Chapitre 13 : Ying et Yang


Némésis venait de sortir en courant de la salle de bains, laissant là un Damon interloqué. Il restait sur le sol, cherchant à comprendre. Elle n'avait rien dit, tout le temps qu'elle était restée allongée sur lui, ses larmes se mêlant à l'eau de la douche qui n'avait pas eu le temps de sécher sur sa peau. Une seule chose pouvait expliquer le comportement de la jeune femme, un seul sentiment pouvait amener les gens à se laisser aller comme cela. Cela s'appelait Amour, cette chose qu'il avait chassée de son cœur depuis des milliers d'années.

"…je veux me venger de l'affront que m'a fait subir ton père…" avait-elle dit durant leur combat.

Damon se releva lentement, en souriant. Il se rendait compte qu'il savait en fait très peu de choses sur le passé de son père, et qu'il se pouvait fort bien qu'une partie de ce passé se soit jouée dans cet endroit.

Il prit une serviette et se sècha complètement, avant de jeter un coup d'œil aux vêtements que Némésis avait apportés. Il avait été un peu inquiet quand elle avait parlé de vêtements ayant appartenu à son père, vu le temps qui s'était écoulé depuis la mort de celui-ci, mais maintenant qu'il pouvait les toucher, il se rendait compte que le temps n'avait eu aucune prise sur la matière dont ils étaient faits. A la fois souple et douce, elle paraissait d'une solidité à toute épreuve. Il enfila le pantalon étroit et la longue tunique. Cela lui allait, comme Némésis l'avait deviné, même si il était un peu plus grand que son père. Incroyable qu'ils soient dans un tel état après tout ce temps, se dit-il. Mais il soupçonnait Némésis d'être pour quelque chose dans ce prodige. Il l'imaginait très bien prendre soin des affaires de l'homme qu'elle aimait, attendant sans aucun espoir son retour. Elle était moins dure qu'elle voulait le laisser paraître, et sa crise de larmes confirmait cette impression.

Quand il sortit finalement de la salle de bain, il fut surpris de constater qu'elle l'attendait. Ses yeux n'avaient gardé aucune trace des larmes qu'elle avait versées, et son regard avait retrouvé la lueur d'orgueil qui lui était caractéristique.

- Avant que tu dises quoi que ce soit, je te préviens, fit-elle avec une moue de mépris. Un seul mot sur ce qui vient de se passer, et je te tue…

Comme pour appuyer ses dires, elle leva le poing et une étincelle vola dans l'air de la pièce.

- Qu'est-ce qui vient de se passer? demanda Damon, en prenant soin de ne laisser paraître aucune trace d'ironie. Il ne tenait pas à recommencer le combat qu'ils venaient à peine d'abandonner, car cette fois, l'effet de surprise ne jouerait plus.

Némésis se retourna.

- Suis-moi, lança-t-elle sèchement.

Elle le guida sans un mot à travers le palais jusqu'à une terrasse qui surplombait le jardin à l'arrière. L'endroit était vraiment magnifique, éclairé par la lumière légèrement bleutée du soleil double.

Shandri l'attendait, assis dans un fauteuil. Il se leva à leur arrivée, et sans un regard pour le Chef de ses Guerriers de Lumière, il invita Damon à s'asseoir à côté de lui.

- Je ne me suis jamais lassé de la vue. Malgré tout ce temps, je suis toujours fasciné par les merveilles de la nature, dit-il en souriant.

- C'est fabuleux, répondit Damon, réellement impressionné.

Le jardin paraissait être laissé à l'improvisation de la nature, mais Damon, qui était un connaisseur, ne s'y trompait pas. Il fallait un grand nombre de soins pour arriver ainsi à faire cohabiter les végétaux entre eux sans qu'ils ne s'étouffent les uns les autres. Et tous, des brins d'herbe aux grands arbres inconnus qu'il voyait au loin, étaient d'une luxuriance à faire pâlir les meilleurs jardiniers. Des fleurs de toutes les couleurs et de toutes les formes poussaient à profusion, et les insectes s'en donnaient à cœur joie pour butiner dans ce paradis. Des oiseaux irrisés volaient et chantaient dans le ciel, passant d'un arbre à l'autre, jouant à se poursuivre.

