Chapitre 2 : Serment dans le Sang


Mémoires de Masque de Mort, chevalier d'Or du signe du Cancer.


Le chaud soleil de l'Italie me dorait la peau depuis ma naissance, et ce qui expliquait en partie mon teint assez mate. J'aimais sentir les rayons de l'astre du jour sur moi, car il formait comme une sorte de couverture.
Les étés, dans mon pays, font partis, avec ceux de la Grèce sans nul doute, des plus beaux du monde. On entend les gens rire à longueur de journée et la nuit semble ne jamais avoir lieu tant toutes les personnes restent éveillés tard. Ma nation est très vivante, toujours active, et malheureusement extrêmement pauvre, ce qui ne nous empêche guère de savoir nous amuser ou être heureux, bien au contraire. Nous sommes incontestablement l'un des peuples les plus joyeux existants.
C'était du moins l'idée que je me faisais de la vie en Italie alors que je n'étais encore qu'un petit garçon. J'avais les yeux emplis d'images gaies et chantantes, tout éblouie que j'étais par les réunions de famille qui se passaient souvent chez nous. J'entends encore la musique résonnée à mes oreilles, les voix, souvent bien trop puissantes, de mes proches qui riaient, se disputaient, mais ne connaissaient jamais le silence, et qui formaient un brouhaha rassurant pour l'enfant que j'étais.
J'avais peur du silence, car il signifiait les autres jours. Ceux que je n'aimais pas et il fallait avouer qu'ils étaient plus nombreux que ceux ou chacun était réuni.
Ma mère et mon père tenaient une mercerie, et s'ils ne faisaient pas partis de la classe sociale la plus riche, bien loin de là, ils ne connaissaient pas non plus les problèmes d'argent. Nous avions aisément de quoi vivre et c'est pourquoi nous n'avions pas matière à nous plaindre dans ce domaine.
Je disais souvent à mon frère cadet que nous avions de la chance, surtout lorsque je voyais les autres enfants du village qui passaient devant notre fenêtre, vêtus de façon débraillée, parfois pieds nus, et souvent un rictus de jalousie peint sur les lèvres. J'étais fier de ce qu'étaient mes parents, car je savais qu'ils s'étaient sortis d'eux-mêmes de la pauvreté, mais en même temps, je n'étalais pas ce que nous possèdions, car j'avais bien trop peur de ce que les autres auraient pu me faire subir sous le coup de jalousie. Et je ne savais pas encore ce que je disais.
J'étais l'ainé de trois années par rapport à Marco, le plus jeune de la famille, et cela me donnait le droit ou plutôt le devoir, de le rassurer et de le protéger quand il avait peur. J'avais toujours pris très au sérieux mon rôle de grand frère et ce depuis le jour de sa naissance. Mais quoi de plus normal, puisque durant les premières heures après qu'il est vu le jour, on me demanda immédiatement de participé à son éducation pour ne pas me laisser en retrait. Ce qui prouve bien que mes parents n'étaient pas si mauvais que je l'ai longtemps cru après que tout fut arrivé.
Marco était pour moi un véritable ami, un confident et nous étions devenus, au fil des mois et des années, un duo inséparable. Nous passions notre temps à vivre ensemble, nous étions deux amoureux de la vie, et nous devions reconnaître que celle-ci nous le rendait bien. En fait, la joie d'être et de respirer chaque jour de l'air frais nous rendait de bonne humeur et c'est sans doute ce qui faisait que nos parents nous trouvaient si facile à vivre. Nous étions deux enfants assez turbulents en extérieur, car nous aimions à pousser de joyeux cris, et toujours prêts à rendre service quand on avait besoin de nous.
Jamais je n'ai eu peur d'aider dans la boutique de mes parents, et j'aimais même particulièrement tenir la caisse l'été, alors que Marco était derrière moi et qu'il s'amusait avec de vieux bouts de ficelles.
