Chapitre 6 : Le Jardin des Hespérides


Je faisais face à une aura si douce mais à la fois si puissante, je n'en revenais pas…
Nous nous retrouvions encerclés dans une bulle transparente et cependant palpable : des souvenirs lointains et si proches pourtant ressurgissaient alors de ma mémoire qui, jusqu'à présent, ne m'avait encore jamais fait défaut.
Athéna… Elle avait essayé de nous éloigner du danger, de cette bataille sanglante face à son oncle, le Dieu des Enfers. Elle nous avait enfermé dans cette même bulle vitale qui avait pour but de nous ramener vers ce que nous pouvons appeler notre terre natale. Elle pensait ainsi nous libérer enfin de nos chaînes, d'un fardeau que nous avions porté si longuement. Elle voulait enfin nous délivrer d'un destin de Chevalier et donc de sacrifices. Tant de sacrifices…mais aucun regret.
La perte de la vue ne m'avait en rien affecté. Au contraire, cela m'avait permis de développer mes autres sens. De retour sur Terre, laissant derrière nous les ruines d'Elysion, et sans notre Déesse, je n'avais pas recouvré la vue. Mais un miracle inopiné se produisit alors que je suivais cet entraînement surhumain avec mes frères sur les cimes de l'Himalaya : une chance, imprévue, presque inespérée, m'était une ultime fois offerte.
Depuis mon éveil momentané au 9ème sens et au surpassement de moi-même en Himalaya, petit à petit je m'étais aperçu que mes yeux à nouveau se mettaient à voir les choses dans toutes leurs facultés.

La bulle prenait de la vitesse mais je me sentais étrangement protégé : c'était comme si je me trouvais tout à coup dans les bras de cette mère que jamais je n'avais eue auprès de moi. J'eus l'impression que cette dame âgée prenait soin de moi, je me sentais tendrement soutenu par l'aura de Rhéa…
Aucune crainte ne subsistait alors en moi en ce moment : j'étais redevenu un petit enfant dans les bras de sa nourrice. Il existait un échange invisible entre elle et moi : je faisais comme partie d'elle, elle me berçait en son sein, maternellement, étrange sensation de béatitude… Je ne savais pas jusqu'où j'allais être emmené. Les décors autour de la bulle étaient flous, je ne discernais rien de plus que des couleurs éparses, un patchwork de couleur plus vives les unes que les autres, rien de reconnaissable. Je décidai alors de me concentrer : les yeux clos, je canalisai mon énergie afin de faire face aux pires dangers qui se dresseraient sur ma route.
Je me sentis léger, aucune contrainte physique ne pesait sur moi, mon armure avait le poids d'une plume. C'était comme si mon âme s'élevait vers les cieux.
La mère des Dieux était-t-elle notre ange gardien ou fallait-il nous en méfier ? Je n'avais pas réussi à lire en elle, je n'avais vu que ce qu'elle souhaitait bien nous montrer. Ses yeux d'un vert émeraude m'éblouissaient de leur beauté et m'hypnotisaient de leur vigueur semblable à celle d'une force de la nature, d'un chêne millénaire… J'avais énormément de respect pour cet être solitaire, pour la mère de toutes les mères…
Elle me rappelait mon vieux maître, aussi dur que du bambou et plus souple qu'une brindille d'herbe. Il était un véritable élément de la nature doté d'une absolue sagesse acquise après 261 années d'existence et de dévouement envers notre Déesse, pour que les hommes jamais ne soient opprimés. Tant de réflexions me traversèrent l'esprit !
Cela faisait un bon moment que j'étais enfermé dans cette sphère, cependant, en ce lieu, le temps était relatif. Peut-être que tout dans cette dimension échappait aux lois imposées sur Terre ? La contrainte horaire que Saga nous avait prescrite m'inquiétait fortement : jamais nous n'avions eu une limite de temps aussi brève pour mener nos combats. Mais la chance était peut-être à nouveau de notre côté, Rhéa elle-même nous avait rassurés quant à la perception divine de la temporalité en ces lieux.


