Annexe 3 : Souvenirs d'un autre temps


"Mais as-tu donc perdu la tête ?"

Nike était furieuse, et cela se voyait. La jeune fille, d'habitude si douce, avait le visage empourpré, et ses yeux auraient lancé des éclairs s'ils avaient pu. En face d'elle se tenait l'objet de sa colère, sa sœur jumelle Némésis.

Jumelles était un mot qui semblait inadéquat tant les deux sœurs étaient dissemblables. Bien que toutes les deux étaient aussi grandes l'une que l'autre - héritage de leur tribu humaine - Nike possédait une peau claire et de longs cheveux fins blonds comme le maïs, tandis que sa sœur était halée, ses cheveux auburn ébouriffés ne descendant pas plus bas que ses épaules. De caractère aussi, les sœurs étaient fort différentes. Enjouée et un brin insouciante était Némésis, alors que Nike était toujours sérieuse, voire sévère.

Mais l'une comme l'autre étaient si belles que de nombreux mâles en Olympe rêvaient d'elles la nuit, et s'étaient posés en prétendants à leur main. Mais tous furent déboutés, car la condition pour être une suivante de la jeune déesse Athéna était d'être vierge. Et c'était là l'objet de la dispute.

"Non Nike, je ne suis pas folle ! Mais qu'y puis-je, je sais que je l'aime ! Je ne peux pas nier mes sentiments !"

"Tu sais que nous devons rester vierges afin de servir Athéna. Cela veut dire aussi bien de corps que d'esprit. Tout notre amour doit aller vers notre jeune maîtresse, elle doit être éduquée en cela ! Oublie donc ton Oron, tu ne dois pas l'aimer !"

Némésis fit claquer sa langue de mépris.

"Orion, pas 'Oron' ! Tu ne le connais pas, ça se voit ! C'est un homme fabuleux, un chasseur hors pair et bel homme de surcroît ! Et puis, je ne vois pas en quoi cela me gênerait d'aimer cet homme, ca ne changerait rien à ma façon d'éduquer Athéna !"

Les deux sœurs avaient été choisies par Héra dans une tribu primitive humaine qui la vénérait. Elles étaient alors âgées de dix ans et étaient destinées à devenir des vierges guerrières, honneur suprême dans cette peuplade. Les deux sœurs avaient été conduites en Olympe où elles burent l'Ambroisie qui donne longue vie, et furent chargées de l'éducation de la nouvelle incarnation d'Athéna.

La jeune déesse venait de naître pour la deuxième fois, car Zeus soutenait son pouvoir et lui permettait de traverser les cycles d'existence. Mais Athéna devait apprendre à se maintenir hors du cycle par elle-même, et cela devait faire l'objet de son éducation au cours de cette deuxième incarnation. Le Grand Dieu avait voulu s'occuper seul de cette fillette, mais sa femme, la sévère Héra, en avait décidé autrement, arguant que Zeus pourrait éduquer la déesse quand elle serait en âge de l'écouter, mais qu'en attendant, elle nommerait elle-même les meilleures tutrices.

Les deux sœurs avaient donc grandi avec Athéna, qui venait de fêter ses douze ans. Bientôt, elle serait déclarée majeure, et ses deux nourrices seraient alors libérées de leur mission, et pourraient résider, libres, en Olympe.

Pourtant, cette parfaite organisation dissimulait un piège. Lorsque Némésis et Nike furent devenues de belles jeunes filles, les pulsions qui habitent chaque humain commencèrent à se faire entendre en elles. Et se dévoila l'horrible machination de Héra : Nike et Némésis pourraient-elles rester vierges ?

Car la matrone avait bien précisé que si les jeunes filles chargées de l'éducation d'Athéna n'étaient pas de grande qualité, leur charge leur serait enlevée, et Athéna serait intégrée à la cour d'Héra. Si son éducation alors ne faisait plus de doute, les moqueries dont ferait l'objet la nouvelle protégée de Zeus, la rudesse de la Reine de l'Olympe, l'affecteraient sûrement.

Nike avait décidé qu'Athéna méritait bien qu'elle lui sacrifie sa jeunesse, et espérait que Némésis en fasse autant. Malheureusement, ce n'était pas le cas.

"Némésis, ma sœur, reprends-toi ! Dans moins de dix ans, Athéna sera majeure, et nous pourrons faire ce que nous voulons. Mais en attendant, tu dois refréner ce sang qui bout en toi ! Ne penses-tu pas que notre mission est plus importante que notre bonheur personnel ?"

"Facile à dire, pour toi qui es frigide ! Mais comment moi je pourrais..."

La gifle claqua comme un coup de fouet.

"Comment oses-tu dire ca ? Je ne suis pas plus frigide que toi réfléchie ! Crois-tu donc que les hommes ne m'attirent pas ? Crois-tu donc que je n'ai pas vu leurs regards envieux ? Mais moi au moins, je ne cède pas ! Je montrerai à Héra que je ne tombe pas si facilement dans son piège !"

Némésis gardait sa main sur sa joue brûlante. Les yeux baissés, l'air penaud, elle prit sa décision.

"Tu... Tu as raison, Nike. Je vais aller voir Orion, lui expliquer ma flamme, le convaincre d'attendre. Et s'il le veut bien, nous pourrons profiter de notre bonheur plus tard. Je... Je souhaite avoir la force de tenir jusque là."

"Je t'y aiderai, ma sœur."

"Bien dit !" fit une voix juvénile.

Athéna avait entendu une partie de la conversation alors qu'elle arrivait, mais n'avait pas voulu intervenir. Si elle l'avait fait, Némésis n'aurait pas pu prendre une telle décision seule. Athéna était déjà assez subtile pour comprendre les ressorts de la pensée humaine, malgré son jeune âge.

