Chapitre 16 : Dans Une Poignée De Poussière


Quelles racines s'agrippent , quelles branches croissent
Parmi ces rocailleux débris ? O fils de l'homme ,
Tu ne peux le dire ni le deviner , ne connaissant
Qu'un amas d'images brisées sur lesquelles frappe le soleil:
L'arbre mort n'offre aucun abri , la sauterelle aucun répit,
La roche sèche aucun bruit d'eau . Point d'ombre
Si ce n'est là, dessous ce rocher rouge
Viens t'abriter à l'ombre de ce rocher rouge)
Et je te montrerai quelque chose qui n'est
Ni ton ombre au matin marchant derrière toi ,
Ni ton ombre le soir surgie à ta rencontre ;
Je te montrerai ton effroi dans une poignée de poussière.

T.S. Eliot

L’attaque de Col n’était pas passée inaperçue, loin de là. Skull, couché au pied d’un rocher sous le soleil du Texas, se réveilla en sursaut. Quel pouvoir avait donc pu déclencher tant de furie destructrice ? Il jeta un coup d’œil à son énorme sac, saisi d’un soudaine appréhension. Mais le sac était toujours là, et il sentait à travers la rude étoffe de jute le froid de la chose qu’il renfermait.

Y aurait-il d’autres pouvoirs similaires ? Se demanda-t-il. Bien sûr, il savait qu’il y en avait au moins une. Quand il s’était introduit dans la salle souterraine, sans avoir attiré l’attention des occupants du palais, il y avait eu deux Armures. Toutes deux identiques, sauf en ce qui concernait leur couleur. Le pouvoir qu’il avait ressenti alors l’avait empêché d’emporter les deux. Quelque chose lui disait que l’Armure Noire serait un calvaire à transporter, mais que l’Armure Dorée le tuerait aussi sûrement que s’il s’était lui-même coupé la tête. Et, comme souvent dans sa longue carrière de tueur, sa prudence lui avait sauvé la vie.

Et, quoi qu’il lui en coûte plus tard, Skull était bien décidé à rester dans son désert. Sa curiosité était éveillée, mais tout en lui disait que ce serait une erreur d’essayer de se renseigner sur la source de la puissance qu’il avait ressentie. S’il y avait bien une ligne de conduite à laquelle il n’avait jamais dérogé, c’était de se mêler de ses affaires, et surtout de ne pas interférer dans celles des gens plus puissants que lui. Il se recoucha donc, et se rendormit, avec sur le visage une grimace qui ressemblait à un sourire satisfait. Mais malgré tout, qu’est-ce qu’il faisait chaud tout à coup, se dit-il juste avant que le sommeil ne le reprenne.



D’autres personnes avaient également perçu l’émanation d’énergie en provenance de Paris. Au Sanctuaire, l’état d’urgence avait été décrété, et tous les Chevaliers avaient été rappelés. Shun était rentré en trombe de l’Ile d’Andromède où il se chargeait de la formation des apprentis Chevaliers, et il avait été surpris de trouver son frère et Bud aux côtés de Hyoga.

- Que se passe-t-il ? Demanda-t-il immédiatement. Où est Athéna ? Et que faites-vous ici ?

Hyoga baissa les yeux, comme s’il avait été pris en faute.

- Athéna est partie à Paris avec Seiya et Shiryu.

- Et c’est de là que semble provenir ce Cosmos si puissant, ajouta Ikki.

- J’ai rappelé tous les Chevaliers d’Or, ils ont pris leurs places dans leurs maisons, reprit Hyoga, comme pour se justifier.

- Mais il faut qu’on parte immédiatement, répliqua Shun avec empressement. Athéna doit être en danger.

Les quatre hommes se regardèrent dans les yeux. Leur décision fut immédiate. Ils devaient partir, et essayer de prêter main forte à leurs compagnons qui se trouvaient dans une si mauvaise posture.

- Non, vous ne bougez pas d’ici ! Fit une voix ferme derrière eux.

Telliaan entra dans la pièce, vêtu de son Avatar. Il avait finalement réussi à plonger dans le sommeil quand l’énergie de Col l’avait réveillé. Et contrairement aux autres, il savait quelle menace planait sur eux.

- Ce n’est pas un combat pour vous, vous ne feriez pas le poids.

- Mais… Shun n’était pas prêt à se laisser faire aussi facilement, surtout par quelqu’un qu’il ne connaissait pas.

