Chapitre 1 : Retour à la Lumière


Jamais nuit n'avait encore été plus calme depuis plusieurs mois. On entendait à peine le bruit du vent qui soufflait parfois dans les branches des arbres chétifs et solitaires qui parsemaient le paysage du Sanctuaire. Cela faisait bientôt trois mois que les chevaliers d'Or avaient réussi à sortir des dimensions ou l'explosion du Mur des Lamentations les avait plongé.
Le domaine d'Athéna avait retrouvé le calme et la stabilité qui y régnait autrefois et la plupart des déserteurs avaient été retrouvés, au prix de grands efforts de la part de Shaka et Saga, chargés de les poursuivre et de les contraindre, soit à regagner le lieu sacré auquel ils avaient promis fidélité et obéissance, soit à rendre les armures dont ils disposaient et à repartir vers des existences normales, non sans avoir été sévèrement châtiés. Mais très peu -pour ne pas dire aucun- de chevaliers osaient choisir la seconde solution lorsqu'ils se trouvaient face à des hommes aussi puissants et redoutables que le chevalier de la Vierge ou que celui des Gémeaux. Ceux-ci n'avaient jamais été d'un abord très commode et ils avaient réussi à faire triompher leur autorité sur toutes les personnes qui avaient tenté de montrer une quelconque opposition face à ce qu'ils leur demandaient de faire. Peu à peu, le domaine sacré avait retrouvé sa vie d'autrefois, mais il manquait toujours quelque chose, une présence, une personne qui n'était jamais remontée de l'Hadès et qui n'en reviendrait sûrement jamais...
Cependant, l'existence presque monotone du Sanctuaire avait repris son cours, chacun savourant la paix enfin retrouvée même si une mélancolie secrète continuait d'écraser une partie des cœurs et des esprits. La nuit était sans lune et seules les étoiles pouvaient servir de guides ou d'éclaireurs aux personnes égarées, ne pouvant plus confier leur destin qu'aux mains des dieux ou de celui qui voudrait bien les écouter et les aider. Le bruit de la mer, doux et fort à la fois, se faisait parfois entendre comme un roulement mécanique, capable de bercer une personne que la chaleur de la journée précédente n'aurait pas encore poussé dans les bras de Morphée. Le temps lui-même semblait s'être suspendu, attendant un quelconque signe de vie qui ne viendrait que le lendemain matin. Tout paraissait en proie au sombre manteau de la nuit et pourtant, en balayant du regard le paysage, on pouvait constater qu'un calme apaisant y régnait, comme une sérénité ambiante qui se serait emparé de lui.


Saga

- Je ne me rappelle pas m'être un jour senti aussi en paix avec moi-même, murmurai-je, en caressant d'une main douce l'une des colonnes extérieures de la chambre sacrée ou les douze chevaliers d'Or venaient de donner un compte rendu sur l'état actuel du Sanctuaire.
Derrière-moi, je savais qu'Aphrodite s'appuyait non chalament contre un mur et j'avais retrouvé assez de mon sixième sens - et pourtant j'étais loin d'en avoir récupérer la totalité! - pour deviner son regard alors qu'il esquissait un sourire lumineux.
-Vraiment? Je me disais exactement la même chose tout à l'heure... à croire que cette soirée -que dis-je? Il est deux heures du matin!- cette nuit est l'une des plus magnifiques que je n'ai jamais observé.
-Magnifique? répétai-je doucement, osant à peine élever la voix de peur de commettre le sacrilège de troubler le silence qui régnait dehors. Ce n'est pas exactement le mot que j'aurais choisi... peut-être, comment dire? Reposante. Oui, j'ai l'impression que mon âme se régénère, qu'elle renaît à nouveau... Je suppose que tu sais mieux que quiconque de quoi je parle...
A cette dernière réflexion, Aphrodite eut un mouvement de recul instinctif mais il ne se dépareilla pas de son sourire. Il n'aimait pas qu'on lui rappelle son passé, ce que je comprenais fort bien, mais il fallait savoir l'affronter si l'on désirait continuer en allant de l'avant, et ne jamais abandonner pour pouvoir utiliser ce que je nommais sans cesse une seconde chance.
-Mieux que quiconque en effet...
Il marqua une pose assez brève
-Nous avons finalement réussi, au prix de nos efforts communs, à rendre vie au Sanctuaire, déclara Aphrodite en détournant délibérément notre conversation de ce qu'il considérait comme un sujet délicat.
Lui et moi faisions partis des trois chevaliers d'Or qui n'avaient pas encore regagné leur temple car un mystérieux appel, que je n'osais pas encore considérer comme tel nous avait poussé à veiller plus tardivement que les autres et cela faisait à présent plus d'une heure que nous nous trouvions dans la chambre sacrée sans aucune raison apparente.
-Tu n'as pas l'impression qu'ils nous manquent quelque chose pour pouvoir reprendre une existence normale, Aphrodite? commençais-je, même si je savais que cela ne lui plairait pas. Je crois même que nous sommes privés de l'essentiel.
Un rire sarcastique teinté de malice retentit derrière nous et je ne fis, pas plus qu'Aphrodite, le moindre mouvement pour découvrir de qu'il s'agissait.
-Quelques heures de sommeil, peut-être? ironisa Masque de Mort alors qu'ils saisissaient parfaitement ce que j'évoquais.
Je pense qu'il est dans la nature de l'homme de refuser ce qui lui déplait, et je crois que c'était aussi mon cas, mais j'avais beaucoup appris et évolué, et je saisissais maintenant qu'il fallait se pardonner à soi-même pour pouvoir vivre de nouveau. Mais comment faire lorsqu'on se dégoûtait, lorsqu'on haïssait chaque fibre de son être?
Je m'étais souvent posé cette question alors que je m'apprêtais à remonter des enfers pour apporter mon soutien à Athéna en me faisant passer pour un traître. Je crois même que j'avais trouvé une réponse. J'avais réussi à expier mes crimes, et, de cette façon, à remonter un peu dans l'estime que je me portais, même si ce n'était pas de beaucoup. Je savais qu'Aphrodite et Masque de Mort s'étaient repentis de la même manière que moi, pour les mêmes raisons. Mais comment se sentaient-ils dorénavant? Étaient-ils, comme moi, en proie à des tourments qui paraissaient éternels? Je n'en avais pas la moindre idée, mais je me doutais qu'une parcelle de leur esprit s'accordait avec mes propres vues et opinions sur le sujet. Cependant, ils continuaient à vivre, non, ils devaient continuer à vivre de la façon la plus normale qu'ils le pourraient. Je ne pouvais pas le leur reprocher.
J'essayais moi aussi de retrouver la stabilité, tout comme mon frère d'ailleurs. Je crois qu'il était celui qui me comprenait le mieux. Maintenant que nous avions fais la paix, que nous acceptions les liens du sang qui nous unissaient, tout se déroulait mieux et nous passions le plus clair de notre temps ensemble. Je cherchais sa compagnie, et il cherchait la mienne, comment faire autrement, alors que nous avions déchaîné, dans le passé, les mêmes tourments, et que nous essayions, dans le présent, de nous racheter autant l'un que l'autre?
Kanon n'était plus un chevalier d'or, maintenant que j'étais là pour récupérer ma place de chevalier des Gémeaux, dont je n'étais d'ailleurs pas digne, et cela me choquait, m'indignait. En quoi avais-je plus mérité que lui ce titre? Je n'en avais pas la moindre idée, lui non plus d'ailleurs, mais il acceptait mal d'en parler. De toute manière, les Guerres Saintes étaient terminées, me répétait-il, à l'envie, et cela n'avait plus beaucoup d'importance. Mais je devinais qu'au fond de lui, il ne savait pas non plus pourquoi j'étais considéré comme un guerrier d'Athéna et pas lui. Bien-sûr, il n'existait plus de jalousie entre nous, ni aucun de ces sentiments qui avaient empoisonné nos esprits et nous avaient poussé au mal... mais ils restaient des interrogations, que nous n'osions poser qu'à demi, redoutant autant notre propre réaction que celle de l'autre. Nous évitions parfois de croiser nos regards, de peur d'y découvrir le reflet de notre propre âme ou des démons de notre passé, mais je jugeais cela normale. Nous ne nous étions retrouvés que depuis trois mois, comment aurait-il été possible, en si peu de temps, d'effacer toutes ces années de haine et de rage entre nous?!
Masque de Mort me tira brusquement de mes réflexions en m'interpellant:
-Saga! Reviens parmi nous! Alors, qu'est-ce qui nous manquerait d'après toi?
Je percevais, sous son ton léger et ironique son anxiété, sa peur de se retrouver face à quelque chose auquel il n'avait nullement envie d'être confronté. Aphrodite avait son regard rivé sur moi, et sa finesse d'esprit lui laissait déjà entrevoir le problème dont il s'agissait. Je me tournai alors lentement vers eux, laissant errer mon regard de l'un à l'autre et j'appuyai sur chaque mot lorsque je repris la parole:
-Le pardon d'Athéna.


Cela faisait des mois, des années, peut-être des siècles, qu'elle errait dans le labyrinthe du néant qui la menait seulement vers l'infiniment obscur. Pourtant, elle n'avait pas perdu courage, jamais et elle continuait d'avancer, en dépit de sa peur, en dépit du silence effrayant car jamais brisé qui régnait, en dépit de tout ce qui aurait pu la dissuader de tenter de poursuivre sa route. Nul part, tel était l'endroit ou elle se trouvait et ou elle semblait condamnée à rester pour toujours.
Pourtant, une flamme, d'abord vacillante puis de plus en plus forte avait fait jour dans son esprit, lui permettant de garder le plus précieux des biens : l'Espoir. Elle avait entretenu cette lueur alors que le temps s'écoulait, mais elle n'en avait plus conscience, car, là ou elle se trouvait, ces données humaines ne la concernaient plus, ne l'atteignaient plus. Elle remonterait sur cette terre qu'elle avait tant chérie, quoi qu'il advienne, elle ne devait pas se laisser envahir par le pessimisme et devait jeter ses dernières forces dans cette ultime entreprise.
Plusieurs fois, elle avait cru devenir folle, alors qu'elle n'avait personne à qui parler, aucun contact avec un être vivant, dans cette solitude dont elle était prisonnière, mais elle n'avait pas perdu la raison car elle n'avait pas le droit de succomber à la faiblesse, pas maintenant, alors que l'on avait peut-être encore besoin d'elle. Elle avait évolué dans ce monde de pénombre à tâtons, sans jamais savoir vers ou elle se dirigeait, faisant seulement confiance à ses instincts et à la chance, qui, jusqu'à présent, ne l'avait jamais abandonnée. Elle avait souvent pensé à ses chevaliers, et ces songes l'aidaient à surmonter cette épuisante épreuve dont elle comptait bien, comme pour toutes celles qu'elle avait affrontées auparavant, triompher. Elle devait prouver qu'elle était bel et bien une déesse non pas à une quelconque personne, mais à elle-même.
