Chapitre 14 : Coma et Eveils


Telliaan se réveilla en sursaut. Il ne dormait jamais beaucoup en général, mais cette fois, laissé seul avec les amis de son frère qui lui vouaient une haine sans borne, il avait préféré se retirer dans une chambre du Palais du Grand Pope.

Il restait étendu dans le noir, les yeux grand ouverts, tous les sens en éveil, tandis que son cosmos fouillait l'espace à la recherche de son frère. Mais malgré sa concentration, il ne parvenait pas à le trouver. Pourtant, les deux frères étaient inexorablement liés, Gallaan avait même réussi à le retrouver, alors qu'il errait, sans conscience, dans les limbes depuis des centaines de milliers d'années, et il avait réussi à lui faire réintégrer son corps. Mais cette fois, le cosmos de son frère avait bel et bien disparu.

Le bruit de la porte qui s'ouvrait le ramena sur Terre. Quelqu'un s'avançait en direction de on lit. Il resta sans bouger, attentif.

- Monsieur, vous êtes là?

La sensation de menace s'évanouit immédiatement. Ce n'était qu'elle, pensa-t-il. Mais que diable venait-elle faire à cette heure dans sa chambre?

- Oui Tissia, je suis là, répondit-il. Que veux-tu?

La fillette s'assit sur le bord du lit. La pâle clarté de la lune suffisait à éclairer son visage, et Telliaan put y lire, à son grand étonnement, l'inquiétude et la peur. Il se redressa en position assise et posa sa main sur l'épaule de la fillette.

- Qu'y a-t-il, Tissia?

La fillette baissa les yeux.

- Vous l'avez senti vous aussi? demanda-t-elle doucement.

Telliaan sursauta de surprise. Comment diable pouvait-elle avoir perçu la même chose que lui? Quel était donc le pouvoir de cette enfant, pour lui permettre un tel prodige…

- Jusque maintenant, je savais qu'il était toujours en vie, poursuivit-elle, mais je viens de perdre sa trace.

- C'est la même chose pour moi, lui dit-il.

- Qu'est-ce qui lui est arrivé, et qu'est-ce qu'on va devenir?

Elle était au bord des larmes. Se pouvait-il qu'elle ait pleinement conscience de ce qui allait se passer, se demanda Telliaan. Pendant le repas, elle lui avait semblé d'humeur joyeuse, comme tous les enfants de son âge, et si elle avait été inquiète, elle l'avait parfaitement dissimulé.

- Ne t'inquiète pas, mon frère est capable de se sortir de tous les mauvaises passes, lui dit-il, plus pour se réconforter lui-même que pour la consoler.

- J'ai peur, répondit la fillette. Elle serra ses bras contre sa poitrine, et Telliaan put voir glisser une larme le long de sa joue.

Il sortit du lit et enfila son pantalon qui traînait par terre.

- Viens, je vais te raccompagner à ta chambre.

Il n'avait pas vraiment l'habitude de s'occuper des autres, mais la crainte que manifestait la petite fille était celle qu'il ressentait tout au fond de lui. Et si cette crainte était fondée, alors ça allait être à son tour de s'occuper de tous ces gens, comme son frère l'avait fait avant lui.

- Oui, c'est ton tour maintenant, fit soudain une voix derrière lui.

Il se retourna brusquement. La voix venait du lit, là où il n'y aurait dû avoir que Tissia, mais c'était une voix grave et puissante, sans âge, une voix à qui on ne pouvait désobéir. Quand il vit la fillette, celle-ci flottait à un mètre du sol, son corps baignant dans un cosmos bleu, qui lui emplissait également les yeux.

- C'est ton tour et voici tes armes, Avatar de l'Ordre, continua la voix.

Puis Tissia, ou plutôt l'entité qui avait pris possession de son corps, tendit la main devant elle et laissa échapper un éclair en direction de Telliaan, à une vitesse telle qu'il ne put esquisser un mouvement pour tenter de l'éviter.

Instantanément, une vague d'un froid glacial l'envahit, contractant ses muscles et le jetant à terre. Mais, étrangement, il ne paniqua pas, c'était plutôt comme si son esprit sentait que tout cela devait se passer, comme si tout était à sa place…

Pendant ce temps, Tissia continuait à parler, de sa voix sans âge.

