Chapitre 6 : La Pureté de l'Enfance


Mémoires d'Hilda et de Freya (raconté par Hilda).


La neige tombant doucement contre les vitres de la maison ou nous étions nés, ma soeur et moi, voletant dehors et recouvrant toute la nature d'une fine pellicule dans laquelle nous pourrions peut-être jouer si on nous le permettait... C'est l'un des premiers souvenirs précis que j'ai. Moi, assis à la fenêtre et me laissant bercer par le bruit de la bise qui soufflait entre les immenses sapins des forêts d'Asgard, ma soeur, Freya, un peu en retrait, enfoncée dans un gros fauteuil de velours dans lequel elle disparaissait presque. Quel âge pouvions-nous avoir? Guère plus de quatre ans pour moi et, une année pour ma cadette. Je peux à peu près dater ce moment car nous n'avions encore jamais vu, ni l'une ni l'autre, l'ombre d'un palais.
Contrairement à ce que la plupart des gens ont l'air de penser à propos de nous, nos origines sont plébéiennes, même si je pense que la majesté n'est pas conféré avec la naissance, et nous avons vu le jour dans les campagnes bourgeoises de notre nation, comme un grand nombre des habitants des environs. Nous n'étions ni pauvres, ni riches, nous vivions seulement à notre aise, du moins financièrement. Nous n'étions pas senser avoir de quoi nous plaindre, et par rapport à la misère que connaissent certains habitants de mon peuple, c'est tout à fait justifier, car nous avions un toit au-dessus de nos têtes et des repas dans nos assiettes.
C'était le discours habituel de mon géniteur, pour que nous ne lui demandions rien de plus. Freya et moi-même n'étions de toute façon pas des personnes bien exigeantes et nous nous contentions généralement de ce qu'on voulait bien nous donner.
Mon père, Ekart, possèdait d'ailleurs de fâcheuses tendances à dépenser beaucoup pour lui, et très peu pour ses enfants, mais à l'époque, je n'avais pas la maturité nécessaire pour m'en rendre compte, car je ne maitrisais pas les notions de justice et d'injustice. Je ne sais pas si j'ai aimé mon géniteur. Peut-être que lorsque j'étais très jeune, j'ai éprouvé un quelconque sentiment d'affection pour lui, car les coeurs d'enfants sont trop purs pour pouvoir rejeter quelqu'un, surtout s'il est un proche parent.
C'est sans doute pour cela que j'étais si malheureuse lors de ses explosions de fureur, parce que je ne les comprenais pas, je ne les analysais pas et je me sentais blessée. Il faut bien avouer qu'elles n'avaient aucune raison d'être et qu'elles me terrifiaient. Mais, qu'en reste-t-il maintenant, alors que les années ont passé, hormis le mauvais souvenir d'un homme disparu et peu regretté?
C'est exprimé de façon plutôt dénudée, mais fort lucide. Ekart n'était pas un homme, même à Asgard, que l'on appréciait ou que l'on aimait croiser sur son chemin. Si on pouvait l'éviter, c'était tout aussi bien. Il travaillait au palais, comme un simple garde, sans doute à cause de sa force physique assez impressionante, mais il en abusait bien souvent, sans que le prêtre d'Odin ne s'en rende jamais compte.
Mais les gens du village, eux, en étaient parfaitement conscients, et ils savaient que mieux valait ne pas traîner lorsque mon père arrivait. Non pas que ce fut un homme à l'âme profondément noir, car nul n'est ainsi et tout le monde à forcément un éclat de lumière en lui, même s'il est parfois dissimulé. Cela je me plais à le croire car je m'imagine que c'est la vérité, c'est sans doute cela que l'on appelle la confiance en l'humanité, l'amour des peuples et je possède les deux.
Je me souviens que mon père travaillait souvent jusque tard dans la nuit, et qu'il revenait chez nous un peu avant que l'on nous fasse lever, ma soeur et moi-même. Il s'écroulait alors dans son lit, en se précipitait dans les bras de Morphée. Seulement, il avait deux petites filles, et il est bien reconnu que les enfants sont parfois un peu bruyants, mais quoi de plus naturel? Freya et moi nous ne l'étions absolument pas cependant, on nous avait forcé à ne pas l'être, mais cependant, nous riions de temps à autre, mais de manière étouffée, car notre mère se pliait en quatre aux volontés de notre père et nous demandait sans cesse de faire un effort pour ne pas le sortir de son sommeil. Mais ces bruit enfantins représentaient trop pour lui. Trop à supporter bien entendu.
Il rentrait alors dans la cuisine ou dans la chambre, peu importait la pièce dans laquelle nous nous trouvions, les yeux encore embrumés mais ou brillaient déjà cette lueur qui était signe de mauvause augure. Il nous frappait alors, avec la force d'un homme d'une quarantaine d'années, du plat de l'homme, sur la tête, sur les oreilles et nous secouait comme si nous n'étions que de vulgaires brindilles.
Nous n'étions pas battus, Freya et moi, au sens ou les gens veulent bien l'entendre, mais c'était une violence qui s'exerçait chaque jour de façon plus pernicieuse et plus insistante. Il nous faisait souffrir et nous en gardions la marque durant la suite de la journée, même si cela ne durait parfois qu'une heure. Mais je me rappelle encore parfaitement du visage de ma cadette rendu rouge par les larmes et les claques qu'on lui avait administré comme étant un juste punition.
"Ce n'est rien...ne faites pas tant d'histoires, vous n'êtes plus des bébés", nous disait notre mère en rentrant quelques rares fois après notre père et en sans rangeant toujours de son côté, comme la lâche qu'elle était finalement.
Je sais que jamais je n'aurais permis cela pour ma part, je suis trop éprise d'équité et de pacifisme pour tolérer la moindre marque de violence envers un être vivant, encore moins envers un enfant, qu'envers quelqu'un d'autre. Les enfants sont si purs, si doux, comment une personne peut-elle se permettre de les juger ou de les blesser? Eux, ne cherchent jamais à peiner, bien au contraire, et ils essayent généralement, par leur petits moyens, de consoler les adultes ou de réparer de ce que ces derniers ont fait, avec tout leur foi et leur énergie. C'est pour cela que dorénavant, j'apporte tant de soin à veiller au bien-être des enfants de mon peuple. Car mon enfance n'a pas été très heureuse, contrairement à ce que l'on veut bien penser, et que je conçois parfaitement les ennuis qui peuvent exister au sein d'une famille.
Mon père n'avait pas de respect pour chaque forme de vie et il aimait savoir que de part notre jeune âge, nous étions dépendantes de lui, Freya et moi-même. En un sens il n'avait pas tort puisque nous ne pouvions pas manger ni nous loger sans son aide, mais il était dans le faux, car les enfants ne sont pas ainsi, ils n'entrevoient pas l'indépendance de la même manière que les adultes.
J'en ai parlé un jour avec l'un des chevaliers d'Athéna, qui était venu dans l'Asgard vérifier que tout s'y déroulait sans encombre. Il s'appelait Shaka, du signe de la Vierge. L'homme le plus sage qu'il m'aille été donné de voir. Il partageait les mêmes opinions que moi sur l'enfance et sur l'attitude des adultes vis à vis d'eux.
"Nul n'a le droit d'oprimer un plus faible que lui", cette phrase se trouve dans les lois de mon pays. Seulement, je me rends bien compte qu'elle est parfois inefficace, car jamais mon géniteur n'a été arrêté pour violences physiques, car, qui l'aurait dénoncé? Certainement pas ma mère, béate d'adoration devant tout ce qu'il faisait, pas plus que Freya et moi, car nous étions trop jeunes pour comprendre que ce qu'il faisait était quelque chose de grave. Etant donné qu'il s'agissait de notre quotidien, nous ne voyions pas ce qu'il y avait de mal à nous faire frapper de temps à autre puisque cela n'était jamais assez grave pour obliger une hospitalisation ou un quelconque soin médicale.
