Chapitre 4 : Le Prix de la Victoire


- Aaahhh !

Pour la troisième fois, Geki venait de tomber. Pour la troisième fois, il se releva, serrant les dents pour ignorer la douleur.
Son combat ne l'avait décidément pas laisser indemne. La douleur autour de son cou était toujours aussi intense, et son esprit était en proie aux troubles et aux hallucinations depuis que l'oxygène avait cessé d'alimenter son cerveau pendant un court instant.
Grâce aux enseignements de son maître, il avait pu se sublimer et vaincre son adversaire, mais l'effort avait été terrible. Geki se força à oublier ce combat et à concentrer ses efforts sur le but qu'il s'était fixé et qui occupait pour l'instant toute son attention : parvenir à poser un pied devant l'autre.
Pour couronner le tout, la nuit était tombée et l'obscurité n'arrangeait rien. Au détour d'un rocher, cependant, la lune vint inonder son visage de lumière. Geki baissa les yeux, ébloui. Au moins y verrait-il plus clair désormais.
C'est alors qu'il crut apercevoir sur le sol une ombre qui découpait vaguement les contours d'une forme humaine. Relevant la tête, il aperçut la silhouette d'un chevalier. L'homme lui tournait le dos. Geki se raidit : si c'était un chevalier noir, dans son état, il ne donnait pas cher de sa peau.
Pourtant, la silhouette lui semblait familière. Mais sa mémoire le trahissait pour le moment. Perplexe, il chercha au plus profond de son esprit l'information qui lui faisait défaut. Puis l'évidence jaillit et lui arracha un cri de surprise, qui avertit le chevalier de sa présence. Ce dernier se retourna.

- Geki !
- Ichi !

Malgré leurs blessures, les deux chevaliers se précipitèrent l'un vers l'autre.

- Geki ! Tu as survécu à ton affrontement ! Comment as-tu fait pour vaincre ton adversaire ?
- Il était fort, mais pas autant qu'on pouvait le supposer de prime abord. Je te raconterais ça plus tard répondit Geki en se massant la gorge.

Parler lui était extrêmement douloureux.

- Tu as l'air sonné constata Ichi.
- J'ai moins souffert que toi on dirait répondit le chevalier de l'Ours en écarquillant les yeux. Combien d'adversaires as-tu combattus pour être dans un tel état ?
- Un seul.
- Un seul ?! Etait-il si redoutable ?
- J'ai vu la mort de près confirma Ichi. Mais j'ai survécu.
- Et lui ?

Ichi eut un sourire mauvais.

- Il mange des pissenlits par la racine.
- Je vois…
- Mieux vaut se remettre en route dès maintenant. Les combats ont étés beaucoup plus durs que prévu et nous avons perdu beaucoup de temps.
- Sais-tu ce qui est arrivé à Ban ? Et aux autres ?
- Non. Pas la moindre idée.

Les deux chevaliers se mirent en chemin. Geki était pensif.

" Je me demande ce qu'il est advenu de mes compagnons. "

La même pensée occupait au même moment l'esprit de Nachi. Le chevalier du Loup explorait l'île depuis maintenant plusieurs heures, à tel point que la nuit était tombée. Mais la pleine lune éclairait suffisamment cette partie de l'île pour que Nachi se sente dans son élément, tel un loup en quête d'une proie nocturne.
Nachi s'inquiétait surtout pour Jabu. Le chevalier de la Licorne lui avait dit juste avant son combat qu'il le rejoindrait, mais il n'avait pas réapparu depuis. Avait-il perdu son duel ? Son cœur se serra à cette pensée. Et si c'était vraiment le cas, cette île risquait fort de devenir sa tombe à lui aussi. Mais peut-être le combat avait-il simplement duré trop longtemps pour que son frère puisse retrouver sa trace. A moins qu'il n'ait tellement épuisé Jabu que ce dernier avait renoncé à le rejoindre. Dans tous les cas, cela signifiait que les chevaliers noirs étaient devenus beaucoup plus forts que ce à quoi ils s'attendaient. Les craintes de la déesse étaient donc belles et bien justifiées.

