Chapitre 1 : Les trois espions


On le fit appeler un matin très tôt. Le soleil n'était pas encore levé sur la Cité des Cieux et les Anges ne circulaient pas encore un peu partout. Tout en se demandant ce que pouvait bien lui vouloir le Grand Maître, l'Archange se dirigea vers le palais divin. Ce n'était pas dans les habitudes de Zeus de convier ses chevaliers de si bonne heure, dans un si grand mystère. Ezéchiel ne savait trop que penser de tout cela. Ses confrères n'avaient apparemment pas été appelés.
Une fois devant le palais, on le laissa entrer sans problème et il retrouva Ganymède, le Conseiller de Zeus, dans la salle principale, là où se déroulaient les réunions en temps normal. Elle était immense, recouverte d'un blanc nacré très pur qui aurait ébloui le plus commun des mortels. La table ovale au marbre immaculé était vide. Sur les quatorze sièges des Archanges et du roi des dieux, seul celui de Ganymède était occupé. Lorsqu'il s'immobilisa devant son supérieur, Ezéchiel sentit le regard perçant du Conseiller posé sur lui. Ce dernier était impassible, ses courts cheveux blonds délicatement bouclés encadrant son magnifique visage d'albâtre. L'Archange affronta les yeux d'un bleu profond du Conseiller durant quelques secondes puis mit un genou à terre dans un salut respectueux.

- Seigneur, dit-il.

Ganymède hocha la tête d'un air satisfait et lui fit signe de se relever. Ezéchiel s'exécuta.

- Pardonne l'heure et le secret de cette convocation chevalier, lança le Conseiller, mais Zeus doit s'entretenir avec toi au plus tôt.

Ezéchiel resta coi. Zeus avait donc un message pour lui. Mais pourquoi ? Et pourquoi toute cette mise en scène ? Il savait bien que Zeus ne faisait jamais rien par hasard. L'archange sentit son anxiété augmenter.

- Je suis à votre service, répondit-il.
- Avant toute chose, il faut que tu sache que tout cela devra rester secret, prévint Ganymède. Pas un mot ne doit filtrer du palais. Est-ce bien clair ?
- Certainement.
- Fort bien. Alors suis-moi.

Ezéchiel vit le Conseiller de Zeus quitter son siège et se diriger vers le fond de la pièce où se trouvait une haute porte d'ivoire sculptée et ciselée de main de maître. Les reliefs représentaient chaque dieu de l'Olympe et des milliers de petits anges entourés de larges rubans. Le réalisme des scènes était tout à fait saisissant et comme chaque fois qu'il les regardait, l'Archange sentit un frisson lui parcourir l'échine. Il comprit alors que c'était l'oeuvre d'Héphaïstos lui-même. Derrière se trouvait le trône de Zeus, roi des dieux.
Ganymède saisit l'un des deux anneaux qui reposaient sur la porte et fit pivoter un battant. La palais entier était silencieux. L'Archange emboîta le pas à son supérieur et passa le seuil de la demeure du maître de l'Olympe. Aussitôt, l'imposante aura du dieu vint l'entourer. La puissance de Zeus était tout bonnement inimaginable. Le cosmos qu'il dégageait était doux, calme, d'une chaleur apaisante. Pourtant Ezéchiel savait que son dieu ne pouvait souffrir aucun rival lorsque sa terrible colère fendait les cieux, faisait trembler la terre et foudroyait les Hommes. L'Archange ferma les yeux un instant pour apprécier chaque onde de l'aura de son maître. Puis Ganymède continua et ils se retrouvèrent tous deux devant le dieu des dieux, devant Zeus. Les Archanges s'inclinèrent humblement.

- Te voilà Ezéchiel, commença une voix grave et chaude comme un grondement de tonnerre. Sois le bienvenu, je t'attendais.

Ezéchiel leva la tête et reconnut avec un sourire béat les traits du visage qui l'observait. Zeus possédait une carrure puissante et vigoureuse malgré son âge. Ses cheveux argentés à l'aspect soyeux retombaient gracieusement sur ses épaules, se mêlant à sa longue barbe frisée. Il avait une peau burinée, dorée par le soleil, au milieu de laquelle brillaient des yeux plus bleus que le ciel, à l'intensité à peine croyable et un nez aquilin très élégant. Son corps semblait taillé dans la pierre, entouré d'une large toge blanche. Tout son être dégageait la puissance et la bienveillance. L'Archange mit une main sur son coeur.