"Et j'irai moi aussi parler à Orion, lui dire combien tu veux l'aimer, mais que ton honneur et ta mission t'en empêchent pour le moment. S'il est sage, il comprendra que son intérêt est d'attendre. Quant à moi, je ferai tout pour me montrer mûre le plus tôt possible, afin que vous soyez libérées de votre serment. C'est là le plus raisonnable, non ?"

A ces mots, Nike et Némésis, les deux vierges sacrées, se jetèrent au cou de l'enfant, des larmes de joie perlant au coin de leurs yeux. Athéna méritait bien qu'on l'admire !




D'autres yeux observaient cette scène de réconciliation. Des yeux mauvais.

"Alors, cela te contrarie-t-il, ma sœur ?"

Eris, Déesse de la Discorde, lança un regard noir vers le moqueur Arès. La peste soit d'Athéna ! La gamine avait ruiné ses plans, qu'elle avait méticuleusement conçus pour briser cette fraternité si exaspérante entre les deux vierges. Et pire encore, ces trois femelles en ressortaient plus liées que jamais !

"Je suppose que ma contrariété te réjouit, mon frère ?"

"Tu supposes mal."

Arès avait l'air le plus sérieux du monde, et la légère crispation de sa mâchoire trahissait sa rage interne.

"Depuis que Athéna est ici, Zeus se désintéresse de mes exploits guerriers. Il ne cesse de me dire de prendre exemple sur cette gamine, qu'elle sait mener une guerre 'intelligente'. Ah ! Comme si la guerre était un jeu, une affaire d'esprit ! Qu'y connaît-il à la guerre, ce vieillard ?"

"Oh oh, si ce vieillard t'entendait, il te rappellerait qui est le père et qui est le fils. Voudrais-tu donc le défier ?"

"Je ne suis pas fou. Je sais qu'il est bien plus puissant que moi. Mais comme lui l'a fait avec Chronos, je saurai attendre d'être prêt avant de le détrôner. Mais pour l'instant, j'ai mieux à faire, et pour cela, j'aurai besoin de toi."

Eris haussa les sourcils.

"Tiens donc ? Et quelle mission exige mes compétences ? Il est si rare que tu avoues avoir besoin de quelqu'un..."

"Oh, crois-moi, tu seras parfaite pour ce rôle. Tu n'ignores pas que si les deux gardiennes venaient à faillir, Athéna deviendrait l'esclave de notre mère ?"

"Pas une esclave, mais un membre de sa cour."

"Tu vois une différence ?"

Eris se contenta de sourire. Un sourire cruel.

"Ceci contrariera fortement Zeus, et de plus, Athéna risque bien, après quelques années de ce traitement, de ne plus se montrer à la hauteur des espérances de mon père. Et alors, je redeviendrai le fier et unique Dieu de la Guerre !"

"Joliment pensé, mais quel est mon intérêt dans cette histoire ?"

"La satisfaction, ma sœur. Car une action directe ne me permettrait pas de discréditer les deux vierges, cela doit être fait dans l'ombre. Et je suis sur que de cela, tu tireras beaucoup de plaisir."

"Oui, je comprends bien. Et je vais t'aider. En les écoutant, je crois avoir trouvé un point faible dans leur entente. Mais avant toute action, je veux que tu me fasses une promesse. Quand tu seras monté sur le trône d'Olympie, il te faudra une reine. Pense alors à compter tes alliés."

"J'y penserai, chère sœur..." fit Arès en se penchant pour déposer un rapide baiser au bord des lèvres d'Eris.

Mais mentalement, Arès avait déjà en tête une autre déesse, bien plus séduisante. Et en plus, la Déesse de l'Amour, elle, ne le trahirait pas par la suite.




Athéna s'avança jusqu'au trône, puis s'agenouilla avec déférence. Zeus, depuis son siège, la regarda avec fierté. La jeune fille devenait plus belle chaque jour, ses traits enfantins s'harmonisant doucement pour prendre ceux, charmants, d'une femme. Son intelligence aussi s'aiguisait, et sa naïveté disparue, Athéna montrait un esprit vif et adroit, prompt à répondre aux attaques, mais toujours tourné vers la bonté.

Oui, Athéna devenait la jeune fille qu'il espérait. Zeus était fier d'être son père.

Certes, cette parenté n'était que symbolique, le sang de Zeus ne coulait pas du tout dans les veines de la jeune déesse. Mais c'était lui qui l'avait trouvée cent ans auparavant, jeune femme d'une grande beauté, au milieu de ses ennemis vaincus. Par son adresse et sa ruse, elle avait mis au sol des hommes bien plus puissants qu'elle, et elle avait pour cela puisé dans son âme la force. En l'espace d'un seul combat pour sa propre survie, elle avait découvert le secret des huit premiers sens qui mènent au Big Will. Impressionné par tant de volonté, Zeus avait pris la jeune femme sous son aile, l'avait emmenée en Olympe, et lui avait prodigué éducation et conseils. La jeune barbare, issue de cette époque primitive où les hommes ne connaissaient pas encore le feu, s'était bien adaptée, et Zeus lui avait donné le nom d'Athéna. Finalement, Athéna avait découvert le Big Will et était devenue une divinité, et Zeus avait soutenu son pouvoir pour passer le cap de cette première incarnation.

La nouvelle Athéna s'était réincarnée directement en Olympe, et s'était rapidement ouverte à l'Univers. Dans quelques années, elle serait sans doute assez douée pour ne plus avoir besoin d'aide afin de traverser les cycles d'existence, même si elle restait une déesse moins puissante que d'autres entités, en particluier les enfants de Chronos.

Zeus sourit. Athéna sentait déjà confusément que Zeus lui attachait bien plus d'importance que ce que son statut lui valait. Elle devait déjà comprendre que Zeus mûrissait de grands projets pour elle, même si elle n'en devinait pas encore la nature. Mais très bientôt, peut-être même au cours de cette incarnation, il pourrait lui expliquer la tâche ultime qu'il attendait d'elle, et lui confier le rôle de gardien qu'elle tiendrait sans faillir. Avec Athéna pour bouclier, la Terre et l'Univers entier pourraient vivre en paix.

