait légèrement détourné le visage alors qu'il parlait et il ne put véritablement distinguer son expression. L'espace d'un instant, il crut voir un reflet humide dans ses yeux verts. Mais peut-être s'était-il trompé, car, quand elle parla enfin, sa voix était très normale, presque trop.

_Je suppose que je ne peux pas me plaindre de ce que tu as répondu à la question que je posais. Mais souviens-toi au moins que, si jamais tu parviens à la ramener, tu as grandement intérêt à mettre en œuvre tes belles paroles. Sans quoi je t'écorcherai vif comme j'aurais dû le faire ce fameux jour où elle t'a fait confiance.

Puis elle détacha finalement son bras de sa taille et s'éloigna de quelques pas, toujours sans le regarder. Seiya esquissa le geste de la retenir, puis s'arrêta.

Un rire sourd et cruel emplissait l'espace de l'arène, celui de Zeus maître des nuées.

_La ramener ? railla-t'il d'une voix sarcastique. Mais comment peux-tu un instant croire que tu en auras la possibilité, alors que tu n'es même pas assez fort pour te protéger toi-même ?! Regarde, voici ta déesse… celle que tu aimes !

L'espace se tordit, s'embrasant brièvement d'une myriade de couleurs impossibles. Et, l'instant d'après, Saori était là, gisant sans vie sur le sol noirci de l'arène à demi dévastée. Son armure la revêtait toujours et son bouclier comme sa lance se trouvaient à ses côtés, mais leur éclat terni ne faisait que souligner davantage la pâleur du teint de la jeune femme.

_Elle est belle, n'est-ce pas ? fit Zeus avec un rictus dément. Si seulement sa poitrine se soulevait encore ! Si seulement elle pouvait soudain se réveiller et te voir ! Mais cela n'arrivera jamais !

La foudre s'amassa entre les mains de Zeus dans un grondement de tonnerre. Seiya voulut courir, voulut interposer son corps devant elle pour la protéger. Mais il n'était déjà plus temps.

L'éclair frappa, vaporisant instantanément le corps de Saori. D'elle il ne resta plus rien, pas même quelques cendres.

_Désormais, dit Zeus, les yeux embrasés par une lumière intense, tout est fini pour toi.


_Le corps d'Athéna a été détruit. Il ne reste plus rien d'elle.

_J'avais espéré que nous pourrions encore la ramener en cumulant nos forces. Mais il est trop tard…

_Il nous faut combattre malgré tout. Son sacrifice ne doit pas être inutile.


Hyoga était perdu dans un univers sans forme ni cohérence où rien d'autre n'existait plus que lui. Il ne parvenait pas à se souvenir comment il y était arrivé. Son esprit était enfermé dans une logique cyclique qui l'empêchait d'additionner deux pensées cohérentes. Il avait vaguement conscience du fait qu'il devait réagir, mais il ne savait plus ni pourquoi ni comment. Que se passait-il donc ? Il lui semblait que la réponse était juste à portée de sa main, mais il était incapable de faire le moindre geste pour la saisir.

Zeus t'a enfermé dans une boucle temporelle. C'est une fraction de seconde qui se répète à l'infini, un instant tellement bref qu'il ne te laisse pas le temps de comprendre son fonctionnement, ni de réagir.

La voix qui traversa son esprit était féminine, agréable, rassurante. Hyoga avait l'impression qu'elle aurait dû lui être familière, mais il ne parvenait pas à se souvenir pourquoi. Tout comme il ne parvenait pas à se concentrer suffisamment pour comprendre ce qu'on lui disait. Il lui semblait que c'était important, pourtant…

Zeus n'a pas encore gagné la partie. En cet instant même, tous ceux qui s'opposent encore à lui sont en train de se rassembler.

Zeus. Le nom était important, mais le souvenir lui échappait. Cela avait un rapport avec sa présence ici, il en était presque certain. Les idées refusaient de s'imbriquer dans son esprit.

Il va me falloir un moment pour échapper à l'abîme qu'a entraîné la destruction de l'Olympe, mais, en attendant, je vais te tirer de cette prison immatérielle.

Hyoga sentit une force considérable s'agglomérer autour de lui et il eut l'impression d'être tiré brutalement en arrière. L'espace d'un moment, il lui sembla entrapercevoir un visage familier qui lui souriait.

Maman ?

Puis il y eut un choc brutal et le temps retrouva son cours normal autour de Hyoga, qui se retrouva dans l'arène dévastée où se poursuivait le combat.


_Vous avez senti cela ? On aurait dit le pouvoir de…

_Oui. Peut-être qu'elle s'est enfin décidé à ouvrir les yeux.

_Nous serions mal placés pour la critiquer, considérant le temps qu'ils nous a fallu. Quoi qu'il en soit, le moment est venu d'intervenir.

_Encore un instant. Si nous voulons avoir toutes les chances derrière nous, il faut que tous les chevaliers divins soient au maximum de leur pouvoir.


Ikki était en proie à une douleur qu'il n'aurait pu même imaginer avant de devenir un dieu. C'était comme si tout son corps avait été plongé dans un océan de souffrance incandescente à laquelle il n'existait aucune fin. Un mortel aurait perdu connaissance après quelques secondes de cette torture, mais Ikki avait désormais une endurance divine. Et même s'il avait pu ainsi se réfugier dans l'inconscience, il ne l'aurait pas fait. Ses frères avaient besoin de lui. Et même cette douleur était bien peu de chose par rapport à ce qui arriverait si Zeus parvenait à ses fins.

La mâchoire d'Ikki se crispa tandis qu'il s'efforçait de se concentrer suffisamment sur ce qu'il subissait. Il n'avait pas eu conscience de la dualité de son cosmos jusque-là et c'était à présent en train de le détruire sans qu'il puisse rien faire pour l'empêcher. Les deux moitiés qui constituaient sa cosmo-énergie étaient de même puissance et aucune des deux ne pourrait l'emporter. Incapable qu'il était de contrôler l'une ou l'autre, il ne pouvait qu'assister à ce conflit qui ne s'arrêterait qu'avec sa propre mort.

Sa mort. Pourquoi pas ? C'était toujours un risque à prendre.

Saisi d'une inspiration subite, Ikki entreprit d'intensifier encore son cosmos en conflit. C'était la seule chose qu'il pouvait encore faire et cela revenait en fait à accélérer d'autant son auto-destruction. La douleur qu'il éprouvait augmenta encore, mais elle était presque devenue quelque chose d'abstrait, à l'arrière-plan de sa détermination. Il n'y avait plus qu'une seule issue désormais, mais il fallait encore plus de puissance. Plus. Encore plus.

