Pour l'armure


C'était un matin de fin d'été, où le soleil, encore timide à cette heure, n'apportait guère qu'une chaleur superficielle à la fraîcheur de l'air. Le Sanctuaire était étrangement silencieux. Tout juste entendait-on par moment un oiseau solitaire lancer son trille interrogateur. On aurait pu croire l'endroit abandonné depuis des siècles. On aurait pu croire que ce n'était là que des ruines antiques, étonnamment bien conservées, mais sans autre particularité.

Tout au bas du grand escalier qui menait aux douze Maisons se trouvait un vaste amphithéâtre. Quelqu'un qui l'aurait aperçu par hasard aurait pu croire que des acteurs antiques y avaient interprété des tragédies durant l'âge d'or de la Grèce, des siècles auparavant. Il se serait trompé. L'amphithéâtre avait bien été construit à cette époque, mais cela avait été pour un tout autre but.

L'amphithéâtre était tout aussi silencieux que le reste des environs. Là, pourtant, regroupés en une masse confuse et désordonnée, se tenaient pas moins de mille deux cents adolescents, hommes et femmes, dont aucun ne parlait. Ils formaient un ensemble des plus remarquables. Tous étaient vêtus de façon simple, presque pauvre. Leurs vêtements, guère plus qu'une tunique et qu'un pantalon la plupart du temps, étaient usés, mais fonctionnels. La plupart étaient pieds nus, quelques-uns portaient des sandales qu'ils enlèveraient dans un instant. Parmi eux, le plus jeune avait onze ans et le plus âgé dix-sept ans. Mais tous étaient remarquablement musclés, la peau bronzée par le soleil. Assez maigres, presque décharnés pour certains, ils dégageaient néanmoins une impression de solidité et de résolution surprenante. Et, en cet instant, tous avaient le regard rivé sur une boîte métallique, lourde et sans grâce, qui reposait sur un grand piédestal. A l'intérieur se trouvait ce pourquoi chacun d'entre eux avait souffert pendant plusieurs années et qu'un seul pourrait s'approprier. A l'intérieur se trouvait... l'armure !


Aiolia grimpa rapidement les marches menant vers les gradins. Il s'était un peu attardé auprès de Marine ce matin et, même si sa présence n'était pas vraiment requise, il se sentait malgré tout légèrement coupable.

_Eh, Aiolia !

L'interpellé se retourna. A une dizaine de mètres seulement, assis tranquillement parmi les autres spectateurs, Milo était en train de lui faire signe de la main. Il ne fallut à Aiolia qu'un instant pour le rejoindre et il put enfin s'asseoir, quelque peu essoufflé.

_Tu as couru ? lui demanda Milo, un sourire en coin.

Aiolia hocha simplement la tête. Milo le plaisantait fréquemment sur sa relation avec Marine et il était bien décidé à ne pas lui en donner l'occasion cette fois-ci. De plus, il se sentait effectivement légèrement fatigué, après avoir parcouru aussi vite que possible la distance séparant la Maison du Lion de l'arène. Aiolia fit un effort pour éviter de respirer trop bruyamment. Les chevaliers d'or avaient décidé entre eux de ne pas révéler à tous la perte de leurs pouvoirs et, bien que détestant le mensonge et la tromperie, il en comprenait la nécessité.

_Regarde, on dirait que ça commence, observa Milo d'un air désinvolte.

De fait, Dohko, qui devait présider à la compétition pour l'armure, venait de prendre la parole. Les mots, portés par l'architecture ancienne de l'amphithéâtre, leur parvenait parfaitement, en dépit de la distance.

_Au nom de la déesse Athéna, déclara Dohko d'un air solennel, je déclare ouverte la compétition pour l'armure du Paon. Les candidats s'affronteront deux par deux, les uns après les autres, tel qu'il en aura été décidé par le tirage au sort. Les combats s'achèvent lorsque l'un des deux combattants ne peut plus poursuivre le combat. A l'issue de la compétition, le vainqueur remportera l'armure et deviendra le chevalier de bronze du Paon.

Puis il leva les mains en un geste quasi-rituel.

_Puisse la déesse Athéna déterminer celui qui sera le plus digne de la servir.

Un léger brouhaha s'ensuivit tandis que le chevalier de la Balance retournait s'asseoir et que les vingt premiers combats étaient annoncés. La grande majorité des prétendants à l'armure quitta le centre de l'arène pour les gradins tandis qu'une petite partie d'entre eux restait et commençait à s'échauffer.

_Ils sont vraiment nombreux, hein ? fit Milo pensivement.

_Oui, approuva Aiolia, ils sont nombreux. Même pour l'armure de Pégase, il y a deux ans, ils n'étaient pas autant. Mais, étant donné les circonstances...

Milo fit signe qu'il comprenait. L'armure du Paon n'était aucunement plus puissante que les autres armures de bronze, mais, pour tous les novices du Sanctuaire, elle avait une grande signification. C'était la dernière armure vacante à demeurer en Grèce.

Aiolia observa les novices qui se trouvaient en cet instant dans l'arène, sur le point de commencer à s'affronter, et se demanda à quoi ils étaient en train de penser. Probablement se concentraient-ils surtout sur ce qui allait bientôt s'ensuivre, comme on le leur avait enseigné. Et pourtant... Quelque part dans leur esprit, la pensée subsistait. L'armure. Celui qui la remporterait deviendrait un chevalier, l'un des héros d'Athéna. Les autres... Quelques-uns, peut-être, parmi les plus jeunes, pourraient tenter la chose une nouvelle fois, à condition que le Sanctuaire parvienne à récupérer de nouvelles armures. La plupart viendrait rejoindre les rangs des gardes du Sanctuaire. Ce n'était pas considéré comme déshonorant, mais cela signifiait la fin des espoirs fous qui animaient chaque novice et l'encourageaient à continuer à travers les épreuves. Etre chevalier, c'était entrer littéralement dans une véritable légende. C'était devenir une légende. Mais, parmi tous ces adolescents réunis, un seul y parviendrait. Personne ne retiendrait les noms des autres.

_Est-ce que tu connais certains de ceux qui se présentent ? demanda Milo, qui venait d'entamer une grappe de raisin noir qu'il avait amenée.

Aiolia eut un bref sourire. Parmi les chevaliers d'or, il était très certainement le plus proche des novices, quels qu'ils soient. Un grand nombre de ceux qui se présentaient aujourd'hui provenaient d'autres centres d'entraînement, mais parmi ceux qui avaient vécu au Sanctuaire, il aurait été parfaitement capable de mettre un nom sur la moitié ou plus.

_Trois d'entre eux ont étudié avec moi, répondit-il en les cherchant du regard dans la foule. Il y a aussi des élèves de Shina et de Jabu. Quelques-uns de Marine et de Rigel. Parmi les plus âgés, il y en a aussi qui ont reçu l'enseignement de certains des chevaliers d'argent disparus et qui n'ont pas eu l'occasion de postuler à une armure depuis.

Milo avala un grain de raisin avant de hocher la tête. En règle générale, il était possible de diviser l'ensemble des novices du Sanctuaire en trois catégories. Certains, les plus favorisés, étudiaient directement auprès d'un maître donné, lequel n'avait généralement pas plus de deux ou trois élèves à la fois. Les chevaliers d'or, notamment, préféraient pour la plupart suivre cette méthode. D'autres novices étaient organisés en petits groupes pouvant aller jusqu'à une vingtaine d'adolescents. Ils étaient également surveillés par un maître, mais celui-ci ne pouvait leur consacrer qu'un temps plus limité, étant donné leur nombre. Enfin, la troisième catégorie, la plus nombreuse, regroupait tous ceux qui ne disposaient pas d'un maître en permanence. C'était l'un des principaux problèmes du Sanctuaire, et il avait pris une ampleur inquiétante avec la mort d'un grand nombre de chevaliers d'argent. En règle générale, on s'arrangeait pour qu'un chevalier au moins puisse décider de leur entraînement quotidien et les superviser. Mais c'était bien insuffisant pour avoir une réelle efficacité. De temps en temps, cependant, l'un de ces novices était remarqué par un maître qui décidait de le prendre parmi ses élèves personnels. Mais même cela n'arrivait pas très fréquemment.

Le premier combat venait de commencer et, presque aussitôt, Aiolia cessa de penser à quoi que ce soit d'autre. Ce genre d'affrontement se révélait souvent intéressant, les novices ayant recours à tout ce qu'ils avaient appris pour remporter la victoire, sans pour autant trop en révéler dès le départ. Il était fréquent que les meilleurs d'entre eux cherchent à garder le secret quand à leur force réelle jusqu'au moment où il leur était nécessaire de s'en servir.

Le combat dura un moment sans que l'un ou l'autre parvienne à acquérir un avantage. De nombreux coups furent échangé sans grand effet, jusqu'à ce que l'un d'entre eux parvienne finalement à étourdir son adversaire d'un coup à la tête avant de lui faucher les jambes et de le forcer à abandonner, un genou sur la poitrine. Shura, qui tenait lieu d'arbitre pour cette journée, intervint alors et proclama le résultat du combat. Le vaincu se releva et alla rejoindre les gradins, tête baissée, souffrant plus de la déception et de la honte que de la simple douleur physique. Le vainqueur, hors d'haleine et contusionné, mais rayonnant de fierté, retourna auprès des autres concurrents. Son bonheur était d'autant plus grand qu'il avait visiblement craint de perdre. Il était probable qu'il ne passerait pas les deux prochains tours, songea Aiolia à part lui. En fin de compte, son destin ne serait pas meilleur que celui qu'il venait de battre. Ce genre de compétitions ne pouvait faire qu'un seul heureux, en définitive, et beaucoup de vies brisées.

Le deuxième combat dura à peine quelques secondes. L'un des deux combattants, qu'Aiolia se souvenait avoir remarqué parmi les élèves de Jabu, plongea sous le coup de son adversaire, lui attrapa le poignet et lui tordit violemment le bras. Il y eut un craquement très net au moment où l'os se brisait. Etourdi par la douleur, l'autre ne put esquiver l'enchaînement de coups de poing qui s'ensuivit et s'écroula au sol, à demi inconscient, avant même de réaliser qu'il avait perdu.

