Annexe 2 : Coupable ! L'histoire de Guilty


~ 1 ~


"Ce jour ...", dit-il, s'adressant à moi.
"Ce jour aura été celui de ton épreuve."
Quelle grandeur dans sa voix ! C'est bien là le Grand Pope, celui qui veille avec bonté et sagesse sur notre Sanctuaire bien aimé. Il me regarde pour la première fois. Je suis fourbu, mais fier. Je lui rends son regard ...
"Tu es désormais un chevalier d'or, et ta mission est de protéger Athéna. Devrais-tu y sacrifier ta vie, tu ne failliras point, car telle est ta destinée."
'Chevalier d'or ?
J'ai été sacré chevalier d'or ?
Mais ...'
Je regarde autour de moi. L'armure dorée se tient là, à ma portée. Elle est mienne, désormais. Comme elle est belle ...
'Mais ... Comment ?'
"Les chevaliers d'or sont les plus grands guerriers d'Athéna. Et tu en es digne ...
- J'en suis ..."
'Digne ?
Qu'est-ce qui se passe ..?'

~~~~~


'Digne ?
Digne d'être un chevalier ...
... d'or ?'
Le jour frappe à ma porte. J'ouvre un oeil ...
Le plafond de ma cabane me regarde, avec son insolente simplicité.
'Un rêve ?'
L'aurore délicieuse, pareille au miel, chaleureuse, parfaite, donne à cette journée un caractère sécurisant. Rassurant, peut-être. Je devine la brise douce et chaude à l'extérieur, son contact sur ma peau nue, le sol dur sous mes pieds, les hurlements des ...
Chassant avec une eau froide les affres de la torpeur, je reprends lentement mes esprits. Cette cabane m'abrite depuis mon arrivée en Grèce. Située un peu à l'écart, elle dispose d'un peu de calme quand les terribles entraînements prennent fin. Elle est très fonctionnelle, mais avec le temps j'ai appris à l'apprécier. Je n'ai jamais franchit le seuil de sa porte que pour subir mille et mille souffrances, alors forcément elle m'est devenue agréable.
Elle me manquera, oserais-je dire ...
Un sourire étrange grimace mon visage. Je sais que si j'échoue, je reviendrais ici, afin de subir une nouvelle formation, que l'échec rendra plus dure encore. Mais je sais également que cela ne sera pas. La confiance que j'ai en moi ne m'en laisse pas le choix.
Pour la dernière fois, j'enfile ma tunique en ce lieu.
Pour la dernière fois, je franchis sa porte. Le soleil est encore bas, et malgré tout il me fait plisser les yeux. Le ciel est d'un bleu immortel ...
Je me retourne, contemple la cabane, encore.
'Ce n'est que ça.', me dis-je. 'Ce n'est que du bois.'
Foulant de mon pas le sentier de ma destinée, j'enterre tout ce passé derrière moi, ma vie d'apprenti. Ce soir, je serais chevalier d'Athéna.
Car aujourd'hui est le jour de l'épreuve ...
... mon épreuve ...

~~~~~


C'est le moment. Je suis au milieu de l'Arène, et tout le monde me regarde. Tout le monde veut voir le sacre. Ce n'est pas tous les jours qu'une armure d'argent est en jeu ...
Le Grand Pope se tient là, et il me regarde, lui aussi.
'Comme dans mon rêve ...'
Il me parle, il m'explique mon objectif. Je l'écoute à moitié. Je sais que j'y parviendrais. C'est facile, pour moi. J'aurais pu avoir mon armure avec un niveau bien moindre ...
" ... est un chevalier d'argent, et il sera ton adversaire."
Le Grand Pope semble dire quelque chose de précieux. Je l'écoute désormais avec attention.
"L'épreuve la plus commune pour gagner une armure est le duel entre apprentis, l'armure revenant au gagnant. Mais l'armure d'argent que tu cherches à gagner exige un tout autre mérite. Sois rassuré, personne n'exige que tu viennes à bout d'un chevalier d'argent avec son armure. Tu l'affronteras, et de ta performance dépendra ton sacre. Fait preuve de courage, et gagne ton armure d'argent."
'Armure d'argent ...'
Dans mon rêve, je gagnais une armure d'or. Quelle gloire je recevais ! J'effleurais l'urne de ma main, je sentais le regard jaloux des autres chevaliers ... Quelle formidable sensation d'accompli !
Mais la réalité est différente.
'Une armure d'argent ...'
L'objet se tient à quelque distance. Il semble bien triste à côté de la splendeur dorée de l'armure d'or. Je sens mon humeur devenir maussade, ma motivation me quitter ...
