Chapitre 15 : Veillées d'armes


World's meditations

Asgard…


Bud d'Alcor, Guerrier Divin de Zêta, revêtu de son armure blanche, regardait d'un promontoire situé près du palais royal d'Asgard la mer gelée…sa cape blanche claque au vent marin glacé, et il semble surveiller on ne sait quoi. Mais la mer ne bronche pas et continue son mouvement inlassable, aucun événement bizarre ne s'y passe…pourtant, par une lettre qu'il a reçue de Sion, il a été averti d'un danger menaçant les deux sanctuaires terrestres et marins, et, la princesse Hilda ayant été prévenue elle aussi, elle avait chargé Bud de monter la garde…
Il reste en effet le dernier Guerrier Divin survivant, même si son armure ne porte pas le saphir d'Odin qui les caractérise…il refuse catégoriquement de porter l'armure de Mizar, qui pourtant lui revient de droit, elle reste tachée du sang de son frère, mort dans cette guerre inutile, au moment où enfin lui-même prenait conscience de cette merveilleuse chose qu'est l'amour fraternel…Jamais Hilda ne lui proposerait une chose pareille, elle a trop conscience de cela et elle se sent encore responsable de ce qui est arrivé en ce jour funeste où tant de valeureux guerriers ont perdu la vie pour une cause qu'ils croyaient juste…
Malgré ses pensées tristes, son esprit reste aux aguets…Sion n'a pas dit de quelle nature serait le danger, mais pas négligeable puisqu'il concernait les deux sanctuaires, il n'aurait pas pris la peine de prévenir le royaume d'Asgard si la situation ne le justifiait pas. En effet, Bud connaît Sion: bien qu'il n'ait encore que quatorze ans le jeune prince a fortement conscience de ses responsabilités et les assume, il n'est pas du genre à mésestimer une menace…
Alors Bud attend, assumant lui aussi son devoir : protéger sa patrie…


Sanctuaire sous-marin…

Il est tard dans la nuit, le silence règne, mais Sion ne dort pas…la proximité d'une nouvelle guerre l'empêche de trouver le sommeil, surtout qu'il ne sait pas quand et où Perséphone va frapper…il sait aussi qu'il devrait dormir tant qu'il le peut encore pour réparer ses forces, mais ses soucis l'emportent sur sa logique.
Alors, comme il le fait parfois quand le sommeil le fuit, il enfile une tunique et sort se promener dans le sanctuaire, surtout dans ce jardin près du Pilier central qu'il apprécie…
Il ne fait jamais vraiment nuit dans le sanctuaire sous-marin, la lumière venant de la mer éclaire par taches le sol, ce qui fait une sorte de crépuscule…Sion s'assied sur les marches du palais, et observe chaque détail du jardin, s'imprégnant du calme ambiant.
Le frottement d'un tissu sur le sol et une aura très connue le font se retourner, et arrive son père, vêtu de sa robe blanche…il sourit à son fils cadet, et dit :

" Que fais-tu debout, Sion ? tu devrais te reposer…
-Je ne peux pas…
-Je ne te blâme pas, je suis comme toi, sauf que je connais Perséphone et que je sais de quoi elle est capable… "

Cela surprend Sion : habituellement, son père est très sûr de lui mais, cette nuit-là, il le sent un peu inquiet, il ne l'a jamais senti ainsi…
Mais Poseidon sourit à son fils et dit :

" Ce sera sans doute difficile, mais, unis, nous y arriverons…aucun de nous ne doit douter… "

Sion hésite à expliquer à son père ce qui le tourmente vraiment : dans cette guerre il y aura encore des innocents qui mourront, pour que les dieux puissent régler leurs comptes…ce cycle infernal n'en finirait-il donc jamais ? Il avait toujours pensé que son rôle de demi-dieu était de comprendre et protéger les humains, et c'est là qu'il en comprenait toute la difficulté…le Vieux Maître lui avait dit que certains devaient mourir pour que d'autres vivent, mais cette injustice flagrante le révoltait plutôt qu'autre chose. Son père, dieu vivant en partie dans le corps d'un humain, saurait-il comprendre ça ?
Poseidon lève les yeux sur son fils et demande :

" Mais je ne pense pas que ce soit la bataille elle-même qui t'empêche de dormir… "

Son père le connaît mieux qu'il ne pense…Sion passe la main dans ses cheveux bleu clair en désordre et répond à son père :

" Je ne suis pas un dieu, comme Triton, je suis mortel…et la guerre qui va venir concerne surtout les dieux…même si nous nous battons pour préserver la terre et la mer, les mortels en pâtiront, et des innocents mourront… "

Poseidon avait bien changé depuis la lointaine époque de la dernière guerre contre Athena, au contact de Julian Solo il avait appris que finalement les mortels n'étaient pas si insignifiants qu'il le pensait…d'avoir des enfants qui étaient à demi-humains avait aussi fait beaucoup pour cette compréhension. Cette fois, il allait participer à la défense de la Terre, c'était vraiment le monde à l'envers mais cela ne le gênait pas…pendant ces années, il avait eu le temps de mûrir, il n'était plus le gamin capricieux de seize ans qui avait failli submerger la planète, possédé par un dieu revendicatif qui se moquait totalement de la race humaine. Maintenant, Poseidon restait dans ses limites, veillant juste à ce que les humains évitent de piller les réserves de son royaume et de le polluer trop souvent et, les trois quarts du temps, n'intervenait que peu, Julian Solo assumant son travail d'armateur doublé de protecteur des mers, finançant des recherches océanographiques et de dépollution…pourtant, les deux étaient liés, Julian Solo étant maintenant totalement Poseidon en pleine connaissance de cause.
Il comprenait les craintes de son fils cadet, après tout, Sion n'avait que quatorze ans encore, et les responsabilités qui pesaient sur lui étaient bien lourdes pour un adolescent de cet âge. Pourtant, Sion les assumait avec une remarquable maturité vu son jeune âge…même si son père était souvent inquiet en voyant son air grave, trop grave pour un adolescent…