Et pourtant, malgré tout cela, je n'en voulais pas à mon géniteur. Pas plus que Freya. Nous ne saisission ni l'une ni l'autre le concept de rancune, mais seulement la peur que ses pas engendraient dans le couloir, alors que nous savions qu'il s'approchait de nous pour nous punir de parler trop fort, de rire avec trop de vivacité, car cela le dérangeait dans son sommeil ou dans son travail. Il nous frappait aussi à table, quand nous ne finissions pas nos repas, dans la rue, lorsque nous ne faisions pas sur l'instant ce qu'il nous demandait d'éxecuter.
Ce qui me choque particulièrement à présent, en laissant glisser ma plume sur le papier et en racontant tout ceci, je crois que c'est l'abscence totale de ma mère alors qu'il se montrait particulièrement rude avec ses filles. Jamais elle n'est intervenue en notre faveur, en lui demandant d'arrêter d'être si dur avec nous. Jamais elle n'a pris notre défense et je souviens fort bien que lorsqu'il tempêtait contre nous, soit elle se rangeait silencieusement de son côté, soit elle nous enfonçait un peu plus et excitait ainsi la colère de son mari.
Je me suis longtemps demandée pour quelles raisons elle agissait de cette manière...et je ne l'ai compris que bien plus tard, car l'âge rend parfois plus perspicace pour certaines choses, même s'il enlève beaucoup de qualités. Je pense que ma génitrice Torgard, devait savourer l'aurorité que son époux exerçait sur nous pour le simple fait que pour une fois, ce n'était pas sur elle. Plus je me tourne vers le passé, et plus je réalise que je ne me trompe pas. Ma mère était une femme totalement asservie à son mari, toujours en accord avec lui quand il le désirait, à faire ce qu'il souhaitait à l'instant ou il en émettait la requête. Elle ne ressemblait finalement qu'à une pauvre poupée sans âme et sans vie que son maître tire avec des ficelles pour son bon plaisir. Pendant de nombreuses années, j'ai cru la haïr, et je crois que cela a été le cas, quand je me suis rendue compte de son attitude pendant les premières années de notre enfance. Mais maintenant, je dois reconnaître qu'elle me fait plutôt pitié.
Ma mère ne nous facilitait donc pas véritablement l'existence, mais nous avions de toute manière appris ma soeur et moi à ne compter que l'une sur l'autre, et ce, dès notre plus jeune âge. Nous étions en compagnie de deux adultes, qui, sans être fous, n'avaient pas un esprit très droit et nous avions rapidement compris qu'en faisant front commun, nous réussirions à nous sortir de mauvais pas bien plus souvent qu'en solitaire.
C'est peut-être grâce à cette amitié que j'ai noué avec Freya dès l'instant à elle est née, que je l'aime à présent autant. Bien plus qu'une soeur aime sa cadette en tout cas. Elle est ma meilleure amie, ma confidente, comme si elle était moi-même une seconde fois tout en étant malgré tout bien différente et distincte de ma personne. Mais nous nous ressemblons tant. Non, pas physiquement, bien que nous partageions la même physionomie, la même peau de porcelaine, et les mêmes gestes gracieux hérités des cours de danse que notre mère nous forçait à suivre avec elle car elle répétait à l'envie qu'elle était une danseuse étoile qui avait été obligée d'abandonner sa carrière, mais moralement.
Nous avons l'une et l'autre, la même manière de voir le monde, c'est à dire avec des yeux encore un peu innocents. Elle encore bien plus que moi. Nous avons aussi les mêmes opinions sur la plupart des sujets, les mêmes envies aux mêmes instants, si bien qu'il m'arrive de me demander si elle n'est finalement pas ma soeur jumelle.
Mais en un sens, je trouve cela plutôt normal. Nous avons été élevé ensemble depuis toujours et je ne me rappelle pas d'avoir connu le monde sans sa présence à mes côtés. Nous avons traversé la même période difficile lorsque nous avons vécu avec nos parents, les mêmes fastes par la suite, et ce passé commun forme une sorte d'héritage émotionnel qui nous relie l'une à l'autre de façon indissociable et ce pour toujours. Je ne peux plus envisager mon existence sans elle, pas plus qu'elle sans moi.
Je me souviens que lorsque l'une de nous deux commettait une erreur qui promettait de nous vouloir une mémorable correction, comme renverser du lait par terre, ou briser un verre par inadvertance, et que nous entendions nos parents arriver en criant de la pièce voisine, nous nous serrions l'une contre l'autre, comme pour ne plus former qu'un, et nous attendions que le châtiment, ou plutôt la sentance ne tombe. On nous demandait toujours qui avait réalisé le délit, mais jamais aucun son ne sortait de nos bouches. Il y avait une trop grande solidarité entre nous, et il n'était pas question que l'une dénonce l'autre. Nous avions rapidement saisi que mieux valait être puni à deux que seul, car ainsi nos géniteurs s'emportaient contre nous deux en même temps et nous laissait ensuite tranquille pendant un long moment.
Mais notre enfance n'a pas été faite que de cris et de coups, bien que Freya ou moi ne passions jamais un journée sans l'un ou sans l'autre. Il y eut aussi de bons moments, mais quand j'y songe, ils sont moins nombreux que je ne l'avais cru. Tous ces agréables souvenirs, je ne les ai que grâce à ma cadette, qui en fait parti intégrante.
Je me rappelle lorsque ma mère, qui parfois se prenait l'envie folle de nos surprotéger alors qu'une heure ensuite elle passait ses nerfs sur nous en se mettant en colère, nous permettait de sortir dehors alors qu'il avait neigé et qu'un froid soleil d'été brillait dehors. Ce n'était pas très souvent, mais quand cela arrivait, c'était une véritable fête.
J'entends encore nos cris résonner à l'extérieur, alors que nous pouvions enfin faire tout le tapage que nous désirions sans risque de se prendre un mauvais coup par la suite, alors que nous courrions les bras ouverts comme pour s'envoler, tels deux oiseaux d'été enfermés dans les rudes contraintes des saisons froides et épris de revoir l'astre du jour qui viendrait les réchauffer. Il me suffit de fermer les yeux et d'inspirer profondément pour entendre le rire de Freya partir en de longs éclats comme autant de trilles de rossignol. C'était le son que je préfèrais à tous, et aujourd'hui encore, car il me montre qu'elle est heureuse et c'est finalement tout ce que je souhaite. Je nous revois comme si je vivais ces moments une seconde fois, entrain de nous lancer des boules de neiges, de construire une bonhomme de glace, ou de faire du patins à glace. La vie nous semblait alors douce et paisible, comme ces courts d'eau qui proviennent du haut des montagnes et qui sont aussi purs que les joies de l'enfance.
Les larmes me montent presque aux yeux en y reprensant. Peut-être par nostalgie...pourtant je ne regrette rien. Il est amusant de constater parfois comme la nature humaine est contradictoire. Cette période je ne l'ai pas aimé, au contraire, et je ne la revivrai pas pour tout l'or du monde. Et malgré tout, quand des souvenirs heureux refont surface au creux de ma mémoire, je les conserve et me les repasse pendant des heures, inlassablement, comme s'ils étaient de précieux et uniques joyaux que je devais jalousement gardés.
Est-il dans la nature de l'homme de toujours se tourner vers son passé avec un léger goût d'amertume au faux de la gorge? Je suppose que oui. C'est du moins ce qu'en pense Siegfried et je ne suis pas loin d'accorder mes reflexions aux siennes. Il semblerait que les hommes nourissent une fâcheuse tendance à l'indécision et à l'incertitude, bien que ce soit très rarement mon cas, car mon poste ne le permet pas.