Zeus abandonna ses pensées. Il n'avait pas fait venir la déesse juste pour l'admirer grandir et se réjouir de ce que son choix fut le bon. Des affaires urgentes attendaient d'être réglées, aussi il ne pouvait s'attarder à ne rien faire.

"Athéna, ma fille, j'ai de sérieux soucis."

"Des soucis, 'Père' ?"

Zeus sourit intérieurement à l'inflexion subtile qu'avait mis l'enfant sur le mot "Père", alors que lui-même avait appelé Athéna "ma fille" le plus naturellement du monde. Athéna était bien la déesse de l'intelligence, elle savait déjà tenir un discours à plusieurs niveaux.

"Oui. Mon fils Arès ne te tient pas en grande estime, il pense que tu veux lui voler sa place en Olympe. Je crains qu'il ne veuille s'en prendre à toi."

"Je ne le crains pas, Père. Arès est fort, mais il ne sait pas réfléchir. Sa bêtise se retournera toujours contre lui."

"Je sais cela. Mais tu ne dois pas le sous-estimer pour autant. Arès est ambitieux, je sais qu'il rêve de me détrôner bien que je sois sûr qu'il n'en aura jamais les moyens. Mais pour son ambition, il est capable d'oublier sa fierté, et de tirer parti d'alliés plus subtils que lui."

"Cela en fait un être dangereux, j'en conviens. Je vous remercie pour cet avertissement, Père, je ferai attention à lui et à ceux qui l'accompagnent."

Il y eut un instant de silence, qu'Athéna brisa timidement.

"Autre chose, Père ?"

"Je ne sais pas… C'est comme une impression étrange. En te voyant devant moi, j'ai eu soudain le sentiment que tu serais un danger pour l'Olympe. C'est pourtant tout le contraire de ce que j'attends de toi…"

"Cela a trait à la mission que vous voulez me confier ?"

"Non, ce n'est pas cela. Ou plutôt si, mais de façon détournée… Comment dire, c'est une impression si informelle… Peut-être… Peut-être que nous devrions consulter les Oracles, tout cela sent le présage…"

Zeus marmonnait plus pour lui-même que pour Athéna maintenant, aussi la jeune déesse prit congé, son père ne remarquant même pas sa présence. Elle ressortit troublée de cet entretien, car elle aussi, l'espace d'un instant, avait eu le sentiment d'un futur néfaste.

Hélas, ses prémonitions étaient toujours exactes.




NOOOOOOOOOON !!!

Némésis tomba à genoux devant le corps de l'homme qu'elle aimait, et à qui elle allait faire sa déclaration. Orion gisait dans une mare de sang, son corps presque réduit en lambeaux trahissait la sauvagerie avec laquelle on l'avait exécuté. Son visage si beau était maculé de sang, ses orbites vides après qu'on l'eut énucléé la fixaient comme en une silencieuse accusation. Car elle était bien coupable. Coupable de l'avoir aimé, ce qui lui était interdit. Coupable d'avoir des ennemis en Olympe, par sa relation avec Athéna. Coupable d'être si belle, d'attiser la convoitise qui peut transformer les plus charmants prétendants en tueurs rendus fous de jalousie.

Qui était responsable d'un meurtre si odieux ? Qui avait fait en sorte qu'elle retrouve ce cadavre sanglant, afin de la torturer ? Qui était assez monstrueux pour mutiler ainsi un être si beau ?

La colère bouillonnait dans le cœur de Némésis. Des visages passèrent devant ses yeux, c'étaient les suspects potentiels. Deux, trois visages. Bientôt dix. Des douzaines. Tous ceux qu'elle connaissait. Même Nike. Même Athéna. Même Zeus. Le sien.

Coupables.

Ils étaient tous coupables.

Coupable comme Héra d'avoir fomenté un piège destiné à Athéna et dans lequel ce serait elle, Némésis, qui souffrirait.

Coupable comme Zeus de ne pas avoir vu le piège d'Héra, et d'avoir accepté ce marché de dupe.

Coupable comme Athéna qui ne se révoltait pas contre un tel traquenard, et qui faisait ainsi le jeu des deux autres.

Coupable comme Nike d'accepter de se plier à ces divinités obscènes qui manipulaient le destin des humains.

Coupable comme elle-même d'avoir entraîné Orion dans ce complot.

Oui, tous étaient coupables.

Ils devaient payer. Orion devait être vengé.

Vengeance.

Oui, le mot s'imposait à son esprit. Vengeance, vengeance, voilà la vérité ! Voilà ce qui faisait tourner le monde ! Voilà qui expliquait tous les mystères !

Si l'homme n'avait pas en sa possession l'arme de la vengeance, alors les crimes seraient impunis. Si la vengeance n'existait pas, les remords, les regrets, la peur du châtiment n'existeraient pas non plus. Toute la raison humaine serait égoïste, sans aucune barrière pour maîtriser ces pulsions destructrices.

La Vengeance est prévention. La Vengeance est Justice. La Vengeance est curative.

Némésis accroupie sur le corps de son aimé, leva le visage au ciel et hurla le mot à pleins poumons.

Et elle devint Vengeance.




Le choc psychique fut effroyable. Plusieurs divinités mineures perdirent conscience, d'autres furent sérieusement ébranlées. Parmi les divinités majeures, ce fut la surprise la plus totale. Apollon quitta immédiatement le coin de prairie où il discutait nonchalamment avec sa jumelle, Hermès aux pieds ailés fut, l'instant d'après, aux cotés de Zeus. Dyonisos sortit d'un sommeil éthylique parfaitement dégrisé. Et Athéna rejoignit précipitamment Nike, un horrible pressentiment à l'esprit. En quelques secondes, tout l'Olympe fut en ébullition.

