Chapitre 1 : Résurrection (partie 1)


Grèce, Sanctuaire Terrestre - 15 décembre 2003, 16h00 (Dec.15, 2:00 PM GMT +02:00)

Apollon et Athéna se tenaient droits sur leur trône, côte à côte, en dignes représentants du Sanctuaire Terrestre de l'Olympe..
Des bruits de pas raisonnèrent dans l'immense hall du temple. Des bruits feutrés, réguliers, presque inquiétants. Pourtant le Dieu et la Déesse restèrent immobiles, fixant droit devant eux. Il aurait presque été possible de les confondre avec les statues les représentant, et qui se comptaient par dizaines dans ce temple.
Deux ombres se précisèrent dans l'obscurité des colonnades. Apollon fit un geste de la main, intimant à ces gardes de s'éloigner à une distance respectueuse où ils ne pourraient pas saisir la conversation. Puis il retourna à son immobilité, mains posées à plat sur ses cuisses, regard perçant rivé sur l'obscurité de son temple.
L'homme et la femme qui s'approchaient d'eux étaient tous les deux vêtus de vêtements de velours, rouge sombre pour la femme, violet pour l'homme, ornés du symbole de l'Ordre, cet étrange enlacement de trois lettres gothiques. Quelques pas de plus, et Athéna et Apollon purent contempler leurs visages sans âge, à la peau si blanche et si transparente qu'on pouvait presque deviner leurs veines. Leurs traits fins, encadrés de cheveux blonds. Leurs yeux bleus, d'où semblaient émaner à la fois froideur et passion, calme et tempête.
James Gladestone et Eleny de Wessex, les Grands Maîtres de l'Ordre d'Ermengardis, se tenaient devant eux.

L'homme et la femme s'inclinèrent devant eux. Non d'une révérence profonde, comme toute créature humaine se devait d'accomplir devant deux divinités de l'Olympe. Ils se contentèrent d'une légère inclinaison du buste.

- Nous vous saluons, Ô Dieu Apollon et Déesse Athéna !
- Nous vous saluons également, Grands Maîtres de l'Ordre d'Ermengardis …

Apollon avait prononcé ces mots sans leur rendre leur salut. A ses cotés, Athéna gardait son port de statue.

- Votre envoyé nous a exprimé le caractère urgent de cette réunion. Pouvons-nous avoir un éclairage sur la raison de cette hâte ? demanda James. Comme d'outre-tombe, sa voix grave et profonde résonna dans la vaste salle.

Le visage inexpressif d'Apollon se changea en un masque haineux.

- Je vous interdis de toucher encore une fois à une créature de l'Olympe !

Eleny leva les yeux en direction d'Apollon, et répliqua avec véhémence :

- Vous voulez parler du Minotaure, je suppose ?

James leva sa main en signe d'apaisement vers son épouse.

- Il avait outrepassé les règles …
- Quelles règles ? Pas les nôtres en tout cas ! fit Apollon d'une voix qui dissimulait mal sa colère. Sa main se crispa sur sa cuisse lorsque son regard croisa celui d'Eleny. Les yeux bleus de la jeune femme étaient animés de colère et le fixait sans ciller. Quelle impudence !
- Les règles que nous nous sommes communément fixées. Les règles qui sont mentionnées dans le Traité ! Sa Divinité aurait-elle la mémoire courte ! lanca Eleny sur un ton hargneux.

James regarda sa compagne, lui intimant une nouvelle fois du regard de se taire.

- Il était sorti des limites de son territoire … S'était attaqué à des humains … Nous avons dû le remettre dans "le droit chemin" ! ajouta James d'une voix glaciale.
- Vous l'avez assassiné ! gronda Apollon, perdant presque sa retenue.
- Non, juste châtié … Et il en sera de même pour toute créature venant de l'Olympe ou de tout Sanctuaire affilié, et qui outrepasserait ses droits ! continua James d'une voix ferme.
- Comment osez-vous ! C'est vous qui allez être châtiés pour cette impudence ! rugit le Dieu en se levant.
- Vraiment ? demanda James, lui faisant face sans trembler. Et par quel moyen allez-vous nous châtier ? En demandant à Chronos d'agir sur le temps ? Mais nous ne vieillissons pas … En demandant aux Parques de couper le fil de nos vies ? Il a déjà été coupé, mais nous sommes vivants par delà la mort …

James s'interrompit, plongeant son regard dans celui du Dieu, avant d'ajouter:

- Que comptez-vous faire contre nous ? Nous ne sommes pas humains … Nous sommes immortels !

Apollon se tut. Son poing se serra, faisant blanchir ses articulations. Puis il se rassit, et dans un effort, contint sa rage envers ces "créatures".

- De plus, vous avez besoin de nous … ajouta Eleny, en jetant un regard à Athéna, qui ne put s'empêcher de détourner les yeux. Les Dieux de l'Olympe ne règnent plus sur la Terre après tout, et des milliers de mondes parallèles échappent à leur contrôle…
- Le Sanctuaire Terrestre a toujours été heureux de se tourner vers Ermengardis pour endiguer les intrusions de mondes hostiles sur son territoire …poursuivit James.
- Que ferez-vous la prochaine fois qu'une armée de démons envahira vos temples… acheva Eleny, en fixant de nouveau Apollon droit dans les yeux.

Celui-ci soutint son regard.

- Taisez-vous, vous n'êtes rien à nos yeux … Rien d'autres que d'ignobles créatures ! répondit Apollon.
- Ignobles créatures, dîtes-vous ? !

Le visage de Eleny changea instantanément. Ses arcades sourcilières saillirent, ses yeux bleus devinrent rouge sang. Ses traits se creusèrent d'avantage, alors que sa bouche entre-ouverte laissait apparaître des dents pointues et carnassières.
James la saisit par les poignets pour la retenir de bondir sur le Dieu qui avait causé son courroux. Le visage de Eleny retrouva presque instantanément sa beauté et son calme.
James se tourna de nouveau vers les deux divinités.

- Dieu Apollon … Déesse Athéna … Puis-je vous rappeler les accords qui ont été passés entre Ermengardis et les Sanctuaires de l'Olympe ?
- C'est inutile ! Apollon et moi-même connaissons ces règles, et nous nous engageons à les faire respecter à l'avenir !...

C'était Athéna qui venait de parler. Elle se tenait droite devant son trône.

- Déesse Athéna...
- Grands Maîtres d'Ermengardis, nous vous devons des excuses, et nous veillerons à l'avenir à ce que de tels incidents ne se reproduisent pas… ajouta t'elle d'une voix sincère.

Apollon lui jeta un regard réprobateur.

- Merci, Déesse Athéna, répondit James en s'inclinant.

Mais Eleny resta droite, plongeant son regard bleu acier dans celui de la Déesse.

- Le traité prévoyait que les chevaliers et les armures d'Athéna reviendraient à Ermengardis, pour aider l'Ordre à repousser les forces maléfiques qui se manifesteraient sur terre... Or les armures d'Or se trouvent toujours au Sanctuaire Terrestre, et rares sont les chevaliers à avoir été autorisés à rejoindre notre Ordre !

Les yeux d'Apollon s'Illuminèrent d'un regard mauvais. Comment cette créature avait-elle l'affront de réclamer des guerriers d'Athéna - en d'autres termes, des guerriers de l'Olympe - et de remettre sur le tapis cet odieux traité, signé arbitrairement et sans sa concertation entre le Sanctuaire d'Athéna, Zeus et l'Ordre d'Ermengardis. Un traité que lui, Apollon, jamais n'accepterait !
A ses cotés, Athéna inclina la tête en signe d'approbation.

- Les circonstances ont fait que jusqu'à présent, je n'ai pu honorer cet accord. Ce retard sera vite comblé, Grande Prêtresse Eleny.
- Taisez-vous ! Pas un mot de plus ! s'indigna Apollon.

Il étendit le bras devant Athéna, lui intimant de se taire et l'obligeant à reculer contre son trône.

Eleny et James parurent sur le perron de l'entrée du tunnel, restant prudemment dans l'ombre des grands piliers. Au bas des marches en marbre blanc, une centaine de leurs hommes les attendaient. Droits, froids et impassibles, engoncés dans leurs costumes sombres.
Deux jeunes femmes se détachèrent de la troupe, et vinrent à la rencontre des deux Grands Maîtres. L'une avait des cheveux roux et l'autre arborait une magnifique chevelure blonde aux étranges reflets verts. Elles tenaient dans leurs mains de longues capes noires, dont elles recouvrirent James et Eleny.
Puis elles les guidèrent dans leur descente des immenses escaliers du temple. Elles allaient d'un pas lent, afin que les deux personnes drapées ne tombent pas.
Au bout de quelques minutes, ils atteignirent la limousine noire qui les attendaient sur la place principale. Les deux jeunes femmes aidèrent leurs compagnons à monter dans la voiture, et s'y engouffrèrent à leur suite.

