Chapitre 10 : Rencontres


Dans le hall du palais du Grand Pope, Bud, Siegfried et Shiryu ne se sentaient décidément pas à l'aise. Quelle idée avait eu le patron (c'est ainsi qu'il l'appelaient entre eux) de venir s'exposer ainsi à la vue de tous, dans un lieu qui serait certainement la première cible de leur ennemi. Ils se retournèrent vivement quand retentirent sur le dallage de marbre des bruits de pas qui approchaient. Shiryu le premier reconnut celui qui autrefois avait été son ami, son frère, et qui était maintenant devenu le mari d'Athéna.

- Seiya!

- Oui, Shiryu, je voudrais te parler.

Physiquement, le chevalier Pégase n'avait pas changé depuis tout le temps. Même s'il s'habillait maintenant avec recherche, il avait conservé son allure de jeune garçon.

Shiryu le regarda froidement, et hocha la tête en signe d'approbation. Les deux hommes s'écartèrent un peu vers un coin plus discret de la grande salle.

- Ecoute, Shiryu, je suis désolé, je n'aurais pas dû te frapper ce jour-là, commença Seiya.

- C'est du passé maintenant, Seiya, et je me moque que tu m'aies frappé, lui répondit Shiryu. Mais ce que je ne peux pas accepter, c'est que toi, mon frère, tu m'aies refusé le droit de choisir moi-même ce que je voulais faire. Venant d'Athéna, c'est une chose à laquelle nous étions habitués, mais de toi!

Il s'interrompit, exaspéré. Après les batailles qui avaient suivi la Grande Guerre Sainte qui, au début du vingt-et-unième siècle, avait opposé Athéna à Hadès, celle-ci avait décidé, de façon définitive, d'écarter les Chevaliers de Bronze, devenus Chevaliers Divins, de sa garde. Même si elle avait ainsi agi pour les protéger, ils avaient tous accueilli la nouvelle avec déception, et Seiya avait; bien sûr, refusé d'obtempérer. Il s'attendait à ce que ses compagnons le suivent de nouveau, mais Hermès était revenu sur terre après une effroyable guerre qui, pendant près de cent ans, l'avait opposé à un Seigneur des régions obscures (une zone en bordure de la galaxie où les étoiles se font rares). Il avait aussitôt cherché à remplacer ses compagnons morts au combat, et surtout sa garde d'Elementaux, et avait ainsi proposé à Shiryu et Ikki, en chômage technique, de le rejoindre, aux côtés de Bud et de Siegfried, qu'il avait ramené à la vie, et de quelques-uns des anciens Chevaliers d'Or d'Athéna.

- Je n'aurais pas dû, mais je me sentais trahi, reprit Seiya, les yeux baissés.

- Et nous nous sentions trahis par Athéna, rétorqua Shiryu. Nous avons toujours été des guerriers, notre raison de vivre c'est de nous battre pour le salut des hommes, qu'aurions-nous fait sans ça?

Seiya ne trouva rien à lui répondre. Il aurait pu lui dire de profiter de la vie, de vivre heureux avec sa femme, mais il savait que son ami n'était pas comme ça. Pas plus qu'Ikki, Shiryu ne pouvait se contenter d'une vie normale, surtout quand la Terre était menacée, son tempérament le faisait toujours monter à l'assaut. Il avait trouvé le parfait mentor en Hermès, et même si cela lui déplaisait au plus haut point, Seiya devait s'avouer qu'il n'aurait plus aucune chance contre le formidable guerrier qu'était devenu Shiryu.

Seiya leva la tête et plongea son regard dans celui de son frère, il fit un formidable effort sur lui-même.

- Tu as raison, tu avais déjà raison à cette époque. Moi, c'était différent, j'étais amoureux d'Athéna, mais vous n'aviez plus rien qui vous retenait ici.

Shiryu soutint son regard, en proie au doute. Puis, d'un geste instinctif, il tendit la main, que Seiya s'empressa de serrer. L'instant d'après, les deux frères, enfin réconciliés, tombaient dans les bras l'un de l'autre.