Sanctuaire d'Athena…

Contrairement à son frère jumeau, Athena à réussi à s'endormir…il faut dire aussi que sa mère l'y a un peu obligée, en glissant un peu d'extrait de pavot dans sa tisane du soir.
Certaine du sommeil de sa fille, Mû regagne son poste, où elle veillera toute la nuit, selon les ordres de la déesse. Son esprit est calme et discipliné, comme à l'habitude, mais elle ne peut tout de même pas s'empêcher de s'inquiéter pour ses enfants…elle sent l'agitation intérieure de Sion, c'est après tout lui, des deux enfants, qui portera la plus lourde charge sur ses épaules : généralissime des armées de l'Empire des Sept Mers.
Le Sanctuaire est en état d'alerte, mais pourtant tout le monde n'est pas arrivé, Shaka n'est pas là encore…Mû pense qu'il sait quelque chose de plus qu'eux, comme toujours, aussi ne s'en formalise-t-elle pas…Shaka possède le Huitième Sens, et, contrairement à eux, le contrôle, ce qui lui offre un sérieux avantage.
Sans cesser d'être vigilante, elle lève les yeux vers le ciel étoilé de Grèce, et pense que ses enfants devront combattre, une fois de plus…mais elle sait qu'ils ont les capacités pour s'en sortir seuls à présent…


Bénarès, Inde

Shaka, lui, ne dort pas non plus, il veille, accompagné de son disciple qui a bien du mal à tenir encore éveillé et somnole…son intuition lui dit qu'il va se passer quelque chose cette nuit, aussi a-t-il ajourné son départ pour le Sanctuaire. Il a demandé à son jeune disciple de veiller avec lui, mais, à dix ans, il n'a pu s'empêcher de s'endormir…mais son maître ne l'a pas réveillé, il pense au contraire qu'il doit prendre des forces pour le combat qui s'annonce, car il y aura combat, il en est convaincu…c'est pourquoi il a préféré rester ici lorsque la déesse a battu le rappel de ses troupes, mû par une intuition qui lui disait que Perséphone s'en prendrait directement à lui…la déesse avait appris à faire confiance à celui qui était connu comme 'l'Homme le plus proche de Dieu', et l'avait donc dispensé de venir…
Que Perséphone s'en prenne à lui, il le comprenait aisément, il avait largement participé à la chute de son époux, mais il ne la laisserait pas toucher à son disciple… cela ne le gênait pas de donner sa vie, mais son jeune homonyme devait vivre pour lui succéder…
Mais, dans la nuit chaude et étoilée, rien ne trouble le silence…


L'ultimatum de Perséphone

La déesse Athena, assise dans sa salle, ne peut trouver le sommeil…elle sent que quelque chose va arriver cette nuit, mais elle ne sait pas exactement quoi…seulement vêtue d'un fin péplos blanc, elle attend…
Au milieu de la nuit, une présence maléfique attire l'attention de tous les chevaliers qui veillent inlassablement…une voix résonne au-dessus du Sanctuaire, et apparaît l'image d'une très belle femme aux cheveux noirs, qui porte un diadème d'ambre…ses yeux sombres haineux fixent l'infini, et sa voix dit :

" Athena, je te lance un défi…je t'attendrai dans deux jours sur la plaine qui jouxte la mer, derrière la ville, et je te vaincrai…Je vengerai ce que tu as fait à mon mari, mais peut-être seras-tu assez couarde pour ne pas venir combattre… "

Et son rire maléfique résonne alors que son image disparaît…
La même image vient de réveiller Sion en sursaut, et provoqué un branle-bas de combat au sanctuaire sous-marin…Poseidon, lui, ne dormait pas, et sait à cette seconde même que son esprit vient de passer en mode stratège. A pas lents, il gagne son bureau et croise son fils aîné…Triton marche sans presque regarder devant lui, l'air soucieux…
Poseidon l'interpelle et dit :

" Eh bien, ce n'est quand même pas Perséphone qui t'a fait peur, tout de même ! "

Mais Triton n'a pas le cœur à rire…il regarde son père et dit :

" Il y a des gens qui vivent dans cette prairie, père…nous ne pouvons pas les laisser tuer de sang froid pour nos petites querelles entre dieux… "

Même avant que son fils ne lui en parle, il avait déjà prévu de faire évacuer toute la zone…pour cela, rien de plus simple: faire jouer ses relations d'armateur connu.
Sion est lui aussi sorti de sa chambre, réveillé de son sommeil fragile…il porte seulement un pantalon de nuit, et voit son père et son frère aîné là, dans le jardin. Poseidon sent son fils cadet arriver et lui dit :

" Sion, tu ne devrais pas sortir comme ça, tu vas être malade… "

Mais Sion n'a pas froid, il règne toujours une douce température dans le sanctuaire sous-marin, même la nuit…il répond :

" Je ne suis pas malade ni fragile, père…mais je m'inquiète pour toutes ces personnes qui vivent dans la plaine où aura lieu le combat… "

Poseidon sourit : décidément ses deux fils avaient les mêmes idées au même moment…il regarde Sion et répond :

" Je vais m'en charger, la zone sera évacuée avant le début du combat… "

Triton regarde son frère cadet avec un petit sourire et dit :

" J'ai eu le même souci que toi, petit frère… "

Sion, bien qu'un peu effrayé par le combat qui s'approche, sourit à son grand frère…Poseidon regarde ses deux fils, et leur dit :

" Profitons encore un peu de cette paix et allons boire une tasse de thé, les garçons… "


Bénarès, la même nuit…

Tout dort dans le temple, même Shaka, qui veille depuis plusieurs jours et a éprouvé le besoin de se reposer. Son disciple dort auprès de lui, enfoui sous la couverture de laine…soudain, l'enfant et son maître s'éveillent en même temps, tirés de leur sommeil par une présence maléfique dans la pièce.
Derrière eux, un rire cynique résonne, et la présence sort de l'ombre... si l'enfant ne le reconnaît pas, Shaka, lui, reconnaît immédiatement l'armure : c'est un surplis. Pire, vu son aura, cet homme est l'un des trois Juges des Enfers…il l'a déjà sentie, même s'il ne l'a jamais rencontré…c'est encore pis que ce qu'il pensait.
L'homme jauge ses deux adversaires, et les ailes de chauve-souris qui ornent l'arrière de son Surplis le font devenir encore plus menaçant alors qu'il s'avance lentement vers eux…sa cape noire volète derrière lui, tel le prolongement menaçant de ses ailes…
Il a un casque cornu, et l'on voit peu son visage, mais l'éclat de ses yeux verts transparaît au milieu de son armure sombre.
L'homme jauge ses adversaires d'un air dédaigneux, puis dit :

