Chapitre 12 : Brassage


La double porte qui devait mener dans les appartements du fameux maître venait de s'ouvrir, livrant passage à un homme aux longs cheveux verts, vêtu d'une long robe du même blanc que celui des vêtements de Némésis.

- Je sais ce que je voulais savoir. Tu es Gallaan, le fils d'Edlack. Je suis Shandri, et ton père était mon ami.

Némésis s'était de nouveau approchée de Damon, et celui-ci la surveillait du coin de l'œil, redoutant une autre attaque. Mais elle se contenta de poser la main sur son épaule.

- Je suis désolée, Gallaan, mais j'avais des ordres.

- L'ordre de me tuer, demanda Damon.

- Non, intervint Shandri. L'ordre de s'assurer que tu étais capable de te battre. Ce que tu viens de prouver, puisque sans mon intervention, Némésis serait dans un sale état, alors qu'elle est bien plus forte que toi, en théorie.

- Il a raison, Gallaan, je suis impressionnée. Tu as acquis un pouvoir considérable alors que tu n'as pas suivi notre entraînement.

Mais Damon n'était pas sensible aux louanges que lui prodiguait l'immortelle. Une phrase lui trottait dans la tête, et il ne parvenait pas à trouver une explication logique. "...ton père était mon ami" Cela lui faisait oublier qu'il se demandait comment Némésis avait pu échapper à son dernier coup; et qu'il venait d'avoir une partie de la réponse.

Tandis qu'il réfléchissait, Shandri s'approchait des fissures qu'il avait provoquées dans la fresque, et après l'avoir examinée, il passa une main dessus, et à la stupeur de Damon, le mur reprit son état normal, comme s'il n'avait pas été l'instant d'auparavant affreusement lézardé.

- Je n'ai jamais entendu parler de quelqu'un qui ait réussi ne fût-ce qu'à entamer le starstone... lâcha Shandri comme pour lui-même.

- Qui êtes-vous, Shandri, et pourquoi avez-vous dit que mon père était votre ami? demanda Damon à brûle-pourpoint.

- Chaque chose en son temps, mon ami. D'abord il te faut quitter ces vêtements tâchés de sang et te laver. Némésis, fait venir une servante, qu'elle trouve des vêtements pour ce guerrier.

- Ceux que son père a laissé ici à son départ devraient lui aller, dit Némésis en acquiesçant. Puis elle sortit de la pièce.

- Suis-moi, Gallaan, je vais te montrer un endroit où tu pourras te rafraîchir. Tu en as besoin.

- Avant toutes choses, répondit Damon, je voudrais vous demander une faveur. Ne m'appelez plus Gallaan, c'est un nom que je ne porte plus depuis très longtemps.

- Et comment dois-je t'appeler, alors? demanda Shandri, un sourire aux lèvres.

- Damon, comme tout le monde.

- Très bien, si telle est ta volonté… acquiesça l'homme aux cheveux verts. Mais maintenant, voudras-tu bien me suivre?

Damon hocha la tête en signe d'approbation.

Shandri le conduisit à travers ses appartements jusqu'à une porte discrète. Il l'ouvrit devant lui, puis s'effaça pour le laisser passer.

- Tu as tout ce dont tu as besoin. Je dirai à Némésis de laisser les vêtements sur une chaise. Elle t'attendra pour te conduire en bas.

En son for intérieur, Damon soupira de soulagement. Il aurait été bien incapable de trouver le chemin de la sortie dans le dédale incroyable que formaient les appartements de Shandri.

Celui-ci, qui s'éloignait déjà, éclata de rire.

- Et merde, la télépathie! jura Damon tout haut.




Bud était revenu devant l'ordinateur. Les autres, pressés par Seiya, avaient consenti à prendre part au repas, mais lui avait le sentiment d'avoir quelque chose à faire avant. S'il n'avait jamais égalé la rapidité d'esprit de Shiryu, il avait développé un sens stratégique hors du commun. Il était allé chercher Hadès, et celui-ci avait approuvé son idée.

- Tu as raison, nous ne savons pas quand il va revenir, s'il revient… Il faut agir tout de suite, lui avait-il répondu.

Les deux immortels étaient maintenant seuls devant l'écran gigantesque. Bud se connecta de nouveau à l'ordinateur de la Garde.