- J'aime cette paix, dit Shandri. Et je ferais tout pour la protéger.

Damon acquiesça silencieusement. Si parfois, dans ses moments de doute, il se demandait pourquoi il avait accepté de mener cette vie de combats et de souffrance, il savait en de tels instants que c'était pour des joies comme celle qu'il ressentait. La nature lui murmurait à l'oreille, de sa voie cajoleuse "je veux vivre", et il savait qu'au fond, c'était la seule vraie raison. C'était la Vie.

- Ton père était comme moi, continua son hôte.

Damon tourna vivement la tête, arraché à sa rêverie par la phrase sybilline de Shandri.

- Comment connaissez-vous mon père? demanda-t-il à nouveau.

- J'y viens, Damon. Mais voilà Celda qui nous apporte à boire. Tu prendras bien un verre de méliane avec moi?

Damon n'avait aucune idée de ce qu'était la boisson proposée, mais il acquiesça sans hésiter. Une jeune fille approchait, poussant devant elle un plateau qui semblait flotter au-dessus du sol. Il était chargé d'une carafe et de deux verres, faits d'une matière qui ressemblait à du crystal.

Dans le mouvement qu'il fit pour regarder en direction de la servante, Damon remarqua que Némésis ne les avait pas quittés, et qu'elle restait là sans rien dire, debout quelques mètres derrière eux.

- C'est mon garde du corps personnel, dit Shandri en souriant. Elle ne me quitte que si je le lui en donne l'ordre. Mais elle refuse toujours de s'asseoir avec moi.

Il haussa les épaules.

- Je n'ai jamais compris pourquoi, mais il n'y a jamais moyen de la faire changer d'avis.

- Elle est très forte, j'avais déjà été surpris quand Laad est venu me chercher, mais face à elle j'ai vraiment eu très peur.

Shandri hocha la tête. La servante était maintenant arrivée à leur hauteur, et elle remplissait les deux verres d'un liquide ambré.

- Ne fais pas l'erreur de te sous-estimer, Damon, je te l'ai dit tout à l'heure, si je n'avais pas écarté Némésis, elle serait peut-être morte à l'heure qu'il est. Tu n'y es pas allé de main morte. Mais elle l'avait cherché.

Il remercia la jeune fille qui se retira, et prenant les deux verres remplis, il en tendit un à Damon.

- C'est une boisson rafraîchissante, en fait une infusion à base d'une plante des montagnes qui se situent à l'est, expliqua-t-il.

Damon prit une première gorgée; le liquide était froid, sucré et fruité.

- Quant à Laad, poursuivit Shandri, revenant sur sa première idée, il ne faut pas te fier aux apparences, il est bien plus fort que tu ne peux l'imaginer, en tout cas bien plus fort qu'elle.

Damon haussa les sourcils. Le cosmos de Némésis lui avait pourtant paru bien plus intense.

- C'est normal, répondit Shandri, faisant une fois de plus la preuve de ses pouvoirs télépathiques. Laad ne montre jamais sa vraie force sans raisons. C'est dangereux pour l'Equilibre.

- L'Equilibre?

- Oui, la structure même de l'Univers. Tu le retrouve dans chaque galaxie, dans chaque système. C'est la Force qui empêche les planètes de rentrer en collision, qui fait que quand une étoile meurt, c'est toujours en donnant naissance à une autre…

- Mais je ne comprends pas le rapport avec Laad, intervint Damon.

- Sa puissance est telle que s'il l'utilise à la surface d'une planète, il risque de modifier l'orbite de cette planète, expliqua Shandri. Tu comprends mieux?