" C'est toi Shaka, l'homme le plus proche de Dieu ? Mm, je m'attendais à mieux … "

Shaka pousse son disciple derrière lui, et dit

" Ainsi Perséphone me craint particulièrement, qu'elle envoie ses chiens fidèles me pister ? Quel honneur ! "

Il a compris : l'homme qui se tient en face de lui n'est autre que la réincarnation de l'un des trois Juges des Enfers, qui tous trois étaient morts lors de la dernière bataille contre Hadès. Eh bien, ce qui s'annonçait allait être dévastateur…saurait-il encore après tant d'années faire appel à l'Arayashiki, le Huitième Sens ?Non, il ne devait pas laisser les doutes l'envahir, là il ne s'agissait pas uniquement de lui, mais de son disciple mais aussi de toute l'Humanité, en un sens…
Derrière lui, son disciple s'était mis en garde, comme lui, mais Shaka, lui envoyant un message télépathique, lui enjoignit de se reculer car ce n'était pas un adversaire pour lui…
Mais l'enfant refusa : il voulait aider son maître…
Shaka se tourna vers son élève et dit :

" Recule-toi et ne discute pas ! cet homme est bien trop fort pour toi… "

L'enfant obtempéra, et les deux hommes restèrent face à face, à se jauger…le spectre - car Shaka avait fort bien reconnu son appartenance - dit avec mépris :

" Moi, Rhadamanthe du Wyvern de l'Etoile Forte et Violente, arriverai sans peine à te battre…tu as vieilli, tu ne combats plus, c'est cela qui causera ta perte… "

Mais Shaka n'a pas tant vieilli, seulement quinze ans ont passé, il a trente-cinq ans et est loin d'être un vieillard… ses pouvoirs n'ont fait qu'augmenter pendant toutes ces années…
Rhadamanthe…le nom de cet homme lui dit quelque chose, il l'a déjà entendu prononcer, il y a quinze ans, lors de la dernière guerre d'Hadès…
Il se met en garde, ferme les yeux, concentre sa puissance comme il le fait d'habitude…mais Rhadamanthe dit :

" Je sais que tu fermes les yeux pour augmenter ta force, et que ta plus puissante attaque supprime les sens…je sais même comment y échapper… "

Calmement, Shaka répond :

" Je ne te crains nullement, Spectre, loin de là… "

Rhadamanthe lève quelque chose, et le lance…Shaka l'esquive, mais s'aperçoit à quelques gouttes qui lui tombent dessus qu'il s'agit d'une substance visqueuse sombre.
Soudain, il sent son cosmos s'affaiblir…
Rhadamanthe ricane :

" Tu fais déjà moins le fier, n'est-ce pas ? "

Shaka respire profondément, selon les techniques de yoga qu'il maîtrise à la perfection, mais rien ne se passe…que s'est-il donc passé ? qu'y avait-il donc dans cette chose ?
Le Spectre continue :

" Tu as reçu du sang de notre déesse, qui a réduit tes pouvoirs de moitié…tu ne t'attendais pas à cela, hein ? "

D'un geste rageur, il nettoie les quelques gouttes qui maculent son bras, mais le mal est fait…pour la première fois, il doute : comment va-t-il s'en tirer ?
Il se place de telle façon à protéger toute la zone, mais sent encore son pouvoir s'affaiblir…son élève est toujours derrière lui, il n'a pas fui se mettre à l'abri comme il le lui avait demandé…ah, s'il survivait à ça, il devrait lui faire la leçon pour lui apprendre à obéir !
Pourtant, il sentait le cosmos de l'enfant envahir l'espace derrière lui…depuis quand avait-il cette puissance ? Il lui envoya un message télépathique :

" Shaka ! ça suffit maintenant, je t'ai dit de te retirer… "

Mais l'enfant ne bouge pas…Shaka sait qu'il ne pourra pas maintenir indéfiniment son périmètre de protection avec son cosmos en chute libre, il va falloir que l'enfant, s'il choisit de rester, s'en sorte tout seul…
Mais comment pourrait-il s'en sortir seul alors qu'il n'a pas encore onze ans et qu'il est loin de maîtriser les techniques de son maître ?
Rhadamanthe continue à ricaner méchamment :

" Tu dois te sentir bien faible maintenant, Shaka…il est temps pour moi de passer à l'action ! "

Il lève les bras et s'écrie :

" Greatest Caution ! "

La pièce vole instantanément en éclats, et le chevalier d'or ainsi que son disciple sont propulsés très loin…Shaka peste contre lui-même : comment n'a-t-il pu éviter le sang de Perséphone ? A pleine puissance, il aurait pu contenir tout cela…voilà qu'il vole à la première attaque, comme un apprenti…en parlant d'apprenti, il s'aperçoit avec stupéfaction que Shaka le petit a peu de dégâts, ayant pu se protéger d'instinct…mais il n'a pas le temps d'être fier, Rhadamanthe baisse ses bras et ricane :

" Tu fais moins le fier, n'est-ce pas ? "

Shaka se relève, faisant fi des multiples blessures qu'il a sur tout le corps…jamais il n'a été dans un état pareil, et il doit agir avant d'être totalement privé de cosmos et aussi vulnérable qu'un canard sur l'eau. Il se concentre, ferme les yeux, rapproche ses mains dans la position caractéristique du Bouddha et dit :

" Par le Trésor du Ciel ! "

Cette attaque, la plus puissante dont il dispose, est à la fois offensive et défensive…il continue :

" Ablation du premier sens ! "

Mais Rhadamanthe reste solidement planté sur ses jambes, les yeux verts brillants et ne présentant aucun signe de surdité ou de cécité…
Shaka se sent épuisé…ce n'est pas pour lui une sensation habituelle, aussi le surprend-t-elle. Cette fois, pour l'une des premières fois de sa vie, il est en position d'infériorité sans l'avoir planifié soigneusement, comme à son habitude…
Il se sent de plus en plus faible, et son cosmos s'éteint peu à peu…c'était bien le style de Perséphone, d'user de traîtrise pour arriver à ses fins, sûre de ne pas pouvoir le battre sans ça…pourtant, il peut sentir l'énorme aura de Rhadamanthe, il ne ment absolument pas sur ses capacités et son état de Juge-Titan des Enfers…et il n'a même plus assez de puissance pour faire son fameux 'châtiment du ciel'(Tenbu Hôrin)…
Le corps couvert de plaies, il tient néanmoins debout…il parvient à se mettre dans l'état de concentration adéquat, qui lui est habituel, et en oublie l'enfant caché derrière un pan de mur…
L'espace familier du temple s'efface alors, pour être remplacé par une énorme statue de Bouddha qui tend sa main…au centre, Rhadamanthe. Shaka dit :