" Pas âme qui vive depuis des heures. Si cela continue ainsi, je vais devoir rebrousser chemin et retourner au lieu de rendez-vous. Peut-être que les autres auront découvert quelque chose. Je… "

Nachi se figea. Quelque chose venait d'interrompre ses pensées, glaçant son sang. Le hurlement d'un loup.
La plainte lancinante se répercuta en écho dans cette partie de l'île, semblant ne jamais vouloir mourir. Lorsque…
…Une présence. Les sens aiguisés de Nachi la ressentaient clairement. Alors le fantôme se matérialisa. Une silhouette apparut sur un pan de roche, ses contours estompés par la pleine lune. Un chevalier noir.

- Je suis le chevalier noir du Loup. On m'appelle le Loup Solitaire.

Nachi pouvait désormais lire les traits de son visage. Se souvenant de l'incroyable ressemblance entre Jabu et son homologue, il ne fut qu'à demi-surpris de voir que le chevalier noir lui ressemblait trait pour trait. Hormis l'armure, la seule différence résidait dans les cheveux, noir bleuté, et les yeux, d'un bleu aussi profond que la nuit. Le chevalier noir reprit :

- C'est moi qui serait ton adversaire.
- Qu'est-ce qui me vaut cet honneur ?
- Ne cherche pas à comprendre, et bas-toi.

Le chevalier noir exécuta alors un bond qui l'amena à proximité de Nachi, et lui livra un coup de pied que le chevalier du Loup n'eut aucun mal à éviter.

" Ne cherche pas à comprendre ? Autrement-dit : il y a quelque chose à comprendre. J'aurais pensé que les motivations de ce combat étaient évidentes. Apparemment, ce n'est pas le cas.
" C'est étrange… On dirait qu'il n'a pas envie de se battre. Pourtant il semble décidé. Qu'est-ce que ça signifie ?
- PAR LA GRIFFE NOIRE DU LOUP !!!

Venu de nul part, le coup faillit surprendre Nachi, mais le chevalier du Loup parvint à l'éviter de justesse. Le chevalier noir s'était projeté vers l'avant, la main droite déployé telle la patte d'un loup, réplique exacte de la Griffe Mortelle de Nachi. Les positions des deux combattants étaient désormais inversées. Les deux chevaliers se retournèrent.

- En voilà des manières ! Attaquer par surprise… Pas très loyale comme attitude ironisa Nachi.
- Pourquoi ? Les sentiments n'ont pas leur place dans un combat.
- Tout dépend de la situation. En l'occurrence, je ne vois pas pourquoi je devrais me battre contre toi, puisque j'ignore tous de tes motivations, et que les miennes ne sont pas de tuer.
- Et alors ? Tu ne comptes pas éviter ce combat indéfiniment ?
- Dans ton intérêt, si.

Le chevalier noir fut pris au dépourvu par la réplique de Nachi. Le chevalier du Loup observa son adversaire. Son attitude semblait étrangement fataliste, mais décidé, comme s'il était préparé à mourir. Mais même si Nachi avait confiance en sa force, il ne se surestimait pas pour autant.

- As-tu peur de mourir chevalier ?
- Mourir ? Ricana le chevalier noir. Pas exactement non.
- Tu parais pourtant bien résigné, comme si tu avais accepté ta mort.
- Tu penses peut-être que j'ai peur de toi ?
- J'essaye seulement de comprendre ce qui te pousse à vouloir à tout prix ce combat.

Silence. Les deux chevaliers s'évaluaient mutuellement du regard.

" S'il refuse de répondre à ma question, je n'aurais pas d'autre choix que de me battre. "
- Tes préoccupations sont inutiles. Si tu ne veux pas me combattre, alors meurt ! PAR LA GRIFFE NOIRE DU LOUP !!!