Damon fit un signe d'assentiment. Modifier l'orbite d'une planète, c'était un risque de détruire tout un système solaire d'un seul coup. L'énergie libérée par la collision avec une autre planète provoquerait une réaction en chaîne qui ferait littéralement exploser l'étoile centrale, pulvérisant alors toutes les autres planètes.

- Ton père avait le même pouvoir, continua Shandri.

Il semblait être prêt à parler maintenant, et Damon le laissa suivre le fil de sa pensée.

- Edlack est né dans un autre univers, il y a des dizaines de milliards d'années. Il était, comme moi, un Guerrier de l'Empereur, et faisait règner la paix sur tout l'univers. C'était un homme aimé et respecté, doté d'une intelligence et d'un sens de la justice hors norme. L'Empire avait apporté la paix et l'harmonie, mais cela ne plaisait pas à certains. Une guerre a éclaté, amenant le chaos sur toutes les régions habitées. Les forces en présence étaient à peu près égales, et le combat menaçait de durer très longtemps, aucun des deux camps ne parvenait à prendre l'avantage.

Puis ton père et moi, nous avons remporté quelques victoires décisives, mais à un trop grand prix. Des planètes entières furent rayées de la Création lors des combats. L'Empire commençait à prendre l'avantage, mais les pertes étaient énormes.

Un jour, je poursuivais un rebelle sur la bordure extérieure de l'univers quand une explosion d'une violence inouïe nous rattrapa. Quand nous avons repris nos esprits, l'Univers n'existait plus. Plus rien, plus une étoile dans le vide, rien que d'immenses nuages de débris et de gaz ça et là, plus une planète, plus de vie, plus rien.

Je suis entré dans une colère folle, et je me suis précipité sur mon ennemi de toutes mes forces. Il était d'un niveau égal au mien, et la combinaison de nos pouvoirs a donné cet univers dans lequel nous vivons maintenant.

Mon adversaire, dont j'ignore toujours le nom, a disparu à ce moment-là. Son corps a été pulvérisé par le Big Bang."

Il se tourna vers Damon, les yeux dans le vide.

- Je n'ai jamais su ce qui est arrivé à mon univers, celui dans lequel je suis né, jusqu'à ce qu'un jour, par le plus grand des hasards, je retrouve ton père. Il avait assisté aux derniers instants de l'Empire, et grâce à sa force incroyable, il avait pu résister à l'Explosion Finale. Persuadé d'être le seul survivant - je le comprends, je l'ai été très longtemps moi aussi - il avait erré sans but dans ce nouvel univers pendant des millions d'années, jusqu'à ce que nos chemins se croisent de nouveau. Il m'a raconté que, avec deux cents autres guerriers, ils avaient assiégé le Conseil Suprême des rebelles, et que, plutôt que de se rendre, les chefs de nos ennemis avaient provoqué la destruction de l'univers.

- Mais comment est-ce possible? demanda Damon, atterré.

- Par le même phénomène que celui qui crée un univers, des forces qui entrent en résonnance, et qui ensuite se déchaînent sans limite. Et nul ne peut rien faire quand cela se produit, sinon prier qu'elles se calment d'elles-même avant que tout soit détruit.

Shandri se leva de son fauteuil, en proie à une vive émotion. Il s'avança et posa les mains sur la rambarde de pierre sculptée qui bordait la terrasse.

- Nous ne sommes pas les détenteurs du Cosmos, nous n'en sommes que les réceptacles, c'est Lui qui nous permet de l'utiliser, et parfois nous le faisons en dépit du bon sens. Et c'est ce qui arrive alors, Il nous punit en détruisant tout ce que nous aimons.

Damon se sentait troublé. Il n'avait jamais envisagé les choses sous cet aspect, et cette vision de leur pouvoir était nouvelle pour lui. Cela signifiait qu'il n'y avait quasiment aucune limite à leur puissance, sinon celle qu'instaurait le risque de tout détruire. Et c'était une responsabilité bien plus grave que tout ce à quoi il s'était attendu.