Devrais-je remporter cette épreuve, qu'y gagnerais-je ?
Les chevaliers d'or ont la réputation de pouvoir terrasser tous les chevaliers d'argent. A quoi donc me servira cette armure ?
Je réalise que l'épreuve vient de commencer.
Un de ces chevaliers d'argent me fait face. Je sais être plus fort que lui. Je le connais, un peu, pour l'avoir plusieurs fois rencontré. Il a remporté un combat contre mon maître, un jour. J'ai éprouvé de la haine, ce jour là, je n'oublierais jamais ce sentiment.
Il est fort, loyal envers le Sanctuaire, et il a son armure. Mon torse est nu, et j'ai tout à prouver.
D'un seul coup, j'ai le sentiment que ce combat n'a aucune importance.
'Aller au delà de la limite ...', je me dis.
Je ferme les yeux, rassemble ma concentration, perçois ma cosmoénergie mais n'y fais pas appel. J'écoute les bruits autour de moi. Mon adversaire ne bougera pas. Lui n'a rien à prouver. Le reste n'est que cris. Le cri des gardes venus s'abreuver de ma défaite, celui des apprentis qui m'encouragent ...
J'ouvre les yeux, et me jette en avant ...

~~~~~


'Dépasser la limite ...', je me dis, et mon hurlement de rage intimide jusqu'à mon adversaire.
Mon poing bouge. Le chevalier d'argent ne bouge pas. Il ne perçoit aucune menace. Il a tort.
De tout mon élan, de toute ma force, de toute mon énergie, je frappe son armure, au niveau du torse. Au même moment, je laisse ma cosmoénergie exploser.
Il y a plusieurs sensations, ensuite. Il y a le craquement de mes phalanges, qui se brisent comme du verre. La douleur, ensuite. Elle est grande, mais je contrôle la situation. Je sais que je ne me suis pas mutilé, seulement blessé.
Il y a l'exclamation médusée de ceux qui me regardent. Ils ne comprennent pas. Pas encore.
Un autre fracas. C'est celui de l'armure d'argent de mon adversaire, qui vient de se briser. C'est d'abord une fissure, et d'un seul coup le métal explose, arrachant un râle de stupéfaction à son propriétaire. Le râle se transforme en plainte au moment où mon poing termine sa course, en lui, lui broyant le coeur, lui volant la vie.
Alors que le corps s'effondre, après que j'en ai retiré mon poing, il n'y a plus qu'un silence interdit. Mon poing me fait mal, mais je suis satisfait. Je suis capable d'aller au delà de la limite. Je le sais, désormais, mais tout reste encore à faire.

~~~~~


Les paroles du Grand Pope ne m'intéressent guère ...
"En tuant ton adversaire, tu as prouvé ta force et ton courage. Ta sauvagerie te sera souvent reprochée, car tu auras reçu ton sacre dans le sang. Mais pour un chevalier, se battre signifie risquer sa vie. Ton adversaire le savait."
... j'ai un autre objectif.
"Grand Pope, pardonnez mon impertinence.
- Parle, chevalier. Car désormais, c'est ainsi qu'il conviendra de t'appeler.
- Grand Pope, je pense posséder la force de devenir un chevalier d'or."
Le silence du Grand Pope me met un peu mal à l'aise. Peut-être ai-je formulé une requête insensée ? Je devine à la tension générale que tel n'est pas le cas. Je l'espère de tout mon être.
"Tu dis être suffisamment fort pour réclamer une armure d'or ?
- Je ..."
Quel calme possède ce Grand Pope ! Il doit être en train de juger ma persévérance, ou mon sérieux.
"Oui, Grand Pope.
- Très bien. Tu entends pouvoir le prouver, dans ce cas."
Et, s'adressant à l'assemblée :
"Que l'on fasse venir le chevalier d'or du Sagittaire."

~~~~~


Peu d'armures d'or ont à ce jour trouvé leur propriétaire. Il n'y a guère que celle des Gémeaux et celle du Sagittaire qui possèdent un porteur. Des dix autres armures, l'une d'elle me revient probablement de droit.
Le chevalier d'or du Sagittaire se tient face à moi, à présent, à l'endroit exact où se tenait, quelques minutes plus tôt, un chevalier d'argent.
Je sais que mon niveau dépasse l'argent, mais j'éprouve tout de même quelque anxiété face à ce nouvel adversaire. Mon poing est meurtri, mais je me doute que cela ne sera pas déterminant.
Le chevalier du Sagittaire est magnifique dans son armure, et semble capable de vaincre un dieu. A côté de lui, j'ai l'air d'une souris face à un lion. Il me regarde d'un air blasé Je sens qu'il n'a aucune confiance en ma force. Son regard se tourne vers le Grand Pope.