Aiolia chercha Jabu du regard parmi l'assistance. Il y avait beaucoup de monde. La plupart des gardes avaient été autorisés à délaisser leurs devoirs pour assister à la compétition, et presque tous les chevaliers résidant au Sanctuaire étaient présents avec leurs élèves. Ces combats étaient l'une des rares distractions offertes aux habitants du Sanctuaire et peu d'entre eux les manquaient volontairement. C'était aussi une excellente occasion pour les novices d'assister à des combats d'un certain niveau, songea Aiolia.

Jabu était assis dans les premiers rangs et il vint féliciter son élève quand celui-ci revint vers lui. Le chevalier de la Licorne avait acquis une grande maturité au cours des derniers mois, et il avait également révélé des talents insoupçonnés pour éduquer les novices. Neuf de ses élèves se présentaient à la compétition. A part lui, Aiolia savait que Jabu ne les considérait pas forcément comme étant les meilleurs parmi ceux dont il avait la charge. Mais, étant donné qu'il s'agissait de la dernière armure disponible au Sanctuaire pour une période indéterminé, beaucoup de maîtres avaient permis à certains de leurs élèves de participer alors qu'ils ne l'auraient pas fait normalement.

Le troisième combat opposait un adolescent d'une douzaine d'année à l'une des élèves de Shina. Il fut presque aussi bref que le précédent. La jeune novice bondit sur son adversaire et lui asséna une grêle de coups de poing sans lui laisser l'occasion de riposter. Puis elle bondit sur le côté et l'envoya à terre d'un solide coup de pied à la tête. Shura attendit un instant avant d'intervenir, mais il fut bientôt évident que l'autre n'était pas en mesure de poursuivre, et il annonça la victoire de la jeune fille. Le visage dissimulé par le masque qu'elle portait, celle-ci ne manifesta aucune réaction visible, se contentant d'aller à son tour rejoindre une place dans les gradins. Son adversaire, qui avait visiblement perdu connaissance, fut emmené hors de l'arène.

Aiolia suivit brièvement du regard l'élève de Shina. Elle paraissait assez forte, mais, bien sûr, cette impression n'était que relative, à partir du moment où il ne savait pas quelle fraction de sa véritable puissance elle venait de révéler. Si c'était là tout ce qu'elle savait faire, elle pourrait encore remporter quelques combats, mais jamais l'armure.

Les femmes étaient encore relativement rares parmi les novices. Tout au plus une sur dix, sans doute moins. Parallèlement, elles avaient en moyenne un niveau supérieur à celui des hommes, étant donné que la majorité d'entre elles étaient supervisées en permanence par un maître. Les novices du sexe féminin n'avaient pour autant aucun privilège par rapport aux autres, et leur entraînement était tout aussi dur, voire plus. La plupart d'entre elles portaient le masque, bien que ce ne fut pas obligatoire, mais certaines d'entre elles l'avaient récemment abandonné, suivant en cela l'exemple de Shina.

Aiolia regarda encore tous les combats qui s'ensuivirent. La plupart n'avaient rien de bien remarquable, se limitant à des échanges de coups jusqu'à ce que l'un des deux adversaires s'écroule, accordant une victoire éphémère à l'autre. En vérité, Aiolia le savait parfaitement, la grande majorité des prétendants à l'armure, peut-être quatre-vingt-quinze pour cent d'entre eux, avaient à peu près le même niveau. Ils étaient rapides, forts et résistants, maîtrisaient passablement les arts martiaux et avaient eu l'occasion d'acquérir des techniques de combat solides. Ceux-là n'avaient pas la moindre chance. En tant qu'hommes ordinaires, ils étaient sans aucun doute nettement supérieurs à la moyenne sur le plan physique, mais les chevaliers n'avaient pas grand-chose d'ordinaire.

Certains novices se remarquaient cependant, soit par leur technique, soit par leur puissance ou leur agilité, souvent par une combinaison de tous ces facteurs. Presque toujours, il s'agissait d'élèves ayant reçu l'enseignement direct et continu d'un maître donné. Ceux-là avaient tendance à se distinguer au cours de ce premier tour, leurs combats étant particulièrement brefs. C'était en quelque sorte l'élite des novices, ceux qui étaient vraiment parvenu à assimiler une partie des leçons qu'ils avaient reçues. Chacun d'entre eux avait un niveau remarquable, pratiquement impossible à retrouver chez un homme ordinaire, sauf peut-être un grand maître en arts martiaux.

Mais même cela n'était pas suffisant, loin s'en fallait. Ni la technique, ni la puissance physique ne suffirait à gagner l'armure. Pour cela, il faudrait le cosmos. Aiolia se demanda brièvement combien, parmi tous les candidats, avaient véritablement découvert leur cosmos. Très peu, sans aucun doute. Peut-être deux ou trois. Peut-être un seul, comme cela avait été le cas lors de la compétition pour l'armure de Pégase. Peut-être même qu'aucun d'entre eux ne l'avait encore découvert. C'était tout à fait possible, Aiolia le savait. L'une des raisons de ces combats était qu'ils représentaient l'un des meilleurs moyens existants de faire prendre conscience à un novice de l'existence du cosmos qui sommeillait en lui.

Les combats se poursuivirent jusqu'aux environs de midi, où la compétition fut interrompue pour une heure. Les spectateurs et ceux qui participaient à la compétition sortirent ensemble dans une certaine confusion. La plupart des novices se rendraient immédiatement au réfectoire du Sanctuaire, où il leur serait servi un repas suffisamment consistant pour tenir au cours de l'après-midi. Aiolia les observa un moment. Ceux qui avaient remporté leur premier combat étaient généralement les plus bruyants. Leur succès initial leur avait donné confiance en eux et ils avaient mis de côté leur anxiété, sachant qu'ils n'auraient pas à se battre de nouveau avant le surlendemain. Par opposition, ceux qui avaient perdu étaient silencieux et fermés, isolés au milieu de leurs pensées. Le seul réconfort qu'ils pouvaient trouver était la certitude que, au bout du compte, tous les autres concurrents sauf un n'auraient pas plus de chance qu'eux. Mais c'était un réconfort bien mince quand on avait eu une chance de devenir un héros et qu'on l'avait perdu. Enfin, la grande majorité, qui n'avaient pas encore combattu, étaient hésitants, parfois légèrement anxieux. Certains semblaient relativement sûrs d'eux, d'autres appréhendaient visiblement.

_Aiolia, tu rêves ? demanda Milo, qui s'apprêtait à descendre les gradins à son tour.

_Hmm ?

_Si tu veux, tu peux venir manger avec Camus, Shura et moi, offrit le chevalier du Scorpion. De la nourriture italienne, qu'est-ce que tu en dis ?

_C'est Shina qui vous a cuisiné des pâtes de son pays natal ? demanda Aiolia, amusé.

Milo éclata de rire.

_Non, nous nous sommes débrouillés en commun. Ceci dit, il faudra effectivement que je lui demande si elle sait faire la cuisine, un de ces jours.

_Elle te découpera en lanières, avertit Aiolia en souriant.

_C'est bien possible. Alors, qu'est-ce que tu décides ? Un repas italien préparé avec amour et application ou le ragoût indigeste et les patates douces du réfectoire ?

Présenté comme cela, cette dernière alternative était effectivement assez peu attrayante. Aiolia balança une demi-seconde, mais Marine lui avait dit qu'elle mangerait avec ses novices et les siens pouvaient se débrouiller sans lui.

_Je viens avec vous.

_C'est ce qu'on appelle faire le bon choix, s'exclama Milo en lui envoyant une claque dans le dos. Tu verras, il y a ce petit vin italien que Camus a trouvé...

Une heure plus tard très exactement, les combats reprirent, alors que les spectateurs n'avaient pas encore fini de s'installer. Aiolia, encore un peu somnolent après le repas copieux qu'il venait de dévorer, parvint néanmoins à se trouver une place parmi les premiers rangs. Un instant après, il fut rejoint par son frère, puis Rigel, qui s'assirent à côté de lui.

_C'est intéressant, ces compétitions, observa Aioros tandis que le premier combat de l'après-midi débutait. Mais je me demande si c'est vraiment la méthode la plus simple et la plus juste. Sélectionner mille deux cents candidats pour ne donner en fin de compte qu'un seul chevalier...

Aiolia hocha la tête, faisant signe qu'il comprenait.

_Mais tu sais comme moi que cette sélection, aussi dure soit-elle, est nécessaire, répondit-il cependant. Nous avons besoin de chevaliers dignes de ce nom.

_Il existe d'autres épreuves permettant d'évaluer si un novice mérite d'être chevalier, répliqua Aioros, mais sans trop de conviction.

_C'est la coutume d'attribuer les armures résidant au Sanctuaire à l'issue de telles compétitions, dit simplement Aiolia. Et c'est aussi la méthode la plus simple. Si nous imposions une épreuve particulière, comme cela se fait dans d'autres centres d'entraînement à travers le monde, nous ne pourrions pas donner leur chance à tous ceux qui s'entraînent ici. Du reste, certaines de ces épreuves ne sont pas moins dangereuses et difficiles.

Aioros se contenta d'approuver d'un signe de tête. Comme Aiolia, comme tous les chevaliers d'or, il avait dû risquer sa vie pour acquérir son armure. C'était lui-même qui avait appris à son frère, il y avait des années de cela, que le service d'Athéna imposait de faire des sacrifices. Parfois personnels, parfois aux dépens des autres. C'était vrai aussi pour tous les novices qui ne gagneraient pas l'armure et qui perdraient ainsi le but qu'ils avaient fixé jusque là à leur existence.

On en était déjà au troisième combat depuis la reprise de la compétition et, pour le moment, aucun des novices ne s'était particulièrement distingué.

_Combien as-tu d'élèves à toi qui participent à cette compétition ? demanda tout à coup Aiolia en se tournant vers Rigel.

_Quatre, répondit le chevalier Orion. L'un d'entre eux participera au prochain combat.

_Tu penses que l'un d'entre eux a de bonnes chances ?

Rigel parut réfléchir un instant.

_Non, probablement pas, dit-il enfin. Mais ils ont tous les quatre quatorze ou quinze ans, ils sont déjà presque trop vieux. J'ai voulu leur laisser au moins une chance de gagner une armure. Peut-être que l'un d'entre eux me surprendra au cours de la compétition. Mais j'en doute.

