Prologue à la légende


Perséphone…

Perséphone…

Mon amour…

Quel est donc ce regard ?
Si heureux et si triste
Ne t'ai-je pas rendu la liberté ?
N'est ce pas de ton propre vœu
Que ta présence éclaire le ciel des enfers ?
Et allume la vie en mon cœur ?
Et pourtant ce regard…
Comme si une moitié de toi
D'elle-même s'est enchaîner à moi
Tandis que l'autre moitié
Agonise en ce lieu
Ce pays n'est-il pas merveilleux ?
Elision est une terre d'or
Elle est en tout point semblable à celle de ta jeunesse
Perséphone mon amour
M'en veux-tu donc de t'aimer ?


Oui, je t'en veux
Hadès mon seul amour
De m'avoir connu et fait connaître
Celui que mon cœur ne saurait jamais oublier
Mais qui me tient si loin de la terre que je chéris
Celle à laquelle ma chaire appartient
Moi, fille de Déméter
Telle une plante qui ne peut vivre
Que là où ses racines pénètrent le sol
Car si Elision est semblable à ma terre
Ce n'est que pour mieux me rappeler
A quel point mon pays est loin
Ô toi qui habite mon cœur sans partage
Ressens-tu son tourment ?
Jamais il ne saurait trouver la plénitude
Toujours il sera déchiré
Quel que soit son chemin
Quelle que soit sa destinée
Oui je t'en veux
Mon tendre amour
Je t'en veux, je t'aime…


Le char solaire embrassa les terres lointaines. Et le ciel se teinta de rouge et d'indigo. Sa limpidité était rompue par quelques hauts nuages effilés, semblable à la chevelure d'or des Néréides. Le lointain son de la brise qui traversait les feuilles d'arbre laissait encore entendre les derniers chants d'oiseaux. Perséphone ferma les yeux et reposa tendrement la tête sur les épaules de son époux. Sa peau blanche et infiniment délicate se mêla aux rayons roses de la lumière du soir. L'étoile du berger trônait déjà majestueusement au-dessus de l'immense champ de fleurs qui s'étendait à perte de vue. Sa blancheur scintillante semblait refléter la fragilité de la jeune femme. Perséphone glissa son visage jusqu'à le cacher complètement sous la douce chevelure sombre d'Hadès. Elle s'en voulait d'avoir prononcé ces paroles car elle savait que cela ferait souffrir celui qu'elle aime. Mais de toute façon, ne l'aurait-il pas compris de lui-même ? Nulle personne ne savait aussi aisément lire à travers le regard de Perséphone, pas même Déméter. Elle ne pouvait qu'être franche en lui ouvrant son cœur quel que soit ce qui s'y trouve. Elle sentit soudain la tristesse gagner le corps de son époux, comme d'infimes frémissements parcourant ses veines, et fragilisant son regard et son souffle. Dans le vœu désespéré de le tirer hors du chagrin, elle posa tendrement ses lèvres sur son cou. Hadès ferma les yeux à son tour et pencha la tête du côté de son épouse. Le temps semblait se figer. Et pourtant, le rouge s'effaçait peu à peu du ciel, cédant la place à d'infimes petits éclats de diamants. Oui je t'en veux mon tendre amour. Alors qu'il expirait, les remords et les regrets le gagnèrent profondément. Pourquoi ? Je t'en veux, je t'aime… Pourquoi l'a t-il enlevé ? Il l'aimait. Ne comprenait-il pas qu'elle souffrirait ? Telle une jolie fleur que l'on cueille. Les étoiles semblèrent disparaître, le ciel et la terre devinrent d'un noir profond. Il s'était montré trop égoïste. Mais il l'aimait plus que tout. Il aurait du la laisser, là où le bonheur l'entourait. Je t'en veux, je t'aime… Son égoïsme l'a trompé. Comment pourrait-il être heureux, devant la détresse de celle à qui il ne souhaite offrir que le plus grand des bonheurs ? Oui, il souffre, et il accepte ce fardeau, le prix à payer pour sa stupidité. Sa pénitence sera éternelle… Mais elle, qu'a-t-elle fait pour le mériter ? Si seulement il pouvait la libérer… Rien qu'elle… Juste elle… Prendre sur lui seul toute sa peine…

C'est de mon propre vœu que j'ai lié mon destin au tient…
Rien ne saurait jamais nous séparer, ni la joie, ni la souffrance…