"Est-ce nécessaire ?", demande-t-il à voix basse, presque avec tristesse.
"Oui, Aioros. C'est le seul moyen."
Quel étrange échange ! De quoi serait-ce le seul moyen ?
'Le seul, pour que tu ...'
Je fais taire une voix dans ma tête. Je n'ai pas envi d'entendre sa vérité.
Autour de moi, tout le Sanctuaire me regarde. Les entraînements ont marqué une pause, le chevalier des Gémeaux lui-même est présent. Avec un enjeu pareil, ce n'est pas étonnant.
Je ferme les yeux, inspire, écoute le silence tétanisé, rassemble ma cosmoénergie ...
... et me jette en avant.

~~~~~


'Cinq mètres ...'
J'ignore à peu prés tout des chevaliers d'or. A vrai dire, j'ignore même quelle peut être leur puissance. Jusqu'ici, je n'ai fait qu'espérer être à leur niveau.
'... quatre mètres ...'
L'indestructible armure d'or ne se laissera pas briser comme une armure d'argent. Une approche radicalement différente s'impose.
'... trois mètres ...'
Je vais le saisir, le projeter au sol, et l'immobiliser avec une clé. Si mon plan dérape, je tenterais un coup au visage. Cela ne l'abattra probablement pas, mais devrait suffire pour prouver ma valeur.
'... deux mètres ...'
Je sens la cosmoénergie emplir mon corps. Elle accélère mes mouvements, augmente ma force, ma puissance.
'... un mètre ...'
La distance fond à mesure que je l'approche. Cette dernière seconde est interminable.
' ...'
Je suis sur lui. Je le saisis aux épaules. J'essai de le soulever. Je ...

~~~~~


Je reprends conscience une minute plus tard. Mon ventre me fait atrocement mal, c'est ici que le chevalier du Sagittaire a du me frapper. Je me relève. Je crache de la poussière et du sang.
C'était folie que de m'attaquer à lui. Je n'ai jamais eu la moindre chance, et le Grand Pope le savait.
"Tu seras désormais chevalier d'argent."
Le Grand Pope me parait presque sournois. Aurait-il fait cela pour m'apprendre l'humilité ? Ou espérait-il que cette défaite m'apprenne quelque chose et me rende plus fort ? Cherchait-il à se moquer de moi ? De mon impertinence ?
L'armure d'argent. Je n'aurais rien de plus, j'en suis maintenant certain.
Je me résous.
Je pose une main sur l'urne. Elle ne supporte pas la comparaison avec les urnes d'or, mais je ressens une certaine chaleur à son contact. Désormais, elle fait partie de moi.
Je reçois quelques félicitations des apprentis. Un chevalier d'argent se présente à moi. Il me frappe de toutes ses forces. Je m'effondre, mais me relève aussitôt.
Il me sourit. Il m'explique qu'il lui fallait venger son frère d'arme tombé par ma main. Il me dit que désormais, nous sommes à égalité, que nous allons accomplir le même type de mission, protéger ensemble la future réincarnation d'Athéna. Sa tape amicale sur l'épaule me parait bien rude, mais il finit par éclater d'un rire gras. Il me dit que mon regard sérieux est irrésistible. Je me dis qu'on va bien s'entendre.

~ 2 ~


Je repense à mon premier jour, à mon premier pas foulant le sol poussiéreux du Sanctuaire. Quels espoirs je nourrissais, alors !! Je voulais enterrer ma petite enfance, celle monotone et sans aventure que mes parents m'offraient. Je repense à mes géniteurs. Au moins auraient-ils pu essayer de me retenir. Au moins auraient-ils pu se sentir concernés par mon départ. La vérité, c'est que je devais être d'une piètre importance pour eux.
Le jour, donc, où j'arrivais au Sanctuaire, je n'avais pas dix ans. Mon premier contact a été ce groupe de gardes. Les malheureux, ils avaient l'air plus perdus que je ne l'étais moi-même alors. Ils sont restés silencieux, ont échangé quelques regards, m'ont posé des questions de routines.
"Qui est ton maître ?" a été l'une d'elle. Ils ne pouvaient pas s'imaginer qu'un enfant puisse arriver ici sans l'aide de quiconque. Déjà, mon potentiel paraissait.
Cette action d'exploit me valu d'être pris comme apprenti par un redoutable chevalier d'argent. J'ignorais alors tout de la chevalerie sacrée, seules les rumeurs locales m'avaient guidé jusqu'ici. Mon maître était d'une exigence sans borne. Il me répétait à longueur de journées que je pouvais réussir.