Le sol de pierre de l'arène commença à se liquéfier tandis que le Phénix s'immolait dans les flammes pour renaître.


_Quel pouvoir ! Je n'ai jamais rien ressenti de tel chez aucun dieu, ni même chez ces fameux élémentaires.

_Les résurrections du Phénix défient toute compréhension, même la nôtre. Quoi qu'il en soit, le moment est presque venu pour nous d'entrer dans la bataille. Il ne manque plus que l'un des chevaliers divins et ils seront tous réunis face à Zeus.

_Mais es-tu certain que celui-ci parviendra à l'emporter ? Il fait tout de même face à…


Némésis fit un pas sur le côté, aussi gracieuse qu'une danseuse, et sa faux décrivit une courbe d'acier qui aurait tranché Shiryu en deux s'il n'avait pas précipitamment reculé.

Cette fois-ci, le chevalier du Dragon ne songea même pas à tenter une riposte, la sachant à l'avance inutile. Privées de sa force divine, ses attaques n'avaient aucune chance de causer le moindre dommage à son adversaire. La déesse de la vengeance rayonnait de pouvoir à peine contenu, exactement comme la première fois où il l'avait rencontré. Elle avançait sur lui, sa faux entre ses mains, les yeux à demi-fermés comme si elle ne le voyait pas vraiment. Son pouvoir était aussi grand qu'il l'avait été avant qu'Apollon ne la détruise. Ce que cela disait de la puissance qu'avait déployée Zeus pour la ramener, Shiryu préférait ne pas y songer.

Il avait espéré que l'un de ses frères pourrait venir lui prêter main-forte, mais le combat contre le maître des nuées retenait apparemment toute leur attention. Il devrait s'en tirer seul. Sa seule chance était sa vitesse, égale à celle de son adversaire. Mais il avait perdu ses réflexes divins et il peinait à anticiper chacun des mouvements de la faux acérée.

Un arc de cercle meurtrier le manqua de justesse et il battit en retraite de nouveau. Il devait réfléchir, trouver un moyen de l'emporter malgré tout. Dans cette bataille finale, Némésis n'était rien, seulement un obstacle qui l'empêchait d'apporter sa force à ceux qui luttaient encore contre Zeus. Mais pourquoi le maître de la foudre l'avait-il ressuscité, elle ? Pourquoi pas un autre dieu ?

La réponse lui vint subitement. Zeus était assuré de la fidélité de Némésis. Sa dévotion fanatique à son concept l'aveuglait même à la destruction imminente de tout ce qui existait. Il devait pourtant y avoir un moyen…

_Qu'est-ce que la justice, pour toi ? demanda-t'il subitement, saisi d'une inspiration désespérée.

Némésis interrompit momentanément son avancée et ses yeux s'ouvrirent, laissant transparaître la lumière intense qui les habitait.

_C'est l'ordre universel, répondit-elle d'une voix pleine d'échos. C'est le fait de refuser l'hubris, de savoir accepter sa place dans l'univers.

_Zeus essaye de détruire cet univers ! dit Shiryu, s'efforçant contre toute probabilité de fléchir sa conviction absolue. Ce n'est pas lui qui l'a créé ! Ce n'est même pas lui qui a créé l'espèce humaine !

_Mais, en agissant ainsi, dit Némésis sans plus d'émotion qu'une statue, il ne fait qu'appliquer la justice. Les humains ont commis d'horribles crimes depuis qu'ils existent. Rien ne peut plus les racheter.

Elle fit un pas en avant et leva sa faux, dont le tranchant acéré luisait d'un éclat avide. Shiryu ne bougea pas. Il devait réussir ou il ne servirait à rien dans le combat contre Zeus. Il devait absolument la convaincre, infléchir sa certitude. Mais quel moyen avait-il d'y parvenir ? La déesse de la vengeance ne se remettrait jamais en cause, ne laisserait rien ébranler le fanatisme qui faisait aussi sa puissance.

Brusquement, des mots apparurent en lui, qu'il avait entendu peu de temps auparavant.

_Mais est-il juste de détruire ainsi tout ce qui existe et d'en oublier jusqu'au souvenir ? demanda-t'il soudain. Est-il juste que tous les efforts qui ont jamais été fait par les dieux et les hommes pour rendre cet univers meilleur, même s'ils n'y sont pas parvenus, ne résultent en fin de compte que sur un néant absolu et définitif ? Est-il juste de détruire cet univers s'il s'y trouvait ne serait-ce qu'une poignée d'êtres véritablement épris de bien ? Est-il juste de nier tout avenir, tout espoir, toute possibilité que la fleur qu'est ce monde ne s'ouvre enfin et ne devienne quelque chose qui soit beau ?

Face à lui, Némésis s'était immobilisée. Le coup même qui allait s'abattre sur lui pour le tuer s'était figé dans l'air. Une seconde de silence passa. Puis, lentement, très lentement, la déesse de la vengeance abaissa son arme.

_Non, ce ne serait pas juste.

Une expression de surprise apparut sur son visage tandis qu'elle prononçait les mots, comme si elle ne parvenait pas à concevoir leur vérité. Oubliant totalement son adversaire, elle se retourna vers Zeus, qui se trouvait toujours au centre de l'arène, drapé de son aura de pouvoir crépitante.

Shiryu saisit le choc dans son regard quand elle vit véritablement ce qu'était devenu le maître des nuées. Pour la première fois, le doute apparut dans les yeux lumineux.

Le chevalier du Dragon ne perdit pas un instant. Se concentrant sur le concept qui lui avait déjà permis une fois d'atteindre le neuvième sens, il entreprit de projeter sa conscience… vers Némésis. Il comprenait à présent la répulsion intense qu'elle lui avait inspiré lors de leur premier affrontement. Tous deux, ils avaient incarné la justice, mais dans des interprétations absolument opposées. Pourtant, c'était le même concept dont il s'agissait. Peut-être alors que ce qu'il tentait allait marcher.

Némésis ne réagit pas suffisamment rapidement, ou peut-être qu'elle ne le voulut pas. Le pouvoir brut qui la constituait commença à s'échapper de son corps, d'abord lentement, puis de plus en plus rapidement. Concentré à l'extrême, Shiryu s'efforçait d'absorber en lui l'essence de la déesse de la vengeance. Il n'avait pas su si cela était véritablement possible au moment où l'idée lui était venu. Pourtant, il semblait y parvenir, même si l'effort était extraordinairement difficile. Tout son être lui enjoignait de refuser ce pouvoir qui provenait du fanatisme de Némésis. Mais c'était nécessaire.

Némésis se dissolvit brusquement en un tourbillon d'énergie brute qui vint investir brutalement le corps de Shiryu. Le chevalier du Dragon eut l'impression distante de crier tandis que le pouvoir énorme se déversait en lui, brûlant ses veines et dilatant ses perceptions.