Elle avait toujours su, même dans ses moments de plus profond désarroi, qu'elle y arriverait. Elle ne devait pas abandonner, jamais. Elle avait trop de fois répété à ses chevaliers qu'ils devaient tenir bon, qu'ils devaient s'accrocher aussi désespérément à la vie qu'un naufragé à une planche de bois, pour admettre que tout était perdu, terminé. Même si cela devait lui prendre des siècles, elle savait qu'elle remonterait sur cette planète qu'elle avait si souvent protégée, qu'elle reverrait la lumière du jour, qu'elle sentirait de nouveau la chaleur du soleil sur son visage, qu'elle remarquerait de nouveau un sourire sur le visage d'une personne, qu'elle pourrait de nouveau tenir dans ses mains la terre poussiéreuse du sol de Grèce. C'était toutes ces pensées qui lui permettaient d'avancer toujours plus loin de s'enfoncer dans les ténèbres toujours plus profondément.
Elle se répétait une nouvelle fois ce discours porteur d'espoir, lorsqu'elle vit tout à coup devant ses yeux une forme apparaître, elle se figea alors, comme interdite. Ses yeux avaient été habitués au noir et elle s'était souvent demandée quel effet la vue d'une chose matérielle et bien réelle provoquerait chez elle.
Elle mit plusieurs secondes -ou bien était-ce des minutes?- pour réaliser qu'une paroi se découpait devant elle. Elle sentit les battements de son cœur s'accélérer, ses mains tremblées et ses yeux bruns s'éclairèrent d'une joie si intense, si brutale, qu'elle ne se sentait plus qu'à peine capable de se contrôler.
Non, ce n'était pas possible! Ces pierres qui s'offraient à son regard n'étaient qu'une illusion, une hallucination provoquée par son propre souhait d'être enfin parvenue au bout de ce tunnel sans fin qu'elle avait traversé! Elle s'avança, ses jambes s'apprêtant à ne plus la porter d'un instant à l'autre, mais elle marcha pourtant, car elle s'était promis de ne jamais reculer. Elle tendit une main hésitante vers la paroi de peur qu'en la touchant, celle-ci ne vienne à disparaître. Mais, non, elle était bien là, et ne disparut pas au contact de ses doigts comme un reflet quitte la surface de l'eau lorsqu'on le touche.
Elle avança encore d'un pas, appuyant tout son corps contre ce mur de pierre, en caressant la surface rugueuse, et tenant sa joue contre cette chose bien réelle, la première qu'elle voyait depuis un temps infini! Son sixième sens lui permettait de ressentir la vie qui se dégageait de cet paroi et de communier avec elle. Elle pouvait s'imaginer voir un cœur battre sous ces roches et ce cœur, c'était le sien.
Elle laissa ses yeux s'habituer peu à peu à la lumière, certes, encore très faible mais éblouissante pour elle, qui s'était dirigée durant des mois entiers dans le noir. Elle avait tout simplement été aveugle et sa vue renaissait peu à peu, en une lente résurrection qui lui apparut comme un don du ciel. Ce n'est qu'au bout de plusieurs longues minutes qu'elle réussit à se dégager de la paroi rocheuse ou elle était appuyée pour voir ou ce couloir de pierre la menait. Elle ne pouvait pas encore se laisser aller à l'euphorie qui la gagnait et devait découvrir si cet espoir de regagner la terre ferme n'était pas qu'une utopie.
Elle marcha, pendant un long moment, laissant glisser sa main le long du mur de roches de peur de le perdre à jamais et de se retrouver à nouveau dans le pays de l'ombre et de l'infini. Mais bien loin de se soustraire de nouveau à son sens de la vue et du toucher, le mur de pierre s'élargissait, prenait de plus en plus d'ampleur alors que le couloir dans lequel elle évoluait s'agrandissait aussi. L'ombre se dissipait lentement, à peine, mais cela était amplement suffisant pour ses yeux abîmés et fatigués.
Et tout à coup, le terrain recouvert de gravats et d'une platitude reposante se mua en une montée et elle comprit ce qui se produisait sans vraiment vouloir se l'avouer. Elle avait bien trop peur d'être déçue alors qu'elle commençait à gravir la suite de ce couloir obscur, les nerfs tendus, tous les sens en alerte, le cœur battant et le souffle court. Elle ne pouvait pas croire que...
Les rayons de la Lune jaillirent sur son visage comme des gerbes de lumière, l'éblouissant, la rendant aveugle pendant quelques instants, incapable de savoir ce qui lui arrivait ou ce qui se passait.
Elle ferma les yeux, détourna le regard de cette source de clarté, mettant ses bras devant son visage pour échapper à cette agression subite. Elle ne bougea pas, essayant seulement de se calmer, et d'avancer, encore un peu, juste encore un peu. Elle trébucha, le regard toujours caché par ses mains tant elle souffrait de devoir affronter si soudainement une lumière à laquelle elle n'était plus accoutumée. C'est alors qu'elle sentit un vent léger souffler sur son visage et qu'elle baissa ses bras, clignant des yeux pour...
Elle s'effondra, tombant à genoux alors que son cœur semblait se briser dans sa poitrine. Des larmes perlèrent au bord de ses longs cils bruns et elle éclata en pleurs. Jamais, jamais elle n'avait connu ni ne connaîtrait de bonheur, d'émerveillement plus pur qu'à ce moment. Ce qu'elle voyait, ce qui s'offrait à ses yeux, c'était... La Terre! Elle était de retour!
Elle avait du mal à respirer, alors qu'elle pleurait, non pas en de longs sanglots violents, mais doucement, silencieusement. C'était irréalisable! Au dessus d'elle, la Lune projetait de gracieux reflets sur la mer qui entourait la petite île ou la déesse se trouvait. La mer, l'astre de la nuit, le vent... c'était bien réel! Elle était sur terre! Elle essuya du revers de sa main les larmes qui couraient le long de ses joues et elle releva la tête, balayant du regard tout ce qui l'entourait.
Elle se trouvait sur une minuscule île ou avaient seulement réussis à pousser deux ou trois oliviers et quelques touffes d'herbes séchées par le soleil brûlant de la journée. Le sol était entièrement fait de graviers fins et petits ou se dispersaient de temps à autre une lourde pierre. Il n'y avait rien de particulièrement notable dans cet endroit, rien qu'un simple îlot comme il y en avait des dizaines et des dizaines d'autres dans la mer... mais il y avait quelque chose. Quelque chose qui rendait ce lieu bien particulier. Derrière Athéna se trouvait un gouffre béant qui semblait prêt à avaler tous ceux qui s'aventuraient dans les environs, prêt à happer la moindre forme de vie pour ne plus jamais la laisser repartir. C'était par là qu'elle venait de remonter de l'infini et elle saisissait maintenant qu'il s'agissait du gouffre menant aux enfers. Elle n'avait nulle idée de la façon d'on elle avait retrouvé cet endroit mais cela n'avait pour le moment pas grande importance à ses yeux. Tout ce qui comptait, c'était qu'elle était là, à respirer l'air marin qui lui parvenait grâce à la brise nocturne, à regarder cette nature dont elle avait l'impression de faire partie intégrante.
Elle se sentait incapable de se relever, d'esquisser le moindre geste et elle se contentait d'offrir son visage à la caresse du vent, chose si simple et pourtant si primordiale, cruciale pour elle à cet instant. On devait lui prouver qu'elle était bel et bien en vie... elle se surprit à sourire au travers du voile de larmes qui lui obscurcissait la vue. Elle rejeta d'un gracieux mouvement de tête sa lourde chevelure et leva les mains vers les cieux.
Les étoiles étaient dans le ciel et brillaient, pour elle, pour lui insuffler de nouveau le souffle nécessaire à poursuivre sa route et atteindre cet endroit qui était sien, ce lieu qui était sa véritable patrie, son domaine, le Sanctuaire. Elle bougerait bien-sûr, mais pas tout de suite. Tout d'abord, parce qu'elle ne le pouvait pas, ses jambes étaient trop vacillantes, trop tremblantes pour la porter ne serait-ce même qu'à une dizaine de mètres et ensuite, parce qu'elle voulait apprécier et savourer chaque seconde de son retour.
Elle prit lentement quelques graviers qui se trouvaient près d'elle et les filtra entre ses mains, s'attardant au plaisir de sentir quelque chose de solide entre ses doigts. Elle ne pouvait pas réaliser ce qui arrivait, c'était...
-Je suis de retour, murmura-t-elle, presque choquée par le son de sa propre voix résonnant ailleurs que dans l'infini du néant.
-Je suis de retour, répéta-t-elle, plus fortement, pour s'en convaincre elle-même.
Elle sourit alors que tant d'émotions se bousculaient dans son âme, dans tout son être. Et peu à peu, elle déploya sa cosmo-énergie autour d'elle, comme une lumière, d'abord faible puis de plus en plus puissante. Et bientôt la clarté l'entoura, faisant pâlir la lune, la réchauffant, lui permettant de retrouver toutes ses facultés qu'elle avait cru annihilées alors qu'elle errait sans destination dans les ténèbres.
Elle effectuait son retour à la lumière, son retour à la vie.


Milo

Que se passait-il? Quelle était cette force qui envahissait le Sanctuaire?
Je me relevais brusquement de mon lit et sortis de ma chambre. Je tournai sur moi-même, au centre de mon temple, comme pour chercher des yeux la personne qui dégageait une pareille aura. Je me précipitais hors de ma maison, tout mon être tendu vers cette puissance inconnue... et pourtant si familière. Alors que je sortais sur les marches qui conduisait chez Dohko, je vis, au dessus de moi, Aioros qui surgissait lui aussi de son temple et regardait au pied du Sancutaire. Il n'avait pas l'air de comprendre plus que moi ce qui se passait.
C'est à ce moment-là que je remarquais que nous n'étions pas les deux seuls à nous être précipiter dehors. Non... tous les chevaliers d'Or se tenaient debout, devant leur maison, répondant chacun à cet appel mystérieux venant de nulle part. C'est alors que j'entendis, ou plutôt ressenti comme un chant, une musique m'attirant irrésistiblement, me rassurant, m'apportant encore plus de calme et de sérénité que je n'en possédais déjà. Je rivais mon regard à l'horizon, cherchant d'ou cela pouvait provenir, qu'est-ce que cela signifiait. Je n'osais pas y croire. Cette douce force, c'était... c'était...
