Chapitre 2 : Escales


Quelque part dans les montagnes de l'Himalaya, une nuit d'orage. Valkhan s'élance vers le Chasseur, son aura dorée se nourrissant de la détermination dont il fait preuve désormais. Alors qu'il brandit son bras, et qu'elle s'intensifie, une pluie d'étoiles filantes s'échappent de son corps et viennent frapper le Chasseur au moment même où celui-ci lui lacère la poitrine d'un coup de griffes fulgurant. Le fugitif chancelle et met un genou à terre, précipitant ses mains sur sa poitrine. Rapidement, celles-ci se couvrent du sang qui s'échappe de ses plaies : l'épaisse veste de fourrure n'a pas résisté à cet assaut meurtrier. Valkhan tourne la tête pour voir si son attaque a affecté son ennemi. Il est debout et lui tourne le dos, son manteau gris fumant encore des brûlures provoquées par la pluie d'étoiles filantes que Valkhan a déclenchée, mais à travers les déchirures du manteau, on aperçoit des reflets métalliques : sous sa robe sombre, le Chasseur porte une armure ! Après quelques secondes pendant lesquelles la fumée se dissipe, il se retourne, fait de nouveau face à Valkhan, et le regarde fixement. Le voyageur éreinté se redresse tout en déchirant un lambeau de son vêtement pour tenter de panser sa plaie, sans perdre des yeux les moindres mouvements de son adversaire.

- La douleur infligée par mes griffes est-elle suffisante, Valkhan ? Crois-tu que tu tiendras longtemps devant un adversaire tel que moi ? Tu sais bien que tu n'es pas de taille. Tu es faible et vulnérable, tu n'as aucune protection sans armure… Alors que moi, comme tu le vois, je suis protégé de tes attaques par la mienne. Et même si ce n'est pas l'armure qui fait le guerrier, elle contribue à sa survie.

Le regard de Valkhan s'est enflammé, maintenant que le combat a commencé. Son adversaire garde une imperturbable sérénité.

- Je vois que tes yeux ont enfin retrouvé toute leur combativité, notre duel promet donc d'être des plus intéressants. Mais la seule véritable question, c'est combien de temps me faudra-t-il pour te mettre Echec et Mat. Ce n'est plus qu'une question d'heures, de minutes…
- Ne crois pas que je vais t'abandonner une victoire facile, Chasseur, lui répond fièrement Valkhan. Je me battrai jusqu'au bout pour défendre Athéna.
- Tu essaieras, je n'en doute pas… mais tu échoueras !

Sur ces mots, une aura sombre et inquiétante vient entourer le corps du Chasseur. Valkhan perçoit son regard derrière le masque. Mais plus qu'un regard, c'est une attaque visant à produire dans l'esprit de sa proie une indicible terreur à la vue de son adversaire, comme un chasseur qui tente d'immobiliser sa proie avant de lui porter un coup fatal.





Février 2193. Quelque part en Asie. Un ruisseau serpentant au milieu de montagnes boisées. Les rayons du soleil réchauffent l'eau malgré la brise hivernale qui parcourt les basses montagnes. Une paire de sandales de cuir et un épais pull de laine brune gisent sur l'une des rives. Au milieu du cours d'eau, les jambes de son épais pantalon de fourrure brun retroussées, torse nu, Shin est immobile. Son regard fixe est concentré sur un point précis, quelque part sous la surface de l'eau, au niveau de ses genoux. Il n'a pas froid, pourtant la température avoisine les cinq degrés. Un poisson passe entre ses jambes. Aussitôt, son poing fend la surface de l'eau et plonge dans les profondeurs, sa main effleurant l'animal… Manqué ! Le poisson a réussi à s'échapper. Il s'en est fallu de peu.

- C'est plutôt pas mal pour une première fois. Qu'en dis-tu, Viktor ? Tu as vu ?

Sur la berge, debout les bras croisés, Valkhan observe l'enfant. Le regard du grand homme traverse le cours d'eau pour s'arrêter sur trois garçons assis en face de lui sur l'autre berge. Vicky se gratte la tête puis sourit. A sa gauche, Sven et Néo sont assis en tailleur et attendent la réponse du fils à son père.

- Tu as raison, papa ! Je sais qu'il m'a fallu beaucoup de tentatives pour attraper un poisson à mains nues, mais il n'a pas encore réussi !
- Peut-être, mais dis-moi Viktor, combien t'a-t-il fallu d'essais pour ne serait-ce qu'effleurer le poisson… ou même le percevoir ?
- Euh ? Bon d'accord, beaucoup ! répond le garçon l'air embarrassé.

Valkhan esquisse un timide sourire à l'adresse de Shin, puis d'un signe de tête lui fait comprendre de réessayer. Celui-ci lui rend son sourire avant de reporter son attention sur le cours d'eau : il est heureux. Son regard fixe à nouveau le fond de la rivière. A travers l'eau claire, il distingue la forme trouble de ses pieds, il voit les pierres qui tapissent le sol. Il perçoit les poissons, tous petits ; il a compris qu'ils étaient très rapides. Shin réfléchit, il analyse.

- L'eau ralentit légèrement la vitesse de mes mains, c'est pour ça que le poisson m'a échappé la première fois. Je dois anticiper ses déplacements, marmonne-t-il tout en suivant des yeux l'animal qui vient d'effleurer ses orteils.

Sur la berge, Vicky et Sven l'observent. Le nez en l'air, Néo ne cache pas sa joie. Quatre essais lui ont suffi, et personne d'autre n'est parvenu à battre ce record. Kemri n'avait même pas réussi et avait abandonné ! Sven tourne la tête vers Vicky et lui adresse un large sourire.

- Dis-moi, Viktor, c'était combien déjà ? Quatorze ?
- Je t'interdis de m'appeler comme ça ! Il n'y a que mon père qui en a le droit ! Tu n'arrêteras donc jamais de m'embêter avec ça. On se connaît même pas depuis trois semaines…
- Bon d'accord, je voulais pas t'embêter…
- Menteur, l'interrompt Vicky avec un demi sourire, tu manques jamais une occasion de m'embêter depuis qu'on est sorti de la prison !
- A peine… mais ton vrai nom, c'est bien Viktor ?
- Et alors ? Oui c'est mon vrai nom, mais tout le monde m'appelle Vicky… sauf mon père, termine-t-il d'un ton dépité.