Je veux toujours savoir vers ou je me dirige, pourquoi et comment. Je veux toujours garder le contrôle de mon existence et la guider, même s'il m'arrive parfois d'aimer l'improviste. Mais je ne veux pas perdre les rênes du court de mon destin, je veux en rester la maîtresse pour ne pas ressembler à ma mère qui n'était que faiblesse. Pour ne pas ressembler à mon père qui n'était que faux-semblants. Pour Freya, pour lui permettre une vie plus facile et plus douce. Et enfin, pour moi. Pour me prouver à moi-même que l'homme est capable de volonté et qu'il peut avoir une prise sur les évènements, même s'ils n'arrivent pas toujours comme il le désirerait. Savoir faire face à l'existence, parfois si compliquée, je pense que c'est ma seule véritable aspiration, du moins me concernant moi-même. S'il s'agit des autres, alors, l'avenir de l'humanité entre en jeu et c'est un sujet bien complexe qui s'offrirait à moi.
Je parle énormement avec Freya, même si nous ne nous voyions pas beaucoup durant la journée. Il nous reste toujours le matin, lorsque nous nous levons et que parfois, alors que nous sommes au coeur de l'hiver et que les couloirs même du palais sont glacés, elle vient me rejoindre dans mon lit pour me tenir plus chaud. Et puis, nous conversons le soir, généralement dans sa chambre ou dans son petit salon personnel, toutes les deux peletonnés au coin d'un feu, nous échangeons des confidences, mais je ne lui ai pourtant jamais parlé des mes ambitions, de mon envie de pouvoir plier ma destinée de la façon ou je l'entends. Je ne lui cache jamais rien d'habitude, mais je ne considère pas cela comme un secret, simplement comme une pensée qu'elle n'a pas besoin de savoir. J'apprécie qu'elle ne se fasse pas de soucis, cela me donne l'impression de réussir ce que j'entreprends. J'aime tant entendre ses cris d'émerveillement ou de joie lorsqu'elle se trouve avec Hagen dehors et que je suis dans le palais à conduire quelque activité qui influera sur le royaume d'Asgard.
Je veux qu'elle préserve son insouciance, son innocence, que j'ai malheureusement perdue en grande partie au fil des années et des désillusions.
Mais il y a Siegfried, et avec lui, j'ai l'impression de revoir les choses, les gens sous un aspect différent, non plus avec les yeux ou l'esprit, mais avec le coeur, avec l'âme. Je me souviens qu'il m'a un jour dis, alors que nous étions entrain de discuter dans les allées des jardins royaux, que nous sommes tous pourvus de deux vues. Celle des yeux et celle de l'esprit, qui nous conduit à ne voir que le superficiel et à s'arrêter aux apparences, et celle de l'âme, qui nous permet de voir sous la surface, d'atteindre l'essentiel. Il a ensuit ajouté que les enfants, eux, n'avaient qu'une seule vue, la meilleure et que c'était en grandissant qu'ils acquièraient malheureusement l'autre. Celle dont chacun se sert le plus souvent, comettant ainsi l'erreur fatal du jeu des faux-semblants.
Je suis d'accord avec cette théorie, elle est même devenue pour moi comme une évidence, d'autant plus que j'en suis aussi la victime, même si j'ai la présomption de croire que je m'en sors assez bien. Je ne suis pourtant pas infaillible, bien loin de là, est je constate parfois, et non sans une certaine mélancolie, que je comets des erreurs en jugeant certaines personnes, ce que je n'ai d'ailleurs nullement le droit de faire, de part ma qualité d'être humain. Seulement, je suis aussi la prêtresse d'Odin et je me dois de faire des choix, de voir des personnes, de décider du court de leurs vies car ils me demandent soit justice, soit clémence. C'est n'est jamais facile, mais après tout, qui a prétendu que cela l'était?
Bien souvent, quand je me retrouve seule, je monte dans les greniers, c'est un peu comme un refuge pour moi, et je regarde, je feuillete, les grimoires du palais et les mémoires de ceux qui l'ont occupé avant moi et ma soeur. Cela me détend, me fait oublié ce qui me tracasse. J'aime lire les destins que d'autres ont eu, car cela apporte souvent un nouveau courage, une nouvelle force qui peut nous manquer de temps à autre. Seulement, quand je me sens lasse, je sais que je ne dois pas le montrer. Il me faut toujours rester forte pour mon peuple. Et pour Freya.
Comme je l'envie parfois. Elle n'a rien perdu de sa candeur, ni de sa douceur, je lui ai offert l'opportunité de rester elle-même, une enfant, de ne pas s'endurcir face aux réalités de l'existence dont je la protège bien souvent. Et je suis contente que l'une de nous deux soit parvenue à conserver sa pureté d'âme.
Quand je suis en sa compagnie, je redeviens souvent l'Hilda d'autrefois. Celle qui riait toujours, celle qui vivait dans l'insouciance du lendemain et dans l'ignorance du passé. Celle qui prenait tout ce qui venait sans rien réfléchir et en remerciant seulement la vie d'avoir mis un cadeau sur sa route. Celle qui n'avait pour tout but que de vivre la prochaine seconde et de profiter de l'existence. Mais ou était-elle passée, cette enfant au visage souriant et aux yeux brillants de gaieté?
Je pense qu'elle dort en moi, qu'elle n'est par morte puisqu'elle se réveille de temps à autre. Mais je ne déteste pas la personne que je suis devenu, car, à défaut d'autre chose, j'ai acquis une sagesse que peu de personnes ont la chance de possèder. Mais en même temps que de cette fameuse sagesse, j'ai hérité d'une fine couche de glace qui empêche les autres de m'atteindre.
C'est par la force des choses que je suis devenue ainsi. A cause ou grâce, tout dépend du point de vue ou l'on se place, au destin.
J'ai vécu avec mes parents jusqu'à l'âge de six ans, et donc il est facile d'en déduire que Freya ne les a connu que durant trois années. Elle en garde pourtant un souvenir assez précis à mon plus grand étonnement, mais il est vrai que l'on oublie jamais les périodes les plus sombres de nos vies.
Ces moments, je ne les ai pas aimés mais je ne veux pas non plus les exclure, les enfouir au fin fond de ma mémoire, car ils m'ont comme formé, préparé à devenir ce que je suis dorénavant.
Il y a une histoire que nous n'avons jamais raconter à personne Freya et moi, car elle est trop personnel. J'en dévoilerais peut-être un jour l'existence à Siegfried, mais je doute sincèrement qu'un autre que lui ne sera jamais au courant de cela. Hagen peut-être...bien que ma soeur ne soit pas très explicite sur le sujet.
Roswitha, ma seconde soeur, était née en plein milieu du mois de janvier, comme moi, et je me souviens encore des cris que poussait ma mère alors qu'elle était dans sa chambre dans laquelle on nous avait interdit de pénétrer.
Je tenais ma cadette dans mes bras, alors que nous étions dans la pièce voisine, car nous ne voulions pas nous éloigner trop de cette mère qui nous aimait de façon si étrange et malsaine. Je sens encore l'étreinte des mains de Freya sur les miennes, de la douloureuse pression qu'elle exerçait sur mes doigts à chaque nouveau hurlement de notre génitrice. Mais jamais je ne me dérobais à son étreinte compulsive. Nous avions peur, peur de perdre cet être qui était depuis toujours, du moins depuis que nous la connaissions, une heure adorable avec nous et les minutes suivantes détestable et méprisable. Ce qui prouve une fois de plus comme les enfants ont le coeur pur et sont capables de pardonner et d'oublier facilement. Naïvement aussi parfois, mais la naïveté fait parti de l'innocence, n'est-ce pas?
Notre père attendait lui aussi, le dénouement de cette histoire dans le couloir, car la sage-femme l'avait mis à la porte. Je reverrais toujours le masque de l'inquiètude apparaître peu à peu sur son visage, à fur et à mesure que le temps s'écoulait dans l'incertitude de la situation. Je suppose qu'il devait donc éprouver un quelconque sentiment pour notre génitrice, à moins que ce ne soit la proximité de la mort qui ne l'est poussé à des sentiments meilleurs. Bien souvent, à l'instant du jugement dernier, les gens trouvent la force de se repentir ou d'accorder leur pardon sans difficulté. Et je pense que c'est ce qui arrivait à mon père alros que les hurlements de douleur de ma mère traversaient les cloisons des épais murs de notre maison.