Cette fois-ci, le chevalier noir avait mis beaucoup plus d'intensité dans son attaque. Jugeant l'esquive trop risquée, Nachi fit front et bloqua le poignet de son adversaire de sa main gauche.

- Et bien soit ! Puisque tu y tiens tellement, je vais me battre ! Et crois-moi, tu regretteras ton entêtement ! GRIFFE MORTELLE !!!

De son bras libre, le chevalier du Loup porta un coup vers son adversaire, qui réussit cependant à le stopper lui aussi de sa main gauche. Les deux chevaliers restèrent au contact, chacun essayant de faire plier l'autre sous la pression, sans succès. Nachi lâcha alors prise et porta un coup de pied en direction du visage du chevalier noir, qui dut à son tour relâcher son poignet pour éviter le coup. Les deux chevaliers se retrouvèrent à distance. Mais au lieu de souffler, le chevalier noir porta instantanément une nouvelle série de coups de poings à Nachi qui parvint à les éviter, puis contre-attaqua. Le combat se poursuivit ainsi, chaque chevalier alternant esquives, parades, feintes et coups en une danse mortelle qui s'acheva sans faire de victime. Les deux chevaliers se retrouvèrent à bonne distance l'un de l'autre.

" Il est sacrément bon songea Nachi. Etrange qu'il ne paraisse pas plus sûr de lui. Je ne lui ai encore porté aucun coup mortel, mais je doute qu'il ait lui non plus abattu toutes ses cartes. "

Les paroles de son maître revinrent alors à la mémoire de Nachi :

" Tu dois adapter ta façon d'aborder un combat à mort en fonction de ton adversaire. S'il te semble plus fort que toi, alors déchaîne ta fureur contre lui, harcèle-le, ne lui laisse aucun répit. Donne-toi corps et âme, utilise toute ta volonté et toute ta science du combat. Mais ne te laisse pas troubler par la colère, contient ta rage et libère-la au moment opportun pour lui porter un coup fatal.
" Si au contraire il te paraît plus faible, laisse-le venir. N'esquisse aucun mouvement, contente-toi de te défendre et d'analyser calmement sa technique. Il ne verra pas les faiblesses dans son attaque alors que toi, tu peux les déceler désormais. Et quand tu en sauras suffisamment sur lui, attaque et achève-le d'un seul et unique coup.


Le chevalier d'Orion… L'un des plus puissants chevaliers de la caste d'argent, le seul à la connaissance de Nachi à posséder le septième sens ! L'entraînement qu'avait du subir le chevalier du Loup avait été terrible, mais lui avait permis d'atteindre un niveau de technique bien supérieur à la moyenne des chevaliers de bronze. Aussi, sans orgueil démesuré, Nachi décida d'opter pour la deuxième attitude et se mit en position de défense.
Devant lui, son adversaire se préparait pour un nouveau coup. Les yeux clos, il gardait son bras droit replié derrière lui, poing fermé, dirigé vers Nachi. Une attaque de projection ?
Un cosmos ! Son adversaire brûlait un cosmos ! Une aura bleu sombre l'entourait, croissant sans cesse et commençant à prendre forme. Celle d'un loup !
Nachi commença à douter de son jugement. L'aura d'un loup bondissant, crocs à vif, était clairement visible derrière le chevalier noir, toujours aussi concentré. Impressionné par cette démonstration, le chevalier du Loup n'esquissa pas un geste. Le chevalier noir ouvrit les yeux.

- PAR LE HURLEMENT INFERNAL !!!

Il sembla à Nachi que la suite des évènements se déroulait au ralenti.

D'abord un hurlement. Celui d'un loup. Terrifiant, glaçant son sang, figeant son esprit.

" Il tente de me paralyser ! "

Ensuite la vision d'un loup assoiffé de sang, bondissant vers lui, griffes et crocs déployés.

" Son cosmos ! Il a pris la forme d'un loup ! "

Puis la même vision se fondant en une fulgurante projection d'énergie.

