Chapitre 8 : Le Tranchant des Choix


Mémoires de Shura, chevalier d'Or du Capricorne


J'entendais encore la voix du prêtre qui résonnait à mes oreilles, mais comme à mon habitude, je refusais de me montrer. Il n'était pas question qu'il m'attrappe pour encore recevoir une punition, héritage et logique continuation de l'impaire que je venais de comettre ce matin-là, alors qu'il était entrain de dire la messe à tout le village espagnole dans lequel j'habitais.
Ma mère était morte en couche, et mon père, ne se sentant apparement pas capable d'éduquer seul un enfant, avait choisi de me laisser aux bons soins de la paroisse la plus proche de laquelle il habitait. Il était venu en personne, d'après le père Pedro qui dirigeait le monastère, expliquer la situation car il n'était pas un homme aussi lâche que l'on pouvait le croire, du moins d'après eux.
Mais à leur différence, je n'étais pas une personne d'église, et ne comptais pas le devenir malgré toutes les aspirations qu'ils formulaient pour moi, et je n'avais pas appris la pardon comme eux. Je n'arrivais pas à concevoir que mon géniteur puisse être encore en vie, et ne se souciait pas même de son fils... c'était tout de même inconcevable.
Les prêtres, quand ils me racontaient le jour de mon arrivée dans ce lieu qui me donnait l'impression d'évoluer depuis toujours dans une prison, précisaient qu'ils avaient essayé par tous les moyens de ramener mon père à la raison, mais que rien ne l'avait fait changer d'avis. J'esquissais toujours un sourire ironique, du haut de mes quelques années, quand on en arrivait à ce passage de l'histoire. Mon géniteur, dont je ne connaissais pas même le nom, et encore moins le visage, se disait trop pauvre pour m'élever et trop peu enclin à la patience pour mener à bien mon éducation... une nouvelle fois, les excuses étaient de mises avec lui.
Cet abandon, je n'ai jamais trouvé en moins la force de le pardonner, de l'absoudre, et ce malgré les années qui passaient. C'était pour moi le symbole de tout ce que je ne devais pas devenir ou faire. Tout au long de son existence, on est obligé d'assumer ce que l'on a fait, en digne héritier de notre propre passé, de nos propres actions, et je ne comprenais décidement pas pourquoi les hommes se donnent parfois le choix, là ou il n'y en a pas à faire.
Assumer sa vie, c'est le seul moyen d'être adulte, et je sais que pour moi, quelque soit les erreurs que je comettrai dans mon existence, et je suis persuadé qu'il y en aura malgré l'idéal de perfection que je m'étais fixé, je ne détournerais pas le visage, je ne tenterais pas de me dérober et je resterai la tête haute face à ce que j'ai commis et tenterais de réparer. C'est la seule manière valable de se comporter.
Les prêtres, je les connaissais depuis ma naissance puisque j'étais élevé parmi eux et j'étais même, pour la plupart du monastère, considéré comme l'un de leur groupe, ce qui ne me faisait pas plaisir. Etrangement, je n'ai jamais cru en la religion, en ce dieu que ceux qui m'élevaient adoraient. Ils avaient beau me raconter maintes et maintes parabols, je restais stoïque et impassible, en une attitude qui n'allait plus jamais me quitter, face à ces histoires qui me laissaient de marbre et qui sonnaient étrangement faux à mes oreilles.
Je ne savais dire pourquoi, mais je devinais que quelque chose d'autre m'attendait, qu'un autre destin se profilait pour moi à l'horizon, même si je ne savais pas vraiment de quoi il s'agissait. J'avais parfois l'impression qu'autre chose nous gouvernait que ce dieu dont j'entendais sans cesse parler. Ce n'était pas cela qui dirigeait les hommes, qui les voyait évoluer, et au plus profond de mon âme, je le devinais déjà.
Combien de fois ne m'étais-je pas fait réprimander ou frapper par l'un des prêtres pour leur avoir rétorqué, avec trop de véhémence, que leurs fables n'étaient que des coquilles creuses qui n'avaient pas tout intérêt que de rassurer le genre humain? Je ne pouvais plus les dénombrer, mais au moins, avais-je le mériter de soutenir mes idées envers et contre tous, même si cela déplaisait grandement à la plupart.
