Les larmes du Scorpion


Il se sentait bien seul, ce soir... La grande bataille du sanctuaire à peine achevée, mais tant de souffrances... Il pensait à ces morts, ses compagnons, Chevaliers d'Or comme lui, morts inutiles, tels Camus, son ami de toujours, ou Shura, à la loyauté sans faille... Mort aussi, Aphrodite, pour ne pas avoir voulu ouvrir les yeux, mort encore Death Mask, pour avoir trop aimé tuer. Il ne l'avait jamais vraiment apprécié, mais cependant, il était son égal...
L'autre douleur qui le minait était beaucoup plus lancinante, et jamais le temps ne la ferait disparaître. Lui, Milo, Chevalier d'Or du Scorpion, qui avait juré de servir Athéna, avait osé défendre les forces du mal. Il ne suffisait pas d'avoir ramené le Chevalier du Cygne à la vie, et d'avoir compris à temps la justesse de la cause des Chevaliers de Bronze. Et encore avait-il fallu que Hyoga arrive aux portes de la Mort pour qu'il comprenne ! Que serait-il arrivé si le courage de Cygnus ne lui avait pas ouvert les yeux ?

" Pourrait-il un jour expier cette faute ? N'avait-il pas, lui aussi, mérité la mort ? Pourquoi Camus et Shura avaient-il dû donner la leur, alors que lui, Milo, restait en vie ? Mais finalement, son sort était-il plus enviable ? Ses deux amis connaissaient maintenant probablement la paix, alors qu'il devait demeurer ici, avec cette honte brûlante ! Quelle force il lui avait fallu, lorsque finalement Athéna avait traversé les Douze Maisons pour se rendre auprès du Grand Pope, pour oser lever les yeux sur elle ! C'est presque avec désespoir qu'il s'était agenouillé devant elle, et avait ardemment désiré qu'elle lui ôte la vie. Comment résister à tant de douceur, comment supporter le pardon quand on a l'impression de ne mériter que les tourments de l'enfer ?
Si seulement il avait ouvert les yeux avant qu'il ne soit trop tard... Il avait toujours trouvé étrange le comportement du Grand Pope ces dernières années, étrange la disparition d'Aioros... Mais alors, préoccupé uniquement de lui-même, il n'avait pas cherché plus loin, et s'était contenté d'obéir aveuglement à un masque... Un masque... Un masque... Oh, Camus, Shura ! J'aurais pu vous tuer de mes propres mains, c'est comme si je l'avais fait...
Pourquoi ai-je manqué à mon devoir, pourquoi ?! Pourquoi me suis-je laissé abuser ? Je n'ai été qu'un tueur à la solde d'un démon. J'ai détruit l'île d'Andromède ; combien de valeureux chevaliers ont-ils laissé leur vie dans ce carnage ? Saga... Saga, que t'est-il donc arrivé ? Tu as voulu m'envoyer tuer les Chevaliers de Bronze, et j'ai été heureux qu'Aiolia prenne ma place, non parce que je voulais servir Athéna, mais parce que je me croyais au-dessus de cela... Si j'avais accepté, aurais-je comme lui réussi à ouvrir les yeux ? Non... Ce qui a touché Aiolia a été le souvenir de son frère... Je n'aurais été à sa place qu'un prédateur, sourd aux cris de ses victimes... Qui sait si je n'aurais pas attenté à la vie de la déesse elle-même ! Oh, dieux ! "

Les larmes de Milo roulaient sur le sol de son temple, semblant ne plus pouvoir s'arrêter. Il ne releva la tête qu'en entendant un bruit de pas. Ouvrant les yeux, il lança à son visiteur un regard noyé. C'était Mû. Mû, qu'il avait volontairement fui à cause de sa honte, ce chevalier qu'il considérait comme le seul digne de son armure d'or, pour avoir su instinctivement où se trouvait la justice. Où était donc passé l'élégant Chevalier du Scorpion, dont l'assurance et l'ironie étaient légendaires ? Celui-là aurait-il supporté le regard de compassion qui se reflétait en ce moment dans les yeux de Mû ? Non... Mais il n'avait plus devant lui qu'un homme désespéré et amer. La voix du chevalier d'Or du Bélier résonna étrangement aux oreilles de celui qui le regardait désormais comme son seul espoir.