" Il faut que je réagisse ou je suis mort. "

Et enfin l'impact.

- IMPOSSIBLE ! Comment peux-tu encore tenir debout après un tel coup !

Le chevalier noir était abasourdi. Alors qu'il croyait l'avoir immobilisé, son adversaire avait croisé les bras devant sa poitrine et encaissé l'attaque, dont le seul résultat avait était de le faire reculer de quelques mètres, ses pieds creusant deux sillons dans le sol.
Nachi abandonna sa position de défense et toisa son adversaire.

- La réponse tient en un mot Loup Solitaire : l'expérience.
- L'expérience ?

Le chevalier noir semblait interloqué.

- Il y a deux explications à l'échec de ton attaque. Celle-ci se décompose en deux actes. Le principe du premier est de paralyser l'esprit de l'adversaire par le biais du hurlement du loup, d'où son nom. Malheureusement pour toi, ce genre de technique est inefficace contre moi.
- Mais pourquoi ?
- Parce qu'un jour, lors de mon premier combat en fait, le chevalier Phénix m'a littéralement déchiré l'esprit en me faisant croire que je mourais d'une façon horrible. A cet instant, j'ai vu l'Enfer. Mais aussi terrifiant qu'ait été ce moment, j'y ai survécu, et depuis il est pratiquement impossible d'abuser mon esprit par quelque illusion que ce soit.

Nachi se remémora cet instant de sa vie. De retour du Liberia, il croyait vraiment y avoir connu l'Enfer. Le chevalier du Loup ne se vantait pas quand il avait dit à Ikki que lui aussi avait souffert mille morts pour acquérir son armure, juste avant leur combat. Et pourtant ce n'était rien comparé à ce qu'il avait subi à ce moment là. Il avait été littéralement déchiqueté par le chevalier Phénix sans pouvoir réagir.
En réalité il n'avait fait qu'être victime de son illusion, mais il avait malgré tout failli y rester. Le chevalier du Loup avait saisi à cet instant l'horreur qu'avait dû être l'entraînement d'Ikki pour que celui-ci soit capable de projeter une illusion aussi abominable. Nachi devait d'ailleurs bien reconnaître que l'Ile de la Reine Morte méritait sa réputation.

- Mais ça n'explique pas comment tu as pu encaisser aussi facilement mon attaque, malgré sa puissance répliqua le chevalier noir.
- Détrompe-toi. Ton coup était puissant, certes, mais pas au point que tu l'aurais souhaité. Mais c'est vrai qu'il y a autre chose qui fait que ton attaque a avorté, et c'est ma deuxième explication.
- Et quelle est-elle ?

Nachi esquissa un sourire.

- Simple : je connais exactement la même technique.
- QUOI ?
- PAR LE HURLEMENT DU LOUP !!!

A nouveau le hurlement. A nouveau le loup. A nouveau l'impact.
Mais cette fois, la cible était le chevalier noir. Imitant Nachi, il croisa les bras sur sa poitrine et encaissa l'attaque, qui se révéla beaucoup moins forte que ce à quoi il s'était attendu.

- Idiot ! Tu croyais vraiment m'abuser, qui plus est avec un coup aussi faible ?

Mais Nachi n'était plus là. Levant les yeux vers la pleine lune, le chevalier noir aperçu au devant d'elle le chevalier du Loup qui fonçait vers lui, la main tendue.

- GRIFFE MORTELLE !!!

Pris par surprise, le chevalier noir ne put éviter la violence du coup et fut expédié quelques mètres plus loin, brisant quelques rochers sur son passage.
Nachi retomba en s'accroupissant sur ses pieds et se releva. Le chevalier noir l'imita, avec difficulté cependant. Mais alors que son regard aurait dû être emplit de fureur, son expression était absolument neutre. Nachi le regarda.

