Chapitre 18 : Hâte-toi Ô Lumière !


" Un jour les dieux fatigués des guerres des hommes s'endormirent. Quand ils se réveillèrent les hommes n'avaient plus besoin de Dieu ".

Majesté,

Les événements prennent une tournure conforme à celle que nous attendions. Les Olympiens ont certes ressuscité mais aucun d'entre eux n'a réintégré son corps originel et même sa majesté Poséidon a été contrainte sous la pression des autres dieux de ne pas utiliser le corps de Julian Solo auquel son âme s'était habituée.
Aucune des gardes divines n'a été reformée pour le moment et tout porte à croire qu'une fois la sentence prononcée les olympiens retourneront à leur sommeil laissant la Terre entre vos mains.
Vous m'avez fait part de l'état d'impatience dans lequel se trouvaient mes compagnons de mettre à exécution la seconde partie de votre plan qui concerne le sanctuaire d'Athéna.
J'ai l'audace de vous conseiller de n'en rien faire : l'attention des dieux est pour l'instant obnubilée par Athéna qui se défend magnifiquement mais si une menace sérieuse venait à planer sur la Terre il est probable qu'ils réagiraient violemment et nos plans s'en trouveraient gravement dérangés.
Ce procès est la clé de tout, il ne faut point penser à le hâter mais bien plutôt à le faire traîner en longueur de façon à endormir complètement la vigilance des Olympiens.
D'Athéna je vous dirais qu'elle ne sort de sa chambre que pour comparaître devant ses juges et passe le reste du temps recluse. La seule visite qu'elle reçoit est celle de sa majesté Hestia mais cela ne peut avoir de conséquences sur nos plans étant donné la nature pacifique de cette déesse. Quand bien même ces visites ne seraient pas innocentes je ne pense pas qu'Athéna a encore le pouvoir d'empêcher la Terre d'épouser les grands projets que nous avons pour elle.
Ma mission ici sera bientôt terminée aussi je me réjouis de pouvoir être bientôt à vos côtés.

Respectueusement, Némésis.

P.S : Ayant constaté une concentration anormale de cosmos au royaume d'Asgard j'y ai envoyé Loki il y a de cela quelques jours mais je suis toujours sans nouvelles bien qu'aucune preuve d'un possible échec de sa mission ne m'ait été apportée…


Le troisième seigneur des archanges de Zeus posa la plume qui lui avait servi à écrire cette lettre sur le côté de la table. Il reprit la lettre, la relut deux fois pour s'assurer qu'elle ne dévoilait aucun nom compromettant puis la plia avant de la cacher dans sa tunique.

" Quel dommage pensa-t-il que je ne puisse l'envoyer maintenant… mais ici en Olympe la chose serait trop risquée, le courrier pourrait être intercepté… il vaut mieux que j'attende d'avoir une occasion de me rendre sur Terre, c'est plus sûr. "

Il passa devant un miroir et un sourire ironique passa sur ses lèvres quand il vit l'image que le verre lui renvoyait : un archange de Zeus.

Il ne put alors s'empêcher de penser à voix haute :

- Heureusement que cette comédie prend bientôt fin.

Et il alla prendre son service auprès de la déesse Athéna dont il avait la garde depuis le début du procès.

*
* *

Cité céleste, chambre d'Athéna

- Quel don étrange…

Hestia, déesse de la flamme se retourna vers son interlocutrice faisant voler ses cheveux rouges orangers. Elle étouffa un petit rire.

- Oui, étrange c'est bien le mot ! La Nature a doté ma sœur Déméter du don de faire fleurir le jardin de la Terre mais l'a affublée d'un caractère autoritaire proprement insupportable et elle a donné à ma sœur Héra une ambition si grande que l'univers ne suffirait pas à la satisfaire. Quant à moi, mon seul don est d'amener la sincérité chez les autres.

Athéna affichait une moue sceptique, un certain nombre d'attaques mentales pouvaient permettre de contrôler l'esprit d'un homme ou de le détruire mais lui rendre son innocence…

- Lirais-tu dans les pensées Hestia ?

Une étincelle de malice pétilla dans les yeux orangers de la déesse. Elle porta sa main à sa bouche pour réprimer un petit rire de crécelle.