- Je suis à vos ordres, dit-il.

Zeus était un dieu juste et bon.

- Je le sais, reconnut le roi des dieux. Et j'espère que tu comprendras ce que je vais te demander. Un problème me préoccupe mon ami et c'est la raison de ta présence ici. Ganymède a du t'expliquer que cette conversation devra rester secrète pour le moment ?

Le Conseiller hocha la tête. Zeus poursuivit.

- Cette mission te concerne toi et deux de mes autres Archanges, fit-il. Je les ai convoqués eux aussi, ils arriveront séparément dans quelques instants. Cette précaution était nécessaire pour ne pas attirer de soupçons, tu l'auras compris.

Ezéchiel tenta de masquer sa surprise.

- Nous partons donc en mission Seigneur ?
- Pas exactement, rectifia le dieu. Cela concerne surtout vos apprentis.

L'Archange se figea et Zeus sourit devant sa mine ahurie.

- Je les envoie sur Terre.

* *
*
- Sara !!

L'Archange Hébé bondit jusque devant sa demeure et me lança un regard courroucé tandis que je m'enfuyais à toute allure, secouée de fou rire. Mon ami Jonas tentait désespérément de me faire signe dans le dos de Hébé mais celle-ci, fulminante, le renvoya à son entraînement à grand coup de pied dans le derrière. Je décidai de m'éclipser le plus rapidement possible avant qu'elle n'ait l'idée de me faire subir le même sort.
Plaignant le pauvre Jonas de tout mon coeur, je me fondis rapidement dans les dédales nuageux de la Cité. Mais mon fou rire m'empêchait de respirer normalement et je dus m'arrêter un moment pour me calmer. Hébé était vraiment trop sévère, Jonas n'avait jamais le droit de s'amuser. Heureusement, j'étais là pour le distraire ! En repensant aux tours que je venais de lui jouer, je ris de plus belle, ce qui eut pour effet de me provoquer un point de côté. Si mon maître était là, j'en prendrais certainement pour mon grade. Les Archanges ne plaisantaient jamais avec l'entraînement.
Au bout d'un moment, je jetai un oeil alentours pour m'assurer que Hébé n'avait pas continué la poursuite et sortis de ma cachette. Normalement, je devrais moi aussi être en train de faire mes exercices comme mes onze amis apprentis chez les Archanges de Zeus mais mon maître s'était absenté ce matin-là pour je ne sais plus quelle affaire. Autant m'amuser un peu, personne n'était là pour m'en empêcher ! Il était encore très tôt et la Cité des Cieux, que l'on appelait aussi Babel, était tranquille. L'aube nimbait les épais nuages blancs de lueurs roses et orangées, comme une couronne de feu et les murs nacrés scintillaient plus que des pierres précieuses. Le Domaine de Zeus était magnifique et j'en restais muette d'admiration. Dans peu de temps, des dizaines de paires d'ailes blanches virevolteraient dans le ciel, aussi légères que de simples plumes. Les Anges étaient si beaux et si gracieux ! Comment pouvait-on se passer d'ailes ? Je me demandai bien de quelle façon vivaient les humains. Les Anges n'allaient jamais sur Terre. Pourtant on racontait souvent les histoires d'humains à la puissance prodigieuse. Les chevaliers d'Athéna exerçaient une véritable fascination sur moi. On disait tant de choses à leur sujet ! J'avais vu les Anges de Zeus, les Amazones d'Artémis, les Généraux de Poséidon, les Spectres d'Hadès, les Artistes d'Apollon, les Messagers d'Hermès et les Berserkers d'Arès mais jamais encore les Chevaliers de la déesse si honorable qu'était Athéna. Même Zeus avait de l'admiration pour elle. Qu'avaient-ils donc de si spécial ces humains ? J'aurais voulu savoir, j'aurais tant aimé les rencontrer...

Quand je fus sûre que personne ne m'avait suivie, que je ne risquais plus rien, je me détendis. Je n'avais aucune idée de l'endroit où était mon maître ni de quand il rentrerait donc je m'installai confortablement pour réfléchir à la prochaine victime de mes visites explosives. Toutefois, au moment où je plongeais dans mes pensées, une silhouette surgit brusquement devant moi et me fit pousser un hurlement de frayeur. Paralysée, le coeur battant la chamade, je dévisageai le jeune Novice qui était plié en deux devant moi, riant aux éclats. Immédiatement, je me renfrognai.