La faux acérée gisait sur le sol de pierre, seul souvenir de la déesse de la vengeance. Shiryu la ramassa et, entre ses mains, elle se transforma pour devenir une épée flamboyante de lumière. Il était redevenu un dieu et, cette fois, rien n'empêcherait l'accomplissement de la justice.


_Maintenant. C'est le moment.

_Et aussi notre dernière chance et celle de tout ce qui existe.

_Le combat final commence.

Dans les gradins partiellement détruits de l'arène du Sanctuaire s'était rassemblée une foule clairsemée et silencieuse. C'était les survivants des batailles qui avaient eu lieu sur Terre comme dans l'Olympe. Il y avait là Adonis, Alexer, Astrios, Astreya, Nachi, d'autres encore… Aucun ne parlait. Aucun ne faisait le moindre mouvement. Ils n'étaient pas là pour intervenir dans ce qui allait suivre, mais seulement pour y assister. Leurs forces, même additionnées, n'étaient pas suffisantes pour jouer le moindre rôle dans la bataille apocalyptique qui ne faisait encore que débuter. Ils étaient inutiles. Pourtant, ils étaient là, pour assister à la fin de tout ou à sa salvation.

Dans l'arène de pierre où s'étaient succédés au fil des siècles des milliers de combats, le combat semblait s'être momentanément suspendu. Sous le regard de Clotho, la Muse du Présent, Zeus maître des nuées faisaient face à huit chevaliers rassemblés, chacun doté d'une force divine. Les auras mêlées de ceux qui avaient été des mortels faisaient comme une mosaïque de couleurs vives qui encerclait le cosmos brûlant du souverain des cieux.

_Et bien, fit Zeus en jetant un coup d'œil dédaigneux à Shiryu qui brandissait son épée, vous avez fini par vous rassembler pour me faire face. Non pas que cela fasse une différence quelconque. Mais il n'est que normal que vous connaissiez la même fin, après être parvenu jusqu'ici.

_Cela ne sera pas si facile, Zeus !

Il y eut une explosion de cosmos étourdissante tandis qu'apparaissait les derniers opposants à Zeus.

Les dieux de l'Olympe avaient revêtus leurs aspects destructeurs. L'armure de Dionysos évoquait désormais une panthère aux griffes acérées et il se dégageait de tout son être une impression de sauvagerie déchaînée. Héphaïstos tenait en main son lourd marteau, dont le rougeoiement incandescent était celui de la lave en fusion. Déméter était drapée d'une aura indiciblement sombre, qui pouvait apporter la mort aussi bien que la vie. Artémis, la seule d'entre eux à avoir perdu sa divinité, n'en était pas moins armée de son arc et de ses flêches meurtrières. Même Hestia, la douce déesse du foyer, avait invoqué le feu sacré qui était son symbole pour s'en servir comme d'une arme.

Il y eut un long silence, tandis qu'un vent froid venait balayer les débris qui jonchait l'arène. Puis, soudain, Zeus sourit.

_Enfin, fit-il d'une voix étrangement exultante, enfin, vous êtes tous réunis face à moi, vous qui possédez encore le peu de pouvoir qui ne m'appartient pas. Alors il n'est plus besoin d'attendre ni de temporiser. Vous allez découvrir ce qu'est réellement l'omnipotence.

Et, à ces mots, l'aura de puissance aveuglante qui l'avait entouré jusque-là disparut.

* * *

Saint Seiya : Zeus Chapter
Armageddon

* * *

La première offensive conjuguée des treize êtres divins rassemblés contre Zeus pulvérisa ce qui restait encore de l'arène et embrasa le ciel crépusculaire d'une lumière blanche aveuglante. Le sol du Sanctuaire trembla et, regroupés tout autour, les quelques spectateurs du combat ultime durent lutter pour ne pas être emportés par la déflagration.

Lorsque l'explosion se dissipa enfin, pourtant, Zeus se trouvait toujours exactement là où il avait été, flottant sans effort au-dessus du cratère que les attaques cumulées avaient causé. Il n'avait même pas fait l'effort de les bloquer, réalisèrent brusquement ses adversaires. Il s'était simplement projeté en avant d'une seconde dans le temps, évitant la totalité de l'impact.

La bataille explosa en une multitude d'actions si rapprochées qu'elles en étaient presque simultanées. Seiya et Shiryu furent les premiers à réagir, l'un concentrant son énergie à travers ses poings, l'autre à travers son arme. La pluie de débris d'étoiles s'abattit sur le dieu suprême en même temps que l'épée de lumière, mais Zeus tendit simplement une main et le déferlement de puissance destructrice s'arrêta juste devant lui. Le souffle infiniment froid de Hyoga fut stoppé de même, tout comme la vague d'énergie de Meyastes. Dionysos se précipita vers celui qui était son père, ses mains changées en griffes meurtrières, empli d'une fureur guerrière sans borne. Mais Zeus leva un doigt et une force incommensurable s'abattit sur le dieu de la vigne, le figeant dans son élan et broyant son corps en un instant. Un pâle éclair de lumière blanche marqua la première mort de la bataille finale.

Shina et Algébia combinèrent leurs pouvoir pour engloutir Zeus dans un trou noir, mais une simple pensée du maître des nuées suffit à stabiliser l'espace autour de lui et à retourner l'effort contre ses auteurs. Les deux chevaliers élémentaires furent projeté à l'autre extrémité de l'arène détruite, à peine conscients, leurs armures en piteux état. Déméter fut la suivante à attaquer, dirigeant toute sa puissance contre l'énergie vitale de leur adversaire. L'offensive ne fit même pas frémir le dieu suprême, non plus que l'oiseau de feu hurlant qui s'abattit sur lui. Bandant son arc, Artémis décocha une myriade de flêches en une fraction de seconde. Mais les projectiles embrasés de cosmos ne parvinrent jamais jusqu'à Zeus. Leur course fut brusquement inversée alors même qu'ils allaient atteindre leur cible et ils revinrent avec une force décuplée sur celle qui avait été la déesse de la chasse. Artémis n'eut jamais le temps de réagir : ses propres flêches la transperçèrent de part en part, la tuant presque instantanément.

L'offensive suivante fut plus puissante encore que les autres. Le feu sacré de Hestia et les flammes du Tartare de Sylphia vinrent imprégner le marteau incandescent d'Héphaïstos, qui projeta sa lourde arme en direction du maître des cieux. Le coup prit la forme d'une gigantesque comète rouge-orangée qui s'abattit dans un fracas assourdissant. L'explosion démesurée engouffra Zeus en un instant et fit fondre la pierre, transformant le sol en un lac de lave brûlante. L'impact détruisit aussi la plupart des gradins, forçant les spectateurs à se réfugier à distance. Seule Clotho demeura où elle se trouvait, totalement épargnée par la destruction qui l'entourait, son visage sans expression tournée vers ce qui se déroulait devant elle.