- Clio, appela-t-il.

- Oui, colonel, répondit la voix comme le visage si agréable apparaissait à l'écran.

- Je voudrais entrer en communication avec le président, et avec le général Carrington, des Sections K. En vidéoconférence, s'il te plaît.

- Je suis désolée, colonel, mais vous n'avez pas les accréditations nécessaires.

Mais Bud s'en doutait, et c'était pour ça qu'il avait demandé l'aide d'Hadès.

- Permission accordée, Clio, intervint celui-ci. Priorité absolue.

- Très bien, général.

Une minute s'écoula avant que n'apparaissent sur l'écran les visages du président de la Fédération et du KCIC. La mention "Priorité Absolue" qui accompagnait l'appel n'annonçait jamais rien de bon, surtout en provenance de la Garde, et ils avaient l'air passablement inquiets.

- Je vous remercie de vous joindre à nous, messieurs, commença Bud en guise de préambule. Je dois vous mettre au courant d'une situation critique. D'ici à une semaine au maximum, la Terre sera devenue un champ de bataille…

Moins de vingt minutes plus tard, les interlocuteurs se séparaient, pour donner chacun de leur côté les ordres nécessaires. Et moins d'une heure plus tard, ils se retrouvaient pour un premier bilan.

Les vols spatiaux en direction de la Terre avaient tous été déroutés, et plus personne ne pourrait toucher le sol terrestre d'ici à ce que la situation se normalise. Le Général Carrington avait mis ses troupes terrestres - environ dix mille hommes - à la disposition de la Garde pour l'aider dans sa mission de police militaire, et des transports de troupes des sections K se préparaient dans les gigantesques astroports militaires de Bételgeuse et d'Antarès à appareiller pour les mondes proches de la Terre. La deuxième ligne ne prendrait que deux jours à se mettre en place, prête à en découdre si la Terre venait à tomber. Et les deux hommes avaient donné à Bud l'assurance qu'ils prieraient pour le salut des terriens.

Pour ce que ça changera, se dit-il.

Bud se frotta les mains pour essuyer la moiteur qu'il y sentait. Damon aurait-il approuvé son initiative? Hadès, qui voyait bien que cela tracassait son ami, le rassura.

- Ne t'inquiète pas, il devait le faire de toutes façons, et puisqu'il n'est pas là…

Bud acquiesça. Oui, puisque Damon n'était pas là, il fallait bien que quelqu'un le fasse




Cela faisait dix mille ans qu'il n'avait pas remis les pieds sur terre. Et il y revenait pour se battre, encore…

L'homme sourit, confortablement installé dans un des fauteuils du quartier des officiers du croiseur de la Garde. Il jeta un coup d'œil sur le rapport de transmissions que venait de lui remettre l'officier radio. Maintenant, tout le monde est au courant, se dit-il. Je me demande quel prétexte les autorités vont bien pouvoir trouver pour la mise en quarantaine de la Terre…

- Saga…

- Mmmouais, répondit-il à son vis-à-vis, un homme aux cheveux bruns coupés courts et au visage énergique.

- Tu en sais un peu plus sur ce qui nous attend sur Terre? Depuis que Damon nous a convoqués…

Saga ne lui répondit pas, mais lui tendit le papier qu'il tenait. Ayoros, puisque c'était lui, le lut attentivement avant de soupirer.

- La Terre en quarantaine. Bon sang, qu'est-ce qui nous attend là?

- Un combat de plus, je suppose, répondit Saga calmement.

Mais à l'intérieur, l'inquiétude le rongeait tout autant que son ami. Jamais depuis qu'il était entré au service de Damon, celui-ci n'avait dérogé à la promesse qu'il lui avait faite de ne pas le faire revenir sur Terre. Mais cette fois… Oh, ce n'était pas qu'il avait peur de revoir Athéna, mais il lui fallait avouer que cela ne le mettait pas particulièrement à l'aise.

- De toutes façons, on ne saura le fin mot que quand on arrivera, conclut-il.

De son fauteuil de l'autre côté de l'allée, un homme aux longs cheveux blonds, les yeux fermés, acquiesça en souriant.