Nous faisions un jeu de tout, une fête de chaque chose et c'est sans doute l'esprit de notre famille qui nous avait enseigné à être ainsi.
Cependant, si nos parents nous jugeaient agréables à vivre, ils leur arrivaient bien souvent de nous exploiter un peu trop sous prétexte qu'ils étaient fatigués, voire même épuisés. J'avais envie de leur dire que tenir une mercerie n'était pourtant pas épuisant, puisque je le faisais moi-même, à l'âge de cinq ans certains jours par semaine. Mais j'aurais incontestablement reçu une paire de giffles de la part des deux, qui n'avaient pas la main tendre ou légère lorsqu'il était question de punir.
Ils n'étaient pourtant pas méchants, d'après ce que j'avais pu en juger. Evidemment, ils s'emportaient, leur tempérament chaud expliquant en partie ces vives réactions, assez souvent, mais ils ne nous maltraitaient pas, et nous aimaient assez, du moins, c'est ce que je crois.
S'il y a un souvenir que je n'aime pas à me rappeler, ce sont les lendemains de fêtes. Ils étaient l'un et l'autre, toujours de mauvaise humeur car il fallait tout ranger, et ils nous ordonnaient de les aider, mais le plus silencieusement possible, ce qui était impossible pour Marco et moi...cela se terminait donc souvent en larmes et cris et je finissais par appréhender ces fameuses jours. Cela ne m'empêchait pourtant jamais d'apprécier les soirées qui se tenaient avant, mais si je savais qu'il y avait un après.
Si les corrections que mes parents m'administraient ne me dérangeait pas, bien qu'elles mes blessaient aussi bien physiquement que dans mon amour-propre, je ne supportais pas que le touchât à mon cadet. Je me souviens d'une journée ou il avait tenté de ramené le service à thé dans la cuisine et ou il avait tout fais dégringoler de la table dans un bruit de fracas épouvantable qui l'avait beaucoup effrayé. Je m'étais précipité le premier, ma rapidité incoyable obligeant, sur les lieux de l'accident avant mes parents et avait constaté les dégâts, non sans peur dans les yeux. Marco avait alors immédiatement compris que cela allait mal se passer pour lui et il avait éclaté en sanglots avant même que nos géniteurs ne parviennent jusque dans la pièce ou nous nous trouvions. Ils avaient tous deux compris sur le champs qui avaient commis le délit, mais j'avais réfusé de les laisser frapper mon petit frère. Ils ne lui auraient pourtant pas fais plus de mal qu'à moi-même, mais j'avais nettement l'impression que cela aurait été plus grave que s'il s'était s'agit de moi. Recevoir des coups raffermissait mon caractère, mais j'avais conscience que cela ne serait d'aucune aide à mon petit frère qui avait une âme beaucoup plus sensible que la normale. J'avais donc choisi de me mettre devant lui et de recevoir sa correction à sa place.
Cela n'avait pas vraiment déranger mes parents, car, tant qu'il y avait un coupable à punir, c'était que tout était dans l'ordre des choses.
C'était la première fois que j'intervenais en faveur de mon petite frère, et certainement pas la dernière, car, soit je choisissais de le pousser en arrière et de recevoir son châtiment comme s'il avait été mien, soit je m'accusais directement du crime qu'il avait commis, ce qui était encore plus simple et posait finalement encore moins d'ennuis.
Marco éprouvait une certaine gratitude vis à vis de moins, et beaucoup d'admiration, mais je rejetais ces deux sentiments en bloc, car ils n'étaient pas question de ces émotions entre nous. Nous étions l'un et l'autre sur un pied d'égalité, mais simplement différents dans nos capacités et nos talents.
C'est ce que je lui répétais à longueur de temps alors qu'il se mettait à douter de lui, particulièrement lorsqu'il nous fallait reprendre l'école.
Nous vivions en Toscane, dans un petit village assez éloigné des grandes villes sensées être les plus proches, et c'est pourquoi nous devions parcourir tant de kilomètres pour pouvoir atteindre l'établissement dans lequel on nous éduquait.