Je ne m'entendais d'ailleurs pas extrêmement bien avec les prêtres, qui me parlaient sans cesse d'embrasser une carrière semblable à la leur. Je possèdais un tempérament intransigeant, impassible, froid, direct... autant de qualités, ou de défauts, tout dépendant du point de vue, qui entravaient leurs ambitions. Ils essayaient pourtant de me faire changer, mais n'y parvenaient absolument pas, malgré les leçons de maintien ou d'éducation religieuse auxquelles j'eus droit durant les cinq premiers années de mon existence.
Je me revois encore, m'engageant à l'allure d'une course folle dans les couloirs du monastère, tournant si vite dans les intersections que je manquais de me cogner aux murs, quelques prêtres à mes trousses, prêts à tout pour me faire suivre l'un de leurs cours de latin que je fuyais comme la souris se cache du chat. Je m'amusais, alors que je venais de me cacher dans l'une des trapes dont recellait la demeure, à les entendre s'essouffler, passer plusieurs fois au même endroit sans me voir, et finalement abandonner en mentionnant simplement que je serai bien obligé de reparaître un jour ou l'autre. Et malheureusement, ils avaient raison...
Leurs corrections n'étaient pas de celles que je pouvais appeler des plus chrétiennes... ils étaient des curés de campagne, et avaient donc pour habitude de corriger l'impertinence à l'aide d'un bon bâton dans le bois le plus solide, avais-je l'impression, qui puisse exister. Ils disaient que c'était pour m'apprendre la vie et forger mon caractère et en un certain sens, ils n'avaient pas tort.
Je ne leur en voulais jamais quand ils devaient me châtier de la sorte, car je comprenais aisément leurs motivations et leurs colères vis à vis de moi. Cependant, je ne manquais pas de leur faire remarquer que ce n'était là pas des techniques que leur dieu de miséricorde aurait apprécié. Ils enrageaient quand je répliquais cela, mais ils ne pouvaient pas non plus me contre dire étant donné que j'avais raison.
De plus, il y avait toujours des phénomènes étranges qui se produisaient avec moi et l'un d'entre eux reste particulièrement gravé dans ma mémoire.
Je me souviens que le père Miguel m'avait enfin attrapé au travers d'une course assez serrée dans tout le parc du monastère et avait décidé de m'administrer la juste punition qui convenait à mon insupportable indiscipline. Il brandit alors le baton dans ma direction, prêt à l'abattre sur mon dos. Je revois encore l'objet se rapprochant de moi, le visage contrarié du prêtre qui était dans l'obligation de faire cela et qui n'en avait pas la moindre envie, et mon désir d'échapper à ce châtiment. C'est alors que je me suis décidé à réagir, à éviter cette correction et que j'ai brandis l'un de mes bras, comme pour me protéger. Et contrairement à la violence du coup auquel je m'étais préparé, j'ai entendu un curieux bruit de craquement et j'ai alors vu le bout de bois se fendre en deux pour finalement venir s'abimer à mes pieds.
J'ai échangé un regard incrédule avec le prêtre, que ma punition n'intéressait absolument plus, et qui se demandait autant que moi comment ce miracle avait pu se produire.
Quand il relata cet évènement à tout le monastère, chacun se mit d'accord à dire que c'était un simple phénomène naturel qui m'avait offert la chance d'échapper à mon châtiment.
Je crois que j'aimais bien les prêtres, malgré les incessants affrontements que nous connaissions. Et ils me rendaient bien l'amour que je leur donnais, de manière assez étrange tout de même. De très forts sentiments nous unissaient malgré tout ce que l'on pouvait faire, et cela, je ne pouvais le nier, tout comme je ne pouvais m'en passer. Je n'avais après tout connu qu'eux depuis ma naissance et de leur côté, ils me considèraient tous comme leur fils, la mascotte de leur monastère.
Simplement, si je me retrouvais souvent opposé à eux, c'était à cause de mon caractère insoumis et malheureusement peu docile. J'étais la sincérité incarnée, je disais toujours ce que je songeais quitte à en payer plus tard le prix. J'étais dur, endurant, et extrêmement brillant malgré mon très jeune âge. Mon intelligence ne se mesurait pas à ce que je savais ou ce que je comprenais, c'est à dire pas grand chose lorsque l'on essayait de m'inculquer les rudiments de latin, mais à la manière dont je réagissais, à la facilité avec laquelle je pouvais juger les personnes et ma capacité à assumer tout ce que je faisais. C'était ainsi que je voulais me voir de toute manière, et je comptais bien grandir toujours dans la même optique.