" Tu m'as peut-être privé de certains de mes pouvoirs, mais pas de tous…à mes yeux tu n'es qu'un singe dans la main du Bouddha… "

Shaka sait qu'une partie de ses pouvoirs d'illusion ne dépendent pas de son cosmos…en fait, celui-ci ne sert qu'à les amplifier…mais cela suffira-t-il à distraire Rhadamanthe suffisamment longtemps pour que l'enfant aille se mettre à l'abri ?
Mais Rhadamanthe est en pleine possession de ses moyens, lui, et dissipe très vite l'illusion…Sans dire un mot de plus, il lève les bras et s'écrie :

" Greatest Caution ! "

Il semble à Shaka que tout son corps se morcelle, écrasé par toute la puissance de son adversaire, et cette fois il tombe à terre…son corps rebondit lourdement sur les dalles en pierre de lave puis ne bouge plus alors qu'une large flaque de sang s'étale autour de lui…
Rhadamanthe ricane :

" Eh bien, si c'est lui l'homme le plus proche de Dieu, nous gagnerons sans problèmes… "

Il se retourne mais entend soudain qu'on l'interpelle…

" Eh, toi ! "

Il se retourne et s'aperçoit qu'il a devant lui le disciple qu'il a entrevu auparavant, un enfant d'une dizaine d'années…ses yeux bleus lui lancent un défi…Rhadamanthe alors rit franchement :

" Allons, petit, je ne m'attaque pas aux enfants…tu ferais mieux d'aller soigner ton maître… "

L'enfant rétorque :

" Déjà ne m'appelle pas 'petit', je m'appelle Shaka, et mon maître ne me pardonnerait pas de te laisser ainsi partir sans rien faire ! "

Petit Shaka a l'air décidé, mais il se rend compte qu'il a agi un peu vite…ne ferait-il pas mieux de faire ce que le spectre lui a dit, soigner son maître ? il n'est pas encore chevalier d'or, lui, et ne le sera pas avant de longues années…et il a en face de lui un Juge des Enfers !
Rhadamanthe répond :

" Ah, on t'a donné le même prénom que celui que tu appelles ton maître et que j'ai vaincu si facilement…
-Et que vous avez vaincu par traîtrise… "

Le Juge frémit sous l'insulte et rétorque au garçon :

" Tu commences à m'agacer…prends ça ! "

Et d'un de ses doigts sort un rayon vert…Shaka ferme les yeux, s'entoure de son mur protecteur, la première chose apprise par son maître alors qu'il n'était encore que son parrain, et le dévie facilement. Il croise les bras et rétorque à Rhadamanthe :

" C'est tout ? "

Le Juge commence à s'énerver devant ce gamin prétentieux…son aura l'entoure, faisant passer une lueur de panique dans les yeux de l'enfant…cette fois l'affaire se corse sérieusement, s'il le frappe de plein fouet il perdra la vie…
Petit Shaka se rappelle alors des leçons de son maître :

" Aucun adversaire ne peut te vaincre si tu crois en toi et en la justesse de ta cause… "

Il se reprend et jette alors sur Rhadamanthe un regard décidé…

" Tu ne peux me vaincre, Spectre, j'ai vu ton attaque… "

Tôt dans son enfance, son maître lui avait appris qu'aucun chevalier ne peut se laisser surprendre deux fois par la même attaque, et, comme il l'a bien observé tout à l'heure, ça devrait suffire…il prie Bouddha de toutes ses forces, tente d'aller chercher au tréfonds de lui la force dont il aura besoin…
Rhadamanthe lève ses bras, se préparant à attaquer…Shaka, lui, sait ce qu'il va faire, quelque chose qu'il n'a pas encore le droit de faire…il ferme les yeux, comme le fait son maître, pour concentrer son cosmos, dont la pluie dorée le nimbe soudain, plus fortement qu'elle n'a jamais fait…il prend la position caractéristique qu'il a vu prendre à son maître, debout, une jambe en avant et les deux mains rapprochées…
La sérénité l'envahit, et Rhadamanthe voit avec une certaine stupéfaction se découper dans l'aura de l'enfant l'insigne de la Vierge.
Petit Shaka ouvre alors les yeux, avant de s'écrier :
" Par le Châtiment du Ciel ! "

Un rayon sort alors de l'espace entre les deux mains de l'enfant, et percute de plein fouet Rhadamanthe qui parvient à en éviter une partie mais est assez gravement blessé, non mortellement comme il l'eût été par la même attaque faite par le maître…
L'enfant s'écroule alors à genoux, épuisé, et se passe la main sur le front, remettant lentement pied dans la réalité…il se sent vidé…
Mais Rhadamanthe n'y fait plus attention…il se tourne vers lui et dit :

" Tu m'as surpris, petit, nous nous retrouverons, et cette fois tu mourras ! "

Perséphone, furieuse, vient de le rappeler aux Enfers, il ne peut rester mais reste surpris par la force déployée par cet enfant…soudainement, il pense qu'il peut être un adversaire à sa mesure…
Pendant que l'enfant, mort de fatigue, tente de reprendre quelques forces, Shaka, lui, essaie de regrouper ses forces pour se relever. Il n'était plus inconscient pendant les dernières minutes du combat, et ce que vient de faire son élève le laisse pantois…il se sent terriblement fier, malgré son état physique déplorable !
Respirant un grand coup, l'enfant a réussi à se mettre debout, et a marché tant bien que mal vers son maître…il tombe à genoux près de lui et dit :

" Maître, oh maître… ", mais se tait, incapable de prononcer autre chose…Les larmes coulent sur ses joues, éliminant la tension de ce qu'il vient de vivre…

Echouant dans ses tentatives, le maître tourne la tête vers l'enfant et dit :