Sven se met à rire. Il aime beaucoup taquiner son nouvel ami, ce frère qu'il n'a jamais eu et dont il rêvait. La vie a changé radicalement pour tous ces enfants. Valkhan les a sauvés d'une situation dramatique. Tous se sentent bien en sa compagnie : c'est un nouveau départ, une nouvelle vie. Ils voyagent sans cesse. Valkhan ne leur a pas dit où il compte les emmener. Nulle part en particulier, si on en croit les récits de Sandra et de Vicky qui se souviennent avoir toujours voyagé, sans jamais s'arrêter quelque part bien longtemps. Pour Sven, ça n'a pas d'importance, cette vie d'aventure le séduit, dans tous les cas il la préfère à ce qu'il a vécu à l'orphelinat et il espère bien que Valkhan ne l'y ramènera pas. D'ailleurs, Néo, Issa, Kemri et Shin n'ont pas non plus demandé à rentrer là d'où ils venaient. Valkhan est peut-être le père qu'ils n'ont jamais eu. Sven en est convaincu et il n'a pas envie que cela change… plus maintenant. L'homme leur a beaucoup donné en peu de temps. Dès le premier soir, il les a soignés. Sven se souvient de sa prodigieuse méthode pour soigner les blessures : par une simple imposition des mains, il a fait disparaître toutes leurs plaies en quelques heures, et pourtant celles de Néo étaient nombreuses. Dès le lendemain, il leur a fourni des vêtements, du même type que ceux de Sandra et de Vicky : un pantalon et un pull de toile fourré de couleur brune, ainsi qu'une paire de sandales de cuir, sauf pour Néo et Sven qui ont préféré se chausser de bottes à l'instar de Sandra.
Shin frappe la surface de l'eau. Sa main plonge. Ses doigts se referment autour du poisson… mais celui-ci parvient à se glisser hors de l'étreinte du garçon. Il s'échappe. Valkhan lui adresse un petit signe de tête lui indiquant de recommencer, encore. Sur la berge, Néo soupire : Shin a bien failli battre son record. Plus que deux échecs et il conservera son titre de champion du jour. Sous les ombres des arbres avoisinants, surgissent les silhouettes de Sandra, Kemri et Issa, les bras chargés de fruits des bois, produits de leur cueillette. Les trois enfants rejoignent leurs camarades et viennent s'asseoir avec eux. De l'autre côté, Valkhan a toujours les yeux rivés sur Shin bien qu'il semble, comme souvent, perdu dans de profondes rêveries. A quoi peut-il bien penser ? Le sourire d'une jeune femme… le masque du Chasseur… un cabanon de bois en proie aux flammes… un bébé qui pleure sous le corps sans vie de sa mère… Le visage couvert de sueur, les yeux exorbités, Valkhan prend sa tête entre ses mains, il se ressaisit… Il ne faut pas que les enfants le voient victime de ses cauchemars qui le hantent depuis plus de six ans… depuis que sa course folle a commencé.
L'image du poisson est inscrite dans les yeux de Shin. Sans hâte, avec doigté et précision, il plonge à nouveau sa main dans le ruisseau. Il sait que l'animal ne lui échappera pas. A peine son poing s'est-il fermé que le poisson est déjà hors de l'eau. La bête ne s'est même pas débattue. Calmement, Shin montre son trophée à Valkhan avant de le relâcher. Sur l'autre berge, Sandra applaudit la prouesse du jeune garçon. Néo ouvre une large bouche, écarquille de grands yeux tout en balbutiant quelques mots.

- Trois… Il a réussi en trois essais ! Il m'a battu ! Je n'aurai jamais cru ça possible. On peut dire qu'il a bien caché son jeu. Depuis le début du voyage, on va de surprise en surprise avec lui, et si vous voulez mon avis, il a pas fini de nous étonner, c'est comme si quelque chose l'avait transformé…
- C'est vrai. On ne pouvait pas penser qu'un garçon aussi sensible puisse avoir un talent comme celui-là, renchérit Issa.
- On a tous des talents cachés, maugrée Kemri tout en se déchaussant, je ne serai pas le seul à avoir échoué, vous verrez !

Alors que Shin regagne la berge, Kemri s'avance au milieu du ruisseau. Valkhan fronce les sourcils : il s'interroge sur la personnalité de chaque enfant. Fragile et sensible en apparence, Shin garde de précieuses ressources cachées au plus profond de lui, il lui faudra apprendre à surpasser ses barrières pour mieux développer ses talents. Tenace et impulsif, Kemri est en apparence discret, mais il dissimule en fait un excès de fierté pouvant être tantôt un avantage indéniable, tantôt un inconvénient regrettable. Le regard de braise de Kemri s'enflamme à la vue du poisson. Il doit réussir.




Sanctuaire sacré d'Athéna, en Grèce. Les portes du palais du Grand Pope. Deux gardes armés d'une lance, sortis tout droit d'un autre âge, en gardent l'accès. La silhouette d'un homme encapuchonné s'avance vers eux.

- Halte là ! s'écrie l'un des gardes. Personne ne peut entrer dans la Chambre Sacrée du Grand Pope sans autorisation. Aucune visite n'est prévue. Passe ton chemin.

Le visiteur ôte sa capuche noire, ses yeux violets fusillent le garde qui a osé s'adresser à lui sur un ton qu'il juge des plus inconvenant à son égard. Il a de longs cheveux oranges, agrémentés par des mèches argentées qui séparent sa coiffure en deux parties égales. Les traits de son visage sont tirés. Il a le teint halé. L'homme est imposant. Il continue d'avancer. Le garde abaisse sa lance pour lui barrer le passage. Son compagnon s'apprête à faire de même, mais se ravise et s'écarte, tremblant de tout son corps. Le visiteur saisit l'arme d'une main et l'écarte. Sa force est telle que le garde ne peut l'en empêcher.

- Je suis venu voir le Grand Pope, et ce n'est pas un misérable de ton espèce qui m'en empêchera. Ecarte-toi si tu ne veux pas m'obliger à employer les grands moyens.
- Mais j'ai des ordres, lui répond le soldat inquiet, et on ne doit pas désobéir aux ordres du Grand Pope.
- Va lui dire que Khyron est arrivé !
- Khy… Khyron… balbutie le garde prenant un ton livide, vous êtes Khyron le Sinistre. Veuillez m'excuser Seigneur Khyron, je ne vous avais pas reconnu.
- Je passe l'éponge pour cette fois, mais ne t'adresse jamais plus de cette manière à un Chevalier d'Or, ou il t'en cuira !

Le garde se précipite à l'intérieur. Il revient quelques instants plus tard. Khyron le Sinistre entre dans le palais. Les deux gardes soupirent.

- Tu l'avais reconnu, toi ? Pourquoi tu ne m'as rien dit ?
- Dé… désolé. Mais je… j'ai perdu mes moyens. Et puis tu l'avais mis en colère.
- Mais j'étais pas censé savoir que c'était un Chevalier d'Or, je l'avais jamais vu.
- Tu lui as pas demandé non plus.

A l'intérieur du palais, Khyron ôte sa grande cape noire, révélant une magnifique armure dorée tout en posant un genou à terre à quelques mètres d'un trône où l'attend le Grand Pope.

- Chevalier d'Or Khyron du signe du Scorpion, je suis à votre service, monseigneur.

Drapé d'une grande toge blanche plissée, portant un casque rouge, le Grand Pope lève une coupe dorée et sertie de pierres précieuses, emplie de vin. Il la porte à ses lèvres, tout en prenant soin de ne pas montrer son visage à son visiteur. Il boit une gorgée, pose sa coupe et met un masque bleu.