Telliaan le fusilla du regard, avant de continuer.

- Pas de mais. Restez ici, moi j’y vais.

Et devant son air déterminé, personne n’osa plus le contredire.



L’attaque des Cent Dragons n’avait eu aucun effet sur l’Avatar des Ténèbres. Il n’avait pas esquissé le moindre geste pour l’éviter, c’était comme si les coups de Shiryu se brisaient sur lui, telles des vagues sur une digue. Et maintenant, Shiryu était en position de faiblesse, directement à la portée d'une attaque de son adversaire.

- Si c’est tout ce dont tu es capable, lui dit Col avec un sourire méprisant, ce combat est déjà fini.

Dans un geste d’une rapidité inouïe, il lança son poing dans l’estomac de Shiryu, le projetant à toute vitesse vers les bâtiments du spatioport. Là où peu de temps auparavant se dressait un mur titanesque, il ne restait plus qu’un amas de décombres.

- Non ! Shiryu ! Cria Seiya, en s’élançant par pur réflexe, vêtu de son Armure Divine, sur leur ennemi.

Mais Siegfried l’arrêta immédiatement.

- Arrête, tu ne peux rien contre lui. Protège Athéna, et laisse-moi faire.

Pendant ce temps, Shiryu tentait désespérément de reprendre son souffle au milieu des ruines du bâtiment qui avait arrêté son vol.

Bon sang, se dit-il, juste un coup de poing. Il ne lui a fallu qu’un simple coup de poing pour me balayer comme une brin de paille. Qu’est-ce qu’on peut faire contre lui ?

- Col, je ne sais pas qui tu es ni pourquoi tu nous attaques, disait Siegfried. Mais ne t’attends pas à ce que nous nous laissions mourir sans rien faire.

Son énergie rayonnait autour de lui, faisant vibrer le sol et l’air à des centaines de mètres à la ronde.

- Je suis Siegfried, Elémental de la Terre.

Col ne paraissait pas le moins du monde impressionné par la débauche d’énergie de Siegfried. Il restait debout, immobile, comme si tout cela ne l’intéressait pas.

- Viens, je t’attends, lâcha-t-il laconiquement.

- Earthquake Wave ! Cria soudain Siegfried.

L’onde de choc, se propageant à la fois dans l’air et dans le sol, frappa Col de plein fouet. C’était comme si un mur le percutait à une vitesse supérieure à celle de la lumière. Aucune matière n’aurait pu résister à un tel déferlement de force. Les débris de tarmac volaient autour de lui, l’air lui même était devenu une arme contre laquelle il n’aurait pas dû pouvoir résister. Mais il ne bougea pas, poussant l’ironie jusqu’à replacer une mèche de ses cheveux qui lui était tombée devant les yeux.

L’onde de choc s’arrêta enfin. Siegfried, haletant, attendait que le nuage de poussière se dissipe. Il avait appris à maîtriser cette technique sur une planète lointaine, une jeune planète encore chaude, où la mince croûte de magma durcie était sempiternellement à la merci des mouvements qui parcouraient la lave.

Et soudain, une forme noire se matérialisa juste devant lui.

Col leva un bras, l’index tendu.

- Pan, tu es mort !

Un mince rayon d’énergie noir jaillit de son doigt, et frappa Siegfried, pétrifié par la terreur, en plein torse. Le rayon le transperça de part en part, comme si son Armure n’avait servi à rien. La douleur fusa, intense, alors que le sang envahissait sa trachée percée. Il tomba à genoux devant son adversaire.

- Une belle attaque, lui disait ce dernier, le visage pour une fois dépourvu de son habituel sourire narquois. Si je n’avais pas reçu mon Avatar, je n’aurais rien pu faire. Tu es un adversaire de valeur, je ne jouerai donc pas plus longtemps avec toi. Tu as mérité une mort rapide.

Col leva lentement le bras droit et posa la main sur le front de Siegfried. Une main qui subitement se mit à rayonner d'énergie noire. A nouveau, la lumière sembla comme repoussée par cette main.