- Aaron ! sifflai-je, vexée de m'être faite surprendre aussi facilement.

L'apprenti de l'Archange Zacharie me toisa avec un grand sourire moqueur. Je remarquai aussitôt les deux fossettes charmeuses qui s'étaient creusées dans ses joues. Les yeux ambrés du jeune garçon pétillaient de bonheur et il passa une main dans sa tignasse auburn avant de repartir d'un grand éclat de rire, ce qui eut pour effet d'ébouriffer les plumes de ses ailes.

- Désolé, s'exclaffa-t-il, je n'ai pas pu m'en empêcher ! A voir ta tête, tu préparais encore un mauvais coup... avoue-le Sara !

Je réprimai un sourire.

- Je reviens de chez Jonas, avouai-je. Hébé était folle de rage !
- Je sais, répondit-il. C'est ça qui m'a mis sur la voie. Je n'avais plus qu'à me rendre dans ta cachette favorite pour te trouver.

Je m'étonnai alors.

- N'es-tu pas à l'entraînement avec maître Zacharie ?

Aaron vint s'installer à mes côtés et croisa les bras derrière sa tête en fermant les yeux.

- Non, mon maître est parti pour le palais, Ganymède l'a fait demander, expliqua-t-il. Il n'a pas voulu me dire ce qu'il se passait.

Un déclic se fit subitement dans mon esprit et je me souvins que maître Ezéchiel était également parti pour le palais de Zeus ce matin très tôt.

- C'est étrange, dis-je.
- Quoi ? lâcha mon compagnon.

Je haussai les épaules.

- Mon maître est également allé voir Ganymède. Je me demande pourquoi le Conseiller a convoqué deux Archanges si tôt...

D'habitude, les douze Archanges de Zeus se retrouvaient tous en même temps avec Ganymède dans la grande salle de réunion. C'était le roi des dieux lui-même qui présidait chaque séance. Les Anges, les Chérubins et les Novices n'avaient pas le droit d'y assister.

- Trois, rectifia soudain Aaron d'un air vague.

Je revins à moi et lui jetai un regard interrogateur.

- Quoi, trois ? fis-je sans comprendre.

Il pencha nonchalamment la tête vers moi avec ce petit air supérieur qu'il prenait souvent lorsqu'il savait quelque chose que j'ignorais. J'avais horreur de ça et une envie subite me vint de me jeter sur lui pour le chatouiller - il ne supportait pas ça - jusqu'à ce qu'il avoue.

- Tu n'es pas au courant ? me nargua-t-il en haussant un sourcil.
- Allez Aaron, crache le morceau, m'impatientai-je. Trois quoi ? Que veux-tu dire ?

Aaron jubilait.

- Trois Archanges, pardis ! pouffa-t-il.

A ces mots, j'ouvrai des yeux ronds.

- Trois Archanges ?? répétai-je bêtement.

Il tendit lentement l'index de sa main droite et le posa au milieu de mon front pour pousser ma tête en arrière d'un geste sec. Je le repoussai et le toisai fermement dans l'attente d'une réponse.

- Ganymède vient de faire demander deux autres Archanges en plus d'Ezéchiel qui y était déjà, déclara-t-il. Ils sont trois à présent : Zacharie, Ezéchiel et Hébé.
- Hébé ! m'écriai-je sidérée.

Aaron acquiesça.

- Elle vient juste de partir.

Je bondis tout à coup sur mes pieds et saisis mon compagnon par le poignet avant de déployer mes ailes à deux centimètres de son visage.

- Pourquoi ne l'as-tu pas dit plus tôt ? le tançai-je.
- Hé ! Attention à...

Je ne lui laissai même pas le temps de finir et m'envolai sans attendre pour filer à toute vitesse vers la demeure d'Hébé, traînant un Aaron échevelé derrière moi. Il chercha à retrouver son équilibre, en vain et ne réussit qu'à basculer en avant.

- Saraaaaaa... !