Jamais encore un tel déchirement dans le Big Will n'avait été ressenti. Lorsque les humains quittaient leur condition mortelle pour atteindre la divinité, cela se faisait en douceur, naturellement, et seule une légère perturbation dans le Cosmos se faisait ressentir, tandis que l'âme de l'humain quittait ce cycle d'existence pour une sphère plus élevée. Mais ici, point de douceur, point de frémissement. C'était comme si la trame même de l'existence avait été violée pendant un instant, comme si toutes les lois de la nature se révoltaient contre une abomination.

Il ne fallut que quelques minutes pour que des guerriers retrouvent le lieu de ce terrible cri. Là gisait un corps sans vie, mutilé, déchiqueté. Là vibraient encore dans l'air les échos d'un blasphème cosmique, qui rendaient nauséeux ceux dont le cosmos était assez puissant pour les ressentir. La source du cri avait disparu, mais nul doute qu'un être s'était trouvé là.

Zeus ordonna à tous les soldats, les guerriers de chaque ordre, les Anges et même les Archanges de rechercher la raison d'une telle horreur. A la nuit tombée, ils n'avaient rien trouvé, sauf deux d'entre eux qu'on retrouva morts le lendemain matin.

Le Conseil se réunit précipitamment. Zeus demanda à chacun de vérifier parmi les siens s'il n'y avait pas quelqu'un manquant à l'appel.

Athéna avait déjà remarqué que Nike était seule.




"Croyez-vous qu'elle soit la cause de ce cri, ou qu'elle ait été victime du vrai responsable ?"

Nike refusait encore de croire l'évidence. Athéna avait retourné la situation dans tous les sens, et à chaque fois, la conclusion était la même : c'était Némésis qui avait poussé ce hurlement terrible. La mort d'Orion en était la cause directe, car il était impossible que Némésis ait tué elle-même, et surtout si sauvagement, le beau chasseur.

Mais la question sans réponse était qui avait bien pu assassiner Orion ? Et surtout dans quel but ? L'assassin ne se révèlerait sans doute jamais.

L'autre problème d'importance était de savoir où était passée Némésis. Et surtout ce qu'elle était devenue. Athéna se remémorait ses pressentiments, et cela ne la rassurait pas.

Il n'était pas rare que des humains s'éveillent spontanément au Big Will, en ces temps où hommes et dieux cohabitaient. Mais jamais dans l'histoire de l'Olympe on n'avait entendu dire qu'un mortel pouvait atteindre le niveau suprême d'un seul coup, même au cours d'une émotion violente. Athéna elle-même n'avait atteint que le 8e sens au cours de son premier éveil, et il lui avait fallu des années pour franchir les étapes suivantes. Némésis semblait, elle, avoir franchi toutes les barrières en une fois.

Athéna se remémorait cette sensation étrange qu'elle avait eu lors du passage au 9e sens. C'était comme si, soudain, les bruits de tous les humains de la Terre lui étaient perceptibles, comme si elle pouvait les voir devant elle rien qu'en pensant à eux. Débarrassée de la condition de mortelle, dégagée du flot commun de l'existence, elle devenait spectatrice du concert des âmes mortelles, pouvait tout à loisir se concentrer sur l'une d'elles pour entendre les chuchotements de son cœur, ou bien embrasser une foule entière et ressentir leur foi commune.

Némésis avait dû percevoir tout cela, elle aussi, mais sans être préparée, dans son état d'esprit au moment de la découverte du corps d'Orion, qui sait si cela ne l'avait pas faite basculer dans la folie ?


Athéna ne dormit pas bien, cette nuit là. Les recherches de la journée furent infructueuses, tandis qu'on avait retrouvé les corps de trois spectres mutilés aux Enfers, le royaume d'Hadès. Les orbites des spectres étaient vides. Mais Némésis semblait insaisissable.

Et puis soudain, dans la nuit, un nouveau choc psychique réveilla l'Olympe.




Chapitre 2 : "La statue d'or"

On ne tarda pas à trouver la source de ce nouvel impact cosmique. Contrairement au premier, celui-ci avait été doux, et les habitants de l'Olympe s'étaient éveillés comme si une douce brise leur avait chatouillé la joue, comme si la fraîcheur d'un ruisseau venait soudain de se manifester près d'eux. C'était évidemment Nike.

"Nike !" fit Athéna en se précipitant vers la jeune femme évanouie à quelques pas d'une statue représentant Artémis.
"Nike, vas-tu bien ?"

La jeune femme ouvrit péniblement les yeux.

"Je… oui, maîtresse, je vais bien…" Elle fit une pause puis continua. "Je… Désolée, elle m'a échappée."

"De qui parles-tu ? " demanda Zeus, soucieux.

"De Némésis, ma jumelle. C'est elle qui est devenue un monstre, un tueur sanguinaire. Je… Je pensais pouvoir la raisonner, la ramener vers moi… Mais elle a failli me tuer, je me suis protégée, par réflexe je l'ai frappée à mon tour et alors…"

"Et alors, tu t'es ouverte au Big Will et es devenue une divinité à ton tour. J'aurais du prévoir que le destin des deux sœurs serait comparable." Athéna avait un sourire triste.

"Mais moi je… je ne suis pas…"

"Un monstre ?" fit Zeus. "Non, en effet. Ta sœur est à plaindre, jeune Nike. Elle est sans doute la seule divinité au monde à être née dans la haine la plus totale. Je crains qu'elle ne soit consumée par ce sentiment, qu'elle s'identifie à lui. Souvent, la pensée qui occupe le plus un être au moment où il s'éveille au Cosmos devient son symbole, et la source de son pouvoir. A quoi pensais-tu au moment ou tu t'es éveillée ?"

