Prologue : une époque d'acier


Introduction :
En fin de compte, seuls les événements sont importants.
On retient des noms, des lieux, l’Histoire. Tels deux enfants se disputant autour de quelques billes, une guerre de pouvoir peut opposer deux pays frères. L’émotion d’une mère pleurant son fils aimé mort au combat qui aurait le même sens que celle d’un jeune couple d’amoureux échangeant ces alliances à la signification si profonde.
Tous ces faits. Anecdotes, légendes, récits et autres contes n’appartiendraient qu’au passé, ou à l’imagination de celui qui sait en comprendre l’essence.
Un scientifique me parle de la causalité. A tout événement, une origine. Mais je me demande.
Et si …
Et si plutôt que de parler de ces événements, de leurs conséquences sombres et joyeuses, on ne préférait se souvenir de ce qui les a engendrés ? Et si, plutôt que de se souvenir d’un homme par ce qu’il a accompli, on préférait énumérer chaque marche de l’échelle qui l’a mené à son ascension ?
Mais un événement est-il autre chose qu’une conséquence ? Une conséquence n’est-elle pas déjà la cause d’un autre futur ?
Si une cause est elle-même une conséquence, quel intérêt lui accorder ?
Mais le marionnettiste, omnipotent en son univers, décide de jouer avec l’Ironie.
" Reprendre une histoire que je connais ", il se dit. " En modifier un détail. Un seul. Insignifiant. Et inventer la suite, ce nouveau futur que je crée en modifiant une cause. " Quels seront les événements qui secoueront tous ces pantins issus de l’imagination d’un écrivain qui rêvait être Dieu ?
Tout ça à cause de ce misérable détail, qui projeta un être appelé Mitsumasa Kido dans une réalité qui n’aurait pas dû être la sienne. Et après lui, tant d’autres qui auront vu leurs destins à ce point bouleversés.


Prologue


Japon – Quatre ans auparavant

L’agitation d’une cour de récréation. Tous ces enfants qui courent après ce ballon si convoité, tous très déterminés à frapper dedans. Certains vont plus vite, et savent comment empêcher les autres de prendre l’objet. Ceux-là même cherchent encore à faire passer le ballon derrière la ligne de craie. Bien sûr, ceux d’en face ne se laissent pas faire.
En voilà un des plus téméraires, il a vu la trajectoire du ballon, il s’en approche. Celui qui l’avait ne l’a plus, c’est un adolescent brun et fier qui le lui a prit. Il se dépêche, maintenant. Il pousse la balle de son pied et repousse ses camarades. Il a déjà traversé la moitié du terrain. Il avance encore. Il n’y a plus d’obstacle. Il s’arrête, lève le pied en arrière, très haut.
" Tu es trop loin ! ". L’enfant entend une voix qui lui demande d’être prudent, mais il tape dans la chose ronde, de toutes ses forces. Les quelques filles qui regardent la scène retiennent leurs souffles. Le ballon traverse le reste de la cour en un instant, personne n’est capable d’arrêter le projectile …
… mais le projectile rate sa cible.