Freya était blanche comme la neige, moi aussi sans doute, mais je me forçais à rester confiante, pour rassurer ma petite soeur. Déjà, j'éprouvais le besoin de la protéger, de lui dire que tout allait très bien se dérouler même si j'étais persuadé du contraire. Je ne sais pas combien de temps cette attente à durer, mais cela m'a semble une éternité. La neige tombait dehors avec violence et les raffales de grêlons glacés venaient tambourinées contre les fenêtres de notre demeure. C'était un son effrayant pour de jeunes enfants. Le vent aussi faisait rage à l'extérieur et; même si la bâtisse que nous habitions était solide, il arrivait que la flamme des bougies tremblote sans l'impulsion de la bise et qu'elle éteigne même ces faibles lumières les soirs de tempête particulièrement violente. Freya détestait lorsque cela se produisait et moi aussi, car nous avions beau appeler quelqu'un, nos parents ne venaient généralement que beaucoup plus tard pour nous redonner un peu de feu. Je n'aimais pas les hivers rigoureux, et pourtant ils l'étaient tous, car ce genre d'incidents se produisait malheureusement assez souvent.
Ma mère n'est pas morte d'avoir mis au monde Roswitha. Mais le bébé était de fragile constitution, d'après le docteur, et il avait peu de chance de survivre.
Je n'ai pas eu le droit de pénétrer dans le chambre ou reposait ma génitrice, pas plus que ma cadette en tout cas et nous sommes restées dans le couloir alors que notre père se rendait à son chevet. Je me suis senti à cet instant comme une intruse dans ma propre maison.
Nous ne faisions partis qu'à demi de leur existence, je le réalisais. Ils nous considèraient comme des pièces rajoutées, comme les motifs, aussi, de leur fréquentes disputes. En fait, cela les arrangeait de croire que nous étions la cause de la plupart de leurs ennuis. Ils n'avaient ainsi pas à chercher d'autres coupables, qui n'auraient, évidemment, été autre qu'eux. La remise en cause n'était pas quelque chose qu'ils appréciaient, encore moins qu'ils partiquaient.
Je ne sais pas comment toutes ses reflexions se sont insinuées ainsi dans mon esprit, alors que j'étais âgée de six années. Peut-être est-ce l'instant ou notre père à fermer la porte de la chambre de l'accouchée juste sous mon nez, me frappant presque le visage avec et ne remarquant pas ma présence, qui a été le délencheur. En tous les cas, j'ai eu l'impression de recevoir une véritable giffle.
Freya, pour sa part, n'avait pas l'air de comprendre ce qui arrivait. Elle était trop jeune pour cela, mais si elle ne saisissait pas vraiment ce qui se produisait, je devinais qu'elle le ressentait elle aussi. Le fait de nous tenir éloigner de celle qui se voulait être une bonne mère, comme elle s'en vantait sans cesse auprès de ses amies, me fit réaliser l'étrangeté des rapports qui existait dans cette famille décousue qu'était la mienne.
Nos parents nous aimaient, mais de manière malsaine. Ils nous frappaient, certes, avec plus ou moins de violence, mais levaient tout de même la main sur nous au moins une fois par jour, nous disputaient à longueur de temps, nous empêchaient de faire du bruit ou de bouger sans cesse, cherchant sans doute à nous transformer en de pratiques poupées. Et pourtant, cela leur paraissait normale. C'était cela le plus grave, ils songeaient l'un et l'autre réellement qu'ils étaient pour nous des parents absolument parfaits, en somme exemplaire.
Mais Freya et moi, nous ne les aimions pas. D'un côté, si, nous éprouvions de l'affection pour eux, car c'était presque obligatoire mais de l'autre, nous les haïssions car nous voyions avec une lucidité incroyable la façon dont ils se comportaient à notre égard.
C'est alors que ma soeur me tenait la main pour se rassurer, que j'ai réalisé qu'être dans cette demeure n'était pas bon pour nous.
Qui faisais-je d'ailleurs exactement? A quoi tout cela rimait-il? Je n'en avais pas la moindre idée. Pourquoi jouions-nous tous la famille modèle alors que ce n'était qu'une mascarade, une façon de paraître sous un jour différent aux autres personnes? Et surtout, que pouvais-je ésperer en continuant à rester ici?
Avec une maturité exceptionnelle, ces questions, je me les suis posée. C'est à ce moment, sans doute, que j'ai commencé à perdre mon innocence et à ôter le voile qui me couvrait les yeux et qui m'empêchait jusqu'alors de voir les gens et les situations clairement. Mais j'y étais obligé, si je voulais prendre mon existence en main et faire preuve de volonté.
Je ne me sentais pas dans ma maison. D'ailleurs, mes parents ne la considèraient pas comme telle, mais comme leur demeure. Encore une preuve éclatante du malaise qui règnait alors.
Je me souviens qu'alors que nous étions dans le couloir au parquet de bois patiné, que nous entendions les chuchotements de nos parents qui provenaient de la chambre. Je me suis adossée au mur, et ma cadette m'a imité tout de suite après. Il fallait que je reprenne ce souffle qui me manquait, que je respire calmement pour trouver une idée. J'aimais Freya. Je savais que nos géniteurs la traitaient de la même manière que moi et je devais donc, quoi que j'envisage, la mettre dans mes plans.
Mais, avais-je le droit de décider du court de sa vie? Pouvais-je me permettre de décider pour elle? Allais-je faire comme mes parents, ne pas lui laisser de choix, lui imposer directemment mon propre point de vue? Cette dernière interrogation me fit sursauter et je saisisis le bras de ma soeur avec précipitation, l'attirant ainsi à ma suite vers le bout du couloir et donc, vers la cage des escaliers.
-Que se passe-t-il? bredouilla-t-elle de sa voix encore tout enfantine et alors que ses yeux s'embrumaient de sommeil car elle avait beaucoup pleurer à cause de notre mère et qu'elle était dorénavant épuisée.
-Freya, déclarais-je d'un ton décidé que je ne me connaissais pas mais que le destin me prêtait sans doute pour la première fois. Ecoute-moi bien. Es-tu heureuse de vivre ici?
Ma cadette ne répondit rien et prit un air dubitatif, qui, même dans ce moment grave, me donna envie de rire. Je l'englobais alors d'un regard. Elle était adorable avec ses cheveux blonds qui bouclaient autour de son visage aux traits réguliers et ses grands yeux verts qui se fixaient sur moi étaient si tendres... J'esquissais un sourire en me demandais si j'avais la chance, parfois, d'avoir une telle expression sur le visage.
-Je te demande simplement de répondre à cette question, Freya. Es-tu sincèrement heureuse ici?
Elle parut réfléchir quelques instants et laissa pensivement errer son regard dans le couloir ou nous nous trouvions encore quelques secondes avant. Elle ferma les yeux, essayant probablement de rassembler ses idées et ses souvenirs. Je pense qu'elle avait compris que ma question n'était pas aussi anodine qu'il y paraissait et que d'elle, dépendait probablement notre avenir. Comment l'avait-elle su du haut de son jeune âge? Cela aurait sans doute étonné mes parents de constater qu'un enfant est tout aussi capable de réfléchir et de prendre des décisions sensées qu'un adulte. Je trouve personnellement qu'il n'y a rien de surprenant la-dedans, mais ce n'était visiblement pas du goût de tous.
-Hilda...je n'aime pas quand ils sont méchants, murmura Freya en se rapprochant un peu plus de moi.
-Cela te rend triste? demandais-je, alors qu'une boule me nouait la gorge et que j'avais de plus en plus de mal à parler sans céder à l'émotion qui m'envahissait.
-Oui. Et puis, ils ne t'aiment pas, tu sais. Moi non plus je crois ou alors pas beaucoup...non?
Je hochai la tête en lui caressant d'une main les cheveux.
-Non, petite soeur, ils ne nous aiment pas vraiment, même s'ils se plaisent à le croire. Ne sens-tu pas, dans ces conditions que nous n'avons rien à faire là? Que notre place n'est pas ici, pas avec eux...