Nos parents nous avaient le plus tôt possibles envoyés à l'école, car cela les débarassaient de notre poids durant la journée, et leur permettaient, disaient-ils, de se concentrer ainsi uniquement sur leur travail. Ils étaient d'ailleurs très accès sur leur profession et toutes leurs discutions au dîner, ou nous aurions pourtant souhaité, Marco et moi, leur raconter nos inintéressantes journées, ne tournaient qu'autour de prix de marchandises, d'achalandages prochains et de marges bénéficiaires.
Je m'ennuyais donc particulièrement alors que j'avais le visage obstinement penché sur ma soupe et je réalisais parfaitement que mon cadet était ma plus grande source de joie.
Nous avions donc appris très jeunes à nous suffire l'un et l'autre, même si cela ne nous empêchait pas d'aimer nos parents. Ces derniers nous avaient simplement fait comprendre qu'il y avait le monde des adultes, et celui des enfants dont nous faisions assurément partis. C'était une règle de base à laquelle on ne dérogeait que les fameux jours de fêtes que j'attendais avec tant d'impatience.
Avec Marco, nous vivions uniquement dans le présent, sans jamais nous soucier de l'avenir ou de savoir ce qui se passerait le lendemain. Cependant, j'arrivais mieux à appliquer que lui ce mode de vie, car il était toujours anxieux et en proie à un certain nombre de tourments. Je passais donc mon temps à le rassurer et à lui promettre que tout irait bien.
Mon frère n'était pas un enfant comme les autres, je m'en était tout de suite apperçu. Sa sensibilité et sa fragilité mentale l'empêchaient de regarder l'existence sous son jour le plus agréable, et il avait sans cesse besoin de moins pour lui donner un peu d'optimisme, ce dont je ne manquais nullement.
Il détestait l'école, et j'allais découvrir dans l'avenir, que j'aurais cent fois mieux fait d'écouter ses intuitions. Peut-être avait-il un don pour les prémonitions, je n'ai jamais su, mais il possèdait en tous les cas ce que l'on peut nommé l'instinct du danger. Il était comme ses animaux qui savent lorsque les chasseurs arrivent, ou lorsqu'ils sont traqués avant même que cela ne se produisent. Son sixième sens était encore plus développé que le mien et c'est ce qui m'a longtemps fait croire, et même encore maintenant, qu'il aurait pu devenir chevalier. Bien-sûr, il n'était pas assez endurci aux difficultés de la vie, et c'est ce qui l'en aurait empêché, mais je me suis rendu compte qu'il était en fait bien plus solide, mentalement du moins, que je n'avais bien voulu le croire, mais que, tout simplement, il ne pratiquait pas la force comme je l'entendais. Je ne voyais la puissance que sous son côté le plus physique, alors que Marco la possèdait du point de vue morale.
Nous n'étions ni l'un ni l'autre, des forces de la nature et notre stature était assez peu impressionante, mais nous n'étions après tout âgés, lorsque tout a basculé, que de six et trois ans.
Notre jour de congé, je m'en rappelle encore parfaitement et serais à jamais incapable de l'oublier, était le jeudi, et nos parents en profitaient pour nous faire retourner malgré tout en ville, afin que nous les approvisionions en rubans de velours et autres babioles que l'on vendait en grandes quantités dans leur mercerie.
Au début, cela ne nous dérangeait absolument pas de leur rendre service, et pourquoi en aurait-il été autrement puisque l'on nous avait appris dès notre plus jeune âge à rendre service et à aider les adultes quand ils nous le demandaient. Nous n'étions pas plus dociles que d'autres, simplement, nous comprenions déjà comment marchait la vie et nous nous y adaptions. Nous aurions évidemment préféré rester chez nous tranquillement à profiter de ce jour de loisir mais nous nous consolions en nous disant qu'ainsi, nous pourrions peut-être faire une année de moins de catéchisme, ce qui était totalement faux.