- Quelle drôle d'idée Athéna ! Je n'ai nul besoin de lire dans les pensées : toute personne qui se trouve face à moi retrouve une innocence qu'il a perdue et devient sincère.
- Et à quoi te sert ce don, je veux dire, pouvoir lire dans les cœurs et les faire s'ouvrir ?
- Eh bien vois-tu, dans les temps anciens où nous autres dieux vivions à côté des hommes je me rendais sur les lieux les plus ravagés comme les villages qui avaient servi de théâtre à une guerre. J'y rencontrais souvent des adultes aigris ne rêvant que de vengeance. Ceux-là je ne pouvais malheureusement plus grand chose pour eux.
- …

Les yeux de Hestia s'illuminèrent d'un éclat nouveau.

- Mais il y avait les enfants. La plupart étaient recroquevillés contre leurs parents quand ils n'étaient pas orphelins. Mais qu'ils aient été blessés ou non il y avait toujours la même chose dans leur regard : la peur ! C'est cette peur gravée dans leur cœur qui amenait les adultes qu'ils devenaient à chercher vengeance de l'affront qu'ils avaient subi. C'est cette peur d'être tué qui les poussait à vouloir être forts et qui les jetait finalement dans les bras d'Arès.

A ce nom Hestia s'arrêta et un frisson parcourut tout son dos jusqu'à son épine dorsale.

- Un jour Arès m'a dit que c'était pour le bien des hommes qu'il étouffait toute innocence dans ses soldats, pour leur bien qu'il gravait la peur dans les yeux des enfants. " Le monde est agité de tremblements car les forts persécutent les faibles. Peu importe la force physique, la seule façon de devenir fort est de vouloir être fort. Cette volonté les faibles ne l'ont pas mais en gravant la peur et la haine dans leurs cœurs je la leur insuffle. Le jour où tous les humains partageront cette volonté d'être forts alors il n'y aura plus de faibles, alors il n'y aura plus de guerre. " Tels étaient les mots d'Arès.

Athéna semblait méditer sombrement sur ces paroles de son ennemi le plus tenace, se pouvait-il que l'innocence soit une faiblesse et que la peur génère la force chez les faibles ?

- Mais Arès a tort ! La haine n'entraînera jamais que la haine ! Que la force soit nécessaire pour relever le monde soit ! Mais les enfants ne doivent pas être engagés dans ce cycle de violence ! Mon don je l'ai toujours utilisé pour préserver les enfants de la peur, pour sauver leur innocence. Chaque fois qu'un enfant en me voyant s'est approché pour me sourire je l'ai pris dans mes bras et chaque fois j'ai su que c'était une vie que je sauvais.

Hestia se tourna vers Athéna et son sourire était encore plus lumineux qu'avant, chaque vie qu'elle avait sauvé semblait lui apporter un surcroît de bonheur sans limites.

- Je suis sûr que j'ai raison Athéna. Même si Arès croit pouvoir changer le monde et en effacer la faiblesse il n'est finalement qu'un jouet entre les mains des dieux plus puissants que lui comme Zeus. Un jour peut-être réalisera-t-il son erreur.

Athéna baissa les yeux sur la soie qui recouvrait son lit sur lequel elles étaient toutes deux assises. Elle éprouvait une réelle sympathie pour cette femme mais la pensée qu'elle avait pu être envoyée ici pour sonder ses pensées les plus secrètes ne la quittait pas.

- Est-ce pour me dire cela que tu me rends visite Hestia ?

Le ton était sec et assez froid. Hestia tressaillit comme si on venait de lui planter un poignard dans le dos.

- Non tu as raison Athéna. Je pense vraiment les choses que je t'ai dites mais la raison de ma visite est tout autre.

Athéna fixait Hestia dans les yeux en priant pour que sa volonté ne lui fasse pas défaut mais apparemment la déesse de la flamme n'utilisait pas son don contre elle.

- Si je suis venue ici c'est pour te remercier.

Saori s'attendait peut-être à tout sauf à ça ! La remercier ? Mais de quoi ? Une idée horrible trotta dans sa tête sans qu'elle parvînt à la rejeter tout à fait. Elle se décida finalement à l'exprimer.

- Tu… tu veux me remercier d'avoir tué Hadès ?

Les doigts d'Hestia se crispèrent sur les plis du drap à l'en déchirer tant ce qu'elle allait dire lui causait peine.
" C'est peut-être à cause de son surprenant don qu'elle a tant de mal à être honnête avec elle-même pensa Saori "

- Oui… tu as bien deviné Athéna… Je suis venue te remercier d'avoir mis un terme à la triste vie de mon frère.

Saori se leva et chercha un appui qu'elle trouva sur le rebord du balcon de sa chambre. Cette femme avait-elle le cœur si noir ? Pourquoi parlait-elle de tristesse à propos d'Hadès ?
Des pensées confuses traversaient son esprit, maintenant qu'elle était en Olympe elle était en passe de retrouver complètement sa mémoire mythologique et elle se souvenait que dans la famille des premiers Olympiens Hadès et Hestia étaient sans doute les seuls à être unis par une affection sincère.