- Telliaan, tu as été choisi pour devenir l'un des douze Avatars qui vont prendre part à la Guerre qui se prépare. Tu es l'Ordre, l'immuable Ordre de l'Univers, et ton ennemi de toujours est le Chaos, alors vas et n'oublie jamais ce que ja vais te dire: nul ne doit disparaître pour conserver l'Equilibre.

Telliaan s'était relevé, vêtu d'une Armure bleue qui lui recouvrait tout le corps. Il avait enlevé son casque, et regardait Tissia qui continuait à parler, suspendue en l'air par le Cosmos qui l'habitait.

Quand elle eut prononcé sa sentence, la Force la quitta et elle retomba lourdement sur le lit, inanimée. Telliaan s'approcha d'elle et posa la main sur son bras, à hauteur du poignet. Il sourit quand il sentit les battements réguliers de son cœur.

A ce moment, la porte s'ouvrit violemment pour livrer passage à la jeune femme qui accompagnait toujours la fillette. Elle s'appelait Nala, se rappela Telliaan. Elle était vêtue d'une Armure d'un gris foncé,

- Que s'est-il passé, cria le Chevalier d'Argent de la Flèche. Que lui as-tu fait?

Elle se préparait déjà à l'attaquer, mais un regard de Telliaan suffit à l'immobiliser.

- Tout va bien, elle dort. Tu vas la ramener dans son lit. Elle se réveillera demain, en pleine forme.

Il avait parlé d'un ton qui ne souffrait aucune réponse, et la jeune femme l'avait bien compris. Elle s'approcha doucement du lit, jetant un passant un regard noir à l'Avatar de l'Ordre, et prit la fillette dans ses bras. Elle se dirigeait vers la porte quand elle se retourna vers Telliaan. Et là, un air de surprise absolue apparut sur son visage.

L'Armure n'était plus là. Telliaan sourit, et haussa les épaules.

- Je n'en ai pas besoin maintenant, dit-il.

- Mais qu'est-ce qui s'est passé? ne put-elle s'empêcher de demander à nouveau.

- C'est mon tour, lui répondit-il comme si cela suffisait à tout expliquer.

Et, pour lui, cela expliquait effectivement tout.




Quand Laad entra dans la chambre où reposait le corps de Damon, Nemesis était assise à côté du lit, la tête appuyée sur ses avant bras: elle dormait. Laad sourit. C'était la première fois qu'il avait senti son amie aussi troublée, et il comprenait parfaitement pourquoi. Elle devra se faire une raison, se dit-il, ce n'est pas Edlack. Mais cela importait peu. Quatre des Avatars de la Lumière s’étaient réveillés, s'il comptait celui de Nemesis et cette Armure qu'il portait maintenant depuis quelques années.

Cela lui était tombé dessus alors qu'il ne s'y attendait pas le moins du monde, sept ans auparavant. Il était retourné sur son monde natal, afin de revoir sa famille, et se reposer un peu. Dans les périodes de calme, Shandri accordait facilement à ses guerriers la permission de s'éloigner du Centre, et cela faisait plus de trois cents ans que Laad n'avait plus eu l'occasion de rendre visite aux siens.

Il s'était donc téléporté directement vers la cité légendaire des Dayaks, sa ville natale, qui flottait éternellement à quelques centaines de mètres au-dessus de la surface de la planète. Mais, par un phénomène qu'il n'était jamais parvenu à s'expliquer depuis, sinon par une intervention de l'Energie, il ne s'était pas matérialisé là où il l'avait souhaité. Il s'était retrouvé dans une immense étendue désertique, sous un ciel sans le moindre nuage, baigné par un soleil d'une taille gigantesque.

Et c'est là que l'avait investi l'Avatar de la Lumière.

Sur ce monde où il ne pensait pas rencontrer la moindre forme de vie, il avait trouvé des humains, particulièrement résistant à la chaleur et à la sécheresse. Pendant quelques semaines, il était resté avec eux, vivant leur vie et subissant lui aussi les tourments que l'impitoyable soleil leur infligeait à longueur d'année, profitant au maximum du répit qu'il leur laissait la nuit pour se reposer, économisant le peu d'eau qu'ils parvenaient à retirer des sous-sols arides…

Tout ça pour arriver à se jour où, perdu dans une tempête de sable, il était tombé - mais le hasard n'y était pour rien - sur cette Armure qui l'attendait au sommet d'une dune… Elle était d'une blancheur éclatante, la même blancheur que celle que dispensait le monstrueux soleil au dessus de sa tête, cette Lumière si intense qu'elle l'aveuglait presque. Puis l'Armure était venue le recouvrir, et le contact avec le métal brûlant lui avait fait perdre conscience.