" Chevalier, Milo... Relève-toi ! Tu as survécu, ta tâche n'est pas terminée. Tu es toujours le gardien du temple du Scorpion, et en tant que Chevalier, tu dois surmonter tes souffrances... Souviens-toi des paroles de Camus pour Hyoga, qui ne pouvait s'éveiller au septième sens pour cette raison... Redeviens le Chevalier que tu étais ! "

Il comprenait la détresse de Milo, mais n'arrivait pas, n'avait pas le droit de la laisser prendre le dessus.

Milo " Mû... Je ne suis plus celui que j'étais avant... Peux-tu comprendre, toi qui n'as jamais failli ? Camus, mon ami, mon frère, est mort... Shura, le plus loyal d'entre nous, également... Quant à Hyoga, que j'ai combattu, qui peut dire que les quinze piqûres du Scorpion que je lui ai infligées n'auront pas de conséquence néfaste ? Comment pourrai-je à nouveau me considérer défenseur de celle que j'ai tra... "

" Tu as été abusé, comme tous ici ! "

Milo " Mais pas toi, pourtant ! "

" Ce n'est pas la question. Tu n'es en rien responsable de la mort de Camus ! Il a choisi sa destinée ! Plus que pour défendre une cause qu'il croyait juste, Camus s'est battu pour faire de Hyoga le Chevalier qu'il devait être ! Même toi, qui étais son plus proche ami, tu n'aurais pu le convaincre... Crois-moi, tu as fait ton devoir, personne ne peut te reprocher de t'être battu comme tu l'as fait... Tu as sauvé la vie à Hyoga et... "

Milo " J'ai sauvé la vie de Hyoga, et par là même, j'ai tué Camus ! Je ne regrette pas le geste que j'ai eu envers Cygnus, qui est peut-être la seule chose que j'aie faite de bien, mais ne va pas nier qu'il est à l'origine de... "

" Il suffit. Cesse de te lamenter. Je sais que tu souffres. Mais vois cette douleur comme une expiation de tes erreurs, et sers t'en pour le futur ! Les combats sont loin d'être terminés, et tu auras l'occasion de prouver ta fidélité à Athéna... "

Milo, soupirant " Que n'aie-je ta sagesse, Mû... Mais tu as raison, mon attitude n'est pas digne de celle d'un Chevalier d'Or. Cependant, tu ne m'ôteras pas de l'esprit ma culpabilité quant à la mort de Camus. Désormais, je servirai Athéna, pour le bonheur de l'humanité, et pour que sa mort n'ait pas été vaine... Camus, si tu m'entends, veille sur moi, mon frère ! Je donnerais ma vie pour que tu puisses revivre ! Ô Chevalier d'Or du Verseau, n'aie crainte, ton disciple Hyoga est désormais sous ma protection ! Je jure de ne plus donner la mort sans raison, et de défendre Athéna tant qu'un souffle de vie animera mon cosmos ! "

Quand Milo se retourna, Mû avait disparu. Un peu de sa superbe ancienne avait reparu, et il était reconnaissant au Chevalier du Bélier de n'avoir pas été témoin de son serment.
Maintenant, il ressentait le besoin d'aller renouveler son serment de Chevalier à Athéna. Il monta rapidement jusqu'à sa chambre, soulagé cette fois de n'avoir à traverser que des Maisons vides. Il ne fallait pas que son courage vacillât, et les regards étonnés de Shaka, d'Aiolia ou d'Aldébaran l'auraient mis mal à l'aise. Il tremblait toutefois en approchant de la porte de la chambre, mais respirant profondément, il en franchit résolument le seuil, et alla s'agenouiller aux pieds d'Athéna.
Celle-ci, surprise, le pria de se relever, et pour la première fois, il ne détourna pas le regard. Il parla le premier.