"Je… je ne saurais dire… C'est si confus…"

"Grand Zeus" interrompit Athéna, qui soutenait Nike alors que celle-ci fouillait sa mémoire, "je suggère que cela attende demain, Nike doit se reposer."

"Oui, bien sur." Et se tournant vers St Georges qui venait de prendre place à ses cotés : "Vous n'avez rien trouvé ?"

"Non, Majesté. Les Anges fouillent tout ce quartier, mais rien à faire. Elle doit être loin."

Mais pourtant, à quelques pas d'eux, des yeux rouges flamboyaient sous une cape, à la recherche d'une nouvelle proie.




Les jours qui suivirent furent bien sombres. De plus en plus de corps étaient retrouvés, à toute heure du jour ou de la nuit. Les habitants les plus isolés rejoignaient les demeures de leurs amis, et certains faisaient des tours de veille. Les satyres et les nymphes, d'ordinaire si insouciants, se terraient au moindre bruit. L'Olympe avait peur.

"Ca ne peut plus durer ! Attrapez-la, par l'Enfer ! " tonna Zeus à St Georges.

Celui-ci baissa la tête, penaud. Bien qu'il fut un Archange, et le plus puissant de tous, à la tête des Anges de Zeus, l'armée la plus puissante de l'Olympe, il lui était impossible de mettre la main sur cette jeune déesse criminelle. Pire, depuis peu les crimes devenaient si fréquents qu'on aurait dit Némésis douée d'ubiquité, frappant en deux endroits éloignés presque simultanément. Dès qu'un meurtre était signalé, les Anges étaient sur place à la vitesse de la lumière, mais il était déjà trop tard, elle avait disparu.

"Seigneur Zeus, veuillez me pardonner, mes Anges et moi-même faisons tout ce que nous pouvons, mais nous devons avouer notre impuissance, elle nous échappe toujours."

"Je le sais. Je sais aussi que vous faîtes déjà tout ce qui est possible. Et je ne peux que vous ordonner de redoubler d'efforts. Moi aussi, je me sens impuissant, et cela m'est particulièrement désagréable. Pardonnez mon emportement."

"Ne vous excusez pas, Seigneur. Je vais faire augmenter les patrouilles, afin de protéger les habitants de l'Olympe. Elle fera bien une erreur un jour."

"Mais d'ici là, combien de vies seront perdues ? Au pire nous pourrons demander à Hadès de nous les rendre, les circonstances sont si exceptionnelles qu'il peut bien déroger à la règle…"

"Hélas non." Fit une voix nouvelle.

Zeus se tourna vers son frère, le divin Hadès. Vêtu de noir, comme à son habitude, le dieu arborait une expression neutre sur son visage si beau, mais dans son regard, Zeus lut un sentiment étrange, mélange de peur et d'excitation.

"Que veux-tu dire, mon frère ?"

"J'ai fait le compte des âmes en mon domaine. Je n'y trouve pas celles des olympiens tués par cette déesse sombre. Elles ne sont ni au Tartare, ni dans les prisons, ni en Elysion."

"Mais alors, que sont-elles devenues ?"

"Je ne vois qu'une explication : elles ont été absorbées. Némésis doit se nourrir des âmes de ses victimes. Et cela la rend sans doute plus forte encore à chaque fois." Hadès secouait la tête, comme pour appuyer son propos.

"Tu veux dire qu'elle va finir par tous nous dévorer ? Impossible ! Et de plus, n'y a-t-il pas moyen de rendre la vie à ceux qu'elle a occis ?"

"Non, ces âmes ont été simplement détruites. Elles n'existent plus. Elles ont quitté la trame du Big Will et ne peuvent plus s'incarner. De plus, j'ai remarqué qu'il manquait trois âmes au Tartare, dont celle de Typhon."

Zeus sembla tomber dans son fauteuil plus qu'il ne s'assit.

"Terrifiant… Elle est donc bien la Noire Exécutrice…" murmura-t-il pour lui-même.

"De quoi parlez-vous, Seigneur ?" intervint St Georges.

"Non, rien… Une légende oubliée… St Georges, vous avez entendu : ces meurtres sont d'autant plus odieux maintenant, ils doivent cesser. Et prenez garde, il semble que notre adversaire soit en train d'augmenter en puissance et qu'elle ait des alliés."

"Oui, Seigneur !" fit le soldat avant de prendre congé.

Lorsqu'il fut parti, Hadès s'approcha de son frère.

"L'Apocalypse est-elle venue ? Allons nous enfin gagner notre liberté ou la perdre ?"

"Non" répondit froidement le Roi du Ciel. "Le temps n'est pas encore venu. Athéna n'est pas prête."




"Nike, je sais que tu as menti."

Athéna était on ne peut plus sérieuse. Nike baissa les yeux, ne pouvant soutenir le regard de sa maîtresse. Elle ne voulait pas regarder la réalité en face, ne voulait pas comprendre les implications de la métamorphose qu'elle avait subie.

"Je sais que tu te rappelles de ce que tu as pensé au moment où tu t'es éveillée. C'est inscrit en toi, à tout jamais, et cela brûle dans tes veines. La pensée qui t'a habitée, tu la porteras toute ton existence, tu finiras par l'incarner totalement. Ne refuse pas cela, cela serait renier ta nouvelle nature."

"Je sais, déesse, je sais… Mais cela me fait peur… Je… Rien ne sera plus pareil, n'est-ce pas ?" Nike n'osait toujours pas regarder la jeune fille.

"Non en effet. Mais rien n'est plus pareil depuis la mort d'Orion. Accepte donc ce don qui t'est fait."

"Je… Vous avez raison."

"Alors ?" Athéna avait un petit sourire encourageant. On aurait dit qu'elle était en train de questionner une amie sur ses amours secrètes.

"J'ai pensé… j'ai pensé que je devais gagner à tout prix, que je ne devais pas être vaincue ici."