Quand il avait finalement repris le dessus, après deux jours de souffrances intenses, il avait été ramené dans une des cavités qui servaient d'abris au peuple des sables.

Et voilà que devant ses yeux, un autre homme devait souffrir pour acquérir le droit de devenir un Avatar.

Laad se frotta la joue de l'index. C'était un geste instinctif, un geste qui chez lui signifiait que son cerveau travaillait à toute allure, traçant son chemin à travers le mécanisme de son intelligence prodigieuse. Ou que son cosmos explorait l'Univers…

Subitement, le savoir l'envahit. Il sut que cet homme était encore en vie, qu'il était La Vie, et il sut qu'il se relèverait, qu'il était en train d'apprendre ce que personne avant lui n'avait jamais appris. Il sut que Gallaan se préparait à une deuxième naissance.




Une jeune femme rôdait en silence dans les ruelles de Lud. Son allure était celle d'un félin, mais pas celle d'un vulgaire chat domestique, plutôt celle, silencieuse et souple d'une panthère à la recherche d'une proie. Sa peau était sombre, ses yeux et ses cheveux d'un noir de jais, et son corps svelte et gracieux faisait en général tourner plus d'une tête. Comme ce soir... Un soir où elle avait décidé de chasser.

Mais malheureusement pour elles, ses victimes ne le savaient pas encore.

Les trois hommes la suivaient depuis une heure maintenant, et ils n'avaient toujours pas renoncé. C'était plutôt rare, dans cette partie de l'univers, de tomber sur un joli petit lot comme cette fille, et aucun d'entre eux n'aurait abandonné la poursuite, même si les Trompettes du Jugement Dernier avaient subitement retenti. Ils étaient surexcités, sûrs de leur victoire, savourant déjà en pensée le plaisir qu'ils allaient tirer de cette petite chose si tentante...

Ce n'était pas la première fois que ce genre de type la sous-estimait, pensa-t-elle. De tout temps, elle avait été la cible des pulsions les plus violentes de la part des hommes, et elle avait appris à s'en servir pour les retourner contre eux. Elle avait payé de sa personne pour apprendre, payé plus qu'aurait pu le supporter aucune autre femme.

Quand son père l'avait vendue comme esclave, elle n'avait que dix ans, mais cela ne suffisait pas à refroidir les ardeurs de son maître. Quelle fortune avait-il dû dépenser pour s'offrir une esclave immortelle, une esclave qui jamais ne porterait sur son corps les affronts du temps qui passe? En tout cas il avait été bien résolu à en profiter au maximum, et le plus tôt possible.

Parfois, quand elle dormait, les souvenirs de cette époque revenaient la hanter, son pouls s'accélérait, son corps se couvrait d'une fine couche de sueur glacée, et dans son rêve le visage de celui qui avait abusé d'elle s'estompait pour devenir celui qu'elle nommait "la bête mâle". Un visage grimaçant, lubrique et avide, symbole pour elle de tous les visages masculins quand arrive le moment où ils obtiennent enfin ce qu'ils veulent tant...

Elle avait fini par s'échapper de cet enfer, fini par faire payer au gros porc vicelard les vingt ans durant lesquels il s'était servi d'elle. Longtemps elle avait repassé dans sa tête les sévices qu'elle lui rendrait en retour quand viendrait son heure, choisissant l'un plutôt que l'autre au gré de son humeur, et pourtant, le moment où finalement cela s'était produit était terriblement flou dans son souvenir, comme si elle n'avait vraiment pu se rendre compte de ses actes que quand elle s'était retrouvée nue, le corps couvert du sang de l'autre, tremblante de rage et d'amertume, en colère contre le monde entier pour ce qui lui était arrivé.

Ce que par contre elle ne parvenait pas à oublier, c'était le goût doux et amer du sang qui lui remplissait la bouche, l'enivrait jusqu'à l'extase. Cette fois là, pour la première fois de sa vie, elle eut un orgasme...