Ces cinq années dans mon monastère, j'en garde de bons souvenirs, comme de plus mauvais, mais rien n'est parfait en ce bas monde, hormis celle que j'allais vénérer avec toute la ferveur dont j'étais capable.
Les prêtres et moi n'avions certes pas de rapport dit parentales, mais il s'était créé entre nous une complicité, une compréhension qui allait bien au-delà de la simple amitié. Je m'étais attaché à eux, et je me demande encore ce qu'ils ont du ressentir lorsque j'ai disparu du monastère. Au début, ils ont sans doute cru qu'il ne s'agissait encore que d'une simple fugue de ma part, mais peu à peu, du moins je l'imagine, ils ont du comprendre que je ne reviendrais jamais et je peux simplement espérer qu'ils ne considèrent pas cela comme une trahison, d'autant plus que je n'ai pas même eu le temps de leur dire aurevoir.
La messe venait de commencer ce matin-là, et j'étais particulièrement en colère parce que l'on m'avait encore réveillé à l'aube, condamné à une leçon de latin puis de grec ancien, puis envoyé de force au verger pour cueillir ces fameuses oranges que notre chaud soleil d'Espagne avait la particularité de faire pousser en abondance. J'avais eu beau plaider que nous étions en juillet et que tous les autres enfants avaient probablement la chance de se reposer tranquillement chez eux, j'avais été contraint de me rendre parmi ces arbres que je maudissais autant que que le père Pedro qui me forçait à ce travail.
Pourtant, je n'étais pas fainéant, et cela ne me ressemblait guère de vouloir ainsi me dérober à l'une de mes obligations, simplement, je savais que ce matin là, mon père devait venir pour rencontrer les prêtres et leur demander de mes nouvelles. Je savais fort bien qu'ils essayaient donc tous de m'éloigner de lui et des éventuelles souffrances que cette rencontre aurait pu engendrer.
Cependant, je n'étais pas fragile comme ils le pensaient, et je me serrai contenté de le toiser des pieds à la tête, avant de lui lancer au visage ce que je pensais réellement de son innomable conduite. Cela n'aurait pas constitué pour moi une vengeance, j'étais au-dessus de ce sentiment, mais je songais simplement que cela m'aurait permis de faire ressortir toutes ces émotions qui bouillonaient en moi. Et j'aurais ainsi donné la possibilité à mon père de comprendre que son ridicule déplacement, pour voir un enfant qu'il avait abandonné cinq ans auparavant, était bien inutile et qu'il pouvait ainsi s'épargner cette peine.
Et c'est ce que je me répétais sans cesse, maugréant à voix basse, alors que j'étais monté sur une échelle de bois que j'avais appuyé contre le tronc d'un oranger. Je cueillais les fruits, les pommes d'or comme les Grecs les avaient autrefois baptisées, et je tendais l'oreille, espérant entendre une bribe de conversation provenant du monastère... pourtant, je savais que j'étais placé bien trop loin pour cela et que je n'avais que peu de chance de savoir enfin à quoi la voix de mon géniteur ressemblait. Je ne m'étais jamais posé de question sur lui, songeant simplement qu'il n'en valait pas la peine, et même quand les prêtres voulaient me le décrire, je détournais le visage et partais sans ajouter un mot. Cet homme ne méritait pas mon intérêt, ni rien venant de moi et c'est pourquoi je me dis soudainement que je faisais aussi bien d'être ici plutôt qu'en haut, ou je lui aurais donné la chance de m'apercevoir. Il était indigne de mon regard de toute manière...
Je hochais vigoureusement la tête alors que j'entendis des pas derrière moi. Je ne me retournais alors guère, pensant simplement qu'il s'agissait d'un prêtre venu vérifier si mon travail se passait bien, et si je n'avais pas trop chaud sous le soleil de plomb qui brillait aujourd'hui au-dessus de l'Espagne. Je haussai les épaules avec une feinte désinvolture sans même me retourner alors que mes reflexions vagabondaient toujours vers ce géniteur inconstant.
Et c'est pourquoi, lorsque le sac de toile s'abattit sur moi, je n'eus pas le temps de pousser le moindre cri.