Les étoiles réapparurent progressivement, éclairant à nouveau le champ de fleurs de leur douce lumière fébrile. Sur ces paroles, Perséphone s'endormit. Et la blancheur de son visage était d'une pureté incommensurable. A ce moment là, on eut dit que sa grâce infinie s'élançait jusqu'aux cieux, accueillant autour d'elle les plus belles étoiles. A cet instant, c'est comme si toute sa rancœur l'avait quitté, ne laissant dans sa beauté que l'innocence et la pureté d'une fillette. Car c'est bien ce qu'elle était finalement. Une fillette qui rencontra l'amour un peu trop tôt…
Hadès la contemplait. Et il ne se lassait pas de laisser ce spectacle submerger son corps et son esprit. Il était totalement désarmé devant l'infinie tendresse que lui évoquait son épouse. En ces instants, l'amour et la dévotion qu'il lui portait s'amplifiaient à l'infini. C'est de mon propre vœu que j'ai lié mon destin au tient…Rien ne saurait jamais nous séparer, ni la joie, ni la souffrance… Alors qu'il se répétait les paroles de sa bien aimée, une perle de larme ruissela sur sa joue. Et ceci était rare, extrêmement rare. Mais ce soir là, cela eut bien lieu…
Doucement, Hadès se releva et s'éloigna de son épouse. Il préférait ne plus troubler de sa présence une telle quiétude. Alors que ses pensées défilaient au rythme des arbres devant lui, ses pas l'éloignèrent d'Elision. Le champ de fleurs céda peu à peu la place à une terre sèche et caillouteuse. Le magnifique ciel perlé se voila d'épais nuages sombres et opaques, et l'air devint glacial. Mais Hadès n'y prêtait nullement attention. On l'eut cru plongé dans une semi-torpeur. Après une très longue marche, un temps qui sembla une éternité, un bruit de ruissellement le tira hors de ses songes.
Le Styx s'écoulait perpétuellement. Comme pour rappeler le flot ininterrompu du temps. Le temps qui amène la vieillesse et la mort. Le temps qui marque un début et une fin. Nul ne pouvait s'y dérober. Et le Styx était là pour le rappeler. Mais que peut bien évoquer cet écoulement au dieu des Enfers, le gardien même du trépas ? Depuis que Zeus lui a confié ce royaume, il n'a jamais cessé de contempler ce fleuve, mais pour un être immortel chaque jour est identique au précédent. Chaque particule d'eau qui s'écoule est le même que celui d'hier. Le temps n'a pas de signification. Sur l'autre rive, les morts s'agglutinaient, attendant désespérément que Charon daigne les embarquer… Mais voilà une éternité qu'Hadès porte sur eux un regard vide de sentiment. Il a appris à demeurer indifférent à la souffrance des humains. Le malheureux d'hier est le même que celui d'aujourd'hui, et il sera toujours là demain. Il en a toujours été ainsi depuis la nuit des temps. Les dieux sont condamnés à l'indifférence et au détachement. Tel est le prix de l'immortalité.
Mais Perséphone était entrée dans sa vie. Alors, il arrivait que même du plus refroidi des cœurs resurgisse la flamme originelle de toute vie, le rayonnement de l'amour. La souffrance ressurgit, elle aussi, et avec, le désir profond d'y remédier. Perséphone a réveillé l'homme qui sommeillait dans le cœur du dieu. Elle l'a rendu vulnérable, malheureux, et par-là même, heureux d'aimer… Grâce à Perséphone, il pouvait goûter au privilège des humains, ce dont peu de dieux pouvaient se targuer. Mais au sein de ce privilège, on trouve aussi l'espoir. Et l'espoir incontrôlé engendre parfois les désirs les plus fous et, dans la lancée, les pires folies dont seuls les humains sont capables d'ordinaire.
Alors qu'il contemplait l'autre rive, il aperçut parmi les défunts une silhouette étrangement familière qui l'observait. Contrairement aux autres, l'individu se tenait droit et fier, presque comme pour le défier. Il semblait se tenir là depuis un moment. Il était immobile, stoïque. Soudain, une puissante voix irrépressible surgit du plus profond de l'esprit d'Hadès.
" L'autre rive marque le début du monde de la lumière. C'est là où commence la Terre de ma bien-aimée. C'est là où s'arrête mon royaume. Telle est la volonté de Zeus, mon frère. "
Bien que situé à une très grande distance, de sorte qu'un humain ne l'aurait même pas aperçu, Hadès sentit que l'étranger le fixait lourdement. Il affûta alors son regard. Soudain, il eut un sursaut crispé. Une goûte de sueur froide ruisselait sur son front. Il vit que sur l'autre rive se tenait en fait un miroir, renvoyant son propre regard. Qu'est ce que cela signifiait ? Lui debout sur l'autre rive ? Qui est l'auteur de cette plaisanterie ?
" Le Styx est la frontière entre la vie et la mort. Il ne peut être franchi sans raison. Le seigneur de l'ombre ne peut quitter son royaume, il en va de l'équilibre de tous… "
Hadès combattait vivement ses émotions. Il tentait de réduire au silence l'homme qui se manifestait en lui, restaurant sa nature divine. Mais il arrive que l'homme, mortel et vulnérable, ne se montre plus tenace que le dieu, las et désinvolte. Alors, sous les coups du dieu, l'homme s'écria de douleur vers le ciel :
" Perséphone, mon unique amour ! Toi qui m'as permis de naître, jamais je ne gaspillerais cette vie dans le silence et l'acceptation ! Même si je dois être réduit en charpie, je prendrai sur moi toutes les souffrances du monde, mais je jure que tu seras libérer de la tourmente ! Je le jure ! "
Puis, avec ces paroles, Hadès ressentit un vide profond, un calme sinistre… Plus rien… La passion s'estompa, laissant la place à une froide résolution. Il ramena calmement son regard sur l'autre rive, puis fixant son reflet dans le miroir, esquissa un léger sourire résigné…

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Cette fiction est copyright Vitony Y.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.