Un éclair partit du nuage de débris qu'avait soulevé la déflagration et vint percuter Héphaïstos de plein fouet, le projetant à une dizaine de mètres, grièvement brûlé. La pierre retourna sans transition à son état solide et Zeus réapparut. S'il avait éprouvé la moindre peine à contenir l'attaque titanesque, il n'en montrait aucun signe. Son visage ne laissait plus transparaître une exaltation quelconque, cependant, et il paraissait désormais entièrement concentré sur le combat.

Une brève communication mentale s'échangea entre ceux qui lui faisaient encore face. De toute apparence, la force brute n'était pas la solution.

Nous avons peut-être un moyen, fit Algébia qui venait de se relever et aidait Shina à en faire autant. Ikki, nous aurons besoin de toi pour cela. Les autres, vous devez occupez l'attention de Zeus un instant.

C'est parti, lança Hyoga avec un amusement désespéré.

Joignant le geste à la pensée, le chevalier du Cygne projeta de nouveau son souffle glacial contre Zeus, avec toute la force dont il disposait. Le dieu suprême ne daigna même pas se protéger contre l'attaque. Des cristaux se formèrent sur son armure avant de fondre aussitôt, comme exposé à une fournaise terrible.

Puis le pouvoir de Meyastes se joignit subitement à celui de Hyoga et les cristaux cessèrent de fondre. Une épaisse couche de glace commença à recouvrir Zeus, qui ne réagit pas immédiatement. Un cercueil infiniment froid se referma sur lui. Mais il ne s'écoula qu'une fraction de seconde avant que de profondes fissures n'y apparaissent et qu'il n'explose en un millier d'éclats cristallins.

La fraction de seconde avait pourtant été suffisante. Les yeux écarquillés par la surprise, Zeus découvrit que Seiya et Shiryu étaient déjà sur lui, prêts à frapper. Il n'eut que le temps d'essayer de contrer les deux attaques à la fois. Mais, cette fois, il n'y parvint pas. L'épée de la justice trancha en deux le casque de son armure sacrée, faisant couler le sang divin au moment même où le poing de Pégase le frappait au torse. Le dieu suprême tituba en arrière, pris au dépourvu malgré sa quasi-omnipotence. Tirant parti de sa faiblesse momentanée, les deux chevaliers divins se précipitèrent de nouveau sur lui.

Puis Zeus se reprit. Déformant le temps pour atteindre une vitesse supérieure à celle de la lumière, il esquiva l'offensive renouvelée et se prépara à contre-attaquer.

Ce fut à ce moment-là qu'il réalisa sa situation. Seiya et Shiryu s'étaient également écarté et il se trouvait à présent au centre d'un cercle - un pentacle - que dessinaient les cinq chevaliers élémentaires réunis.

_Non, souffla-t'il, découvrant subitement son erreur.

Les cinq auras des éléments entrèrent en éruption simultanément, atteignant leur paroxysme en l'espace d'un instant. Des traits de lumière immatériels vinrent relier entre eux les chevaliers élémentaires, mêlant leurs puissances et les faisant entrer en résonnance. Un vibrement de plus en plus harmonieux vint emplir l'air tandis que les cinq cosmos devenaient progressivement un. Au centre du pentacle, les poings serrés, Zeus s'efforçait de résister.

_Non, non…

Un crépitement traversa l'espace que délimitaient les cinq chevaliers.

_NON !!! Je ne laisserai pas faire ça !!!

Le pentacle explosa. Les cinq cosmos qui avaient presque fusionné furent violemment séparés et les chevaliers élémentaires se retrouvèrent au sol, luttant pour récupérer après le choc mental qu'ils avaient subi.

Mais Zeus ne laissa à personne le temps d'agir, cette fois. Chaque trait de son visage marqué d'une fureur sans borne, des éclairs de foudre dansant tout autour de lui, il tendit une main… Déméter et Hestia eurent tout juste le temps de concentrer leurs pouvoirs pour éviter que tout le Sanctuaire ne soit détruit. L'explosion de lumière blanche engloutit les chevaliers élémentaires, les chevaliers divins, les trois dieux encore vivants, l'arène dans sa totalité, avant de s'élever vers le ciel en une gigantesque colonne incandescente.

Et, lorsque l'explosion s'estompa enfin sans le moindre bruit, les derniers opposants à Zeus gisaient tous sur le sol, inertes.


Le gouffre de la mort était juste devant elle, tel une gigantesque porte menant vers l'au-delà. Aucune lumière, jamais, ne viendrait dissiper les ténêbres éternelles qui en dissimulaient le fond. Tout autour d'elle, les âmes venaient s'y précipiter, comme poussées par une force irrésistible. Elle-même ressentait cette force, quelque chose comme l'appel du vide, qui l'incitait à faire ce dernier pas et à se précipiter d'elle-même dans l'oubli.

Saori esquissa un sourire crispé. Elle ne le désirait pas vraiment, mais qui désirait jamais mourir ? C'était pourtant la seule issue qui lui soit offerte pour sauver encore ce monde qu'elle aimait. C'était pour cela que Marine avait consumé jusqu'à son essence même.

Elle renaîtrait, peut-être, un jour, ayant perdu tout souvenir de son identité. Ou peut-être qu'il n'en serait pas ainsi. Qui pouvait le dire, en cet instant où toutes les lois qui régulaient l'univers étaient remises en cause ?

Son seul regret, en fin de compte, son seul regret était qu'elle ne lui avait jamais dit et qu'elle ne pourrait plus jamais lui dire. Mais il n'était plus temps pour les regrets, désormais.

L'esprit plein d'un regard brun pétillant de vie et d'un sourire chaleureux, Saori fit le dernier pas.


Zeus regarda les onze corps inconscients qui gisaient, épars, sur le sol dévasté. Aucun d'entre eux n'était encore mort, pas même le chevalier Pégase, qui n'avait pas eu la protection d'une armure. Ses compagnons avaient dû s'interposer pour le protéger. Un dernier acte vain, aussi inutile que toute cette résistance qu'ils avaient opposée.

Le dieu suprême releva les yeux vers Clotho, la Moire du Présent. Elle se trouvait toujours exactement au même endroit, son visage sans âge dépourvu de la moindre expression. La destruction qui avait ravagé les gradins antiques avait totalement épargnée la zone qui l'entourait. Zeus plongea son regard dans les yeux infiniment profonds de la Moire.