-Que veux-tu dire? articula avec difficulté ma cadette. On va quitter la maison, c'est cela, hein?
Je souris faiblement, me demandant comment elle allait réagir face à l'annonce de cette nouvelle auquelle je m'étais inconsciemment préparée depuis déjà bien longtemps, depuis toujours sans doute même. La situation n'avait rien de nouveau pour moi, j'avais déjà comme une vague idée de ce que je représentais. Au fond de moi, j'avais toujours eu l'impression d'être quelqu'un de différent des autres et c'était loin d'être par prétention ou vanité mais...un destin m'attendait. Je ne pouvais pas l'expliquer autrement car c'était trop compliqué. C'était comme une voix intérieure qui me disait depuis toujours ce qu'il fallait faire, quel serait mon avenir et d'aussi loin que je puisse me souvenir, je n'avais jamais envisagé mon futur autrement que hors du commun...et loin de mes parents. Est-ce grâce à Odin que j'ai réussi à prendre la décision de quitter mon foyer en emmenant ma soeur? Sans nul doute, mais il fallait aussi un certain courage pour oser répondre à l'appel, mais je n'en manquais de toute manière pas.
J'ai regardé Freya à ce moment et j'ai vu que ces yeux avaient un autre éclat. Elle avala difficilement sa salive et étrangement, je ne redoutais pas sa réponse, car je n'en avais finalement jamais douté.
-Quand part-on?

Nous avons quitté notre demeure une heure après. Je me souviens comme nous nous sommes précipités dans nos chambres pour prendre nos plus épaisses fourrures et nos bottines les plus solides. Je l'ai aidé à se vêtir du mieux que je l'ai pu, et avec infiniment plus de soins et de gentillesse que le faisait notre mère. L'envie de dormir de ma soeur avait complètement disparue et je sentais la nervosité qui émanait d'elle. Nous n'avons rien pris de plus, car ce que nous possèdions, quelques jouets, n'avait pas grande importance à cet instant.
J'ai pris la main de ma soeur avec fermeté et nous sommes montés jusque dans les combles de la maison, ou se trouvait la nurserie. Roswitha devait y être et...nous avons vu la nouvelle nourrice entrain de pleurer. J'ai rapidement fermer les yeux et tourner les talons alors que ma cadette ne comprenait pas pourquoi je changeais si soudainement d'avis.
-Ce n'est rien Freya. Il faut que nous nous en allions maintenant car après il sera trop tard. Comme il est trop tard pour Roswitha à présent.
Roswitha. J'avais tout de suite saisi la cause des larmes que notre nourrice versait mais je ne voulais pas l'avouer ouvertement à Freya. Elle n'avait jamais eu le temps de connaitre sa petite soeur, mais c'était aussi bien ainsi car elle aurait fort bien pu s'y attacher. Finalement, ce nourrisson inconnu était le symbole de ce que nous allions devenir si nous ne nous décidions pas à agir.
Nous avons silencieusement descendu les escaliers et nous nous sommes faufilées silencieusement vers l'entrée. Nous étions aussi discrètes que nos parents nous avaient forcés à devenir et c'est grâce à cette ridicule et stupide éducation que nous avons réussi à nous échapper de cette famille ou nous n'avions absolument rien à faire.
C'était une ironie du sort, apparement.
Le vent nous a agressé dès l'instant ou nous nous sommes glissés comme deux ombres dans la nuit. Mais nous étions très chaudement couvertes et la morsure du froid ne nous atteignait donc qu'à peine. Notre handicap était nos petites jambes et surtout, la fatigue de Freya. Seule, je savais que j'aurais pu parcourir des kilomètres et des kilomètres de distance, mais je n'avais pas le droit d'en demander de même à ma cadette. Au moindre signe de fatigue de sa part, j'avais décidé de m'arrêter et de trouver un endroit au dormir. Cependant, elle devait comprendre l'urgence de notre situation, car jamais elle ne proféra la moindre plainte.
Nous ne nous étions jamais aventurées seules loin de la maison, et surtout pas la nuit et nous aurions aisément pu nous perdre et mourir de froid ou de faim suite à ce qui aurait été considéré par tous comme un coup de folie. Mais le destin qui m'attendait était en marche vers moi et je n'allais pas le maquer.
Cette nuit-là m'a semblé éternelle et, je l'ai découvert quelques jours plus tard, c'est tout simplement parce que le jour ne s'est pas levé le lendemain matin, ou du moins, nul n'a vu le soleil à cause de la terrible tempête de neige qui assaillait tout le pays. Les éléments eux-mêmes agissaient en notre faveur, grâce au maître d'Asagar évidemment, Odin lui-même. Certes, la tempête nous ralentissait, mais elle brouillait aussi notre piste et les chances de nous retrouver.
J'ai eu peur, au début, que notre père ne s'apperçoive rapidement de notre disparition et qu'il ne nous poursuive à cheval. Je n'ose pas même imaginer ce qui nous serait arriver s'il avait réussi à nous récupérer, je frissonne encore rien qu'à l'idée de la punition qu'il nous aurait infligé.
Au début, je n'avais aucune idée de la direction qu'il me fallait prendre, et Freya ne m'était pas d'une grande aide car elle se contentait de se cramponner à ma main avec vigueur. Je me rappelle comme je me suis concentrée pour laisser mon instinct prendre le pas sur toutes mes autres reflexions sensées. Je savais que c'était notre seule chance de nous en sortir, de parvenir à notre but final qui était...
qu'était-il au fait? Je ne pouvais l'expliquer mais je savais qu'il existait bel et bien puisque c'était lui qui nous poussait par une nuit glacée de tempête dehors. Ma soeur aussi le savait et elle me faisait pleinement confiance. C'est pourquoi, je n'avais pas le droit de la decevoir. Je devais parvenir à atteindre ce mystérieux lieu vers qui une voix intérieure me guidait.
Cette voix, je n'ai jamais su à qui elle appartenait. C'était peut-être la mienne, celle du destin ou encore celle d'Odin mais cela n'a pas eu beaucoup d'importance. Le principal était que je l'écoute, que je me laisse bercer par les indications qu'elle me donnait. Bien-sûr, aucun mot n'était formulé, c'était plutôt comme une sorte de force mystique qui m'ordonnait d'aller tout droit et non à gauche, d'éviter les forêts de pins et de passer par les immenses montagnes rocheuses. J'avais confiance en elle...en moi, je mélangeais les deux.
Quand j'y repense, je trouve toujours cela incroyable. Comment, à six ans, ai-je pu deviner ce qui m'attendait, comment ai-je fait pour avoir la témérité de rejoindre l'inconnu avec Freya à charge et sans personne vers qui me tourner?
Tout le long de cette immense route, j'ai songé à mes parents. Je les ai imaginé se demandant ou nous étions passés. Je savais qu'ils étaient peut-être inquiets, mais que si nous avions refait surface dans la demeure, ils nous auraient battu. Tout cela, je l'avais compris et analysé et c'est pourquoi il était impossible de retourner en arrière. Tout d'abord car je ne le pouvais pas et puis, évidemment, parce que je ne le voulais pas. J'étais une personne différente, spéciale, avais-je l'impression et je n'étais pas faite pour vivre dans une famille qui ne m'aimait pas -ni même dans une famille tout court.
J'étais déjà adulte et je me sentais si...forte par rapport aux autres. Non pas physiquement, car je n'étais qu'une enfant mais moralement. Et il y avait en moins quelque chose, comme une sorte de flamme qui brillait depuis ma naissance et qui, au milieu de cette nuit ou les élements se déchaînaient, se transformait peu à peu en feu. Je n'avais pas froid, pas plus que je n'avais peur.