- Je t'attendais, Chevalier Khyron. Je souhaite te confier une mission de la plus haute importance. Je fais appel à toi parce que je connais ta loyauté à mon égard, ainsi que ta détermination à faire régner la justice. Je sais aussi que je peux compter sur ta discrétion… et sur tes talents.
- Que puis-je faire pour vous satisfaire, monseigneur ?
- Oh ! Il ne s'agit pas de me satisfaire. Non… en fait… la vie de la Déesse Athéna est en danger.
- Comment ? Mais monseigneur, elle ne peut bénéficier de meilleure protection. Le Chevalier du Sagittaire et vous-même veillez en permanence sur elle.
- Je sais, mais… il existe une menace qu'on ne peut prendre à la légère.
- Vous faîtes allusion aux meurtres qui se sont produits au Sanctuaire. J'ai entendu dire qu'un nouveau cadavre avait été découvert, c'est cela ? Mais j'avais cru comprendre qu'il n'avait pas été retrouvé ici. Vous pensez que l'assassin pourrait s'en prendre à la jeune réincarnation d'Athéna.
- C'est une possibilité. Mais ce qui m'inquiète, c'est que la dernière victime était un Chevalier d'Argent.
- Comment ? Mais c'est impossible !
- On m'a averti que les restes de Darius, le Chevalier d'Argent du Grand Chien, ont été retrouvés à plusieurs milliers de kilomètres d'ici. Et l'enquête a révélé la présence d'un indice inquiétant.
- Un indice inquiétant ? De quoi s'agit-il ?
- Des éclats de cristal…
- Comme ceux de… Se pourrait-il que le responsable de tous ces meurtres soit … Non, c'est impossible, les premiers meurtres sont bien antérieurs aux événements d'il y a six ans… A moins que…
- Oui, nous pensons la même chose, Chevalier. Tout était prévu depuis bien plus longtemps que nous ne le croyions. Et je crains qu'il ne soit en train de se produire de nouveaux événements terriblement inquiétants… je ne parle pas seulement de la mort de Darius. Il est revenu et… il n'est pas seul.




La nuit est tombée sur les abords du ruisseau. Les enfants se sont couchés dans d'épaisses couvertures et se sont disposés près d'un feu de bois, comme chaque soir. Le sommeil les a déjà presque tous emportés. Un poisson mort gît à côté de la couche de Kemri. Adossé à un arbre, Valkhan veille. A la lueur des flammes, il écrit dans un petit cahier, comme chaque soir. Sans doute une sorte de journal intime ou de carnet de route. Ce moment de la journée est celui que Néo redoute le plus car il sait que, comme chaque nuit, il fera le même cauchemar : cet homme en noir assassiné puis dépecé sous ses yeux par un être terrifiant dont le rire tonitruant résonne encore dans sa tête, tel un écho. Valkhan a pu soigner les blessures de son corps, mais pas celles de son âme… ils en ont parlé ensemble la première nuit. Et peut-être que cette discussion a permis à Néo de mieux vivre avec son cauchemar. La première nuit… Néo s'en souvient bien. C'était juste après leur fuite de la prison. Valkhan les avait réunis tous ensemble autour d'un feu et leur avait donné à chacun une couverture pour se réchauffer. Au début, il n'avait pas parlé, ou presque, il leur avait donné à boire et à manger, les avait soignés. Puis il leur avait dit tellement de choses qu'il était difficile de se souvenir de tout. Chacun avait retenu ce qu'il voulait. Néo se souvient des premières paroles de son sauveur.

- Je m'appelle Valkhan, je suis grec. Je suis venu ici parce que nous devions nous rencontrer. Je savais que vous seriez en danger et que je devrais vous protéger. Je crois que vous avez déjà eu l'occasion de faire connaissance avec ma fille, Sandra, et avec mon fils, Viktor. Je crois qu'il préférerait que vous l'appeliez Vicky, comme sa sœur…

Néo n'arrive pas à s'endormir. Il se lève et s'approche de Valkhan, qui lui fait signe de s'asseoir près de lui. Le garçon se blottit auprès du grand homme et s'emmitoufle dans sa couverture.

- Qu'est-ce que tu écris ? Je t'ai vu. Tu écris tous les soirs dans ton cahier. Tu n'en parles jamais ?
- J'écris le récit de ma journée, lui répond-il simplement.
- Pourquoi tu fais ça ? A quoi ça sert ? C'est vrai, il y a que toi qui le lit. Et puis ça sert à rien, comme c'est toi qui as écrit, t'as pas besoin de lire, tu sais bien ce qu'il y a d'écrit.
- C'est pour la mémoire.
- T'as peur de plus t'en rappeler un jour de tout ce qu'on a fait ?
- En quelque sorte, oui…
- Souvent quand tu écris, j'ai remarqué que t'avais l'air triste. C'est triste ce que tu écris ?
- Parfois…
- On te rend triste ? C'est à cause de nous…

Valkhan interrompt son écriture, comme surpris par la remarque de Néo. Il le regarde et lui sourit tout en passant sa main dans la chevelure blonde du petit garçon.

- Non, ce n'est pas vous qui me rendez triste, mais vois-tu, il m'arrive de me souvenir d'événements malheureux qui se sont déroulés il y a longtemps.
- Tu penses à la maman de Sandra et de Vicky ? Vicky m'a dit qu'elle était…
- Oui je pense à elle, souvent.
- Vicky m'a dit qu'elle était morte quand ils étaient tout petits, il s'en rappelle plus bien. Comment elle s'appelle ? Elle doit être jolie ?
- Elle… Elle était jolie, oui. Elle s'appelait Liana
- Qu'est-ce qui s'est passé ? Oh pardon… tu… tu pleures ?

Les yeux de Valkhan se remplissent de larmes et pourtant son regard luit d'un éclat pétillant de vie. Néo se sent honteux à l'idée d'avoir maladroitement ravivé les mauvais souvenirs de son… de son père, comme il le considère à présent. Il s'en veut tout à coup, avec sa sale manie de toujours poser des tas de questions aussi. Pourtant il sent bien que Valkhan ne lui en veut pas le moins du monde.

- Liana… Liana a perdu la vie dans un incendie. Viktor aussi était dans la maison… Elle l'a protégé. Quand je suis arrivé, je n'ai pas pu la sauver… Il faut que tu essaies de dormir à présent. Tu devrais retourner te coucher.

Néo se lève et va rejoindre sa couche. Il n'a pas eu une vie de rêve à l'orphelinat, mais lui au moins il n'a jamais perdu d'êtres chers… simplement parce qu'avant son enlèvement, il n'en avait pas vraiment. Le garçon ferme les yeux et s'endort. Cette nuit-là, pour la première fois depuis trois semaines, le Chasseur ne le hantera pas.




La nuit est tombée sur le paisible village de Rodrio. Le garde du palais du Grand Pope regagne sa maison, pas fâché de pouvoir enfin se coucher : il a eu assez d'émotions pour la journée, pense-t-il. Il referme la porte derrière lui et allume une lampe à huile pour éclairer l'intérieur de sa chambre. Un cri d'effroi. Il y a quelqu'un.

- Qui… Qui êtes-vous ? Qu'est-ce que vous faîtes ici ? se reprend le soldat.

Sortant de l'ombre, révélant à la lumière son masque terrifiant, le Chasseur s'approche du malheureux, à petits pas. De derrière son masque, son regard fixe le soldat. Un regard hypnotique, des cercles concentriques rougeoyant atteignent le cerveau de sa proie, la plongeant dans une terreur muette. Le soldat ne peut plus bouger, ses muscles ne lui répondent plus. Le Chasseur s'arrête à quelques centimètres de lui pour murmurer ces quelques mots.

- Fais-moi penser qu'un jour, il faudra que je remercie Khyron. Sa technique secrète de Restriction, qu'il m'a enseignée il y a des années, bien malgré lui il est vrai, est une de mes préférées. J'aime voir la terreur dans les yeux de mes victimes. Des victimes incapables de se défendre ou de s'enfuir. Rassure-toi, ton calvaire sera de courte durée, mais mon plaisir, à moi, sera immense.