Je ne puis m'empêcher de sourire en repensant à la répulsion que provoquait en nous les cours d'éducation religieuse que l'on nous forçait à suivre chaque samedi après-midi. J'avais déjà, simple dégoût ou préconsience de l'avenir, une sainte horreur des enfers ou l'on nous promettait de nous envoyer si l'on était pas obéissant, alors que mon frère était complètement terrorisé. Durant ses cours, d'ou j'étais bien souvent renvoyé pour mauvaise conduite, parce que je me mettais à éclater de rire à certains moments, je voyais les yeux de mon cadet s'agrandir sous l'effet de la peur, et je finissais par me demander si le curé du village ne prenait pas un malin plaisir à épouvanter les enfants qui suivaient ses enseignements. Dans un instant de courage sans précédent, je m'enhardis à le lui dire, car il avait finis par faire pleurer Marco avec toutes ses histoires de diable et de punitions éternelles. L'homme d'église m'avait administré une paire de giffle, que de charité, avais-je même eu envie de lui répondre, ce qui n'était qu'une plaisanterie par rapport à ce que mes parents me firent plus tard subir. Mais lorsqu'il était question de protéger mon frère, je ne reculais devant rien, et certainement pas devant les adultes, qui qu'ils fussent.
Le fameux jeudi, nous le rejetions donc pas complètement de notre semaine, puisque nous avions malgré tout la matinée de libre. Nous la passions bien souvent à courir dehors et a inventé quelques jeux stupides mais qui nous faisaient rire aux éclats.
Le plus difficile, dans ses courses, était le trajet, particulièrement lorsque nous devions l'effectuer en pleine été, alors que le soleil tapait avec force au-dessus de nous, nous assomant presque et nous forçant à plisser les yeux pour regarder devant nous. Nous étions l'un et l'autre dégoulinant de sueurs et nous avions l'impression d'évoluer dans les superbes paysages qui nous entouraient, au ralenti.
Alors que nous marchions dans la campagne italienne sauvage, j'essayais de transmettre à Marco mais amour pour cette nation. Je ne savais pas comment il était né puisque personne ne me l'avait inculqué, mais me retrouver en pleine nature, sentir le contact de la terre dans mes mains, m'avait toujours fait un effet un effet incroyable et me donnait encore plus que de coutume l'impression d'être vivant. C'était assez inexplicable, mais j'aimais cette terre, et j'avais fini par convertir Marco à cette étonnante passion pour des enfants de nos âges.
J'aimais entendre le bruits des grillons alors que nous parcourions les chemins terreux qui nous emmeneraient vers la ville, cela faisait comme une berceuse, surtout lorsque nous rentrions vers cinq heures de l'après-midi de nos courses et que nous savions trouver du thé glacé à la maison. Mon frère me donnait alors la main et nous partagions un silence complice que je n'ai jamais retrouvé avec personne d'autre. Avec les gens, on se sent toujours obliger de parler, de trouver quelque chose à dire, à faire, pour se donner une contenance ou quelque chose comme cela, mais avec Marco s'était tout différent. Peut-être parce que j'avais l'impression qu'il était un prolongement de moi-même et que je n'avais pas besoin de faire d'efforts pour me montrer tel que j'étais réellement avec lui.
Pourquoi le destin s'est-il senti de nous séparer? Je ne sais pas. Peut-être pour me permettre de ne plus avoir aucune entrave pour atteindre le septième sens...ce n'est, après tout, pas impossible. Les larmes ne me remontent plus aux yeux lorsque j'y repense, tout simplement parce que j'ai versé tous mes pleurs ce jour-là et que je ne possède maintenant plus de compassion.
Lorsque l'on m'a ôté Marco, on m'a tout pris, jusqu'à mon âme. C'est du moins ce dont je suis persuadé.