- Mais je croyais que…

Hestia se redressa et un nouveau sourire passa sur ses lèvres tandis que ses yeux reprenaient leur couleur oranger.

- Je ne peux nier que je l'aime. Et c'est justement pour cela que je te remercie d'avoir mis un terme à sa tristesse.
- Sa tristesse ?
- Oui évidemment, vous n'avez pas dû vous en rendre compte en un si bref échange. Mon frère vous a sans doute combattu avec le même panache qui faisait sa majesté, vous avez dû prendre sa superbe pour de l'arrogance n'est-ce pas ?

Athéna fit un signe d'approbation muet. Le charisme de son adversaire en avait en effet imposé même à ses chevaliers mais il y avait autre chose. Hadès ne semblait pas trouver un quelconque plaisir dans la bataille, il avait même l'air de s'ennuyer à tel point que l'on pouvait se demander s'il se sentait vraiment concerné par les évènements tant il montrait de détachement dans chacun de ses actes. Même sa colère était froide, c'était un être dépassionné.

Hestia lut les pensées d'Athéna dans ses yeux.

- Oui vous l'avez senti vous aussi - Saori rougit d'être ainsi percée à jour- au fond mon frère était profondément désabusé. Il ne voyait aucun intérêt dans la domination d'un monde corrompu mais il n'en voyait pas davantage dans le fait de régner sur un peuple de morts qui le désespéraient par l'ampleur de leurs fautes. Au fond il n'avait plus qu'une seule raison de vivre : prouver aux hommes qu'ils avaient eu tort d'oublier les dieux et qu'ils étaient encore capables de les punir pour leurs péchés.

Hestia prit les mains d'Athéna dans les siennes et les serra très fort, on ne pouvait dire d'après l'expression de son regard si elle ressentait de la peine ou de la joie en parlant de son frère.

- Mon frère péchait par orgueil mais je sais qu'avec sa mort il a retrouvé un peu de cette humanité qu'il avait perdue et rien que pour cela Athéna je te remercie. Tu lui as prouvé son erreur en le vainquant et même si ça n'a duré qu'un instant il a dû être heureux de voir que des hommes croyaient encore en cette chimère qu'il appelait l'amour.

La solitude dans laquelle elle vivait depuis un certain temps avait peut-être rendu Saori plus sensible ou alors était-ce tout simplement qu'elle était émue d'avoir trouvé une amie ? Ou encore le don d'Hestia ? Toujours est-il que Saori sentit l'envie de s'épancher sur l'épaule de sa tante et de lui dire combien elle lui était reconnaissante de ses mots.

Cette scène touchante n'eut même pas un début de commencement car un bruit se fit entendre à la porte qui s'ouvrit sans attendre de réponse.

Némésis émergea dE l'embrasure de la porte. Il mit genou à terre et salua brièvement les deux déesses.

- Princesse Athéna, veuillez pardonner cette irruption mais le grand Zeus a ordonné la reprise de la séance immédiatement.

Cela ne présageait rien de bon. Saori soupira, le procès durait depuis près de 4 jours olympiens (soit 4 mois terrestres) et on ne lui laissait que peu de temps pour dormir. Le matin même une séance avait eu lieu mais le grand Zeus s'était éclipsé et la séance s'était interrompue peu après.

Némésis referma la porte pour donner le temps à Athéna de se préparer. Celle-ci eut un sourire ironique, peut-être que le moment de son exécution était finalement venu…

Hestia lui répondit vivement.

- Ne crains rien ! La sentence ne peut pas être prononcée tant que le destin de la Terre n'a pas été réglé.
- C'est donc à cela que se résume ce procès ? Une formalité destinée à faire gagner du temps à l'une des factions de Zeus ou d'Arès ?
- Malheureusement oui mais je te défendrai bien que mon pouvoir ne soit pas très grand.

Némésis les guida jusqu'à la colline de l'Erichtonion, malgré tous ses efforts pour dissimuler son visage il avait l'air contrarié de quelqu'un qui voit les choses aller dans le sens contraire de celui qu'il désire.

*
* *

Erichtonion

Il est des lieux prédestinés à accomplir la fonction qu'on leur assigne, l'Erichtonion n'était pourtant ni le lieu le plus approprié ni le plus confortable pour une réunion des 12 olympiens. Ce n'était qu'une colline sur laquelle était juché un petit temple au centre duquel une table en forme de croissant de Lune avait été disposée et munie de 14 sièges (les deux derniers étant pour le plaignant et l'accusé).