J'entendis au-dessous Dohko qui s'agitait et regardait le ciel comme s'il pouvait y trouver une réponse. Mais moi, j'avais du mal à déplacer mon regard de l'horizon, je savais que cela venait de là-bas et que... Non! Il devait s'agir d'une erreur!
Tout à coup, je vis comme une vague de Lumière déferlant vers les douze temples du Zodiaque et je sus à cette seconde ce qui se produisait.
Nous vîmes bientôt tous les gardes, les novices, les chevaliers de Bronze et d'Argent restant, sortir de leurs maisons alors que le Sanctuaire baignait dans un flot doré, irradiait de lumière, nous forçant à plisser les yeux pour voir claire. C'était incroyable! Pas une seule personne ne manquait à l'appel. C'était presque instinctif, comme si nous étions poussés par une puissance inconnue tel des papillons attirés par la lumière.
Sans que je puisse me contrôler, mon cosmos s'enflamma soudainement et je me retournais pour découvrir qu'il en allait de même pour Aioros, pour Shura, Camus, Aphrodite, et pour tous les autres. Nous n'avions plus aucune prise sur nos pouvoirs que nous croyions perdus à jamais et qui s'éveillaient brusquement en nous, nous conférant à nouveau toute la force que nous avions perdu alors que nous traversions les dimensions pour rejoindre notre monde. C'était invraisemblable.
Le domaine sacré entier était plongé dans le doré qui arrivait de la mer, nous englobant tous dans une douceur et une tranquillité digne... digne de... je n'arrivais pas à compléter mes pensées. Je ne bougeais plus et c'est à cet instant que je croisais le regard de Dohko qui s'était tourné vers moi, puis celui de Shaka... Je sus alors, je sus que nous pouvions le dire à voix haute, je sus que tout avait changé, je sus qui nous envoyait de cet appel, je sus qui nous englobait dans ce cosmos bienveillant.
-Athéna... murmurai-je alors que les larmes me montaient presque aux yeux, moi qui n'était pas habitué à verser le moindre pleurs.
-Athéna! cria un chevalier au pied des escaliers menant à la Maison du Bélier.
-Athéna! entendait-on partout hurler dans la nuit alors que le Sancutaire continuait à briller comme de l'Or.
Je vis alors Aphrodite, puis Camus et Shura s'élancer dans leurs escaliers pour atteindre le pied des Douze Maisons et j'eus envie de faire de même. Je me mis à fouler les marches, qui m'avaient, depuis mon retour, toujours parues raides et impraticables et qui me semblaient aujourd'hui si facile d'accès. Je me sentais, alors que cette course me faisait traverser tous les temples, libre, sans plus aucune chaîne pour me retenir et m'entraver et je compris que j'avais retrouvé tout ce que la bataille contre Hadès m'avait volé, pas seulement mes pouvoirs mais aussi, ma foi en moi, en l'avenir, en tout ce qui avait guidé mon existence, en l'humanité, en l'avènement d'un monde meilleur, en mes compagnons d'armes... en Athéna tout simplement.
Je sentis mon cœur et mon âme succombés à la liesse générale alors que j'entendais déjà Aioros qui se trouvait sur mes talons et m'appelait par mon nom pour que je ralentisse et qu'il puisse parvenir à ma hauteur. Mais je ne pouvais pas freiner ma course et j'arrivais en bas des Douze Temples en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire.
Alors, seulement alors, je vis les visages de Mu, d'Aldébaran, de tous les autres. Je vis le rayonnement qui nous animait tous autant que nous étions et à cet instant, il n'y avait plus de rangs et d'ordre qui tenaient, plus de chevaliers d'Or, d'Argent ou de Bronze, plus de maîtres et d'élèves, plus de gardes et de novices, plus d'hommes et de femmes seulement des êtes humains, tous réunis dans la Lumière dont ce cosmos nous entourait.
Et je ne sus plus si jamais envie de rire ou de pleurer, moi, le chevalier d'or qui se voulait toujours ironique et sûr de lui. Je me retrouvais comme un gamin emporté par la joie et le bonheur. J'entendais autour de moi les cris victorieux qui résonnaient de toute part et m'assaillaient, m'ensevelissant sous une vague d'émerveillement que je me croyais jusqu'alors incapable d'éprouver. Le flot de clarté n'allait pas en diminuant, bien loin de là, il nous entourait de plus en plus, s'intensifiant de minutes en minutes alors que nos propres cosmo-énergie s' harmonisaient avec cette puissance divine, nous nous alliions tous, ne formant plus qu'un.
Je sentis tout à coup un bras se poser sur mon épaule et je vis les visages de Kanon et de Shaka qui se trouvaient à côté de moi. Sans plus réfléchir à ce que nous représentions aux yeux de tous les membres du Sanctuaire, à la façon toujours un peu distante dont nous nous traitions parfois, nous avons tous trois succombé à l'humeur générale, tombant dans les bras les uns des autres, nous donnant des joyeuses accolades. Mes yeux me piquaient, d'étranges frissons me parcouraient mais je savais qu'ils étaient dus au fait d'assister à ce spectacle unique. J'avais la chance de voir une foule de personnes être réunie, s'élever pour ne plus former des individus indépendants les uns des autres mais un groupe. Oui, un groupe. J'étais heureux d'appartenir à cette manifestation générale. Je me sentais à ma place parmi eux, et tout prenait un sens. Toutes ses souffrances que nous avions endurés dans le royaume des morts trouvaient une justification alors que j'observais uns à uns ceux qui m'entouraient et que je redécouvrais leurs visages alors qu'ils étaient baignés dans cette vague de Lumière divine. Je suppose que je devais leur ressembler. Nos cheveux à tous étaient devenus brillants comme le soleil, tout comme nos âmes je crois.
Mu me saisit avec force la main et par cette poignée il me transmis tout ce qu'il éprouvait en cet instant. J'étais fier d'être un chevalier d'Athéna. J'étais fier de les avoir tous pour amis, d'avoir vécu tant de moments avec eux. J'étais fier de ce que j'étais. Shura, qui se tenait à ma droite hocha la tête et je remarquai alors une larme roulée sur sa joue pour venir s'écraser sur la manche de la tunique vert olive qu'il portait. Et j'eus envie de faire de même, de laisser couler mon bonheur dans des larmes réparatrices de toutes les souffrances qui nous avaient été infligées depuis plusieurs mois.
Nous tous, les puissants, les indestructibles, les invincibles chevaliers d'Or, pleurions de joie comme des enfants heureux et comblés. Mon cœur me parut exploser dans ma poitrine alors que j'entendais Camus et Aphrodite partir en de longs éclats de rire entrecoupés de sanglots qu'ils n'arrivaient pas à retenir. Même Shaka se laissait submerger par ce qu'il vivait et essuyait de temps à autre une larme qui courait le long de son visage. Il y avait des hurlements de joie autour de nous, on criait à la cantonade le nom d'Athéna, et je crus distinguer la voix de Seiya et de Hyoga dans ce déferlement de bonheur. Ils étaient là eux aussi et je sentais leur présence.
Je recevais des bourrades de partout, j'en donnais tout autant alors que le domaine sacré était baigné de cette joie irradiante que nous éprouvions et je me dis qu'Athéna devait le ressentir de là ou elle se trouvait. Car elle était revenue parmi nous. Oui, nous étions tous redevenus ses chevaliers et cette pensée balaya les dernières réserves que j'avais encore tenues pour essayer de garder un semblant d'honneur.
Cette nuit marquait celle de notre résurrection. A tous.


Sorrente

L'impression que provoquait le sable sur mes pieds nus était agréable et me donnait l'impression de me sentir libre... ou était-ce autre chose qui m'apportait cette tranquillité d'esprit?
Je me promenais aux côtés de Julian depuis plus d'une heure, sur la plage qui bordait sa propriété et je m'amusais à regarder les étoiles qui brillaient de façon étrangement forte cette nuit-là. Je me gardais pourtant d'en faire la réflexion car nous partagions un silence reposant depuis un long moment. Mais celui-ci n'avait rien de pesant, bien au contraire, il me semblait léger comme si un simple voile s'était glissé entre nous, fin comme une aile de papillon, facile à soulever ou a retirer. Mais nous n'avions pas besoin de prononcer la moindre parole pour comprendre que quelque chose était différent, était entrain de changer. Ce n'était encore qu'une vague sensation, mais qui se dessinait de mieux en mieux à mesure que le temps s'égrenait lentement, insensiblement.
Le vent soufflait à peine dans les quelques touffes d'herbes qui avaient résisté courageusement au canicule de l'été grec. Cette brise paraissait elle aussi essayer de respecter le silence qui nous entourait, ou plutôt de s'harmoniser avec lui.
Je regardais depuis une bonne demi-heure le sol se dérouler sous mes pieds alors que j'avançais lentement et, sans m'en rendre compte, mon regard fut irrésistiblement attiré par la mer et l'horizon, comme si je ne faisais que répondre à un besoin de me retrouver à l'endroit ou le ciel se fondait dans la mer.
La mer... je me figeais, saisissant soudainement le bras de Julian pour l'arrêter. Il me jeta une oeillade déconcertée alors que je me retrouvais incapable de proférer le moindre son. D'une main tremblante, je lui indiquais à l'aide de mon index qu'il devait se retourner de l'autre côté, pour voir ce que je voyais. Il détourna la tête et poussa un cri d'effarement.
Ce qui se découvrait à nos yeux était inexplicable, invraisemblable! L'eau, oui, la surface de l'eau s'était muée en or. Il semblait que la mer entière brillait, qu'un flot dorée l'envahissait, la transformant en le plus précieux des biens. Cela n'avait aucune commis mesure avec les couleurs que le soleil projette alors qu'il se couche, non! L'eau était devenue dorée!
Je crois que Julian essaya de balbutier quelque chose sans pour autant y parvenir et je n'avais pas la force de lui demander de répéter. La clarté qui recouvrait la mer projetait des rayons de Lumière sur nos visages, nous éblouissant sans que nous comprenions ce qui se produisait. L'astre du jour lui-même avait l'air bien pâle face au mystérieux spectacle auquel nous assistions.
Tout à coup, je regrettai de ne pas avoir ma flûte près de moi pour pouvoir composer quelque divine musique qui se serait parfaitement accordée avec la majesté de la scène que nous vivions. Et je ne pus m'empêcher de me dire qu'aucun son, qu'aucune mélodie n'était ni ne serait jamais à la hauteur de cette explosion de Lumière.