" Déesse Athéna. Je suis venu vous présenter mes hommages, et vous assurer de ma fidélité. Ma vie vous appartient "

Athéna " Chevalier Milo, du signe du Scorpion, j'attendais ta venue. Je savais que ta loyauté et ton courage ne te feraient pas défaut. Dès maintenant, tu es le dernier rempart avant ma chambre. Je sais que tu en seras digne "

Le doux et puissant comos d'Athéna l'envahissait lentement. Soudainement, il se sentait comme apaisé. De nouveau il s'inclina, et cette fois, les quelques larmes qui coulaient de ses yeux ressemblaient à de la joie, et il esquissait même un sourire. Lentement, il quitta la pièce, quand la voix d'Athéna le rappela :

" Milo... Redeviens le fier Chevalier que tu étais. Les âmes de Camus et Shura vivent désormais en toi. Je n'avais rien à te pardonner "

Il sortit, sans se retourner, n'ayant rien à ajouter. Pensif, il redescendit vers sa Maison. Arrivé au temple du Verseau, il s'arrêta quelques instants. Tout autour de lui, on voyait les traces de l'ultime combat de Camus, cette terrible lutte contre le Chevalier du Cygne, dans laquelle il avait trouvé la mort. Il réussit à contenir ses larmes, et continua sa descente. Dans le temple du Capricorne, il contempla longuement la statue d'Athéna offrant Excalibur à son guerrier le plus dévoué, puis se détourna. Il ne s'arrêta pas à la Maison du Scorpion, mais continua sa descente du sanctuaire, sous les yeux surpris des autres Chevaliers d'Or, qui ne l'avaient pas aperçu depuis plusieurs jours. Quand Aldébaran sembla vouloir lui dire quelques mots, Mû lui posa la main sur le bras, et lui fit un signe de dénégation de la tête.

" Laisse-le, Aldébaran. Il va bien. "

Milo s'arrêta enfin. Devant lui, les pierres tombales de tous ses compagnons. Pour la première fois, il alla se recueillir sur la tombe de Camus.

" Camus... Puissions-nous renaître un jour, et être à nouveau amis. Adieu "

Il s'arrêta devant chaque tombe, Shura, Aphrodite, Saga, et même Death Mask. Puis, il sortit. Se retournant une dernière fois :

" Mes amis, Camus... ces larmes que je verse sont les dernières. Je serai digne de ceux que vous avez été. Reposez en paix "

Il se dirigea vers la maison du Scorpion. Embrassant d'un regard tout le sanctuaire :

" Le sanctuaire retrouvera-t-il un jour sa splendeur passée ? Finalement, c'est peut-être mieux ainsi... Ces pierres nous rappellent mieux que des mots que la vie n'est plus comme avant "

En atteignant le temple du Bélier, il vit Mû, Aldébaran, Aiolia et Shaka réunis.

Aiolia, souriant " Milo ! "

Les trois autres firent écho. Ce simple appel amical résonnait familièrement à ses oreilles. Il était l'un des leurs. Il n'était pas seul.
Alors seulement, en croisant le regard de Shaka, Milo se rendit compte que lui aussi souffrait. Tous, en fait. Tous se demandaient pourquoi eux avaient survécu alors que leurs amis disparaissaient. Mais tous avaient surmonté leur douleur. Leurs simples regards de sollicitude envers lui le touchèrent plus profondément encore que les paroles de Mû ne l'avaient fait. Il réalisait maintenant combien il avait été égoïste, muré dans son chagrin, sans prendre en compte celui des autres. Il voulut parler, mais aucun son ne sortit de sa bouche.
Ce fut Aiolia qui détendit l'atmosphère.

" C'est bien la première fois que je vois l'élégant Milo à court d'arguments ! "

Une réaction qu'aurait eue Camus. Pour la première fois depuis des jours, il sourit. Un vrai sourire, et le regard approbateur de Mû le réconforta.

" Dis-moi, Mû, on ne devait pas réparer les armures des Chevaliers de Bronze ? Il faudrait qu'on se dépêche ! "

Le clin d'œil que Shaka adressa à Aldébaran lui échappa, et il ne put réprimer un cri de surprise quand il se sentit soulevé à bout de bras par le colosse :

" Dis donc toi, tu ne vas pas recommencer à vouloir tout régenter ! Regardez-moi ça, vous le voyez, les yeux fermés, avec son petit sourire malicieux ? " Il riait.

Retour au sommaire

www.saintseiya.com
Cette fiction est copyright Virginie Garroux.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.