Chapitre 5 : En Route Vers Babel


La Princesse était assise sur une chaise blanche de fer forgé, finement ouvragée. Le petit kiosque du jardin de la fondation Kido avait été fraîchement repeint sur les ordres traditionnellement malhabiles de Tatsumi, et Saori réussissait encore à sentir les effluves entêtants. « Il faudra attendre au moins deux ans avant que la glycine ne repousse », songea-t-elle distraitement en regardant le soleil du matin traverser les petites planches de bois croisées. Elle tenait dans sa main droite une tasse de thé qu’elle semblait incapable de terminer à cause de l’anxiété qui la rongeait. Elle portait presque la même robe blanche de soie et de lin que lorsque tout avait commencé, un mois plus tôt. Deux jeunes rouges-gorges se chamaillaient sur la table. Cette scène arracha un petit rire joyeux et détendu à la Princesse.

• Je suis heureux d’être le témoin de votre humeur légère, Athéna, lança une voix sombre dans le jardin.

Derrière une rangée de rosiers grimpants qui couraient le long d’un mur de fer forgé destiné à cet effet, Saori pu reconnaître le Surplis d’Hypnos. Il se tenait contre le mur de rosiers, sous un petit toit créé par un changement d’angle des tiges de fer. Cela permettait de se promener dans l’allée gigantesque dans laquelle Hypnos se trouvait, tout en restant à l’ombre des rosiers grimpants. Le rouge carmin des roses donnait une couleur d’argile au Surplis du dieu du Sommeil, là où les rayons du soleil réussissaient à traverser les multiples couches de rosiers. Des tâches de lumière dansaient sur tout son côté droit, le seul visible avec sa position discrète et abritée.

• Hypnos… dit la Princesse à voix basse.
• Vingt-sept jours ont passé, Athéna. Il nous faut nous mettre en route.
• La Tour de Babel est-elle apparue comme vous l’aviez prédit ? s’enquit une Saori inquiète.
• Oui, répondit Hypnos. Au Cap Malée.
• Au Cap Malée, dites-vous ? Celui qui est au bout de la péninsule de Laconie ? Mais c’est tout près du Sanctuaire ! lança Saori comme si c’était une excellente nouvelle.
• Oui, en effet, Athéna. Le Cap Malée se situe en face du Cap Sounion, de l’autre côté de la Mer de Myrtos. Mais nous devons faire vite.
• C’est vrai ! affirma une voix grave provenant de la direction de l’entrée des jardins.

Shiryu arrivait d’un pas calme et posé, habillé de son ensemble traditionnel, constitué d’un pantalon de lin et d’une très longue chemise chinoise à col Mao et à boutons de bambou. Ses manches étaient relevées, et Saori constata avec une joie immense que ses yeux étaient bel et bien ouverts et brillants comme du jade poli. Il portait sur le dos sa Boîte de Pandore. Hyoga et Shun le suivaient de près. Shun rayonnait comme à de simples retrouvailles et Hyoga n’avait d’yeux que pour Hypnos. Il lui lança un regard glacial tout en s’approchant avec ses amis. Saori nota qu’il était le seul à avoir presque vieilli durant ce dernier mois. Elle lui donnait facilement trois années de plus et ses traits comme son regard étaient ceux d’un guerrier en Croisade.
• Je vois que tout le monde est arrivé, dit Hypnos en sortant de sa cachette de fortune. Tout le monde sauf le Chevalier du Phénix, bien entendu.

Hyoga nota immédiatement que le Surplis d’Hypnos était entièrement réparé, tout comme son Armure divine. « Les pouvoirs de régénération de certains Surplis doivent être aussi incroyables que ceux des Armures divines », se dit Hyoga.

• Mon frère va venir, j’en suis certain, déclara Shun d’un air inquiet.
• En effet, il nous rejoindra sur place par ses propres moyens d’ici à quelques heures. Contrairement à nous, Phénix est déjà en Grèce, annonça Hypnos.
• Serait-il… parti se ressourcer dans les flammes du volcan ? Comme avant son combat contre Shaka de la Vierge ?
• C’est exact, jeune Andromède.
• Mais comment le sais-tu, Hypnos ? s’interrogea Shun.
• Parce que je suis un dieu, répondit-il avec dédain. Maintenant, écoutez-moi. Nous n’avons que très peu de temps avant que la Tour de Babel ne disparaisse à nouveau. Il faut se rendre au Cap Malée dans les plus brefs délais.
• Le Cap Malée ? essaya Hyoga.
• Oui… en Grèce, là où tout a commencé… Quelle ironie n’est-ce pas ? s’amusa le dieu du Sommeil.

Il regarda les Chevaliers de Bronze un à un, et leur demanda s’ils étaient prêts. Chacun répondit par un signe de la tête, puis Saori s’interposa.