Et c'était loin d'être la dernière fois...

Cette fois-ci, pourtant, quelque chose la dérangeait, un sentiment d'urgence absolue qui lui disait qu'il allait être temps de mettre fin à ce petit jeu. Elle ralentit alors sa course, jusqu'à ce qu'elle s'arrête complètement, seule au milieu d'une ruelle sombre.

Elle se retourna alors et attendit.

Le boyau où elle était n'était pas très large, juste assez pour laisser passer deux hommes de front. Du coin de l'œil, elle nota la porte dérobée qui devait mener dans un jardin intérieur, mais elle savait qu'elle n'aurait pas besoin d'envisager cette solution de retrait. Elle était affamée, et la nourriture venait à elle de bon cœur. Elle était comme une plante carnivore qui lançait ses couleurs vives et ses parfums alléchant au nez des innocents insectes. C'était l'heure de boire.

Une fois au cours de ses raids nocturnes, elle était tombée sur plus fort qu'elle, et l'homme l'avait laissée pour morte dans une impasse jonchée de détritus. Il était fort, celui-là, très fort... Bien plus fort que les trois autres réunis, se dit-elle en souriant cruellement. Elle avait dû attendre trois jours au milieu des ordures avant de réussir à se lever, et à se traîner péniblement jusqu'au bâtiment désaffecté où elle avait sa piaule. Elle s'était effondrée sur sa paillasse et elle avait encore dormi quatre jours. Et quand elle s'était réveillée, c'était avec la ferme résolution de devenir suffisamment forte pour que ça ne lui arrive plus. Elle s'y était tenu jusqu'à ce jour.

Les trois hommes débouchèrent dans la ruelle. Comme elle s'y attendait, ils se méprirent sur la raison pour laquelle elle s'était arrêtée de courir.

- Alors, tu deviens raisonnable? demanda un petit rouquin aux yeux luisants d'intelligence maligne.

Elle sourit à cette remarque, avant de lui répondre calmement.

- Si tu veux mon cul, tu vas devoir venir le prendre.

Ils n'avaient aucune chance, Diala le savait. Eux ne le savaient pas, mais dorénavant cela n'avait plus d'importance. Ils étaient entrés dans son jeu, c'était à elle de décider quand tout devait s'arrêter.

- Ne t'inquiète pas, on ne va pas se gêner, continua le nabot aux cheveux rouges.

En des temps ordinaires, Diala aurait savouré ce petit jeu, elle l'aurait fait durer jusqu'à ce qu'elle commence à se lasser, et à ce moment elle aurait mis un terme à la souffrance de ses proies. Mais aujourd'hui tout était différent, à en croire cette voix qui lui soufflait de se dépêcher, parce que quelque chose allait se produire.

Elle en avait entendues, des voix, bien avant celle-ci. Rares étaient les moments où elle se retrouvait seule dans sa tête, et souvent elle avait dû faire le ménage dans ses pensées. Pour cela, rien de tel qu'une partie de chasse, là toutes les voix se taisaient, son corps devenait celui d'un animal sauvage, totalement régi par son instinct meurtrier.

Comme en ce moment.

Elle se précipita sur le type de gauche, un homme grand et gros, qui suait de tous ses pores à cause de la poursuite. En une fraction de seconde, sa main droite, aux ongles longs et durs comme des diamants, était plantée dans le cou de l'homme, et elle s'abreuvait aux flots de sang qui s'écoulaient de la jugulaire tranchée.

Les deux autres n'avaient pas encore eu le temps de réagir que, dans un tourbillon, elle envoyait valser la tête du deuxième à une vingtaine de mètres de là.

Le petit homme roux transpirait abondamment, et ses yeux suggéraient qu'il aurait donné beaucoup pour ne pas être en cet endroit à ce moment-là. Elle le regarda de ses yeux fous, et il sentit sa vessie se vider d'un coup dans son pantalon.

Elle remarqua l'auréole qui grandissait dans son entrejambe, et un sourire dément, plein de triomphe, lui étira les coins de la bouche.

- Vas-t'en, lui ordonna-t-elle.