Quand nous arrivâmes sur les lieux de mon dernier délit, Jonas était tranquillement assis contre une murette et jouait de la lyre de ses longs doigts agiles. Je souris, libérant Aaron qui s'affala par terre. J'adorais écouter Jonas. Il avait tellement de talent pour la musique ! Ses doigts paraissaient danser sur les cordes qui vibraient de plaisir. Les notes s'envolaient comme par enchantement et le monde autour de moi n'existait plus. Jonas était un garçon très sensible. D'ailleurs, son apparence elle-même était plus frêle, plus délicate que celle des autres garçons. Il ne se battait pas avec les apprentis comme Aaron, préférait rester seul avec sa lyre et moi je le regardais et l'écoutais pendant des heures. Ses longs cheveux bruns étaient attachés en catogan sur sa nuque, libérant un visage fin aux traits presque féminins et d'immenses yeux gris qui brillaient sans cesse.
Soudain, une main s'agita devant mon visage et me ramena à la réalité. Je clignai plusieurs fois des paupières.

- Tu m'entends ? lança Aaron. Tu me traînes jusqu'ici à la vitesse de l'éclair et ensuite, tu t'endors ?!
- Idiot, rétorquai-je. Tu as moins de sensibilité qu'une chaise en bois !

Il me fit une grimace qui me fit pouffer de rire.

- Et toi, cingla-t-il, tu rivalises de grâce et d'amabilité avec une Gorgone !
- C'est moi que tu traites de Gorgone... ?! Limace à plumes !
- Retire ça tout de suite ou bien je...

En entendant notre paisible échange de politesses, Jonas ouvrit les yeux, cessa de jouer et sourit.

- Allons, nous sommes tous amis ! lança-t-il rayonnant.

Aaron croisa les bras et fronça les sourcils d'un air grognon.

- C'est ça, marmonna-t-il.

Jonas se mit à rire.

- Quel joli couple.
- Non mais tu délires !! criâmes-nous en coeur.

L'apprenti d'Hébé haussa les épaules, prêt à nous laisser à notre dispute pour en revenir à ses occupations.

- Faites comme si je n'étais pas là, dit-il.

Je tournai le dos à cet imbécile d'Aaron.

- Limace à plumes, répétai-je.
- Gorgone, rétorqua-t-il.
- C'est la dernière fois que je t'adresse la parole, prévins-je.
- Et moi c'est la dernière fois que je te mets dans la confidence de...

Je sursautai tout à coup.

- Par tous les Anges du ciel ! m'écriai-je, coupant Aaron dans ses remontrances. Jonas, il faut qu'on te parle !

Jonas interrompit une fois de plus la course de ses doigts sur les fines cordes de son instrument divin. En une seconde, j'étais à ses côtés pour le bombarder de questions.

- Hébé est partie chez Ganymède, elle aussi ?
- A l'instant, confirma Jonas gaiement.

Aaron s'assit à son tour à ma gauche.

- Heureusement que tu es ma meilleure amie, ironisa-t-il. On ne sait jamais, à quelqu'un d'autre, j'aurais pu mentir !

Je ne lui prêtai aucune attention.

- Et tu sais pourquoi ? demandai-je encore à Jonas.

Il fit non de la tête.

- Désolé princesse, c'est une réunion secrète.

Je sentis le frisson de l'excitation monter en moi à cette annonce.

- Splendide !! m'exclamai-je manquant de balancer mon poing dans la figure d'Aaron. Oh... pardon. Viens Jonas, il faut absolument qu'on aille voir ce qui se passe !

Jonas me dévisagea, ahuri, ne saisissant pas pourquoi j'étais si agitée. Je bouillonnais, incapable de tenir en place et souriais de toutes mes dents.

- On va aller faire un tour du côté du palais ! lançai-je triomphante. Je veux savoir ce qu'ils se disent.

Aaron écarquilla les yeux.

- Sara, c'est interdit ! glapit-il.

Je soulevai un sourcil moqueur, parade infaillible contre mon cher Aaron.

- Froussard.

Comme je l'avais prévu, il tiqua.

- Allons-y, déclara-t-il froidement. Et le premier qui se fait prendre est la vraie limace à plumes !

Nous nous levâmes en même temps, dans une attitude de défi. J'adorais faire enrager Aaron ! Il était tellement grognon et tellement susceptible, cela m'amusait énormément. J'essayai de lui cacher mon sourire et nous commençâmes à partir. Mais Jonas ne suivait pas.

- Vous voulez dire qu'on va... les espionner ? fit-il d'une petite voix apeurée.

Aaron et moi échangeâmes un regard.