Je suis sorti par une brûlante après-midi d'août, pour faire les fameuses courses dont ne parents se déchargeaient sur nous. Ce n'était pas vraiment de gaieté de coeur, mais comme toujours, j'avais réussi à conserver ma légendaire bonne humeur.
Je me souviens que le matin ou tout cela s'est produit, s'était accroché à ma main en me suppliant:
-Oh non, Alix, s'il te plaît! Pas aujourd'hui, dis leur que nous sommes malade, que nous n'allons pas bien et que nous ne pourrons pas nous rendre en ville. Je t'en prie crois-moi, il ne faut pas que nous nous y rendions.
-Et pour quelles raisons? avais-je répliqué un sourire aux lèvres car je n'étais pas de ceux qui croyaient au présentiment.
-Parce que, Alix. Je sens quelque chose de mauvais et de stagnant se trouve au-dessus de nous.
Il m'avait dis cela sur un ton si sérieux et si grave, ses yeux ressemblaient tant à ceux d'un adulte, que ma raison avait vascillé quelques secondes sous la sienne.
-Ne dis donc pas de bêtise. Tu sais très bien que nous n'avons pas le choix, avais-je répliqué sèchement car il finissait par me transmettre sa peur.
J'avais malgré tout été si troublé toute la matinée par ce qu'il m'avait déclaré que j'avais annoncé à mes parents que je me rendrais seul en ville car mon cadet se sentait souffrant. Je me rapelle qu'ils n'ont alors émis aucune protestation et qu'ils se sont contentés de hausser les épaules avec nonchalence car l'important pour eux était d'obtenir leurs bobines de fils et rubans de soie.
Je suis parti un peu plus tard, sans rien dire à Marco pour ne pas l'affoler et en le laissant entamer sa sieste tout en lui promettant que je serais au jardin s'il me cherchait. Je dois volontiers avouer que je n'étais pas rassuré sur le chemin de l'aller et que je lançais des regards inquiets tout autour de moi. Je furetais le moindre bruit, guettais la moindre ombre, et ne cessais à aucun moment d'être sur mes gardes.
Je savais de quoi avait voulu me parler mon frère. Depuis quelques temps, des adolescents d'une quizaine d'années et extrêmement pauvres trainaient dans les parages et vivaient de façon à moitié, pour ne pas dire totalement, sauvage. Ma mère Fransesca disait sans cesse qu'il fallait s'en méfier et qu'il ne valait mieux pas les croiser lorsque l'on était seul, ce qui ne l'avait pourtant pas empêcher de m'envoyer faire ses habituelles courses.
Je les avais entre apperçu à plusieurs reprises et ils m'avaient glacé le sang dans les veines. Ils étaient tous plus malingres les uns que les autres, mais agiles comme des singes et violents comme des barabarres, du moins, d'après les bruits qui couraient sur eux. Ils volaient tout ce qui pouvaient être pris facilement et on les avait récemment accusé d'avoir pris une voiture.
Je retenais donc ma respiration alors que j'allais acheter sur le marché tout ce dont ma mère aurait besoin.
Je pense, et pense toujours, qu'ils m'ont repéré alors que je m'avançais vers l'entrée de la ville et qu'ils ont décidé de me détrousser lorsque je rentrerais chez moi. J'étais plutôt connu en ville et chacun savait de qui j'étais le fils. Ils devaient donc penser que j'avais de l'argent en poche, ce qui était totalement faux. Et puis, ils avaient sûrement envie de faire ce qu'ils appalaient "s'amuser".
C'est avec deux sacs dans les bras que je me suis rapidement engagé sur les routes de terres qui me conduiraient de nouveau chez moi, sain et sauf si dieu le voulait bien. Le bruit de mes pas dans les graviers accentuaient encore plus le silence qu'il ne le brisait et je ne pouvais me retenir de réciter à voix basse les prières que l'on m'avait apprises au catéchisme et qui, je l'esperais de tout mon coeur, fonctionneraient et me protégeraient. Dans un moment d'anxiété comme celui que je vivais, je ne pus m'empêcher de faire une promesse hâtive à ce dieu en lequel je ne croyais nullement.