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Damon était resté assis après le départ d'Athéna. Avec une sorte de plaisir malsain, il goûtait pleinement la douleur qu'il éprouvait de plus en plus intensément devant la solitude à laquelle il s'était lui-même condamné. Cette femme qui venait de le quitter était la seule pour laquelle il s'était laissé aller à éprouver des sentiments. Depuis lors, il s'était juré de ne plus s'attacher à personne. Il ne pouvait pas se le permettre. Il n'était pas un sans cœur, loin de là, mais il n'était pas question pour lui de céder à l'amour. Certainement pas quand le sort de milliards de personnes dépendait si souvent de sa capacité à garder la tête froide dans les pires moments.

Il releva la tête, un sourire de froide détermination sur les lèvres. Ce n'était vraiment pas le moment de sombrer dans la mélancolie. Une guerre se préparait , après tout.

Devant lui, dans l'ombre naissante, approchaient deux personnes. L'une était une jeune femme, et la petite taille de la deuxième ne laissait aucun doute: c'était un enfant, une petite fille d'après ses vêtements, qui devait avoir entre huit et dix ans. Il fronça les sourcils pour adapter sa vue aux reflets d'or et de sang dont le soleil couchant nimbait toutes choses. Une cinquantaine de mètres les séparaient encore de lui, mais il avait déjà pu graver dans sa mémoire les visages des arrivantes. Elles semblaient engagées dans une discussion joyeuse et animée, et n'avaient pas encore remarqué sa présence. Mais lui ne pouvait détacher son attention du visage de la petite fille. Ces traits délicats, ces grands yeux d'un mauve décoloré, cette moue obstinée et rieuse, tout cela le ramenait des milliers d'années en arrière, dans la grande salle du palais de celui qu'il considérait comme son meilleur ami, le puissant Zeus. Il s'était avancé vers lui, la main sur l'épaule d'une fillette à peine plus âgée que celle qui arrivait maintenant, une fillette qui lui ressemblait tellement. Et qui l'avait regardé droit dans les yeux, sans la moindre gêne. Zeus avait souri et avait dit: "Hermès, je te présente ma fille, Athéna…"

Ce n'est qu'à une dizaine de mètres qu'elles se rendirent compte de sa présence. La jeune femme lui lança un regard poli mais interrogateur, tandis que la fillette qui ressemblait tant à Athéna le saluait d'une révérence.

- Bonsoir monsieur, lui dit-elle. Je m'appelle Tissia, et je suis la fille de…

- Seiya et Athéna, je suppose, la coupa-t-il. Il se leva et s'avança vers les deux femmes. La plus âgée des deux gardait une attitude distante, comme si elle se méfiait de cet homme qui venait troubler leur quiétude. Mais Tissia avait abandonné toute réserve, et un sourire radieux illuminait son joli visage.

- Comment avez-vous deviné, demanda-t-elle, excitée. Et qui êtes-vous? Vous connaissez ma mère?

Damon ne put s'empêcher de sourire à son tour devant l'avalanche de questions qui menaçaient de s'écrouler sur lui. Il leva la main dans un geste d'appaisement, et, du coin de l'œil, nota le tressaillement qui parcourut la jeune femme. Sans doute fait-elle office de garde du corps, se dit-il.

Tissia quant à elle avait baissé la tête, et ses joues avaient pris une teinte rosée.

- Je suis désolée, ma mère me dit toujours que c'est mal de poser tant de questions à la fois.

- Ne t'inquiète pas, répondit Damon. Si tu veux bien t'asseoir un moment… je veux dire, si ton amie le permet, je vais tenter de répondre à tes questions.

Il avait accompagné ses paroles d'un regard vers la jeune femme qui restait toujours à trois mètres, sur le qui-vive. Tissia se tourna vers elle, puis reporta son attention sur Damon.