- Il comprend rudement vite, on devrait l'emmener avec nous.
- Bien parlé René !
- Tu prends à gauche ?
- Entendu. Mais je refuse de rester derrière.
- Pff... J'en étais sûr...

Avant que notre brave Jonas n'ait pu dire un mot ou faire un geste, je m'emparais de son bras gauche tandis qu'Aaron saisissait le droit. On le traîna alors à notre suite pour filer vers le palais.

- Lâchez-moi tout de suite, je refuse d'être le complice de cette ignoble machination !
- Whaôô ! souffla Aaron impressionné. Il parle drôlement bien ! Je ne connais même pas ce mot !

Je pouffai de rire.

- Vous m'entendez ? reprit Jonas affolé à la seule idée d'aller à l'encontre des règles de Babel. Vous êtes inconscients, irresponsables et puérils !
- Moi aussi je t'adore mon petit ménestrel chéri, minaudai-je en souriant.
- Et moi, non ? fit Aaron plein d'espoir.
- Non.
- Pourquoi c'est toujours moi qui prends ?

Les alentours du palais étaient déserts et silencieux. Je me glissai vers un mur le plus discrètement possible, suivie d'Aaron et Jonas. Les trois Archanges, Ganymède et Zeus devaient se trouver dans la salle de réunion, à moins qu'ils ne soient déjà dans celle du trône. Peu importait, il y avait un passage, connu de très peu de personnes qui m'avait maintes fois permis de laisser traîner une oreille indiscrète dans les conversations. La faille n'était pas loin et j'approchai lentement. Derrière moi, Aaron et Jonas discutaient activement.

- C'est très dangereux, disait Jonas.
- Ne sois pas peureux, Jonas. Ta lyre va finir par te prendre tous tes muscles et ton courage, répliqua Aaron à mi-voix.
- Mais c'est de l'art ! protesta-t-il. L'art, c'est toute ma vie !
- Des jeux de fillettes...
Je toussotai pour les interrompre.

- Taisez-vous à la fin, vous allez nous faire repérer ! fis-je. Entrons.

Ils s'immobilisèrent, interloqués.

- Entrons ?
- Entrons où ça ?

Ma main chercha à tâtons la seule dalle qui n'était pas scellée et je la fis basculer dans le vide. Le passage apparut soudain devant nous, étroit couloir qui serpentait au ras du sol.

- Par là !

Sans attendre, je repliai mes ailes dans mon dos et me mis à plat ventre pour ramper dans le couloir. Quelques instants plus tard, j'entendis des grognements étouffés derrière moi, signes que Jonas et Aaron n'arrivaient pas à se mettre d'accord pour savoir qui passerait en premier. Je les oubliai un moment pour me concentrer sur la galerie secrète. La pierre était dure et froide sous mes doigts et je n'y voyais presque rien. Il régnait partout une lourde odeur de poussière et de renfermé. J'espérai tout à coup ne pas rencontrer d'araignées, je détestais ça bien plus encore que les mauvaises blagues d'Aaron.
Le tunnel se mit peu à peu à monter et la progression devint plus délicate. Le plafond était si bas que je me cognai la tête plusieurs fois, retenant à moitié des exclamations de douleur.

- Si ça continu comme ça, tu ressembleras plus à un diable cornu qu'à un ange ! railla quelqu'un non loin.

Je balançai un coup de pied au hasard derrière moi et atteignis une surface dure qui ressemblait à un nez. Le juron qui fusa aussitôt me confirma que c'était bel et bien Aaron qui occupait la deuxième place.
Au bout de quelques minutes de tortillements et de dures séances de contorsions, j'aperçus enfin une lueur et souris.

- Et la lumière fut !

Le passage débouchait directement sous le comble du palais, juste au-dessus de la salle du trône. Les immenses vasistas offraient une vue plongeante sur la pièce à travers leurs vitraux multicolores. Les voix graves de plusieurs hommes résonnaient quelques mètres plus bas. De plus en plus agitée, je m'extirpai du tunnel que masquait une planche branlante et me collai contre le carreau. Les trois Archanges étaient là, devant Zeus et son Conseiller. Je brûlai d'envie de découvrir de quoi ils parlaient.

- Aïe, Aaron !
- Pousse ton pied de là, bon sang !

Je les fusillai du regard.

- Chuuttt !! Vous le faites exprès ?

J'indiquai le bas de la pièce du doigt.