Pendant ce temps, Shiryu était toujours à quatre pattes, au milieu des débris de sa rencontre brutale avec le mur de l'aéroport. En dépit de la poussière qui lui brûlait la gorge et lui piquait les yeux, il ne pouvait détourner son regard de cette main dont il devinait, malgré la distance, la froideur atroce. Toute son âme lui hurlait de se relever, de faire quelque chose pour empêcher ce qui allait arriver. Mais son corps était trop occupé à essayer de se remettre du terrible coup qu'il avait reçu. L'air chargé de poussière lui mettait les muqueuses à vif, et la douleur qui fusait encore dans son système nerveux ne laissait pas de place aux ordres furieux que son cerveau lançait désespérément à ses muscles.

Le froid glacial qui se dégageait de la main de Col avait déjà commencé à engourdir son cerveau. Siegfried glissait doucement dans les ténèbres de l'inconscience, impuissant face à la noirceur de l'énergie qui le paralysait. La souffrance qui lui vrillait la poitrine, là où le rayon de Col l'avait transpercé, lui semblait déjà tellement loin…

- Tu vas mourir sans souffrance, guerrier, dit doucement l'Avatar des Ténèbres, avec comme une pointe de regret dans la voix. Bonne nuit, ajouta-t-il.

A quelques dizaines de mètres de là, Seiya et Athéna se regardaient, hébétés.

- Saori, on ne peut pas le laisser faire…

Athéna posa la main sur le bras de Seiya et baissa les yeux.

- Nous allons tous mourir, Seiya. Contre lui, nous ne pouvons rien. Même Gallaan ne pourrait rien.

Seiya dégagea son bras d'une secousse.

- Même si je dois mourir, dit-il, l'air résolu, je ne mourrai pas sans me battre.

Alors que Seiya s'élançait, Col leva vivement les yeux, comme si sa concentration s'était soudainement dissipée, et la chape de noirceur qui recouvrait jusqu'au visage blême de Siegfried se dissipa. Son corps inanimé s'affala sur le tarmac. Seul un léger râle s'échappant de sa gorge révélait qu'il était encore en vie.

- Par les Météores de Pégase, hurla Seiya, se déplaçant trop vite pour entendre le son de sa propre voix.

Les coups portés à la vitesse de la lumière frappèrent l'Avatar des Ténèbres, qui n'avait pas fait le moindre geste pour les éviter. Il fut projeté en arrière, mais se releva aussitôt.

- Je l'ai touché, s'exclama Seiya.

- Ne te réjouis pas trop vite, lâcha Col, son éternel sourire cynique de retour sur ses lèvres. Mon véritable adversaire est arrivé, et je m'occuperai de te faire payer ça après lui avoir réglé son compte.

- Qu'est-ce que tu racontes ? Il n'y a personne d'autre que nous ici, et jusqu'à preuve du contraire ton adversaire c'est moi, répliqua rageusement Seiya.

Col éclata de rire, un rire monumental, franc et clair qui dénotait toujours autant avec sa personnalité.

- Alors tu ne le sens même pas, petit Chevalier.

Seiya serra les poings de rage. Sa figure blémit sous la colère que la moquerie de Col avait soulevée en lui.

- Arrête un peu de te payer ma tête, et viens ici, qu'on voie si tu es vraiment aussi fort que tu voudrais le faire croire.

Soudain, un cosmos d'une intensité phénoménale fit son apparition, entourant Siegfried qui gisait toujours inanimé, à égale distance du Chevalier Divin de Pégase et de l'Avatar des Ténèbres. Athéna tressaillit, en proie à un trouble évident. Seiya fixa le visage de sa bien-aimée avec inquiétude. Qu'avait-elle donc pu ressentir?

L'énorme halo d'énergie cosmique qui dissimulait entièrement Siegfried se dissipa peu à peu, dévoilant une silhouette agenouillée à côté de l'Elémental de la Terre. L'homme se redressa lentement, non sans avoir posé une main sur le front du guerrier.

- C'est bon, Seiya, fit l'homme. Arrête un peu de fanfaronner et emmène Siegfried loin d'ici. Les choses sérieuses vont commencer, et je n'ai pas besoin de vous dans mes pattes.

Puis, se tournant vers Col :

- Alors tu t'en prends aux larbins, Avatar des Ténèbres?

- Comment me connais-tu? Répliqua sèchement Col.

- Mon Avatar a reconnu le tien, est-ce donc si étonnant?

Col fit une grimace ennuyée, ce qui n'échappa pas au nouvel arrivant.

- Alors tu ne peux pas... commença-t-il.

- Aucune importance, l'interrompit le guerrier de l'ombre. Je t'attendais, et crois bien que je ne te laisserai pas échapper, Gallaan.