- Tu aurais dû te méfier, Loup Solitaire, et te douter qu'après t'avoir expliqué comment j'avais évité ton coup, je n'allais pas te porter le même. Ce n'était qu'un leurre destiné à détourner ton attention, voilà pourquoi je n'y ai pas mis toute ma puissance : pour pouvoir te porter par surprise un coup bien plus puissant.

Silence. Nachi reprit :

- Tu n'aurais pas du m'attaquer aussi impulsivement, car bien que tu bénéficiais de l'effet de surprise, tu prenais le risque de me dévoiler ton jeu. Ayant réussi à éviter tes coups, j'avais toutes les cartes en mains pour te porter une attaque que tu ne pouvais éviter. Si je n'avais pas retenu mon coup, tu serais mort à l'heure qu'il est.

Encore un silence. Nachi éprouva soudainement une légère appréhension.
Son adversaire avait à nouveau fermé les yeux et la même aura l'entourait, mais cette fois, sa puissance époustouflait Nachi. Et ce qui l'impressionnait le plus, c'est qu'elle ne cessait de croître ! Ouvrant les yeux, le chevalier noir hurla :

- PAR LE HURLEMENT INFERNAL !!!

La déflagration de cosmos fila pour la deuxième fois vers Nachi. Mais cette fois, sa vitesse et sa puissance étaient prodigieuse. Le chevalier du Loup encaissa l'attaque de plein fouet.
Nachi fut précipité contre une paroi à une violence telle que la roche explosa. Un mince filet de sang coulait de ses lèvres. Relevant la tête, Nachi sentit sa vue se troubler. Il tenta de distinguer les traits de son adversaire dans l'obscurité, mais ne parvint à apercevoir qu'une vague silhouette entièrement noire. Le chevalier noir avança, sourire en coin. Dans la pénombre oppressante, on aurait dit un démon.
Son sourire s'effaça et son visage reprit alors l'expression de fatalité qu'il arborait au début du combat. Nachi observa l'étrange changement d'attitude. Il se releva difficilement. Quelle force !

- Pourquoi es-tu aussi résigné, alors que ta force n'a rien à envier à la mienne ? Haleta Nachi.
- Tu es bien modeste. J'ai mis toute ma puissance dans ce coup et je n'ai pu que te mettre à terre, alors qu'en y mettant toute ta force, tu m'aurais tué tout à l'heure.
- Peu importe qui est le plus fort. Pourquoi cette fatalité omniprésente dans ton attitude ?

Il y eut alors un long silence que Nachi mit à profit pour reprendre son souffle. Son adversaire le contemplait, mais il était impossible de deviner ses sentiments derrière le masque d'impassibilité qu'arborait son visage.

Puis le chevalier noir rompit le silence :

- T'es-tu déjà demandé ce que devait être la vie sur une terre aussi désolée ?

Nachi ne répondit pas, mais écouta attentivement le chevalier noir qui reprit :