Il n'avait plus vraiment envie de nouvelles révélations, mais il restait un point sur lequel il voulait interroger Shandri. Khan et le départ de son père, qui devaient être liés, il le sentait confusément.

Shandri se retourna et le regarda attentivement. Il sentait le trouble qui habitait son invité, et en lisait la raison dans son esprit aussi clairement que dans les pages d'un livre. Et pour la première fois, il se demanda s'il avait bien fait de le faire venir pour lui révéler cette histoire. Cet homme, le fils de son ami maintenant mort, était le seul espoir de cet univers, et il ne fallait pas qu'il doute.

Mais Shandri savait que ce qu'il venait de dire devait l'être, cela seul pourrait lui faire prendre conscience de son potentiel. Cela et autre chose, une sorte d'épreuve, qui viendrait un peu plus tard. Pour l'instant, autant lui donner ce qu'il demandait, et répondre à ses questions.

- Khan était un de mes hommes, commença-t-il. Je l'ai formé moi-même, et il a très vite répondu à mes attentes. Il était très intelligent, et il comprenait très vite où je voulais en venir. Très tôt, il a atteint un niveau exceptionnel, en fait il était aussi fort que ton père ou moi. Il m'a servi pendant très longtemps sans poser de questions, et même si ses compagnons ne l'appréciaient que modérément, il n'avait jamais failli à sa tâche. Il était d'un naturel très froid, peu communicatif, et se tenait toujours à l'écart des autres, qui le laissaient volontiers tranquille. J'aurais dû me méfier, mais j'étais très content de ses services, et cela me suffisait.

Shandri fit une pause. Cela lui coûtait de reconnaître ainsi ses torts, et il ne parvenait pas à le cacher.

- J'ai entendu parler de problèmes qui risquaient d'éclater dans la galaxie d'Andromède. J'y ai donc envoyé Khan en mission. Au début, tout s'est bien passé, il envoyait régulièrement des rapports où il mentionnait que rien de grave ne se passait, mais qu'il préférait rester pour être sûr que la situation ne changerait pas. Puis il a cessé de transmettre. Après quelques temps, nous avons commencé à nous inquiéter, ton père et moi. Il a décidé de partir lui aussi pour se rendre compte de ce qui se passait. Je ne l'ai plus jamais revu depuis.

Laad, qui était le seul à avoir gardé des contacts avec lui, s'est immédiatement rendu sur place. Edlack était mort, Khan avait disparu, ainsi que vous. Mais quand j'ai appris qu'une nouvelle galaxie avait vu le jour non loin de celle d'Andromède, j'ai tout de suite su que c'était vous. Mais j'ai décidé de vous laisser vivre vos vies sans intervenir, de vous laisser tranquilles et de ne pas vous mêler à mes histoires. En fin de compte, c'est Khan qui vous y plonge…

Il y avait comme du regret dans la voix de Shandri.

- Ce n'est pas votre faute, rétorqua Damon. J'ai été conçu pour être un guerrier, et vous n'y pouvez rien. Je me suis battu jusque maintenant et ça ne risque pas de changer de sitôt. Mais… Je peux vous poser une question, Maître?

- Oui, bien sûr, répondit Shandri, avec toutefois un soupçon d'inquiétude.

- Vous avez des nouvelles de ma mère, demanda Damon.

Shandri parût soulagé.

- Oui, Laad lui rend visite de temps en temps. La Galaxie d'Andromède est en paix, et ta mère s'est remariée il y a pas mal de temps déjà avec un Duc, je crois. Elle a eu d'autres enfants de ce second mariage.

Cela ne surprit pas vraiment Damon. Sa mère était une très belle femme, et en tant que fille de l'Empereur, elle n'aurait pas pu rester seule éternellement. Il était soulagé de la savoir toujours en vie, et peut-être que quand tout ceci serait terminé, il pourrait…

- Oui, peut-être, approuva Shandri. Mais il faudra s'y prendre avec précautions, depuis tout ce temps, elle n'a eu aucune nouvelle de vous, elle vous croit morts d'après ce que Laad me dit.