"La victoire ? Tu as pensé à la Victoire ? Voilà qui va faire de toi une déesse fort puissante."

"Croyez-vous que je pourrais rester avec vous ?"

"Bien sûr ! Car désormais, c'est moi qui vais m'occuper de toi, et te mener sur le chemin de la divinité. Nous échangeons nos rôles de tutrice et d'élève !" Athéna souriait largement, et en la voyant, Nike ne put s'empêcher de pouffer de rire.

Un instant après, elles étaient dans les bras l'une de l'autre, prises d'un fou rire qui dissimulait leurs peurs.




"La Victoire contre la Vengeance ?"

Zeus paraissait incrédule, pourtant, il ne lui fallut pas longtemps pour tomber d'accord lui aussi.

Au cours des deux derniers jours, quarante personnes avaient trouvé la mort – ou plutôt, l'ultime fin, pire que la mort – de la main de Némésis. A coté des derniers cadavres, le mot Vengeance avait été écrit avec le sang des victimes, et il était clair désormais que Némésis avait fait sien ce concept.

Athéna avait rapporté à son père le sentiment de Nike, et la jeune femme fut vite connue comme la nouvelle Déesse de la Victoire. Grâce aux Oracles, on ne tarda pas à découvrir ses pouvoirs : elle donnait à ceux qu'elle supportait la capacité à vaincre n'importe quel ennemi, même le plus puissant. Elle-même était certaine de sortir gagnante d'une rixe.

Mais les pouvoirs de Némésis semblaient, eux, sans limite : il était avéré que deux géants au moins l'avaient rejointe après qu'elle les ait délivrés du Tartare : Typhon, le terrible, que même Zeus craignait et qui avait déjà failli détruire l'Olympe, et Echidna, la plus vile des créatures, mi-femme, mi-serpent. Le troisième n'avait pas encore été identifié. Mais déjà, avec ces deux alliés, Némésis pouvait détruire les quatre Royaumes sans peine.

Le seul espoir qu'il restait donc était d'envoyer quelqu'un affronter Némésis, et de le faire épauler par les nouveaux pouvoirs de sa sœur jumelle. Aidé par la Victoire, il pourrait triompher de la Vengeance.

"Encore faudrait-il la trouver, Père." Objecta Arès. Il parlait fort, afin de bien se faire entendre par tous les dieux présents à ce Conseil Exceptionnel.

Depuis peu, le dieu se montrait moins maussade, et même obéissant. On eut pu jurer qu'il voulait se faire pardonner quelque chose.

"Il faudra bien qu'elle se montre pour se venger de nous." Répondit son père. "Mais pour accélérer les choses, nous allons lui lancer un défi. En espérant qu'elle ne le refuse pas."

"Une autre question se pose alors : qui sera choisi pour affronter Némésis ? Il nous faut un champion pour cela." Tout le monde hocha la tête aux sages paroles d'Apollon.

"Je propose Arès, tout le monde sait qu'il est très puissant." Fit une voix dans l'assemblée.

"Oui, Arès est parfait !" surenchérit un autre. Très vite, le nom d'Arès fut scandé dans tout l'hémicycle.

"Merci, merci !" fit le dieu en se levant. D'aucuns auraient dit qu'il ne semblait pas particulièrement ravi mais le dieu ne fit rien pour se délester de cette tâche.

"Non" coupa Zeus. "Si Arès est vaincu quand même, nous n'aurons pas d'autre recours contre Némésis. Nike n'a encore jamais testé ses pouvoirs lors d'un véritable combat, nous ne pouvons risquer la vie du meilleur combattant que nous ayons. Si Athéna était adulte, alors nous aurions une deuxième chance mais là ce n'est pas possible."

Arès jeta un regard noir vers sa "sœur", qui l'ignora. Cette pimbêche lui était encore préférée !

"Alors je me propose" fit Zépios, dieu mineur de la Fratrie, fils d'Héra. "Peut-être que je pourrais jouer sur ses sentiments envers sa sœur Nike, et en profiter pour la vaincre ?"

Un nouveau murmure d'assentiment parcourut la foule, et ainsi fut choisi le Champion de l'Olympe.




Zépios tomba au sol dans un gargouillis infâme. Son esprit vivait encore lorsque Némésis mordit à pleines dents dans le cœur palpitant qu'elle venait d'arracher de sa poitrine, et Zépios crut en éprouver de la douleur. Puis son âme fut déchirée et il cessa d'exister pour devenir une part des forces de la Déesse Noire. Héra perdit connaissance en voyant son fils périr d'une si abominable façon.

"Ah ah ah ! " riait Némésis, le sang coulant de ses lèvres sur sa peau désormais blafarde lui donnait un air terrifiant. "Et c'est avec cela que vous comptiez me vaincre ? Il faudra faire mieux, m'envoyer un véritable adversaire !"

Athéna était horrifiée. Le pauvre Zépios n'avait rien pu faire, et elle avait le sentiment qu'une souris avait été envoyée face à un lion. La jeune déesse jeta un regard vers son amie Nike, qui était assise, ou plutôt tombée, dans l'herbe, son regard figé sur le cadavre sanglant. Elle qui était censée soutenir le dieu pour lui offrir la victoire, avait manifestement raté, et cet échec allait saper son moral.

"Et bien, si le jeu est fini, je m'en retourne à mes occupations !" fit Némésis devant le silence de la maigre foule venue assister au combat. Némésis fit demi-tour puis commença à s'éloigner.

"Attends, salope !" fit un ange impétueux en se jetant sur elle. Il n'eut pas le temps de la toucher qu'une ombre surgie des fourrés l'intercepta en vol. L'ange tomba en une pluie de chairs et d'armure, tandis que Typhon prenait place derrière sa maîtresse pour la protéger.