Un sourire troubla le masque de sérénité qui s'affichait depuis le début sur mon visage.
Etais-ce le fait de me retrouver plus proche d'Athéna ou bien cet état soporifique, irrésistible, magnétique, que me procurait cette bulle de vie, qui me donnaient l'impression d'un bien-être apaisant et magique ?
J'avais envie de dormir, je sentais mes paupières se fermer toutes seules… Je sombrai alors dans un profond sommeil, tranquille et paisible. C'était comme si je n'allais pas devoir affronter de terribles épreuves, comme si je m'endormais pour rejoindre un monde de merveilles…


Deux jours plus tard sur les pentes du mont Atlas, en Mauritanie


- Chevalier du Dragon, valeureux Chevalier réveille-toi.

Je reconnus la voix de cette divinité qui m'avait conduit jusque là.

- Mais où suis-je Rhéa ?

À cet instant je vis deux formes se dessiner dans un ciel couleur turquoise, éblouissantes de lumière et de majesté. Les yeux de Rhéa alors se profilèrent à l'horizon : ses yeux me parlaient doucement, ils semblaient avoir gardé leur autorité d'antan. Sa voix suave, cassée par le temps et devenant par moment rauque parcourait toute ma chair.

- Shiryu, tu as été conduit jusqu'à cette île que l'on appelle aussi l'île d'Atlas. Te voilà dans les jardins d'Héra, nommés également les jardins des Hespérides. Chevalier du Dragon, il te faudra partir à la recherche d'un arbre sacré, cadeau de la Mère-Terre à la mère des Dieux. Ce pommier sacré n'a rien de commun avec tous les autres arbres fruitiers que porte la Terre, cet arbre divin produit des pommes d'or. Tu devras en cueillir trois et uniquement trois. Ni plus, ni moins ! Ensuite il te faudra trouver la porte menant à la sortie. Mais fais bien attention, serviteur d'Athéna, tu devras faire face à de nombreux obstacles qu'Héra a placés un peu partout sur son territoire, dont un particulièrement redoutable. Tu ne t'en sortiras peut-être pas vivant. Prends garde à toi… Je ne te dissimulerai pas que bon nombre d'hommes plus valeureux les uns que les autres s'aventurèrent dans les profondeurs de ces jardins, mais jamais aucun n'en est réapparu vivant. Du moins presque aucun… Un seul homme, mi-dieu mi-homme réussit cet exploit. Cependant il usa d'un vil stratagème pour y parvenir. Mais tu n'es pas un demi-dieu… Méfie-toi des chemins tortueux…méfie-toi de tout…
- Mais où devrai-je aller lorsque j'aurai réussi mon épreuve ?


Sa voix s'éteignit dans le silence et des éclairs jaillirent alors de tous côtés. Puis, dans un bruit tonitruant, les yeux couleur nature disparurent : je comprenais mieux de qui Zeus tenait ce pouvoir foudroyant…
Je me relevai alors, encore titubant et à moitié conscient, jetant un regard tout autour de moi.
La splendeur de ce jardin divin m'aveugla à tel point que je ne pus garder les yeux ouverts.
Milles odeurs, fruitées, sucrées, acidulées, amères, iodées, fines et légères, parfumées d'une multitude d'arômes, titillaient alors mes sens, et pourtant une seule d'entre elles retint mon attention. Enivrante, elle en devenait obsédante. Instinctivement je suivis cette lignée parfumée qui se traçait devant moi, décidant de garder mes yeux clos en vue de me concentrer à un niveau optimum sur mon odorat.
Jusqu'où me mènera-t-elle, cette odeur subtilement exaltante ?
Je contournais des dizaines d'arbres, allant où cette odeur me menait. J'étais tel un somnambule errant en pleine nuit, suivant son instinct et se dirigeant il ne savait où.
Une fois encore, une force inconnue m'attirait vers ce lieu nouveau. Je ne sais combien de temps s'écoula avant qu'enfin j'arrive à cet arbre enchanteur… Une éternité passa ainsi.
Soudain apparue à l'horizon, une lumière chaude me caressa le visage. Doucement, j'ouvris les yeux. Une lumière éclatante m'aveugla alors brusquement. D'un geste rapide, je ramenais mon bouclier au niveau du visage et, petit à petit, mes yeux s'habituèrent à cet éblouissement. Je devinais alors tout l'éclat des légendaires pommes d'or. Je ne ressentais aucun danger imminent, aucun cosmos ennemi, alors je m'approchai afin de cueillir les fruits sacrés et ainsi achever mon épreuve avec succès. Sur l'arbre, trois pommes exactement pendaient des branches, un mètre séparait ma main de la première que je m'apprêtais à arracher.. Mais sans comprendre comment, je me retrouvai immédiatement projeté à une dizaine de mètres de l'arbre.