" Je suis fier de toi… "

Les pleurs de l'enfant redoublent, cette fois de fierté et d'émotion…


Le Sanctuaire…

La déesse a senti le combat, et son issue…assise sur son lit, elle ressent la douleur de Shaka et l'épuisement de son disciple qui a enfin osé se transcender lui-même dans des conditions extrêmes. Le combat qui s'annonce sera loin d'être facile, sans Shaka ce le sera encore plus…


Bénarès…

Les moines ont ramené Shaka à l'intérieur du temple, l'ont allongé sur son lit, ont soigné et bandé ses blessures. Son disciple, malgré son état d'épuisement avancé, a insisté pour rester auprès du lit. Mais il s'est vite endormi, et l'un des moines l'a soulevé doucement et enveloppé dans une couverture.
Un peu plus tard dans la nuit, Shaka s'est réveillé…il a de formidables capacités de récupération, mais il ne sera pas debout avant quelques heures encore, et il le sait…alors pour l'instant il laisse son esprit vagabonder pour le reposer, et sourit en pensant à son disciple. Il avait toujours su qu'il était doué, depuis qu'il l'avait vu pour la première fois, nouveau-né dans son berceau…il avait fallu des conditions extrêmes mais enfin l'enfant avait dévoilé son vrai potentiel…rassuré, il plongea de nouveau dans le sommeil, désireux de reconstituer ses forces au plus vite pour prendre part au combat qui aurait lieu dans deux jours…


Le matin suivant, tôt, Sanctuaire sous-marin…

Sion vient de se lever, il a gagné la salle des Ecailles, et il regarde fixement l'armure qui, bientôt, le revêtira pour aller au combat. Il frissonne doucement alors que sa cosmoénergie fusionne avec celle de l'Ecaille du Dragon des Mers. Il n'a jamais aimé combattre, et l'excitation des premières batailles livrées est depuis longtemps retombée. Sion est un calme de nature, qui n'aime pas être mis en tête, mais là il n'a pas le choix…
Il sourit doucement : tout à l'heure sa sœur va venir, et cela seul suffit à le mettre de bonne humeur. En effet, leur père souhaite la voir, sans doute pour lui dire la place qu'elle aura dans la bataille…En effet, bien qu'elle détestât son titre et son rang, Athena restait princesse par le sang, et elle devait être aux côtés de son père lors de l'affrontement.
Sion passa la main dans ses cheveux pour se réveiller, puis se rendit dans sa chambre pour y prendre le petit déjeuner qui l'y attendait…il le finissait quand sa sœur arriva. Il put constater qu'elle avait fait un effort vestimentaire, elle avait revêtu une tunique beige propre et un cordon de soie léger ceignait sa taille. La seule marque de son ascendance était son médaillon elle n'avait pas mis son écharpe brodée au trident…
Sion n'avait plus l'habitude de la voir propre, aussi sourit-il et dit-il :

" Eh bien, tu as fait des frais, ce matin ! "

Piquée au vif, Athena répondit :

" Tu peux parler toi, tu n'es pas toujours sanglé dans de vieilles tuniques, toujours couvert de poussière, que je sache ! "

Sion adorait énerver sa sœur, il faut dire que c'était tellement facile, avec son caractère impétueux…mais il résolut de couper court et dit :

" Je crois que notre père t'attend, non ? "

Mais Athena croisa les bras péremptoirement et dit avec un petit sourire ironique :

" Il ne m'attend que dans une demi-heure, petit frère, pour ta gouverne… "

Sion n'avait que huit minutes de plus qu'elle à l'Etat-civil, mais, pour se venger de ses piques, elle faisait exprès de l'appeler ainsi. Il remarqua qu'elle avait l'air reposé, sa mère avait dû user de sa tisane miracle pour l'aider à dormir, ce qui n'était pas un mal…lui-même avait mal dormi, par périodes entrecoupées de réveils peuplés d'images diverses…
Il indiqua une chaise devant lui :

" Tu prendras bien une tasse de thé, à moins que tu n'aie pas mangé et que tu ne veuilles partager mon petit déjeuner… "

Athena s'assit en répondant :

" J'ai pris mon petit déjeuner, maman ne m'aurait pas laissé sortir sinon, mais je prendrais bien une tasse de thé avant la réunion… "

Elle se versa du thé dans une des tasses, l'agrémenta d'un nuage de lait et le but sans rien dire…Sion sentait le stress et la nervosité de sa sœur, elle aussi serait probablement en première ligne.
Athena posa sa tasse, puis se leva et dit :

" Bien, j'y vais, à tout à l'heure…à ton bureau ?
-Oui… "

Athena suivit la colonnade pour arriver au bureau de son père, qui jouxtait sa chambre à coucher…quand elle y arriva, selon la tradition, un héraut ouvrit la lourde porte et annonça :

" Son Altesse Impériale la princesse Athena… "

Athena détestait cette appellation, mais elle ne broncha pas et entra dans la pièce…un désordre indescriptible y régnait, des papiers froissés traînaient par terre, signe du travail de son père. Au fond, à côté d'un bureau enfoui sous une liasse de papiers, son père faisait les cent pas tout en lisant quelque chose qu'il tenait dans sa main. Au centre de la pièce, une grande table sur laquelle était étalée la carte de l'Attique…
Entendant le héraut annoncer sa fille aînée, Poseidon posa son papier et vint à elle pour l'embrasser.