- J'ai oublié de vous la présenter. Excusez-moi. Voici Nala, ma préceptrice.

La jeune femme salua Damon d'un signe de la tête. Elle avait d'évidence plus qu'un rôle de professeur à assumer, et Damon, dont l'attention avait été jusque maintenant focalisée sur la petite fille, décida de procéder à un examen plus approfondi. Nala était grande, elle devait friser le mètre quatre-vingt, et elle était très mince, mais on devinait sous sa robe de type grec un corps athlétique et souple. Son visage était très pur, d'une grande beauté, illuminés par de grands yeux verts qui lui conféraient un petit côté juvénile qui, pensa-t-il, devait désarmer ses adversaires. Car Damon en était sûr maintenant, même si elle dissimulait son aura, il pouvait sentir son cosmos. Les longs cheveux de la jeune femme étaient d'un brun très sombre, et des reflets de feu, qui n'étaient pas dus au soleil couchant, couraient à leur surface. Elle les avait attachés sur le sommet de son crane, et les deux mèches qui lui encadraient le visage renforçaient l'impression de jeunesse qui avait frappé le Dieu. Mais quelque chose dans ces yeux magnifiques démentait cette apparence trompeuse, et laissait percevoir une volonté sans faille.

Tissia pendant ce temps s'était assise sur un muret que la mousse avait presque entièrement recouvert. Damon l'imita tandis que Nala, toujours méfiante, restait debout devant eux.

- Je crois que c'est à mon tour de me présenter, commença Damon. Je m'appelle Damon Slade, mais les hommes m'ont autrefois connu sous le nom d'Hermès.

Nala, à sa grande surprise, s'agenouilla devant lui, et alors que jusqu'à cet instant elle s'était abstenue de toute parole, elle fondit en excuses.

- Je vous prie d'excuser mon impolitesse, Seigneur, mais je ne savais pas qui vous étiez.

- Relève-toi, Chevalier, ou plutôt prends place avec nous. Je ne tolèrerai pas que quelqu'un s'agenouille devant moi.

La surprise qui envahit le visage de la jeune femme avait quelque chose d'amusant, elle se donnait beaucoup de mal pour dissimuler son cosmos, et qu'on l'ait percée à jour si facilement la décevait un peu.

- Je suis Nala, Chevalier d'Argent de la Flèche. Et je suis attachée à la protection de mademoiselle Tissia. Comment avez-vous fait?

Elle avait vraiment beaucoup de mal à accepter la situation. Tout dans son apparence était calculé pour qu'on la sousestime, son visage enfantin, sa robe peu propice au combat, son attitude réservée et soumise…

- Penses-tu vraiment que tu pouvais cacher ta force au Maître de l'Energie? demanda Damon avec un sourire.

- Non bien sûr, concéda-t-elle.

Tissia suivait cela avec un air amusé. Ce n'était que très rarement qu'elle avait l'occasion de voir son garde du corps, et son amie aussi, prise en défaut. Mais la jeune femme se remettait vite de sa déception, et en elle-même, se promettait de travailler à sa couverture.

- Je vais répondre à tes deux autres questions en même temps, reprenait Damon à l'adresse de Tissia. La première fois que j'ai vu ta mère, elle avait à peu près ton âge, et c'était ton portrait craché. C'est comme ça que j'ai deviné…

Visiblement, l'enfant vouait beaucoup d'affection à sa mère, et la remarque de Damon lui procurait beaucoup de plaisir. Damon, lui, ne pouvait s'empêcher d'être triste. Il aurait tant voulu être le père de cet enfant. Mais cette joie avait été échue à un autre, et lui continuerait certainement encore longtemps à se morfondre dans les affres de la solitude. Il secoua la tête, énervé. Au diable la tristesse!

- Je crois qu'il est temps que nous rentrions, le repas doit être servi, dit-il.