Il y eut un instant pendant lequel tous les regards découvraient cet allié sombre de la déesse, et l'examinaient. Typhon était terrifiant. Haut de plus de trois mètres, bardé de puissants muscles sur tout le corps, il était une incarnation de la Force pure. Sa peau grise, sa gueule de serpent, ses quatre bras achevaient un spectacle de cauchemar. La foule commença par reculer, puis s'enfuit au triple galop. Seuls restèrent Athéna, Nike toujours abasourdie, Zeus, et Apollon.

"Némésis, un jour nous gagnerons." Fit Zeus d'une voix forte. Il voulait que le doute ne transparaisse pas mais dès l'arrivée de Typhon, il avait perdu sa confiance en lui.

"Je sais cela." Fit la déesse noire, sans se retourner. "Mais d'ici là, combien d'entre vous aurais-je tué ?"

Puis elle disparut.

Il fallut encore une bonne minute à Nike avant de pouvoir parler.
"Oh Athéna, pardonnez moi… C'est ma faute si Zépios est mort ! Je n'ai pas… J'aurais dû…" Nike enfouit son visage dans les jupes d'Athéna, qui caressa ses cheveux pour la réconforter.

"Chut, ne dis rien. Ce n'est pas vraiment ta faute, tu n'es pas prête, c'est tout. Tu dois juste prendre conscience de ta nature, l'accepter. Et alors, tu pourras utiliser tes pouvoirs."

"En attendant" dit Apollon, penché sur le corps "un ami très cher aura payé cette erreur de sa vie."




Cette nuit-là encore, Athéna dormit fort mal. Le cri de Zépios au moment où Némésis plongeait sa main dans sa poitrine résonnait dans sa tête comme s'il ne devait jamais prendre fin. La jeune fille finit par émerger complètement de ce semblant de sommeil, et se leva pour aller voir Nike, qui ne devait guère aller mieux.

Sa tutrice dormait dans une chambre adjacente, et Athéna n'eut que quelques pas à faire pour la rejoindre. Elle ouvrit la porte, s'avança vers le lit à baldaquin.

Il était vide.


"Je suis désolée, Némésis, mais il faut en finir."

Némésis fronça les sourcils, tant sa sœur avait l'air déterminé. La mort de Zépios devait l'avoir profondément marquée pour qu'elle en oublie ses sentiments fraternels et se décide à l'affronter sérieusement. La déesse noire avait déjà compris la nature des pouvoirs de sa jumelle, et le danger qu'elle représentait pour elle. Il fallait donc bien en finir, car un jour où l'autre, l'une des deux tuerait l'autre.

"Soit. Mais tu n'es pas prête, tu le sais. C'est donc moi qui vais gagner."

"On verra ça ! Prends ça !"

Une boule d'énergie blanche apparût et fondit sur Némésis. Celle-ci répondit par une sphère noire qui annula les pouvoirs de sa contrepartie lumineuse. Puis Némésis contre attaqua par un trident noir jailli de ses mains, qui s'échoua sans dommage sur un bouclier étincelant. La lance flamboyante de Nike fut contrée par un mur de ténèbres, et le sort suivant fut à son tour annulé.

Ce combat fratricide dura moins d'une minute avant qu'Athéna ne soit sur place. A son arrivée, elle ne trouva qu'une seule des deux sœurs, celle qui agonisait.




"Nike ! Non !"

"A… Athéna… c'est vous ?"

Nike était étendue dans l'herbe noircie par les incantations, elle tourna faiblement le visage vers sa jeune protégée. Son corps ne semblait pas avoir souffert, elle ne portait nulle trace de blessure physique, mais tout son être était affaibli.

"Nike ! Que s'est-il passé ? "

"J'ai… J'ai voulu la combattre… J'ai presque gagné…"

"Tu n'aurais pas dû… Elle est si puissante…" Athéna s'était agenouillée à coté de son amie.

"Non, vous ne comprenez pas… Moi seule pouvait la combattre, elle est ma sœur. Je… Je devais l'emporter avec moi…"

"Tu ne dois pas mourir, Nike, cela t'est interdit ! Tu es notre meilleure chance contre elle, tu… tu es ma meilleure amie !"

Nike sourit. La jeune fille était si touchante. Elle ferait sans doute une grande déesse.

"A…thé…na… J'ai… brûlé tout… mon pouvoir… ma vie… pour la combattre… Elle… Je crois que… je l'ai touchée…"

"Nike, que t'arrive-t-il ? Tu perds tes forces ? Tiens bon, je t'en prie !"

Athéna commençait à paniquer. Elle savait ce qui adviendrait si Nike périssait à ce stade de conscience sans posséder le pouvoir de se maintenir hors du flot des incarnations. C'était le pire moment pour mourir : son âme ne pourrait perdurer dans le Big Will, ni rejoindre les âmes des défunts dans l'au-delà.

"Non… C'est… la fin…"

Nike se raidit, tandis que ses dernières forces l'abandonnaient. Athéna tenta le tout pour le tout : comme Zeus l'avait fait pour elle à la fin de sa précédente incarnation, elle décida d'octroyer à Nike un peu de son pouvoir, afin que son âme puisse rester en contact avec le Big Will et perdure en tant que divinité.

L'aura d'Athéna se mit à luire, enveloppant Nike qui expirait. Le Big Will était en elle, elle aurait sans doute la puissance nécessaire pour faire survivre cet esprit qui lui était si cher. Il fallait qu'elle ait cette force !

Dans ses bras, le corps de Nike s'éteignit. Cela n'était qu'un passage, le plus important se trouvait maintenant devant elle : Athéna focalisa tout son esprit sur Nike, envoyant tout son cosmos.

Mais l'esprit de la jeune fille semblait hors d'atteinte, lui échappant sans cesse. Elle le vit s'éloigner, quitter les sphères d'existence où elle pouvait agir, et disparaître de son champ de perception, vers une obscurité sans nom.