C'est alors que je sentis quelque chose parcourir la mer, comme un frémissement tout d'abord qui se transformait peu à peu en une puissance qui venait pour nous entourer de son bien-être, de son amour. Je vis Julian porter une main à sa bouche pour retenir le cri de stupeur qui lui montait naturellement au lèvres. Il me prit l'épaule et la serra entre ses doigts mais la douleur de cette étreinte ne m'atteignit pas, tant je me retrouvais sans voix, sans réaction, sans rien face à ce qui se déroulait. Tout ce que j'aurai pu déclarer aurait été creux de toute manière, vide de sens et d'intérêt face à cette force qui m'entourait, à ce... cosmos? Je secouais la tête, incrédule. Aucun cosmos au monde n'était capable de faire cela, du moins plus à présent! Mais pourtant, il me semblait bien que je l'avais déjà rencontré à plusieurs reprises...
-Athéna... c'est Athéna, articula avec difficulté Julian.
Je n'en croyais pas mes yeux alors que nos deux cosmo-énergies s'éveillaient, se mélangeant à ces vagues de clarté, nous mêlant de façon indissociables à celles-ci. Tous mes sens n'étaient plus fixés que sur cette énergie divine et je me retrouvais incapable de parler, de cligner des yeux, de bouger. Je réalisais comme cette force était pure et puissante à la fois et je me souvenais avoir déjà été réduit au mutisme par ce même cosmos. Je me sentais soudainement insignifiant et sans valeur, comme si je n'étais qu'un grain de sable perdu dans cette océan de lumière. Pourtant, cette puissance ne m'écrasait pas, pas plus qu'elle ne m'oppressait, non. J'étais bien, mieux que je ne l'avais jamais été, alors que mon cœur et mon âme s'ouvraient, déversant toutes les peines accumulées durant ces derniers mois pour ne plus laisser que le bonheur qui s'emparait de moi.
Je me doutais que Julian faisait de même, et j'étais soudainement content de vivre cet instant avec lui, mon meilleur ami. Et je dus ouvrir les yeux, me l'avouer, c'était bel et bien la déesse Athéna qui nous englobait dans sa bienveillance. Mais pourtant... je la croyais morte, ou tout du moins disparue jusqu'à la prochaine Guerre Sainte qui se déroulerait dans deux cents ans... Alors comment cela se faisait-il? Comment réussissait-elle à faire cela, alors que...
Je croisais à ce moment le regard de Julian, et je décelais dans ses yeux une étincelle, une lueur d'émerveillement comme seuls les enfants savent en ressentir alors que leur cœur est encore innocent. J'étais exactement comme lui en cet instant et je lui souris. Je souris à l'homme mais aussi au dieu qui se trouvait en lui. Je souris à la lumière qui me baignait dans sa douceur, à moi-même, à tous ceux que je ne connaissais pas et qui savaient apprécier la vie comme elle leur était offerte.
Sachant que je n'avais rien à faire de plus, je souris.


Dohko

Je ne sais plus exactement combien de temps nous sommes restés au bas du Sanctuaire après que l'explosion de cosmos d'Athéna se soit arrêtée. Et d'ailleurs, combien de temps cela avait-il duré? Je n'avais plus eu la moindre notion de l'heure alors que je trempais dans cette lumière dorée qui me traversait de toute part, me remplissant de joie et me comblant étrangement.
J'avais l'esprit encore bourdonnant des acclamations de joie que j'avais entendues de toute part, j'avais la tête qui me tournait en repensant à la façon dont nous étions tous pressés les uns contre les autres, réunis dans la fraternité et sans plus aucune gêne entre nous. Je n'avais, en 250 ans de vie, jamais connu pareille émotion, pareil moment. J'aurais vécu une deuxième fois ma vie si on me l'avait demandé pour connaître de nouveau ne serait-ce qu'un centième de ce à quoi j'avais participé cette nuit. C'était bouleversant, poignant, saisissant... j'en avais eu la gorge nouée, les battements de mon cœur s'étaient fait plus rapides et j'avais été ému, touché par tous ces gens, par mes frères en réalité. Cela avait été un instant hors du temps, hors du monde, suspendu entre la réalité le rêve...
Athéna était revenue et je ne pouvais pas encore y croire tant j'avais encore les yeux plein de cette foule grouillante autour de moi et l'esprit accaparé par les expressions que j'avais lues sur le visage des autres chevaliers d'Or. Nous étions tous d'habitude plutôt réservés, mais là, nous étions redevenus ce que nous n'avions finalement jamais vraiment cessé d'être, des hommes comme les autres.
Quand le flot de clarté qui nous avait conféré tant d'émerveillement avait diminué peu à peu, je ne m'en étais pas aperçu, j'étais emporté dans le tourbillon des cris et des rires, des sanglots et des sourires et je n'avais rien vu venir. Je n'ai réalisé, comme tout le monde je crois, que le cosmos d'Athéna ne nous entourait plus que lorsque celui-ci avait totalement disparu. Mais si la lumière dont elle nous avait gratifiée n'était plus visible, sa présence se faisait encore bien sentir et j'étais dorénavant capable, ayant retrouvé grâce à elle la totalité de mes pouvoirs, de savoir ou elle se trouvait.
Quand les dernières accolades, les derniers hurlements de ravissement se turent et que toutes les personnes présentes -la totalité du Sanctuaire en somme!- se furent dispersées, je me suis retrouvé avec mes onze frères chevaliers d'or au pied du Sanctuaire, les yeux encore aveuglés par tant d'émotions successives mais bien décidé à ramener la déesse le plus tôt possible ici même. Je sais que les autres avaient tous la même idée en tête mais comme j'avais été élu pour tenir le rôle du Grand Pope à l'unanimité, ils attendaient tous que je prononce les premiers mots. Mais je n'osais pas vraiment parler de peur de briser la magie qui s'était emparée de nous durant cette nuit-là. Pourtant, il fallait bien commencer par quelque part...
Je me retournais vers eux. Hormis Shura, Saga et Shaka, ils étaient tous assis sur les premières marches menant au temple du Bélier, comme un groupe d'enfants attendant sagement qu'il se produise quelque chose. Je voyais leurs visages illuminés de sourires, leur regards encore embrumés par les larmes qu'ils avaient versées. Je les connaissais tous depuis toujours et pourtant, il me semblait qu'avant cette nuit, je n'avais réellement vu aucun d'entre eux. Je n'avais jamais eu affaire qu'aux chevaliers d'or mais pas aux hommes qui se tenaient sous la protection de leurs armures. Oui, évidemment, j'avais côtoyé le chevalier du Lion ou encore celui du Bélier ou du Verseau, mais jamais, non, jamais, je n'avais eu l'honneur de m'adresser à Aiolia, à Mu, ou encore Camus ou à n'importe lequel d'entre eux.
Je sus que ce matin-là, nous étions tous plus proches les uns des autres que nous ne le serions sans doute jamais. Quelque lien secret et invisible s'était tissé entre nous alors que nous étions baignés dans la lumière divine que provoquait Athéna et il nous reliait à présent en un enchevêtrement compliqué et que je jugeais, à juste titre je crois, indestructible. Je crois que nous ressentions tous que quelque chose avait changé. Pas seulement parce qu'Athéna était revenue, non, mais parce qu'elle nous avait offert la chance de retrouver nos pouvoirs et de nous retrouver nous-mêmes. Nous étions tout simplement devenus amis et alors que je croisais un à un le regard de tous ces hommes, je vis qu'il ne cherchait plus à se dissimuler sous le masque du combattant et qu'ils acceptaient tous le don qu'on leur avait fait. Nous n'étions plus seulement des icônes dorées et vénérées de tous les membres du Sanctuaire, mais des hommes tous réunis par leur amour de la paix, de la justice et d'Athéna. Notre amitié toute neuve s'était enflammée en même temps que notre cosmo-énergie et nous ne comptions à présent gâchés ni l'une ni l'autre.
Masque de Mort se racla la gorge alors qu'Aphrodite enroulait distraitement une mèche de ses longs cheveux bleu pâle autour de ses doigts. Milo et Aiolia échangeaient quelques regards avant de se retourner dans ma direction et je sus alors qu'ils attendaient tous un discours venant de ma part. Je sus que j'avais leur attention à tous, mais pas seulement pour les quelques minutes qui allaient suivre, mais pour aussi longtemps que je vivrais.
"Je crois, commençais-je d'abord d'une voix hésitante, je crois que nous avons vécu quelque chose d'unique et qui ne s'était encore jamais produit dans toute l'histoire de la chevalerie.
Un murmure d'approbation traversa les onze personnes qui se tenaient devant moi.
-Oui, continuais-je alors que ma voix prenait peu à peu l'assurance dont elle était coutumière, nous avons participé, tous autant que nous sommes à la résurrection d'Athéna. Et à celle de tout le Sanctuaire en même temps. Je ne saurais trouver de mot assez fort pour décrire ce qui se passé cette nuit, et ce n'est d'ailleurs pas ce que je recherche car rien ne pourra jamais nous rendre l'impression qui se dégageait de la foule et ce que nous éprouvions au plus profond de nous. Seulement, je crois qu'il s'est passé quelque chose de notable, comme si quelque barrière avait cédé entre nous et que nous étions retournés à notre véritable essence.
Je vis Aioros hocher la tête et nous échangeâmes un sourire, le premier me parut-il, depuis de longs, de très longs mois. Je n'avais pas besoin d'en dire plus sur ce sujet, car il ne faisait aucun doute qu'ils comprenaient tous que nos relations étaient à jamais changées.
- Et Athéna?...murmura Mu en me fixant et en attendant que je trouve une réponse à son interrogation incomplète.
Je réfléchis quelques instants, interloqué par cette phrase suspendue avant de comprendre de quoi il me parlait. J'étais si bien étourdi par tout ce que j'avais vécu, que j'avais du mal à reprendre le fil de mes pensées.
-Oui... Athéna est revenue et il nous faut maintenant la ramener au Sanctuaire. Je suppose que comme moi, vous ressentez encore l'énergie qu'elle dégage.
Je jetai un rapide coup d'œil circulaire à l'assemblée, toujours aussi attentive, qui se tenait devant moi. Ils m'approuvaient tous d'un signe de tête et je continuais :
-J'ai l'impression très nette qu'elle n'est pas loin d'ici mais qu'elle ne peut pas revenir par ses propres moyens. Elle est probablement épuisée, car, rappelons-nous que cela fait plus de sept mois qu'elle a disparu. Ses ressources, aussi bien physiques que morales, doivent arrivées à terme...
-La force dont elle nous entourait il y a encore à peine quelques heures était pourtant phénoménale, me coupa soudainement Aldébaran.
-Sans doute, répliqua Shaka, mais elle a du donner ses dernières forces pour prendre contact avec nous...
J'acquiesçais d'un regard alors que Shura faisait déjà un pas en avant dans ma direction pour prendre la parole.