- Quelle bouffonnerie ! s'écria Eleny en rejetant la cape de son visage.
- Eleny je t'en prie, tu devrais être plus prudente ! Apollon est un Dieu … Même s'il ne peut rien contre nous, il peut nuire à Ermengardis … répondit James en lui prenant sa main.
- S'il avait un tant soit peu d'intelligence pour nuire, il nous frapperait dans les escaliers de son temple ! Là où nous sommes faibles, à la lumière du jour ! continua Eleny, moqueuse.
- Et l'affaire du Minotaure ? risqua la jeune femme rousse.
- Il n'a pas apprécié qu'on le brûle … répondit James.
- Quels sont les ordres pour la suite ? demanda la jeune femme aux cheveux blond vert.
- Vous continuez vos missions… Comme tout le monde à Ermengardis, répondit James.
- Les règles sont les mêmes pour tout le monde, qu'on vienne de l'Olympe ou non ! conclut Eleny en jetant un regard à travers la vitre de la limousine.

Apollon rageait, se rappelant les paroles venimeuses que lui avait jetées le Grand Maître d'Ermengardis. Aucune créature ne lui avait jamais fait un tel affront sans avoir à endurer son courroux ! Mais Eleny n'était pas humaine. Elle se trouvait en dehors de son pouvoir, et il ne pouvait lui faire payer son manque de respect.
Pas directement tout du moins. Il pouvait tout de même lui montrer combien il méprisait Ermengardis et ce qu'il représentait. Et aussi montrer à Athéna qu'il ne tolérait plus ses prises de position contre lui.
Il leva les yeux sur la colonne décorée de corps de pierre, qui se trouvait à quelques pas de lui. Son visage se figea, puis prit une expression de joie presque inquiétante.

- Cyparissus !

Un garde s'approcha d'Apollon.

- Oui, Seigneur !
- Cyparissus, va prévenir Perséphone que je demande une audience immédiate auprès d'elle.

Ermengardis veut de nouveaux guerriers, des chevaliers d'Athéna. Eh bien ! Que sa volonté soit exaussée !

Une heure ne s'était pas écoulée depuis la demande d'audience formulée par Apollon que celui-ci se présentait à Perséphone, dans son Palais d'Elision, baptisé ainsi en hommage au domaine d'Hadès, détruit par les saints d'Athéna durant la dernière Guerre Sainte.
Il attendit que les lourdes portes qui fermaient la salle du trône s'ouvrent, et se dirigea d'un pas ferme et décidé vers le trône surmonté d'un dais rouge sang, derrière les rideaux duquel se dessinait une forme féminine.

- Je vous salue ma chère tante ! fit Apollon en esquissant un léger salut du buste.
- Je vous salue, Ô Dieu Apollon, mon neveu ! Que me vaut l'honneur de votre visite, répondit une douce voix.
- Je viens vous proposer un moyen de vous venger de la disparition de votre époux, le seigneur Hadès, et par la même, infliger un avertissement à cette chère Athéna et à cet orgueilleux Ordre d'Ermengardis, lâcha Apollon sans ambages. Perséphone ne répondit pas, toujours cachée derrière l'épais rideau.
- Vous n'êtes pas sans savoir que le honteux traité signé entre mon père et les représentants de la race humaine prévoit qu'Athéna cède ses chevaliers à l'Ordre d'Ermengardis. Je considère que ces chevaliers et leurs armures appartiennent à l'Olympe, et font partie d'une certaine élite : il est ainsi totalement hors de question que nous laissions ces guerriers rejoindre cet Ordre, dirigé par deux monstres !
- Je ne vous suis pas très bien, cher neveu … Comment contez-vous aller à l'encontre du traité ? Et surtout, de la volonté de votre père ?
- En donnant à ce stupide Ordre d'Ermengardis d'autres chevaliers … Ceux qui avaient été punis par les Dieux pour s'être opposés à votre époux, il y a dix-sept années terrestres... Ceux dont les âmes ont été changées en statues et emprisonnées dans une colonne de pierre … La preuve tangible que les humains ne doivent pas s'opposer aux divinités du Sanctuaire de l'Olympe.
- Vous voulez que je ramène à la vie ces hommes ? … Il en est hors de question … Ils sont en partie la cause de la défaite de mon époux, répliqua avec véhémence Perséphone, qui s'agita derrière son rideau.
- Songez, chère Perséphone … Quelle pire punition pour un Chevalier d'Or que d'être ramené à la vie, dans un corps étranger et faible … Quelle déchéance pour ceux qui ont cru pouvoir défier les Dieux ! De plus …

Apollon baissa la voix et fit un pas de plus en direction du trône, dont il n'était plus qu'à quelques mètres.

- De plus, je vous laisse le choix de la façon de les faire revenir … Faites-les souffrir autant qu'il vous plaira !


France, Paris, 9 Janvier 2004, 23h00 (Jan.9, 8:00 PM GMT +03:00)

L'immeuble était silencieux lorsque Gabriel de Riveau rentra chez lui après une longue journée de travail. Ce jeune homme de 28 ans était habitué aux horaires élastiques depuis qu'il était rentré dans le bureau d'étude d'un grand constructeur automobile. Alors que beaucoup de ses collègues rentraient chez eux vers 17h30, Gabriel restait jusque tard le soir. La plupart du temps 21h00, parfois plus comme ce soir là. Pas étonnant que sa dernière petite amie l'ait plaqué en claquant la porte... Mais qu'importe, il voulait grimper rapidement dans la hiérarchie, imposer ses idées, et s'en donnerait les moyens.

Gabriel pendit son lourd manteau sur un cintre, secouant les flocons de neige qui y étaient accrochés. Car il neigeait ce jour là, la température ayant brusquement baissé en cours de journée.
Il enleva sa veste, défit sa cravate, et s'assit sur son divan, un verre de cognac à la main, contemplant le paysage de Paris sous la neige. De son studio, il voyait les toits qui s'étaient teintés de blanc, avec des reflets oranges, créés par l'éclairage particulier des lanternes. Surplombant les toits, la Tour Eiffel resplendissait d'un rouge criard.
Une chose est sûre, songea Gabriel, j'ai bien fait de choisir cet appartement, à deux pas du Champ de Mars.
Il se carra confortablement dans son divan, rejetant en arrière ses longues mèches qui lui tombaient sur ses épaules, et but une gorgée de cognac. Le liquide lui brûla la gorge lorsqu'il l'avala, provoquant presque immédiatement un sentiment de bien être, alors qu'il se diffusait dans ses veines.
Son téléphone portable résonna au son de " Die another day ". Sur l'écran, le nom de Marie.
Il sourit. La belle Marie l'appelait... Se souvenait-elle donc de lui ?

- Allô ! ?

Au bout du fil, une douce voix féminine l'invitait à le rejoindre au Tanjia, où elle allait se rendre à partir de minuit.

- Merci, Marie, je pense que je vais faire un saut...

Gabriel raccrocha, l'air ravit.

- Petite sortie avec la belle Marie... éclata t'il de rire en jetant son téléphone sur le divan.

Il s'approcha de la fenêtre et l'ouvrit. Les rues étaient désertes, l'atmosphère était silencieuse et calme. Une sorte de magie régnait en cette nuit.
La magie de la neige ? se demanda Gabriel. Bon ! Ce n'est pas tout, il faut penser à la tenue de ce soir !
Il entendit un bruit de pas et de cliquetis derrière lui, et se retourna.

Gabriel n'eut pas le temps de prononcer un mot qu'une main gantée de fer s'abattit sur sa gorge, une autre main lui saisissant violemment le bras droit. Il laissa tomber son verre qui roula à ses pieds.
Il tenta de se dégager, mais en vain. La pression se fit plus forte sur son cou et son bras. Mais qui pouvait être son assaillant pour le maintenir immobilisé ainsi, comme un pantin sans force ? ! Il était pourtant lui-même un gaillard solidement bâti.
Gabriel fut soudain projeté dans les airs et s'écrasa contre un mur de son appartement, retombant sur le sol dans un fracas d'étagères brisées. Hébété, il ne put se relever tout de suite. Il entendit des voix murmurer autour de lui, mais ses oreilles bruissaient trop pour qu'il puisse saisir quoique ce soit.
Il se sentit soudain soulever de terre. Quelqu'un l'avait empoigné fermement et le remettait debout.
Gabriel ouvrit les yeux et vit tout d'abord le bourreau qui le tenait par les bras. Il était incroyablement grand, le corps couvert d'une sorte de cuirasse. Derrière lui, une femme aux longs cheveux noirs le regardait d'un air amusé, tenant une petite amphore à la main.