Les ongles de ses mains s'allongent rapidement en de longues griffes brillantes. Sous son masque, le regard exalté du Chasseur révélerait une jubilation extrême si on pouvait le contempler. Un rire démoniaque retentit dans la maison. Des cris terrifiés… qui cessent presque aussitôt après avoir commencé.




Mars 2193. La ville de Bénarès sur les rives du Gange, en Inde. Un homme et sept enfants âgés de six à sept ans, portant chacun un gros sac de voyage sur le dos, entrent dans la ville. Entre les murs de la cité, règne une animation intense. Jusqu'à présent, Valkhan avait préféré éviter les villes, pour ne pas se faire trop remarquer ni attirer les curieux, étant donné la constitution hétéroclite de la petite troupe. Mais dans cette ville précisément, Valkhan vient pour rencontrer quelqu'un.

- Nous allons rendre visite à un ami que je n'ai plus revu depuis bien longtemps. C'est un expert dans le domaine des arts martiaux, il dirige le plus grand dojo de cette ville, un véritable temple. Les adeptes viennent ici depuis les quatre coins de l'Asie pour suivre son enseignement.

Depuis qu'il a entendu ces paroles, Shin est assez impatient de se rendre chez l'ami de Valkhan, sans toutefois en manifester le moindre signe auprès de ses compagnons. Le jeune Japonais espère bien avoir l'occasion d'assister à quelques combats ; lui-même pratiquait déjà les arts martiaux quand il était à l'orphelinat. La petite troupe avance à travers les rues de la ville, avant de rejoindre les rives du fleuve sacré.
La ville offre un désolant spectacle de pauvreté : des centaines de gens sont rassemblés sur les berges du Gange, des milliers même, à peine vêtus, nombre d'entre eux se baignent dans ces eaux grises où les cadavres des rats se mêlent aux rejets toxiques de la civilisation industrielle. Vicky observe avec un profond sentiment de tristesse mêlée de dégoût et de compassion cette scène pathétique, lorsque son attention est attirée par les cris d'une vieille femme. Un vieillard, sans doute son époux, vient de s'effondrer à ses pieds. Les cris de la femme se transforment en pleurs déchirants : le pauvre a dû être pris d'un malaise. La plupart des gens présents ne prêtent pas la moindre attention à la scène, deux hommes seulement se penchent sur le vieil Indien. L'un d'eux se relève presque aussitôt et Vicky l'entend clamer tout en s'éloignant : " Il va mourir, il n'y a rien à faire ! " L'autre tente désespérément de lui porter les premiers secours. Le vieillard est pris de convulsions, il crache son sang, il crie : il a peur de mourir. Vicky se retourne pour parler à son père, mais celui-ci a disparu. Valkhan descend déjà les marches qui le mènent auprès de l'homme qui agonise. Il s'agenouille à ses côtés, puis il murmure quelques mots. Il lui prend la main, son visage semble s'apaiser. Il prend ensuite la main de la vieille femme et y glisse celle de son époux. Les cris cessent, le couple se parle. D'un seul coup, tous ceux qui se trouvaient autour se sont tournés vers la scène, silencieux et respectueux, la plupart s'unissant en une sorte de prière tandis que Valkhan se lève et lentement s'éloigne pour rejoindre les enfants. Le vieil homme ne bouge plus, il a le visage souriant tandis que sa femme le serre dans ses bras.

- Qu'est-ce que tu as fait ? Tu as réussi à le soigner ? demande naïvement Néo.
- Non, il n'y avait plus rien à faire, son destin s'est accompli, répond doucement Valkhan. Je l'ai simplement aidé à quitter notre monde dans la paix, accompagné par sa femme qui l'aimait… pour que sa mort soit plus douce, plus humaine.

Sur ces mots, Valkhan reprend son bagage et avance à nouveau à travers la foule. Sa douce aura a réussi à rétablir un climat de paix et de sérénité, comme lors de son arrivée dans la prison d'où il les avait libérés, se souvient Néo. Pourtant, la situation est différente à présent, le saint homme n'a pas pu sauver un malheureux dont le destin était scellé, mais il a accompli une sorte de rituel… comme s'il était prêtre. Sur le point de repartir, l'attention de Néo se porte sur Vicky qui s'est retourné, l'air inquiet.

- Qu'est-ce que t'as ? lui demande-t-il. T'as l'air bizarre.
- Non, rien, j'ai eu l'impression qu'on nous observait.

Dans l'ombre, quelqu'un regarde s'éloigner la petite troupe. Un homme âgé, de type européen, chauve, un bouc gris sur le menton, les yeux bleus, vêtu d'une longue tunique pourpre et de sandales. Bientôt rejoint par deux enfants, Soliman le Visionnaire laisse échapper une larme.

- Ainsi tu les as trouvés, mon ami, murmure-t-il, nous allons donc devoir nous rencontrer à nouveau. Le temps de la prophétie est venu.




Désert du Sahara. Un obélisque de pierre érigé vers le ciel. Khyron le Sinistre, revêtu de son armure d'or, pose un genou à terre devant le monument. Il ferme les yeux. Il reste silencieux un bon moment puis se lève et s'approche de l'ouvrage. Au milieu de nombreux bas-reliefs, un texte en grec ancien est gravé. Khyron passe ses doigts sur chacune des lignes tout en répétant à voix basse le message qu'il connaît par cœur. Ses yeux s'ouvrent pour en refléter la dernière ligne. Brusquement, il tourne la tête. Il n'est plus seul.

- Je t'attendais, Argon. Je dois te parler.
- Vous ne venez pas souvent en ces lieux, lui répond le dénommé Argon, je crois même que c'est la première fois que je vous rencontre ici, maître.

Un Arabe aux cheveux très courts, une cicatrice sur le front, vêtu d'une djellaba noire et d'un turban brun s'approche du Chevalier d'Or. Les bras croisés, Argon jette un regard sur l'obélisque puis plonge dans celui de son maître, attentif.

- Ecoute-moi, Argon, j'ai des instructions à te communiquer, elles émanent directement du Grand Pope.
- Bishop ? Tiens, le Grand Pope Bishop daignerait-il s'intéresser au pauvre petit Chevalier que je suis.
- Ravale ta salive Argon, et je te conseille de parler de notre seigneur autrement. Je devrais te châtier pour proférer des paroles aussi irrespectueuses à l'égard de notre maître à tous.
- Soit. Que me veut-il ?
- Le Grand Pope m'a chargé de mener une enquête de la plus haute importance. La sécurité de la jeune réincarnation d'Athéna est en jeu. Et j'ai besoin de ta coopération.

Le visage du disciple ne dissimule pas sa surprise, il affiche même une certaine dose d'inquiétude. Il plisse les yeux tout en décroisant ses bras. Le Chevalier d'Or poursuit.

- Tu te souviens de ce qui s'est passé il y a six ans ? Tu n'es pas sans savoir que le Sanctuaire est sans nouvelle de Valkhan depuis. Pourtant certaines rumeurs …
- Valkhan est passé près d'ici il y a environ deux ans. Je suis au courant mais… il ne s'agit en effet que d'une rumeur.
- Je veux savoir pourquoi Valkhan est venu ici, s'il est bel et bien venu ici. Qui a-t-il rencontré ?
- Ce regard suspicieux ! Dois-je comprendre que vous pensez que Valkhan est venu pour ME rencontrer ?
- Je te pose la question, Argon.
- Je n'ai pas rencontré Valkhan et j'ignore s'il est vraiment venu ici. Votre question me déçoit beaucoup, maître. Je n'aime peut-être pas le Pope Bishop mais jamais je ne trahirai ma mission, et vous le savez. Maintenant, si Valkhan est vraiment venu ici, je pense qu'il a fait la même chose que vous tout à l'heure.