Il avait l'air assez indifférent, mais Aiolia ne se laissait pas abuser par cette apparence. Rigel n'avait que seize ans, mais il prenait sa tâche d'instructeur particulièrement à coeur. Sans aucun doute, il suivrait avec beaucoup d'attention tous les combats où interviendraient ses disciples.

_Qu'est-ce que tu as fait de tes autres élèves ? demanda tout à coup Aiolia.

Rigel eut un sourire amusé.

_Et bien, tout comme toi, je les ai amené voir les combats. Cela constituera certainement une expérience très valable pour eux. Et puis, de toutes façons, si je ne les avais pas laissé venir, ils auraient été tellement déçus qu'ils n'auraient rien appris.

Aiolia eut un léger rire. De fait, la chose était vraie pour tous les novices du Sanctuaire. Il y avait si peu d'occasion de se distraire au Sanctuaire, personne n'avait envie de manquer les rares qui étaient offertes.

Le combat venait de se terminer, et deux nouveaux novices prenaient place au centre de l'arène. Aiolia les connaissaient tous deux de nom. Le premier, blond et mince, se nommait Yohann. Il avait quinze ans depuis peu et cela faisait maintenant près de sept années qu'il s'entraînait au Sanctuaire pour gagner une armure. Il n'avait pas reçu l'enseignement d'un maître en particulier. L'autre novice, aux cheveux foncés, de même taille mais plus massif, s'appelait Nikos. C'était l'élève de Rigel.

Shura donna le signal et, immédiatement, les deux adversaires se lancèrent l'un sur l'autre. Nikos évita un coup de pied de Yohann et, lui saisissant le bras, le projeta au sol. Mais, avant qu'il n'ait pu tirer parti de son avantage, l'autre avait roulé de côté et s'était relevé en posture de défense.

_Quel niveau a atteint celui-ci ? demanda Aiolia à Rigel, visiblement absorbé par l'affrontement.

_Ce n'est pas le meilleur des quatre, répondit distraitement le chevalier Orion, mais il n'est pas trop mauvais, quand il parvient à se contrôler. J'ai passé beaucoup de temps à lui apprendre à garder son sang-froid.

De fait, Yohann venait de repasser à l'offensive, faisant pleuvoir les coups sur son adversaire. Nikos se défendait sans faillir, parant chaque attaque, bloquant de front celles qu'il ne pouvait pas défier. Il laissait son adversaire se fatiguer, comme on le lui avait appris. Ses mouvements étaient plus rapides et plus précis que ceux de l'autre novice, créant devant lui une véritable barrière mobile. Déjà, Yohann commençait à s'essouffler.

Un coup traversa la garde de Nikos et le percuta en pleine poitrine, lui coupant momentanément le souffle et le faisant vaciller. Réagissant immédiatement, Yohann enchaîna avec un coup de poing au visage. La figure ensanglantée, s'efforçant désespérément de se protéger, Nikos battit en retraite tandis que Yohann pressait son avantage. Dans les gradins de marbre, Aiolia vit la mâchoire de Rigel se crisper.

Nikos réussit finalement à stopper l'offensive de son adversaire et se mit aussitôt à riposter furieusement, presque frénétiquement. Yohann évita les premiers coups, para les suivants, mais, très rapidement, il apparu qu'il était totalement dépassé. Les poings de Nikos semblaient être partout à la fois et il n'avait pas moyen de leur échapper. Ils le frappaient à la tête, à la poitrine et au ventre, et il ne parvenait à en bloquer aucun. Etourdi, incapable de se reprendre, il se laissait faire comme un mannequin d'entraînement. Il devient bientôt évident pour tous qu'il n'avait plus aucune chance de gagner. Pour tous, sauf pour une personne. Nikos, aveuglé par la rage et par la peur, continuait de le marteler de ses poings sans faiblir.

_Il faut arrêter ça, dit Aioros.

Rigel hocha la tête, l'air anxieux et s'apprêtait à se lever quand un coup plus fort que les précédents percuta Yohann, l'envoyant voler à trois pas en arrière. Au moment où il retomba, il y eut un craquement très net. Un soubresaut convulsif traversa le corps du novice, puis plus rien.

Un profond silence s'ensuivit. Puis la voix de Shura, froide et sans émotion, qui annonçait le résultat. Deux gardes vinrent emporter le cadavre du vaincu, tandis que le vainqueur, hésitant, ne sachant s'il devait se montrer heureux ou honteux, allait lentement rejoindre sa place, sans regarder autour de lui.

_L'imbécile ! fulmina Rigel. Je n'arrive pas à y croire !

_Il ne l'a pas fait exprès, tenta de l'apaiser Aiolia.

_Je sais bien qu'il ne l'a pas fait exprès ! explosa le chevalier Orion. C'est le problème ! Cet idiot a tué un adversaire considérablement moins fort que lui parce qu'il en avait peur ! Il avait peur de perdre et il n'a pas su se contrôler ! Il n'a rien appris du tout ! Mais il n'aura plus l'occasion de recommencer. Je vais le retirer de cette compétition séance tenante !

Aiolia prit une profonde inspiration, puis posa la main sur l'épaule de Rigel, l'empêchant de se lever.

_Non, dit-il simplement, tu ne dois pas faire ça.

Les yeux de Rigel s'étrécirent dangereusement. Il respectait profondément Aiolia mais, en cet instant, il était dominé par sa propre colère.

_Je ne dois pas le faire ?

_La compétition est faite ainsi, expliqua Aiolia. Chaque concurrent sait qu'il risque d'y perdre la vie et il l'accepte. Aucune règle n'empêche de tuer son adversaire. Tu as permis à Nikos de participer. A présent, laisse-le aller jusqu'au bout.

Rigel hocha la tête à regret, toute sa fureur brusquement dissipée. Il se sentait responsable de ce qui venait d'arriver. Il n'aurait pas dû laisser Nikos participer à la compétition alors qu'il n'était pas certain qu'il puisse se contrôler. Mais, de fait, Yohann, comme tous les autres, connaissait les risques quand il avait fait son choix.

Aiolia se retourna pour regarder son frère. Aioros fixait l'arène, un pli triste aux lèvres.

_Tu as raison, dit-il finalement à Aiolia sans le regarder. Mais cela paraît tellement inutile et criminel, par moment...

Aiolia comprenait très bien ce qu'il voulait dire. Sans se l'avouer, il avait espéré, au début de la compétition, que celle-ci pourrait se dérouler sans aucune victime. Souhait inutile, il s'en rendait compte à présent. Sur les mille deux cents prétendants à l'armure, il était inévitable que plusieurs trouvent la mort. Il espérait ardemment que celui qui gagnerait l'armure, qui qu'il fut, vaudrait tous ces sacrifices.


_Marine !

L'interpellée se retourna pour découvrir Shina qui montait les escaliers de l'amphithéâtre pour la rejoindre.

_Tu n'es pas avec tes novices ?

_Bah, fit Shina en s'asseyant, elles n'ont pas besoin que je sois constamment sur leur dos. Après tout ce temps, elles devraient être capables de tirer parti de ces combats par elles-mêmes. Et, si ce n'est pas le cas, il est tout à fait inutile que je perde mon temps à m'occuper de leur cas.

Marine ne répondit rien. Elle se trouvait elle-même parmi ses élèves, une trentaine en tout, lesquelles, sans pour autant cesser de regarder les combats, s'étaient écartées imperceptiblement à l'arrivée du chevalier d'Ophiucus. Shina était autrement moins agressive et tranchante que quelques années auparavant seulement, mais les novices la redoutaient malgré tout, pas tout à fait à tort.

_Qui sont les deux novices en train de se battre ? demanda Shina.

_Yiannaris, un ancien élève d'Astérion, et Meskel, qui a été entraîné par Aiolia.

C'était le premier combat de la journée, par ailleurs grise et venteuse, mais il durait depuis déjà plusieurs longues minutes. Le nombre des candidats avait été réduit à soixante-quatre au cours des dernières journées. A peine un vingtième du nombre initial. Et parmi tous ceux qui restaient, soixante-trois devraient dire adieu aux rêves qui les avaient conduits jusque là.

_Combien de disciples à toi sont encore dans la course ? demanda tout à coup Marine, détournant son attention du combat qui se poursuivait.

_Cinq, sur sept au départ, répondit Shina en souriant légèrement. Ce n'est pas un trop mauvais score et je dirais que certaines d'entre elles ont de bonnes chances pour l'armure. Et toi ?

_Il me reste trois élèves. La quatrième s'est faite éliminer par Meskel au tour précédent. Aiolia en a encore deux, pareil pour Rigel et Jabu en a six. Huit viennent d'autres centres d'entraînement. Il reste encore quelques novices qui n'ont jamais reçu l'enseignement d'un maître donné et le reste est composé des élèves des chevaliers d'argent décédés.

Cela avait été l'une des surprises de la compétition. Avant de perdre la vie dans leur combat inutile contre les chevaliers de bronze, l'une des principales responsabilités des chevaliers d'argent avait été la formation des novices. Par la suite, ceux-ci avaient dû poursuivre essentiellement par eux-mêmes leur entraînement, attendant de pouvoir prétendre à une armure. Et l'occasion s'était enfin présentée.

Le combat finit par trouver un terme. Meskel, couverts d'ecchymoses et ayant deux côtes cassées, fut contraint à l'abandon et Yiannaris brandit les poings en signe de victoire.

_Cela ne fait plus qu'un pour notre chevalier du Lion, observa Shina d'un air moqueur.

_D'après ce qu'il m'a dit, c'est celui sur lequel il compte le plus, répondit Marine, distraite, comme chaque fois qu'elle pensait à Aiolia.

Shina sourit mais n'ajouta rien.

Au cours des deux jours précédents, le niveau des combats s'était beaucoup accru par rapport au début de la compétition. La sélection jouant, seuls les meilleurs restaient en lice, et ceux-là étaient plus motivés que jamais. Ils étaient aussi d'un niveau plus égal, de sorte que les combats avaient tendance à durer plus longtemps.

Il y avait eu d'autres morts depuis le premier jour, près d'une vingtaine en tout. Dans pratiquement tous les cas, cela avait été involontaire. Shina frissonna. Cassios... L'air s'assombrit autour d'elle. Lors de la compétition pour l'armure de Pégase, Cassios avait tué chacun de ses adversaires jusqu'à ce qu'il ait à affronter Seiyar. Est-ce qu'il avait agi ainsi à cause de la façon dont elle l'avait formé ? Livré à lui-même, Cassios avait su se sacrifier par amour, avec une abnégation absolue. Alors, était-ce elle qui l'avait poussé inconsciemment à agir ainsi ? Qui l'avait influencé dans ce sens ?