• Un instant, Hypnos ! s’exclama-t-elle. Je vous accompagne moi-aussi.
• Mais enfin Princesse, c’est de la folie ! s’interposèrent Hyoga et Shiryu.
• Je ne peux retourner au Sanctuaire pour le moment car il ne reste plus aucun Chevalier d’Or pour le protéger, et seul Jabu est déjà revenu de son nouvel entraînement auprès de son Maître. Je veux venir avec vous. Je dois ma vie au Chevalier Pégase. Je ne peux rester inactive dans ce jardin en attendant la mort d’un nouvel ami ou une attaque éventuelle. Je ne survivrai pas à la mort d’un nouveau Chevalier !

Tout le monde se figea et refléchit à la déclaration compréhensible de Saori.

• Princesse ! lança la voix de Jabu.

Il arriva en courant, le visage tordu par l’étrangeté de la nouvelle qu’il apportait.

• Princesse, un message vient d’arriver du Sanctuaire, de la part de Shina et de Marine. C’est l’Armure des Gémeaux… Elle est revenue au Sanctuaire !
• Comment ? s’interrogea Shiryu.
• Oui, il paraît qu’elle est revenue au Sanctuaire il y a quelques jours. Et ce n’est pas tout. Marine dit qu’elle ressent un cosmos dans la Maison des Gémeaux…
• Mais c’est impossible ! Le corps de Saga a été détruit lorsque tous les Chevaliers d’Or se sont alliés pour décocher la flèche du Sagittaire sur le Mur des Lamentations ! s’écria Shun.
• Il ne s’agit pas de Saga, affirma Jabu avec inquiétude. Marine dit que la présence qu’elle sent dans la Maison des Gémeaux… est celle de Canon !

Tous les Chevaliers restèrent comme pétrifiés par le Bouclier de la Méduse. Shiryu revint à lui le premier.

• Impossible ! Nous avons tous senti le cosmos de Canon s’éteindre avec celui de Rhadamanthe. Il l’a emmené dans un Ultime Dragon et s’est désintégré avec lui avec une Explosion Galactique !
• Je l’ai senti très clairement moi aussi, ajouta Shun d’une voix calme et assurée. Cependant, cette sensation n’était pas différente de celle que j’ai éprouvée lorsque tu as emmené Shura dans le ciel avec toi , Shiryu. Et pourtant, tu es encore en vie…

Shiryu baissa les yeux vers le sol.

• C’est vrai… reconnut-il.
• Mais alors, Canon serait revenu dans la Maison des Gémeaux ?

Le petit rire d’Hypnos fit se retourner Shiryu et Hyoga.

• Canon des Gémeaux ne peut pas être revenu du Royaume de sa Majesté. S’il a survécu à son affrontement avec Rhadamanthe pour une raison quelconque, il doit être en train d’errer en Hadès, prisonnier des temples effondrés et des eaux bouillonnantes du Styx.
• Comment ça, Hypnos ! Alors là, je ne comprends rien à ce que tu dis ! s’indigna Hyoga. Tu veux dire que Canon est peut-être entre la vie et la mort, prisonnier en Hadès, sans aucun moyen de retour ?
• Et que l’Armure d’Or des Gémeaux serait revenue au Sanctuaire baignée de sa présence pour nous faire comprendre que Canon était encore vivant, quelque part ? ajouta Shiryu.
• C’est ce que pense Marine, précisa Jabu.
• Mais alors… il faut faire quelque chose ! s’écria Hyoga. Hypnos ! Je suis certain que tu pourrais…
• Ne rien faire… le coupa sèchement le dieu du Sommeil. Nous n’avons plus le temps, de toutes façons. Il faut partir au Cap Malée, et immédiatement.

Shiryu regarda ses amis, et pensa qu’Hypnos avait malheureusement raison. Le temps passait, et leurs chances de réussite diminuaient proportionnellement. Si Canon était bel et bien vivant, il devrait s’en sortir tout seul. Il s’était révélé être un formidable allié en Hadès, et Shiryu regretta qu’il ne soit pas là pour les aider à aller chercher le corps de son ami. Mais Canon était des Chevaliers qui n’abandonnent jamais. Fier et courageux, s’il vivait encore en Hadès, il trouverait un moyen de revenir. Shiryu en était certain ! Et Hypnos comprendrait alors son erreur de mépriser les Chevaliers d’Or. Les pensées du Dragon furent stoppées par un sentiment étrange. Les Chevaliers de Bronze, Hypnos et Saori commencèrent à être perdus dans un vent de poussière d’étoile noire comme la nuit. Jabu eut juste le temps de s’élancer vers sa Princesse afin de lui tendre un coffret de poirier précieux et d’Or jaune. Les corps de ses amis disparurent dans une tourmente de charbon, et il ne resta plus que Jabu, seul, inquiet, à genoux devant le kiosque. Il maudit son inutilité, et enfonça son poing droit dans le sol.

Chapitre précédent - Retour au sommaire - Chapitre suivant

www.saintseiya.com
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.