Khyron se retourne à nouveau vers l'obélisque. Il ferme les yeux, ses traits plissés trahissant un sentiment contenu de colère.

- Vous savez, maître, Valkhan venait souvent ici, sur cette tombe, autrefois. Je m'en souviens et… je ne comprends pas vraiment.
- Ecoute-moi bien, Argon, je ne crois pas que Valkhan soit venu ici pour se recueillir sur une tombe. Le Grand Pope et moi pensons qu'il est venu pour préparer quelque chose. Nous voulons savoir quoi ! Mène ton enquête. Il a forcément parlé à quelqu'un, laissé des traces de son passage. Tu connais très bien cette région et ses habitants. Informe-moi lorsque tu auras des réponses.
- Pourquoi ne pas vous en charger ? C'est à vous que le Grand Pope a confié cette mission. Je ne pense pas qu'il me fasse confiance.
- Contente-toi d'obéir à mes ordres. Les circonstances m'obligent à rentrer rapidement au Sanctuaire.
- Les circonstances ?
- Si Athéna est en danger, ma présence au Sanctuaire est requise, tu peux comprendre cela Argon !

Sans lui répondre, Argon regarde son maître s'éloigner puis disparaître derrière une dune de sable. A son tour, il pose ses yeux sur le texte gravé de l'obélisque, l'esprit encombré d'innombrables questions… sans réponses.




La petite troupe de Valkhan s'arrête devant les portes d'un immense dojo. Un bonze complètement imberbe, plutôt âgé, vient à leur rencontre. Il écarte ses bras en arborant un large sourire destiné à Valkhan.

- Valkhan, mon vieil ami, il y a si longtemps.
- Bien longtemps en effet. Je suis content de te revoir.
- Je vois que tu n'es pas seul, enchanté de vous rencontrer les enfants, mon nom est Sri Amida, maître de ce dojo.

Sri Amida s'incline, Shin fait de même aussitôt, les autres se sentant un peu obligés d'imiter leur camarade. Le maître des lieux les invite à partager son repas et leur propose d'assister à la rencontre qui doit avoir lieu l'après-midi : rien n'aurait pu faire davantage plaisir au petit Japonais. Après un repas plutôt inhabituel, Sri Amida fait asseoir les enfants au premier rang des spectateurs, assez peu nombreux dans la pièce, avant de rejoindre Valkhan un peu plus loin. Les deux hommes se sont retirés dans un endroit discret afin de pouvoir discuter. Ils ont certainement des tas de choses à se raconter, pense Néo. Les combats auxquels les enfants assistent sont du plus haut niveau en matière d'arts martiaux, Shin n'en revient pas lui-même. La compétition s'achève au bout de deux heures. Après la remise des récompenses aux vainqueurs, Valkhan et Sri Amida reviennent auprès des enfants, alors que la salle se vide. Le maître des lieux pose sa main sur l'épaule de Shin. Le jeune garçon rougit, intimidé.

- D'après ce qu'on me dit, tu as des aptitudes pour les arts martiaux. Voudrais-tu nous faire la démonstration de tes talents, mon enfant ? Je demanderai à un de mes jeunes élèves d'être ton adversaire.
- Je … Je ne sais pas.

Alors que sa bouche ne sait que répondre, le regard de Shin cherche le visage de Valkhan, qui d'un hochement de tête montre son approbation. Aussitôt, il accepte la proposition du maître du dojo.

- Je serais honoré que ton champion affronte le mien, Valkhan, clame une voix aux portes de la pièce.

Tout le monde se retourne aussitôt. Dans l'encadrement des portes, Soliman adresse un sourire à l'assemblée. A ses côtés, deux enfants : une petite fille rousse aux yeux noisette et à la peau blanche - elle doit être à peine plus âgée que les sept enfants de Valkhan- et un tout petit garçon. Visiblement Indien et pas aussi jeune que sa taille le laisserait entendre, il a le crâne rasé si ce n'est une longue tresse noire reliant le sommet de son crâne… à ses genoux. C'est ensemble que Valkhan et Sri Amida clament le nom de l'étranger que visiblement ils semblent connaître.

- Soliman !

L'Européen et ses deux jeunes compagnons s'avancent. Après de brèves embrassades marquant les retrouvailles de trois hommes qui ne se sont pas vus depuis bien longtemps, Valkhan se tourne vers ses enfants, Soliman a déjà posé son regard sur eux.

- Je vous présente Soliman, c'est un… très vieil ami. Il a été une sorte de guide pour moi il y a de nombreuses années. On l'appelle parfois Soliman le Visionnaire : sa réputation n'est plus à faire dans le monde des arts martiaux, c'est un grand maître, tout comme Sri, et puis… il est un peu devin à ses heures…
- Voyons Valkhan, interrompt le prétendu devin en esquissant un sourire, je ne fais que tirer quelques cartes et leur faire dire un peu ce que l'on veut. La plupart du temps, les tarots gardent leurs secrets. La divination doit toujours être interprétée avec prudence.

Vicky dirige son regard sur le visage de son père, resté grave. Le jeune garçon comprend que malheureusement, certaines prédictions de Soliman ont dû rencontrer les échos d'une triste et sombre réalité à ses yeux.

- Je n'avais pas compris ce que tu avais vu, Soliman.

Des paroles énigmatiques sur le sens des tarots échangées entre les deux hommes : les enfants ne comprennent rien et se désintéressent de la conversation, plutôt nébuleuse. Shin observe le garçon qui attend derrière le vieux devin : est-ce lui qu'il va devoir affronter sur le tatami ? Le jeune Indien est parfaitement immobile, les bras croisés, les yeux fermés. Soudain, il relève la tête et se met à fixer son futur adversaire d'un regard sévère, presque intimidant. A ses côtés, la petite fille rousse affiche un timide sourire auquel Néo répond franchement en montrant toutes ses dents ; Shin, quant à lui, se sent obligé de baisser la tête, pour ne pas montrer qu'il est devenu tout rouge.




Monastère de Nasheen, quelque part dans les montagnes de l'Himalaya. Dans une petite pièce faiblement éclairée par les lueurs de deux bougies à moitié consumées, agenouillée sur un large coussin écarlate, une femme d'âge mur médite. Ses longs cheveux cuivrés sont tirés en arrière et coiffés en une longue natte. Elle porte le costume traditionnel des moines bouddhistes. Sur le mur qui lui fait face, un magnifique katana trône. Nasheen ouvre les yeux, révélant un regard gris clair dubitatif. On frappe à la porte, un adepte entre et vient lui murmurer quelques mots à l'oreille avant de ressortir. La dame se lève, enfile une veste en peau de yack posée sur un tabouret, ainsi que des bottes en daim. Elle quitte son cloître. Traversant les longs couloirs froids du monastère, la maîtresse des lieux salue les adeptes de tout âge qui croisent son chemin. Elle se rend dans la grande cour située au centre du bâtiment. Là, un jeune homme l'attend. Le jeune Polynésien a posé son coffre de bronze à terre. Nasheen dévisage le jeune garçon : il a grandi depuis leur précédente rencontre, trois ans plus tôt. Les cheveux châtains coiffés en une courte brosse, de petits yeux noirs, une importante musculature, la peau très sombre, voilà à quoi ressemble ce garçon âgé de quatorze ans. Il porte une chemise beige dont les manches ont été arrachées, un pantalon de cuir noir et de hautes bottes. La première, Nasheen prend la parole pour accueillir son visiteur.