- De toutes façons, il y a plus urgent, conclut Damon.

Il avait un petit sourire en coin. Même s'il ne disposait pas des mêmes pouvoirs de télépathie que Shandri ou Laad, il savait que tout n'avait pas été dit dans cette histoire. Car il sentait que Shandri, ami de son père ou pas, avait un orgueil suffisament développé pour ne plus se sentir coupable de la mort d'Edlack. Il y avait sûrement quelque chose d'autre, quelque chose de suffisament important pour avoir motivé l'envoi de Laad et l'invitation à le suivre.

Shandri le regarda fixement, comme s'il craignait ce qui allait devoir être dit, puis baissa les yeux. Il y avait quelque chose de touchant dans cette attitude, on aurait dit un enfant surpris parce que ses parents qu'il croyait avoir bernés se révèlent au courant de ses bêtises.

- Oui, tu as raison, il y a plus urgent. Suis-moi, je dois te montrer quelque chose.

Il conduisit Damon à travers le palais jusqu'à une petite porte dérobée qui s'ouvrait sur un escalier descendant, à ce qu'il semblait, vers le sous-sol. Némésis les avait suivis, toujours enfermée dans un silence de pierre tombale, mais quand elle vit où Shandri les menait, elle murmura, les yeux agrandis par l'appréhension (mais de quoi? se demanda Damon)

- Non. Maître!

Shandri ne parut pas remarquer la supplication de son garde du corps. Il était plongé dans ses pensées, les sourcils froncés par la concentration, et poursuivit son chemin sans dire un mot.

Les trois immortels débouchèrent sur une pièce de petite taille, mais au plafond élevé, et dépourvue de tout ameublement. Le mur en face de l'escalier était troué par une grande porte à deux battants dont le bois était finement sculpté de signes cabalistiques entrelacés. C'était un travail d'une beauté remarquable, qui semblait au moins aussi vieux que le palais lui-même.

Arrivé devant la porte, Shandri s'arrêta et se retourna vers Damon.

- Ce que tu vas voir maintenant, commença-t-il, peu de gens l'ont vu avant toi, et beaucoup d'entre eux sont morts à présent.

Sur ces paroles, il posa la main sur la porte qui s'ouvrit toute grande. La salle sur laquelle elle donnait était beaucoup plus grande que la première. Deux rangées de colonnes disposées en carré soutenaient le plafond, et partout, sur les murs, les colonnes, le sol et le plafond, on pouvait voir les mêmes motifs que sur la porte. Au centre de la pièce se dressaient deux socles de starstone, dont un était vide. Sur l'autre reposait une Armure.




- Voici l'Armure Originelle, annonça Shandri.

- A la naissance de l'Univers, sont apparues deux Armures, racontait Shandri. L'Armure Originelle et l'Armure Terminale. On les appelle aussi Armure de Genèse et Armure d'Apocalypse. Elles sont de forme identique, mais l'une est doré:e et l'autre noire. Elles renferment toutes deux des pouvoirs inimaginables, ceux qui ont amenés le début de l'univers et ceux qui déclencheront sa fin. En fait, je crois qu'il s'agit des matérialisations de deux faces du cosmos.

Damon n'avait d'yeux que pour l'Armure qui reposait sur son socle de pierre. Elle brillait d'un feu intérieur intense, et son pouvoir semblait n'avoir aucune limite.

- Comment se fait-il qu'on ne ressente pas sa présence à la surface, demanda-t-il soudain, mû par une intuition.

- C'est à ça que servent tous les signes gravés sur la pierre. Ce sont des incantations que j'ai apprises il y a très longtemps, dans l'autre univers. Cela me permet de dissimuler la présence des Armures à des gens mal intentionnés.

- Et pourtant il en manque une, rétorqua Damon.