C'est au Sanctuaire que je me suis réveillé, que j'ai ouvert pour la première fois mes yeux sur ces ruines sacrées... étrangement, je n'avais pas peur de ce qui m'était arrivé, et que l'on pouvait sans crainte qualifier d'enlèvement. Je me sentais bien entre ses vieilles pierres qui m'entouraient, comme si j'avais enfin trouvé ma place en ce bas monde, et que j'avais réussi à trouver un endroit ou pour une fois, je n'étais pas en désaccord, comme dans mon monastère.
La première personne que j'ai vu était l'homme qui m'avait jeté de force dans un large sac, destiné à porter des oranges plutôt qu'un enfant. Il était assez grand, avec des cheveux d'un blond pâle et de grands yeux bleus myosotis posés en permanence dans le vague, comme s'il se perdait dans ses propres songes. Il se nommait Orphée et était chevalier d'Argent. C'est lui qui m'a expliqué pendant plus d'un aprèd-midi les rouages du Sanctuaire, ces destins que les guerriers d'Athéna embrassaient sans peur, sans jamais regarder derrière eux et sans se poser de questions quant à la mort ou l'inéluctable.
Et là, je compris... je sus que cette vie avait été inventée pour moi. Depuis ma naissance, j'étais volontaire et intransigeant et je me devinais prêt à tous les sacrifices quand il était question de défendre ce en quoi je croyais... et j'avais déjà une confiance aveugle en Athéna et en le Grand Pope.
Ils étaient, l'un et l'autre, tout ce que j'avais toujours désiré être. Ils se battaient pour leurs idées, représentaient une perfection à laquelle j'aspirais, la droiture et la justice guidaient leur vie, et je tombais bientôt en pâmoison devant ces deux icônes de paix. Et je ne savais pas encore qu'ils allaient diriger toute ma vie, que j'allais leur dédier chaque seconde de mon existence avec une fidelité que l'on ne rencontrerait peut-être jamais plus au Sanctuaire.
Je me souviens aussi des personnes dont j'ai fait la connaissance là-bas, de Saga, qui s'entraînait afin de conquérir l'armure des Gémeaux et qui était, de loin, le plus puissant de nous tous, de son ami, Fomalhaut, un garçon à l'intelligence remarquable et qui désirait s'approprier l'armure d'argent du Poisson Austral et bien-sûr de celui qui allait devenir mon meilleur ami, mon frère d'esprit, Aioros, qui convoitait la cloth du Sagittaire. Je n'ai jamais douté que tous quatre, nous parviendrions au but que nous nous étions fixés et l'avenir me donna évidemment raison.
Dès que je sortais des Pyrénées ou avait lieu mon entraînement, je me souviens que mon maître m'emmenait en Grèce ou je retrouvais mes compagnons d'idées qui vivaient pour leur part à l'année dans le Domaine Sacré. Je me souviens encore d'Aioros, agitant les mains alors qu'il m'attendait en haut d'une colline et qu'il me faisait signe de me presser.
A force de nous voir ensemble, de nous entendre parler, de nous regarder évoluer l'un à côté de l'autre, chaque personne habitant le Sanctuaire nous considérait comme indisociable.
Pourtant, nous étions radicalement opposés par nos caractères. Autant mon ami était doux, compréhensif et indulgent, autant j'étais dur, froid et intransigeant... et c'est sans doute ce qui formait notre complémentarité. Mon ami avait une manière d'être qui me charmait autant qu'elle me choquait. J'étais parfois outragé devant sa façon de voir les personnes qui l'entouraient, son aptitude à accorder le pardon en un battement de cils, alors que, de mon côté, je restai de marbre face à ceux qui se repentaient sans véritablement possèder le désir d'absoudre leurs crimes.
Cependant, et malgré nos incroyables différences, je ne portais jamais le moindre jugement sur Aioros, tout comme il ne le faisait pas plus avec moi. Nous étions trop opposés pour pouvoir être comparés, et cela, les personnes vivant près de nous avaient du mal à le comprendre.
Je me rappelle le jour ou j'ai obtenu mon armure et ou Aioros est venu me féliciter. Je le revois entrain de me taper l'épaule amicalement, presque fraternellement car c'était là un geste qu'il aurait pu avoir pour Aiolia.
Je me souviens d'ailleurs assez bien de son frère cadet, trop jeune pour devenir chevalier, mais déjà agité par le désir de rentrer dans notre confrérie. J'espèrais sincèrement qu'il arpenterait la même voie que son aîné et qu'il donnerait d'aussi bons résultats que lui. Aiolia avait une admiration sans borne à son égard, et même au mien. Il arrondissait les yeux et la bouche lorsqu'il nous voyait passer, revêtus de nos armures, avant de se précipiter dans notre direction pour nous assaillir sous un flot d'interrogations.