Jusqu'à ce que je réussisse ...

Je repense à ce jour, qui a failli être le mien. Le jour de l'épreuve. Mon épreuve.
Le fou que j'étais alors réclamait une armure d'or, et mordait violemment la poussière, subissant échec et déshonneur. Cette armure d'argent que j'ai gagné, ce jour-là, j'ai pu la chérir pendant presque deux ans. Aucune guerre n'a été déclarée durant ce laps de temps, l'ironie du sort aura voulu que ma force n'aura finalement pas servie. Jamais. Ces deux années m'auront tout de même apporté certaines satisfactions. La gloire des combats me manquera à jamais, mais j'aurais servi avec honneur le Sanctuaire, le Grand Pope et Athéna avec bienveillance et passion. Mes missions n'ont jamais été terriblement ambitieuses, mais je suis heureux d'avoir pu les mener à bien. Tout c'est bien déroulé, pour moi, durant tout ce temps ...
Mais c'est terminé, à présent. J'ai commis une faute. Quelque chose d'irréparable. Quelque chose sans nom. Et l'heure est venue d'en payer le prix ...
Le jour se lève, l'aurore délicieuse me réveille, j'ouvre un oeil. Mon habitation est un peu moins inconfortable que celle que j'utilisais du temps où j'étais apprenti. Je sors de ma couche, chasse la torpeur avec l'eau froide, avale un bol de lait. Pour la dernière fois ...
Je sors de ma chambre. De cette maison qui fût mienne ...
J'ai déjà vécu cela une fois. C'est de la nostalgie que j'ai ressentie, me retournant une dernière fois. C'était il y a deux ans. Je foule le sol de mon pas, me rendant en un lieu funeste. Je ne me retourne pas, j'ai peur de l'émotion qui pourrait me frapper ...

~~~~~


Je ne suis pas un imbécile, et je sais ce qui m'attend. Le jugement du Grand Pope est toujours d'une sévérité exemplaire, et ma faute est impardonnable. C'est donc le déshonneur et la mort, qui m'attendent.
Il n'y a pas à proprement parler de justice au Sanctuaire, mais les chevaliers ne peuvent être châtiés d'une parole. Il y a comme un protocole à respecter. Le Grand Pope s'adresse à moi, mais je ne l'écoute pas. Je ne sais que trop ce qu'il me reproche. Le Grand Pope me regarde, mais je baisse la tête. J'ai peur de lire de la compassion dans ses yeux. La situation doit autant lui déplaire qu'à moi, mais au moins n'est-ce pas lui qui est jugé.
Il en a finit avec les banalités, il me rappelle les faits. Comme s'il y avait une chance que je les oublies ... Je me rappelle mon effroyable erreur. Je me rappelle ce jour où j'ai commis l'irréparable. La simple évocation du souvenir me donne des sueurs froides. Comment j'ai réfléchi, comment j'ai agi, que ne donnerais-je pour pouvoir revenir en arrière ?!
J'ai un haut le coeur. Mon crime m'est insupportable, jamais je ne me le pardonnerais. Je me souviens de la haine. Je l'éprouve, aujourd'hui. Envers moi-même ...
Ma sanction ne sera pas une si mauvaise chose, après tout. Mort, je n'aurais plus de conscience qui puisse être torturée. Je trouverais dans le repos éternel mon propre oubli. Avec pareil déshonneur sur mon nom, j'aime autant ne plus exister.
Cette pensée me rassure, et me redonne espoir. La mort sera ma libération. Un sourire perle sur mes lèvres. Quelques témoins s'en rendent comptent et s'échangent une parole à voix basse ...
Le Grand Pope vient de terminer l'évocation des faits. C'est l'heure du verdict. La sanction est tellement prévisible, à quoi bon l'écouter ?
Je me résous, l'annonce de ma propre condamnation à mort sonnera à mes oreilles comme la plus douce des libérations.
"Chevalier ...", me dit le Grand Pope, s'adressant à moi.
"Chevalier, ton crime est inconcevablement grave. Ton châtiment est en conséquence."
Le Grand Pope se trompe. Il n'existe aucune peine qui puisse m'être infligé qui dépasse ma propre faute.
"Nul ici ne saura contester que la seule peine qui convient est ...
... la mort."
Il l'a dit. Je souhaite que la sentence ne tarde pas ...
"Cependant, je perçois une autre voie, que je juge préférable, et que je vais appliquer."
Allons bon, qu'est-ce qu'il raconte, maintenant ?
Je mérite mille fois la mort, il ne va tout de même pas sauver ma vie ?