- Qui … Qui êtes-vous … Que… ? parvint-il à articuler péniblement.

Gabriel n'eut pas le temps de terminer sa phrase qu'il reçut un coup violent en pleine poitrine. Il sentit le sang lui monter à la tête. Ses oreilles se remirent à bruire, puis tout devint noir autour de lui. Son esprit était comme happé dans un grand trou noir. La chute était inexorable, terrifiante …

La tête du jeune homme pencha soudain sur le côté, inerte.

- Il s'est évanoui, Maîtresse, fit le Géant en tournant le corps du jeune homme de façon à ce qu'il fasse face à sa complice, qui s'était approchée.
- Pauvre Amalric ! se lamenta la jeune femme en caressant le visage endormi de Gabriel.

Sa main gauche s'enfonça dans les longs cheveux, et elle déposa un tendre baiser sur les lèvres. Elle se dégagea lentement et contempla le visage d'un regard étonné.

- N'est-ce point le doux visage de Gàbor, frère de Bàlint ? ! murmura t'elle de nouveau, puis releva la tête vers son complice.
- C'est une coïncidence, Maîtresse. Il lui ressemble, mais ce n'est pas lui... répondit le géant, impassible.

Les yeux de la jeune femme brillaient d'une lumière trouble, et ses lèvres affichaient un étrange rictus. Elle caressa d'un geste tendre la joue du jeune homme.

- Mon beau guerrier, je ne pensais jamais te revoir. Me pardonneras-tu un jour de t'avoir tant fait souffrir ?

Elle passa sa main sous la nuque du jeune homme, comme pour le bercer.

- Maîtresse ? demanda le géant, tentant de ramener doucement la femme à la réalité.
- Oui, la mission... murmura t'elle.

Elle ouvrit l'amphore en or qu'elle tenait dans sa main droite. Il s'en échappa des volutes de poussières dorées, qui tournoyèrent autour du col ciselé. La jeune femme ferma les yeux et se mit à psalmodier dans une langue étrange. Elle dirigea l'amphore vers le visage privé de conscience, priant d'une voix plus forte et plus rapide.
Les volutes recouvrirent entièrement le visage de Gabriel, le faisant resplendir de milles feux. Puis, leur éclat faiblit, et elles disparurent lentement.
La femme approcha son visage de celui de l'homme toujours inconscient, et y déposa un nouveau baiser.

- Te voilà de nouveau parmi les vivants, frère de Bàlint.
- Maîtresse... ? appela son complice.
- Viens, il faut partir… Il faut reprendre nos recherches…Retrouver Amalric, lui répondit la jeune femme en esquissant une sorte de danse, faisant onduler gracieusement sa longue robe et ses voiles noirs.

Le géant en armure laissa tomber le jeune homme à terre, près de la fenêtre. Et s'évapora comme par enchantement, à l'instar de celle qu'il appelait " maîtresse. "

Ce fut un courant d'air froid qui réveilla Camus.
Il ouvrit péniblement les yeux, et comprit qu'il était tombé sur le coté, près d'une fenêtre ouverte, d'où lui parvenait un air glacial. Au travers de la vitre, il devina les contours des toits et une lumière aveuglante, orange vif. Il tenta de bouger, mais la douleur lui arracha un cri. Son dos était comme brisé, tout comme ses jambes et ses bras. Il sentait le sang s'échapper d'une plaie à la tête, coulant sur son front, et sur sa joue.
Où était-il ? Dans quel corps était-il ? Car la seule pensée qui traversa l'esprit de Camus en cet instant était que ce n'était pas son propre corps qu'il avait réintégré.
Il n'eut pas le temps de se poser davantage de questions, et s'évanouit.


Espagne, Barcelone, 9 janvier 2004, 23h30 (Jan.9, 9:30 PM - GMT +2:00)

Armando Delavega tapotait frénétiquement sur son clavier d'ordinateur, à la recherche de ce maudit bug qui bloquait une partie de son site Internet. A 27 ans, ce jeune barcelonais avait plaqué l'entreprise où il travaillait depuis trois ans, et avait créé sa propre boîte d'IT, avec deux de ses amis de fac.
Trois mois avaient passé depuis le début de son aventure, et il avait déjà compris que ses prochaines soirées pendant un ou deux ans se passeraient là, devant son ordinateur. Mais qu'importe, il vivait sa propre aventure...
D'habitude il n'était pas seul, car ses deux amis restaient eux aussi à travailler tard. Mais ce soir, ils étaient partis chasser le sponsor dans une soirée de la Chambre de Commerce de Barcelone.

Armando attrapa la bouteille de soda qui était posée à coté de son clavier, les yeux toujours rivés sur son écran d'ordinateur. Il détourna la tête, ayant cru entendre un crissement dans son dos. Mais il n'y avait personne d'autre que lui dans le petit bureau.

- Armando, tu deviens paranoïaque... Temps de mettre un peu de musique...

Il se leva, et heurta sa tête à la petite étagère remplie de livres, au-dessus de son bureau.
Il soupira. Décidément ce bureau était trop petit pour ces 1,86 m... Vivement qu'il fasse fortune et puisse se payer un espace de travail digne de ce nom !
Il attrapa une pile de CD, choisit son préféré et le mit dans le petit lecteur qu'il avait apporté en prévision des longues soirées.
La voix chaude la chanteuse et les guitares électriques interrompirent le silence qui régnait jusqu'à présent dans le bureau.

"How can you see into my eyes like open doors
leading you down into my core
where I've become so numb without a soul..."²

Détendu, Armando se remit au travail.

Soudain il fut plaqué contre son clavier d'ordinateur par une force incroyable, et sa tête heurta violemment son écran. Une main s'était abattue dans son dos et le maintenait immobilisé. Il tenta de se dégager en poussant sur ses avant-bras, mais en vain. Armando hurla de rage... puis de douleur.
Une autre main venait de s'abattre d'un coup sec dans son dos. Il sentit le sang lui remonter à la bouche, envahir son cerveau. Sa respiration fut coupée nette. Armando tenta d'aspirer de l'air, mais ces poumons ne semblaient plus fonctionner. Sa vision se brouilla, l'écran bleu de l'ordinateur s'assombrit.
Il plongeait dans l'obscurité et le froid.

"Don't let me die here there must be something more
Bring me to life"

Ces paroles raisonnèrent dans la tête d'Armando, avant qu'il ne se laisse happer par l'obscurité.

- Il a perdu conscience, maîtresse, fit le géant, en s'écartant respectueusement du corps d'Armando pour laisser place à la jeune femme aux cheveux noirs.

Elle s'approcha d'un pas lent, et posa l'amphore près de la tête du jeune homme. Elle appuya sa propre tête contre la table, et regarda le visage d'Armando, dont les yeux bruns, cachés par quelques mèches noires, étaient toujours ouverts. Elle passa une main joueuse dans la chevelure sombre, l'ébouriffant tendrement. Elle se mit à rire joyeusement, comme enchantée par ce jeu.
Le géant la regardait s'amuser, sans bouger.
La jeune femme se remit droite sur ses jambes, et ouvrit l'amphore, tout en psalmodiant d'étranges paroles d'une langue inconnue. De petites volutes de fumée dorées s'échappèrent du récipient, tournoyant dans l'air. Puis elles s'évanouirent, comme absorbées par les deux iris noirs du jeune homme.
La jeune femme reprit l'amphore et s'éloigna.

- Viens Glaucus, ce n'est pas Amalric… déclara t'elle en souriant d'un air dément.
- Oui, maîtresse, répondit le géant en cuirasse.

La femme s'évanouit dans les airs, sans ajouter un mot.
Le jeune espagnol poussa un râle, signe qu'il revenait doucement à lui. Glaucus le fit basculer contre le dossier de la chaise, en position assise, de manière à ce qu'il reprenne sa respiration. Puis il disparut comme par enchantement, sans guère plus d'égard pour le jeune homme, dont la tête dodelinait de droite et de gauche.

Shura bascula de la chaise, et tomba violemment sur le sol.
Il aurait voulu hurler, tant respirer lui était douloureux, et surtout effrayant. Un acte qu'il n'aurait jamais imaginé pouvoir se reproduire, si tant est que de là où il venait, il ait eu conscience de quoi que ce fût. Comment était-il arrivé ici, dans ce corps ? Pourquoi était-il revenu à la vie ?
La lumière l'aveugla. Il entendit la douce mélodie de violons, soudain couverts par des bruits métalliques qui lui vrillèrent le cerveau.
Il perdit connaissance.