Freya non plus, car elle savait qu'elle pouvait compter sur moi et que si elle restait à mes côtés, il ne lui arriverait jamais rien. Et elle avait raison, jamais je n'aurais laissé, n'y ne laisserait jamais, quelqu'un de malveillant s'approcher d'elle. Pourtant, elle n'a pas perdu avec les années ce besoin de protection, d'affection, comme si elle n'était toujours que cette petite fille qui avait besoin d'attentions. Et c'est finalement ce qu'elle est restée...comme je suis toujours l'enfant volontaire qui s'enfonçait dans la neige sans perdre espoir d'appercevoir la fin de la route.
Notre demeure se situait dans les environs d'Asgard et nous étions séparées du palais et de la citadelle par de vastes et immenses plaines montagneuses et enneigées. Cependant, cela ne m'effrayait pas car je devinais déjà que l'on avait rien si l'on ne faisait pas d'efforts. Je continuais d'avancer, en tenant Freya serrer contre moi pour essayer de lui transmettre le peu de chaleur que je parvenais à dégager, même si je plissais les yeux face à la bise glaciale, même si je m'arcboutais face aux bourrasques de neige, même si je manquais de tomber dans une crevasse en glissant sur les épaisses couches de verglas. Il fallait que j'y arrive à tout prix. De toute manière, j'avais bien compris que je ne pouvais pas mourir, que jamais les dieux ne l'auraient permis car j'étais...
J'entendis comme un bruit de sabots et me retournais vivement, déjà prête à faire face à quelqu'un d'hostile et à me mettre devant ma cadette. Celle-ci s'agrippa à mon bras et tourna un regard affolé vers moi. Je n'eus pas besoin de la regarder pour deviner qu'elle aurait aimé être dans son lit bien chaud même si elle n'avait aucune envie de continuer à vivre avec nos parents.
-Qui va là? criai-je alors que ma voix résonnait en mille éclats contre toutes les paroies des immenses et profonds ravins qui nous entouraient.
Le bruit des pas du chevale fut bientôt accompagné par la vision de l'animal lui-même puis de la personne qui le montait. Elle n'avait pas l'air très grande et sa silhouette noire n'avait rien d'inquiètante, pas comme celle de mon père quand il se trouvait sur sa monture. Je restais pourtant tous les sens en alerte et fixait d'un oeil perçant le cavalier qui s'approchait à présent de nous au pas. Il devait être extrêmement doué et habile pour pouvoir guider un cheval par cette tempête, peut-être faisait-il parti de la garde du palais...
-Qui va là? répétais-je, de la même voix forte pour être sur d'être entendu.
Je crois que je réussissais à ne pas faire percer de la peur dans le ton que je prenais mais je ne sais pas par quelle miracle j'y parvenais.
-Je crois que c'est plutôt à moi de vous poser la question. Et que faites-vous dehors par cette effrayante nuit de tempête?
J'aurais pu devenir anxieuse à l'idée qu'il puisse nous ramener dans notre maison, mais mon instinct me soufflait qu'il était un ami. C'était comme si je le connaissais déjà, comme si nous nous étions déjà rencontrés, pourtant, je savais que c'était faux car je ne parvenais nullement à mettre de nom ou de visage sur cette mystérieuse silhouette. Freya se mit à trembler et je me redressais, au physique comme au morale, attitude que j'allais souvent avoir durant les années qui allaient suivre.
-Vous n'êtes pas de la région et vous vous êtes égarées, n'est-ce pas? Je me présente, Siegfried de Dubhe, pour vous servir.
Savait-il ce qu'il disait? Se rendait-il déjà compte que cette phrase qu'il venait de nous lancer allait être la stricte vérité? Je ne lui ai jamais demandé, peut-être parce que je n'en ai jamais eu l'occasion, mais je crois deviner qu'il avait, lui aussi, comme une préconscience du futur.
Il sauta à terre avec une aisance étonnante pour un garçon de sa taille. Je venais en effet juste de constater qu'il ne devait être âgé que de deux ans de plus que moi. Il prit son cheval par le mord et l'attira en avant alors qu'il s'avançait vers nous d'un pas assuré. Il avait l'air de ne pas avoir de problème à ne pas vasciller dans les bourrasques et je me trouvais soudainement ridicule de plier ainsi face au déchaînement qui nous entourait, seulement, je ne pouvais malheureusement pas faire autrement. Freya n'était plus qu'une ombre et elle s'était cachée de mon dos, si bien qu'on ne la voyait plus. Elle serait rentrée sous mon manteau si cela avait été possible et elle l'avait sans doute envisagé mais ma fourrure était trop solidement fermé pour qu'elle s'y glisse. La tempête de neige me faisait plisser les yeux mais je tentais de distinguer les traits de son visage et surtout, d'entrevoir si son expression était hostile ou bienveillante, même si la seconde solution me paraissait plus probable.
-Nous ne ne sommes pas perdues, déclarai-je, d'une voix forte pour qu'elle parvienne à ne pas disparaître dans le bruit de la bise. Nous nous rendions vers la citadelle et...
-Et vous dites que vous n'êtes pas perdues! s'exclama Siegfried avec un demi-sourire aux lèvres.
Je croisais ses grands yeux d'un bleu presque translucide et j'hésitais quelque peu sur mes mots.
-Pourquoi...ne serions-nous pas dans la bonne direction?
Nos voix résonnaient autour de nous et je trouvais que la situation était des plus saugrenues. Freya se contentait de s'agripper au dos de ma fourrure et de pencher de temps à autre la tête vers moi, pour vérifier que tout allait bien.
-En effet, vous êtes presque à l'opposé...c'est la tempête qui a du vous tromper et vous détourner de votre route. Enfin, heureusement je passais par là et je vais vous ramener chez vous. Ou habitez-vous exactement dans l'Asgard?
Je tentais d'articuler quelque chose mais je ne trouvais rien à répliquer. Je ne pouvais tout de même pas lui faire croire que je n'étais qu'une enfant des rues car mes vêtements en disait bien trop long sur ma classe sociale même s'ils n'étaient pas d'une extrême beauté et je songeais que Freya devait être épuisée et qu'elle avait besoin de repos.
C'est à cet instant que je me souvins, ou plutôt que le destin m'aida à me souvenir, que mon père parlait souvent de l'hospitalité des gens du château. Il racontait que le prêtre d'Odin recueillait tous les visiteurs égarés et les hébérgeaient durant les nuits difficiles. Bien-sûr, en me rendant là-bas, j'avais de nombreuses chances d'y croiser mon père puisqu'il y était garde, mais aucune autre idée ne me vint à l'esprit. Et surtout, je ne voulais pas qu'il arrive quelque chose à Freya durant cette nuit de froid glaciale.
-Au palais. Pouvez-vous nous conduire au palais, si cela ne vous dérange pas, évidemment?
Je sentis dans mon dos ma cadette se contracter alors que Siegfried hochait la tête.
-J'y travaille moi-même, ou plutôt j'y habite. Ainsi, cela ne me changera pas trop de mes habitudes.
Il s'interrompit quelques instants et m'effleura du regard avec un sourire flottant sur les lèvres.
-Puis-je me montrer indiscret en vous demandant que faites vous dehors par pareille nuit de tempête?
-Puis-je vous en demander de même? rétorquai-je du tac au tac pour me donner le temps de trouver une réponse qui ne venait pas.
Mais que pouvais-je lui répliquer d'autre? Je ne savais moi-même pas pour quelles raisons j'avais choisi de m'enfuir, ni pourquoi j'avais demandé d'être conduite au palais. En réalité, je ne réalisais pas la moitié de ce que je faisais et pourtant, je gardais malgré tout l'impression de contrôler ce qui m'arrivait.
Siegfried m'apprit alors qu'il était orphelin et qu'il avait été recueilli par le prêtre d'Odin lui-même alors qu'il n'était qu'un nourrisson. Il n'avait jamais beaucoup vu ce dernier, car il était bien trop occupé, et c'est pourquoi sa récente maladie ne l'avait pas boulversé comme celle d'un père l'aurait dû. Il me raconta que personne à Asgard ne parlait de la mort prochaine du prêtre, elle était malheureusement inévitable, car son remplaçant n'avait pas été trouver et que la situation commençait à devenir grave.