- Ils sont là, chuchotai-je au comble de l'excitation.

Immédiatement, je revins vers mon poste d'observation et mes deux compagnons se placèrent à mes côtés. Un Archange se mit à parler, le ton contrarié. C'était Zacharie, le maître d'Aaron.

- Seigneur, fit-il, êtes-vous certain que cela soit une bonne idée ? Après tout, ce serait à nous d'effectuer cette mission.

- Il a raison grand Zeus, intervint Hébé, seule voix cristalline au milieu du choeur de stentors. Nous sommes vos Archanges !

Zeus sourit.

- Crois bien que j'en suis conscient Hébé, mais je n'ai malheureusement pas le choix. Ma décision est prise.

Ezéchiel fit un pas en avant.

- Ce ne sont que des apprentis, seigneur.
- Ils sont tout à fait aptes à remplir cette mission, assura le roi des dieux. A vrai dire, ce sont les seuls à pouvoir le faire, il faut avoir confiance en eux.
- Ils ne sont jamais allés sur Terre, objecta Hébé. Et leur formation n'est pas terminée.

Le dieu jeta un regard à Ganymède qui hocha la tête avant de prendre la parole.

- Ce sera leur première mission, dit-il. Vos apprentis Archanges s'en sortiront parfaitement bien, c'est pour cela que Zeus les a choisis. Comme vous le savez tout ceci en plus d'être nécessaire est d'une importance capitale. Pas un mot à vos disciples. La moindre erreur et c'est tout le plan qui tombe à l'eau. Rappelez-vous bien de cela...
- Merci Ganymède, coupa Zeus gentiment. Ils ont compris.

Le dieu se tourna vers les Archanges.

- Je laisse le soin à chacun d'entre vous de dire à vos apprentis ce qu'ils doivent savoir. Vous connaissez le reste et...

Zeus s'interrompit comme s'il avait subitement eu une vision d'effroi.

- Tout va bien, seigneur ? s'inquiéta Ganymède.

Son maître se reprit et fit un geste évasif de la main.

- J'ai cru... non rien, répondit-il.

J'aurais pu jurer qu'il avait lancé un très discret coup d'oeil dans notre direction. La panique me noua soudain les entrailles.

- Partez ! lançai-je à mes compagnons d'une voix empreinte d'affolement.

Aaron resta interdit.

- Quoi ? Mais pourquoi ? protesta-t-il sur le même ton.
- Partez je vous dis ! Dépêchez-vous, fichez le camp d'ici tout de suite ! ordonnai-je.

Il se ruèrent alors vers le tunnel dans un enchevêtrement de membres et de plumes froissées et s'enfilèrent chacun leur tour dans l'étroit passage. Dès que ce fut possible, je me précipitai à leur suite, le coeur battant la chamade. Je rampai si vite que je m'écorchai les genoux et les mains mais je ne m'arrêtai qu'une fois à l'extérieur, en sécurité. Le souffle court, je me laissai ensuite tomber au sol, non loin de mes compagnons haletants. Le rythme des battements dans ma poitrine se calma petit à petit et je soupirai de soulagement.

- Mais enfin Sara qu'est-ce qu'il t'a pris ? me dit Aaron sur un ton de reproche.
- J'ai failli me froisser une aile dans ma fuite, renchérit Jonas.

Aaron le fixa des yeux, incrédule.

- Et tes cheveux ? demanda-t-il narquois. Ils sont pas trop décoiffés ?

Jonas prit un air digne et je demeurai songeuse.

- Je suis persuadée que Zeus nous a vus, fis-je.

Ces quelques mots provoquèrent la terreur de mes deux amis.

- Tu es sûre de ça ? s'écria Jonas.

Il avait failli casser une corde de sa lyre sous le coup de la peur.

- C'est impossible, assura Aaron aussi inquiet que nous. Si c'était le cas, il nous aurait fait arrêter ou quelque chose comme ça, non ? Il était trop pris dans la conversation pour s'apercevoir de la présence de trois Novices... enfin, j'espère.

Je devais bien avouer qu'il avait raison mais mon angoisse ne voulait pas disparaître.

- Peut-être mais...
- Si on est découvert, ce n'est pas de la chance qu'il va nous falloir pour garder nos ailes, c'est un miracle !
- Jonas, si c'est tout ce que tu as à dire, tais-toi, ce sera beaucoup mieux pour nous, rétorqua Aaron.