" Je ne te retiendrai pas très longtemps, ma fille, je suppose que tu as hâte de rejoindre ton entraînement…
-Milo m'a dit qu'il m'attendrait…J'ai donc tout mon temps… "

Poseidon sourit :

" Très bien. Viens, approche-toi… "

Il lui montra la carte et dit :

" Voilà le terrain des opérations…Là, l'Hymette, ici, le Pentélique…tout est en cours d'évacuation, nous ne voulons absolument pas que les mortels soient concernés en quoi que ce soit dans cette bataille divine… "

Athena ne répondit rien, se contentant d'écouter ce que disait son père…Poseidon poursuivit, en pointant un point sur la carte :

" Toi, tu seras ici, à la tête de cinq compagnies de marinas…mais ne t'inquiète pas, Thétis ne sera pas loin de toi, elle t'aidera si tu as besoin… "

Cinq compagnies ? Jamais elle n'en avait dirigé autant…son père dut sentir ses doutes car il lui dit :

" Tu es parfaitement capable de les diriger, Athena…je ne t'aurais pas confié de commandement si je n'en étais pas sûr. "

Il lui demanda alors :

" Que vas-tu faire maintenant ? "

Athena leva ses yeux violets sur son père et dit :

" Je vais repartir au Sanctuaire, si tu le permets, père…Milo m'attend là-bas pour mon entraînement journalier, je ne veux pas le faire attendre. Je reviendrai ici dès que j'aurai fini… "

Poseidon hocha la tête, puis embrassa sa fille sur le front et dit :

" D'accord, reviens dès que tu auras fini…je suppose que tout doit être en état d'alerte, là-haut ? "

Athena acquiesça et dit :

" Oui, les chevaliers d'or veillent sans relâche, et la sécurité a été renforcée…tout est prêt, père… "

Poseidon hoche la tête, puis, embrassant sur le front sa fille, la laisse aller et reprend son travail.
Athena se hâte d'aller rejoindre le Sanctuaire, mais elle sait que son entraînement sera aujourd'hui secondaire, les chevaliers d'or ont vraiment autre chose à penser. Milo l'attend, en effet, mais la libère un peu après midi, la renvoyant auprès de sa mère. Avant de la laisser, partir, il lui demande :

" Tu combattras aux côtés de ton père, c'est bien cela ? "

Athena acquiesce, et Milo, gentiment, lui caresse le front et lui dit :

" Ils ont du souci à se faire avec toi, de l'autre côté…tu vas les atomiser… "

Ce ton léger cache l'inquiétude du chevalier d'or, et Athena le sait, aussi répond-t-elle :

" J'espère bien ! "

Milo laisse alors Athena rejoindre sa mère, ayant lui d'autres missions à accomplir…

Dans le Sanctuaire sous-marin, Sion et Triton terminent de regarder l'exposé de la stratégie de leur père…Sion est grave, mais les deux dieux le sentent nerveux, même si ce n'est pas sa première bataille. Cette fois, c'est contre un autre dieu qu'il va se battre, et cela l'inquiète, même s'il en parle peu.
L'Empereur des Mers a confié à ses deux fils le soin de défendre la côte ouest du champ de bataille, pour empêcher Perséphone de s'enfuir par les falaises où existent, ils le savent, des points d'entrée pour les Enfers.
Il leur parle des trois Juges, Minos, Eaque et Rhadamante, de nouveau réincarnés et terriblement dangereux, mais n'essaie pas d'effrayer son fils cadet, il leur dévoile juste la vérité : cette fois, c'est une guerre divine qui commence, et nul ne sait où et quand elle s'arrêtera…
Un peu plus tard, alors que les deux frères devisent sous la colonnade, le regard posé sur le plan de bataille, Athena les rejoint, l'air grave elle aussi, mais elle s'en va vite aider Thetis à l'intendance et l'organisation. Illia, Thetis, Sorrente et Indra sortent justement du bureau de son père, où ils se sont vus expliquer ce qui se passerait pendant la bataille…
Une atmosphère lourde pèse sur le Sanctuaire sous-marin, alors que l'Empereur des Sept Mers se prépare…


La veillée d'armes de Julian Solo

Il est tard, mais Poseidon est encore dans son bureau, il regarde des cartes et pose des pions bleus dessus. Il est vêtu de sa tenue ordinaire, une robe blanche sur laquelle tranche une écharpe bleue, et réfléchit intensément, la main posée sur son bureau.
Il fait à peine attention à quelques petits coups frappés à la porte, puis réagit, se redresse et dit :

" Entrez ! "

La lourde porte frappée aux armes des Empereurs des Mers s'ouvre, et entre Thétis, portant un plateau sur lequel sont posés une assiette de soupe fumante, une pomme et un verre de vin blanc, ainsi d'une serviette blanche soigneusement pliée et frappée du trident…elle y a ajouté des couverts d'argent enveloppés dans un étui de maroquin rouge…
Il se retourne et dit d'un air revêche :

" Je n'ai pas commandé de repas, je n'ai pas faim… "

Son air effraye Thétis, qui lui répond tant bien que mal :

" Euh…c'est votre fille, la princesse Athena, qui m'a dit de vous amener ce repas, elle dit que vous devez vous alimenter… "

Ah, c'était bien de sa fille, cela…Athena connaissait assez bien son père pour savoir qu'il resterait dans son bureau toute la nuit à travailler, à déployer ses troupes et à étudier le terrain sur lequel la bataille aurait lieu pour que, le jour venu, il n'y ait aucune surprise. Désireux de faire plaisir à sa fille et bien qu'il n'ait pas faim, il tenta de rassurer Thétis d'un sourire en voyant ses yeux effrayés et dit :

" Excusez-moi…posez cela ici, s'il vous plaît… "

Et il désigna une table basse…Thétis y pose le plateau, dispose l'assiette et le verre sur la table, ainsi que les couverts et la serviette, et attend…elle ne le regarde pas, elle se contente d'être là, même si tout son être est conscient de sa présence…
Au bout d'un moment, Julian se retourne et dit :

" Vous pouvez disposer… "

Thétis secoue la tête :

" La princesse m'a dit que je devrais rester jusqu'à la fin de votre repas… "

Il soupire discrètement : vraiment, sa fille devient une vraie harpie…il pose son papier, vient s'asseoir devant la petite table et commence à manger la soupe…il lève les yeux vers Thétis, et demande :

" Qui a confectionné la soupe ?
-Votre fille, Majesté…il n'y avait plus personne aux cuisines à cette heure… "

Décidément, sa fille est aussi un cordon bleu…il faudra qu'il pense à la remercier…il interrompt son repas et demande :

" Et Sion, où est-il ?
-Avec son frère, Majesté…
-Je lui avais dit d'aller se coucher…
-Je crains que votre fils ne soit aussi têtu que vous, Majesté… "

Julian soupire :

" Je suis peut-être trop strict avec lui, mais, depuis qu'il a eu son coma, je m'inquiète toujours… "