-Je Vous en prie, si j'arrive à la maison sans qu'il ne me soit rien arrivé, je Vous promets d'aller au catéchisme tous les samedis sans exception et de devenir le meilleur élève du Père César. Je Vous le jure, seulement, veillez sur moi, s'il Vous plaît...
Je ne cessais de prononcer ces phrases tout en m'avançant de plus en plus profondément dans cette campagne que je chérissais. Je n'entendais qu'à peine le bruit des grillons qui chantaient et de l'herbe qui pliait sous l'effet d'une légère brise qui n'avait rien de rafraichissant. Je me maudissais de ne pas avoir écouter Marco mais remerciais le ciel d'avoir eu la bonne idée de ne pas l'emmener avec moi. Il devait être à ce moment bien tranquillement à la maison et m'attendre avec impatience, et peut-être anxiété, mais le principal était que je le sache en sûreté. Ou plutôt, que je le pense en sûreté.
C'est alors que je songeais à cela, que tout basculait.
Ils surgirent de nulle part, me sembla-t-il, bondissant des bosquets ou des fossés ou ils étaient sans doute tapis depuis quelques temps. Je voyais leurs long corps musclés et minces, leur sourire à moitié dément et l'éclat brillant de convoitise et de dégoût dans leur regard.
Je sentis que le monde s'écroulait autour de moi, alors qu'ils m'avaient encerclé sans même que j'ai eu le temps de tenter quoi que se soit. J'aurais voulu courir, mais ils auraient été plus vite, j'aurais souhaité crié, mais ils n'auraient pas hésité à me trancher la gorge, et c'est pourquoi je n'ai rien fais, rien dis, car je ne savais pas comment réagir. Et je comprenais qu'il était déjà trop tard.
Ils m'observaient comme les animaux qu'ils étaient et riaient entre eux de ma personne dans un italien si mauvais que je n'arrivais pas même à le comprendre. Ils faisaient de grands gestes et je ne saisis qu'à retardement ce qu'ils signifiaient.
Ils sortirent alors de leur poche des canifs et autres armes qu'ils avaient du dérober en détroussant certaines personnes. Que voulaient-ils me faire? J'étais encore assez naïf pour me poser la question et je réalisais avec une effrayante lucidité que mon existence était à cet instant très largement compromise.
J'ai voulu m'échapper du cercle qu'ils avaient formés, et j'ai laissé tombé les paquets que je tenais à la main. Toutes les bobines se sont échappées et ont roulé à terre en même temps que les boutons de chemise que l'on m'avait ordonné de rapporter. J'ai fais un pas en avant, essayant de trouver par quel endroit j'aurais pu m'enfuir, mais en vain. Ils ont du prendre cela pour une provocation et ont fondu sur moi sans rien demander de plus.
Deux d'entre eux m'ont attrapé et m'ont maintenu, mais un seul aurait amplement suffis, et les autres se sont approchés de moi en riant. J'ai alors crié pour avertir quelqu'un, mais la campagne était complètement déserte et je n'ai finalement fais qu'exciter leur colère et leur envie de faire mal.
Ils ont commencé à me frapper, à m'administrer de violents coups de poings et de pieds, et je n'ai pas bronché. J'ai lâchais seulement de petits gémissements de douleur. Etrangement, je fixais mon regard sur un détail insignifiant, alors qu'ils avaient ramassé un bâton et qu'il me rouait le corps avec, sur une bobine de fil rouge, rouge comme le sang qui s'échappait de ma bouche. Je ne posais pas la question de savoir si j'allais vivre au nom, je me disais uniquement que j'avais bien fais de ne pas emmener Marco, qu'il était à la maison, qu'il était avec mes parents et qu'il s'en sortirait malgré tout bien sans moi, que sa vie serait tranquille et que je veillerais sur lui de là ou je serais. J'esperais seulement qu'il n'oublierait pas de penser à moins lorsqu'il ferait ses prières le soir.