_Et bien, railla-t'il en embrassant l'arène d'un geste, où est donc à présent ce fameux successeur que vous m'aviez prédit ? Celui qui doit me renverser ? Lequel est-ce, parmi eux ? Sa force devrait pourtant être considérable, rivaliser la mienne. Mais aucun d'entre eux ne dispose même d'une puissance comparable à ce qu'était la mienne avant que je n'accède à l'omnipotence. Serait-il possible que vous vous soyiez trompées ? Ou est-ce que je suis devenu le maître du destin en même temps que de la totalité du reste ?

La Moire ne répondit pas. C'était à peine si elle semblait le voir, comme si son attention était tournée vers autre chose. Fort bien, il allait donc lui montrer directement la ruine de toutes leurs prédictions. Zeus tendit une main et la foudre vint s'y loger. Il avait dépensé une énergie considérable pour briser le pentacle des chevaliers élémentaires, une énergie qu'il était encore loin d'avoir récupéré. Mais, pour achever ces adversaires qu'il avait déjà battu, il n'aurait besoin que d'une parcelle de son pouvoir.

Une douleur foudroyante lui traversa la tête au moment même où il s'apprêtait à porter le coup final, brisant sa concentration. La foudre s'évanouit entre ses mains et il sentit une faiblesse soudain s'emparer de lui. Que se passait-il donc ? Se forçant à ignorer la douleur, il entreprit de projeter ses sens divins pour découvrir ce qui lui arrivait.

Athéna ! Elle était en train de se précipiter dans le gouffre de la mort, là où elle lui échapperait pour toujours !

Mû par un sentiment d'urgence absolu, Zeus concentra en un instant la totalité de la force démesurée qu'il possédait encore et la dirigea intégralement vers la porte de l'au-delà, arrêtant Athéna au moment même où elle allait la franchir. L'effort était terrible, infiniment augmenté par la proximité du gouffre. Il la sentit lutter pour se libérer de son emprise, mais il contint ses tentatives, déployant toute sa volonté et tout ce qui lui restait de puissance.

Elle n'aurait jamais dû parvenir jusque-là. Il avait placé une barrière pour lui faire obstacle, un peu similaire à celle qu'il avait employé pour éviter la destruction définitive de Némésis et permettre qu'elle lui serve encore. Quelqu'un avait dû détruire cette barrière. Mais qui ?

Puis la force terrible qu'il avait concentré l'emporta finalement et l'âme d'Athéna fut entraînée par elle comme par un courant impossible à résister. Elle quitta le monde des morts, traversant l'espace interdimensionnel pour se retrouver finalement dans le monde matériel. Zeus tendit une main et elle y apparut, un petit globe de lumière claire et pure.

_C'était bien essayé, ma fille, fit le dieu suprême. Mais inutile, comme tout le reste. Tes efforts n'auront rien changé.

La quasi-totalité de ses forces l'avaient abandonné après l'effort démesuré qu'il venait de faire et elles ne lui revenaient qu'assez lentement. Il ne courait aucun risque pour autant. Tous ses adversaires étaient hors de combat. Plus encore, il tenait dans sa main la clef d'une puissance supérieure encore, véritablement absolue. L'âme de sa fille, cette âme qu'il avait détaché de lui-même si longtemps auparavant. Zeus la regarda songeusement. Elle était différente de ce qu'elle avait été lorsqu'il lui avait conféré une personnalité propre. Même les dieux changeaient, en fin de compte. Il était le mieux placé pour le savoir.

Un bruit de pas interrompit ses pensées. Relevant les yeux, Zeus découvrit une silhouette frêle, aux cheveux d'un roux flamboyant, qui se dirigeait tout droit vers lui en traversant les décombres de ce qui avait été l'arène du Sanctuaire. L'espace d'un instant, il crut que c'était encore un de ses adversaires, qui se serait relevé d'une façon ou d'une autre. Mais non. Aucune sorte d'agressivité n'émanait de la silhouette. Elle dégageait plutôt une sorte de… pureté ?

Seika s'arrêta juste devant le dieu suprême et leva son regard clair sur lui. Zeus ressentit une émotion indéfinissable en la regardant. C'était comme si ce qu'il avait recherché pendant l'éternité venait subitement de lui apparaître, alors qu'il avait finalement abandonné l'idée même de son existence. Il n'y avait aucun pouvoir chez cette jeune fille, aucune puissance. Et pourtant, une impression saisissante émanait d'elle, qui parvint même à troubler le cœur du maître des nuées. Mais comment était-ce possible ? Il ne parvenait pas à détacher son regard d'elle.

_Que veux-tu ? demanda-t'il, perturbé par sa propre réaction.

Seika s'inclina brièvement devant lui avant de se redresser. Elle ne montrait aucune peur, aucune crainte.

_Maître des dieux, je voudrais vous demander une faveur, fit-elle de sa voix harmonieuse.

_Une faveur ?

L'espace d'un instant, Zeus ne sut que répondre. C'était comme si toute la volonté qu'il avait montrée pour atteindre son but ultime s'était subitement évaporée, le laissant hésitant.

_Vas-tu me demander d'épargner le monde ? De renoncer à mes desseins ? demanda-t'il pourtant. Je ne le peux pas. Je ne le ferai pas. Je suis déjà allé trop loin pour abandonner maintenant.

_Ce n'est pas cela, répondit Seika avec un calme serein.

_Alors quoi ? demanda Zeus, en détournant finalement son regard, incapable de plus la regarder en face. J'ai vécu très longtemps. Les faveurs ne sont jamais gratuites.

_Et si je vous offre en échange quelque chose d'égale valeur ?

Zeus hésita. Il savait qu'elle devait avoir une intention particulière, mais il se trouvait incapable d'y réfléchir. Son esprit divin était traversé d'émotions qu'il ne parvenait pas à contrôler. Quel risque courait-il, de toute façon ?

_Très bien, dit-il subitement, choisissant d'ignorer ses doutes. Cela n'aura plus d'importance très bientôt, mais qu'il en soit ainsi. Je t'accorderai une faveur, quelle qu'elle soit, si tu m'accordes en retour quelque chose qui soit exactement d'égale valeur.

Seika ferma brièvement les yeux et prit une profonde inspiration, comme si elles'efforçait de rassembler toute sa résolution.

_Alors… Alors je vous demande de libérer l'âme d'Athéna en échange de la mienne.

Zeus écarquilla les yeux sous l'effet de la surprise, mais il était déjà trop tard. Seika s'effondra brusquement au sol comme une marionnette dont les fils auraient été coupés, subitement privée de vie. Dans le creux de sa main, le globe de lumière avait disparu.