Cela, Thétis le sait bien, elle aime Sion comme son propre fils, et est aussi parfois un peu trop protectrice vis à vis de lui…Sion le lui dit toujours avec gentillesse, cependant…elle a eu tellement peur pour lui pendant son coma, que depuis elle prie tous les jours en action de grâce quand elle le voit parler, courir et resplendir de santé…
Poseidon finit son repas, boit encore un peu de vin blanc et regarde Thétis, qui prend l'assiette et la pose sur le plateau…depuis des mois, elle hante ses rêves, ses yeux bleus l'ont conquis, mais il se rend bien compte qu'elle a peur de lui, qu'elle ne voit en lui que son seigneur et maître et non pas - en partie - un homme normal qui la désire pour compagne. Car, pour la première fois de sa vie, il envisage de se poser, de partager sa vie avec quelqu'un qu'il aime et dont il a conscience de la valeur…depuis des années, il voit Thétis prendre soin de ses enfants, et, depuis le jour où elle l'a accompagné à un bal, si belle dans sa robe de soie jaune, il est tombé sous son charme…seulement, comment le lui faire comprendre sans qu'elle s'effraye ? Après tout, elle aurait le droit de ne pas le croire, il avait la réputation d'un homme à femmes…
Ce soir, elle était simplement vêtue d'un peplos bleu clair en tissu fluide, retenu aux épaules par deux broches d'argent, c'était sa tenue ordinaire quand elle se trouvait au sanctuaire sous-marin…cette simple vêture mettait en valeur ses cheveux blonds et ses yeux bleus, si bleus qu'il aurait aimé s'y noyer. Elle rassemble les reliquats du repas pendant qu'il mange sa pomme, en évitant soigneusement de le regarder, mais ne peut empêcher son corps de réagir violemment à sa proximité physique…elle se maîtrise vite, mais il a remarqué son léger tremblement : inquiet, il demande :

" Ca ne va pas ? Vous ne vous sentez pas bien ? "

Thétis, tentant de garder son calme, répond en secouant la tête :

" N…n…non Majesté, je vais très bien…
-Alors ce doit être la proximité de la bataille, et le fait que je vous retienne éveillée…vous devriez aller vous reposer… "

Thétis acquiesce à cette facile explication, prend le plateau, s'incline et sort de la pièce sans demander son reste…elle porte le plateau à la cuisine d'un air absent, comme désincarnée de son propre corps, puis sort. C'est alors qu'elle commence à trembler, tous les efforts qu'elle s'impose en la présence de Julian Solo ressortent, et elle est comme en état de choc. Elle commence à trembler, et n'a que le temps de s'asseoir sur un banc, au milieu du jardin envahi par la semi-obscurité marine. Elle sent une boule se former dans sa gorge, et éclate en sanglots convulsifs, seul moyen de libération de toute la pression qu'elle s'impose pour ne pas se trahir. Comment encore supporter de vivre ainsi, si près de l'homme qu'elle aime depuis tant d'années, sans aucun espoir ? la seule chose qui la retient encore, par laquelle elle tient le coup est la présence des jumeaux, qui lui sont aussi chers que s'ils étaient issus d'elle. Mais elle sait où est son devoir, servir son maître, et elle l'accomplit du mieux qu'elle peut…
Sa douleur est si vive, son chagrin si profond qu'elle pleure longtemps, et finit par s'endormir sur le banc…
Vers trois heures du matin, Julian Solo, fatigué, décide d'aller s'aérer pour ensuite mieux travailler, puis dormir un peu vers les petites heures du matin. Il marche lentement dans le jardin, perdu dans ses pensées, mais quelque chose attire son attention : un morceau de tissu bleu, à travers un bosquet. Il va dans cette direction, et trouve Thétis, profondément endormie à demi-allongée sur son banc, serrant son mouchoir dans son poing…ses cheveux blonds libérés de leurs épingles croulent librement autour d'elle, et il voit sur son visage des traces de larmes…
Inquiet, il s'approche d'elle, touche son bras et, le sentant froid, la prend dans ses bras et la ramène dans ses appartements, en se demandant bien ce qui a bien pu la mettre dans un état pareil…il la connaît bien, il sait qu'elle n'a pas peur de combattre et que la proximité du combat n'a pas pu causer ce chagrin.
Il la dépose sur un canapé, attrape une couverture et l'enveloppe dedans, puis il la frictionne doucement en prenant soin de ne pas la réveiller…Thétis s'agite, et murmure quelque chose qu'il ne comprend pas…
Thétis ne s'est pas vraiment rendu compte qu'il la transportait, l'épuisement induit par ses pleurs et le choc l'ont plongée dans une sorte d'hébétement où elle se débat avec des cauchemars et avec la fièvre...
Pourtant, au travers de ses cauchemars, elle sent une présence apaisante près d'elle, sent ses bras autour d'elle, son odeur familière, et cela la tend et la calme à la fois.
Julian Solo est allé prendre dans sa salle de bains une serviette qu'il a trempé dans l'eau et lui bassine les tempes…Thétis finit par se réveiller, et a un mouvement de recul en voyant qui est assis à côté d'elle. Mais, consciente que ce serait un manquement grave envers son maître, elle reste là sans rien dire, tentant de maîtriser son corps qui ne veut pas lui obéir…
Il sourit, la regarde un moment et demande :

" Vous sentez-vous mieux ? "

Thétis hoche la tête…mentalement, pour retrouver son calme, elle se morigène : comment elle, qui a trente ans passés, réagit-elle encore comme une adolescente victime d'un coup de foudre ?Cette simple évidence lui permet de retrouver un semblant de contrôle sur son corps et son esprit en déroute…
Poseidon continue :

" Vous avez pleuré…qu'est-ce qui a bien pu vous mettre dans un état pareil ? "

Thétis tente de se lever en répondant :

" Rien, maître, merci de votre sollicitude… "

Mais elle ne le convainc pas du tout…il l'empêche de se lever, soulève légèrement son menton avec son doigt et dit doucement :

" Vous êtes épuisée, voilà le problème, vous en faites trop… "

Thétis, pour la première fois depuis longtemps, plonge ses yeux dans les yeux bleu-vert océan de Julian Solo, si pleins de bonté et d'inquiétude…le silence s'ensuit, chacun restant plongé dans le regard de l'autre sans pouvoir en sortir.
Puis il reprend la parole :

" Si je vous ai froissée tout à l'heure, je vous prie de m'en excuser, je ne voulais pas… "