"Chevalier, j'ai le sentiment que tu attends la mort, afin de subir la délivrance ultime. C'est pourquoi une telle sanction ne convient pas."
Pour la première fois, j'écoute le Grand Pope avec attention ... et angoisse.
"Chevalier, la mort serait pour toi une récompense, c'est pourquoi tu subiras une toute autre punition, plus effroyable encore que les affres des kères noires."
Mon regard tombe à nouveau. Une effroyable terreur s'empare de mon être. Quel fou suis-je pour espérer le repos ? Je relève la tête, prêt à tout.
Le Grand Pope m'explique, à présent.
Même dans mes pires cauchemars, je n'aurais imaginé pareille chose ...

~~~~~


"Tu renonces à ton nom.", me dit-il.
"Tu ne le portes plus. Tu l'oublies. Tu oublies qui tu es. Qui tu as été. Tu ne penses pas même à qui tu aurais pu être. Tu camoufles ton visage derrière un masque représentant un démon. Tu es désormais le coupable. Tu es Guilty."
Ainsi, je cesse d'exister. Mon ancien moi disparaît. Mon nom devient tabou, et tous au Sanctuaire s'empresseront de l'oublier. Je deviens le coupable. Je deviens Guilty.
Le masque est affreusement laid. Il est rouge, et représente un démon grimaçant. Ceux qui me verront n'auront de moi que cette image parfaitement laide, et ils me craindront et me haïront sans même me connaître. Je suis désormais esclave de ma punition. Je n'aurais jamais la chance de me racheter, car nul autour de moi ne verra autre chose que le coupable en moi.
"Tu iras sur l'île de la Reine Morte, et sera son gardien, comme l'ont été avant toi les autres coupables. Tu souffriras tous les jours de l'île, et tu passeras le reste de ta vie confronté aux renégats."
Je cesse de vivre. Condamné à la pire des tâches, je passerais ma vie à expier mon crime. Je deviens le coupable, je deviens Guilty, comme peu d'autres avant moi.
"Tu auras la haine. La haine envers les renégats, qui haïront ton rôle et te rendront la vie impossible. La haine envers mon jugement, que tu finiras par trouver injuste. La haine envers le Sanctuaire, qui t'aura abandonné La haine envers tous ceux que tu verras, dont l'épouvante que tu leur inspireras te rappellera ta condition. La haine envers toi-même, pour ta faute que tu ne pardonneras jamais."
La haine ...
Telle est donc la véritable nature de la sanction du Grand Pope.
Je n'éprouve pas même de la colère, aujourd'hui, sauf évidemment envers moi-même. Je n'éprouve pas de haine, mais les années vont défigurer mon comportement, aliéner mon être. Je deviendrais un être de pure haine.
Je hais déjà quelque chose. Je hais cette destinée.
Mais le Grand Pope n'a pas terminé. Il lui reste une parole. Je l'écoute avec appréhension ...
... et un sourire heureux éclaire mon visage.

De sa dernière parole, c'est un espoir qu'il m'a donné ...

~ 3 ~


Mon pas foule le sol de l'île de la Reine Morte. Le masque sur mon visage réduit légèrement mon champ de vision, mais la terreur de l'île me frappe de plein fouet. La mort est partout. Elle est dans les flammes d'un volcan, dans la stérilité de la terre, dans les vapeurs acides qui se dégagent du sol ...
Rien ne pousse, rien ne vit. Aux alentours de l'île émergent plusieurs terres de petites tailles. Sans doute est-ce ces îles qui permettent aux renégats de trouver de quoi vivre.
Les renégats ...
A peine le bateau qui m'a déposé a-t-il disparu, que l'un d'entre eux m'apparaît. Il porte une de ces armures noires, et me regarde interloqué. Je me souviens de ma mission. Je suis le gardien. Je dois emprisonner les renégats.
"Tu portes un masque ...", dit-il, s'adressant plus à lui-même qu'à moi.
"La légende disait donc vrai, il y a bien un gardien. Il est revenu. Il s'appelle Guilty et ..."
Son visage exprime une profonde terreur. La terreur se change en ...
Le renégat disparaît. Je ne me lance pas à sa poursuite. Je n'en ai pas le droit. Je dois les empêcher de quitter l'île, pas les exterminer.
Sur son visage, j'ai lu de la haine. Il ne me connaît pas, mais déjà il me déteste, il souhaite ma mort ...
... il complote pour ma mort.