Il se tourna vers moi.

- Tu peux avoir confiance, on était bien cachés, reprit-il. Et même si ça m'arrache les plumes de dire ça... Jonas a raison, nous serions déjà morts si on avait été découverts.

Je tentai de me persuader qu'il n'y avait pas de dangers.

- Oui, admis-je peu convaincue. Oui, tu as sûrement raison.

Ils n'étaient pas plus rassurés que moi, je le voyais bien. Peut-être pensaient-ils eux aussi à ce que nous venions d'entendre et avaient-ils du mal à le croire... Les paroles de Zeus me revinrent tout à coup en mémoire, aussi nettement que s'il venait de les répéter devant moi. Apparemment Jonas avait suivi le même raisonnement que moi. Il semblait très inquiet et rongé par le remord.

- Ils vont vraiment nous envoyer sur Terre ? fit-il.
- Peut-être qu'ils ne parlaient pas de nous, risqua Aaron qui ne croyait pas lui-même à ce qu'il disait.

Jonas secoua la tête.

- Ce n'est pas un hasard si ce sont nos maîtres que Ganymède a convoqués, dit-il. C'est forcément de nous qu'il s'agissait. Je crois bien qu'on va nous donner une mission... sur Terre.

J'étais paralysée et ne savais trop si c'était la peur ou le bonheur qui me submergeait lentement. Je n'arrivais pas à y croire.

- Sur Terre...

Ce seul mot mit plusieurs secondes à prendre son ampleur véritable dans ma tête. Je n'étais jamais allée sur Terre... Soudain quelque chose explosa dans mon esprit et je sautai sur mes pieds, folle de joie. On nous envoyait sur Terre ! Sur Terre !

- C'est fabuleux ! m'exclamai-je en riant. Génial ! Extraordinaire !

Il me semblait que des feux d'artifices virevoltaient dans tous les sens et une envie incontrôlable me vint de crier et hurler à la ronde. Incapable de tenir en place, je m'envolai pour effectuer plusieurs cabrioles, sous les yeux éberlués d'Aaron et Jonas.

- Tu trouves ça bien, toi ? s'indigna Aaron.

J'acquiesçai vigoureusement.

- Génial, génial, génial !!
- Cela pourrait être dangereux, remarqua Jonas en crispant les mains sur sa lyre.
- Si c'était dangereux, on ne nous enverrait pas nous, simples Novices, objectai-je. Je suis sûre que ça va être super. On va visiter la Terre, vous vous rendez compte de la chance qu'on...

Brusquement, Aaron fondit sur moi et me plaqua une main sur la bouche avant de m'entraîner derrière le mur. Jonas se précipita lui aussi, me faisant signe de me taire. Le silence tomba sur nous et soudain, j'entendis ce qu'ils avaient repéré bien avant moi.

- ...le plus vite possible, disait la voix de Ganymède.
- Bien, répondit Zacharie.

Quatre ombres passèrent sur le sol et les bruits de pas s'éloignèrent peu à peu. Les trois Archanges assuraient au Conseiller que tout se passerait pour le mieux. Ils reviendraient dès que tout serait arrangé pour faire leur rapport. Puis leurs voix moururent tandis qu'ils disparaissaient.
Un moment plus tard, Aaron me libéra et nous nous détendîmes.

- Il s'en est fallu de peu cette fois, soupira Jonas.

Aaron regarda si personne ne pouvait nous voir et sortit.

- Il va falloir qu'on rentre, lança-t-il. Nos maîtres vont voir que nous avons disparu.
- Oui, répondis-je. Ils vont peut-être tout nous expliquer sur cette mission, allons-y.

Jonas me coupa la route.

- Surtout, il ne faut rien dire ! fit-il. Ils ne doivent pas s'apercevoir qu'on sait tout. Pas un mot avant qu'ils ne nous aient tout dit !
- On n'est pas totalement stupides Jonas, tu sais, railla Aaron.
- Alors partons chacun de notre côté, proposa-t-il.
- Entendu, mais retrouvons-nous cette nuit, ici même, s'ils nous ont tout raconté, d'accord ? fis-je.

Aaron et Jonas hochèrent la tête.

- J'espère que maître Hébé ne se rendra compte de rien... gémit une petite voix.
- Jonas !!

Après un instant, nous nous envolions chacun vers notre demeure respective.

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Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.