- Elle a été volée il y a peu de temps, et on ne sait toujours pas comment le voleur a pu pénétrer ici et s'en emparer, répondit Shandri, le visage cripsé par la colère.

- C'est ce qui m'a décidé à faire appel à toi, poursuivit-il. Si cette Armure tombait dans les mains de Khan, et je ne crois pas aux coïncidences, c'est lui qui d'une manière ou d'une autre a perpétré ce forfait, alors l'Univers tout entier est menacé.

- Et que voulez-vous que je fasse contre de tels pouvoirs, demanda Damon, désespéré.

Shandri le regarda droit dans les yeux. Il y avait énormément de tristesse dans ce regard, bien que Damon n'en connût pas la raison, et de nouveau comme une once de regret.

- Tu vas porter cette Armure, commença-t-il.

Némésis, qui gardait obstinément le silence, s'élança brusquement vers son maître et le saisit aux épaules.

- Non, vous ne pouvez pas, cria-t-elle. Elle va le tuer comme tous les autres…

D'un geste de la main, Shandri la repoussa doucement. Il avait l'air peiné de l'intervention de sa guerrière, comme si elle avait outrepassé ses droits en agissant de la sorte.

- Ecoutez, Shandri.

Pour la première fois, Damon renonçait aux formules de politesse auxquelles il avait eu recours jusque là. Cet homme venait de lui cacher qu'il risquerait sa vie en endossant cette Armure, et tout portait à croire qu'il l'avait fait consciemment, sans le moindre respect pour sa vie, ni pour sa liberté de choix.

Et ça le mettait terriblement en colère.

- Si je dois mettre cette… abomination sur moi, je veux en savoir les conséquences. Vous avez essayé de me piéger et je n'aime pas du tout ça.

Shandri, après un instant de réflexion, fit un signe de la tête en direction de Némésis pour l'autoriser à parler. Celle-ci, tremblante, se tourna vers Damon.

- Ce n'est pas la première fois que quelqu'un essaye de porter l'Armure Originelle, en fait il arrive fréquemment que nous proposions à des guerriers méritant de tenter l'expérience. A chaque fois, le pouvoir de l'Armure était trop grand, et il dévorait littéralement celui qui osait la dompter. Pas un ne s'en est sorti.

- Merci, Némésis, dit Damon.

Il lui était reconnaissant de sa franchise, et de l'effort qu'elle avait dû faire contre la volonté de son maître pour s'interposer ainsi. Il se doutait de quelque chose de semblable, et même si à dire vrai la perspective de mourir ne l'inquiétait pas vraiment, vu que comme tous les immortels il ignorait ce qui se passait vraiment "après", la traîtrise de Shandri le troublait un peu. Etait-il donc si désespéré?

Le maître des lieux attendait en silence, les bras croisés, visiblement fâché de la tournure qu'avaient prises les événements.

- Shandri, l'appela Damon. Je vais le faire, mais sachez que ce n'est certainement pas pour vous faire plaisir.

- Il n'est nullement question de plaisir ici, lui rétorqua l'homme aux cheveux verts, mais de nécéssité.

Il avait raison, bien sûr, mais cela n'empêchait pas Damon de se poser des questions. Pourquoi moi, se demandait-il. Qu'ai-je donc fait de spécial pour que ce type soit venu me chercher et me propose de mourir? Que va-t-il se passer après? Si je meurs, qui se battra à ma place?

Mais ce n'était pas le moment de tergiverser. Si ce que Shandri lui avait dit était vrai, il n'y aurait qu'un moyen de vaincre Khan, et c'était avec cette Armure. Ne pas tenter le coup revenait à admettre sa défaite avant même d'avoir commencé le combat, et se prépare de toutes façons à mourir.

- Comment dois-je faire? demanda-t-il.

- Pose ta main sur Elle, et Elle fera le reste, lui dit Shandri.

Avant que Damon puisse bouger, Némésis lui posa la main sur le bras. Il pouvait sentir la femme trembler, mais quand il la regarda dans les yeux, il vit qu'ils étaient restés secs.