Il approchait, il le sentait. Et la chose dans son sac, cette chose si lourde qu'il avait transportée sur une si longue distance, le sentait aussi. Il pouvait percevoir son énergie, cette puissance si grande et si négative, qui lui brûlait le dos tellement elle était froide. Plus froide que la mort, plus froide que le Zéro Absolu. Même sous le soleil du Texas, il frissonnait régulièrement.

Pour la première fois de sa très longue vie, Skull avait peur. Cette chose était pire que tout, et il serait content d'en être débarrassé. Oh, il avait lui aussi été attiré par le pouvoir sans limites qu'elle offrait. Mais maintenant, il se sentait soulagé d'avoir résisté à la tentation. Cette chose l'aurait dévoré tout entier, il n'aurait plus été qu'un zombie à son service, sans la moindre parcelle de volonté, rien qu'un vaisseau pour un esprit de mort, un esprit qui n'aspirait qu'à une chose: retourner au néant.

Il approchait, et cela le réjouissait, parce que cela signifiait qu'approchait aussi le moment où il serait enfin débarrassé de cette chose. Et il savait que son maître apprécierait le cadeau. De cela au moins il était sûr.




Laad était assis, pensif, dans la cour réservée aux entraînements. Il avait été profondément touché de la ressemblance entre ce Gallaan et Edlack. Celui-ci avait été son ami pendant des milliards d'années, avant qu'il ne parte pour la galaxie d'Andromède. Et même après… Il se souvenait avec tristesse des deux fois où il avait revu Edlack, quand il s'était marié et quand il avait présenté ses fils nouveau-nés à la population en liesse de K3. S'il avait su à ce moment-là qu'un des deux bébés qu'il tenait fièrement dans ses bras allait l'assassiner vingt-huit ans plus tard…

Ca ne servait à rien de refaire le passé. Gallaan ressemblait tellement à son père… Mais serait-il à la hauteur? Et Telliaan, ce maudit…

Il serra les poings de rage. Pourrait-il un jour faire payer le meurtre de celui qui l'avait élevé, et ensuite formé au combat? Pourrait-il tenir Khan sous son pouvoir et le tuer d'un coup en lui disant: "Pour Edlack"?

En tout cas il comptait bien essayer…




La douche, c'était ce qu'il avait toujours préféré. L'eau qui coulait sur son corps lavait lentement les traces de sang. Il n'avait pas mal, la douleur physique était une chose à laquelle il s'était habituée. Dans peu de temps, il allait en savoir un peu plus sur ce qui se tramait.

Un peu plus sur ces fameux joueurs d'échecs…

La porte s'ouvrit sans un bruit. Némésis s'avança dans la somptueuse salle de bains que Shandri avait indiquée à Damon. C'était la première fois qu'elle entrait dans cette pièce, et elle fut surprise par l'obscurité qui y régnait. Sous son bras, le paquet qu'elle avait fait avec les vêtements d'Edlack - elle avait tenu à aller les chercher elle-même - lui semblait si lourd…

Le bruit de la douche la guidait. Elle s'approcha d'une chaise pour y déposer le paquet, tremblante d'appréhension. Cet homme ressemblait tellement à celui qu'elle aimait, qu'elle avait toujours aimé, mais qui était mort si loin d'elle dans les bras d'une autre…

Elle s'avança un peu plus vers la douche. Qu'allait-elle faire, qu'allait-elle dire, elle n'en avait aucune idée. Elle savait seulement qu'elle voulait le regarder, retrouver chez lui celui qu'elle avait perdu il y avait si longtemps.

Quand elle entendit la voix dans son dos, elle sursauta violemment.

- Que fais-tu ici? avait demandé Damon.

Cette fois c'en était trop pour elle, et avant qu'elle ait pu s'en empêcher, elle éclata en sanglots bruyants. Des torrents de larme dévalaient ses joues. Elle se retourna brusquement, en proie à une colère aveugle… qui tomba immédiatement devant l'air navré qu'elle lut sur le visage de Damon. Ce visage qui ressemblait tellement à un autre…

Elle se jeta violemment sur Damon, qui glissa sur le sol mouillé et tomba à la renverse.

L'instant d'avant, il se préparait à faire face à une attaque directe, et celui d'après il était étendu sur le dos, totalement nu. Avec, blottie dans ses bras, une femme qui pleurait comme un enfant.

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Cette fiction est copyright Thomas Goffin.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.