Ce lieu était pourtant légendaire dans toute la cité céleste : il devait son nom au premier roi d'Athènes, fils de Gaïa et Héphaïstos du nom d'Erichtonios " celui qui est sorti de la Terre ". Cependant ce n'était pas à ce personnage que cette colline devait sa réputation.

Le grand Zeus malgré les sombres pensées qui l'agitaient ne pouvait s'empêcher de sourire avec contentement et d'admirer l'ingéniosité de son stratagème. Car ce lieu était placé sous le signe de deux dieux ennemis qui étaient finalement les deux faces d'une même pièce : Athéna et Arès. Un jour un monstre fils de Poséidon, à moins que ce ne fut l'une des nombreuses formes empruntées par le Marina des Lymnades tenta de commettre un acte abject sur l'une des filles du dieu de la guerre, Acclipé.
Bien que peu ému par ce spectacle habituel dans les campagnes guerrières Arès avait sorti son épée et tué le monstre, se peut parce que son visage lui était insupportable ou pour vérifier s'il s'agissait bien d'un marina.
Quoiqu'il en soit Arès fut jugé sur cette colline où il avait commis ce meurtre par un tribunal présidé par sa pire ennemie : Athéna !
Aucun dieu ne s'était vraiment ému de ce que la Terre fut débarrassée d'un monstre mais ils voyaient tous en ce procès une bonne occasion de diminuer la faction du dieu de la guerre. Aucune voix sauf celles d'Aphrodite et d'Héra ne s'était élevée en sa faveur et Zeus sous ses airs de majesté songeait à la prophétie d'Ananke avec délice.

Le salut lui était venu de la personne qui pouvait être la moins suspecte de le lui accorder : Athéna !!

Il se souvenait encore de ses mots :

" Arès, si le Dieu qui a crée l'univers a choisi de mettre une telle force en toi c'est pour que tu la mettes au service des faibles, ce que tu as fait ce jour là s'appelle Justice "

" Athéna, tant que les faibles seront les jouets des forts ils seront détruits, la vérité est que tant qu'il y aura des faibles, aucune justice ne sera possible "

Ils en étaient restés à ce constat de désaccord radical mais Zeus n'avait rien perdu de la scène et depuis ce jour il observait ce qu'il prenait pour de la haine monter en Arès, le rendre plus fort. Et pour qu'il n'oublie jamais cette humiliation il fit baptiser le temple qui se dressait sur l'Erichtonion, l'Aréopage, la colline d'Arès !!

Un temple portant le nom d'Arès édifié sur une colline de la ville d'Athéna, quelle ironie !

Le procès d'Athéna avait cependant été légèrement différent de celui d'Arès. Les Olympiens étaient en fait 14 : Zeus, Poséidon, Hadès, Hestia, Déméter et Héra pour la première génération. Athéna, Arès, Héphaïstos, Apollon, Artémis, Hermès, Aphrodite et Dionysos pour la seconde. Cependant tous les dieux ne résidaient pas dans l'Olympe et la mythologie finit par ne retenir qu'un panthéon de douze Olympiens.

Dans l'état des choses à ce moment il n'avait pas été possible de réunir les 12 dieux : Dionysos après avoir dans un premier temps répondu à l'appel de Zeus avait choisi de se rendormir ne voyant que très peu d'intérêt à participer à ce procès, Hadès étant mort et Athéna jugée il ne restait plus que 11 jurés. Il fut convenu assez vite que Zeus voterait deux fois en tant que dieu et en tant que juge et le litige fut réglé.

Zeus jetait des regards du côté d'Arès qui était resté très calme presque taciturne depuis le début du procès, rien ne semblait devoir l'ébranler et il était très difficile de lui arracher une parole. Il avait même failli décliner l'invitation à se rendre à l'Aréopage.

" Je suis un guerrier. Mon seul talent est de tuer, je n'ai pas ma place dans ce genre de réunion ".

Cette attitude troublait les autres dieux qui commençaient à se demander si le dieu de la guerre, seul parmi ses semblables (Zeus compris) n'avait pas réintégré son corps originel en violation de l'interdit divin. Cela aurait été dans ses habitudes et assassiner un homme pour accréditer la supercherie ne l'aurait pas gêné outre mesure.