~~~~~


Je devine que l'annonce de mon arrivée sur l'île s'est répandue telle une traînée de poudre. Avant de m'envoyer sur ce lieu de désolation, on m'a instruit de la situation sur l'île. Les chevaliers noirs sont d'une puissance limitée, les plus forts ayant le niveau d'un chevalier de bronze. Autant dire que je n'ai pas grand chose à craindre d'eux. De plus, ils sont très divisés. Ils sont réunis en plusieurs clans, et vont parfois jusqu'à se battre entre eux. Chaque clan peut comporter jusqu'à deux dizaines de renégats, et on dénombre moins d'une demi-douzaine de ces clans. On suppose également que certains renégats ne sont affiliés à aucuns clans. Ceux-là seront les plus durs à contrôler. La plupart des renégats possèdent une armure noire au potentiel défensif limité, quoique correct. Bien que j'ai conservé mon sacre de chevalier, je n'en ai pas moins rendu mon armure, et reste vulnérable aux attaques. Dans la pratique, je me sais toutefois largement capable de survivre aux chevaliers noirs.
Toujours est-il que mon arrivée sur l'île a été le point de départ d'événements tragiques. Se savoir captifs n'a évidement pas plut aux renégats. Terrorisés par la légende de Guilty, ils ont trouvé en moi l'ennemi commun qui leur a permis de s'unifier en une seule faction, le temps d'une action d'exploit. Je devine la rage des seigneurs des clans au moment des négociations faites dans cette alliance. Chacun devait essayer d'imposer sa stratégie. Mais il était dans leur intérêt à tous de s'entendre, aussi ont-ils dû finir par se mettre d'accord.
Moins d'un mois après mon arrivée, eu lieu la pire bataille qu'ai jamais dû connaître l'île de la Reine Morte.
Non. Pas une bataille …
… un véritable massacre !

~~~~~


Les renégats ont évidement attendus que la torpeur m'abatte pour entreprendre leur action. Les fous, croire que mon sommeil leur permettrait de gagner du temps ...
A peine commencent-ils à bouger que je me réveille, les veines saturées d'adrénalines et les sens en alerte. Face à la porte de ma pitoyable cabane se tient une vingtaine de chevaliers noirs. Je connais la plupart d'entre eux. Aucun n'est à la hauteur. Ils ne sont pas stupides au point de me sous-estimer à ce point, et je devine que leur présence n'est qu'une diversion. En ce moment même, tous les autres doivent essayer de quitter l'île. De s'évader de cette prison ...
La tension est énorme. Tous ont conscience de ne pas avoir la moindre chance face à moi. J'ignore comment ils ont été désignés, sans doute n'ont-ils pas eu de chance. Intérieurement, je me dis 'Qu'importe, et tant pis pour eux.'
Je laisse ma cosmoénergie exploser, et je deviens le pire des fauves ...
Le premier renégat meurt de ma main en une seconde. La seconde suivante voit deux cadavres de plus mordre la poussière. Je cesse de bouger, jugeant les autres de mon oeil sale. Aucun ne semble prêt à abandonner. C'est probablement la mort qui les attend de toute façon, s'ils échouent. Autant en finir.
Dans un hurlement général, ils fondent sur moi tels des bêtes sauvages.
Il me faut moins de deux minutes pour tous les assassiner, car c'est bien d'un assassina qu'il s'agit. Pour la première fois, mon armure me manque. Leur force à chacun est plutôt faible, mais à eux tous, ils sont parvenus à couvrir mon corps de blessures. A jamais, d'innombrables cicatrices marqueront le souvenir de cette journée. Mais il est vrai que je ne prenais pas la peine de me protéger …
En fin de compte, leur sacrifice à tous n'aura servi qu'à gagner ces deux pitoyables minutes ...
... deux absurdes minutes, durant lesquels les autres renégats se sont éparpillés, certains cachés dans une des îles avoisinantes, d'autres tentant de gagner à la nage un des navires de quelques obscures alliés venus les chercher.
Je repère la première de ces embarcations, et m'y rend d'un saut. Un renégat est déjà à son bord. Il porte une armure noire à l'effigie du Petit Lion.
"Je leur ai dit que ce n'était pas une bonne idée.", me dit-il.
"Je leur ai dit que le gardien se devait de pouvoir mettre en échec un plan pareil. Ils ne m'ont pas écouté, et maintenant nous mourons.
Je suis Artar, Seigneur noir du Lion. Parmi ceux que tu as déjà dû tuer, se comptaient plusieurs de mes amis. Pour eux, et pour mon honneur, je vais t'affronter de toutes mes forces."
Il se met en garde, je ressens sa cosmoénergie qui croît. Il se jette sur moi et tente de me frapper.
"Par la Morsure de Némée !!", s'écrie-t-il, tentant d'abattre son poing sur mon corps.
'Inutile ...'