Je n'ai jamais été très patient à l'égard des enfants, même si je les apprécie car ils forment l'avenir de notre monde et donc du domaine d'Athéna, ni de personne, hormis peut-être d'Aioros lui-même.
Ils nous arrivaient parfois de discuter des heures entières de nos pensées, de nos réflexions, de nos idéaux et si tout se rapprochait, ils nous arrivaient parfois de diverger radicalement sur d'autres points. Mais cela n'avait guère d'importance car nous prenions toujours le temps de nous expliquer.
Je revois encore mon compagnon de toujours tenter de me faire changer d'avis, essayer de faire fléchir mon esprit afin de m'adapter à ses positions... tout cela en vain. J'avais beau lui dire sans cesse que toutes ces paroles ne servaient à rien, il se lançait en permanence le défi de me convaincre un jour de ses idées.
Lorsque je croyais en quelque chose, je ne trahissais jamais mes opinions, je m'y accrochais avec toute la force que je possédais et je combattais tous ceux qui osaient s'opposer à moi, quitte à y prendre beaucoup de coups. J'affirmais mes idées devant tous ceux qui me le demandaient, n'hésitant jamais à dire ce que je songeais même si cela pouvait choquer. J'étais de ceux qui croyaient plus que tout en une justice expéditive et en Athéna et je n'aimais guère être contredit, d'autant plus que je savais généralement avoir raison.
Je crois qu'Aioros me tempérait assez souvent, avec son caractère calme et posé, sa voix douce et ses manières lentes et mesurées. Pourtant, je n'étais pas quelqu'un à m'énerver facilement, au contraire, j'avais plutôt la particularité de rester stoïque durant les disputes. Être froid comme le marbre et dur comme de la pierre permettait souvent de mieux faire entendre ses idées, car je savais, par expérience, que l'on a guère envie de suivre les avis de quelqu'un qui les clame en élevant la voix. C'était d'ailleurs un de mes points communs avec mon meilleur ami.
Nous partagions aussi le même but, la même envie de protéger Athéna et d'avoir un jour la chance de la rencontrer. Nous croyions en la justice, même si mon ami avait des tendances idéalistes qui ne le portait pas aux mêmes conclusions que moi.
Il songeait généralement qu'un jour, le monde connaîtrait le calme, que tous les hommes pourraient se tendre la main et qu'il fallait simplement les aider.
J'aurais voulu le suivre dans ses pensées, dans ses utopies si agréables et qui me donnaient matière à réfléchir mais j'étais aussi là pour le faire redescendre sur terre. Ce n'était pas ainsi que tout marchait et c'était au prix du sang, de la sueur et de nos vies que l'on achetait cette paix bien éphémère. Il comprenait ce que je voulais dire, même s'il trouvait cette manière de penser quelque peu défaitiste.
Pour ma part, je trouvais cela être tout simplement lucide et je ne manquais jamais d'être réaliste car cela évitait bien des désillusions. C'était d'ailleurs le destin lui-même qui m'avait forgé ce caractère, tout en me laissant le choix. J'aurais pu être différent, j'aurais pu être un enfant doux et appeuré par l'existence, mais j'avais décidé de m'endurcir, de faire face aux personnes, de ne pas cacher ma vue derrière mes mains de peur d'être déçu. Mieux valait s'attendre à ce qui nous tombait dessus, plutôt que de s'étonner le jour ou un drame se produisait.
On pouvait donc dire que je n'étais pas homme à accorder facilement ma confiance, excepté à Aioros et au cercle très restreint de mes amis, et j'avais tendance à me méfier de ceux que je ne connaissais pas et qui n'avaient pas encore fait leur preuve.
Peut-être étais-je ainsi car j'avais peur d'être blessé, comme lorsque j'avais appris que mon père, encore en vie, ne voulait plus de moi. Peut-être était-ce finalement une blessure de mon enfance qui guidait toute mon existence... je le supposais même si je n'en étais pas certain. Je songeais simplement qu'il avait une part de cela, et une part de ma personnalité naturelle. Mais cela n'avait nullement d'importance, le principale était que je reste moi-même en tout temps et en tout lieu.