- Sois le bienvenu, Hassadan. Ta présence ici signifie sans aucun doute que le temps de la réunion des étoiles est venu. Je constate que tu as d'ailleurs bien changé, et pas seulement en apparence, dit-elle en indiquant le coffre de bronze d'un hochement de tête.
- Oui, je me suis montré digne de porter l'Armure Sacrée. Je suis désormais le Chevalier de Bronze du signe du Petit Lion. Je suis heureux de vous revoir, madame.
- Il semble que tu sois le premier. Les autres ne sont pas encore là. Je suis sans nouvelles, vois-tu.
- D'après les visions de mon maître Cassandra, Valkhan a rassemblé toutes les étoiles et il est en route pour le monastère. Je suis parti aussitôt.
- Combien serez-vous ?
- Je ne sais pas vraiment, nous aurions dû être sept représentants, un pour chacune des étoiles du destin. Mais il semble que Valkhan doive s'occuper lui-même de ses deux enfants ainsi que de celui qui doit aller en Grèce. Nous devrions donc être quatre hôtes supplémentaires, mais je ne sais pas qui seront les trois autres.
- Soliman devrait être de la partie. Mélyan viendra peut-être en personne ou il enverra quelqu'un. Mais je n'ai pas la moindre idée de celui qui représentera Lushia, puisque sa présence ici est exclue. J'espère seulement que personne ne manquera le rendez-vous.

Nasheen propose ensuite à son invité de venir se restaurer. Remettant son coffre de bronze sur ses épaules, Hassadan suit la maîtresse des lieux à l'intérieur des bâtiments.




Deux garçons âgés de sept ans face à face sur un tatami, distants de quelques mètres, vêtus d'un simple kimono, pieds nus. Non loin de là, trois hommes attentifs au combat qui s'annonce : Valkhan, Sri Amida et Soliman paraissent aussi concentrés que s'il s'agissait de leur propre combat. A gauche, Shin, kimono blanc, le protégé de Valkhan. A droite, Tamon, kimono jaune, l'élève de Soliman. Assis tout autour de l'aire de combat, sept enfants constituent l'ensemble des spectateurs : Néo, Sven, Kemri, Issa, Sandra et Vicky, ainsi que, assise un peu plus loin, celle que Soliman a présenté comme sa fille : Eryn. S'avançant sur le tatami, Sri Amida arbitre la rencontre. D'un signe de la main, le maître indique le début du combat.
Rapide, Tamon ouvre les hostilités. Coup de pied au torse. Parade. Shin croise ses bras pour bloquer la charge du pied de son adversaire. Coup de poing. Tamon n'attend pas pour porter un nouvel assaut. Recul. Shin effectue un saut en arrière pour éviter cette nouvelle attaque. C'est une véritable avalanche de coups de poings, de coups de pieds, d'enchaînements divers que Tamon déverse sur Shin, ne lui laissant aucune occasion de riposter. Le jeune Tamon est très doué, sa vitesse lui confère un avantage indéniable, mais il finira bien par se fatiguer, il ne pourra pas tenir un tel rythme éternellement. Shin est pour l'instant parvenu à éviter ou à bloquer tous les coups du disciple de Soliman… mais il se pourrait bien que lui aussi finisse par s'essouffler. Il faut réagir. Analyser les frappes de l'adversaire, découvrir les failles. Il a vu. Coup de pied. Abaissant sa garde, Shin porte un unique assaut au visage de Tamon, tout en encaissant lui-même un premier coup. Les deux enfants tombent à terre. Vif comme l'éclair, et sans prendre la peine de se relever, Tamon prend appui sur une main pour tenter de frapper Shin avec ses pieds. Esquive. Shin ne perd pas des yeux son adversaire, il roule sur le côté et se rétablit. Il reprend son souffle. Retrait. Tamon a bondit en arrière pour récupérer. Les deux adversaires ne se quittent pas des yeux.
Aucun des coups n'a échappé à la perception de Valkhan. C'était écrit, se dit-il, le destin de ce garçon est déjà écrit. Le souffle du dragon est déjà en lui, il ne lui reste plus qu'à apprendre à déchaîner sa fureur. C'est donc toi que Soliman conduira aux Cinq Pics près du torrent de Rozan en Chine, là où est née la légende du Dragon. Je l'avais deviné dès les premiers jours, mais aujourd'hui cela ne fait plus aucun doute.
Les deux enfants bondissent l'un vers l'autre. Tamon, le pied en avant dirigé sur le visage de Shin. Shin, la main ouverte pour le frapper à la poitrine. Choc. Tamon l'emporte. Son pied déséquilibre l'adversaire avant que celui-ci n'ait pu porter son coup. Shin est à terre. Sri Amida lève un bras : il désigne Tamon, lui accordant le premier point. Shin se relève après s'être essuyé le visage avec sa manche, pour éponger sa sueur. Son regard plonge dans celui de son jeune adversaire, qui murmure à son intention.

- L'allonge ! La mienne était plus longue. Tu n'avais aucune chance.

Sans répondre, Shin se remet en garde. Il se concentre sur son rival. Il doit anticiper ses mouvements, comme avec le poisson. Plus rien n'existe maintenant autour de lui : il n'y a que lui… et Tamon. Le jeune Indien va frapper, il va lui porter un nouveau coup de pied, bénéficiant ainsi d'une allonge favorable. Il ne faut pas contre-attaquer, il faut parer et retourner son attaque contre lui. Le pied de Tamon est sur le point d'atteindre son visage, lequel n'a pas encore bougé. Un simple mouvement de tête, le pied passe à côté, lui effleurant l'oreille. Shin referme ses bras, la jambe est prisonnière. Tamon perd l'équilibre. Shin le lâche. L'Indien tombe. Le petit garçon qui avait jadis manifesté tant de désespoir se jette sur le disciple de Soliman et le plaque au sol. Immobilisation. Sri Amida lève son bras, il accorde le point à Shin. Egalité.
Soliman ne perd rien du duel, il affiche un air satisfait, il connaît de toute façon l'issue du combat. Elle est logique. Bien que le jeune élève de Valkhan soit très doué, il n'a pas reçu un enseignement aussi complet que Tamon. La suite du combat lui donne raison. Après s'être relevé, son disciple ne laisse plus la moindre chance à son adversaire. Concentration optimale, combinaisons associant parfaitement attaque et défense, rapidité d'exécution… Shin est submergé. Il n'est pas de taille. Par deux fois encore, Sri Amida donnera le point à Tamon, Shin lui concédant la victoire.

- Tu es doué, lui dit Tamon en lui tendant la main pour l'aider à se relever de l'ultime coup. Quand tu te seras un peu plus entraîné, je t'accorderai ta revanche.