Apollon et Poséidon eux aussi avaient un comportement singulier pour des dieux si puissants : le premier semblait complètement absorbé par sa lyre et semblait assez détaché des évènements. Le second toisait avec une colère contenue les impudents qui avaient l'audace de se croire son égal. Il le dissimulait assez mal mais il avait peur ! Peur de retourner à son sommeil éternel après la fin du procès car on ne lui avait permis de sortir de son sommeil qu'à la condition qu'il ne tente pas de posséder Julian Solo ni de se manifester auprès de Sorrente. Il avait donc dû emprunter un corps et cela faisait trois longues journées qu'il attendait la suite des évènements dans cette prison dorée qu'était la cité céleste.

Les autres dieux se perdaient en vaines spéculations sur l'issue du procès ou de la guerre qui allait peut-être opposer les factions de Zeus à celles d'Arès…

La porte de l'Aréopage coulissa et le tumulte cessa instantanément.

Le troisième seigneur des archanges entra et s'avança au centre du cercle sans saluer aucun dieu comme s'il s'agissait de le juger lui. Il s'agenouilla et s'adressa directement à Zeus.

- Majesté je suis porteur d'une nouvelle préoccupante.

Il y eut un long moment de flottement pendant lequel nul ne dit rien et chacun entendait bien que Némésis ne souhaitait pas délivrer son message en la présence d'un autre dieu que Zeus. Celui-ci le regardait droit dans les yeux avec une expression qui voulait dire " Auras-tu le courage de rester muet devant tous ces dieux qui te dépassent ? "

Némésis se releva et tourna les talons prêt à quitter la salle sans délivrer le message dont il était porteur. Plusieurs dieux dont Poséidon commençaient à marquer des signes d'énervement notables. Le seigneur des archanges fit volte face et fixa les maîtres de l'Olympe avec une lueur de défi dans le regard. Plusieurs dieux avaient déjà fait le mouvement de se lever quand Zeus énonça enfin :

" Parle librement, je ne compte nul ennemi ici "

L'interpellé s'avança à nouveau au centre du cercle mais sans s'agenouiller cette fois et délivra à haute voix son message.

" Le sort protégeant la cité céleste a été violé. Une intrusion est donc à craindre ".

Un frisson perceptible traversa l'assemblée olympienne mais chez Arès ce frisson fit courir dans ses veines une sensation d'une jouissance inégalée.

" C'est par l'entrée du mont étoilé que cette intrusion est à déplorer ".

Le grand Zeus ne se dépara pas de son sourire éclatant, il rejeta son opulente chevelure couleur de ciel en arrière et lança un regard en coin vers Héra comme s'il attendait un conseil de sa part. Mais en fait avant même que Némésis ait ouvert la bouche le maître des cieux avait deviné la substance de son message et analysé la situation. Il se livrait maintenant à un jeu cruel qui consistait à laisser la peur s'insinuer dans chacun de ses pairs et à tester ainsi leur sang froid. Il s'attendait à tout moment à ce que l'une de ces divinités éclate en un accès de colère devant ce silence oppressant et rien ne le réjouissait plus que de constater une fois de plus son écrasante supériorité sur ses pairs.

Prenant son silence pour une marque d'approbation Némésis, par son empressement, lui gâcha son plaisir.

" Avec votre permission majesté, je vais ordonner le transfert de vos majestés vers la cité céleste où je serai plus en mesure d'assurer votre sécurité que sur cette colline. "

Le sourire mourut sur les lèvres du dieu du ciel. " Quel rabat-joie quand même ! pensa-t-il. Eut-il tenu sa langue cinq secondes de plus et je suis bien sûr qu'il y aurait eu du spectacle ! "

" Hors de question, commandant des Archanges ! La nouvelle dont tu es porteur ne justifie pas une telle mesure. "

" Mais votre majesté… "

" Silence ! Je m'attendais de toute façon à une tentative désespérée d'un des anciens fidèles de ma fille ! Je ne connais pas le nom de ce fou mais il ne sera pas dit que le roi des dieux aura perdu la face devant un insolent ! "

Sur ces mots il frappa dans ses mains et il n'y avait pas à se méprendre sur la signification de ce geste : le procès devait suivre son cours comme si de rien n'était. Mais ce geste contenait un autre message, celui-là destiné à Némésis : la mort du jeune fou qui avait osé pénétrer le domaine des dieux serait le prix du pardon de son insolence. Le grand Zeus ne devait pas perdre la face et en tant que seigneur des archanges son rôle était de s'en assurer.