Au prix d'un effort de volonté, Shina ignora les questions qui la tourmentaient, se contraignant à penser à autre chose. Vingt morts sur mille deux cents candidats, en fin de compte, c'était relativement acceptable. Très certainement préférable aux compétitions précédentes, en tout cas, il n'y avait même pas de comparaison. Certes, il y avait un nombre important de blessés graves, mais peu d'entre eux voyaient véritablement leurs jours en danger. Les guérisseurs du Sanctuaire étaient nombreux et experts dans leur art.

De fait, il n'y avait eu aucun mort depuis le début du jour précédent, sans doute parce que ceux qui n'avaient pas encore été éliminés étaient aussi les plus aptes à se contrôler. Les combats s'achevaient assez fréquemment par abandon, ce qui arrivait excessivement rarement par le passé. C'était sans doute préférable, même si Shina avait du mal à imaginer que tant de ceux qui avaient prétendu à l'armure puissent ainsi y renoncer d'eux-mêmes, sans aller au bout de leurs forces et de leurs possibilités. Le fait de savoir reconnaître sa défaite était peut-être une qualité lors d'une compétition sportive, mais ici ? Elle ne savait trop que penser.

Perdue dans ses pensées et ses souvenirs, un long moment s'écoula encore avant que Shina ne prête de nouveau attention aux combats


Le soleil commençait déjà à s'abîmer vers l'ouest, embrasant sous lui les eaux calmes de la Méditerranée. Au milieu de l'amphithéâtre, debout, rangés sur une ligne, se tenaient huit novices. Les huit qui restaient. Chacun d'entre eux avait affronté et vaincu au moins sept adversaires, et, à présent, ils étaient à la fois terriblement proches de l'armure et terriblement éloignés. Car il ne leur restait plus que trois combats à remporter pour devenir chevalier. Mais, dans ces combats, ils devraient s'affronter les uns les autres.

Aioros se leva. La quatorzième journée de la compétition touchait à son terme et les spectateurs étaient en train de quitter progressivement les gradins, affluant dans les escaliers qui menaient vers la sortie. Mais lui-même restait où il était et regardait les huit novices qui se tenaient ensemble au centre de l'arène. Ensemble et pourtant très seuls. Pour gagner l'armure, le but lointain, à présent à portée de main, qui les avait encouragés tout au long de leur entraînement, chacun d'entre eux savait qu'il lui faudrait battre tous les autres. Que ressentaient-ils ? se demanda Aioros. De l'exaltation, sans doute, à l'idée d'être si près d'accomplir enfin leurs rêves. De la crainte, très certainement, parce qu'ils savaient que tous les autres partageaient le même rêve et qu'un seul pourrait l'accomplir. Tous ceux qui se trouvaient là en ce moment étaient les meilleurs. Ils avaient une technique, une rapidité et une puissance qu'un humain ordinaire aurait qualifié de surnaturelles. Mais, aussi forts qu'ils fussent, un seul d'entre eux deviendrait chevalier. C'était injuste, en un sens, car chacun d'entre eux avait prouvé qu'il était parvenu à acquérir un niveau remarquable au cours de son entraînement. Mais c'était aussi nécessaire. Les chevaliers, même les chevaliers de bronze, avaient un niveau considérablement plus élevé encore que ce qui était apparu jusqu'ici au cours de tous les combats. Ils devaient être capable d'atteindre le mur du son. Ils devaient avoir le cosmos. Le cosmos... Si l'un d'entre eux l'avait découvert, il ne le révélerait probablement pas avant que cela ne devienne absolument nécessaire. L'élément de surprise était l'une des clés de la victoire, ainsi que chaque maître le répétait à ses disciples tout au long de leur entraînement.

Les gradins achevaient de se vider et Aioros prit à son tour la direction des escaliers. Mais une pensée l'habitait et il ne parvenait pas à s'en défaire. Les armures des chevaliers d'Athéna avaient toujours été accordées au terme d'épreuves, aussi loin que la mémoire puisse remonter, et seules celles qui étaient détenues au Sanctuaire faisaient l'objet d'une telle compétition. Il était fréquent de penser que ce type d'épreuve, purement physique, était considérablement plus simple que tous les autres. Mais, en cet instant, il commençait à se demander si ce n'était pas le contraire, si ces épreuves n'étaient pas les plus terribles possibles.


Le feu crépitait et lançait des étincelles dans l'obscurité de la nuit, faisant danser les ombres à travers la petite clairière. Assis ça et là, silencieux dans les semi-ténèbres, se tenaient les huit novices, immobiles. Il n'y avait pas d'autre bruit que le crépitement des flammes et le crissement des cigales.

Aucun d'entre eux ne savait exactement pourquoi ils avaient voulu se retrouver ainsi ce soir. Cela leur était venu naturellement, comme s'ils sentaient que c'était la chose à faire. Chacun d'entre eux ressentait le besoin d'être avec les autres, à la veille des combats qui allaient les opposer entre eux. Pour les observer, les jauger, mais aussi et surtout pour voir à quoi ils ressemblaient. Pour savoir qui étaient ceux qu'ils devraient affronter.

Personne ne bougeait. Seuls les yeux, qui allaient de l'un à l'autre, examinant, s'attardant sur le moindre détail. Chacun d'entre eux se demandait si, vraiment, celui qu'il regardait était aussi fort que lui, s'il avait déjà révélé sa force véritable ou s'il la tenait encore dissimulée. Et il ne voyait rien en lui qui puisse susciter la haine, mais il savait néanmoins qu'ils devraient s'affronter. Car au moins une chose était certaine, en cette nuit emplie de doute, et c'était qu'ils partageaient tous la même résolution. Chacun d'eux pouvait déjà s'imaginer revêtir l'armure du Paon et rejoindre les rangs des chevaliers d'Athéna.

Une bûche craqua, projetant une gerbe d'étincelles, mais aucun d'eux ne bougea ni ne parla. L'atmosphère était lourde de tension et aucun d'eux n'osait rompre le silence pesant, préférant s'absorber dans ses propres pensées. Et l'une d'elles étaient qu'il n'y avait vraiment aucune raison pour qu'ils se battent le lendemain, que, dans d'autres circonstances, ils auraient peut-être pu devenir amis. Mais ils n'avaient que cette seule soirée où ils pouvaient être en paix les uns avec les autres. A la fois ensemble et isolés.

Accroupi devant le feu, Myrkos surveillait d'un oeil distrait les brochettes qui étaient en train d'y cuire. Bien que maintenant un extérieur parfaitement calme, il ne parvenait pas totalement à contenir ses émotions en son for intérieur. Il s'était longtemps préparé pour ce moment. Son maître, Babel du Centaure, l'avait formé dans le but de remporter une armure particulière, mais il était mort avant de pouvoir lui faire passer l'épreuve correspondante et Myrkos s'était retrouvé seul au Sanctuaire, privé de soutien. Personne ne pouvant s'occuper de lui, il avait dû se prendre en charge par lui-même et il l'avait fait. Il s'était de lui-même assigné un entraînement particulièrement rigoureux, ne s'accordant aucun répit, allant jusqu'à se priver lui-même de nourriture et de sommeil quand il estimait qu'il n'avait pas accompli suffisamment de progrès un jour donné. Tout cela, il l'avait fait, confiant dans l'idée que, tôt ou tard, une nouvelle armure serait mise en jeu au Sanctuaire. C'était enfin arrivé et Myrkos en était soulagé. Il avait quinze ans depuis quelques semaines et il savait que beaucoup considérait cela comme la limite d'âge pour devenir un chevalier. Mais à présent, la chance lui souriait enfin et il était décidé à la saisir. Myrkos était grand et musclé, même pour un novice, et ses cheveux blonds et bouclés incendiaient son dos.

A quelques pas de là, assis en tailleur, le dos contre un grand chêne, se tenait un autre novice, du nom d'Enorès. C'était un adolescent de taille moyenne, assez mince, aux cheveux bruns sombre. Totalement impassible, il semblait littéralement taillé dans la pierre, et son visage fermé ne laissait rien filtrer. Enorès paraissait beaucoup plus âgé que ses quatorze ans, à la fois physiquement et psychologiquement. Il se contrôlait parfaitement, ne s'autorisant pas la moindre pensée qui puisse l'affaiblir au cours du combat du lendemain. Au lieu de cela, il se concentrait sur l'épreuve qui l'attendait, rassemblant toutes ses forces et repassant en esprit tous les conseils qu'il avait reçu de ses maîtres au fil des années. Il savait que les combats qui l'attendaient nécessiteraient qu'il ne commette aucune erreur, qu'il ne devrait présenter aucune faille à ses adversaires. Enorès venait de l'Ile d'Andromède et ses souvenirs ne remontaient pas au-delà du jour où il y était arrivé. Il avait été l'un des élèves d'Albior, puis celui de June, lorsque celle-ci avait assumé le rôle du chevalier de Céphée disparu. C'était elle qui, voyant sa résolution, avait pris la décision de l'envoyer ici pour qu'il puisse prétendre à l'armure. Enorès croyait fermement aux idéaux des chevaliers d'Athéna, tels qu'Albior les lui avait enseigné, et il était décidé à devenir l'un d'eux. Rien n'avait plus d'importance.

A droite d'Enorès, assis sur un tronc d'arbre abattu, la tête entre les mains, Merrill aurait bien voulu ressentir le même calme que son voisin. Mais il avait beau lutter avec lui-même, la sérénité qu'il s'efforçait d'atteindre lui échappait. Il avait peur, et il doutait de lui-même. Merrill était un jeune garçon qui venait d'avoir quatorze ans. Il était mince au point d'être frêle, et ses cheveux d'un roux flamboyant ne faisaient ressortir que davantage la pâleur de son visage constellé de tâches de rousseur. Il était originaire d'Irlande, et c'était là qu'il avait suivi son entraînement avec une demi-douzaine d'autres novices, sous la conduite d'Alastair, un maître formé au Sanctuaire. C'était Alastair qui l'avait envoyé ici pour remporter l'armure, sans même lui demander son avis sur la question. Et, à présent, Merrill doutait. Il savait que son maître le considérait comme le meilleur de ses élèves, le plus apte et le plus doué. Alastair ne l'aurait pas contraint à participer à cette compétition s'il n'avait pas cru en ses chances. Mais Merrill n'avait pas confiance en lui-même. Il ne se sentait pas prêt. De plus, ses deux combats préçédents n'avaient pas été sans mal et il craignait d'être largement dépassé lors de celui du lendemain. Il aurait aimé avoir le temps de s'y préparer mais il ne l'avait pas. Il n'avait que cette nuit. Et les autres concurrents paraissaient redoutables.