Un peu déçu, mais heureux d'avoir eu l'occasion de combattre, qui plus est avec un véritable champion en herbe, Shin tend la main à son adversaire et le remercie pour sa proposition. A présent les deux combattants prennent la direction des vestiaires, pour y prendre une bonne douche. Sur le chemin, le regard de Shin croise à nouveau celui de la jeune Eryn. A son tour de lui présenter un timide sourire, auquel elle répond sans rougir.
Dans le même temps, les cinq garçons qui ont assisté à la défaite de leur compagnon se précipitent sur le tatami et entament à leur tour un combat… Des coups dans tous les sens, bref…une bagarre de gamins ! Sri Amida tente désespérément de chasser les cinq garnements en train de déshonorer son aire de combat. Soliman rejoint Valkhan, assis, qui lève la tête : son regard interrogateur plonge dans celui du devin.

- Ne t'en fais pas, mon ami, chuchote Soliman à l'oreille de Valkhan, je me suis occupé de tout, je me suis rendu aux Cinq Pics, j'ai convaincu Neishing. Son disciple est prometteur, c'est bien le jeune Shin, n'est-ce pas ?
- Oui, c'est bien lui ! Merci pour ce que tu as fait. Sans ton aide, Neishing n'aurait jamais accepté, mais j'ai peur… si jamais mon nom était évoqué…
- Ne t'en fais pas pour cela, c'est moi qui conduirai ce garçon aux Cinq Pics. Je lui expliquerai et je suis convaincu qu'il comprendra. Neishing ne saura pas que c'est toi qui lui as envoyé Shin.
- Je suis fatigué, Soliman, fatigué de courir, fatigué de fuir, fatigué de me cacher… Je voudrais… Je voudrais tant que tout cela n'ait été qu'un mauvais rêve…

Soliman reste silencieux devant Valkhan, mais son regard témoigne qu'à cet instant précis, ses pensées sont nombreuses. Visions de l'avenir ? Souvenirs ? Il pose une main sur l'épaule de son ami, en signe d'encouragement.

- Nous nous retrouverons comme prévu au monastère de Nasheen dans peu de temps. A bientôt Valkhan.

Pendant ce temps, Sandra est sortie dans les jardins du dojo. Sur une grande pelouse fleurie, des dizaines d'adeptes, hommes et femmes de tous âges, sont assis en position du lotus, les yeux fermés, plongés dans une profonde contemplation. A l'ombre d'un arbre, un tigre adulte sommeille. La bête en liberté attire l'attention de la petite fille. Soudain, le tigre ouvre un œil, son regard croise celui de Sandra. Il grogne.




Les douches du dojo. L'eau chaude ruisselle sur les corps des deux garçons. Tamon se tourne vers celui qu'il vient d'affronter et le scrute de la tête aux pieds, sans dire un mot. Se sentant rougir, Shin baisse la tête pour ne pas montrer son sentiment de honte, quelque peu gêné par le regard du jeune Indien posé sur son corps nu. Au bout de plusieurs minutes, Tamon brise le silence.

- Tu as des aptitudes pour les arts martiaux, c'est évident. Je le vois rien qu'à regarder ton corps. Tu n'as pas à avoir honte d'avoir perdu. Il te manquait un entraînement digne de ce nom, mais je crois savoir que tu devrais très bientôt recevoir les enseignements qui feront de toi un adversaire à ma mesure.

Shin relève la tête, évacuant sa gêne, qui laisse place à un sentiment de curiosité. Tamon voit dans son corps des prédispositions à la pratique des arts martiaux et il semble savoir qu'il recevra un apprentissage dans ce domaine.

- Comment est-ce que tu peux savoir ça ?
- Oh ? C'est simple, j'ai entendu Soliman en parler avec l'adulte qui est avec toi. Mais tu ferais mieux de lui demander toi-même, il en saura sûrement plus que moi.

Shin n'a pas l'intention de demander quoi que ce soit à Valkhan. Il est convaincu que celui-ci le lui dira en temps voulu, mais l'idée d'apprendre les arts martiaux le comble de joie : Valkhan va ainsi lui permettre de concrétiser un rêve si cher à son cœur.




Jardins du dojo. Sandra ne bouge plus. A quelques mètres d'elle, le tigre s'est levé. Elle voit son regard posé sur elle, elle entend son feulement lent. Autour d'eux, des dizaines de bonzes sont plongés dans une méditation si profonde que même les rugissements les plus terrifiants ou les appels au secours les plus désespérés ne pourraient les en sortir. La bête semble dans l'expectative. Immobile, Sandra ne dit mot. Elle vient de commencer un véritable duel avec le tigre. Soutenir son regard, le tenir en respect, ne pas succomber à la peur ou à la panique, ne pas montrer de faille à l'animal.

- Dissimule tes émotions, pense-t-elle, ne montre pas ta peur, comme papa te l'a appris.

Le tigre avance d'un pas, il émet un grondement plus sourd, témoin d'une légère agressivité naissante. Des frissons parcourent le corps de Sandra et malgré son intention de ne pas faillir, la peur se lit un court instant sur son visage. Mais…

- Il ne te fera aucun mal, garde ton calme, petite fille.

Une voix vient de résonner dans sa tête. Une étrange sensation envahit son corps et son esprit. Quelqu'un vient de lui parler… ou plutôt vient de communiquer avec elle. Celle qui s'était adressée à elle, car Sandra était persuadée qu'il ne pouvait s'agir que d'une femme, n'avait rien dit. Aucun son ne s'était propagé jusqu'à ses tympans. C'était directement dans son esprit que la voix s'était manifestée. Elle avait déjà entendu parler de ce phénomène, son père l'appelait " télépathie ".

- La télépathie, avait dit Valkhan, c'est lorsqu'une sensation que l'on éprouve est si intense à l'intérieur de soi qu'elle peut être perçue par une personne qui est à l'écoute des autres. Celle-ci ressent alors notre douleur, elle peut la partager. Ceux qui maîtrisent toutes les ressources de leur âme sont capables de contrôler ce flux psychique et de répondre à nos souffrances.

Il doit y avoir, au milieu de tous ces bonzes, une femme qui a ressenti son émotion, et qui maîtrise suffisamment la télépathie pour entrer en communication avec elle et lui transmettre une autre sensation. Une sensation qui a fait reculer sa peur, qui lui a redonné du courage.
Sandra fixe à nouveau le fauve. Celui-ci se couche. Il ferme les yeux, reprenant sa sieste interrompue. Après un court instant, le soulagement laisse place à la curiosité : Sandra balaie la scène d'un regard. Elle est là. Adossée contre un arbre, une jeune fille magnifique, fine et élégante drapée dans une longue robe blanche plissée. Ses longs cheveux argentés glissent le long de sa parure.

- Merci, pense-t-elle en s'éloignant, convaincue que son message a été entendu.

Au milieu des jardins, une jeune femme redresse la tête, elle ouvre les yeux, son visage exprime un curieux mélange de sérénité et… d'interrogation.

- Une grande force d'âme vit dans ton cœur, petite fille… un cœur pur comme il en existe peu. Tu n'as pas vraiment eu besoin de moi pour dompter ce tigre. C'est étrange.

La fille du maître des lieux referme ses yeux, elle s'est replongée dans une profonde méditation. Dans les jardins, le calme règne à nouveau.
Le soir, Soliman et ses deux disciples quittent le dojo du maître. Shin aurait bien voulu faire connaissance un peu plus avec la fille du devin. Un petit regret ? Il ne le montre pas, ce qui n'est pas le cas de Néo !