D'un geste, je lui traverse la poitrine de ma main. Le hoquet de sa douleur lui fait cracher un peu de sang rouge.
"Je le ... savais ...", prononce-t-il dans un dernier râle.
J'entends un cri dans mon dos. Un autre de ces renégats est parvenu à se hisser à bord. A rencontrer son destin ...

~~~~~


Les corps des trois chevaliers noirs gisent morts sur le pont du bateau.
Je n'ai pas l'impression de combattre les renégats. Ils sont de loin trop faibles pour que je puisse me féliciter de ces victoires. Je regarde leurs cadavres. Privé de vie, l'un d'entre eux semble dormir.
'Artar ...'
Je réalise qu'ils ont tous une histoire, peut-être semblable à la mienne. Peut-être ont-ils des amis, des familles, des rêves. Je les assassine sans distinction, sans leur laisser le temps de se défendre. Je regarde mes mains, mon corps, et n'y vois que souillure. Le sang des renégats me recouvre, car je les tue avec mes mains. Le liquide rouge et chaud semble consumer mon être ...
En cet instant, je n'ai plus qu'un désir : que tout cela cesse. Qu'enfin je puisse me reposer, mettre un terme à cela. Que ma vie en soit le prix, si il le faut. Je regarde mon poing. Je pourrais perforer ma poitrine, broyer mon propre coeur. Ma main tremble ...
Mais c'est impossible. Je dois mater la révolte, tel est le prix insupportable que je dois payer. Le prix de ma faute que même la mort ne peut payer. La sanction du Grand Pope. Celle d'Athéna.
Je suis pris de nausées.
A l'intérieur du bateau se trouve plusieurs marins. J'ignore qui ils sont, mais ils sont complices des renégats, et cela suffit. L'un d'entre eux semble très jeune, mais cela ne doit pas avoir d'importance. De mon cosmos, de ma puissance, j'envoi le navire par le fond, laissant peu de chances de survies aux malheureux qui se trouvaient à son bord.
De l'autre côté de l'île se trouve un autre navire. Las, écœuré et épuisé, je prends à peine le temps de m'y rendre, le temps de détruire son moteur et de perforer sa coque. Ceux qui sont déjà à son bord poussent quelques cris ou se taisent.
Les renégats n'ont désormais plus la possibilité de fuir, mais ce n'est toujours pas terminé. Il reste des guerriers à abattre, des vies à prendre ...

~~~~~


Je devine leur haine, leur désespoir. Ils sont les chevaliers noirs, et vont chercher par tous les moyens à m'abattre. Ils n'ont pas réussi à fuir, maintenant vont-ils attaquer. Le seul renégat notablement fort que j'ai affronté a été Artar. Les autres doivent être d'un niveau égal ou inférieur.
Mais l'attaque frontale n'est pas une solution pour eux, ils ne le savent que trop bien. Ils se sont cachés dans chaque recoin de l'île, et exécutent ce qu'on peut appeler un siège. Ils savent que je ne peux les tuer de ma propre initiative. Ils me guettent et ils attendent. Une trentaine d'entre eux sont morts lors de leur assaut, aussi ne doivent-ils pas être pressés d'agir. Sans doute ont-ils peur. Sans doute pensaient-ils que Guilty n'était qu'une légende, mais les cauchemars deviennent parfois réalités. Ils sont nombreux, et mettront du temps avant de comprendre.
Les jours passent, et encore ils me guettent. La fatigue commence à m'abattre. Je décide de dormir un peu. Pauvre fou que je suis, à peine m'assoupis-je qu'une force imposante détruit ma cabane. J'émerge des décombres, le corps saturé d'adrénaline. En face de moi se tient un des renégats.
"Je suis Merlack.", me dit-il. "Merlack, seigneur noir du Petit Chien, et je te défie, gardien."
Il y a également de la haine dans ces yeux. De la haine, mêlée à la résignation. Je suis surpris qu'un seigneur noir ait été désigné pour venir m'affronter. Probablement cherche-t-il a donner l'exemple.
D'un mouvement, je me glisse dans son dos, et le frappe à la nuque. Sa vigueur disparaît aussitôt, et il s'effondre. Son corps sans vie est presque pathétique. J'en viens à me demander quel est le but des chevaliers noirs. Ils n'ignorent pas l'existence du Sanctuaire, alors pourquoi s'obstinent-ils à acquérir une force superficielle destinée à être matée par un véritable chevalier sacré ? Probablement n'y ont-ils même pas pensé.