Le dieu suprême tituba en avant, comme frappé par une force physique. Cette jeune femme qu'il avait tant cherché était morte. Et Athéna… Athéna… Non, même si son âme lui avait échappé, elle était toujours morte. Elle ne reviendrait pas à la vie pour lui contester son pouvoir.

_En cela, tu te trompes, Zeus, fit soudain une voix étrangement familière.

Zeus releva les yeux. Et ce fut avec une surprise infinie qu'il découvrit devant lui celle qui était son épouse, Héra. Mais était-ce vraiment elle ? Il avait du mal à la reconnaître. Ses traits étaient toujours ceux qu'il connaissait, mais la rancœur continuelle, l'orgueil et la vanité qu'il avait toujours vu dans son visage semblaient avoir disparu.

_Tu ne me reconnais pas ? demanda Héra. Ce n'est que normal. Je ne crois pas que tu m'aies jamais connu. Je crois que j'ai cessé d'être ainsi lorsque je suis devenu ton épouse. Ces millénaires où tu es devenu de plus en plus amer quant à l'humanité m'ont affecté aussi. Ce n'est qu'aujourd'hui, après tout ce temps, que je réalise à quel point je me suis écarté de ce que j'aurais dû être.

_Que veux-tu, femme ? grogna Zeus, qui ne se sentait pas encore totalement remis du choc mental qu'il avait subi. Vas-tu également te dresser contre moi ? Tes états d'âme m'indiffèrent. D'une façon ou d'une autre, tu n'as plus que quelques instants à vivre.

_C'est vrai, répondit Héra avec une sérénité qu'elle n'avait plus connu depuis des siècles et des siècles. Mais peut-être est-ce nécessaire en fin de compte pour que je puisse espérer me purifier. Ce n'est pas toi qui m'apporteras la mort, pourtant, dieu désespéré. Je choisis de donner ma vie immortelle à celle que j'ai toujours haï alors que j'aurais dû l'admirer. Et je prie pour qu'elle en fasse un meilleur usage que moi.

Puis Héra joignit les mains devant elle et se dissolvit en un afflux de lumière intense qui vint frapper Zeus sans qu'il ait le temps de réagir. Le dieu suprême sentit l'énergie vitale démesurée de Héra pénétrer en lui, traversant instantanément toutes ses défenses, puis disparaître. Mais une douleur terrible était en train de lui vriller le cerveau. D'où venait-elle ? Son pouvoir était pourtant absolu !

_Tout cela… ne changera rien… haleta-t'il péniblement. J'ai détruit le corps d'Athéna et j'ai assimilé la totalité de son pouvoir. Elle ne peut pas revenir à la vie, je ne le permettrai pas !

Puis il s'arrêta. A quelques pas de lui seulement, les cinq chevaliers élémentaires s'étaient relevés. Comment était-ce possible ? Ils portaient tous les traces des blessures terribles qu'il leur avait infligé. Ils devraient être en train de mourir ! Comment pouvaient-ils encore se tenir debout ? Et comment pouvaient-ils encore manifester un pouvoir quelconque ?

Les chevalier élémentaires avaient reformé un pentacle, mais celui-ci n'était centré sur rien en particulier. Les liens de lumière étaient pourtant en train d'apparaître de nouveau entre eux tandis que leurs cosmos s'accordaient. Que faisaient-ils donc ? Zeus voulut les interrompre, les détruire de façon définitive, mais il en était incapable. La douleur était trop forte, elle l'empêchait de se concentrer. Le pentacle sacré s'était recréé. Mais dans quel but ?

Puis Zeus saisit l'expression des chevaliers élémentaires. Ils n'étaient pas sur le point de l'attaquer à nouveau. Leur intention était… totalement différente.

Algébia fut le premier à parler.

_Moi, Algébia, chevalier élémentaire du Vide, je renonce à mes pouvoirs et les confère à Athéna pour qu'elle détruise ce dieu qui prétend être le maître de tout. Je lui cède mon armure pour que celle-ci devienne la robe qui la recouvrira.

Et, lorsqu'il eut finit de parler, le jeune homme s'écroula brusquement, comme privé de connaissance. Son armure d'un noir indicible avait disparu, le laissant vêtu seulement d'une tunique déchirée. Etrangement, le pentacle ne s'était pas dissipé avec la disparition de l'un de ses piliers. Au contraire, l'éclat qu'il dégageait semblait encore se renforcer.

Puis vint le tour de Shina. Elle jeta un regard à Seiya toujours inconscient et une émotion indéfinissable traversa ses yeux verts. Mais cela ne dura qu'un instant.

_Moi, Shina, chevalier élémentaire de la Terre, qui suis aussi Gaïa, la déesse aux serpents, je renonce à mes pouvoirs et les confère à Athéna pour qu'elle défende ce monde. Je lui cède mon armure pour que celle-ci devienne l'égide qui la protègera.

La jeune femme tomba à son tour, inerte. La lumière ne cessait de croître, au point que c'était à peine si Zeus parvenait encore à distinguer les trois chevaliers qui y demeuraient encore.

Sylphia et Meyastes s'étaient brièvement rapprochés l'un de l'autre, et il s'échangea peut-être entre eux des mots que couvrirent la vibration de l'énergie qui les entourait. Leurs mains se joignirent. Et, lorsqu'ils parlèrent finalement, ce fut en même temps.

_Moi, Sylphia d'Asgard, chevalier élémentaire du Feu, je renonce à mes pouvoirs et les confère à Athéna pour qu'elle abatte l'ennemi de tout ce qui vit. Je lui cède mon armure pour que celle-ci devienne la lance avec laquelle elle combattra.

_Moi, Meyastes, chevalier élémentaire de l'Eau, le Léviathan, je renonce à mes pouvoirs et les confère à Athéna pour qu'elle protège l'humanité. Je lui cède mon armure pour que celle-ci devienne le bouclier qui la défendra.

Ils s'écroulèrent côte à côte, leurs mains encore jointes. Il ne restait plus désormais qu'Ikki, lequel paraissait totalement englouti au sein de la lumière aveuglante. Et, lorsqu'il parla à son tour, ce fut d'une voix emplie d'échos.

_Moi, Ikki du Phénix, chevalier élémentaire de l'Air, héritier de Sayan et Boréen, je renonce à mes pouvoirs et les confère à Athéna pour qu'elle accomplisse son destin. Je lui cède mon armure pour que celle-ci devienne le casque qui la couvrira.

Il s'effondra à son tour, et les débris de l'armure du Griffon qui avait fusionné avec la sienne s'en détachèrent brusquement pour se volatiliser.