-Je crois que nous ne pouvons pas tergiverser ici durant des heures, il nous faut immédiatement nous mettre en route pour aller la chercher. Elle doit être à bout de force et nous ne pouvons pas la laisser patienter éternellement, déclara-t-il alors que sa voix prenait des intonations volontaires et décidées, comme à chaque fois qu'il était question d'agir au plus vite.
-Oui, répondis-je, et le fait d'avoir récupéré tous nos pouvoirs va beaucoup nous aider pour la localiser. Il me semble qu'elle se trouve actuellement sur un îlot, au large des côtes, en plein milieu de la mer Égée mais pas à plus de cents kilomètres d'ici.
Je marquais une pose car je ne savais pas encore vraiment comment leur annoncer que je sentais une autre présence à ses côtés... pourtant, j'étais persuadé qu'il ne devait pas s'agir d'une personne. Je décidais de couper court à mes hésitations.
-Mais il me semble aussi qu'elle se trouve sur l'île du gouffre de l'enfer. C'est sûrement par cette porte entre le monde des ténèbres et le notre qu'elle a du sortir. Seulement, je me rappelle très bien que la téléportation est impossible à cet endroit, car le cosmos d'Hadès y officie en permanence, empêchant ainsi les éventuels rôdeurs d'y pénétrer...
Mu se releva d'un bond et agita son index pour ajouter quelque chose.
-Oui, c'est vrai, intervint-il, je me souviens bien de cette histoire, mon maître m'en avait parlé. Mais je pense que l'énergie qu'a déployé Athéna n'était pas uniquement pour nous, évidemment, ce flot de lumière était destiné à nous avertir de son retour, mais elle a peut-être essayé, par la même occasion, de faire tomber la barrière mentale que créait en permanence l'empereur des morts.
-Puisque tu es l'expert du Sanctuaire dans ce domaine, répliquai-je de plus en plus intéressé par ce qu'il racontait, te penses-tu capable de réussir le tour de force d'emprunter la fissure qu'Athéna a du provoquer dans le voile qu'Hadès tient comme protection et de la ramener?
Mu sourit, car il devait être heureux que je l'ai choisi pour accomplir cette mission. Il avait, comme nous tous, envie de revoir Athéna, de constater de ses propres yeux qu'elle était en vie et j'avais pleinement confiance en lui et en ses dons retrouvés. La cosmo-énergie de notre déesse ne nous avait pas rendu nos pouvoirs, mais s'était contentée de les réveiller en nous, et nous nous sentions, alors que l'aurore jetait ses premiers feux dans le ciel, plus puissants que jamais.
-Je me sens même prêt à accomplir n'importe quelle miracle! me rétorqua Mu, un sourire ravi sur les lèvres qui illuminait tout son visage et particulièrement ses grands yeux violets.
Il s'était approché de moi de quelques pas et nous nous dressions l'un en face de l'autre. Je le dépassais de quelques centimètres, et de plusieurs centaines d'années d'expérience, mais je ne voyais ce jour-là plus en lui le disciple de mon ami Sion, ni le garçon en difficulté que j'avais retrouvé devant son temple alors qu'il combattait son maître revenu à la vie mais un chevalier qui était mon égal, mon frère, un homme digne de confiance. Je mis ma main sur son épaule et lui donnais une joyeuse tape d'encouragement.
-Il te faut partir tout de suite, Mu, car j'ai peur qu'Athéna ne puisse plus tenir bien longtemps la porte qu'elle a créée pour que l'un de nous se téléporte. Dépêche-toi.
Je le vis alors disparaître dans des gerbes de lumière qui l'entouraient et je sentis que ma respiration devenait de plus en plus difficile à la simple pensée que j'allais de nouveau voir Athéna devant moi. Pur la première fois en fait, j'allais la rencontrer en chair et en os. Je détournais mes yeux quelques instants des autres chevaliers et effleurais du regard les petits groupes de personnes qui s'étaient disséminés dans le Sanctuaire et qui parlaient activement de ce qui s'était produit la veille.
-Heureusement que nous avons remis le Sanctuaire en état avant qu'Athéna ne revienne, déclara Masque de Mort... et heureusement que nous sommes tous revenus pour prendre en main le domaine sacré, parce que dans le cas contraire, personne ne serait venue la chercher sur l'île ou elle attend!
Je ne pouvais que lui donner raison mais je devinais aussi pourquoi il avait éprouvé le besoin de briser le silence agréable qui régnait alors entre nous. Il ne devait guère être enthousiaste à l'idée de rencontrer notre déesse. Il s'était évidemment repenti des crimes qu'il avait commis, mais il devait lui sembler que rien n'effacerait jamais le sang qu'il avait sur les mains. Je fus alors soulagé de constater qu'il éprouvait des remords car cela me prouvait que j'avais à faire à un être humain et non pas au monstre sanguinaire qui agissait autrefois.
-Maintenant que nous avons récupéré nos pouvoirs, le problème des armures restent entiers.
C'était la voix de Camus qui venait de s'élever et je lui faisais face, préparant déjà une solution à l'interrogation qu'il se posait et que nous nous posions tous depuis déjà plusieurs mois. Nous avions demandé à Mu s'il était capable d'en fabriquer de nouvelles mais ce projet avait rapidement été avorté quand il s'était avéré qu'il était dans l'impossibilité de manier le moindre de ses outils célestes. Même Kiki, son disciple, avait l'air dans savoir plus que lui dans ce domaine. Mais maintenant que nos pouvoirs s'étaient réveillés, l'espoir renaissait.
-De toute manière, coupa Milo, rien ne presse car aucune guerre ne se préparent.
-C'est sûr, répliqua à son tour Saga, mais il faut tout laisser en ordre pour la prochaine bataille, car, même si elle ne se passe que dans deux-cents ans... j'imagine mal les douze chevaliers d'or arriver devant Hadès vêtus comme nous le sommes tous actuellement.
Je me surpris, malgré la fébrilité que j'éprouvais dans l'attente de voir Athéna, à sourire à ce qu'il venait de dire. Il était vrai que cela n'aurait rien eu de bien glorieux que de se présenter dans des tuniques et des pantalons de toile devant le dieu des ténèbres.
-Oui, mais, ce que je voulais dire, ce que même si notre alchimiste de Mu met des années à trouver le comment du pourquoi pour recréer de nouvelles armures, cela ne sera pas grave puisque nous sommes en tant de paix jusque pour dans deux-cents ans! précisa Milo en fixant des yeux Saga.
J'avais envie de partager l'opinion de Milo, et de tous les autres chevaliers d'Or qui hochaient la tête à ce qu'il venait de dire, mais mon sixième sens cumulé à mes 250 années d'existence, me soufflait de ne pas trop me fier à apparence. La gardienne de la Terre étant de retour, j'avais l'impression que nous n'allions pas tarder à voir resurgir d'autres ennemis avides de mesurer leurs pouvoirs aux siens... et aux nôtres.


Le soleil commençait à s'élever dans le ciel alors qu'elle se tenait toujours à genoux, sa robe étendue autour d'elle comme une corolle et les mains tranquillement croisées sur ses genoux. Le spectacle que lui offrait la nature la ravissait jusqu'au plus profond de son être, tout comme ce qu'elle avait éprouvé alors que ses chevaliers se réunissait par ne plus former qu'un seul individu, qu'une seule voix qui se réjouissait de son retour.
Elle n'arrivait pas encore à réaliser ce qui s'était produit. Elle était là! Elle était de nouveau sur terre, à observer le plus magnifique levé de soleil auquel il lui parut qu'elle n'avait encore jamais assisté. Toutes les couleurs lui semblaient plus vives, les odeurs plus enivrantes, les bruits plus forts qu'auparavant. Le périple qu'elle avait vécu durant des mois- des années peut-être?- lui avait permis de décupler son envie de vivre, d'apprécier chaque chose à sa juste valeur.
Elle avait cru ne jamais revoir l'astre du jour, ne plus jamais sentir sa douce chaleur l'englober et lui apporter l'énergie dont elle s'était vidée au court de la nuit dernière. Le soleil entrain de se lever, cela semblait si anodin ou banal aux êtres humains alors que cela lui faisait l'effet d'un véritable miracle. Ce soleil... elle avait bien cru que plus jamais il n'aurait l'occasion de réapparaître alors que l'éclipse d'Hadès plongeait peu à peu la terre entière dans le monde de l'obscurité. Elle passa une main devant ses yeux, cherchant à reprendre ses esprits et à quitter ces souvenirs qu'elle ne souhaitait pas revivre, pour l'instant du moins.
Son cosmos doré l'entourait toujours, alors qu'elle poursuivait ses efforts pour maintenir une brèche qui permettrait à l'un de ses chevaliers de passer. Elle ne savait pas, alors qu'elle venait juste de reprendre contact avec la réalité en sortant du gouffre de l'enfer, si un chevalier assez puissant pour arriver jusque sur cette île était encore en vie, et alors qu'elle répandait son cosmos sur son Sanctuaire, l'étourdissant, le faisant irradier de lumière et de joie, elle avait détecté la présence de douze forces, douze cosmos hors du commun, comme seuls des guerriers d'une puissance incalculable était capable d'en émettre. Cela lui était d'abord apparu comme invraisemblable, et elle avait accru sa concentration pour aboutir à la conclusion que ses douze Saints d'Or étaient dans le monde des vivants. Elle avait tout d'abord été sous le choc de cette nouvelle, alors que son cœur se remplissait à son tour de liesse. Ainsi, eux aussi avaient réussi à s'en sortir, à parvenir à échapper aux griffes de l'empereur maléfique qu'était Hadès. Elle était fier d'eux, de leur bravoure, de leur courage face à toutes les épreuves que le destin leur avait imposé. La hâte de les revoir, d'obtenir la preuve qu'ils étaient tous sur cette terre qu'elle chérissait, lui avait permis de continuer à tenir, alors qu'elle ressemblait à une étoile se fondant dans la nuit durant tout le temps ou elle dégageait des flots de clarté.
Elle écoutait maintenant le bruit de l'océan. Le roulement de vagues s'échouant en de longs rouleaux contre les parois rocheuses de l'île lui procurait une sensation de bien être indescriptible. Les rayons du soleil jouaient dans les branches des maigres oliviers qui l'entouraient et elle observait tout cela avec le regard d'un aveugle qui découvrait pour la première fois toutes les merveilles du monde. Elle avait ouvert ses paumes et les avait tourné vers le ciel, comme pour s'aider à maintenir sa cosmo-énergie au même niveau afin que la fissure dans la puissance d'Hadès ne se referme pas. Elle ne savait pas combien de temps elle pourrait tenir, peut-être plus très longtemps. Mais elle devait résister, quitte à se retrouver sans force par la suite. Elle devait faire preuve du même courage et surtout, de la même ténacité dont ses fidèles combattants avaient toujours fait preuve et elle n'abandonnerait pas.