- Oui, en effet, répondit Nala. Mademoiselle, je vais rentrer un moment chez moi, reprit-elle, s'adressant à sa jeune maîtresse. Je vous retrouve dans une petite heure, vous ne risquez rien ici, continua-t-elle en s'éloignant.

Tissia la regardait partir, un sourire joyeux sur le visage. Elle se tourna vers Damon.

- Elle ne m'appelle Mademoiselle qu'en présence d'autres personnes, lui expliqua-t-elle. Je crois que vous l'avez impressionnée. Vous êtes vous aussi un Chevalier?

Damon se leva avant de répondre.

- Je suis un Warlord, ce qu'on appelle sur cette terre un Dieu. Et je suis un guerrier moi aussi. Allez, viens, je suppose qu'on nous attend.

Tissia se levait à son tour quand Damon sentit un formidable cosmos apparaître dans son dos. C'était quelque chose d'inimaginable, tous ses sens étaient submergés par la formidable énergie qu'il sentait approcher. Il avait l'impression de goûter et de sentir sa substance, comme si l'air lui-même en était imprégné. Il se retourna vivement, et se glissa devant Tissia, instinctivement, pour la protéger. Celle-ci, malgré son jeune âge, avait aussi conscience de cette présence, ce qui étonna Damon. Cette enfant a un potentiel, se dit-il.

L'homme qui apparut baignait dans un cosmos bleuté d'une intensité phénoménale, et Damon ne pouvait distinguer qu'une silhouette sombre au milieu de toute cette lumière. Mais, progressivement, l'inconnu diminua son aura pour finir par la faire totalement disparaître. Damon pouvait alors parfaitement le voir. C'était un homme qui devait approcher les deux mètres, comme lui, et les traits de son visage étaient d'une pureté à vous couper le souffle. Mais, détail étrange, sa peau bleue luisait d'un éclat métallique. Ses yeux étaient dorés et fixaient attentivement Damon, qui se demandait à quelle race l'arrivant pouvait bien appartenir.

Il était vêtu d'une longue tunique noire qui s'arrêtait au dessus des chevilles, et de longs cheveux noirs tressés en fines nattes lui tombaient sur les épaules.

- Tu es celui qu'on appelle Hermès? lui demanda l'inconnu. Sa voix était grave et chaude, très musicale.

- C'est bien moi, répondit Hermès, toujours prêt à se défendre si le besoin s'en faisait sentir. Et toi, qui es-tu et que viens-tu faire dans ce lieu sacré?

- Je me nomme Laad, et je suis venu te chercher…

Il fut interrompu par l'arrivée des Elémentaux, qui accouraient au secours de leur maître.

- Damon, que se passe-t-il? demanda immédiatement Bud. Quel est cet incroyable cosmos que nous avons ressenti?

Damon lui fit un geste de la main.

- Je ne sais pas, Bud. Mais je ne crois pas que notre nouvel invité nous veuille du mal. Je me trompe, dit-il à l'adresse de Laad, qui attendait, un sourire aux lèvres.

- Non, tu as raison, je suis envoyé par mon maître. Il voudrait te parler.

- Mais qui est ton maître, demanda Shiryu.

- Il se présentera lorsqu'il le jugera nécessaire, lui répondit Laad. Viens-tu, Hermès?

Celui-ci se demandait s'il n'allait pas se jeter dans un piège. Que pouvait signifier cette arrivée impromptue? Fallait-il qu'il le suive? De toute façon, se dit-il, s'il lui prenait l'envie de s'en prendre à moi, je serais bien incapable de résister. Quelle puissance!

- Je te suis, Laad. Conduis-moi chez ton maître.

Bud n'appréciait pas du tout la situation. Cela se voyait sur son visage. Et les autres ne semblaient pas plus détendus. Mais ils n'avaient pas d'autre choix que d'accepter la décision de leur maître.

Laad s'avança vers Damon et lui posa une main sur l'épaule. Et devant les yeux des Elémentaux très inquiets, les deux hommes disparurent.

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Cette fiction est copyright Thomas Goffin.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.