J'ai fermé les yeux au moment ou j'ai vu que l'un de mes agresseurs sortaient un couteau finement scisellé qui valait vraisemblablement beaucoup d'argent. Je ne voulais pas qu'ils lisent de la peur dans mes yeux, je ne voulais pas qu'ils aient cette satisfaction et c'est pour cela que je ne me débattais pas et que je ne criais pas. Je devais rester orgueilleusement et courageusement calme car ainsi, ils se lasseraient plus rapidement.
C'est du moins ce que j'avais songé. Mais je me rendis parfaitement compte que j'avais tort alors que je sentais, à retardement car je ne voulais pas croire à la réalité de la scène, la lame glacée de l'arme pénétrée dans ma poitrine, déchirant d'un même coup précis ma chemis et ma peau. D'un trait net et rapide, l'un des garçons m'a entaillé toute la poitrine, et j'ai craché du sang sans même m'en rendre compte. Je suffoquais littéralement alors que deux d'entre eux me maintenaient toujours debout par les bras.
J'avais je n'avais ressenti pareille douleur. Je ne pouvais pas y croire alors que la douleur me cuisait et que mon sang commençait à couler le long de mon abdomen et de mes jambes.
J'allais mourir.
J'entendis les rires de plusieurs de mes agresseurs alors que j'aurais voulu me courber en deux sous l'effet de la souffrance.
Et là, j'ai rouvert les yeux. Et je l'ai vu. Il était à l'autre bout de la route. J'ai oublié pendant quelques secondes ce que j'éprouvais, j'ai fais fi de ce que l'on m'infligeait et sans comprendre ce qu'il faisait là, j'ai hurlé:
-Cours, Marco, ne reste pas là! Cours! A la maison!
J'entends encore le son de ma propre voix résonné dans le campagne. Mais il n'a pas bougé. Il avait les yeux fixés sur ma poitrine, sur le sang qui s'en échappait, sur l'état de mon visage et il était comme paralysé. Il m'avait entendu, mais son corps refusait probablement de lui obéir.
Des larmes me montèrent aux yeux, par parce que j'avais mal, mais parce que j'avais peur. Mon cadet s'était sans doute aventurer jusque là pour me faire une surprise, et il me découvrait à l'article de la mort entre les mains de ses fous qui m'avaient brusquement sauté dessus.
-Marco...suppliais-je une dernière fois alors qu'il semblait être devenu sourd.
Mais j'ai compris qu'il n'avait pas réagi assez vite quand j'ai vu une moitié du groupe partir en courant sa direction. Et mon petit frère n'a pas bougé, faisant preuve d'un courage sutpide et injustifié en cet instant. Il ne voulait pas me laisser seul, c'était la seule raison pour laquelle il ne s'est pas enfui se ce jour-là. La seule raison pour laquelle il s'est laissé attrapé.
Et il en est mort.
Je n'ai pu retenir mes hurlements. Et malgré ma douleur, je me suis débattu, agrandissant volontairement mes plaies car je devais rejoindre celui que j'aimais plus que ma propre personne. Sous l'effet d'une force inconnue, la mienne en l'occurence, même si je ne le savais pas, les deux adolescents qui me tenaient ont été projetés sur le sol et j'ai pu me mettre à ramper en direction de mon cadet.
Le sang sur ma peau était devenu brûlant et j'en laissais des trainés derrière moi alors que j'infectais ma plaie en me trainant dans la terre pour aller sauver mon petit frère. J'aurais tout fais pour qu'ils le laissent, y compris donner cette vie qui s'échappait peu à peu de moins sans que je puisse la retenir.