Quand Zeus et sa cour arrivèrent sur les lieux, ils trouvèrent Athéna en train de pleurer, assise dans l'herbe. Sur ses genoux, les rayons de la lune caressaient doucement l'or d'une statuette représentant une femme ailée tenant une couronne de laurier à la main. L'effigie dorée avait les traits de Nike.




C'était le dénouement.

Après deux jours sans qu'aucune nouvelle victime ne soit trouvée, Némésis avait fait sa réapparition. Elle était venue avec ses trois alliés, Typhon, Echidna, et Ladon, le serpent à cent têtes, jusque devant le temple de Zeus, et avait lancé un défi à qui voulait l'entendre. Elle se proclamait Souveraine de l'Olympe, et quiconque voulait nier cela devrait l'affronter.

Bien sûr, Zeus et les dieux vinrent lui faire face. Parmi eux, Athéna, la jeune déesse de la Guerre, affichait une mine des plus déterminées.

"Ainsi, voilà tout le Panthéon de l'Olympe qui vient vers moi. Est-ce pour s'agenouiller à mes pieds, ou pour y mourir ?"

"Ni l'un, ni l'autre, Némésis !" déclama Zeus. "Nous allons te renvoyer des ténèbres d'où tu es née, tout simplement."

Némésis rit. Faisant signe à ses alliés de reculer, elle s'avança vers Zeus.

"Cela ne sert à rien, Zeus, car vous ne pouvez me battre. Seule Nike pouvait y parvenir, et elle est morte aujourd'hui ! Vois ce qu'elle a seulement réussi à faire !"

Et Némésis de déchirer son corsage, révélant sa poitrine nue. La peau en était calcinée, la chair à nu, pleine de cloques et de pus, preuve que l'ultime assaut qui avait coûté sa vie à Nike n'avait pas été vain. Hélas, sa diabolique sœur avait survécu, mais elle garderait à jamais cette brûlure causée par la lumière.

"J'ai survécu à Nike, je survivrai à tout !" Némésis tendit le doigt vers Zeus, dans un signe de défi. "Affrontes-moi, toi le dieu le plus puissant de cette confrérie de dégénérés, une fois que je t'aurai vaincu, nul ne pourra contester mon pouvoir !"


Zeus s'avança, et le combat fut terrible. Des éclairs fusaient, des sphères d'énergie éclataient dans un bruit de tonnerre, tandis que les deux entités s'affrontaient. Mais Némésis fut surprise de la résistance de Zeus, qui semblait comme par magie dévier chaque coup mortel. Elle pensait pourtant avoir accumulé assez de pouvoirs pour le vaincre !

Les deux combattants se séparèrent. Zeus était essoufflé, mais Némésis aussi.

"Comment peux-tu me résister ? J'étais sûre de t'écraser !"

Athéna répondit avant que Zeus ne le fasse.

"C'est ta sœur."

Némésis ne comprit pas. Athéna leva alors sa main droite, dans laquelle brillait une statue d'or représentant Nike. Et elle réalisa soudain que sa jumelle n'était pas totalement morte : son pouvoir résidait dans cette statue !

"Oui, c'est ce qui reste d'elle." confirma Athéna. "Pour une raison que j'ignore, elle ne brille que dans ma main. Peut-être est-ce parce que je l'aimais beaucoup ? Mais quand je la tiens, ses pouvoirs sont plus puissants que jamais. Zeus est soutenu par sa volonté, il remportera la victoire."

"Non ! Je ne veux pas être battue !"

"C'est pourtant ce qui va t'arriver !" tonna Zeus au moment où il envoyait une bordée d'éclairs. Némésis fut foudroyée et tomba au sol dans un cri.

Puis les dieux de l'Olympe s'avancèrent vers elle, menaçants.

"Nous ne pouvons pas te tuer, tu pourrais te réincarner."
"Tu dois disparaître à jamais de notre univers."
"Passer l'éternité à purger ta peine…"
" … dans une dimension dont jamais tu ne sortiras."

Les dieux entonnèrent une invocation, et sous leur puissance combinée, la trame de la réalité s'ouvrit. On entendit alors un cri, une malédiction, puis plus rien. Quand les dieux s'écartèrent les uns des autres, Némésis avait disparu.

Typhon et ses deux acolytes ne tardèrent pas à subir le même sort et à rejoindre leur prison au fond du Tartare. Tout était fini.




Athéna s'approcha de Zeus.

"C'est terminé ?"

"Je l'espère, ma fille. Nous ne pourrions sans doute pas lui faire subir le même sort si un jour elle en réchappait. Je souhaite que jamais plus nous n'entendions parler d'elle."

Le dieu fit une pause.

"Tu nous as été précieuse, Athéna. Ton alliée Nike est sans doute le bien le plus précieux que tu auras au cours de tes incarnations à venir, elle te rendra de fiers services. En tout cas, pour la mission que j'attends de toi, elle te sera d'un grand secours."

"Merci, Père. Je regrette quand même que Nike ait dû donner sa vie pour que je puisse disposer de tels avantages. Je regretterai sa présence à chaque instant de ma vie, je pense." Zeus acquiesça de la tête. "Mais vous n'avez de cesse de me parler de cette mission, sans jamais dire en quoi elle consiste. Le saurais-je un jour ?"

"Oui ma fille. Dès demain, je t'expliquerai tout cela, car tu es désormais prête à entendre ce que j'ai à te dire. Mais aujourd'hui, nous allons nous reposer, et penser à tous les morts qui ont été vengés."

"Non Père. Nous n'avons pas appliqué la Vengeance, sinon nous serions comme Némésis. Nous avons appliqué la Justice."

Zeus sourit. Athéna était bien prête.

Chapitre précédent - Retour au sommaire

www.saintseiya.com
Cette fiction est copyright Patrick Huart.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.