Japon, Ermengardis HQ, 10 janvier 2004, 7h50 (Jan.9, 10:50 PM - GMT +09:00)

Les volets étaient fermés, et aucune lumière ne filtrait à l'intérieur du bureau où travaillaient James et Eleny.
Eleny s'était assise sur l'un des divans et consultait avec grande attention des journaux. James, quant à lui, était assis à son bureau, et lisait son courrier électronique. Il était d'ailleurs presque arrivé à bout de ses nombreux e-mails lorsqu'un nouveau arriva.
L'expéditeur était le Grand Chancelier du Sanctuaire Terrestre.
Si le cœur de James avait encore battu, il se serait peut-être arrêté... Ce genre de communication était totalement inhabituel de la part de l'ancien Sanctuaire d'Athéna.
Il ouvrit l'e-mail. Ses yeux parurent de plus en plus exorbités au fur et à mesure qu'il lisait le message. Il abattit un poing de rage sur son bureau, brisant la vitre en verre qui le recouvrait.
Eleny sursauta devant la colère imprévisible de son compagnon.

- Comment ose t'il ? ! murmura James entre ses dents.

Eleny s'approcha de son compagnon, et regarda l'écran. Ses traits se crispèrent.

- Il faut contacter nos équipes les plus proches...

Elle saisit le combiné du téléphone qui était posé sur le bureau et composa un numéro.

- Allô, Shina ?


Italie, Naples, 10 janvier 2004, 1h00 (Jan.9, 11:00 PM - GMT +2:00)

Le jeune détective Lorenzo Mastroianni salua ses collègues de la main. Il s'apprêtait à sortir lorsque son supérieur, le commissaire Togniazzi, le héla joyeusement.

- Oh ! Lorenzo ! N'oublie pas de te peigner demain matin !

Lorenzo sourit à la boutade. Sa coiffure en bataille, aux cheveux dressés sur la tête, lui valait de la part de ses collègues de fréquentes plaisanteries, et divers surnoms, tel le " porc-épic". Plaisanteries dont il ne s'offusquait jamais. Au contraire, il les trouvait drôles.

- Je vais y penser chef ! Ciao ! A domani !, fit-il en le saluant.

Il sortit sur le perron du commissariat, et releva le col de son manteau contre son visage pour se protéger du froid brouillard qui enveloppait Naples. Il tira son étui à cigarette et son briquet d'une poche de son manteau. La lumière de la flamme éclaira légèrement son visage, révèlant deux yeux bleus rieurs.
Il tira une bouffée sur sa cigarette, et releva les yeux sur la cour du commissariat, à demi-dissimulée par le brouillard glacé.

Ce jeune napolitain de 27 ans n'était pratiquement jamais sorti de sa ville natale, sauf pour faire une école de police à Rome pendant trois ans. Dernier garçon d'une famille de quatre enfants, il avait rapidement appris à aimer cette ville, aussi bien qu' à en voir les dangers. Ses parents avaient particulièrement veillé à l'éducation de sa progéniture, et surtout à ce qu'elle ne tombe pas dans les mains des recruteurs de la mafia locale. Car la belle ville de Naples souffrait depuis des décennies de cette gangrène, et de nombreux camarades de classes de Lorenzo étaient passés du mauvais coté de la barrière dès le lycée, voir le collège.
Peut-être en réaction à ce qui se passait autour de lui, le jeune Lorenzo se mit à développer un sens aigu de la justice, et décida qu'il rentrerait dans la police quand il serait grand. Ce qu'il fit à l'âge de 22 ans, contre l'avis de sa famille.

Lorenzo sortit de la cour du commissariat, et se dirigea vers le parking couvert où il avait laissé sa voiture. Celui-ci était quasiment désert à cette heure avancée de la nuit, et il se dégageait une atmosphère mystérieuse et oppressante. Le jeune inspecteur n'était pourtant guère impressionné. Grand et solidement bâti, il portait également son arme de service, et songeait qu'il ne risquait pas grand chose ainsi.
Il s'approcha de son Alfa 156, et chercha la clé dans sa poche de manteau. Lorsqu'il releva les yeux, une jeune femme se tenait de l'autre coté de sa voiture, et regardait dans sa direction, d'un regard empreint de folie, ses étranges yeux bleu vert exorbités.
Elle ne le regardait pas lui, mais la personne qui se trouvait derrière lui. En tout cas c'est l'idée qui traversa l'esprit de Lorenzo comme un éclair, et instinctivement il porta sa main sur la crosse de son arme, rangée dans son étui, contre sa poitrine. Il dégaina et se retourna.
Une main ferme saisit son poing armé et le lui tordit sans aucun effort. Lorenzo hurla de douleur et malgré lui, laissa tomber son pistolet. Reprenant la maîtrise de lui-même, il attrapa son assaillant à la gorge, et tenta de le repousser, mais en vain. Le géant qui se trouvait devant lui ne bougea pas. Il saisit de sa main libre Lorenzo par l'épaule, et le précipita contre une des colonnes du parking.
Lorenzo crut que tous ses os allaient être broyés sous le choc. Il retomba à terre, à demi-conscient, plongé dans l'obscurité que la perte de ses sens avait engendré.
Comme dans un rêve, des bruits de pas résonnèrent près de lui. Puis on l'attrapa une nouvelle fois à la gorge, le soulevant de terre. La douleur embrasa soudain sa poitrine, et remonta à son cerveau. Intolérable, dévastatrice.
Lorenzo perdit connaissance presque sur le coup.

Glaucus se retourna vers sa complice.

- Maîtresse Ishara !

Elle s'approcha en se dandinant, inclinant la tête à droite et à gauche, les yeux fixés sur le corps couché à terre. Elle s'agenouilla auprès de lui, caressa la chevelure châtain, puis le front et les lèvres.

- Amalric !… Mon aimé, je ne te laisserai pas ainsi…Tes souffrances vont s'apaiser... dit-elle, sa main caressant la poitrine que seul un faible souffle soulevait.

Elle approcha l'amphore en or, semblable à celles qu'elle avait utilisées précédemment à Paris et à Barcelone. Les mêmes volutes lumineuses s'échappèrent de l'amphore et tourbillonnèrent autour du visage de la victime, puis disparurent, comme par enchantement.

- L'âme a intégré son enveloppe charnelle... annonça la jeune femme en s'écartant du corps de Lorenzo.
- Oui, Maîtresse Ishara, acquiesça Glaucus.

Il releva le corps du jeune homme, et le cala contre un pilier, affaissé sur ses genoux, le dos au mur.

- Viens Glaucus, laissons cet homme ici. Ce n'est pas Amalric... Il faut continuer à chercher ! dit Ishara, dont le visage était une fois de plus illuminé par une expression dont toute raison était absente.

Elle disparut, suivit de son fidèle serviteur.

Masque de Mort sentait le froid saisir son corps entier. Son corps ? Non, plutôt le corps dans lequel on venait de le remettre sans ménagement. A qui appartenait-il ?
Il parvint à ouvrir les yeux, et vit le sol. Gris, froid, humide. Où était-il ?
Sans pouvoir maintenir sa position assise, il bascula sur le coté, et sa tête heurta violemment le bitume. Le choc se propagea dans tout son corps, et il sentit le malaise monter en lui.
Masque de Mort lutta contre l'évanouissement, mais en vain. Il referma les yeux, se laissant basculer de nouveau dans les ténèbres, qui lui faisaient désormais si peur.


France, Paris, 10 janvier 2004, 4h40 (Jan.10, 1:40 AM GMT +3:00)

Un vent froid soufflait le long des quais de la Seine, qui étaient déserts, et silencieux en cette heure à la frontière de la nuit et du jour.
Un bruit de pas diffus couvrait le léger clapotis des flots. Le bruit devint plus fort, en même temps que se découpait dans la légère brume la silhouette d'une femme. Celle-ci était tout de noir vêtue, et seule sa chevelure, d'un roux cuivré, apportait une touche de couleur à sa personne.
Elle avançait d'un pas rapide, les mains dans les poches, le cou rentré dans son écharpe. Alors qu'elle allait passer une pile du Pont-Neuf, un jeune homme sortit de l'ombre et s'avança vers elle.

- Ambre, je savais que tu allais venir, dit-il en enlaçant la jeune femme.
- L'offre était tentante, répondit-elle en souriant.

Le jeune homme la regarda, l'air amusé.

- Belle Ambre, on ne t'a jamais dit qu'il ne fallait jamais suivre les étrangers... fit-il en resserrant son étreinte.
- Si, je crois que ma maman me l'a déjà dit... se moqua gentillement la jeune femme.
- Et bien, tu aurais peut-être dû écouter ta mère... ! répondit le jeune homme, d'un sourire subitement cruel.