Mais déjà, le pentacle avait atteint son apogée. La lumière blanche avait recouverte la totalité des ruines de l'arène, comme si une étoile était descendue du ciel pour illuminer le Sanctuaire. Au centre de la lumière, Zeus se débattait contre la douleur qui menaçait de lui fendre le crâne en deux. Des éclairs de pouvoir incontrôlés partaient de lui sans cesse, frappant au hasard.

_Non, non, non !!!

Luttant dans l'espoir de surmonter la souffrance terrible, Zeus releva soudain les yeux et découvrit Héphaïstos devant lui, à seulement quelques mètres. Le forgeron divin avait été horriblement brûlé par l'attaque qui l'avait frappé, mais il tenait de nouveau son marteau, qui étincelait de puissance.

Subitement, Zeus réalisa le péril où il était. Mais il était déjà trop tard. Brandissant son arme, Héphaïstos se précipita sur lui avec un hurlement terrible. Les éclairs vinrent le frapper, calcinant sa chair et déchiquetant son corps de part en part, sans même ralentir sa charge furieuse. Zeus voulut esquiver, bloquer l'attaque, n'importe quoi. Mais il était déjà trop tard. Alors même que son corps commençait à se désintégrer, Héphaïstos abattit son marteau.

L'arme massive percuta Zeus en pleine tête, lui ouvrant le front.

Et de son front jaillit Athéna toute armée avec un cri guerrier qui fit frémir le ciel comme la terre. Les douze Maisons du Zodiaque et le Temple lui-même qui se trouvait au-dessus d'eux volèrent brusquement en éclats et des failles profondes vinrent creuser le sol du Sanctuaire, abattant les colonnes antiques et détruisant les escaliers immuables. Le cri se répercuta à travers l'espace, et tous les hommes qui attendaient encore, dans la terreur et l'incompréhension, l'entendirent et furent traversés d'un espoir fou. La Terre reprit brusquement sa rotation, plongeant enfin la Grèce dans l'obscurité de la nuit.

Et lorsque le cri cessa enfin et que même l'écho en eut disparut, Zeus se redressa pour découvrir devant lui Pallas Athéna, la déesse aux yeux pers, revêtue de son armure éclatante et brandissant sa lance.


Le silence s'écoula, comme si aucune parcelle de la création n'osait venir le briser. La nuit tombait, couvrant de ses ailes le Sanctuaire détruit. Et les étoiles parsemaient déjà le ciel lorsqu'Athéna adressa finalement au maître des nuées ces paroles ailées :

_Zeus, mon père, je te demande d'entendre la voix de la raison en cet instant ultime et de renoncer à ton intention. Trop de violence a déjà eu lieu. Le monde ne sera pas détruit.

Mais Zeus père des dieux avait durci son visage et la foudre était de nouveau venue se placer entre ses mains.

_Fille, tu te trompes. Quel que soit ton nouveau pouvoir, le mien n'est pas diminué. Tu ne l'emporteras pas.

Une sorte de tristesse transparut sur le visage divin d'Athéna, mais céda aussitôt la place à la résolution.

_Alors, pour la première fois, nous allons nous battre.

_Qu'il en soit ainsi, répondit Zeus d'une voix sourde.

La foudre jaillit de sa main tendue. Athéna interposa son bouclier sacré. Et ce fut dans un fracas terrible que débuta leur combat.


Seiya sentit la conscience lui revenir lentement. Lorsque Zeus avait déchaîné son pouvoir contre eux, il s'était attendu à ce que l'impact le pulvérise. Mais Hestia et Déméter s'étaient interposées devant lui au dernier instant, le protégeant de leurs corps divins. Il espérait qu'elles ne l'avaient pas payé de leurs vies. Mais même cela n'était pas le plus urgent, pourtant.

Seiya ouvrit les yeux. A quelques mètres de lui seulement, Zeus concentrait toute son attention sur le combat qu'il était en train de mener contre… Saori ? Le cœur de Seiya fit un bond dans sa poitrine. C'était vraiment elle ! Elle se battait avec une intensité guerrière qu'il ne lui avait jamais vu, pas même lorsqu'elle avait affronté Hadès. Sa lance allait si vite que même lui avait du mal à saisir chacun de ses mouvements. Les éclairs de Zeus ne l'épargnaient pas en retour, mais son armure la protégeait efficacement, absorbant les coups successifs. Son armure… elle était étrangement différente de ce qu'elle avait été auparavant. Etait-ce seulement la même ? Et les yeux de Saori eux-mêmes semblaient avoir changé. Ils étaient devenus pers, presque bleus, alors qu'ils avaient toujours été d'un noir profond dans ses souvenirs.

Seiya balaya brusquement ses pensées. Ce n'était pas le moment. Quoi qu'il se soit passé, Saori allait avoir besoin de son aide. Il ne devait pas l'abandonner maintenant, alors qu'elle n'avait jamais eu autant besoin de lui.

Concentrant toute sa volonté indomptable, Seiya entreprit de se relever, encore une fois.


Saori bloqua un nouvel éclair de son bouclier. L'impact la fit reculer de quelques pas, mais elle conserva son équilibre. Se protéger ainsi atténuait grandement chaque coup, mais elle ne pouvait pas se permettre de demeurer ainsi sur la défensive. Evitant l'attaque suivante, elle repartit à l'assaut avec un nouveau cri de guerre. Zeus ne parvint pas totalement à esquiver la lance acérée, dont la pointe transperça son armure au niveau de l'épaule, faisant couler le sang.

_Tu ne me battras pas, Athéna ! gronda le maître des nuées. Je détruirai ce monde et j'en ferai naître un autre ! Tu ne pourras pas l'empêcher !

La foudre jaillit de ses mains jointes, aveuglante. Saori n'eut pas le temps de se protéger de son bouclier cette fois. Le choc la percuta en pleine poitrine, la projetant au sol.

_Tu n'as jamais eu l'intention de faire naître un nouveau monde, Zeus ! répondit-elle en se relevant, un filet de sang à la commissure des lèvres. C'est le mensonge que tu as inventé pour te justifier ta propre conduite ! Il n'y a rien d'autre que la destruction dans ton esprit !

Zeus ne répondit pas, mais son visage était devenu plus dur que la pierre. Il projeta un nouvel éclair, que sa fille bloqua avant de contre-attaquer.

L'échange entre les deux divinités se poursuivit encore longuement. Des blessures apparurent de part et d'autres, mais aucune n'était fatale et aucune ne ralentit même brièvement les deux adversaires. L'enjeu de ce combat était la totalité de l'existence. Il ne pouvait pas y avoir d'hésitation ni de dérobades.