Juste derrière lui, debout, les bras croisés, Nerilla ressentait les mêmes craintes, mais elle les assumait pleinement, sans se laisser contrôler par elles. C'était la seule novice du sexe féminin qui restait encore dans la compétition. De petite taille, les cheveux mi-longs d'un noir profond et le visage recouvert d'un masque argenté, elle allait sur ses quinze ans et ses formes étaient déjà très féminines. Non pas que les autres novices aient eu vraiment le coeur à le remarquer. Nerilla était arrivée au Sanctuaire à l'âge de neuf ans, mais elle n'avait jamais vraiment brillé au cours des entraînements. Très tôt, elle avait manifesté de l'intérêt pour d'autres choses que l'art du combat et les idéaux des chevaliers. Nerilla aimait la littérature, l'histoire et les sciences, autant d'enseignements qui n'étaient disponibles au Sanctuaire que très parcimonieusement. Lors des combats simulés, elle finissait presque toujours dernière, couverte de bleus et de meurtrissures. Aussi, rien ne l'avait autant surpris que quand, un an auparavant, le chevalier Marine de l'Aigle avait pris en charge son entraînement. Elle n'en avait jamais su la raison exacte, même si elle soupçonnait que l'agent du Sanctuaire qui l'avait recrutée en premier lieu y était pour quelque chose. N'importe comment, au cours de cette seule année, elle avait appris à une vitesse accélérée. Marine lui avait mené la vie rude, mais elle avait aussi su éveiller son intérêt et révéler ainsi le potentiel qui sommeillait en elle. Nerilla était aussi résolue que les autres candidats à remporter l'armure, mais ce n'était pas tant pour servir le Sanctuaire qu'à cause de toutes les perspectives que cela lui ouvrirait enfin.

Cet état d'esprit n'était pas du tout celui de Mikhaïl, qui était assis sur une vieille souche non loin du feu. Mikhaïl avait suivi l'entraînement d'Aiolia pendant cinq ans et il idolâtrait littéralement le chevalier du Lion, qu'il considérait comme le type du chevalier modèle. C'était Aiolia qui, par son exemple constant, lui avait montré ce qu'étaient les idéaux de la chevalerie et, plus encore, comment il était nécessaire de les mettre en oeuvre, toujours avec humanité et chaleur. Depuis le jour où il avait vraiment compris cela, Mikhaïl avait consacré toute son énergie et toute sa volonté à son objectif: devenir un chevalier, comme son maître. Il avait cessé de considérer l'entraînement comme une corvée pour au contraire s'efforcer d'en tirer tout le profit possible, en repoussant toujours plus loin ses limites. Et, parallèlement, il s'était mis inconsciemment à imiter le comportement d'Aiolia en tout point. Mikhaïl était un adolescent robuste, rivalisant avec Myrkos en carrure. Ses cheveux châtains clairs tombaient en boucles sur ses épaules. Il aurait quinze ans le mois prochain. Bien qu'il fût de notoriété publique qu'il était le meilleur élève d'Aiolia, il n'en tirait aucune gloire, et cela n'avait jamais déteint sur son naturel ouvert et agréable. Il était aussi toujours serviable, que ce soit pour aider un autre élève qui avait des difficultés ou pour accepter une corvée dont personne ne voulait. Tout cela faisait de lui le candidat le plus populaire parmi les novices qui ne participaient pas à la compétition.

Le sixième novice, quand à lui, était en cet instant tranquillement assis sur la branche épaisse d'un chêne qui surplombait la clairière. Là, à près de deux mètres du sol, il était en train de siroter un verre de vin retsina, au goût légèrement acide. De taille moyenne, remarquablement mince, il avait des cheveux blonds vénitiens coupés courts et des yeux verts fonçés. Il se nommait Nyrll et c'était l'une des principales surprises de la compétition. En effet, seul de tous les candidats encore en lice, il n'avait jamais reçu l'enseignement direct d'aucun maître particulier. De fait, les rares fois où il s'était fait remarquer au cours des huit années qu'il avait passé au Sanctuaire, cela avait généralement été parce qu'il cherchait à éviter l'entraînement. Il avait été puni à chaque fois, mais personne ne l'avait jamais vu se départir de son entrain et de son sens de l'humour. Nyrll avait presque seize ans et il semblait encore pris entre l'enfance et l'âge adulte. Il aimait plaisanter, et ne semblait jamais rien prendre au sérieux, mais, parallèlement, il avait une tendance irritante à prétendre tout savoir. Il n'y avait pas la moindre méchanceté en lui, cependant, et il était aussi prompt à se moquer de lui-même que des autres. Nyrll ne ressentait aucune appréhension en cet instant. Au contraire, il était parfaitement détendu, comme si cela n'avait été qu'une soirée comme tant d'autres, comme si les jours qui allaient suivre n'allaient pas bouleverser sa vie d'une façon ou d'une autre. La crainte n'avait aucune prise sur son insouciance naturelle.

Au pied du même chêne, assis, le dos contre le tronc, Xérès essayait de contenir son impatience. L'atmosphère feutrée et silencieuse de cette soirée ne lui convenait guère, et il aurait préféré de beaucoup passer son temps à s'entraîner plutôt que de le perdre ainsi. L'introspection n'était pas son fort et il redoutait que cela en vienne à l'affaiblir pour le jour suivant. Xérès était de loin le plus impressionnant physiquement de tous les novices, avec sa taille qui avoisinait les deux mètres et ses cheveux noirs qui retombaient en bataille sur ses épaules bronzées. Son visage arborait pour le moment une expression plutôt renfrognée tandis qu'il songeait sérieusement à partir pour aller prendre un peu de sommeil. Xérès avait quatorze ans, et il avait été l'un des élèves du chevalier Dante de Cerbère. Tout comme Myrkos, après la mort de son maître, il avait dû s'assumer entièrement par lui-même. Il y était parvenu, mais les difficultés qu'il avait connu ce faisant avaient contribué à lui donner un caractère à la fois fermé et impatient. Il n'avait pas un mauvais fond, malgré tout, et la plupart de ceux qui le connaissaient depuis un certain temps en venaient à l'apprécier pour sa rigueur et son sens pratique. Xérès ne comptait jamais que sur ses propres forces pour accomplir quoi que ce soit, et c'était bien ce qui lui avait permis de parvenir jusqu'ici. Il était fermement résolu à remporter l'armure pour compenser tout ce qu'il avait dû subir au cours des dernières années.

Le dernier novice, qui jouait distraitement avec un morceau de bois, accroupi à même le sol, était aussi le plus jeune, puisqu'il avait tout juste douze ans. Domenikos n'était guère au Sanctuaire que depuis quatre ans, mais il avait reçu l'enseignement de Mysti du Lézard, et, plus tard, Jabu l'avait pris parmi ses élèves. Domenikos ressortait assez par rapport aux autres prétendants à l'armure en ce qu'il semblait encore être un enfant, n'ayant pas encore atteint l'adolescence. De petite taille, il avait des cheveux blonds constamment ébouriffés, des yeux d'un bleu pétillant et le sourire facile. Mais cette apparence gamine dissimulait des capacités particulièrement étendues. Domenikos avait une intelligence très vive et un esprit rapide. Il comprenait facilement et retenait ce qu'on lui disait. Ses maîtres successifs lui avaient tous deux reconnu un potentiel important, et Domenikos, qui en avait conscience, en éprouvait une certaine fierté. Mais il avait très tôt compris que le potentiel seul ne suffisait pas et que le seul moyen de devenir chevalier comme il en avait l'ambition était de tenter une épreuve. Il avait donc insisté auprès de Jabu pour que celui-ci lui donne sa permission de participer à la compétition. Domenikos avait souvent rêvé de devenir chevalier d'argent, mais l'armure du Paon était la dernière disponible au Sanctuaire et, du reste, il avait été démontré récemment que les divisions entre les rangs des chevaliers n'étaient pas absolues. Domenikos se sentait tout à fait calme en cet instant. Il avait confiance en ses propres capacités et il savait que, en cas d'échec, il aurait probablement une autre chance plus tard, étant donné son jeune âge. Ce qui ne l'empêchait pas d'être bien décidé à donner le meilleur de lui-même.

Le temps s'écoula, lentement, délibérément. Myrkos retira les brochettes du feu et les offrit aux autres. Nyrll fit passer une bouteille de vin. Il y eut quelques murmures de remerciement et les novices s'animèrent, sortant de leur semi-léthargie, et se rapprochèrent les uns des autres. Peu de paroles furent échangées, mais l'atmosphère se réchauffa de façon perceptible. Chacun se sentait confortable en présence des autres. La plupart d'entre eux ne s'étaient que rarement rencontrés avant ce jour, mais, en cet instant, ils avaient tous l'impression d'être des amis de longue date. Ils étaient seuls, réunis autour d'un feu, au milieu des ténèbres et ils se sentaient si proches les uns des autres que toute parole en devenait inutile.

La nuit se prolongeait et le silence régnait toujours. On n'entendait que les bruits de mastication et ceux des gobelets qu'on vidait. Le repas frugal finit par s'achever et les huit novices vinrent s'allonger les uns auprès des autres devant le feu. Ils se sentaient totalement en paix. Après un moment, Merril produisit une petite flûte et se mit à jouer un air doux et mélancolique, qui évoquait des collines verdoyantes et des rivières argentées sous la pluie. Et les huit adolescents qui avaient grandi trop vite sourirent et furent heureux. Leurs esprits s'allégèrent de toutes les pensées qui les habitaient, leurs muscles se détendirent, et ils oublièrent tout ce qui n'était pas cet instant. La nuit vieillit, le feu mourut, et, quand la lune blanche émergea enfin parmi les nuages, les pâles rayons qu'elle promena à travers la clairière éclairèrent tour à tour les visages des novices endormis.