- C'est l'Enfer !
" La vie sur cette île est un combat quotidien et seul les plus forts parviennent à survivre. Je ne te parle pas seulement des conditions météorologiques. Le sol y est brûlant, la pluie parfois tellement acide qu'elle te ronge littéralement la peau. A cause du volcan, les vapeurs toxiques qui s'élèvent du sol à certains endroits peuvent t'asphyxier et te tuer sans même que tu ne t'en rendes compte.
" Trouver sa nourriture est encore pire, car les animaux et les plantes sont extrêmement rares. Et l'on doit veiller à ne pas les exterminer, car cela signifierait notre mort à nous aussi. Il n'est pas rare de mourir de faim, j'ai même vu certains chevaliers dépecer et manger un de leur camarade mort.
" La peur est le compagnon de chacun d'entre nous. La peur du lendemain, la peur du prochain est omniprésente, et seul les plus forts d'entre nous jouissent d'une relative sécurité.
" Mais le plus terrible, le plus monstrueux, le plus atroce, c'est cette sensation perpétuelle d'être comme enterré vivant, la certitude abominable et absolue que tu es condamné à errer sans fin sur cette île de cauchemar sans jamais voir un visage amical, jusqu'à ce que la mort ou la folie viennent te frapper.
" Ironiquement, c'est depuis que le gardien est mort que les choses ont vraiment empiré. Auparavant, sa présence assurait à l'île un semblant de stabilité indispensable à la survie de chacun. C'était d'ailleurs bien la seule utilité du gardien, car si officiellement il était là pour sceller à jamais l'île et nous empêcher de fuir, nous ne disposions de toute façon d'aucun moyen d'échapper à notre sort. Mais après sa mort, certains idiots ont cru qu'ils tenaient là l'occasion de s'enfuir et le chaos s'est installé sur l'île, les combats et les tueries reprenant de plus belle, la plupart du temps sans aucune raison, juste le désespoir et la frustration de ne pouvoir échapper à son sort malgré la mort de l'invincible gardien.
" J'ai réussi à survivre, car j'étais l'un des plus forts parmi les chevaliers noirs. Mais si je n'avais pas été animé d'un instinct de survie animal et primitif, je me serais sans doute donné la mort, car elle est certainement bien plus douce que la vie sur cette terre de folie.
" Alors il est arrivé. Il a réuni les plus forts, il a tué ceux qui s'opposaient à lui. Il nous a dis qu'il était un ennemi du Sanctuaire, et qu'il était venu dans le but de nous faire subir un entraînement terrible, puis de nous faire quitter l'île pour donner l'assaut au Sanctuaire, qui allait bientôt être affaibli comme jamais auparavant.
" Ces trois mots : ²quitter l'île², ont réveillé en nous une lueur d'espoir qui était éteinte depuis très longtemps, et aucun d'entre nous ne se souciait d'attaquer le Sanctuaire, tellement notre volonté de sortir d'ici était forte. Mais en ce qui me concerne, ce qui m'a définitivement rallié à lui, c'est l'attitude amicale qu'il arborait en nous parlant. Oui, cet homme aux pouvoirs terrifiants, qui n'avait pas hésité à tuer sans pitié ceux qui n'avaient pas voulu le suivre, cet être impitoyable qui lors de notre entraînement nous faisaient souffrir mille morts en nous poussant vers nos ultimes limites. Cet homme dégageait malgré tout une chaleur humaine que jamais auparavant je n'avais ressenti. Cet ennemi d'Athéna, ce paria dégageait plus de justice que tous les pantins du Sanctuaire réunis.
" Malgré mon statut de chevalier noir, malgré ce que nous avait fait subir le Sanctuaire, malgré tout cela, je gardais une certaine estime pour Athéna, garante de la justice. Mais à la vue de cet homme, mon échelle de valeurs a volé en éclats. Et l'étincelle de foi en la justice qui n'avait jamais voulu s'éteindre en moi est morte, laissant place au cynisme. J'ai appris qu'il n'existait pas de justice, qu'il existait seulement sa propre justice. Je me suis donné corps et âme pour devenir aussi fort que possible, afin d'avoir enfin une chance de quitter cette île de malheur, car malgré la perte de mes illusions, je croyais encore en un avenir meilleur loin de cette contrée maudite.
" J'ai appris alors que le Sanctuaire allait dépêcher sur l'île un groupe de chevaliers pour nous exterminer. Alors, je te l'avoue sans honte, j'ai eu peur de mourir. Ce n'est pas tant la mort en elle-même qui me faisait peur, mais plutôt le fait qu'en disparaissant, tout ce que j'avais entrepris depuis si longtemps pour échapper à cette vie affreuse, et qui semblait enfin sur le point d'aboutir, tout cela allait disparaître dans un immense gâchis. Toutes ces frustrations, toutes ces souffrances, toutes ces années pour qu'enfin naisse en moi la vacillante flamme de l'espoir, je les aurais vécues… Pour rien !
" Nous nous sommes entraînés durement afin de survivre à l'inévitable affrontement qui allait avoir lieu. Puis vous avez débarqué. Je savais dès le début que tu serais mon adversaire, celui que nous appelions désormais : ²maître² m'avait dit qu'il en serait ainsi. Je t'ai longuement observé, puis je suis apparu pour t'affronter. Tu as toi-même remarqué mon fatalisme, dû à tout ce que je t'ai raconté, et mon impulsivité, due à la crainte de mourir, la crainte d'avoir vécu toutes ces souffrances pour rien. Mais malgré mes attaques, tu persistais à ne pas vouloir ce combat, et je me suis mis à douter. J'étais tenaillé entre ma volonté de te tuer pour éviter ma propre mort, et ma réticence à te combattre, car tu es la deuxième personne jusque-là qui ne m'ait pas montré d'hostilité ni de haine.
" Jusqu'ici la crainte de mourir a été la plus forte. Mais elle a disparue.
" Chevalier du Loup, ce que je vais te dire va peut-être te paraître stupide. Mais notre rencontre a ranimé en moi l'étincelle de justice que je croyais avoir perdue à tout jamais. Mais elle n'a pas éteint mon désir désespéré de quitter cette île. Aussi vais-je t'affronter une ultime fois. Mais cette fois sans crainte, car si je meurs, j'emporterais avec moi une leçon que je n'oublierais pas malgré la mort.
" Chevalier du Loup, prépares-toi, car cet assaut sera le dernier.