Du coin de l'œil, Saori remarqua brusquement que Seiya s'était relevé, une fois encore. Il n'était donc pas mort ! Une joie subite apparut en elle, tranchant avec la volonté guerrière qui l'avait animée depuis qu'elle était revenue à la vie. Mais il avait perdu son armure, il ne devait pas se battre ! Fort heureusement, Zeus ne semblait pas l'avoir remarqué, tout entier concentré qu'il était sur elle.

Un éclair fusa sur elle et elle ne l'esquiva que d'extrême justesse. Elle ne devait pas non plus se permettre d'être distraite, fut-ce par Seiya ! Mais le fait de savoir qu'il était toujours en vie lui apportait un soulagement intense, qui réchauffait son cœur de déesse. Et ce fut avec une vigueur renouvelée qu'elle repartit à l'assaut.

_Que comptes-tu faire si jamais tu me bats, Athéna ? lui cria Zeus tandis qu'il reculait à son tour. T'imagines-tu que remporter la victoire ici changera quoi que ce soit à ce qu'est devenu le monde ? Crois-tu que ni toi ni tes chevaliers n'aurez plus à vous battre à l'avenir ? Tu sais bien que c'est faux ! Les guerres continueront à ensanglanter cette planète, et l'absence des dieux n'y changera rien ! Tu seras forcée d'y intervenir, Athéna, si tu désires sauver ce monde ! Tu devras recourir à la violence, encore et encore, dans l'espoir hypothétique d'accéder à la paix ! Et cela ne s'achèvera jamais !

L'espace d'un instant, les paroles de Zeus atteignirent Saori, qui hésita.

_Non… Non, un jour…

L'éclair la percuta de plein fouet, faisant voler son casque et la projetant au sol. Etourdie, la jeune déesse parvint de justesse à se redresser sur un genou. L'attaque suivante la balaya littéralement, fracassant son bouclier dans le même temps. Un goût de sang dans la bouche, Saori réussit malgré tout à se remettre sur ses jambes une nouvelle fois en s'appuyant sur sa lance.

Elle vit Zeus approcher de nouveau et interposa sa lance en un geste de défense. Les mains du dieu suprême se refermèrent sur le manche de l'arme, l'immobilisant. Tout autour de lui dansaient des éclairs aveuglants.

_Je… je ne te laisserai pas l'emporter, fit Saori avec défi. Je sauverai ce monde.

_Comprends-tu seulement ce que cela implique ? demanda Zeus d'une voix grondante.

_Oui ! cria Saori, le repoussant brusquement et lui faisant lâcher prise. Et si cela signifie que je doive te succéder, qu'il en soit ainsi !

Zeus leva une main flamboyante, mais se figea au moment où Seiya se jetait sur lui, comme surgi de nulle part. L'espace d'un instant, le dieu se figea sous l'effet du choc.

L'homme qui peut tuer les dieux !

Une pluie de coup déferla sur Zeus, martelant son corps et le forçant à reculer pas à pas. Des fissures se creusèrent dans son armure dorée et des fragments métalliques s'en détachèrent tandis que l'attaque anéantissait la protection divine.

Blessé, perdant son sang, Zeus vit le chevalier Pégase se rapprocher pour tenter de l'achever. Mais son pouvoir n'était pas encore suffisant. Zeus tendit une main et une force invisible vint percuter le chevalier divin, le balayant instantanément.

Mais Saori se jetait déjà sur lui avec un cri de colère assourdissant, la lance tendue droit devant elle. Zeus tendit l'autre main et des éclairs en partirent qui déchiquetèrent ce qui restait encore de l'armure d'Athéna, la réduisant en un instant à l'état de poussière. Des blessures profondes déchirèrent la peau blanche de la déesse, faisant couler à flots son sang écarlate.

Mais, en fin de compte, ce fut insuffisant pour l'arrêter.

La lance divine transperça Zeus de part en part. L'univers rata un battement.

Le dieu suprême tituba en arrière, regardant avec incrédulité l'arme qui le traversait au niveau du cœur. Devant lui, Saori fit également un pas en arrière. Sa robe autrefois blanche était désormais d'un rouge profond et c'était à peine s'il lui restait suffisamment de force pour ne pas tomber.

_C'est impossible… souffla Zeus dans ce qui était presque un râle. Et pourtant…

Levant les yeux, il vit que la Moire qui avait assisté à tout son combat s'était volatilisée. Quelque chose comme un rire échappa à ses lèvres maculées de sang.

_Après tout, tu avais raison, Athéna, dit-il en la regardant. Je ne me soucie pas de recréer un nouveau monde. A quoi bon créer quoi que ce soit puisque rien ne peut jamais atteindre la perfection ? Je vais me contenter de détruire ce monde-ci en même temps que moi-même.

Affaiblie, incapable de faire le moindre mouvement, Saori le vit s'embraser d'une lumière aveuglante, comme un soleil sur le point d'exploser en une supernova. L'intensité était telle qu'elle ne parvenait pas à le regarder en face. C'était à peine si elle pouvait percevoir l'étendue du pouvoir ainsi déployé. Elle devait faire quelque chose, mais elle en était incapable. Avec une terreur indicible, elle réalisa que tous leurs efforts pouvaient encore être anéantis maintenant.

Puis une silhouette apparut, juste devant Zeus.

Non, je ne te laisserai pas faire ça.

La voix était douce, à la fois pleine de compassion et de détermination. Etrangement familière, aussi. Saori vit la silhouette tendre une main dans la masse d'énergie démesurée qu'était Zeus et en retirer quelque chose, une parcelle de lumière infime qui vint flotter jusqu'au corps inerte de Seika et y disparut.

Puis la silhouette fit un pas en avant et referma ses deux bras autour du dieu suprême à l'agonie en une étreinte impossible à briser.

Le moment est venu pour toi de connaître enfin la paix.

Un très bref instant, la silhouette se retourna vers Saori et la jeune femme perçut un reflet fugitif de cheveux verts. Puis Zeus se volatilisa avec l'âme de Shun, qui était revenue du néant pour se sacrifier une dernière fois.

L'explosion qui déchira l'espace interdimensionnel submergea les sens d'Athéna et le peu de forces qui lui restaient encore l'abandonna. Au bord de l'inconscience, elle sentit ses jambes se dérober sous elle.

Elle ne heurta pas le sol, pourtant. Des bras l'entourèrent, l'empêchant de tomber. Une étreinte douce, réconfortante. Saori rouvrit les yeux et découvrit le visage maculé de sang de Seiya penché sur elle. Il lui souriait. Elle se vit tendre une main pour effleurer sa joue.

_Un jour… Un jour, nos combats prendront fin…

Lachésis, la Moire du Futur, acheva la phrase au moment où leurs lèvres s'effleuraient.

_Et ce jour-là, la fleur de ce monde s'ouvrira pour ne jamais se fâner.

Fin

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Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.