- Tu en es sûr? demanda-t-elle.

Damon acquiesça silencieusement. Elle baissa la tête, comme déçue.

- Bonne chance, murmura-t-elle.

Damon s'approcha lentement de l'Armure. Dans sa tête, il essayait de Lui parler, de Lui dire qu'il était là pour servir, pour protéger la Vie, comme Elle. Qu'il avait besoin d'Elle pour vaincre la Mort et le Néant.

Lentement, très lentement, il tendit son bras et posa la main sur le torse de l'Armure.

D'abord, il ne sentit rien de particulier. Elle était chaude; comme vivante, mais rien ne semblait se passer. Puis la structure même de l'Armure changea. Sa surface d'or s'anima, comme si elle devenait liquide. Et il la sentit pénétrer en lui par la paume de sa main.

Il tomba à genoux. Un sifflement strident lui vrillait les tympans, et il avait l'impression que son sang s'était changé en une nappe de métal en fusion. La douleur physique était insupportable, mais ce qui le dérangeait encore plus, c'était les voix qu'il entendait dans son esprit, des voix déstructurées, criardes, qui chantaient ensemble mais pas à l'unisson. Instinctivement, il sut qu'il entendait les voix de l'univers, celles des étoiles qui toutes pleuraient après la vie, et qui savaient qu'une menace planait sur elles. Et avant même de penser qu'il allait mourir, il sut qu'il deviendrait d'abord fou.

Quand il ne resta plus rien de l'Armure sur le socle de starstone, sa vision se brouilla, et il se sentit tomber dans le noir.




Plusieurs dizaines de mètres au-dessus, à la surface, Laad qui était toujours assis dans l'arène d'entraînement, se leva brusquement. Il avait senti le pouvoir de l'Armure se réveiller à nouveau. Mais cette fois c'était différent.

Un sourire de triomphe se dessina sur ses lèvres. Et, sans y prèter garde, il serra le poing.

- Alors il a réussi…

Maintenant, c'était à Gallaan de prendre le dessus sur le Pouvoir…




- Mon Dieu! Non! Maître…

Némésis s'élança vers Damon qui gisait au sol, le corps traversé de spasmes. Mais avant qu'elle ait pu l'atteindre, elle fut repoussée en arrière.

- Ne t'approche pas, c'est trop dangereux pour le moment, expliqua calmement Shandri.

C'était une torture pour Némésis de voir le corps de cet homme se tordre de douleur. Elle avait l'impression d'assister à la seconde mort de celui qu'elle avait aimé, et ne rien pouvoir faire la plongeait dans le désespoir.

- On ne peut donc rien faire? demanda-t-elle à Shandri.

- Juste attendre, répondit-il. C'est déjà un bon signe que son corps n'ait pas été pulvérisé par le Pouvoir.

En son for intérieur, Shandri n'avait pas la moindre idée de ce qui allait arriver maintenant. C'était la première fois que l'Armure n'avait pas regagné son socle immédiatement, mais l'espoir qu'il sentait naître en lui pouvait être prématuré. Avec de telles forces en œuvre, aucune théorie ne pouvait jamais prévoir les événements, et personne ne savait comment le Pouvoir de l'Armure allait affecter la psychologie de son porteur. Si celui-ci arrivait à le dominer, bien entendu…

Les spasmes qui secouaient le corps de Damon s'espacèrent progressivement, pour finalement disparaître après quelques minutes. Shandri s'approcha alors prudemment, puis s'agenouilla pour prendre son pouls.

- Il est encore en vie, dit-il à Némésis. Je vais le transporter jusqu'à un lit.

Il se releva, une main posée sur le torse de Damon, et le corps inanimé se souleva du sol, comme pour suivre la main qui le hissait. Puis les trois immortels, dont un était peut-être mort, se téléportèrent un peu plus haut.


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Cette fiction est copyright Thomas Goffin.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.