L'arrivant, vêtu d'une armure d'un bleu très sombre et aux formes parfaitement symétriques, éclata de rire. A la perspective d'un combat, il se sentait revivre, et son cynisme naturel reprenait le dessus.

- Ne confonds pas les torchons et les serviettes, lâcha-t-il à haute voix. C'est mon frère que tu cherches, il n'est pas disponible. Mais puisque je suis venu, autant que tu prennes ta correction, n'est-ce pas?

La figure de Col, d'ordinaire d'une pâleur maladive, perdit encore un peu de sa couleur. Les lèvres serrées, il toisait son adversaire en silence. Telliaan quant à lui supportait cet examen en silence, profitant de ce moment d'inaction pour jauger son adversaire. Il avait pu se rendre compte des dommages qu'avait subis Siegfried, et il se doutait que malgré son assurance, l'affrontement serait équilibré. Et aussi, se dit-il soudain, nous risquons de dévaster cet endroit ; il y a trop de monde...

Pendant ce temps, Seiya, qui avait eu bien du mal à ravaler les protestations que les ordres de Telliaan avaient soulevées en lui, s'était éloigné avec Athéna, Siegfried sur le dos. Il fut bientôt rejoint par Shiryu.

- Qu'est-ce que c'est que ce fils de..., ne put-il s'empêcher de demander à son ami.

Son langage châtié fit sourire Shiryu, malgré l'inquiétude qu'il ressentait.

- Il te ressemble beaucoup, en tout cas, répondit-il, le sourire toujours aux lèvres. C'est Telliaan, le frère jumeau de Gallaan.

- Quel enfoiré, en tout cas, grommela Seiya entre ses dents. Athéna sourit elle aussi.

- Quoi qu'il en soit, il t'a tiré d'une bien mauvaise posture, fit-elle en posant une main sur l'épaule de son compagnon. Puis, à l'adresse de Shiryu, qui regardait de loin les deux guerriers :

- De quoi est-il capable?

Shiryu haussa les épaules, et répondit alors qu'il s'agenouillait et examinait Siegfried que Seiya avait déposé au sol :

- Je n'en sais rien, mais Gallaan et lui se sont battus pendant des milliards d'années sans pouvoir se départager. Il est très fort, c'est tout ce que je peux dire.



- Maître, je dois y aller...

Laad était agenouillé dans la salle de réception du palais. Shandri était debout quelques mètres devant lui, et lui tournait le dos.

- Pourquoi? Demanda-t-il

Laad releva la tête, et l'inquiétude qui le rongeait se lisait sur son visage bleu.

- Ils ne sont pas prêts, si la guerre commence maintenant, ils perdront. L'autre camp n'attend plus qu'un guerrier...

Shandri se retourna, un éclair de colère dans les yeux.

- Tu sais que je ne peux pas prendre position, dit-il d'une voix dure. Tu es à mon service, et je risquerais d'être accusé de partialité en t'envoyant. Tu sais comment ils sont...

- Il faudra de toute façon que je prenne part aux combats, répliqua sèchement Laad. Il se releva brusquement.

- Puisque c'est ainsi, continua Shandri s'une voix plus douce, je te libère de tes obligations. Tu es un Avatar, c'est à toi de prendre tes propres décisions. Préviens Nemesis.

En prononçant ces paroles, Shandri ne put s'empêcher de frémir à la pensée de ce qui arriverait s'il était amené à rendre des comptes. Ils n'étaient vraiment pas commodes...

Laad hocha la tête en guise de réponse, et sortit d'un pas décidé. Il ne s'arrêta de marcher qu'en arrivant devant la pièce où gisait Gallaan. Doucement, il écarta les rideaux. Nemesis était réveillée, les yeux fixés sur le visage crispé de celui qui avait osé se mesurer à l'Avatar de la Vie. Elle posa son regard triste sur son ami, dans une interrogation muette.

- J'y vais, fit Laad laconiquement. Nous sommes libres.

Elle acquiesça tristement.

- Nous nous reverrons bientôt, j'en suis sûre, dit-elle en guise d'au revoir.

Laad sortit de la pièce, un masque de détermination farouche durcissant les traits de son visage parfait.

Quand les rideaux qui fermaient la pièce furent complètement immobiles, Nemesis ajouta, comme pour elle-même :

- Prends garde à toi, mon ami...