Son beau visage se changea soudainement. Ses pommettes et ses arcades sourcilières saillirent. Ses yeux n'étaient plus ceux d'un humain, mais celui d'un animal. Et sa bouche laissait apparaître des canines aussi aiguisées que celle d'un carnassier.
Le monstre plongea son visage dans la chevelure et le coup de la jeune femme. Et s'évanouit en fumée.
Ambre resta immobile quelques secondes, son bras tendu tenant fermement un pieu en bois.

- Et toi, personne ne t'a jamais dit que les chasseurs de vampires traînaient dans les endroits louches à la recherche de types comme toi ! dit-elle d'une voix méprisante.

Elle rangea son pieu dans sa poche, et s'éloigna. Elle n'avait pas fait quelques mètres qu'une ombre surgit des ténèbres de la pile du pont et s'élança sur elle.
Mais la créature fut stoppée nette dans les airs. Comme arrêtée par un mur invisible.
La jeune femme rousse se retourna, et une fois de plus armée de son pieu, frappa la silhouette en pleine poitrine.
Le corps de la créature bascula en arrière, et se consuma jusqu'à retomber en poussière.

- Merci, Will !

Ambre se tourna vers une voiture, de derrière laquelle émergea sa blonde complice.

- Oh ! Mais... Tu sais... De rien... Ambre ! bafouilla Willengard.
- On va fêter cette nouvelle victoire ! ? On va au Queen ? Ou au Monte-Christo ? Une petit salsa avant de se coucher ?

Ambre esquissa quelques pas de danse avec un grand sourire.

- Shina ne va pas apprécier si on ne rentre pas !
- Mais si, elle comprendra ! Elle a été jeune elle aussi... ! grommela Ambre.

Son téléphone portable se mit à entonner bruyamment " No scrub", signe que quelqu'un l'appelait. Elle regarda l'écran du téléphone, et fit un petit sourire.

- Oui, boss ? On parlait justement de toi ! fit-elle d'une voix amusée.
- Ambre, toi et Will, venez d'urgence au Champ de Mars, on s'y retrouve dans une heure... Quelque chose de grave vient d'arriver !

La voix de Shina était haletante, précipitée.

- Qu'est-ce qu'il se passe... Où est-ce qu'on se retrouve exactement ? insista Ambre.
- Je n'ai pas l'adresse exacte, mais je vais trouver d'ici là !
- Shina, mais qu'est-ce que tu racontes ? Je ne comprends rien !

Mais Shina avait déjà raccroché.

- Qu'est-ce qu'il se passe ? demanda Will.

Ambre haussa les épaules.

- Tant pis pour la boîte... Il faut qu'on soit dans la zone du Champ de Mars d'ici 5 h 30 …


Etats-Unis, New York, 9 janvier 2004, 22h30 (Jan.10, 2:30 AM GMT -4 :00)

Garn Olgers savourait un verre de scotch, assis comme presque tous les soirs au comptoir de l'Excelsior, un de ses bars favoris du quartier de Soho.
Ce jeune trader de 28 ans avait passé une journée épuisante, faite de hauts et de bas, comme tous les jours. Il avait commencé très mal la matinée, en perdant 1,5 millions de dollars sur le marché de Tokyo juste avant sa clôture, puis s'était " refait " sur ceux de Paris et de Londres, pour terminer avec un gain de 700,000 dollars.
Mais tout de même, il songeait que s'il ne trouvait pas moyen rapidement de faire fortune, de préférence avant trente-cinq ans, il allait finir cardiaque. En tout cas, l'année 2004 commençait en fanfare !
Il jeta un oeil à son reflet dans la glace. Heureusement ni son stress, ni ses nombreuses "virées nocturnes" ne ressurgissaient sur son visage ou son allure en général.
Ses collègues s'étaient moqués de ses traits efféminés lorsqu'il avait débarqué droit de Stockholm, envoyé par la filiale suédoise. Il faut dire qu'il portait des cheveux blonds longs et bouclés jusqu'aux épaules, et arboraient de magnifiques yeux bleus réhaussés de grands cils, et d'un grain de beauté sous l'œil droit. Certains l'avaient d'ailleurs taquiné, en lui demandant s'il "marchait à voile ou à vapeur ". D'autres, plus intéressés, lui avaient demandé franchement s'il était gay, et surtout... "libre" ? ! Tous s'étaient très vite ravisés, voyant la facilité de Garn à trouver une compagne ne serait-ce que pour la nuit, et le nombre de conquêtes affichées à son palmarès. Car le jeune homme jouait librement de son apparence ambiguë, mais du reste très séduisante, et était plus attiré par des distractions passagères, que par une relation de longue durée. Ce serait seulement à l'âge de la retraite - avec beaucoup de chance, trente-cinq ans - qu'il songerait à commencer à chercher la femme de sa vie.
D'ailleurs en ce moment même, son regard glissait inlassablement sur une superbe brune, dont la longue robe noire dessinait les formes parfaites. Garn allait lui proposer un verre lorsque son téléphone sonna.

- Garn Olgers, j'écoute...
- Garn, c'est Cap... !

Oh ! Non ! Pas lui, pas mon assistant ! soupira intérieurement Garn.

- Garn, il faut que tu viennes, il y a du grabuge sur la place de Hong Kong ! haleta Cap au téléphone.

Décidément, les places asiatiques ne me réussissent pas !

- J'arrive dans vingt minutes ! soupira Garn.

Il raccrocha son téléphone et le remit dans la poche de sa veste beige crème. Il regarda en direction de la jeune femme, qui sirotait doucement une margarita. Justement le jour où j'avais une chance avec une superbe et mystérieuse brune !
Garn fit au barman de s'approcher.

- La même chose pour cette ravissante jeune personne, fit-il en désignant la jeune femme.

Le barman prépara le cocktail, et le posa devant la belle inconnue, lui expliquant que cela venait du jeune homme en complet veston beige crème assis à l'autre bout du bar.
Garn en profita pour s'approcher d'elle, et lui tendit sa carte de visite avec un sourire.

- Désolé, je dois y aller... Mais je serais ravi de pouvoir dîner avec vous un soir, fit-il en lui tendant la carte, accompagnant son geste d'un clin d'œil charmeur.
- Merci ! se contenta de répondre la jeune femme en souriant.

Garn sortit du bar en lui faisant un geste d'adieu.
Lorsque Garn fut sortit, la jeune femme trempa la carte de visite dans la Margarita, et la fit tourner dans le verre comme une paille. Elle ressortit la carte et lécha les gouttes de liquide qui s'y étaient déposées, sous l'œil interloqué du barman. Elle lui adressa son plus large sourire et sortit à son tour, laissant la carte teintée de rouge sur la vitre du bar.

Garn avait garé sa 911 Targa dans une ruelle, à deux pas du bar. De faibles néons illuminaient la rue, plongée dans une sorte de brouillard humide.
Arrivé à 3 mètres de sa voiture, Garn sortit son porte-clés et déverrouilla les portes. La voiture répondit par de joyeux appels de phares, seule " manifestation de vie " dans cette rue.
Il glissa la clef dans la serrure et soudain aperçut dans le reflet de la vitre un poing se lever derrière lui. Il s'écarta de justesse, évitant le poing qui s'abattit dans la vitre de sa voiture dans un bruit de bris de glace.

- Et mais qu'est-ce que... ! cria Garn.

Il n'eut pas le temps de se retourner qu'une main le saisit par l'épaule et l'envoya tête la première dans les débris de la vitre. Il hurla, sentant l'une de ses joues déchirée par le verre.
Il hurla de nouveau, un autre coup de poing venant de l'atteindre dans son dos. La douleur lui vrilla le cerveau.
Puis sa vue se brouilla, et la douleur disparut enfin. Seule la sirène d'alarme de sa voiture continuait à lui déchirer les tympans.

- Mon Dieu, faîtes que cela s'arrête ! songea Garn.

Il fut vite exaucé. Le bruit décrut, puis mourut.

Glaucus tira le corps inerte de la voiture, qui heurta violemment le sol. Le coté gauche de son visage était inondé de sang, provenant de la coupure qui l'entaillait de l'œil à la mâchoire.
Ishara s'approcha du corps, une amphore en or à la main. Elle s'agenouilla près du jeune homme et déversa le contenu de l'amphore sur son visage, tout en murmurant de mystérieuses paroles. Le visage ensanglanté fut illuminé puis recouvert pendant quelques secondes par des volutes incandescentes. La lumière cessa, laissant de nouveau apparaître le visage aux traits réguliers, dont l'harmonie était troublée par l'entaille sanguinolente.

- C'est fini... Une nouvelle âme possède désormais ce corps ! annonça la jeune femme, nous pouvons passer au suivant.