- Vous trouvez pas qu'elle est vachement mignonne, la fille du voyant. J'ai pas arrêté de la regarder pendant tout le combat. Vous croyez que j'ai une chance avec elle ? J'aimerais bien la revoir et qu'elle devienne ma copine, ce serait géant, je suis sûr qu'elle aussi, elle en pince pour moi…
- T'arrêtes un peu avec tes fantasmes, l'interrompt fermement Sandra. Elle a regardé le combat comme nous tous. Enfin à part toi qui préférais manifestement baver avec un regard lubrique devant cette midinette !
- Hein ? Mais … Mais on dirait que tu es jalouse !
- Quoi ? bondit Sandra affichant un regard outré. Jalouse ! Moi ! Tu crois quand même pas que… toi et moi ! Aucune chance !
- En voyant ta réaction, je m'étais seulement dit… Au fait, qu'est-ce que ça veut dire " lubrique " ?

Issa et Sven haussent les épaules, seule réponse apportée à la question de Néo. Shin n'essaie pas de se mêler à la conversation, plongée dans une rêverie où se mêlent à la fois la mystérieuse Eryn et le talentueux Tamon.
Un nouveau repas copieux attend la petite troupe de Valkhan. Le lendemain, dès l'aube, tous se préparent à reprendre la route. D'après les bribes de conversations qu'ils ont entendues, les enfants devinent qu'ils vont se diriger vers les montagnes de l'Himalaya, au nord, dans le but d'atteindre un monastère où Soliman doit les rejoindre plus tard. Sur le point de partir, Valkhan embrasse son vieil ami, qui lui a fait l'honneur de l'accueillir dans son dojo.

- Je te souhaite bonne chance, Valkhan, puissent les dieux t'accompagner tout au long de ta route. Bon voyage…
- Merci de tout cœur, mon ami, j'espère que nous nous reverrons bientôt.

Sri Amida regarde la petite troupe s'éloigner. Il repense à ce dont ils ont parlé ensemble, le véritable but de la visite de Valkhan, passé complètement inaperçu aux yeux des enfants. Le maître du dojo soupire, puis se dirige vers ses jardins, où une jeune femme est toujours plongée dans une profonde méditation.
Une longue route quittant la ville de Bénarès, le fleuve Gange s'évanouissant derrière eux. Néo, Issa, Shin, Sven, Kemri, Vicky et Sandra accompagnent Valkhan vers une destination mystérieuse, où leur véritable destinée les attend. Valkhan avait longuement discuté avec le maître du dojo la veille au soir. De quoi avaient-ils bien pu parler ? Les enfants l'ignorent. Sur le chemin, Shin se remémore la proposition de son adversaire de se rencontrer à nouveau, plus tard, convaincu que ce combat aura forcément lieu un jour ou l'autre. Mais surtout, la perspective des derniers mots du jeune Indien lui ouvre une voie royale : il a hâte d'atteindre ce mystérieux monastère. Peut-être est-ce là que les paroles de Tamon, à l'image d'une prophétie, se réaliseront ? Les enfants ne le savent pas encore, mais c'est bien là-bas que leurs destinées se révéleront… du moins une infime partie de leurs destinées…




Sanctuaire sacré d'Athéna, en Grèce. Au pied d'une falaise surplombant la mer, deux soldats repêchent un corps. Trois autres observent de loin. Le cadavre repêché est l'un des leurs. Il avait disparu depuis un mois. On n'avait rien retrouvé d'autre que des traces de sang dans sa demeure. Les cinq soldats se regroupent autour de leur ancien compagnon. L'un d'eux se précipite jusqu'à la mer pour vomir, il ne supporte pas la vue de la dépouille de celui qui était son ami. En fait, il ne ressemble même plus à un cadavre. Outre son stade avancé de décomposition, celui-ci a été lacéré de toutes parts, il a été éventré et vidé d'une partie de ses viscères, aucun de ses membres n'est complet. Une vision d'horreur.

- Encore une victime ! déclare l'un des soldats. Il faut immédiatement avertir le Grand Pope.
- Je ne comprends décidément pas. Comment un monstre pareil peut perpétrer des crimes aussi atroces dans l'enceinte même du Sanctuaire, au nez et à la barbe du Grand Pope et des Chevaliers d'Or.
- Je vais répondre à ta question, l'interrompt une voix approchante.

Khyron le Sinistre, le Chevalier du Scorpion, vient de rentrer au Sanctuaire. Il s'approche du cadavre de l'homme. Il a l'étrange impression de l'avoir déjà rencontré. Oui, il s'en souvient à présent. C'était le pauvre garde qui avait voulu l'empêcher d'entrer dans la Chambre Sacrée, un mois auparavant. Son impertinence ne méritait cependant pas un sort aussi terrible. Pauvre homme, lui qui craignait tant de désobéir aux ordres du Grand Pope et qui avait finalement péri entre les mains du mystérieux assassin qui sévissait au Sanctuaire depuis tant d'années.

- Pour échapper à notre perception et à celle du Grand Pope, explique Khyron, il n'y a pas cinquante explications possibles, je n'en vois qu'une seule. Ce mystérieux meurtrier doit avoir un pouvoir au moins égal à celui de notre maître à tous.

Les cinq gardes sont plongés dans un effroi inimaginable et un profond désarroi. Qui donc peut être aussi puissant que le Grand Pope, le maître suprême des quatre-vingt-huit Chevaliers d'Athéna ? Si d'aventure un tel être existe, même les plus puissants guerriers au Sanctuaire ne sont pas à l'abri. Les rumeurs récentes sur la mort similaire d'un Chevalier d'Argent prennent alors tout leur sens aux yeux des gardes.
D'un pas lent, le Pope Bishop se rapproche. Devant le corps du soldat, il prononce une prière, à laquelle se joignent ses compagnons. Puis il demande aux gardes de porter le malheureux jusqu'au cimetière où une sépulture décente lui sera érigée.
Resté seul avec son supérieur, le Chevalier du Scorpion fait son rapport. Puis, alors que le seigneur du Sanctuaire s'apprête à regagner ses appartements, Khyron l'arrête.

- Monseigneur ! Accordez-moi encore un instant !
- Bien sûr, Chevalier, répond le Pope, arrêtant son pas, sans se retourner.
- Quel intérêt a-t-il de tuer de simples soldats ? Cet homme était sans valeur, un mortel de basse extraction sans avenir. Je ne vois pas où il veut en venir.
- Je vais te donner mon sentiment, Khyron, je pense que cet homme avait dû lui déplaire d'une manière ou d'une autre, mais nous ne saurons sans doute jamais pourquoi.

Laissant le Chevalier du Scorpion à ses sombres interrogations, le Grand Pope poursuit son chemin seul, il regagne ses appartements privés. Il referme les portes derrière lui, traverse la grande salle, puis s'arrête un moment, comme pour penser tout haut.

- Et puis… Personne ne désobéit impunément aux ordres du Grand Pope !

Un rire démoniaque retentit dans la Chambre Sacrée. Le maître des lieux écarte une tenture et s'avance dans la petite pièce cachée derrière. Sur un guéridon, un échiquier est posé. La partie semble déjà commencée. Le Grand Pope saisit une pièce de ses longs doigts effilés pour la déplacer sur une autre case vide de l'échiquier…c'est une pièce noire… le Fou !

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Cette fiction est copyright Laurent Habault.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.