Qu'est ce qui avait pu me projeter si loin et qui plus est sans que je ne m'en aperçoive ? J'avais reçu comme un coup de fouet et pourtant, je ne voyais rien. Étrange…
C'est alors que je me souvins d'une histoire que me comptait mon Vieux Maître aux profondes pensées.

" Dans le jardin le plus somptueux que la Terre ait jamais porté, un arbre au pouvoir exceptionnel était protégé par un monstrueux dragon à cent têtes. Il avait la faculté de se fondre dans la nature aussi aisément qu'une taupe dans son trou. Lorsqu'on lui tranchait une tête, celle-ci immédiatement repoussait à la place du membre sectionné : ce dragon est légendaire, il porte le nom de Ladon. Dans les temps anciens il fut tué par Hercule lors de l'accomplissement de ses douze travaux. Héra, pleurant sa mort, plaça Ladon au milieu des étoiles où figure à jamais la constellation du dragon… "

Ainsi ce serait ce dragon mythique qui m'avait attaqué ? Pourtant je ne ressentais aucune énergie négative autour de cet arbre, je ne discernais aucun danger. Tout avait l'air si calme…
Je me tenais à présent sur mes gardes, tentant à nouveau une approche de l'arbre. Je fus à nouveau projeté quelques mètres plus loin.

" Par Athéna, que m'arrive-t-il ? "

Le sol se mit à trembler, les feuilles des arbres s'agitaient frénétiquement : tout s'était mis à vibrer autour de moi.
Le sol sous mes pieds se souleva soudain et en surgit le mythique monstre à cent têtes. Je me retrouvai alors au sommet de l'une de celles-ci : j'avais l'impression d'être propulsé à des kilomètres dans les cieux. Le dragon poussa un hurlement tout droit sorti des enfers. Je me tenais les oreilles, mes tympans sifflaient à cause de ce rugissement infernal.
Mais quelle était cette bête ignoble ?
J'atterris un genou au sol, plaçant mon bouclier, par réflexe, en position de défense. Que pouvais-je faire contre une force de la nature ? Je fis exploser ma cosmoénergie. Il ne semblait aucunement perturbé par ce déploiement d'énergie.

" Que la colère du dragon t'emporte ! Non, impossible… "

Mes coups ne causèrent aucunes blessures à ce dragon indomptable, pas même une égratignure. Mais comment ?

Qu'est ce qui pouvait provoquer une telle fureur en lui ? La rage se lisait dans ses yeux, rouges de colère. Il me fixait comme attendant un geste, une parole de moi. En fait, je pouvais le comprendre, il ne faisait que son devoir, ce qu'on lui avait ordonné de faire, c'est-à-dire protéger des étrangers ce pommier divin, comme nous, Chevaliers, protégions Saori. Voilà quelle était sa mission.