Poseidon, s'excuser ? Il y a là quelque chose d'incongru aux yeux de Thétis…avec douceur, il poursuit :

" Je vous dois tellement que je ne peux supporter de vous voir triste… "

Thétis baisse la tête et dit :

" J'essaie de faire mon devoir du mieux que je peux, Majesté… "

Il la regarde encore et dit d'un air triste :

" J'envie Sion, parfois…lui a votre affection… "

Cette réflexion secoue Thétis comme un électrochoc…et elle n'est pas sûre d'avoir bien entendu ni bien compris. Pourtant, ses yeux s'écarquillent…il continue, et lui prend la main :

" Oui, j'envie Sion pour le soin que vous prenez de lui, l'affection que vous lui donnez. Je me sens tellement seul… "

Il sait qu'il n'aura pas de semblable occasion, et il décide d'enfin tout lui dire…

" Comme vous le savez, si je suis un dieu mon corps reste mortel, et je peux être tué demain… "

Sans lâcher sa main, il continue :

" Si je dois mourir, je veux que vous sachiez les sentiments que j'ai pour vous… "

Thétis frissonne…Julian Solo la regarde et dit :

" Je ne pensais pas avoir à dire cela un jour à une femme, mais je vous aime…je vous aime pour votre tendresse, votre dévouement, votre grandeur d'âme… "

Thétis n'en croit pas ses oreilles…elle doit être en plein rêve, ce n'est pas possible qu'il lui ait dit une chose pareille…Pourtant, ses yeux sont sincères, jamais elle n'a vu tant de tendresse dans son regard…cependant, elle ne peut empêcher son corps de trembler de nouveau…Il la prend alors dans ses bras, désireux de calmer ce qu'il sait maintenant être une manifestation de panique.
Thétis ne résiste pas, elle en serait bien incapable d'ailleurs, il lui semble que son corps refuse de lui répondre…
Il continue :

" Je m'en rends compte très tard mais j'ai trouvé en vous celle qu'il me fallait, celle qui je le sais peut m'apporter ce qui me manque, ce qui m'a toujours manqué… "

Il la serre encore dans ses bras, ne voulant pas la lâcher…Thétis se sent mieux, sécurisée dans ces bras dont elle a tant rêvé. Elle lève les yeux vers lui, n'osant encore croire à ce qu'il vient de lui dire…
Il reprend :

" Si je dois mourir, j'aimerais que vous veilliez sur mes enfants pour moi et que vous aidiez leur mère, je sais que personne ne le fera mieux que vous… les enfants vous aiment, et vous le leur rendez bien… "

Il la lâche subitement et dit :

" Mais je ne pense qu'à moi…je suis resté le petit garçon capricieux que j'étais, je vous ai dit mes sentiments sans penser aux vôtres…si cela vous froisse, je vous prie de m'excuser… "

Ce n'est pas du tout comme cela que Thétis s'imaginait cette scène, dont elle a pourtant rêvé autrefois…avouer ses sentiments lui semble soudain insurmontable, et, de plus, elle ignore comment il va réagir…comment exprimer en mots ce qu'elle ressent depuis tant d'années ?
Julian Solo la regarde, et dit :

" Je comprends… "

Qu'a-t-il bien pu déduire de son silence ? qu'elle ne l'aimait pas ? Prenant son courage à deux mains, elle relève courageusement les yeux et dit :

" Je…j'ai des sentiments pour vous, Majesté… "

Cet aveu vient du plus profond d'elle-même, mais elle n'a pas eu le courage de lui dire qu'elle l'aime…pourtant, c'est bien ainsi qu'il le comprend alors qu'il dit :

" Oh, cela fait tellement longtemps que je voulais entendre cela ! "

Il lui prend les mains et dit :

" Et pourtant je n'ai rien vu…oh, comme j'ai dû te faire souffrir ! "

Thétis baisse de nouveau la tête, mais elle ne répond pas…alors il lui lève doucement le menton et l'embrasse doucement, puis de façon plus appuyée. Surprise et réservée au début, elle finit par répondre à son baiser…puis il la serre dans ses bras en disant :

" Je voudrais ne plus jamais te lâcher, te garder ainsi dans mes bras pour te protéger… "

Thétis se blottit contre lui, comprenant seulement alors qu'il ne ment pas…elle respire son odeur si masculine et sent son cœur battre sous son oreille, ce qui la calme, la calme si bien qu'elle s'endort…il la garde dans ses bras, respire l'odeur de ses cheveux, puis l'étend sur le canapé avant de poser sa couverture sur elle…il se lève, et va reprendre son travail…mais comment travailler sérieusement quand la femme de votre vie dort non loin de vous, vous faisant bouillir le sang ?
Sentant la fatigue s'abattre sur lui, il alla s'étendre sur son lit, mais ne parvint pas à trouver le sommeil…
Thétis, elle, s'était réveillée, et se retourna sur le canapé, elle aussi torturée par la proximité de l'homme qu'elle aimait…quand il se releva pour boire un verre d'eau, il vit ses yeux grands ouverts…il s'assit près d'elle, caressa ses cheveux et dit :

" Tu devrais te reposer, nous aurons une rude journée, demain… "

Pour la première fois, Thétis ne baissa pas le regard et soutint le sien…il put y lire du désir mais aussi de la crainte, elle avait encore peur de lui. Elle frissonna…

" Tu as froid, viens avec moi… ", lui dit-il en la soulevant…il l'allongea sur son lit, rabattit sa couette sur elle, puis s'enveloppa dans le couvre-lit avant de lui tourner le dos pour qu'elle soit sûre qu'il n'avait aucune mauvaise intention…la sentir si près de lui, son souffle enfin égal et lent, le calma lui aussi et il s'endormit…pour se réveiller un peu plus tard, l'esprit agité par la bataille prochaine. A côté de lui, Thétis dort enfin paisiblement, comme si elle se sentait enfin en sécurité, et, doucement, il la prend dans ses bras. Elle sourit quand il lui caresse la joue, mais ne s'éveille pas. Cette fois, il s'endort vraiment, en paix comme il ne l'a pas été depuis longtemps…

Dehors, Eos, drapée dans ses voiles, arrose de ses doigts de rose le monde encore en paix pour quelques heures…

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Cette fiction est copyright Anne-Laure Perrin.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.