Némésis sortit de la salle sans saluer et ce fut presque à la volée qu'il ouvrit les portes de l'Aréopage sur deux déesses qu'il annonça de la sorte :

" Leurs majestés Hestia et Athéna qui ont fait long chemin jusqu'ici, l'une pour juger, l'autre pour être jugée mais qui se réjouissent comme tous ici de la mort de sa majesté Hadès ! "

*
* *

Némésis n'était pas un impulsif, toutes ses paroles étaient réfléchies et il ne manquait aucunement de finesse lorsqu'il s'agissait de laisser entrevoir une menace dans ses propos. Toutefois il semblait avoir un problème avec l'autorité mais plus sûrement avec celle du maître des cieux. Ainsi lorsque Zeus avait voulu jouer au chat et à la souris en lui intimant l'ordre tacite de ne rien dire il avait fait un gros effort pour ne pas lui jeter au visage que de tels enfantillages étaient indignes de lui !

Ce comportement était d'autant plus singulier qu'il se situait aux antipodes de celui des autres seigneurs des archanges. Mas il n'était pas comme eux, un être humain éveillé à sa nature d'archange mais bien un dieu vivant depuis les temps anciens mais quant à servir Zeus depuis lors c'était une autre affaire…
Le titre de troisième seigneur ne voulait nullement dire qu'il était en aucune façon le subordonné des deux autres seigneurs mais qu'il avait en charge la troisième sphère de l'Olympe. La première sphère comprenait uniquement la cité céleste du grand Zeus, la mieux protégée, la seconde sphère englobait les autres cités dans lesquelles reposaient les corps immortels des olympiens quand ils existaient encore…

La troisième sphère englobait tout ce qui n'était pas le territoire des deux premières à savoir l'Olympe ! A ce titre son rôle était de protéger les divers couloirs dimensionnels menant de la Terre à l'Olympe et de surveiller toutes les dépendances du Mont Olympe dont l'Aréopage faisait partie. Sa charge lui donnait également le droit de se rendre ponctuellement sur Terre et de se tenir informé des évènements.

Némésis avait quitté l'Aréopage brusquement en lançant des mots cruels à l'intention de l'assemblée des dieux. Une ombre passait sur son front sans vouloir le quitter et en proie à une colère noire le noble seigneur prit le parti de s'allonger dans les fleurs qui coloraient les jardins de l'Olympe.

Dans un geste de dépit il jeta au loin le diadème d'or de son armure libérant ainsi sa très longue chevelure blonde cendrée et la laissant se répandre sur le tapis de fleurs.

" C'est bien ma chance ruminait-il, moi qui voulais retarder l'issue de ce procès au maximum voilà qu'il va être hâté. Zeus ne sait-il donc pas où est son intérêt ? En tout cas il se passera longtemps avant que je puisse remettre cette lettre, quelle malchance ! "

Son regard se fit plus mélancolique comme s'il se rappelait de quelques souvenir touchant et appartenant à un passé lointain, le ciel qui s'étendait à l'infini devant lui était d'un bleu magnifique.

" Ah… Le ciel a-t-il toujours cette couleur dans mon pays ? Je ne l'ai pas vu depuis si longtemps, tout a dû bien changer… Je n'aurais peut-être pas dû accepter cette charge… Et puis y aura-t-il quelqu'un pour m'attendre ? "

Un nuage déformé par le vent lui renvoya un visage souriant et familier mais un courant d'air frais se répandit dans son dos et le fit se relever promptement. Pourtant il ne vit rien qu'une brume légère qui semblait se répandre sur la colline.

Le seigneur des archanges joignit ses mains au niveau de son torse et une petite lumière semblable à celle émise par une luciole en émergea, avec beaucoup de précaution il éleva cette faible lueur au dessus de sa tête et la brume commença à se dissiper pour laisser place à… un champ de fleurs.

" Quelle est cette mauvaise plaisanterie ?! Qui que vous soyez montrez-vous ! "

Aucune réponse ne lui parvint mais la brume commença à se reformer devant lui.

" Très bien vous l'aurez voulu !! "

Némésis tira de son fourreau une épée si fine à poignée dorée qu'elle faisait penser à une rapière. Il s'en saisit et d'un moulinet rapide envoya un coup horizontal devant lui. Cette fois la brume se dissipa tout à fait mais le ciel sembla faire pleuvoir une cascade de pétales de fleurs en réponse à tant de violence.
Une silhouette se détacha de ce décor multicolore. A première vue c'était celle d'un être humain de grande taille mais rien ne transparaissait de sa physionomie car il était comme enveloppé dans une cape très noire sur laquelle les rayons du soleil faisaient des reflets bleus.

" Qui êtes-vous ?! "

Aucune réponse ne parvint à l'envoyé de Zeus.