Ishara se releva, sans détacher les yeux du jeune homme..
Glaucus la regardait attentivement. Aucune phrase étrange. Aucun geste inconsidérée. Se pourrait-il qu'Ishara ait recouvert toutes ses facultés mentales ?
Ishara s'évanouit brusquement dans les airs. Son fidèle Glaucus en fit autant.

Aphrodite ouvrit les yeux, mais ne vit qu'un monde séparé entre lumière et ténèbres. Son corps frissonnait de douleur, et son visage était en feu.
Son corps ? Mais quel était ce corps ? Pourquoi était-il de nouveau de chair et de sang ?
Le sens de l'ouïe lui revint progressivement. L'alarme de la voiture fit vibrer son cerveau douloureusement. Très vite, la douleur devint insupportable.
Il hurla, sa voix résonnant dans la ruelle déserte.


France, Paris, 10 janvier 2004, 5h30 (Jan.10, 2:30 AM GMT +3:00)

Ambre s'appliquait à crocheter la serrure de l'appartement, tout en se disant que la faire exploser d'une balle ou défoncer la porte aurait été plus rapide. Mais il fallait faire le moins de bruit possible...

Le rendez-vous n'avait pas eu lieu. Vers 5h00 du matin, Shina avait rappelé Ambre, et lui avait compté une histoire folle: quelqu'un effectuait un rite de possession sur des jeunes gens et réintégrait en lieu et place de leur âme celle d'un chevalier du Sanctuaire d'Athéna. Shina lui avait ordonné de monter dans l'appartement d'un certain Gabriel de Riveau, sis Rue Saint Saens, dans le Quinzième, et de s'occuper de la victime, qui répondrait au nom de Camus. Elle avait enjoint à Will de sauter dans le premier vol pour Barcelone, à 7h50 précises, et de trouver un dénommé Armando Delavaga, dont le corps abritait désormais un certain Shura. Elle-même partirait pour le premier vol pour Naples, vers 8h30, à la recherche d'un certain Lorenzo Mastroianni, alias Masque de Mort. Tout un programme !

La serrure céda, et Ambre se hâta de pénétrer dans le confortable appartement de Gabriel de Riveau. Celui-ci, bien que petit, était décoré avec goût et était très bien agencé.

- Pas mal rangé pour l'appartement d'un célibataire !

Elle pénétra dans le salon, et son pied buta dans un livre. La pièce était sans-dessus-dessous: les étagères étaient brisées, de même que la table basse en verre. Le sofa avait été retourné comme par une tempête.
Enfin, elle vit celui qu'elle cherchait. Le corps recroquevillé près de la fenêtre ouverte, d'où s'engouffrait un froid glacial.
Elle accourut vers lui. Le jeune homme était conscient, et leva les yeux lorsqu'elle s'approcha de lui. Son corps était parcourut de tremblements tant il avait froid, et son teint était devenu blanc, les lèvres légèrement violettes. Des hématomes couvraient son visage et son cou. Du sang avait séché contre sa tempe et ses joues.
Ambre comprit que Shina n'avait absolument pas exagéré la situation.

- Ne vous inquiétez pas ! Je suis là pour vous aider ! dit Ambre en fermant la fenêtre.

Elle mit le chauffage électrique à fond, et courut dans la chambre. Elle revint avec une couverture, dont elle enveloppa le jeune homme. Celui-ci grelottait toujours. Il essaya de parler, mais aucun son ne sortit de sa bouche. Seuls ses yeux se levèrent sur Ambre, implorant son aide. Celle-ci s'assit près de lui, et calla délicatement sa tête sur ses genoux. Elle avait peur de le bouger, et d'aggraver ses blessures.
Elle se mit à caresser les cheveux du blessé pour l'apaiser.

- Camus, ne vous inquiétez pas, tout va bien aller, murmura Ambre, heureuse que le chauffage électrique commençât déjà à réchauffer la pièce.

Tout en continuant de caresser les cheveux de Camus, Ambre saisit son téléphone portable dans sa poche, et composa un numéro.

- Docteur Aymar ? Ermengardis a besoin de vous...

Camus se laissa bercer par les caresses de la jeune femme rousse. Qui était-elle, il n'en savait rien. Mais elle connaissait son nom. Elle était là pour l'aider. De toute façon, il était à bout de force.
Jamais situation ne lui était apparue plus ironique que celle qu'il vivait en cet instant: le chevalier du Verseau, le magicien de l'eau et de la glace, revenu du Royaume de l'oubli par on ne sait quel sortilège, était presque mort de froid...
Comme jadis sa mère mourut, gelée sous un porche.


Etats-unis, New-York, 9 janvier 2004, 23h10 (Jan.10, 3:10 AM GMT -4:00)

Pema Thokmay marchait doucement dans les allées désertes d'un des silos de la Grande Bibliothèque de la Cinquième Avenue, les lunettes sur le nez et un énorme livre ouvert sur une page aux enluminures dont la poussière des siècles n'avaient pas totalement eu raison.
Il évita l'un des piliers qui se dressait sur son passage, ayant eu le temps en trois ans de travail en ce lieu de mémoriser le plan des salles de lecture de cette vénérable institution.

A 21 ans, la passion des livres anciens chevillée au corps, ce jeune new-yorkais d'origine tibétaine avait décidé de devenir bibliothécaire dans la plus vieille bibliothèque de sa ville adorée. Un travail pas trop harassant, et qui lui permettait d'accéder et de lire de vrais trésors, à toute heure du jour et de la nuit.
Bien que sa grand-mère fût tibétaine, Pema ne s'intéressait guère à la civilisation de son pays natal. Alors que de nombreux de ces concitoyens américains avaient goûté aux retraites bouddhiques, et se passionnaient pour la cause tibétaine, Pema préférait les récits sur l'Egypte ancienne, la Mésopotamie, ou encore le Moyen-Age en Europe.

La sonnerie de son téléphone portable retentit.

- Oui ?
- Où es-tu ?

Goddam ! Sa petite amie... ! Qu'est-ce qu'elle voulait encore ? Voila deux heures qu'il lui avait dit qu'il rentrerait tard !

- Toujours au même endroit !
- Ma parole ! Tu sors avec tes livres ou avec moi !

Et elle raccrocha sans attendre de réponse
Pema soupira, et rangea son téléphone dans sa poche de jeans. Vraiment ça n'allait plus avec elle ces derniers temps... C'était peut-être le moment de prendre une décision salutaire pour eux deux... Il lui en parlerait demain...
Chassant toute idée morose, Pema grimpa à l'un des escabeaux posés sur une des lourdes étagères en bois. Un de ses endroits favoris pour lire.

Lorsqu'il était assis là, et qu'il levait les yeux de son livre, il avait une vue imprenable sur les tables de lecture aux lampadaires verts, les têtes studieuses penchées sur leurs documents, ou d'autres, pensives, regardant les fresques du plafond. De magnifiques fresques où la couleur bleue dominait, et que Pema aimait bien contempler. D'ailleurs du haut de son escabeau, il se sentait plus proche de ce ciel en mosaïque.
Il noua ses cheveux en catogan, pour qu'ils ne le gênent pas pendant la lecture de ce bijou, un récit sur l'Ordre des Templiers dans le Royaume français du 10ème au 13ème siècle. Pema s'absorba totalement dans sa lecture, non sans s'être félicité d'avoir appris le latin, une langue morte qu'il maîtrisait assez bien, au même titre qu'une douzaine d'autres langues anciennes...
Une voiture de police passa dans la cinquième avenue, sirène hurlante. Pema releva la tête, un instant troublé par le vacarme. Mais bien vite, il se replongea dans son livre.
Chapitre 2. " Jacques de Molay, le dernier maître des templiers... " déchiffra Pema.
Il fut tiré assez brutalement de sa lecture: quelqu'un l'agrippa par la cheville, et le mit à bas de l'escabeau sans ménagement. La tête de Pema heurta la dernière marche de celui-ci, brisant le bois. Il s'évanouit presque aussitôt.

Ishara s'approcha du corps du jeune homme, et baigna son visage du contenu de l'amphore qu'elle tenait dans ses mains. Quand la lumière incandescente eut disparu, elle se releva.
Glaucus ramassa le corps inerte et l'appuya contre une étagère. Le jeune homme semblait revenir doucement à lui, dodelinant de la tête.
Ishara prit le livre que Pema serrait toujours d'une main. Elle lut quelques lignes de la page que le jeune tibétain avait commencé à étudier, et sourit d'un air moqueur.

- Les templiers ! Il a une admiration pour les templiers !

Elle jeta un regard méprisant au jeune homme qui gémissait de douleur à ses pieds.