Le lendemain, la compétition reprit.

Myrkos se retrouva confronté à Merrill et le battit au terme d'un combat qui dura plus d'une heure. Une multitude de coups fut échangée et chacun d'entre eux était couvert de bleus et d'ecchymoses après seulement les premières minutes. Essoufflé et couvert de sueur, le novice grec finit par triompher du jeune Irlandais, lui brisant les deux jambes pour y parvenir. Merrill, inconscient, fut emmené hors de l'arène, tandis que son vainqueur allait prendre le repos qu'il pouvait, renonçant à assister aux combats qui suivraient. En plus d'être totalement vidé de ses forces, Myrkos souffrait aussi beaucoup et il craignait que Merrill lui ait cassé une côte. Que ce fut le cas ou non, il savait qu'il aurait besoin de dormir aussi longtemps qu'il le pourrait pour avoir ne serait-ce qu'une chance de remporter le combat du lendemain.

Le combat entre Mikhaïl et Nerilla fut beaucoup plus bref. Dès les premiers instants, il fut apparent que l'élève d'Aiolia surclassait nettement son adversaire. Nerilla s'acharna envers et contre tout, refusant d'abandonner le combat quand Mikhaïl le lui proposa, mais sans succès. Pour chaque coup qu'elle parvenait à lui porter, elle en encaissait deux doublement plus violents. Finalement, un dernier coup la frappa en plein visage, brisant son masque et la projetant en arrière. Le sang gicla tandis que deux grands yeux bleus sombres regardaient leur adversaire sans comprendre, l'air étonné, puis Nerilla s'effondra, inerte. Mikhaïl sourit brièvement au milieu des acclamations qui déferlaient, éprouvant autant de compassion que de véritable joie, puis il souleva le corps inconscient de son adversaire et l'amena lui-même aux guérisseurs qui attendaient.

Le troisième combat, opposant Enorès à Nyrll, ne débuta que dans l'après-midi, pour éviter les heures suffoquantes où le soleil était à son zénith. Il dura près d'une demi-heure. Enorès opposa tout du long une défense rigoureuse aux attaques précipités de Nyrll, et parvint même à placer à plusieurs reprises des contre-attaques réussies. Mais Nyrll dominait malgré tout le combat, lui imposant son rythme et attaquant son adversaire de toutes parts. En fin de compte, il parvint à briser la garde impeccable d'Enorès en se jetant sur lui tête baissée, les bras tendus pour l'agripper. Le novice venu de l'Ile d'Andromède fut pris au dépourvu par ce mouvement quasi-suicidaire et il ne put empêcher Nyrll de refermer ses bras autour de sa taille. Ce dernier encaissa malgré tout un solide coup à l'épaule, mais, l'instant d'après, il soulevait Enorès et l'envoyait au sol d'une projection. Un coup du tranchant de la main derrière la tête tandis qu'Enorès essayait de se relever mit un terme au combat, et Nyrll alla rejoindre les gradins, souriant malgré la douleur.

Enfin, pour clore cette nouvelle journée de combat, Domenikos fut confronté à Xérès. Le jeune novice déploya toute l'étendue de ses capacités au cours de la confrontation, sans cesse en mouvement, semblant à peine effleurer le sol. Tous ses mouvements étaient parfaitement coordonnés, à la fois fluides et totalement arythmiques, et il évitait chacun des coups de son adversaire, tout en assénant les siens à chaque fois qu'il en avait l'occasion. Dix minutes s'écoulèrent de cette façon. A aucun moment Xérès ne fit mine de changer de tactique, continuant d'encaisser tous les coups sans broncher, sans pour autant que les siens touchent jamais. Agacé par l'apparente inutilité de ses efforts, Domenikos se rapprocha pour une véritable offensive... commettant ainsi l'erreur que Xérès avait attendu tout du long. Sa main jaillit et se referma autour du cou de Domenikos en une poigne d'acier avant de le soulever à bout de bras. Incapable de faire quoi que ce soit, le jeune novice se débattit un instant en vain avant de perdre finalement connaissance. Et ce fut Xérès qui regagna les gradins, la tête haute.

Les combats étaient terminés pour la journée, et les spectateurs, qui étaient venus particulièrement nombreux, se dispersèrent, regagnant leurs demeures. Les quatre novices, quand à eux, passèrent chacun leur soirée à refaire leurs forces pour la journée du lendemain qu'ils savaient devoir être plus rude encore que celle-ci. A aucun moment, ils n'eurent l'occasion, ni même l'intention, de se revoir les uns les autres.

La nuit qui suivit leur parut brève comme le temps d'une inspiration et d'une expiration. Et, le lendemain, à l'aube, les combats reprirent de nouveau. Deux combats, pour déterminer qui aurait le privilège d'aller en finale pour y gagner ou y perdre définitivement l'armure. Dans les gradins, les paris allaient bon train sur les noms des vainqueurs.

En fait, ni l'un ni l'autre combat ne dura très longtemps. Myrkos, encore affaibli par les séquelles de son combat contre Merril, ne put opposer qu'une résistance relativement symbolique à Mikhaïl. Fort de sa supériorité, l'élève d'Aiolia envoya son adversaire au sol trois fois de suite. Myrkos parvint à se relever les deux premières fois, mais, la troisième, il resta étendu et Mikhaïl fut déclaré vainqueur.

Xérès n'eut guère plus de chance face à Nyrll. Ce dernier domina l'affrontement tout du long, esquivant ou bloquant chaque attaque, n'offrant aucune opportunité. En fin de compte, il plongea sur le côté, agrippa le bras de Xérès et le tordit violemment en arrière, lui démettant l'épaule par la même occasion. Xérès, furieux, voulu se dégager, mais Nyrll l'immobilisait d'une prise ferme et, l'instant d'après, un coup violent le fit à son tour basculer dans l'inconscience.

Mikhaïl et Nyrll quittèrent l'arène aussitôt après l'annonce des résultats, partant chacun de leur côté. Il n'était pas encore tout à fait midi. Le reste de la journée se déroula dans un climat d'excitation presque palpable. L'élève d'un chevalier d'or contre un novice sans maître ! La perspective était des plus curieuses et chacun avait son pronostic sur ce qui en résulterait. De fait, ce fut pratiquement le seul sujet de conversation au Sanctuaire pendant tout l'après-midi. Seuls, les deux finalistes semblaient s'être évaporés.

La nuit tomba enfin et chacun alla rejoindre son lit, impatient de se retrouver au lendemain.

Peu avant l'aube, alors que l'est commençait déjà à pâlir, Nyrll parvint au sommet d'une petite colline aride et isolée, à la limite du Sanctuaire. Et là, il retrouva Mikhaïl en train de regarder le ciel. Les dernières étoiles étaient en train de s'estomper tour à tour, comme autant de bougies soufflées par le vent du matin.

_Tu n'as pas dormi ?

Mikhaïl se retourna. Il n'avait pas l'air surpris de voir là son futur adversaire.

_Je n'arrivais pas à trouver le sommeil.

_Moi non plus.

Un instant, ils restèrent tous deux l'un à côté de l'autre, sans se regarder ni se parler. Pour une fois, Nyrll était sérieux. Pour une fois, Mikhaïl était mélancolique.

_Dis-moi, Nyrll, qu'est-ce que tu feras, si tu gagnes l'armure ?

Nyrll ne répondit pas immédiatement, comme si la question ne lui avait jamais traversé l'esprit et qu'il avait besoin d'y réfléchir.

_Je suppose que j'en profiterais pour voir un peu du pays. Le Sanctuaire...

Il eut un geste du bras englobant tout le paysage autour de lui.

_Cela fait plus de huit ans que je n'en suis pas sorti. J'aimerais voyager. Peut-être retourner à Venise. C'est là que je suis né. Est-ce que tu y as déjà été ?

Mikhaïl secoua la tête, faisant signe que non.

_J'ai passé toute ma vie en Grèce. C'est le seul pays que je connaisse.

_Si je devenais chevalier, reprit Nyrll, j'aimerais en profiter pour voir le monde. Après tout, le Sanctuaire a aussi besoin de chevaliers pour le représenter au-delà de la Grèce.

_Si je devenais chevalier, répondit Mikhaïl, je resterais ici et j'enseignerais à de nouveaux novices. C'est l'une des tâches les plus importantes qui soient pour que le Sanctuaire se perpétue.

_Tu voudrais gagner l'armure uniquement pour entraîner de nouveaux chevaliers ?

Mikhaïl parut hésiter.

_Non. Non, j'aimerais... J'aimerais pouvoir servir directement Athéna, en me battant pour elle, en défendant ses idéaux. Mais je ne pense pas que j'en aurais un jour l'occasion, même si je gagne. Les guerres saintes sont terminées.

Un vent frais se mit à souffler, faisant bruisser les feuilles desséchées des arbres.

_J'aimerais juste devenir chevalier pour entrer dans cette histoire qu'est la légende des chevaliers sacrés, fit rêveusement Nyrll.

Un long silence s'ensuivit. A l'est, le ciel blanc commençait à s'enflammer. L'aurore arrivait, et avec elle le combat pour l'armure. Les regards des deux adolescents se croisèrent et, sans un mot, agissant comme par une entente mutuelle et silencieuse, ils se serrèrent la main. Puis, se détournant, ils entreprirent de redescendre vers l'arène qui les attendait.


_Milo ! Par ici, il reste des places !

Suivi de son apprenti, le chevalier du Scorpion entreprit de traverser la foule pour rejoindre Aiolia et Marine, assis dans les premiers rangs.

_Cela aurait été plus simple si tu étais arrivé un peu plus tôt, observa ironiquement Aiolia tandis qu'ils s'asseyaient.

_Aucune chance, grommela Damien.

_Depuis quand est-ce que tu fais des réflexions, toi ? lança Milo avec un regard en coin.

Damien se tut. Cela faisait plus de sept ans qu'il était l'élève de Milo et il ne savait toujours pas comment il devait agir vis-à-vis de lui. D'une façon ou d'une autre, le chevalier du Scorpion ne semblait jamais satisfait à son égard.