Elle écouta une nouvelle fois le bruit de la brise passant dans les arbres et dans les maigres touffes d'herbes, ses cheveux dansant légèrement sous l'effet du vent. Elle avait fermé les yeux pour mieux se concentrer et ce n'est qu'au bout de quelques instants qu'elle réalisa que ce n'était plus le bruit des vagues qu'elle percevait, mais autre chose... il s'agissait d'un frémissement, comme une onde cherchant sa place alors que l'air ondulait tout autour.
Elle se releva précipitamment tandis que des éclats de lumière apparaissait d'abord faiblement puis s'intensifiant peu à peu. On aurait dis que cette clarté tentait de s'imposer et elle comprit ce qui se passait. Elle allait... elle allait... Les larmes lui montèrent aux yeux, comme au moment ou elle était parvenue à se hisser jusqu'à la surface de la terre. Cela faisait des mois qu'elle n'avait pas vu un être vivant, de longs mois qu'elle n'avait pas entendu le son d'une autre voix que la sienne, qu'elle n'avait pas touché la peau d'une personne ou échangé un sourire avec elle. La lumière se fit plus stable, plus forte et tout disparut soudainement.
Et elle resta figée, telle une statue de marbre, incapable d'avancer ou de reculer. Tout son corps tremblait comme une feuille morte agitée par le vent d'automne. Elle n'était plus seule à présent, non. C'était...
-Mu! s'écria-t-elle.
C'était le seul mot qu'elle se sentait la force de dire.
-Athéna! murmura-t-il en tombant à genoux devant elle et en saisissant ses deux mains avec une ferveur mal contenue.
Une voix... une voix humaine. Ce son était presque musicale pour elle qui était habituée au silence depuis tant de temps. Les larmes coulèrent de ses yeux et il lui parut que leur source était intarissable. Son chevalier du Bélier était toujours à ses pieds et pleurait à son tour. Jamais, jamais il n'avait cru revoir cette jeune fille qui représentait tant, pour lui, pour le Sanctuaire et pour le monde. Cette énergie qu'il avait ressentie la nuit précédente, oui, il la retrouvait, encore plus forte, encore plus brillante maintenant qu'il se trouvait devant celle qui la dégageait.
Athéna ne voyait plus que ses immenses cheveux mauves mais elle sentait, elle savait qu'il était tout aussi ému, tout aussi bouleversé parce ce qu'ils vivaient ensemble.
-Nous avons cru... chuchota-t-il, avant d'être soudainement réduit au mutisme par tous les sentiments qu'il éprouvait et qu'il ne se sentait plus la force de maîtriser.
Elle le saisit par les épaules avec délicatesse, avec le même soin qu'elle aurait eu pour le plus précieux des objets. Mais il était un être humain et c'était bien ce qui avait le plus de valeur sur terre. Elle le savait et l'avait toujours su et ces mois, qui formaient d'ailleurs peut-être des années, n'avaient fait que renforcer cette croyance.
-Relève-toi, chevalier, ordonna-t-elle doucement alors qu'il se remettait debout.
Elle n'arrivait plus à s'arrêter de verser des larmes de joie, mais comprenait aussi que le temps des retrouvailles et des explications viendrait après. Ils n'avaient pour l'instant pas le loisir de se laisser aller à leur bonheur car ils devaient partir, au plus vite, avant que sa cosmo-énergie ne s'éteigne, avant que la brèche qu'elle s'évertuait à former ne se referme, avant que leur chance de quitter le territoire d'Hadès ne disparaisse.
Mu la regarda, écartant d'une main une mèche qui barrait le front de sa déesse et il lui sourit. Il réalisait lui aussi que leur temps était compté maintenant mais il ne pouvait s'empêcher d'avoir envie de profiter de ce retour. Ses yeux étaient brillants de larmes et son cœur battait à tout rompre.
-Mu... vite! Nous n'avons plus beaucoup de minutes devant nous!
Elle n'avait retrouvé qu'à peine ses esprits tant la tête lui tournait d'avoir enfin un contact humain après tout ce temps. Mais elle possédait encore assez de clarté d'esprit pour se rappeler qu'elle était à bout de force et Mu parut lire l'expression d'épuisement qui passait dans les yeux de la jeune fille.
Il saisit son bras d'une main ferme et s'isola quelques instants du monde en se retranchant dans son esprit. Il ne savait plus exactement ou se trouvait la faille qu'Athéna était entrain de maintenir et devait la repérer, mais pour cela, il avait besoin du calme le plus absolu. Oui, mais, comment être serein alors que chaque seconde les éloignait un peu plus de la chance de repartir?
Il inspira profondément, faisant fi de l'affolement qui l'envahissait. Qu'allaient-ils devenir s'ils ne réussissaient pas à revenir? Seraient-ils contraints de rester sur cette île pour toujours? Il n'arrivait pas à localiser la brèche et il ferma ses paupières. Non, la pulsation qui émanait de l'endroit ou le voile de protection d'Hadès n'était plus, disparaissait de plus en plus, la rendant presque introuvable, impraticable.
La situation était grave et il sentit un long frisson lui parcourir le dos alors que sa déesse déployait toute l'énergie qui lui restait pour maintenir la sortie qu'elle avait fait naître. Ils n'avaient le droit de baisser les bras ni l'un ni l'autre. Pourtant, il semblait que le temps agissait contre eux, comme si l'empereur des morts, d'ou il était, s'évertuait à contrer le cosmos d'Athéna.
Mu secoua la tête, ses longs cheveux se balançant au rythme de ses mouvements. Non, ils n'allaient pas finir de cette façon, pas maintenant, pas comme cela. Ils n'échangeaient de mot ni l'un ni l'autre, cela leur aurait volé trop de force et la situation était bien assez dramatique sans qu'ils aient besoin de faire de commentaires. C'est alors que Mu revit le visage confiant et souriant de Dohko, lui demandant de ramener leur déesse au Sanctuaire, le chargeant de veiller sur Athéna. Le chevalier de la Balance avait foi en lui, comme tous ses autres frères et ils ne devaient pas les décevoir.
Il se retrancha en lui-même, alors qu'à ses côtés, Athéna restait sereine car elle savait que c'était le seul moyen pour déployer son énergie autour d'elle et tenir tête au bouclier de protection d'Hadès. Mu se rappela qu'il avait mis près de trente minutes pour atteindre l'îlot, et à ce moment, le cosmos d'Athéna était bien plus puissant, plus stable. Cela signifiait que... non! Il n'allait pas laissé faire cela! Saori savait qu'elle ne tiendrait plus bien longtemps, qu'elle serait bientôt dans l'impossibilité de faire ne serait-ce qu'un minuscule trou dans le cosmos du dieu des Enfers. Mu était si bien concentré qu'il entendait son cœur battre, s'emballer et de fines gouttes de sueur vinrent bientôt perler son front. Il avait peur, très peur mais ne voulait pas affoler la déesse et se contrôlait donc du mieux qu'il le pouvait. Extérieurement, il avait simplement l'air calme et grave.
Il sentit le bras de Saori entourer le sien car elle se préparait sans doute déjà pour la téléportation. Mais c'était impossible... à la rigueur, il aurait pu repartir tout seul, mais certainement pas à deux. Il se mordit les lèvres, sachant qu'il devait prendre une décision. Il allait tout bonnement la laisser sans aller d'abord, l'éloigner le plus loin possible de ce maudis barrage mental et il resterait sur l'île jusqu'à ce qu'elle soit de nouveau capable de percer le bouclier de protection. Même si cela devait prendre des années, il saurait qu'il avait fait son devoir et que la déesse Athéna était saine et sauve. Sans réfléchir davantage, il fit apparaître entre ses mains des gerbes de lumière, aussi brillantes que des étoiles dans la plus sombre des nuits et il en entoura sa déesse, qui venait de prendre un air aussi surpris qu'affolé.
-Mais Mu, que fais-tu?!
-Je vous revois au Sanctuaire! dit-il entre ses dents qu'il gardait serrer car son énergie, sous l'emprise de celle d'Hadès diminuait de plus en plus, comme cela avait été le cas alors qu'il se trouvait avec Aiolia et Milo dans le château de ce dernier.
-Je ne veux pas partir sans toi! répliqua la jeune fille.
-Il n'y a pas d'autre solution, princesse. J'essayerai de vous suivre du mieux que je le pourrai.
Il parut à Mu que la température était montée de plusieurs dizaines de degrés tout à coup lorsqu'il réalisa qu'il n'était pas même capable de faire une seule téléportation. Alors, ainsi, ils étaient perdus. La brèche que créait Athéna était maintenant visible et malheureusement pas plus grande qu'une tête d'épingle. Il n'y avait donc plus rien à faire? La situation est-elle désespérée à ce point?
Mu concentra tout ce qui lui restait de cosmos en fermant les yeux et Athéna fit de même, leurs deux énergies se mêlant pour ne plus former qu'un. Ils n'étaient plus qu'un même individu, brillant et flamboyant grâce à la clarté qu'ils dégageaient et soudainement, ce fut comme un miracle. La brèche s'agrandissait peu à peu alors que leur cosmos s'étendait tout autour, se répandant, s'enflammant de plus en plus, devenant de plus en plus forts. La fissure s'élargissait sous leurs yeux et ils comprirent alors, au même moment, à la même seconde ce qui était entrain de se produire.
Ils n'étaient pas les seuls à accomplir ce miracle! Non! Derrière la brèche, de l'autre côté, douze cosmo-énergies les aidaient, traversaient le bouclier d'Hadès pour les aider, pour les ramener, les guider jusqu'au Sanctuaire. Athéna et Mu voyaient presque sous leurs yeux apparaître un à un les visages de tous les fidèles combattants qui leur donnaient toute la force qu'ils étaient capable de produire. Kanon, Saga, Shaka, Aiolia, Camus, Milo, et tous les autres... tous autant qu'ils étaient se mêlaient au cosmos divin d'Athéna et à celui du chevalier du Bélier.
Mu frissonna devant le force de cette action combinée alors qu'il saisit avec fermeté et volonté la main de Saori. La fissure était maintenant bien assez large pour leur livrer passage à tous deux. Et bien loin de s'affaiblir, les douze énergies qui les aidaient s'intensifiaient. Alors, Mu et Athéna s'engouffrèrent dans la brèche, disparaissant dans des éclats de lumière dorés et argentés, laissant derrière eux cette île maléfique ou l'emprise d'Hadès devenait plus faible de seconde en seconde.