Quand je l'ai enfin apperçu, j'ai vu son teint cireux. J'ai vu la fièvre sur son front. J'ai vu le sang qui s'échappait lui aussi de sa poitrine. Et j'ai vu le pauvre sourire qui se dessinait sur son visage. J'ai vu combien il était plus fort que moi, parce qu'il n'avait par peur et parce qu'il avait finalement toujours su que cela se terminerait comme cela pour nous deux.
Nos agresseurs nous ont observé sans plus intervenir dans la scène. Et ils riaient de me voir ramasser le corps de mon frère et me mettre par-dessus comme pour lui transmettre le peu de vie qu'il me restait. -Alix, on s'était juré de toujours être ensemble...tu...tu...te souviens?
Je hochais la tête alors que de curieux broudonnements m'empêchaient de l'entendre.
-On avait scellé cette promesse avec notre sang...tu vois...j'ai tenu le serment...j'avais promis...
Et je vis le masque de la mort se calquer sur son visage. Ce masque que je n'oublierais jamais.
Il venait de mourir.
J'avais perdu mon frère.
Derrière moi, ils ont éclaté de rire, alors que je me suis évanoui par dessus le cadavre de Marco.

Je me suis réveillé dans une maison que je ne connaissais pas, et la première chose que j'ai vu était un garçon très jeune, d'une dizaine d'années à peine, qui me veillait. J'avais la poitrine bandée et près d'une semaine s'était écoulée sans que je reprenne connaissance. Je n'avais rien oublié de ce qui s'était produit. Et j'avais l'impression d'avoir perdu jusqu'à mon âme.
La garçon qui m'avait retrouvé, à 500 kilomètres du lieu ou j'habitais se nommait Fomalhaut. Il m'expliqua de façon succinte ce pourquoi il m'avait ramené jusqu'ici et quelle était ma destinée. Il me montrait une grande compassion mais je n'en avais que faire. Je me fichais de ce pourquoi il était là, j'avais perdu ma raison de vivre. Ou ma raison tout court je ne savais plus exactement. Quelque chose s'était tordu en moi, sans que je sache vraiment ce que c'était. Ce n'était pas douloureux au contraire, cela ressemblait plus à une délivrance qu'à autre chose. J'étais tranquille maintenant. Je n'avais plus rien à faire des autres.
J'ai déduis plus tard que mes agresseurs avait du prendre mon corps et l'emmener plus loin, très loin même, pour ne pas laisser de traces de leur crime.
De toute manière cela n'avait pas d'importance. Je ne souhaitais pas revoir ma famille, puisque je n'en avais plus. Ils étaient morts. Morts en même temps que Marco, en même temps qu'Alix.
Fomalhaut me proposa de devenir chevalier, de partir en Sicile. Et quand j'ai compris la force physique que pouvait avoir un guerrier d'Athéna, j'ai accepté sans hésiter une seule seconde.
J'avais quelque chose à faire. Je devais m'endurcir et me venger.
Bien-sûr, je savais que je ne retrouverais jamais mes agresseurs, mais ils pairaient tous pour ce que j'avais vécu. Les humains étaient tous des chiens, des animaux sauvages incapables de contrôler leurs instincts.
Je les détestais.
Fomalhaut s'en rendit compte, et il me fit une remarque au moment ou il me laissait pénétrer dans le camp d'entraînement jusqu'auquel il m'avait accompagné.
-Attention, mon garçon, la voie que tu regardes est dangeureuse et tu sais très bien de quoi je te parle. Mais j'ai confiance, et je sais que tu t'en détourneras, n'est-ce pas? J'ai pourtant l'impression qu'il y a en toi...
Il n'ajouta rien et me salua d'un signe de tête.
Il y a en moi quelque chose de mort, eus-je envie d'ajouter.
Et c'est quelque chose, c'est la dernière expression que j'ai vu inscrite sur le visage de mon frère.
Le Masque de la Mort.

Cancer DeathMask
"L'Appel des Etoiles"

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Cette fiction est copyright Caroline Mongas.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.