Le bruit assourdissant qui régnait dans les gradins s'accrut encore, tandis que les derniers arrivés s'asseyaient tant bien que mal, souvent en plein milieu des escaliers. Dohko venait d'apparaître. Pour l'occasion, il se tenait à côté de l'armure, qu'il remettrait au vainqueur du combat.

_Eh, Aiolia, ne sois pas si nerveux, fit Milo avec une bourrade. Tu es déjà chevalier, toi.

Aiolia ne lui répondit que d'un sourire furtif et quelque peu tendu. Il se sentait préoccupé malgré tout, en dépit même de la présence de Marine juste à côté de lui. Il ne parvenait pas à s'en empêcher.

Des acclamations jaillirent tandis que les deux candidats apparaissaient à leur tour et allaient rejoindre le centre de l'arène. La quasi-totalité des habitants du Sanctuaire se trouvait en ce moment dans les gradins de l'amphithéâtre. Absolument personne n'avait tenu à manquer ce combat et il n'y avait guère qu'une poignée d'absents, généralement ceux qui avaient été retenus par une obligation impérative ou les candidats éliminés dont l'état était trop sérieux pour qu'ils puissent se déplacer.

Le silence succéda au bruit déferlant tandis que Dohko levait de nouveau les mains au-dessus de sa tête, paumes écartées.

_Vous êtes les deux seuls candidats restants, dit-il d'une voix ferme et impérieuse. Vous avez vaincu tous ceux que vous avez affronté jusqu'ici. A présent, l'heure est venue de combattre l'un contre l'autre. Le vainqueur remportera l'armure du Paon et deviendra l'un des chevaliers d'Athéna.

Puis, il baissa les bras et recula de trois pas, allant se placer derrière l'urne sacrée.

Le combat ne démarra pas immédiatement. Nyrll et Mikhaïl se mirent en garde, mais sans passer aussitôt à l'attaque. Au lieu de cela, chacun d'entre eux examinait son adversaire. Ils en avaient déjà eu l'occasion, bien sûr, au cours des journées qui avaient précédé, mais la tension était bien plus grande en ce moment. La même pensée habitait leurs esprits, la pensée que peut-être, leur adversaire avait dissimulé tout du long sa véritable puissance, ne laissant paraître que des bribes insignifiantes. Comment savoir ?

Ce fut Mikhaïl qui attaqua le premier, se lançant brusquement dans une succession de coups de poing à la poitrine et au ventre. Nyrll réagit comme s'il s'y était attendu tout du long, esquivant la plupart des attaques, parant les autres tout en reculant constamment de façon à maintenir une certaine distance entre eux. Les deux adversaires traversèrent ainsi toute l'arène, Mikhaïl attaquant, Nyrll défendant. Puis, au moment où il semblait sur le point d'être acculé contre les gradins, Nyrll se baissa brusquement et lança un coup de pied pour faucher les jambes de Mikhaïl. Celui-ci esquiva d'un bond, mais, déjà, Nyrll s'était relevé et le faisait reculer à son tour de la même façon. Quelques instants plus tard, tous deux étaient revenus au centre de l'arène. Aucun n'était parvenu à porter ne serait-ce qu'un unique coup à l'autre.

Il y eut un instant d'immobilité, tandis qu'ils se jaugeaient l'un l'autre du regard, cherchant une faille ou une faiblesse. Puis ils bondirent tous deux en avant, engageant véritablement le combat qui ne pourrait s'achever que par la défaite de l'un d'entre eux.

_Qu'est-ce qui se passera si l'un des deux gagne l'armure sans avoir découvert son cosmos ? demanda tout à coup Damien, tandis que les coups et les parades s'enchaînaient à une vitesse toujours croissante, mais sans toucher encore.

_Ce genre de situation est rare, répondit Milo sans détourner les yeux de l'arène, et je n'y ai jamais assisté jusqu'à présent. C'est déjà arrivé par le passé, cependant. Certains nouveaux chevaliers étaient incapables de manifester une quelconque cosmo-énergie. Mais ils la découvraient au cours des mois qui suivaient. L'armure a un pouvoir de catalyseur. Elle aide aussi bien à révéler qu'à accroître la puissance intérieure.

Le bruit avait repris dans les gradins, tandis que chacun encourageait son favori de la voix. De fait, les partisans de chacun des deux combattants étaient à peu près en nombre égal. Mikhaïl était très populaire en raison de ses nombreuses qualités, mais le fait qu'un novice sans maître tel que Nyrll parvienne ainsi en finale lui attirait beaucoup de sympathie et d'admiration.

Dans l'arène, cependant, ni Mikhaïl, ni Nyrll ne se fatiguait trop à essayer de comprendre ce qu'on leur criait. Une fois de plus, ils s'étaient écartés l'un de l'autre, attendant le bon moment pour repartir à l'assaut. Mais, cette fois-ci, ils n'étaient pas indemnes. Du sang maculait le front de Mikhaïl et Nyrll arborait plusieurs ecchymoses violacées. La douleur était négligeable, mais, en même temps, elle abolissait le peu de réserve qu'ils avaient conservé jusque là. A présent, l'un et l'autre feraient tout leur possible pour abattre leur adversaire et remporter la victoire.

Ce fut Nyrll qui attaqua le premier, cette fois. Il bondit sur Mikhaïl, lui envoyant une grêle de coups volontairement désordonnés qui le contraignirent à battre en retraite. Un bref instant, Mikhaïl parut pris au dépourvu, puis il retrouva tous ses moyens et entama une contre-attaque. Bientôt, tous les deux se retrouvèrent complètement au corps à corps, tournant l'un autour de l'autre en une ronde constante, sans jamais chercher à s'éloigner. Chacun portait autant de coups que possible, tout en s'efforçant d'éviter ou de bloquer ceux de l'adversaire. Beaucoup de coups n'approchaient même pas du but, mais suffisamment parvenaient malgré tout à toucher, et les deux novices furent bientôt couverts de bleus et de sang. Cela ne les ralentit aucunement pour autant. Depuis longtemps, leurs corps avaient été entraînés à endurer la souffrance, et leur esprit à l'ignorer. Aussi continuaient-ils leurs échanges incessants d'attaques et de ripostes, sans jamais que l'un d'entre eux acquière un avantage apparent.

Les acclamations fusaient toujours des gradins, mais la plupart des chevaliers préféraient concentrer toute leur attention sur les deux combattants, cherchant à deviner lequel était le meilleur. Voyant que son maître et le chevalier du Lion étaient eux aussi totalement absorbés par ces réflexions, Damien entreprit à son tour de suivre des yeux chacun des mouvements, chacune des attaques. Puis, comme son maître le lui avait appris, il étira sa perception, s'attachant au moindre détail, évaluant, analysant tout ce qu'il voyait...

_Mikhaïl est plus lent, dit-il tout à coup à voix haute, au moment même où il parvenait à sa conclusion.

Milo le regarda, l'air surpris, mais, pour une fois, de façon presque agréable. Il sourit, même.

_C'est vrai, il n'est pas tout à fait aussi rapide, reconnut-il. Pour l'instant, ca ne se voit pas encore beaucoup, mais Nyrll va finir par le prendre de vitesse. A moins que Mikhaïl ne ralentisse volontairement ses coups, auquel cas c'est lui qui le prendra par surprise. Mais je n'ai pas l'impression que ce soit le cas.

Assis à droite de Milo, les yeux toujours rivés sur l'arène, Aiolia commençait à se sentir légèrement inquiet, étant parvenu à la même conclusion. L'écart de vitesse n'était pas suffisant pour être véritablement déterminant, mais suffisant malgré tout pour...

Brusquement, le poing de Nyrll traversa la garde de Mikhaïl et le percuta en pleine poitrine, le projetant littéralement dans les airs avant de s'écraser au sol deux mètres plus loin. Mikhaïl se releva promptement, mais Nyrll était déjà sur lui. Le souffle court après le coup qu'il avait encaissé, Mikhaïl réagit une fraction de seconde trop tard pour éviter son adversaire, qui se catapulta sur lui, utilisant son propre corps comme bélier. Mikhaïl partit en arrière, étourdi par le choc et s'efforçant de maintenir son équilibre tandis que Nyrll se dégageait d'une pirouette. Un coup de pied balayé à la tête, et Mikhaïl s'écroula une seconde fois, le visage ensanglanté.

Les acclamations se turent un instant, puis reprirent avec encore plus de force tandis que Nyrll attendait que son adversaire se redresse. Silencieux au milieu du vacarme, l'air sombre, Aiolia serrait les mâchoires.

_Ne prends pas cela tellement à coeur, dit Marine en posant une main sur son bras.

_C'est mon meilleur élève, répondit simplement Aiolia, sans se détendre. Il est capable de gagner, j'en suis sûr.

Mikhaïl s'était relevé et repartait au corps à corps. Mais, cette fois, l'avantage de Nyrll était très net. Chacun de ses mouvements était d'une rapidité et d'une précision remarquable. Il semblait presque danser autour de son adversaire affaibli, esquivant chaque attaque avec facilité et ripostant avec la vitesse de la foudre.

Mikhaïl encaissa un nouveau coup au ventre, plus violent encore que les précédents, parvint à en bloquer un autre, recula. Sa vision se brouillait et il avait un bourdonnement dans les oreilles. Tout semblait tellement loin... Même son adversaire paraissait terriblement distant tout à coup. Où était-il parti ?

Un dernier coup le projeta violemment en arrière et Mikhaïl s'effondra sur les dalles usées de l'arène. Tout était sombre autour de lui et il avait un goût de sang dans la bouche. Que faisait-il ici ? Que se passait-il ? Qu'était-il en train d'arriver ?

Mikhaïl avait l'impression de s'enfoncer dans un océan de ténèbres tièdes et ouatées. C'était tellement agréable, de pouvoir ainsi se laisser totalement aller après toutes ces années d'entraînement où il avait constamment souffert.

Les années d'entraînement... Une lumière émergea des ténèbres, ravivant sa conscience. Il n'avait pas subi toutes ces années passivement. Il les avait acceptées comme le prix à payer pour quelque chose qui n'avait pas de prix. Il avait subi tout cela pour remporter l'armure. Pour devenir un chevalier d'Athéna, et servir ses idéaux jusqu'à la fin des temps. Il ne vivait... que pour ça.