Je savais qu'Aioros aussi avait eu une enfance difficile suite à la mort de ses parents, car il s'était retrouvé seul avec son frère. Et je l'admirais pour la façon dont il avait pris en charge son cadet, qu'il avait décidé d'élever contrairement à mon père qui avait préféré me laisser dans un monastère. Mon ami avait fait fi de son jeune âge et avait immédiatement montré le désir de vivre après de son frère, le seul membre de sa famille lui restant et pour cela, il méritait le respect de chaque. En plus, il parvenait à mener de front son entraînement de chevalier et entretenait ses amitiés et c'était toutes ces qualités qui me laissaient un sourire aux lèvres lorsque je le voyais venir vers moi le matin.
Il représentait finalement peut-être pour moi un idéal que j'aurais souhaité être même si, pour rien au monde, je n'aurais changé de caractère.
Saga aussi était un homme remarquable, d'une maturité exceptionnelle et d'une bonté tenant presque du miracle. Il passait pour sa part tout son temps libre à arpenter le village de Rodorio, à tenter de venir en aide aux pauvres ou à distribuer le peu d'argent qu'il parvenait à récolter. Sa dévotion forçait l'admiration, même la mienne qui était pourtant plus que difficile à obtenir.
De son côté, Fomalhaut aiguisait chaque jour son incroyable intelligence et son goût du voyage. Il aimait les êtres qui l'entouraient et parlait de plus en plus de langues au fur et à mesure que les jours passaient. Son esprit était vif, remarquable et on ne pouvait s'empêcher de lui envier toutes ces qualités.
J'avais aussi conscience de ce qu'ils admiraient chez moi, comme ma façon de m'affirmer, de ne jamais hésiter à dire ce que je pensais, ma franchise, ma lucidité... et peut-être ma dureté, car elle me permettait de moins souffrir qu'eux de la Providence.
J'aimais mes amis, et ils me le rendaient au moins aussi bien.
Malgré nos différences, nos aptitudes, nous nous valions tous et rivalisions de part nos possiblités. Nous étions tous d'une certaine manière complémentaire, comme si nous avions chacun formé les pièces d'un puzzle indispensable à nos existences.
Et qui aurait pu croire que tout cela se briserait un jour? Comment aurais-je pu deviner que ma confiance serait trahi?
Nous grandissions, Aioros et moi, côté à côte depuis ce qui me semblait une éternité. Je finissais d'ailleurs même par me demander si ma vie auprès des prêtres avait un jour existé.
Le temps avait passé et depuis notre jeunesse, nous n'avions pas changé, restant égale à nous mêmes et à nos pensées que nous ne trahissions pas grâce à nos personnalités à la stabilité incroyable. Nous n'étions de toute manière pas de ceux appréciant le changement, surtout pas moi.
Et puis, je me souviens que durant les derniers mois, Aioros et moi nous entendions de mieux en mieux. Nous communiquions à un autre niveau, nos lèvres n'avaient parfois pas besoin de remuer pour que nous nous comprenions. Notre amitié était solide, dure, comme gravée dans une pierre indestructible depuis notre plus tendre enfance.
Cependant, il avait parfois un air inquiet sur le visage que je n'arrivais pas à m'expliquer... depuis quelques jours particulièrement. C'est presque comme si il me cachait quelque chose, il s'évertuait à me dissimuler un secret dont il n'oserait pas me toucher mot.
Mais en quoi pouvais-je bien l'effrayer? Nous nous étions toujours tout dit, n'hésitant pas à évoquer le moindre sujet quand il nous tenait à coeur.
Alors pourquoi ne parlait-il plus à présent? Je ne craignais malheureusement de connaître la réponse, même si une partie de moi ne voulait pas y croire. De plus, je ne songeais pas me méprendre.
Et puis, il y a quelque minutes, le Grand Pope m'a appelé en toute urgence, me convoquant dans les plus brefs délais. C'est à propos de celui que je songeais mon ami, et on n'a pas manqué de me préciser la gravité de la situation.
Mais dans l'existence, il faut faire des choix, choisir ses amis, son destin, son camp, trancher, couper, décider... à l'instar d'Excalibur. C'est ainsi, ce n'est ni une fatalité, ni un mode de penser. C'est la vie.
Apparement, Aioros a fait son choix... Et moi aussi.

Capricorn Shura
"L'Appel des Etoiles"

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Cette fiction est copyright Caroline Mongas.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.