" T’es qu’un idiot, Seiya !
- Ouais, t’as frappé le ballon tellement fort qu’il est passé par-dessus le mur. Imbécile de Seiya !
- Seiya ! Crétin ! c’était trop haut, ça compte pas pour un but.
- Ca va, ça va, j’ai pas fait exprès. "
L’adolescent répond au nom de Seiya. Il jouait au foot dans la cour de l’orphelinat de la fondation Kido, mais une maladresse l’avait fait envoyer le ballon par-dessus cette infranchissable paroi en béton.
" Comment on va faire maintenant ?
- Ouais, comment on va faire ?
- Calmez-vous, les copains … "
Le visage de Seiya a perdu sa fierté. La confusion a détrôné l’air victorieux qu’il arborait il y a un instant.
Pauvre Seiya.
" Ecoutez-moi, je vais aller chercher le ballon.
- Imbécile, il est passé derrière le mur. Tu veux quoi ? L’escalader ? "
L’enfant coupable jette un regard à l’obstacle.
C’est gris, sobre et froid. Mais surtout, c’est haut.
" Il doit bien mesurer trois mètres. Tu pourras jamais y arriver. "
Mais Seiya fait déjà un pas en direction de ce qui lui permettra de sauver la face : un exploit.
" Tu dis ça parce que personne n’y est jamais arrivé.
- Mais on ne sait même pas ce qu’il y a derrière. Seiya, t’y arriveras jamais. "
Mais l’enfant n’écoute déjà plus. Il prend sa respiration et s’élance. Il doit le faire. Pour ses camarades, pour ne pas faiblir. Un instant, il se sent grisé. Il vient de comprendre que c’est cette volonté qui le fera réussir.
Et puis, accessoirement, les filles ne le quittent pas des yeux …
Seiya court, humiliant déjà tous ceux qui pensaient être les plus rapides. Seiya court, court encore, toujours, de plus en plus vite. Quand il est près de l’obstacle, il prend son envol. Les autres enfants de l’orphelinat, ceux bien sûr qui auront eu la malchance de rater l’événement, vont avoir toutes les peines du monde à croire leurs camarades, quand ces derniers raconteront, excités par la narration, avec quelle puissance celui qui avait perdu le ballon venait d’atteindre la hauteur du mur, et de s’y accrocher.
Mais Seiya ne pense déjà plus à sa gloire de demain. Devant ses yeux, l’inconcevable …
Ils étaient trois, derrière le mur. Trois adolescents.
" Mais … ", se dit Seiya. " Ils doivent pourtant avoir mon âge … "
Trois inconnus en plein travail.
De l’exercice physique.
Seiya les regarde, béat. Il les regarde alors que l’un d’entre eux, tel un jaguar en fuite, court autour d’un grand terrain. Il file tel le vent, prodigieusement vite. Seiya les observe, encore, pendant qu’un deuxième soulève un poids aussi grand que lui. Seiya peux les voir, enfin, tandis que le troisième frappe de son poing nu, et avec quelle énergie, un rocher imposant.
Seiya se rappelle alors de cette satisfaction qu’il a eu lorsque, il y a à peine un instant, il s’est aggripé à ce mur, celui sur lequel il se tient maintenant, assis. Il était fier, alors, mais sa fierté s’est maintenant changée en une humilité malsaine. Il a honte. Honte de s’être sentit fort, alors qu’à dix mètres de lui il existe ces jeunes garçons si vivaces. Seiya reste un instant à les regarder, envieux un peu, motivé beaucoup. Mais cette scène presque onirique disparaît tel un courant d’air, quand son regard se pose sur la raison de sa présence ici.
Le ballon.
" Eh ! Vous ! "
Seiya appelle ces êtres étranges, un peu intimidé.
" Ohé ! Vous m’entendez ? "
Les trois garçons tournent la tête. Six yeux fixent un Seiya à présent presque inquiet.
" Tu es un de ceux de l’orphelinat de M. Kido, n’est-ce pas ?
- Euh … Oui. "
Perché sur son mur, le gamin ne sait plus quelle attitude prendre.
" Euh … J’ai perdu le ballon, là. "
Trois enfants fixent l’index pointé vers le sol. Les regards vont ensuite sur l’objet rond.
Un des trois s’approche de la chose, et la ramasse d’une seule main.
" C’est ça que tu as perdu ?
- C’est … " Le bruit de la salive qu’on avale. " C’est bien ça. "
Un instant plus tard, Seiya attrape le ballon. Mais ses yeux fixent toujours ces êtres si singulier.
" Vous êtes en train de vous entraîner ?
- Oui, on peut dire ça. "
Seiya prend un moment pour observer le lieu. Une cour qui aurait pu ressembler à celle de l’orphelinat, si il n’y avait ces quelques détails. Un appareil de musculation, ici. Un ring, là. Un instant, Seiya s’imagine être à la place de ces trois personnes.
" Ah, au fait, je m’appelle Seiya. "
Mais il n’y a que le silence d’une réponse qui ne vient pas.
Le garçon sourit tristement.
" Ça ne fait rien. Merci pour le ballon. "
Il leur jette un dernier regard, et retourne de l’autre côté, dans cette cour où il a toujours été.
Ses camarades l’attendent. Tous se demandent si celui qui a vu ’l’autre côté’ va dire quelque chose. Mais il ne dit rien. Il échange un regard avec sa sœur Seika. Peut-être qu’il lui racontera, à elle.
‘C’est étrange’, pense-t-il. ‘J’ai l’impression d’être passé à côté de quelque chose …’
Mais pour l’instant, il jette le ballon de toutes ses forces au milieu des adolescents et hurle.
" Bougez-vous, les copains, on a un but à rattraper ! "