Quoi qu'il en soit, leur stratégie est mise à jour. Ils cherchent à m'épuiser. Je dois rester en permanence en alerte, et l'un d'entre eux se présentera à moi à chaque fois que j'essaierais de me reposer. Si je ne fais rien, il se pourrait même que cela fonctionne. Le mieux est d'en finir une bonne fois pour toute.

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Les renégats ont fait une erreur. Ils savaient que Guilty n'a pas le droit de s'en prendre aux chevaliers noirs de sa propre initiative. Tels sont les ordres d'Athéna. Le gardien doit faire un blocus sur l'île, et non détruire ses habitants. C'est pourquoi je ne pouvais pas bouger avant eux. Ils ont voulu exploiter cela à leur avantage, et ont joué la carte de la passivité, cherchant à m'épuiser psychologiquement et physiquement. L'un d'entre eux, Merlack, seigneur noir du Petit Chien, est même venu me déranger durant mon sommeil, afin de ne pas me laisser de répit. Ils croyaient que je serais sans arme face à cette tactique, et qu'une guerre d'usure m'épuiserait au point de me rendre vulnérable, au sacrifice modeste de quelques-uns uns d'entre eux. Et telle fut leur erreur.
En me surveillant et en restant prêt à m'attaquer, ils devenaient par conséquent un danger potentiel, et je gagnais ainsi le droit de m'en prendre à eux ...
Les corps sans vie des chevaliers noirs gisent un peu partout sur la sanglante île de la Reine Morte. Parmi eux, ceux de tous les seigneurs noirs, de ceux qui les suivaient ...
Le sang me souille à nouveau, et à nouveau je suis pris de nausées. J'ai beau être un guerrier d'élite, ma formation ne m'avait pas préparé à cela. Je pense que je ne me remettrais jamais complètement de mes premières journées sur ce lieu infernal.

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J'ai le sang des seigneurs noirs sur les mains, et celui de leurs suivants. Les clans ne sont plus. De l'île dégage une ambiance calme et sereine que je ne pensais pas possible. Je ne ressens plus la haine des renégats, qui cherchaient à m'abattre à tout prix. Elle a disparu avec leurs vies, et sa présence n'émerge plus des roches sulfureuses ou du sol de l'île. Le jour se lève, l'aurore me parait presque agréable. Un peu de faune ou de flore aurait contribué à ce que ce soit plus qu'une impression.
Je regarde le ciel. Je regarde le sol. Je regarde le volcan et la roche, ce lieu qui m'accueille aujourd'hui, et pour toujours. La haine n'habite plus cette île. Elle s'est déplacée.
Et elle a trouvé refuge en moi ...

~ 4 ~


Je repense à ce jour où j'ai exterminé les clans, à ce traumatisme qui m'a éveillé à la haine. Des chevaliers noirs survivants, il y en avait. Ils vivaient jusqu'alors en marge des clans, choisissant de ne pas obéir aux seigneurs noirs. Lors de la tuerie de mes premiers jours, ils sont restés passifs, esquivant par la même la sanction de Guilty.
La situation a joué en leur faveur, finalement. Ils ont dans l'affaire gagné le contrôle de l'île. Jamais ils n'ont fait l'erreur de chercher à s'enfuir, ou de s'en prendre à moi. Ils ne savaient que trop bien que c'est la mort qui les attendaient.
Aujourd'hui, de nouveaux seigneurs noirs sont apparus. De nouveaux clans existent, toujours avec les mêmes rivalités. Il existe toujours des renégats rebelles qui préfère rester seuls plutôt que de se livrer à ces batailles pathétiques.
La sanction du Grand Pope est lourde. Le fait d'être Guilty, d'être le gardien ...
... d'avoir la haine ...
Depuis ce jour, et avec les années, j'ai perdu toute pitié. Je n'inspire que haine à ceux que je croise, et en retour je leur rends cette haine. Je pense au Sanctuaire avec haine. Haine pour ceux qui m'ont condamné et pour ceux qui m'ont oublié. J'ignore si la haine en moi est une chose sincère ou si elle est la simple expression de mon devoir. Elle est en moi, et cela suffit.
Seul l'espoir me permet de ne pas sombrer dans la folie. L'espoir que m'a donné le Grand Pope il y a presque deux décennies.
"Ta peine prendra fin.", m'avait-il dit.
"Elle prendra fin quand tu trouveras quelqu'un. Quelqu'un qui te délivre de ta tache de gardien. Tu seras alors libre de mourir. Ta peine aura pris fin."

Je regarde les trois silhouettes s'éloigner.
Les chevaliers d'acier ?
Peut-être est-ce eux.
Peut-être me délivreront-ils !!

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Cette fiction est copyright Frédéric Ramirez et Gille Monchoux.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.