Un léger appel d'air fut le dernier souvenir auquel eut droit ce lieu maudis et puis, plus rien, le calme retomba, envahissant de nouveau cet endroit triste et désolé.


Aphrodite

Nous nous étions tous concentrés à notre paroxisme quand Dohko nous avait confié qu'il sentait que quelque chose n'allait pas sur l'île du gouffre de l'enfer, que Mu n'arrivait pas à ramener Athéna car cette dernière, à bout de force, ne pouvait plus maintenir la fissure qu'elle créait jusqu'à présent.
Sans même réfléchir, nous avions bondis de l'endroit ou nous étions assis et avions enflammé notre cosmos, sous le regard ébahi de tous les autres chevaliers du Sanctuaire. Ils ne devaient pas croire leurs yeux du spectacle qui leur était offert. Nous étions tous les douze entourés de nos énergies qui formaient des volutes et qui se rejoignaient toute en un point, un endroit qui était sous doute la sortie de la brèche de notre déesse. Nous nous étions alliés à l'énergie de celle-ci et à celle de Mu pour maintenir un tunnel entre l'île et le domaine sacré. Et nous y étions parvenus, au prix de nos efforts conjugués. J'étais à présent tellement heureux de pouvoir m'unir aux autres chevaliers, mêlant nos puissances, comme nous l'avions tous fait devant le Mur des Lamentations.
C'est alors que nous étions encore entourés de nos cosmos, que la fissure devint plus grande avant de se refermer complètement après que des jets de lumière nous aient aveuglés. J'avais d'ailleurs à peine eu le temps de mettre ma main devant mes yeux pour me protéger que j'entendis des cris, des cris comme je n'en avais pas entendu depuis... depuis cette nuit?
Je battis quelques instants des paupières avant de découvrir la raison de ces hurlements de joie généraux. Alors je vis Mu avec... Athéna! Oui, c'était elle qui lui tenait le bras, qui passait le revers de sa main sur son front, qui souriait soudainement de façon si lumineuse, si intense que mon cœur se serra. Elle était pâle comme de la neige et si ses gestes étant toujours empreints de la même grâce, on pouvait aussi sentir la lassitude, la fatigue mais aussi la bonté qui émanait d'elle. Elle était beaucoup plus maigre que je ne l'avais imaginé, ce qui n'avait rien d'étonnant suite à son périple, et elle semblait à bout de force, comme si ses jambes n'allaient plus la porter d'un instant à l'autre.
J'eus tout à coup envie de m'avancer vers elle pour la soutenir, l'aider à faire le prochain pas, mais je me suis retrouvé comme bloqué, incapable d'esquisser le moindre geste, comme si une force inconnue et invisible m'empêchait de me diriger vers celle que je venais juste d'aider. En fait... j'avais peur. Peur de voir ses yeux perdre leur éclat de pureté et d'innocence alors qu'elle me verrait me diriger vers elle et je n'avais nulle envie de provoquer le moindre malaise chez elle. Je me contentais, puisque je n'étais plus capable de faire autre chose, de l'observer de l'endroit ou j'étais, de me satisfaire du rôle du spectateur. Je remarquais, alors qu'une foule, littéralement une vague humaine, se pressait contre Athéna, que Masque de Mort et Kanon éprouvaient eux aussi les mêmes troubles.
Devant moi, les gens hurlaient, pleuraient, riaient, laissaient éclater leur bonheur de revoir la Grande déesse Athéna de retour. Je voyais Milo saisir les mains de Saori, les larmes aux yeux, alors qu'elle lui souriait comme j'aurais voulu qu'elle le fasse à mon intention. Je voyais Shura courber humblement la tête alors qu'elle faisait retentir son rire amusé devant cette marque de respect qu'il lui portait. Je voyais Shaka et Dohko sourirent de tout leur cœur, de toute leur âme à la jeune fille. Je voyais Seiya et Shun fendre la foule à grands coups de coude pour la rejoindre et éclater en de longs sanglots devant elle alors qu'ils pouvaient se permettre de l'embrasser avec toute l'affection qu'ils éprouvaient à son égard. Je voyais les yeux d'Athéna briller de joie alors qu'Aioros se présentait devant elle. Je voyais Camus et Hyoga l'un près de l'autre recevoir des attentions d'Athéna dont les yeux versaient à présent des pleurs qui ressemblaient à des paillettes d'argent. Je voyais Ikki et Shiryu se précipiter vers elle et parler en même temps, de façon si peu distinct que l'on ne comprenait strictement rien. En réalité, je voyais tout le monde vivre, graviter autour d'elle, faire éclater sa joie, alors que je me trouvais dans l'ombre, loin de la douce aura qu'elle dégageait. Ce n'est pourtant pas l'envie de la rejoindre, de me mêler à la foule qui me manquait, mais je craignais sa réaction, et ce qu'elle dirait à me remarquant.
Je lançais un bref coup d'œil à Masque de Mort qui avait reculé de quelques pas pour que personne ne lui adresse la parole. De son côté, Kanon était toujours sur les marches du temple du Bélier, ne bougeant pas et je pouvais clairement lire dans ses yeux le bonheur qu'il éprouvait à voir ainsi Athéna de retour parmi les vivants. Il irradiait, tout comme moi, d'émerveillement mais n'osait qu'à moitié le manifester.
Athéna balaya du regard tous ceux qui l'entouraient alors qu'elle avait un geste, un sourire, une parole pour chacun d'entre eux. Son regard se fixa soudainement sur... moi? Était-ce bien moi qu'elle observait de ses grands yeux bruns? Elle sourit et cela me fit l'effet d'être une caresse sur mon âme.
-Et bien, chevalier Aphrodite... ne viens-tu pas toi aussi me saluer? demanda-t-elle d'une voix douce et calme.
Je restais interdit sur place, incapable de croire à la réalité de la scène qui se déroulait. Je me retournais, stupidement, il fallait bien le reconnaître, pour voir si elle ne s'adressait pas à quelque d'autre que moi. Mais j'étais un peu en retrait et il n'y avait que moi à cet endroit. Je vis un nouveau sourire se dessiner sur ses lèvres alors qu'elle m'invitait du regard, moi, le chevalier qui l'avait autrefois trahi, à la rejoindre.
Je fis un pas mal assuré en avant, et je ne remarquais qu'à ce moment que toute la foule avait les yeux fixés sur moi. D'ordinaire, cela ne m'aurait pas gêné mais là... Tout le monde savait-il ce que j'avais fait? Connaissaient-ils tous la manière dont j'avais bafoué les serments que j'avais prêtés? L'impression qu'ils étaient tous au courant me donna le vertige et je tâchais de ne pas me fixer sur leurs regards alors que je me dirigeais droit sur Athéna. Je devinais que Maque de Mort et Kanon regardaient la scène avec intérêt.
Quand je me suis retrouvé devant elle, je n'ai pas osé lever les yeux. Qu'allait-elle me dire? Me parlerait-elle du passé? Je ne me sentais pas à ma place au centre de cette foule qui nous entourait et j'aurais souhaité que mon attente s'abrège au plus vite pour connaître le verdict. Il me sembla que le moment ou je me tenais devant elle dura des heures...
-Aphrodite, je suis si contente de te revoir, me dit-elle en posant une main sur mon épaule.
Ce contact me fit l'effet d'une bénédiction, et je sus qu'elle m'avait pardonné, qu'elle avait effacé les crimes que j'avais commis par sa seule volonté et qu'elle considérait que je m'étais racheté en détruisant le mur des Lamentations.
-Princesse, dis-je avec un demi-sourire, comme moi seul savait en faire, sur les lèvres.
Elle hocha la tête avec compréhension et ôta sa main de mon épaule pour se retourner vers Marine et Shaina qui venaient juste d'arriver et qui l'ensevelissaient déjà sous un flot de paroles. Ainsi, cela n'avait pas été plus difficile que cela. Il n'y avait pas eu de phrases ironiques et tranchantes, pas plus que de mots suspendus ou de sous-entendus douteux... non, rien que la joie de se revoir mutuellement, rien que le bonheur de pouvoir enfin nous côtoyer l'un et l'autre. Cet instant que j'avais tant redouté n'avait en fait duré que bien peu de temps, mais d'une incroyable intensité ou j'avais su qu'elle m'accordait son pardon.
J'étais à présent debout, au milieu de cette vague humaine qui se déplaçait et suivait Saori alors qu'elle continuait d'avancer pour saluer et parler à toujours plus de personnes qui étaient venus voir et participer à ce fabuleux retour. Je ne bougeais pas et me contentais de la suivre des yeux. C'est à cet instant que je remarquais que Kanon traversait la foule pour s'avancer droit sur la personne de notre déesse. Il avait un air décidé et sûr de lui qui lui ressemblait bien, mais je devinais sous ce regard un homme à l'anxiété et l'inquiétude dissimulées, comme je l'avais moi-même été quelques secondes auparavant. Athéna s'arrêta soudainement de rire à une plaisanterie que devait lui faire Aiolia quand elle remarqua Kanon qui s'était planté devant elle en l'observant avec de grands yeux graves et sérieux.
-Athéna, commença-t-il d'une voix qu'il voulait sans doute ferme et posée, je suis si heureux de votre retour.
Je remarquais alors le regard qu'ils échangèrent. Elle ne lui répondit rien, ne fit aucun geste mais ils s'en dirent bien plus qu'ils ne l'auraient pu en prononçant des centaines de mots ou en parlant pendant des jours. Il était devant elle, sa stature toujours aussi imposante et elle devait lever les yeux pour pouvoir soutenir son regard. Son attitude n'avait rien de celui d'un pénitent, mais pourtant, je comprenais ce qu'il recherchait. Son pardon. Et je savais aussi qu'elle le lui avait déjà accordé.
Je détournais les yeux pour observer Masque de Mort qui refusait de faire comme nous en s'approchant d'elle en même temps que tout le monde, de se fondre dans la masse. Pourtant, je croyais desseller chez lui la même envie que nous d'obtenir un geste ou un sourire de sa part. Mais son caractère était trop renfrogné pour accepter de se mêler aux autres et je lui fis un signe de la main pour qu'il me rejoigne. Il fut à côté de moi en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire.
-Alors, Aphrodite, tu as été remarqué de notre déesse, ironisa-t-il alors que je l'observais derrière un regard indifférent et blasé.
-Comme tu as pu le constater, répliquai-je, sans rien ajouter de plus.
-Il me parait que tout le Sanctuaire est de nouveau réuni... comme cette nuit.
Oui, cette nuit, eus-je envie de lui répondre, cette nuit ou tu criais toi aussi à écorcher les oreilles le nom de ta déesse, ou tu serrais des mains et des épaules alors que tu baignais dans la lumière divine... étais-tu le même homme? Étais-tu le chevalier qui se tient à présent soigneusement à l'écart des autres?