- Je n'aime pas les templiers ! Je me rappelle encore du jour où le Roi Philippe a fait brûler le Grand Maître et a ordonné la dislocation de l'Ordre !

Glaucus regarda sa maîtresse d'un air inquiet. La raison d'Ishara vacillait de nouveau. Celle-ci souriait, comme à l'évocation d'un souvenir heureux.

- J'en ai presque dansé de joie ! Devant le bûcher du Grand Maître !

Son sourire s'effaça soudainement, faisant place à une expression de douleur.

- Jusqu'à l'arrivée de Ermengardis... souffla-t'elle d'un air soudain effrayé.

Glaucus la regardait, de plus en plus inquiet.
Ishara parut ressortir d'un rêve, ou plutôt d'un cauchemar, et tourna son visage vers lui.

- Glaucus, Il faut y aller... fit-elle d'une voix calme, un sourire aux lèvres.

Et elle s'évapora dans les airs.
Glaucus suivit sa maîtresse, sans un mot.

Mu ouvrit les yeux. La première chose qu'il vit fut des représentations d'anges, courant sur des nuages blancs, qui parsemaient un ciel au bleu incomparable.
Puis la douleur l'envahit. Sa tête, son dos, ses jambes... Tout n'était que douleur.
Sa tête, son dos, ses jambes... ? ! Il avait donc de nouveau un corps ? Mais à qui appartenait-il ?
Le bleu du ciel s'obscurcit progressivement, au fur et à mesure qu'un grésillement montait à ses oreilles. Puis tout devint noir et silencieux.


Etats-unis, Los-Angeles, 9 janvier 2004, 21h30 (Jan.10, 4:30 AM GMT - 07:00)

Keleus Dioskouroi était assez satisfait de sa prestation de ce soir. Son audition pour le " Prince d'Egypte " s'était très bien passée. Vraiment très bien passée. Les juges semblaient avoir apprécié aussi bien son jeu d'acteur, sa voix, que son apparence physique. Il allait certainement décrocher un rôle intéressant. Pourquoi pas le premier rôle ?
Il devrait certainement aller à New York, à Broadway... Qu'importe ! Il irait. Car après tout, ces huit années de galère allaient être enfin récompensées.

A 29 ans, ce jeune grecque d'origine russe commençait à désespérer. Il était venu à Los Angeles à l'âge de vingt et un ans, avec la ferme d'intention de se faire une place dans le ciel étoilé d'Hollywood. Il avait vite déchanté, la concurrence étant extrêmement rude. En effet plus de 900,000 acteurs et actrices peuplaient le Sanctuaire du cinema, et il avait vite compris que s'il ne cherchait pas sa chance, celle-ci ne viendrait pas à lui.
Son physique imposant - 1,85 m tout en muscles ! - servit par un visage de charmeur lui avait permis de trouver aisément des seconds rôles ou des rôles de doublure, parfois de grandes stars. Il était également devenu un excellent cascadeur, ce qui permettait de remplir encore plus facilement son agenda.
Mais voilà, cela ne lui suffisait pas: Keleus voulait briller, par lui-même.

Se trouvant à Santa Monica Pier, Keleus songea qu'il pouvait en profiter pour marcher jusqu'à Santa Monica Beach et faire une petite promenade sur la plage. Il ne faisait pas très froid ce soir là, presque 12 degrés. Et puis l'air de l'océan lui ferait du bien, apaiserait son esprit, qui commençait à imaginer les choses les plus folles... A moins que la promenade n'ait l'effet contraire, et n'attise son euphorie...
Peu importe, la plage l'appelait...


Espagne, Barcelone, 10 janvier 2004, 6h30 (Jan.10, 4:30 AM GMT +02:00)

Le jeune interne Alphonso Martinez regardait le jeune homme qui était couché sur le lit d'hôpital. Il devait avoir le même âge que lui, 27 ou 28 ans.
Alphonso se demanda qui avait bien pu mettre ce gaillard dans un état pareil. Le jeune homme portait un large bandage autour de la tête. Il avait également des bandages à l'épaule gauche, aux poignets, et autour du buste, qui était marqué d'un énorme hématome noir.
Aphonso le regarda avec une certaine émotion. Cet homme, qui avait été amené il y a à peine deux heures à cet hôpital, était protégé par l'Ordre d'Ermengardis.

Alphonso n'était pas de garde cette nuit-là. Mais il avait été lui aussi tiré de son sommeil par un coup de téléphone du professeur Ortegas, un autre médecin espagnol qui avait juré fidélité à l'Ordre, et qui exerçait à Séville. Il avait reçu des informations de la plus haute importance du Grand Maître de l'Ordre, et avait besoin de l'aide urgente d'Alphonso. Un homme reconnu sous l'identité de Armando Delavega avait été amené à l'hôpital où travaillait Alphonso. Ce dernier devait tout mettre en oeuvre pour mettre cet homme, qui répondrait désormais au nom de Shura, dans un lieu sûr, à l'abri des questions des autres médecins, de la police - quoiqu'un commissaire de Barcelone soit acquis à la cause de l'Ordre, et était en train de brouiller les pistes - et surtout des agresseurs potentiels. Et ce, jusqu'à l'arrivée d'un envoyé d'Ermengardis.
Alphonso accepta immédiatement cette mission. Pourtant, il avait peur : Dieu seul savait à quelle créature il allait être confronté !

Un gémissement le tira de ses pensées. Il vit les paupières du jeune homme frémir. Il revenait à la vie !
Alphonso se mordit les lèvres, un peu dépassé par les évènements. S'il l'appelait, peut-être cela aiderait le blessé à ouvrir les yeux. Comment s'appelait-il déjà... ? Ah ! Oui !

-... Shura ! ?

Le jeune homme ouvrit les yeux, et les laissa errer jusqu'à ce qu'il aperçoive le visage crispé d'Alphonso.

- Où … Où suis-je ?
- En sécurité ! Ne vous inquiétez pas, on veille sur vous … !
- Qui … êtes-vous ? articula avec peine Shura.
- Ermengardis !

Shura tenta de se remémorer s'il connaissait ce nom, mais il n'avait aucun souvenir d'un ou d'une quelconque Ermengardis. Son esprit était si fatigué...
Il se laissa de nouveau couler dans le sommeil.


Etats-Unis, Los Angeles, 9 janvier 2004, 21h45 (Jan.10, 4:45 AM GMT -7:00)

Keleus était assis sur la plage depuis une demi-heure, et observait d'un air rêveur les vagues se former à quelques mètres du rivage, et venir mourir sur le sable blanc dans une gerbe d'écumes.
Il y avait peu de promeneurs en ce soir de janvier. Seule une joggeuse - représentation parfaite de la californienne en forme !- était passée il y a 15 minutes, un walkman sur les oreilles. Keleus l'avait gratifié d'un clin d'œil et de son sourire le plus charmeur, auxquels la jeune femme avait répondu. Il avait hésité brièvement à la suivre, et à entamer une conversation qui pourrait durer plus ou moins longtemps si affinité - Damned ! Pas scorpion pour rien ! - mais il y avait finalement renoncé. Il voulait être seul ce soir, et laisser libre cours à sa rêverie.

Keleus fixait un point invisible à quelques mètres de la plage lorsqu'il eut l'impression qu'une forme avançait à travers les vagues, en direction du rivage. Il cligna des yeux et reconnut effectivement une forme humaine. Quelques secondes plus tard, il put distinguer très clairement une jeune femme, mince, élancée, aux longs cheveux noirs dansant gracieusement autour de son visage, de ses épaules, de son corps, au rythme de ses mouvements et des vagues qui l'entouraient. Sa longue robe sombre flottait autour d'elle, révélant furtivement une peau blanche et délicate.
Keleus était comme envoûté par cette apparition. Il était un " homme à femme ", et avait connu beaucoup de représentantes du sexe opposé, mais jamais une femme avait eu sur lui un tel effet. Elle dégageait quelque chose de mystérieux. De magique. Une magie sombre mais délicieuse... paralysante.
Il songea que la mort devait être ainsi. Inattendue. Séduisante.
La mort ! Mais quelle idée ! Mais pourquoi pensait-il à cela !

Il ressentit un choc dans son dos, puis la douleur se propagea à tout son corps. Il fut projeté en avant, et roula sur le sable mouillé de la plage. Il s'immobilisa, la tête tournée vers l'océan et la belle jeune femme.
La vision de Keleus se brouilla, et il vit à peine la silhouette de celle-ci s'approcher de lui. Sa conscience l'abandonna.

Glaucus s'agenouilla près du corps, alors qu'Ishara émergeait de l'océan, telle un fantôme venant hanter le lieu d'un naufrage. Elle tenait une amphore en or à la main.