Et elle reprit sa garde attentive.



La situation n'avait pas tardé à évoluer. Fou de rage, Col s'était rué sur son adversaire à une vitesse inimaginable. Seiya et Shiryu, qui pourtant avaient été habitués aux combats menés à la vitesse de la lumière, n'avaient rien perçu du bref affrontement.

Ils restaient debout, les yeux rivés sur la scène, remplis d'un émerveillement qui les laissait sans réaction. Athéna pourtant ne parvenait pas à partager le sentiment de ses amis. Ce qui l'envahissait, elle, c'était une terreur sans bornes. Elle connaissait le pouvoir de ceux qu'elle considérait comme ses pairs, Zeus et les autres, et parfois elle avait été fascinée par la débauche d'énergie dont certains étaient capables. Mais jamais elle n'avait assisté à un combat mettant aux prises deux êtres qui n'avaient plus rien d'humain. Et tout doucement, elle se demandait si tout cela était réel.

Les deux guerriers qui s'affrontaient devant elle défiaient les lois de la physique et de la gravité, réduisant à néant tout ce qu'elle avait, à l'image de tout une galaxie, admis comme immuable.

Tout ce dont elle se rendait compte, c'était qu'elle ne voyait rien, et cela suffisait à la plonger dans un bain de terreur glaciale. La sueur coulait, en gouttes d'azote, dans son dos, et sans qu'elle s'en aperçoive, ses ongles soigneusement entretenus percèrent soudain la peau délicate de ses paumes. Le sang commença à couler, en minces ruisseaux, puis en lourdes gouttes qui s'écrasèrent au sol, sans que personne n'y fît attention.



Telliaan esquiva un coup de pied en se laissant tomber au sol, et d'un balayage, envoya valser Col à plusieurs mètres. Il se sentait prodigieusement bien, son corps dopé par la formidable énergie que lui délivrait l'Armure fonctionnait comme une machine de combat, réagissant au moindre de ses ordres mentaux. L'Armure n'entravait en rien ses mouvements, au contraire il aurait juré qu'elle se tendait avec lui dans l'effort, améliorant l'efficacité de ses coups et la rigidité de ses parades.

Pourtant, malgré tout, aucun des deux adversaires n'arrivait à prendre le dessus, et cela commençait tout doucement à les exaspérer. A la sortie d'un échange, ils se figèrent l'un en face de l'autre, les yeux dans les yeux.

- Tu ne te débrouilles pas mal, lui lança Col, qui n'avait plus du tout envie de sourire.

- Tu n'as encore rien vu.

Telliaan ne l'aurait jamais avoué, même pas sous la torture, mais il n'avait jamais rencontré un combattant aussi fort. Certes, il avait souvent été en mauvaise posture contre son frère, lors de leurs batailles passées, mais depuis lors les donnes avaient changés, il était devenu incomparablement plus fort grâce au pouvoir que l'Avatar lui avait donné.

Une question lui vint à l'esprit. Depuis combien de temps Col avait-il reçu son Avatar? Cela risquerait-il de jouer en sa faveur? Il n'avait lui-même pas eu plus de quelques heures pour s'y habituer, et il n'avait pas pu tester toutes les possibilités de son pouvoir. Sans qu'il sût pourquoi, Telliaan sentait que son inexpérience risquait de lui jouer un mauvais tour, et cela entama sérieusement son assurance.

- Tu ferais mieux de partir tant que tu le peux encore, lâcha-t-il soudain.

Col se redressa, et éclata de rire.

- Tu n'es plus aussi sûr de toi, on dirait. Je vais être bon prince, je te renvoie l'invitation. Laisse-moi faire ce que j'ai à faire, et nous reporterons ces petits jeux à une autre fois.

- Il n'en est pas question, dit sèchement Telliaan. Mon frère est absent, c'est donc à moi de protéger nos alliés.

Col haussa les épaules. La situation, qu'il avait craint de voir devenir périlleuse, tournait de nouveau à son avantage. Celui qu'il avait en face de lui était très puissant, mais il semblait peu au fait de ses pouvoirs, et en fin de compte il commettrait une erreur qui lui serait fatale, Col en était sûr. Le petit groupe de rescapés qui les observaient à quelques dizaines de mètres ne lui poserait aucun problème après cela.

- Puisque tu tiens à mourir aujourd'hui, je vais exaucer ton voeu, fit-il en se remettant en garde. Voyons si tu es prêt à affronter la mort.