Je connaissais les réponses à tout ces questions, évidemment, mais j'éprouvais le besoin de les lui poser, de le faire sortir de sa réserve mais malgré tout cela je m'en abstins. Je réalisais fort bien ce qu'il éprouvait et je l'avais assez côtoyé pour connaître les différentes facettes de son caractère et savoir qu'il était bien plus complexe qu'il n'y paraissait. Sa fierté et son orgueil l'empêchaient de s'approcher d'Athéna... il en faisait à sa guise et ce n'était pas à moi de le convaincre de se rendre auprès d'elle, tout d'abord, car il n'en aurait fait qu'à sa tête et ensuite parce qu'il n'était pas dans ma nature de m'occuper des autres, encore moins de supplier quelqu'un.
Je détournais alors les yeux de lui pour les poser de nouveau sur la foule d'ou s'élevait un bruit assourdissant, comme un bourdonnement indistinct. De temps à autre, il était possible d'identifier une voix, celle de Seiya et de Hyoga ressortant particulièrement bien de cet immense groupe, de cette sorte de cortège. Je m'approchais un peu, mais pas de beaucoup, peu désireux d'être poussé et tiraillé par tous, pour observer une scène qui promettait d'être mémorable.
Saga était apparu à l'autre bout de la vague humaine et observait Saori de ses grands yeux mélancoliques. Je ne pouvais encore prévoir leur réaction mutuelle, et ma curiosité naturelle me poussait à observer ce qui allait se produire. Il m'était apparu tout à l'heure que plus personne ne prononçait le moindre mot alors qu'elle m'avait appelé, mais cela n'était en rien comparable avec ce qui se produisait à cet instant. Ce fut comme si le silence était tombé, comme si le Sanctuaire était désert tant tout le monde osait à peine battre d'un cil ou respirer. Si toutes les personnes présentes ne connaissaient pas les actes répréhensibles que j'avais commis, il n'en allait pas de même pour Saga. Les gardes, aussi bien que les novices et les chevaliers savaient qu'il avait usurpé la place du Grand Pope et tenté d'assassiner Athéna avant de commettre de nombreux méfaits. Si très peu de gens avaient vu le véritable visage du chevalier des Gémeaux, depuis trois mois que nous étions rentrés, il était devenu une personnalité remarquée et sa rencontre avec Saori provoquait l'étonnement général, y compris de le mien.
Saga était, de Masque de Mort, Kanon et moi-même, le plus repentant, car, même si nous nous sentions mal à l'aise avec les actions que nous avions commis dans le passé, nous ne nous sentions pas fautifs au même point que Saga. Je savais qu'avant de se laisser envahir par le côté le plus obscur de son âme, on le comparait à dieu tant il était bon et juste, et, maintenant qu'il était redevenu lui-même et qu'il avait repris ses anciens principes, je comprenais que les actes qu'il avait autrefois réalisés lui apparaissait comme autant de crimes inexpiables. Il avait beau s'être racheté au même titre que nous en détruisant le Mur des Lamentations et en aidant Athéna et les chevaliers de Bronze à combattre Hadès, il ne se jugeait pas pour autant digne du pardon de notre déesse. Et quand bien même cette dernière le lui accorderait, ce qu'elle allait évidemment faire avec toute sa sincérité, comme pour moi-même et Kanon, qui marchait à présent à ses côtés tout en glissant quelques mots à Shaka qui n'était pas loin, cela ne changerait rien à l'opinion que Saga se faisait de lui-même, et qui n'était guère brillante. Athéna nous accueillait en effet de nouveau au sein de sa chevalerie car elle n'était pas rancunière, bien au contraire, elle était une personne faite de compassion, de générosité, prête à accorder son pardon à tout ceux qui le lui demanderaient. Mais cela ne contenterait pas Saga, je le connaissais bien et pouvait l'affirmer. Toute sa vie, il chercherait à se racheter, à regagner sa confiance -qui lui était déjà acquise-, à tenter de mériter le titre de chevalier des Gémeaux qu'il avait déjà mais dont il ne se sentait pas digne.
Je le voyais en ce moment, et Athéna avait posé ses yeux sur lui. Ils étaient séparés l'un et l'autre par plusieurs dizaines de personnes mais on avait l'impression que celui-ci ne le remarquait pas. Il avait besoin d'entendre le son de la voix de sa déesse s'adressant à lui, il avait besoin de lui faire des excuses, d'obtenir son pardon. Il s'avança, et je ne le quittais pas des yeux, vers elle, doucement, sans se presser et je surpris la lueur approbatrice dans les yeux de Dohko. Saga n'avait aucun mal à se frayer un chemin jusqu'à la jeune fille, mais je saisissais en le voyant qu'il ne souhaitait pas arriver prêt d'elle trop rapidement, car il devait chercher les premiers mots qu'ils échangeraient.
-Saga, entendis-je Athéna dire en le découvrant sous yeux. Chevalier Saga... il me semble que cela fait une éternité.
Son sourire n'avait rien de distant, bien au contraire, mais plutôt quelque chose de mélancolique. Peut-être parce qu'elle pleurait intérieurement sur les années de vie gâchées du chevalier Gemini. Je remarquais soudainement à quel point elle avait l'air fatigué, sans ressource, qu'elle faisait un effort magistrale pour rester debout et accueillir avec joie toutes les marques et les témoignages d'affection des membres du Sanctuaire. Saga devait le voir encore mieux que moi d'ou il était...
-Princesse Athéna... j'ai bien pensé que nous vous aviez perdu à jamais, dit-il d'une voix presque vacillante qui contrastait étonnement avec ses intonations habituelles.
Il l'engloba du regard avant de sentir que des larmes lui brûlaient dorénavant les yeux. Je sentis ma gorge se nouer et mon cœur se serrer devant la détresse de cet homme, devant les remords qu'il éprouvait à avoir oser essayer de porter la main sur elle en tentant de l'assassiner, il y avait de cela bien longtemps. Je vis des larmes courir le long de son visage alors qu'elle prenait ses mains dans les siennes. A quoi pouvait-elle songer à cet instant? Je n'aurais su le dire, même si ses yeux prenaient soudainement le reflet de la compassion. Elle esquissa un sourire indulgent, alors qu'elle dégageait une aura de douceur et de bonté dont elle gratifiait tout le monde et particulièrement le plus torturé de ses combattants. Il y avait quelque chose de touchant dans ce spectacle, de bouleversant presque, dans le fait de voir cette jeune fille, la déesse Athéna, qui semblait si fragile tenant les mains de cet homme imposant qui souriait tout en pleurant à la fois. Et malgré les apparences, c'était elle, qui le consolait et lui apportait réconfort et joie. Elle devait lui transmettre le peu de force qui lui restait et je devinais que la pression de ses mains sur celles de Saga se fit plus forte alors qu'elle reprenait la parole.
-Je suis maintenant de retour au Sanctuaire, déclara-t-elle.
Et je compris qu'elle ne s'adressait pas seulement au gardien du temple des Gémeaux, mais à nous tous et je me suis instinctivement rapprocher de Saori pour mieux entendre son discours.
Le silence était à présent complet et on aurait pu se laisser bercer par la brise qui soufflait doucement, agitant le peu de végétation autour de nous et soulevant le sable du sol en de petits tourbillons.
-Je ne sais pas depuis combien de temps j'ai disparu, mais l'important, oui, le principal, c'est que je sois de nouveau parmi vous… et je ne saurais vous dire à quel point mon cœur est heureux de revoir tous ces visages familiers que sont les vôtres. J'ai bien cru, alors que je déambulais dans l'éternelle obscurité, que je ne m'en sortirais jamais et pourtant, chaque fois que je pensais à l'un de vous, chaque fois que j'avais besoin de courage et d'espoir, j'évoquais invariablement vos visages et cela me permettait de prendre une nouvelle respiration, de faire un nouveau pas en avant qui me guidait vers la sortie, vers la Lumière.
Elle balaya du regard tout le monde, les englobant dans sa bienveillance et tous les visages s'illuminaient au son de sa voix, y compris le mien.
-J'ai longtemps cru, que certains d'entre vous n'étaient plus de ce monde et je le pensais notamment pour mes chevaliers d'or. Je n'étais pas certaine d'être parvenue à vous ramener des dimensions parallèles où votre courage et votre bravoure vous avait plongé... Je n'arriverai certainement pas à vous rendre l'impression que j'éprouve à vous voir tous les treize vivants et réunis autour de moi...
Kanon sourit en remarquant qu'elle le considérait comme l'un d'entre nous.
-Et je me dois aussi de vous remercier pour ce que vous avez fait tout à l'heure, tous ensemble, merci, merci mille fois. Merci à toi Mu, d'avoir pris tant de risques en me rejoignant sur l'île ou je me trouvais et ou tu as malencontreusement failli rester bloqué avec moi.
Je vis le chevalier du Bélier détourné la tête, un sourire aux lèvres, presque gêné par le remerciement particulier auquel il avait droit.
-Merci à vous aussi, chevaliers de Bronze, pour tout ce que vous avez réalisé et pour le simple fait d'être vivants. Tout simplement, merci à tous d'être là.
Seiya poussa un cri victorieux et il fut bientôt rejoint par toute la foule qui hurlait et applaudissait ce discours. Je me surpris même à battre des mains avec ferveur et vivacité, me mêlant, moi qui appréciait d'ordinaire si peu les manifestations générales, à tous les autres. Il me sembla que la foule rugissait au moment ou le visage d'Athéna virait à une teinte encore plus pâle qu'elle ne l'avait été jusqu'à présent. Elle vacilla en arrière, prête à tomber car ses jambes ne la portaient plus, n'ayant probablement plus beaucoup de contrôle sur son propre corps et allait tomber sur le sol… quand Aioros se précipita, doublant du même coup Shura, et la retint à la dernière seconde. Les deux hommes échangèrent un sourire entendu, car ils devaient probablement trouver amusant de se retrouver ainsi à soutenir en même temps Athéna alors qu'ils s'étaient affrontés jusqu'à la mort dans le passé. Mais tous ces souvenirs n'avaient plus leur place dorénavant que la déesse était revenue et que nous étions tous prêts à la servir fidèlement.
Et je compris et voyant Aioros et le chevalier du Capricorne l'aider à se remettre debout et la soutenir alors qu'elle montait d'un pas incertain les premiers marches menant au temple du Bélier que notre déesse était de retour et que jamais encore, nous autres les chevaliers, nous avions été plus unis.
Elle était retourné à Lumière et nous aussi.

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Cette fiction est copyright Caroline Mongas.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.