Je me souviens de son ton déjà sérieux alors qu'il m'expliquait tout cela en me tendant une main pour m'aider à monter sur son cheval avec Freya. Il me précisa que dès son plus jeune âge, on lui avait appris à être un excellent cavalier, et c'est pourquoi, malgré ses huit ans, il était toujours envoyé comme éclaireur durant les nuits de tempête comme celle que nous vivions. Il ne savait pas exactement quel rôle il jouait au palais, sans doute celui de messager à la reflexion, mais cela lui convenait.
Je me rappelle de son sourire alors que nous discutions tout en avançant et que je tenais Freya tout contre moi alors qu'elle s'endormait peu à peu, bercer par le bruit des sabots de l'animal, par le son de ma propre voix et par la douceur de mes fourrures et de mes mains dans ses cheveux.
Siegfried se tenait, pour sa part, juste derrière moi et je me souviens de chacun de ses gestes, durant ce qui fut notre première recontre.
Je me rappelle les sourires qu'il avait, alors qu'il conversait avec moi sans me poser la moindre interrogation, de ce mouvement qu'il eut pour me mettre mon capuchon de fourrure afin que le vent ne me fouette pas le visage et de la douceur de ses mains qui effleuraient les miennes quand il voulut me faire prendre les rênes du cheval quelques instants afin qu'il se répère mieux dans le noir de la nuit. Et ce qui m'a le plus marqué je crois, ce fut ces regards que nous avons échangé à plusieurs reprises. Il y avait comme quelque chose d'inexplicable qui se produisait entre nous et étrangement, je ne songeais alors plus à rien, plus à mes parents, plus à mon avenir, et seule ma soeur conservait une place à part dans mes pensées.
Savions-nous déjà ce qui nous attendait? Devinions-nous que nous allions passer la plupart de nos instants ensemble? Avait-il déjà conscience de l'importance que j'allais prendre dans son existence? Je crois que oui, car il se comportait déjà avec moi et ma cadette comme il le fait encore aujourd'hui. Il avait déjà ce respect, cette courtoisie à notre égard et une certaine tendresse vis à vis de moi.
Notre chemin a duré assez longtemps ce me semble, mais comme l'aube ne vint pas ce jour-là et que la nuit s'étendit même sur les heures du jour, je ne puis préciser le moment ou j'arrivais au palais.
C'est à ce moment que ma vie entière bascula. Freya ne vit jamais ce qui se produisit car elle fut emmenée presque dès notre arrivée dans l'une des chambres d'invités du palais. On voulut m'emmener auprès d'elle, ce que je n'allais pas refuser, quand Siegfried me retint par le bras, comme pour me demander muettement de lui faire confiance et de le suivre. Je ne le connaissais pas, je n'avais que vaguement idée de qui il était et pourtant, je savais déjà que je l'aurais suivi à l'autre bout du monde s'il me l'avait demandé. Je devinais de plus, que l'on s'occuperait bien de ma cadette et que je n'avais nullement de crainte à avoir dans la demeure du prêtre d'Odin.
Je reverrais toujours les yeux de Siegfried m'invitant à le suivre, sa main entourant me bras et glissant ensuite sur mon poignet pour m'attirer dans sa direction. Sans un mot, j'ai suivi ses pas.
Nous avons traversé un bon nombre de couloirs du palais, j'avais en réalité l'impression de me trouver dans un véritable dédale. Nous passions souvent devant de larges et hautes fenêtres contre lesquelles se déchaînaient les bourrasques de neige et je ne me lassais pas d'admirer la splendeur de certaines salles. Je supposais peut-être déjà l'endroit ou il m'emmenait, car je m'y étais souvent rendu dans mon inconscient, du moins, c'est ce que je crois.
Quand d'immenses et larges portes de bronze se découpèrent devant nous, je restais interdite un moment. Derrière que pouvait-il y avoir hormis mon destin? Je sentais que c'était pour cela que j'étais sorti, que c'était pour cette raison que j'avais fais toute cette route, que j'avais décidé de m'en aller de chez moi, de laisser tout ce que j'avais toujours connu jusqu'à présent.
-Avez-vous peur? me demanda Siegfried.
Je secouais la tête en signe de négation. Non, je ne craignais rien, pas ici et pas avec lui en tout cas.
Et il fallait que je le fasse.
Il m'a alors ouverte les immenses portes avec une facilité déconcertante pour un enfant de son âge. Alors, la cours intérieure s'offrit à ma vue, ainsi que la gigantesque statue d'Odin que l'on voyait de l'autre bout du royaume. Tout le sol était fait de marbre dans les teintes foncées, et le lieu était extrêmement vaste. Il y avait juste devant le protecteur d'Asgard une bonne dizaine de marches et un promontoire ou je...non, ou le prêtre devait prier.
Etrangement, la suite se déroula comme dans un rêve. Comme si je flottais entre la réalité et l'abstait. Je me suis avancée, traversant la cours d'un pas lent et mesuré, avec la grâce d'une princesse venue reprendre son rôle et ses titres qui lui auraient été ravis. Car c'était bien cela que je vivais, je reprenais mes fonctions, je saisissais ma destinée. Toutes mes actions, avais-je l'impression, étaient exécutées au ralenti.
J'aurais du avoir froid dans cette tempête que sévissait de plus bel et pourtant, je ne tremblais pas car quelque chose m'entourait...ma cosmo-énergie évidemment. Elle était du blanc le plus profond, le plus pur, comme la couleur de la neige et elle me réchauffait. Je repoussais d'un mouvement de tête mon capuchon et tout mes cheveux se répandirent sur mes épaules et dans mon dos comme un épais rideau gris pâle.
Je montais alors les marches qui me guidait vers mon lieu de travail et je ne peux décrire l'exhaltation que j'ai ressenti à cet instant. Il se produisait un phénomène magique, j'étais comme...délivrée de tout ce que j'avais toujours vécu jusqu'à présent. Plus rien ne comptait que ce pourquoi je m'étais rendue dans ce château qui était finalement mien depuis toujours. Oui.
Un frisson me parcourut, je sentis l'euphorie me gagner, la joie m'envahir, ou plutôt, me submerger de toute part. J'étais entrain de redevenir celle que j'étais vraiment.
Je savais que se tenait prêt des portes de bronze Siegfried et qu'il m'observait, me protégeant du regard et vérifiant que tout se passait bien.
Je relevais légèrement ma robe pour gravir les dernièrs marches des escaliers et je m'avançais jusque devant le rebord du promontoire. J'avais la chair de pouls, non pas que le froid prenait possession de ma personne, mais parce que je réalisais ma destinée, que ma vie entière se jouait en quelques minutes, que tout me semblait démesuré, l'endroit ou je me trouvais, les sentiments que j'éprouvais...
Je tendis alors mes mains vers la statue d'Odin, paumes tournées vers les cieux et je fermais les yeux en élevant les bras au-dessus de ma tête. Ma fourrure glissa à cet instant de mes épaules et glissa au bas des escaliers mais je n'en avais que faire. Je sentis l'énergie jusqu'alors sommeillante en moi, s'éveillée, m'entourer de façon encore plus accrue.
Et un véritable miracle se produisit.
La neige, la neige qui tombait jusqu'alors se transforma...elle ressemblait à présent à, oui, des gerbes argentées tombées de la voûte céleste et qui pleuvaient sur le royaume d'Asgard, sur ce royaume dont j'étais la souverraine.
-Odin, dis-je, d'une voix forte et assurée, Reconnaissez moi comme votre digne représentante. Je serai votre fidèle servante jusqu'au dernier de mes jours, Seigneur Odin, permettez-moi de recouvrer mes fonctions de prêtresse, car elles sont miennes depuis le premier jour et car je vous obéirai toujours loyalement. Laissez-moi devenir vos yeux sur le royaume d'Asgard, mais aussi votre voix, car je suis votre interprête.
D'ou connaissais-je tous ces mots? Comment pouvais-je savoir la manière dont je devais m'adresser au maître du Pôle Nord?