Telliaan sourit à l'ironie involontaire de ces propos. L'autre ne le savait pas, mais il n'avait pas peur de la mort. Il était déjà mort une fois, et cette vie qui se ruait à présent dans son corps, il la devait à son frère, celui qu'il devait remplacer pour l'heure. C'était une des choses qu'il n'avait jamais comprises, cette façon dont le pouvoir s'était partagé entre les jumeaux. Gallaan avait toujours été beaucoup plus doué pour la magie, et pour tout ce qui tournait autour du parapsychologique. C'étaient ces facultés qui lui avaient permis de rétablir, par delà la frontière de la mort, le lien qui les unissait et de le ramener à la vie.

Dans le même instant, les deux hommes s'élancèrent et frappèrent de toutes leurs forces.



Le nuage de poussière soulevé par le dernier assaut commençait lentement à se dissiper. Shiryu, après un bref coup d'oeil lancé vers Seiya, se rendait compte de la fascination morbide qu'exerçait sur eux le formidable étalage de puissance auquel ils assistaient. Il se demandait avec anxiété lequel des deux guerriers sortirait vainqueur du combat. Plus rien ne semblait bouger, mais l'air crépitait d'électricité, et il devinait que les combattants mesuraient leurs forces respectives.

Soudain, une rafale de vent d'une violence surnaturelle balaya les dernières volutes de poussière qui masquaient encore la scène.

Sous les yeux éberlués de Shiryu, un homme se tenait debout là où il y en avait encore deux un instant avant. Il était vêtu d'une Armure d'une blancheur aveuglante, et ses longues nattes volaient dans l'air comme des serpents. Telliaan et Col se relevaient difficilement, comme s'ils avaient été projetés.

L'homme à l'Armure blanche se mit soudain à parler.

- Cela suffit. Je ne peux vous laisser vous entretuer.

Col, écumant de rage, essuya du revers de la main le filet de sang qui coulait de sa lèvre fendue.

- Qui es-tu pour oser t'interposer entre nous? Cria-t-il à l'adresse du trouble-fête.

- Je suis Laad, Avatar de la Lumière. Ton pire ennemi.

La colère qui animait l'Avatar des Ténèbres s'évanouit pour laisser la place à la peur. Contre un Avatar, le combat était équilibré, mais il savait ne pouvoir faire face à deux adversaires à la fois.

Telliaan profitait du répit qui lui était accordé pour se reposer. Son corps hurlait de douleur, tous ses muscles étaient tendus à l'extrême, et il sentait qu'il n'aurait plus tenu très longtemps. La puissance de l'Armure était une arme formidable, mais elle mettait son porteur à rude épreuve, il s'en rendait compte.

- Très bien, puisque c'est ainsi, il vaut mieux que je m'éclipse, lança Col, comme à regret. Mais vous me reverrez, vous pouvez en être sûrs.

Laad acquiesça silencieusement.

- Je suis à ta disposition, Avatar des Ténèbres.

Il n'avait pas fini sa phrase que l'autre avait déjà disparu, laissant derrière lui un astroport ravagé.

Telliaan posa un genou en terre. Il était épuisé, et luttait contre l'envie de s'étendre à même le sol. Il savait qu'il ne lui faudrait qu'un instant pour sombrer dans le sommeil.

Le petit groupe de spectateurs s'approcha lentement, encore surpris du dénouement du combat.

- Bon sang! S'exclama Shiryu. Je te reconnais, tu es celui qui as emmené Gallaan!

Laad hocha la tête et passa devant eux sans s'arrêter. Il s'arrêta à hauteur de Siegfried et s'agenouilla. Il posa sur le torse du blessé une main qui luisait doucement. Quelques secondes plus tard, il se relevait.

- Il vivra, dit-il laconiquement.

A ce moment, une ombre gigantesque les survola, puis, ralentissant, se posa doucement, telle un monstrueux oiseau disgracieux, sur le tarmac à une centaine de mètres de là. Une porte s'ouvrit, et une rampe descendit doucement vers le sol.

Un instant plus tard, Saga et Aiolos posaient le pied sur terre pour la première fois depuis des milliers d'années.

- On dirait qu'on a manqué quelque chose, fit l'ancien Chevalier du Sagittaire.


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Cette fiction est copyright Thomas Goffin.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.