Un cri collectif de stupéfaction jaillit de la gorge de tous les spectateurs au moment même où Dohko était sur le point de déclarer le combat terminé. Nyrll, qui s'apprêtait déjà à aller recevoir l'armure, se retourna, les yeux exorbités. Mikhaïl venait de se relever.

La souffrance était intense, oui, mais la souffrance n'était rien. Aiolia le lui avait répété de nombreuses fois et il venait seulement de comprendre. Tant que ses membres pouvaient encore bouger, son esprit pouvait les contrôler. Mikhaïl avait l'impression que son corps était tel une marionnette, qu'il s'efforçait d'animer par les fils de sa seule volonté. Sa conscience englobait l'ensemble de son être. Il sentait le sang affluer dans ses vaisseaux sanguins, l'air s'engouffrer dans ses poumons. Mais il y avait autre chose, au-delà de cette matière vivante qu'était son corps. Autre chose...

Un sourd grondement, semblant émerger des profondeurs de la terre, traversa Mikhaïl. Il y avait quelque chose en lui qui voulait sortir et qu'il était impossible de contenir. La pression s'accrut et le grondement devint un rugissement. Mikhaïl se sentait saturé d'énergie, sur le point d'exploser.

Un cri traversa la foule au moment où Mikhaïl se lançait à l'attaque, animé d'une puissance surnaturelle, si vite que ses mouvements en était flous. Stupéfait, Nyrll n'eut même pas le temps de songer à réagir. L'instant d'après, il était projeté en arrière par une force irrésistible et allait s'écraser à dix mètres.

Les acclamations déferlèrent de nouveau et, cette fois, Aiolia y participa. Il avait vu l'aura cuivrée apparaître autour de son élève et, en ce moment même, il sentait la puissance du cosmos qui l'habitait.

_Il a réussi ! s'exclama-t'il en riant. Il a vraiment réussi !

Le bruit décrut rapidement tandis que Nyrll se relevait péniblement. Il était couvert de traces de coups et du sang coulait de son nez. Il venait d'encaisser plusieurs dizaines de coups en moins d'une seconde, sans parvenir à en bloquer aucun. Pourtant, il n'était pas encore prêt à abandonner, pas après avoir senti la victoire si proche.

_Nyrll, tu ferais mieux d'arrêter, lui lança Mikhaïl. Tu ne peux plus gagner et je ne veux pas te blesser plus gravement.

Nyrll grimaça un sourire malgré la douleur.

_Tu plaisantes ? On n'abandonne pas dans ce genre de combat avant d'avoir vraiment tout donné.

Contenant un gémissement de douleur, il entreprit de se mettre en garde. Son attitude était ferme et inflexible, mais, sous le sang et la poussière qui le maculait, son visage était très pâle.

_Vas-y, Mikhaïl, je t'attends.

Mikhaïl répondit d'un simple hochement de tête avant de se mettre en garde à son tour. La sensation électrique qui l'enveloppait s'intensifia, gagnant en force et en fureur. Le cosmos. Il le maîtrisait vraiment.

_Par l'éclair foudroyant !!

Aiolia ouvrit des yeux démesurés au moment où, reproduisant pratiquement sa propre technique, son élève franchit le mur du son. Il y eut une déflagration terrible tandis que les poings fusaient, traversant l'air. Nyrll eut tout juste le temps d'esquisser un bloquage avant d'être percuté de plein fouet par l'attaque. L'instant d'après, son corps décrivait une courbe gracieuse avant d'aller percuter violemment le sol de l'arène. Du sang se mit à couler, maculant les dalles, et Nyrll demeura face contre terre.

Heureux, et pourtant légèrement triste au milieu des acclamations qui lui étaient destinées, Mikhaïl se détourna tandis que deux guérisseurs s'apprêtaient à pénétrer dans l'arène. Puis il se figea. Une force sidérante venait d'entrer en éruption derrière lui.

Stupéfait, il se retourna pour découvrir que le corps étendu de Nyrll était en train de se recouvrir d'une aura chatoyante et multicolore. A travers les gradins, tous les spectateurs qui maîtrisait leur sixième sens, chevaliers ou non, découvraient la même chose, bouche bée.

Le cosmos s'amplifia encore, palpitant désormais comme s'il était vivant. Et, tout à coup, Nyrll bougea. Lentement, très lentement, il prit appui sur un bras, puis sur l'autre, et entreprit enfin de se redresser. Mikhaïl demeura immobile tout du long, voyant la victoire s'éloigner à nouveau. La pensée lui vint d'attaquer maintenant, alors que Nyrll n'était pas encore prêt. Il ne pourrait pas éviter le coup et il ne parviendrait pas à se relever une troisième fois. Il pouvait le faire. Aucune règle ne le lui interdisait. Sauf sa conscience personnelle. Il ne bougea pas jusqu'à ce que Nyrll se mit en garde.

_Tu sais, Mikhaïl, fit celui-ci, articulant avec difficulté, cela fait un certain temps que j'avais découvert mon cosmos. Plus d'un an, maintenant. Je n'arrive toujours pas à le contrôler parfaitement. En fait, je pensais que je n'en aurais pas besoin de m'en servir pendant la compétition. Mais maintenant...

Il eut un sourire, qui ressemblait plus à un rictus. Sa tunique était déchirée et le sang dégoulinait le long de son corps. Il semblait sur le point de s'effondrer d'un instant à l'autre. Pourtant, le cosmos irisé n'en paraissait que plus fort.

_Quand tu as découvert ton cosmos, je ne suis pas arrivé à invoquer le mien tout de suite et j'ai failli perdre. Mais maintenant, je suis prêt et je vais te battre. Prépare-toi, Mikhaïl !

_Je t'attends, Nyrll, répondit simplement son adversaire, qui venait de se remettre en garde.

Un instant de silence s'ensuivit, englobant tout l'amphithéâtre sous une chape de plomb. Personne ne bougeait. Tous les yeux étaient rivés sur l'arène.

Brusquement, Nyrll se jeta en avant, fonçant vers son adversaire à une vitesse stupéfiante. Mikhaïl eut un mouvement de surprise, comme s'il était pris au dépourvu. Nyrll bondit, ramenant le poing en arrière pour frapper. Et ce fut à ce moment-là seulement que Mikhaïl déclencha son attaque.

_Par l'éclair foudroyant !!

Les coups fusèrent, emplissant l'espace autour de Nyrll, et il y eut comme un grondement de tonnerre assourdissant. Puis plus rien.

_Mikhaïl !

Mikhaïl se retourna au cri de son adversaire, haletant. Il avait attendu le dernier moment pour déclencher son attaque et il y avait mis toutes ses forces. Il était certain d'avoir dépassé le mur du son. Et pourtant, Nyrll l'avait évité. Il se tenait à moins de quatre mètre de lui, immobile, son cosmos brûlant autour de lui comme une seconde peau. Mais comment...

_Par la foudre prismatique !!

Les yeux écarquillés, Mikhaïl vit Nyrll lancer son attaque. Une myriade de traînées colorées apparurent dans l'air, jaunes, rouges, vertes ou bleues, trop rapides pour les suivre toutes du regard. Comment faisait-il cela ? Au dernier moment, Mikhaïl tenta d'esquiver, mais il était déjà trop tard. Une force terrible le percuta de plein fouet, le propulsant en arrière.

Mikhaïl atterrit brutalement à l'autre bout de l'arène. Il avait l'impression que chacun des os de son corps venait d'être réduit en miettes et il ne parvenait pas à bouger. C'était fini, il ne pouvait plus se défendre.

Une ombre, s'interposant entre le soleil et lui. Une main tendue. Un visage qui lui souriait malgré les ecchymoses.

_Alors, sans rancune ? demanda Nyrll.

Mikhaïl eut envie de rire. Il venait de perdre ce qu'il avait toujours voulu obtenir. Il avait tenu sa victoire et elle lui avait échappé au dernier instant, alors même qu'il croyait déjà être chevalier.

_Sans rancune, répondit-il en saisissant la main qu'on lui offrait et en se relevant péniblement.

Couverts de plaies et appuyé l'un sur l'autre pour ne pas tomber, les deux novices allèrent rejoindre le centre de l'arène sous les acclamations assourdissantes, qui s'adressaient aussi bien au vainqueur qu'au vaincu. Le dernier combat venait de prendre fin.

_Tu n'es pas trop déçu ? demanda Milo à Aiolia au milieu du vacarme.

Le chevalier du Lion haussa les épaules, l'air serein malgré tout.

_Il a perdu, mais il a découvert son cosmos. Il a atteint le mur du son sans armure. Même s'il n'a pas remporté le combat, il a le niveau d'un chevalier. Je trouverai une autre armure qu'il puisse tenter et, si je n'y parviens pas, il obtiendra malgré tout une place d'instructeur. Les talents sont suffisamment rares pour qu'il ne faille pas les gâcher.

Le silence redescendit sur l'amphithéâtre tandis que Dohko reprenait la parole.

_Athéna a fait son choix. Nyrll fait désormais partie de ses chevaliers et il reçoit aujourd'hui l'armure du Paon en témoignage de son rang.

Les acclamations reprirent dès les derniers mots. Toujours appuyés l'un sur l'autre, Mikhaïl et Nyrll échangèrent quelques mots, puis Nyrll sourit et Mikhaïl lui donna une tape amicale dans le dos. Le cosmos de Nyrll se ranima tandis qu'il s'avançait vers le piédestal où se trouvait l'urne contenant l'armure. Il y eut un bruissement dans l'air, qui se répercuta à travers les gradins. Puis l'urne s'ouvrit dans une explosion de lumière multicolore. Il y eut un bref flamboiement tandis que des pièces de métal traversait l'air et, l'instant d'après, Nyrll était revêtu de l'armure chatoyante du Paon. Un sourire aux lèvres, le rugissement du pouvoir bourdonnant aux oreilles, le nouveau chevalier eut une pensée très brève pour les centaines d'adolescents qui avaient dû abandonner leurs espoirs pour que lui concrétise les siens. Puis la pensée disparut et il retourna au centre de l'arène qu'inondait le soleil à son zénith.

_Chevalier de la Balance, fit-il d'une voix forte, mettant un genou en terre, chevaliers d'or, d'argent et de bronze, puisque vous m'avez reconnu comme l'un des vôtres, permettez-moi de me présenter: je suis Nyrll, chevalier de bronze du Paon !

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Cette fiction est copyright Romain Baudry.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.