C'était tout simplement les mots de l'âme que je prononçais, sans aucune hésitation. La pluie d'étincelles argentées devint encore plus forte et j'entendais les cris d'étonnement qui venaient de toute part, car la cours intérieure était envahie pour les habitants d'Asgard qui ne saisissaient pas ce qui se produisait. Le verglas se transformait en glace argentée ou avait des nuances d'arc en ciel alors que mon cosmos envahissait tout le palais.
J'avais toujours les bras levées et je sentis la statue d'Odin s'ébranler et se mettre à trembler alors que le peuple d'Asgard sortait de ses maisons pour venir voir ce qui se produisait. La terre tremblait, vascillait et c'était le spectacle le plus impresionnant auquel il m'aille été donné d'assister. Il me reconnaissait comme sa prêtresse, il reconnaissait ma valeur, mes fonctions et m'accordait sa confiance. Je devenais l'interpête d'un dieu et je sentais qu'il communiquait avec moi.
C'est alors que je la vis. Elle était posée au pied de la statue d'Odin et donc, un précipice nous séparait...mais cette contrainte purement physiquement n'avait nullement importance et je tendis la main vers elle. Alors, la lance noire, symbole de mon autorité, vint directemment se placer dans ma paume et j'en saisissais le manche avec fermeté. Il n'y avait plus aucun doute sur mon identité et je souris. Je ne pus empêcher un sourire de béatitude de flotter sur mes lèvres car j'étais entrain d'éxecuter un miracle. C'est alors que je me retournais vers l'intérieur de la cours et que je les vis.
Tous.
Ils étaient tous là. Tout Asgard se trouvait à mes pieds et ils s'étaient agenouillés devant la statue d'Odin. Un nouveau frisson me parcourut. Un peuple entier avait répondu à l'appel. C'était incroyable de voir cela, tant de personnes différentes, qui ne se connaissaient pas, toutes rassemblées pour ne plus former qu'un, pour se donner la main et garder en eux le meilleur de l'humanité.
Je crois que mes yeux s'embrumèrent de pleurs et des larmes de joie coururent le long des mes joues. Je brandis la pointe de ma lance vers les cieux, vers Odin lui-même, le priant de venir se joindre à nous.
Je n'avais rien à dire, à ajouter, pas de discours à prononcer car ce que tous ces gens vivaient était bien assez fort pour se passer de mots. Nous n'étions plus qu'un même peuple, réuni par une même cause, un même amour de la Terre, de cette terre qui était nôtre et pour laquelle nous n'hésitions pas en enduré les souffrances perpétuelles des hivers sans fin.
Je balayais alors du regard toutes ces personnes que j'aimais de chaque fibre de mon être, que je respectais, que je protègerais et je les vis...ceux qui allaient devenir plus tard mes fidèles amis. Ils étaient encore très jeunes, mais eux aussi, avaient fais le déplacement seul ou avec leur famille pour venir voir mon ascencion.
Syd me regardait avec respect et calme, au premier rang, un genoux posé à terre et une noble expression sur le visage, Hagen était non loin de lui, une expression de bien-être flottant sur ses lèvres, comme s'il savait que j'étais déjà apte à conserver cette paix si durement acquise par le royaume. Puis venait Mime, l'insaisissable Mime et son sourire un peu ironique et indifférent, comme s'il n'acceptait que de se joindre à moitié à la liesse générale, ensuite arrivait Albérich et son regard déjà brillant d'intelligence et sans doute d'une certaine convoitise alors qu'il m'observait en me détaillant de la tête au pied.
Et enfin, il y avait Siegfried, qui m'attendait, debout, au pieds des escaliers. Je resdescendis au bout de quelques minutes alors que la foule scandait des hymnes à la gloire d'Odin et sans doute à la mienne, même si je m'en estimais pas digne.
Mon pas était lent et mesuré alors que tout Asgard avait les yeux rivés sur moi.
Alors que j'arrivais à la hauteur de Siegfried, il m'entoura les épaules de la fourrure que j'avais laissé tombé précedemment, alors que j'invoquais Odin pour la première fois et il s'évertua à fermer ma fourrure pour me protéger du froid mordant qui ne m'atteignait plus. Je l'ai alors regardé dans les yeux et sourit et il m'a rendu mon expression de joie en prenant ma main dans la sienne et en pliant humblement la tête pour le baiser.
-Princesse, murmura-t-il.
Je me suis ensuite tournée vers les fenêtres du palais et je me suis figée en découvrant Freya dans les bras de l'ancien prêtre d'Odin. Elle n'avait nullement l'air effrayé et le vieux homme avait la mort sur le visage. Alors, malgré la distance qui nous séparait et le grondement qui émanait de la foule, j'ai compris les mots qu'il prononçait. J'ai vu ses lèvres les former.
Et j'ai souris, comprenant qu'il pouvait partir tranquille. Il m'appelait.
Hilda de Polaris.

Mes parents, je ne les ai pas revu après cela.
J'ai pourtant appris que mon père était parti à cheval durant la nuit et qu'il était mort en se rompant le cou suite à une mauvaise chute. J'en ai été affecté évidemment, mais pas autant que j'aurais du l'être car il ne méritait pas que je m'épenche sur lui, c'est du moins ce que je croyais à l'époque. Maintenant, je suis plus encline au pardon, car mes souvenirs de mon existence avec lui sont moins vivaces et donc, moins difficiles à évoquer.
Ma mère, pour sa part, n'a jamais su ou j'avais disparu, car elle a préféré s'exhiler ailleurs, loin de nous et recommencer une autre vie. Je pense qu'elle a une nouvelle famille à présent, d'après ce que Mime, qui voyage beaucoup, m'a appris en tout cas. Elle vivrait en Norvège avec ses deux filles et son mari...cela me rappelle une autre histoire...
Une histoire que je ne suis pas prête d'oublier car elle m'était en scène une Hilda que je ne connais plus que vaguement. J'espère seulement que ma génitrice est heureuse maintenant, car pour ma part, je crois que je le suis. Tout comme Freya.
Mais le bonheur sur terre peut sembler si fugage, si éphémère, qu'il faut le savourer dès qu'on le tient entre ses mains, ce qui arrive malheureusement bien rarement et à peu de personnes car c'est un état difficile à atteindre.
Je ne pense pas parler en pessimiste quand je dis cela, car je suis une personne qui n'abandonne jamais, seulement, je pense que je juge de façon assez lucide la nature humide et celle-ci en veut toujours plus. Ce n'est pas par méchanceté, mais par besoin, comme un instant qui les pousseraient à toujours rechercher davantage comme si le fameux bonheur que j'évoquais précédemment en dépendant. Je sais qu'ils font fausse route mais je ne peux pas leur dire, car je ne suis moins aussi qu'un être humain, même si je me trouve un rien plus proche des dieux qu'eux.
Mais, je ne veux rien de plus que ce que j'ai. Conserver ce que l'on a déjà est une tâche déjà bien assez difficile ainsi et j'ai trop de choses à songer.
Mon peuple a faim, il a froid aussi, mais je ne peux rien faire pour eux que de tenter de les réconforter par la prière ou par quelque encouragement. Je sais que ce n'est pas suffisant, mais je ne peux rien leur offrire d'autre que le réconfort d'un sourire ou d'un geste amicale.
C'est pourquoi j'estime que j'ai tant de chance, même si leur misère me pèse souvent comme si elle était mienne. Je ne regrette rien de ma vie, exceptée sans doute, le fait d'avoir perdu la pureté de mon éclat d'autrefois, mais il suffit de me regarder Freya évoluer pour le comprendre.
Mais il est vrai que je ne suis plus la même.
Que je suis la personne montée il y a de cela bien longtemps sur le promontoire.
Je suis la personne dont un vieil a prononcé le nom du bout des lèvres juste avant de mourir. Hilda de Polaris.

Polaris Hilda
"L'appel des Etoiles"

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Cette fiction est copyright Caroline Mongas.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.