Sans hésiter une seconde, le rouquin détala dans la ruelle, ses jambes fonctionnant à toute vitesse pour l'éloigner de l'enfer dans lequel il venait de plonger. Il s'obligeait à ne pas regarder en arrière, alors qu'au fond de lui il mourait d'envie de le faire, de s'assurer qu'elle ne le suivait pas, qu'elle n'était pas là derrière lui, un sourire dément sur le visage, un main en l'air prête à le déchiqueter.

Il ne sentit pas le souffle arriver sur lui. Mais il entendit sa Voix, cette voix si douce et en même temps si chargée de menace.

- Qui t'a permis de partir, misérable insecte?

Quand la police, alertée par un riverain, arriva sur les lieux, il lui fallut plus de trois heures pour retrouver tous les morceaux de son corps.




Une planète unique d'un système perdu au fin fond d'une autre galaxie. La bataille qui leur avait permis de s'en emparer au nom de la Gens avait duré plusieurs années. Et coûté un nombre incroyable de morts, tout ça parce que les habitants avaient décidé de revendiquer leur autonomie. Et la Gens n'acceptait pas ça. Même si la planète en question n'avait aucun intérêt ni stratégique ni commercial, personne ne prenait l'initiative de quitter la Gens!

Et sur cette planète sans intérêt, ils avaient trouvé quelque chose.

Jamais il n'avait vu une telle chose. Oh bien sûr, en tant qu'Amiral et commandant en chef de la Flotte Tansérienne, il savait ce qu'était une Armure. Et en tant qu'Immortel, il pouvait sentir le pouvoir de cette Armure. Mais jamais il ne s'était senti en symbiose comme en cet instant. Cette Armure l'appelait, lui qui avait mené pendant toute sa vie les troupes de la Gens au combat.

- Tout va bien, Monseigneur? demanda son aide de camp.

L'Amiral lui répondit d'un sourire, mais bien loin de le rassurer, ce sourire terrifia littéralement le jeune commandant qui se tenait à ses côtés.

C'était un sourire vide, comme celui d'un homme qui se rend compte que tout ce qu'il avait accompli dans sa vie n'avait aucune valeur, que tout ce pour quoi il s'était battu était mauvais, sonnait faux d'un seul coup.

Sans prêter la moindre attention à l'effroi de ses hommes, l'Amiral Ethan, qui, quelques mois auparavant, venait d'être confirmé à la tête des Armées Tansériennes par un vote unanime de la Gens, s'approcha de l'Armure et, posant la main sur celle-ci, renonça définitivement à son mandat pour devenir l'Avatar de la Paix.




Et, alors que son esprit n'était nulle part mais partout à la fois, Gallaan voyait tout cela. Et bien d'autres choses encore…

La Force se répandait dans l'Univers, à la recherche de ceux qui devaient la servir, pour préserver ce qu'elle avait créé il y avait si longtemps.




Il y avait peu d'endroits comme celui-ci dans l'univers. Cette planète était tombée sous la domination du Seigneur Xiarg, et il l'avait laissée comme il l'avait trouvée. Pas dans un souci écologique, bien sûr, mais parce que la sauvagerie avec laquelle la nature s'y était développée lui plaisait, et qu'il avait une idée de ce qu'il allait en faire.

La planète était jeune, la température suffocante; l'air chargé d'humidité et de cendres que les nombreux volcans crachaient abondamment, parfois sans interruption pendant des années. Les forêts luxuriantes comme les eaux claires des océans étaient peuplées d'une faune hétéroclite que les prédateurs de toutes sortes se faisaient un plaisir de dévorer avidement.

Cette planète hostile, laissée à la Nature, ne supportait qu'une concession à la technologie humaine: des robots caméras, capables de se déplacer à une vitesse proche de la lumière, la parcouraient en tous sens, deux fois par mois, quand sonnait l'heure d'un nouveau Tournoi.

Car c'était à cela que Xiarg l'avait destinée, une gigantesque arène de combat pour le divertissement de la population de son royaume, où il envoyait à sa guise ses meilleurs combattants ou ceux de ses ennemis qu'il avait envie de châtier.