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Grèce, une quinzaine d’années auparavant

C’est l’histoire d’un homme qui n’était pas des plus vertueux. Mitsumasa Kido, c’est le nom donné à cet être de grande destinée. Beaucoup de choses sont à dire sur un tel personnage, mais l’anecdote que je vais conter est de loin la plus singulière.
Un jour, donc, en bon vivant qu’il était, M. Kido s’était aventuré loin de sa contrée natale et de son métier. Pourquoi avait-il choisi ce pays qu’est la Grèce pour ces vacances ? Voilà une question pleine de sens …
Depuis le matin déjà, il prenait des photos des divers monuments qui croisaient son chemin. Il y prêtait attention, en passionné d’Histoire qu’il était, ignorant encore qu’il avait rendez-vous avec son destin.
Sur le bord de la route, finalement, il croisa un mendiant. L’être était misérable. Il s’était mis à genoux et fixait le sol avec désespoir, afin de ne plus faire attention aux passants cruels qui l’abandonnaient à sa pauvreté. Prenant pitié de l’être, Kido s’agenouilla en face de lui, de sorte à ne pas devoir le regarder de haut. La créature releva la tête et plongea son regard dans celui du japonais.
Et il dit :
" Etranger, donne-moi une pièce, et je te raconterais mon histoire. "
Quel brave homme que ce Kido, c’est un billet qu’il posa alors dans la main du mendiant. Mais soudain il eut un grand doute. Devait-il écouter celui pour qui il venait de faire part de générosité ? Ou bien devait-il continuer sa route sans plus attendre ?
Il hésita une minute, se disant qu’il avait encore beaucoup de choses à voir. Mais son cœur l’emporta sur sa raison, et il sourit au malheureux.
Et le malheureux se mit à parler. Personne ne sait exactement ce qui a été raconté à ce riche homme d’affaire japonais, en cette journée où le soleil inondait le sol grec. Personne ne le sait, mais cela n’a de toute façon guère d’importance.
Kido se releva finalement, car l’homme en avait terminé avec l’histoire de sa vie. Bien du temps s’était écoulé, quand le japonais reprit enfin son chemin. Il était en retard pour son rendez-vous avec le destin. Mais alors qu’il atteignait les fameuses ruines d’Athènes, celles dont la sobriété fait fuir les touristes, il était déjà trop tard.
L’homme entendit les pleurs d’un bébé. S’approchant de la source du bruit, il fit une découverte étonnante : son destin.
Un homme était étendu sur le sol froid. Son corps encore chaud ruisselait de sang. Le pauvre avait rendu l’âme, et ce depuis un instant à peine. A ses côtés, se trouvait une urne magnifique, ainsi qu’un malheureux bébé.
Kido repensa alors à ce mendiant qu’il avait écouté, un peu plus tôt dans l’après-midi. Il se dit que s’il avait laissé l’homme à sa misère, il serait arrivé à temps pour voir mourir ce jeune garçon, et alors il eut un regret : celui de n’avoir pas pu être auprès de lui pour ses derniers instants.
Il fit une sépulture à l’inconnu, et recueillit la fille, celle qui avait finalement séché ses larmes, et qui dormait, à présent. Il lui donna le nom ‘Saori’. Il emporta également cette urne étrange, pensant l’ajouter à sa collection d’objets précieux.
Le soir même, il était de retour au Japon, son pays natal.
Ce jour-là, Mitsumasa Kido avait croisé son destin, mais ils s’étaient ratés.

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Cette fiction est copyright Frédéric Ramirez et Gille Monchoux.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.