" Hum, si vous vous trouvez ici c'est que vous devez être la personne qui a ouvert le passage de Star Hill. "

Un sourire rassurant passa sur son visage, il avait l'air plus apaisé comme si ses déductions lui avaient révélé qu'il n'avait rien à craindre de la personne qui lui faisait face.

" Alors j'attends ! Si vous vous êtes introduits en Olympe c'est que vous êtes de nature divine et si vous l'avez fait en passant par Star Hill c'est que votre intention est de sauver Athéna ! Alors - un sourire ironique passa sur ses lèvres - quel est donc le chevalier divin qui a réussi à s'extraire des limbes après trois longs mois ? S'agit-il de Shiryu ? de Shun ? de Hyoga ? Du Phénix dont on dit qu'il pourrait revenir de l'Enfer ? Ou alors celui qui l'aime le plus a-t-il ressuscité pour lui venir en aide ? Seiya ? "

Aucun de ces noms ne provoqua le moindre tremblement chez la silhouette qui faisait face à Némésis. Une moue de dépit apparut sur son beau visage.

" Finalement tout ça n'a guère d'importance puisque je vais vous tuer une seconde fois - Némésis tira sa rapière de son fourreau - cela dit… cela dit je ne tiens pas à déranger le grand Zeus par le fracas de nos cosmos, j'ai des choses plus urgentes à faire que de défigurer ce lieu. "

Un court silence ponctua la dernière phrase du seigneur des archanges.

" Aussi je vous propose un duel, non pas un vulgaire duel de cosmos mais un duel à l'épée comme il s'en faisait autrefois. Le maniement du sabre ne peut être inconnu à un Japonais donc nous sommes à égalité, si vous n'avez pas d'arme je vous en fournirai une mais je vous en prie réglons cela rapidement car je suis pressé ! "

Pour toute réponse l'inconnu ouvrit sa cape et en sortit une épée à double tranchant.

" Mmmh l'épée d'Hadès… Je suppose que vous vous en êtes emparés dans les limbes, ce n'est pas mal. Mais face à moi ce sera très insuffisant. En garde chevalier ! "

Les deux adversaires se saluèrent, le duel pouvait commencer.

*
* *
" As-tu quelque chose à ajouter Athéna ? "

Athéna soupira, elle avait parfaitement compris que cette séance serait la dernière de son procès et que ce n'était qu'une simple formalité maintenant que Zeus avait pris sa décision concernant la Terre.

Bien sûr qu'elle aurait eu quelque chose à ajouter ! Depuis trois jours elle n'avait cessé de se défendre d'avoir commis aucun des crimes qui lui étaient reprochés. Mais cela n'avait servi finalement à rien !

Les olympiens ne voulaient voir les évènements qu'à la lumière de leurs seules connaissances de la Terre et des hommes qui dataient de très longtemps. Les dieux s'étaient assoupis un jour en pensant qu'à leur réveil l'humanité serait restée la même : un troupeau de moutons qui les remerciait tous les jours pour leurs bienfaits et le jour où ils s'étaient réveillés, ils avaient découvert Des hommes arrogants, ne craignant plus les dieux et s'attribuant à eux-mêmes tous les bienfaits consentis par la Nature.

Athéna chercha dans la noble assemblée un regard ami qu'elle trouva en Hestia qui était à elle seule une incitation à la sincérité.

" Vous me demandez si j'ai quelque chose à ajouter pour ma défense mais n'est-ce pas plutôt vous qui devriez vous défendre ? "

Un murmure d'indignation souffla sur quelques places mais s'évanouit assez vite. Ce fut Héra qui avait joué depuis le début le rôle de procureur qui prit la parole.

- Qu'insinues-tu Athéna ? N'avons-nous pas entendu tes arguments et ceux d'Hestia, n'avons-nous pas entendu le témoignage d'Eurydice et celui de Poséidon vaincu par toi ?
- Vous les avez entendus mais vous ne les avez pas écoutés. Du témoignage d'Eurydice vous n'avez retenu qu'une seule chose : tant qu'il a servi Hadès Orphée a vécu, quand il a décidé de lutter à nouveau pour moi sa vie s'est arrêtée.
- Et alors ?
- Alors dans cet intervalle qui sépare la vie de la mort un être humain connaît des émotions, de la passion. Orphée vivait certes mais il était mort et comment aurait-il pu en être autrement puisque son unique amour était mort et qu'il vivait parmi des ombres. Dans le très court intervalle qui a suivi sa prise de conscience il est revenu à la vie ! C'est pour cette raison qu'il n'y a rien à regretter ! Poséidon vous a parlé de son désir de ramener Utopia sur Terre mais pour quoi comptez-vous toutes les vies qui ont été perdues dans l'inondation du monde ?