La planète était entourée d'un champ de force qui empêchait à quiconque de s'en échapper au moyen de la téléportation, et les seuls contacts avec le reste du royaume étaient les navettes qui, deux fois par mois, amenaient les gladiateurs dans l'arène. Les combats, retransmis grâce aux robots caméras, étaient suivis par des milliards de spectateurs, dans tous les coins de la galaxie, et faisaient l'objet de paris dont les mises totales représentaient des sommes colossales. Et, bien entendu, toutes les transactions faisaient l'objet d'une taxation, qui venaient renflouer les caisses du Seigneur.

Aujourd’hui, comme toutes les deux semaines, la navette franchissait sans encombre le passage aménagé dans le champ de force. D’habitude, cela signifiait pour les survivants des combats la fin de leur calvaire, une forte somme d’argent en récompense, et surtout, la liberté. Parfois, le vainqueur décidait de rester, afin d’augmenter encore le pécule promis. Il était ainsi arrivé, dans des temps très reculés, qu’un même guerrier reste sur la planète pendant une année entière, éliminant successivement tous les opposants qu’on lui envoyait. Ce guerrier, un immortel, était libre maintenant, et à la tête d’une immense fortune.

L’homme qui attendait patiemment la navette cette fois-ci touchait à la fin de son quatrième mois. L’argent et la liberté lui importaient peu, en tout cas beaucoup moins que la possibilité qui lui était offerte de se battre sans arrêt et le plaisir que lui procurait l’action de tuer.

Il n’avait laissé aucune chance à ses adversaires jusque maintenant. Parfois il avait pris un malin plaisir à faire durer les combats, allant même jusqu’à donner l’illusion qu’il épargnerait certains concurrents, mais c’était uniquement par souci des téléspectateurs qui suivaient en direct les événements.

Mais sa domination sur le Tournoi ne faisait pas que des heureux. En effet, Xiarg avait de plus en plus de mal à trouver des volontaires, et les désignations d’office pleuvaient dans la galaxie.

Khiiro n’en avait cure. Il se battait, il tuait, et cela le satisfaisait pleinement.

Une fois seulement, il avait épargné la vie d’un adversaire. En fait c’était une jeune femme, à peine sortie de l’adolescence, dotée d’une volonté de fer mais de pouvoirs dérisoires. Il en était tombé amoureux, tout bêtement. Et soudain, sa vie avait eu un sens. Il ne se battait plus que pour le plaisir, mais aussi pour la protéger. Jusqu’au jour où un guerrier l’avait prise en otage pour tenter de l’atteindre. Il avait dû la tuer, il ne pouvait pas se permettre un point faible aussi flagrant. Pas s’il voulait survivre à cet enfer. Pas s’il voulait continuer à se battre.

L’Avatar de la Violence ne pouvait aller à personne d’autre, et la Force le savait. L’Armure d’un rouge sang l’avait choisi depuis longtemps déjà, depuis des temps immémoriaux, depuis que son père et sa mère avaient été tués devant ses yeux, alors qu’il était encore enfant.

Et, comme les autres, quand l’Armure le revêtit, Khiiro sut qu’il avait enfin trouvé ce qui lui manquait.




La Lumière, la Vie, le Calme, l’Ordre et la Paix, compta Laad. De l’autre côté, la Violence, la Folie, les Ténèbres. Sans oublier la Mort qui se baladait quelque part, sans aucun doute sur Terre. Restaient donc trois Armures à attribuer : le Chaos, La Guerre, et la Sagesse… Le moment approchait où tous les Avatars seraient réveillés, et où il leur faudrait commencer à se battre, dans une lutte fratricide dont personne ne sortirait vainqueur.

Laad sentait les mouvements de flux qui traversaient la Force, les Avatars qui quittaient leurs positions pour acquérir leurs porteurs, et pour la première fois de sa vie, il éprouva une angoisse sans borne devant ce qui arrivait. L’Univers était en train de se déchirer, de se partager en deux camps antagonistes, et rien de ce qui sortirait de cela ne serait bon.

Il passa une main à la peau bleue sur son front, et la retira couverte de sueur.

A des millions d’années-lumière, Telliaan, couché sur le dos, fixait le plafond de sa chambre en se répétant inlassablement la même litanie : " nul ne doit disparaître pour conserver l'Equilibre ". Et ce qui le frustrait le plus, c’était qu’il n’arrivait pas malgré tous ses efforts à comprendre ce que la Force avait voulu dire.


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Cette fiction est copyright Thomas Goffin.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.