" Écoute-moi, dragon sacré, je ne suis pas venu en ennemi. Tout comme toi j'ai une mission à accomplir. Je ne te veux aucun mal. Ma constellation est la tienne. Qui mieux qu'un dragon peut comprendre un autre dragon ? Je sais que tu ne cherches qu'à remplir ton devoir envers la personne qui t'a placé en ce lieu. Moi aussi j'ai une mission, un but : mon devoir est de sauver ma Déesse, et pour cela j'aurai besoin de ton aide… Laisse moi cueillir uniquement ces trois pommes d'or. D'elles dépend la survie de tous, et même la tienne Ladon. Ta colère n'a pas lieu d'être, je viens en paix. "

J'entendais le souffle rauque du dragon ralentir, il avait accepté de m'écouter. Doucement je m'approchai de lui, créant ainsi un lien de confiance entre nous. Mon cosmos brillait autour de moi, le symbole même de ma constellation protectrice se dessinait sur mon dos, se dessinait en face de moi…

J'arrivais enfin à la hauteur de ses pattes où doucement, je posais ma main.

" Ecoute-moi dragon, tu peux avoir confiance en moi. "

Je distinguais dans ses yeux une peine intense. Nous communiquions sans même nous parler. Nous nous étions mutuellement apprivoisés. Je me relevais et me dirigeais vers le pommier sous le regard attentif, et non plus menaçant, du dragon. Les trois pommes trônaient toujours sur l'arbre.
J'étais content de ne pas avoir eu à affronter ce redoutable et solitaire dragon et de ne pas avoir eu à choisi entre ma mission et sa vie. Je tendis la main lorsque… je fus projeté extrêmement violemment à une dizaine de mètres par une boule de feu dans le dos.

" Mais…comment ? Qui es-tu ? "
" Héhé, tu ne pensais pas réussir si facilement à t'emparer de ces pommes d'or ? "
" Qui es-tu ? " répétais-je
" Je suis Ladon, seul chevalier en ces terres au service d'Héra, et maître de ce dragon ! "
" Oh ! Mais comment ? Je n'ai ressenti aucun cosmos tout à l'heure. "
" C'est normal, tout en ces lieux est différent… Mais je ne vais pas passer ma vie à te parler… "

Sans comprendre comment, je fus à nouveau touché par cette boule de feu d'une force incomparable. Me relevant tant bien que mal je lui assénai mon attaque : la colère du dragon.
Tout comme avec le dragon, rien n'y fit. Il ne bougea pas même d'un centimètre.

" Impossible… J'avais pourtant mis toute ma force dans ce coup. "
" Haha, tu va goûter à la vengeance d'Héra ! "

Il réunit ses deux bras en croix devant sa poitrine, une boule d'énergie se formait devant lui … je craignais le pire. Il était extraordinairement fort. Je sentais une puissance redoutable se concentrer entre ses bras.

" Meurs étranger ! Reçoit le châtiment de Ladon ! "

Non, c'était inconcevable… Une lumière verdâtre m'aveugla. Il était là… le dragon… Il s'était placé devant moi, faisant barrage de son corps à l'inévitable. Il venait de me sauver la vie. Un silence de mort pesait sur nous. Les larmes se mirent à dévaler mes joues. Je sentais mon cœur s'emballer.
Avant de s'écrouler à terre, le courageux dragon faisait encore face à son maître. Il venait de détruire ses chaînes… pour me sauver, moi, un inconnu…

" Tu vas me le payer sale bestiole incapable… "

Avant que Ladon ne finisse sa phrase, une des cent têtes avala tout cru le chevalier. Puis il s'écroula héroïquement à mes pieds.
Je ne pouvais retenir mes larmes, une peine incommensurable inonda mon cœur, il ne méritait pas cela… alors qu'enfin il avait aperçu la voie de la sagesse… Résigné à accepter sa mort, je me retournai pour finalement cueillir ces pommes maudites, traversant cette étendue à présent souillée de son sang, preuve que la vie de ce noble dragon n'était et ne serait jamais plus…
Et là…stupeur… Les pommes avaient disparu.

" Comment ? Où sont-elles passées ? Non…pas après tout cela… C'est impensable… "

Je m'écroulai à terre, impuissant et las… Mais…

" Quel est ce bruit ? " J'entendis alors des rires moqueurs de petites filles…

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Cette fiction est copyright Elissa Eid et Frédéric Biedermann.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.