Héra écumait littéralement de rage. Que cette petite insolente ait l'impudence d'inverser les rôles non seulement dans ce procès mais aussi dans l'ordre de l'univers c'était plus qu'elle ne pouvait en supporter !

- Es-tu en train de nous dire que nous, dieux qui régissons l'univers devrions donner échelle à la vie humaine ?
- Vous autres vivez trop loin des hommes pour voir leur vraie nature. Qu'ils ne soient pas vos semblables vous suffit pour vous donner le droit de les condamner ! Hadès, lui au moins, a essayé de les comprendre mais il a commis la même erreur que vous qui considérez la vie humaine avec un tel détachement parce qu'elle n'est pas éternelle. La mort lui était devenue si familière qu'il finissait par l'apparenter à une continuation de la vie qui n'était pour lui que souffrances.

Un court silence passa, Héra aurait voulu répliquer mais Zeus, sortant de sa réserve lui intima l'ordre de se taire. Athéna poursuivit donc.

- La vie est bien plus qu'un simple cycle précédant la mort, elle est la raison d'être de l'homme, grâce à ses souvenirs il n'a pas de regrets en quittant ce monde car il sait y avoir laissé sa trace.
- La vie n'est que souffrances ! Les hommes eux-mêmes devraient nous louer de les débarrasser de ce fardeau !
- Oui la vie est souffrances !! Elle est aussi haine et rancœur ! Mais elle est aussi amour et amitié, c'est là le sens du mot vivre ! Les hommes ne sont pas des dieux, c'est peut-être pour cela que leur vie a un sens.

Héra fut sur le point d'éclater mais Zeus une nouvelle fois la retint. Et pour l'une des premières fois depuis le début de ce procès il sortit de sa réserve.

- Athéna, qui espères-tu convaincre avec de tels arguments ? Ton amour pour les hommes t'aveugle. J'ai vu les hommes naître, souffrir et mourir. La vie ce n'est pas eux qui l'ont créée, ils n'en ont pas décidé les règles alors que nous autres avons su nous élever au-dessus de la souffrance physique avec le 7ème sens, au-dessus de la mort avec le 8ème sens et enfin au-dessus de la condition humaine elle-même avec le 9ème sens. C'est cette maîtrise du destin qui fait de nous des dieux. L'humanité n'est finalement que le reflet de notre ancienne condition, sans doute devons-nous à un dieu inconnu la création de l'univers, la vie et ce cœur qui nous sert à aimer mais les faits sont là ! En dépit de la présence des dieux à leurs côtés seule une poignée d'êtres humains ont pu dépasser leur condition, ils siègent ici.

Zeus jeta alors un regard circulaire autour de lui, Héra rayonnait d'admiration pour son mari, Apollon semblait absorbé dans la contemplation de sa lyre, Héphaïstos souriait avec insolence, Poséidon était nerveux. Seul Arès semblait le regarder de façon équivoque… un mélange d'affection, de pitié et d'estime, voilà ce que contenait son regard. Zeus eut quelque mal à s'en détacher puis surmontant son malaise il continua.

Zeus s'était levé et d'un geste assez ample il avait signifié qu'il prenait tous les dieux présents à témoins de ses dires.

- Mais nos frères humains devant leurs échecs répétés à s'élever au dessus de leur condition, après nous avoir accusés d'être la cause de leurs maux n'ont rien trouvé de mieux à faire que de nous oublier.

Athéna, bien qu'elle n'eut perçu aucun signe allant dans ce sens se permit de reprendre la parole.

- " Un jour les dieux fatigués des guerres des hommes se sont endormis. Quand ils se sont réveillés les hommes n'avaient plus besoin de Dieu. " Dire que toute l'histoire des dieux et des hommes se résume à cela…

Zeus reprit alors d'une voix forte qui n'admettait aucune discussion.

- Tu te trompes Athéna. Les dieux ne vont pas disparaître parce que les hommes les ont oubliés, aujourd'hui c'est l'humanité qui va tomber dans l'oubli parce que ses dieux se seront lassés d'elle. Hadès avait raison : les hommes sont des êtres stupides, jamais ils ne nous égaleront. Leur existence est désormais superflue et leur fin inéluctable. Il est maintenant temps de rendre un verdict. Que les olympiens se lèvent et disent si oui ou non Athéna est coupable de crime contre la divinité.

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Cette fiction est copyright Diego Jimenez.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.