- Amalric, mon ange ! Quel bonheur de voir que tu apprécies ma venue ! fit Ishara d'un sourire de démente.

Elle s'agenouilla à son tour. Elle caressa le visage endormi, répétant des paroles sans aucun sens. Glaucus la regardait, impassible. Il finit cependant par poser sa main sur son épaule.

- Maîtresse Ishara ? appela t'il, comme pour la réveiller.

Celle-ci battit des cils, et lui sourit. Puis, commençant à psalmodier dans un étrange langage, elles ouvrit l'amphore. Des volutes d'or s'en échappèrent, et recouvrirent le visage de Keleus. Celui-ci fut éclairé d'une lumière éblouissante pendant quelques secondes. Puis le calme revint sur les traits du jeune homme.

- Amalric... parle-moi ! insista la démente, j'aimerais tant entendre de nouveau le son de ta voix...

Pourtant, sans attendre de réponse, Ishara se releva lentement et, continuant à proférer des paroles étranges, se dirigea vers le rivage.
Elle disparut dans les embruns qui se jetaient sur la plage.

Glaucus s'approcha du corps. L'homme était toujours étendu sur le seul, inconscient. Ses paupières frémissaient, signe qu'il allait bientôt revenir à la vie..

- Que les humains sont fragiles ! songea Glaucus avec mépris.

Et il se téléporta à la suite d'Ishara, sur le lieu de la mission suivante.

Milo gisait sur la plage, tel un naufragé rejeté sur les côtes d'une île déserte. L'eau venait lécher son corps à chaque ressac, le tirant progressivement des ténèbres dans lesquelles il avait été plongé.
Il ouvrit les yeux. La seule chose qu'il aperçut fut un magnifique ciel étoilé resplendissait de milles joyaux.
Le ciel ! Les étoiles ! Je peux... De nouveau contempler les étoiles ! songea Milo.
Il prit alors conscience de " ce " corps. Car ce n'était pas le sien. Son âme était enfermée dans un corps qu'il ne connaissait pas, et qui hurlait de douleur.
Les larmes roulèrent des yeux de Milo sans qu'il ne puisse les retenir... Il ne comprenait qu'une chose à ce supplice : il était en vie !
A bout de force, il se laissa glisser de nouveau dans la torpeur.


Italie, Naples, 10 janvier 2004, 6h55 (Jan.10, 4:55 AM GMT +02:00)

Le Commissaire Togniazzi pénétra dans la chambre d'hôpital.
Toute sa vie il avait rêvé qu'Ermengardis l'appelle. Il faisait parti de cet ordre secret depuis près de quarante ans. Il y était rentré à 15 ans, par tradition familiale, mais avait décidé d'y rester par conviction. Et aujourd'hui, ce jour qu'il pensait béni était arrivé.
Pourtant, il se sentait si triste...
C'est lui qui avait trouvé le corps de Lorenzo. Le message était arrivé vers deux heures du matin, alors qu'il planchait sur un dossier urgent. Un message signé du Grand Maître de l'Ordre, qui déclarait clairement que Lorenzo Mastroianni était en danger de mort. Tognazzi avait bondi de son siège, était sorti pour prendre sa voiture et aller prévenir le jeune inspecteur.
Il avait trouvé son corps dans le parking, inconscient et en sang.
Ce même corps gisait maintenant sur un lit d'hôpital, devant lui.
Togniazzi ne se faisait aucune illusion, les explications envoyées étant assez claires sur le sujet: l'âme du jeune inspecteur s'était envolée, pour faire place à celle d'un autre, un chevalier de l'Ordre du Sanctuaire. Un dénommé Masque de Mort.
Tognazzi eut un frisson dans le dos. Quel nom abominable !

Les paupières du jeune homme frémirent, et deux iris bleus filtrèrent à travers les longs cils noirs. Le regard balaya la pièce, puis remarqua la présence de Tognazzi, assis sur un siège à coté du lit.
Celui-ci se pencha et examina le visage du jeune homme. Il grimaça en voyant les énormes bleus qui assombrissaient sa tempe, sa joue droite et ses lèvres.

- Ne vous inquiétez pas, Masque de Mort, je veille sur vous...

Le jeune homme ne répondit pas, mais leva sa main droite. Il parvint à poser celle-ci sur le barreau de son lit, et articula enfin :

- Que... s'est-il... passé... ?

Tognazzi lui prit la main, et la reposa à plat sur sa poitrine.

- Ce n'est rien, nous en parlerons plus tard.
- Mais...
- Quel est votre vrai nom ?
- Angelo...

Ce nom plut tout de suite à Tognazzi. Un nom qui rimait avec bonté et espoir...

- Très bien, Angelo... La meilleure chose que vous ayez à faire pour l'instant est de vous reposez... Je veille sur vous.

Angelo n'avait jamais été un homme à faire confiance à un inconnu. Pourtant il décida de se fier à cet homme, qu'il avait vaguement l'impression de connaître.
Il était si fatigué, à quoi bon se poser des questions... Il se laissa glisser de nouveau dans le sommeil, sous la bienveillance du vieil homme.
Mais un nom raisonnait dans sa tête : " Lorenzo "


Grèce, Sanctuaire Terrestre- 10 Janvier 2004, 8h00 (Jan.10, 6:00 AM GMT +02:00)

Les immenses portes de la Grande Salle du Palais d'Élision s'ouvrirent dans un grincement. Apollon pénétra les lieux d'un pas décidé, sans même attendre que son hôte lui accorde le droit d'entrée.
Perséphone était assise sous son dais rouge vif, cachée par un voile sombre, qui était agité par une mystérieuse brise.

- Je vous salue, Ô Perséphone, ma tante !
- Soyez le bienvenu, Ô Apollon, mon neveu !
- Ma chère tante, le message a été envoyé aux Grands Maîtres d'Ermengardis. Je viens donc m'enquérir de l'avancée des opérations... Avez-vous trouvé des exécutants pour cette tâche ?

Il y eut un silence avant que l'interpellée ne réponde d'une voix douce:

- Oui, j'ai trouvé des exécutants parfaits... Et ils ont déjà ramené six chevaliers à la vie en moins de douze heures terrestres.

Il y avait cependant dans sa réponse un ton d'hésitation qu'Apollon ne manqua pas de noter.

- Mais encore ? De qui s'agit-il ? Qui sont ces guerriers si efficaces ?

De nouveau le silence.

- Me cacheriez-vous quelque chose, ma chère tante ?
- Il s'agit de deux " Grands Anciens ", Ishara et Glaucus...

Le visage d'Apollon changea instantanément d'expression lorsqu'il entendit les mots " Grands " et " Anciens ". La surprise, l'incrédulité, puis la colère assombrirent ses yeux.

- Vous avez ramené à la vie deux des Grands Anciens ! Des vampires, vous accordez votre confiance à des vampires ! hurla t'il presque.

Sa voix raisonna dans l'immense salle obscure, comme un coup de tonnerre roulerait dans un ciel nocturne.

- Je n'avais pas le choix... Ishara est la seule à connaître les incantations des prêtres de l'ancienne Babylone... répondit Perséphone, d'une voix tremblante.
- Ce sont des monstres... Incontrôlables !... Ils ne craignent ni les Dieux, ni leur colère, ni leurs règles ! Savez-vous quelle difficulté ont eu les Saints d'Athéna pour enfermer ces huit monstres dans leurs cercueils il y a cinq cent ans !
- Je connais l'histoire, mon cher neveu. Mais il faut parfois se donner les moyens de ce que l'on veut !
- Oui, mais cela n'impliquait pas d'aller sur l'île de Telemny, et de faire sortir de leurs cercueils ces... créatures ! J'espère que vous n'avez pas tiré de leur sommeil les autres non plus... Marius... Il est toujours endormi, n'est-ce pas ?
- Il l'est. N'ayez crainte. Je n'ai fait éveiller que Ishara et Glaucus.
- Et pourrais-je savoir comment vous compter les garder sous votre contrôle ? Avez-vous un plan dans le cas où ces monstres se retourneraient contre nous ? Dans le cas où ils décideraient de goûter au sang d'une déesse ou d'un dieu ? demanda Apollon avec ironie.
- Ne vous inquiétez pas. Ishara est totalement sous mon contrôle, et par Ishara, je tiens Glaucus, répondit Perséphone d'une voix redevenue calme.
- Vraiment ?
- Vraiment. Je vous l'assure, mon neveu. Ishara n'est qu'un jouet entre mes mains.



¹ Nom de personnage inspiré de la fic "poussières d'or", de Circée.
² Paroles de "Bring Me To Life", Album "Fallen", Evanescence, Sony Music, 2003

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Cette fiction est copyright Marie-Laure Clerget.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.