Ainsi avait parlé le Loup Solitaire. A mesure que son récit avançait, Nachi sentait son désir d'éviter son combat grandir de plus en plus. Mais la dernière phrase avait tué tous ses espoirs.

- Non arrête ! Nous ne sommes pas vos ennemis !

Mais le chevalier noir était trop concentré pour pouvoir l'entendre.

" Je ne peux pas me permettre de le tuer. Ce serait un trop grand gâchis ! "

Déjà, son adversaire commençait à brûler son cosmos, atteignant un niveau de puissance phénoménal. Nachi l'imita. Son cosmos se mit à brûler autour de lui, croissant de plus en plus. Sa résolution était prise.

" Je ne vais pas le tuer. Je parerais son coup, puis je lui porterai un coup pour l'assommer et je l'emmènerais avec moi. Nous quitterons ensemble cette île. "

Les deux cosmos brûlaient de plus en plus intensément. Il semblait que le paysage s'effaçait pour laisser place à la noirceur de l'espace, au fond de laquelle brillaient galaxies et nébuleuses, et que dominaient les silhouettes de deux loups, l'un blanc bleuté, l'autre bleu sombre et noir.
Les évènements se déroulèrent alors en une fraction de seconde.

Au summum de sa concentration, Nachi ressentit quelque chose qui le troubla. Le même trouble qu'il avait éprouvé quelques heures auparavant, alors qu'il était encore en compagnie de Jabu. Mais cette fois-ci, il découvrait enfin l'origine de ce trouble.
Une présence.
Le cosmos que ressentait Nachi lui était étrangement familier. Mais il était cependant incapable d'y associer un nom ou un visage.
En temps normal, il lui aurait fallu une seconde pour oublier cette troisième présence et se concentrer sur son adversaire. Mais cette seconde lui manqua. Déjà son adversaire s'était précipité vers lui.

- PAR LA GRIFFE NOIRE DU LOUP !!!

Il est une chose qu'on acquiert avec l'expérience, une chose engendrée par la répétition d'une même tâche à intervalles réguliers. Une chose qu'on appelle : " réflexe. "
Pour un combattant, ce mot fait souvent la différence entre la mort et la survie.
Pour Nachi, ce mot allait engendrer la mort.
Une mort qu'il avait à tout prix voulu éviter.
Mais ce n'était pas la sienne.

- PAR LA GRIFFE NOIRE DU LOUP !!!

A l'instant où le chevalier noir se précipita, les longues années d'entraînement qu'avait endurées Nachi se rappelèrent à lui, et guidèrent bien malgré lui sa conduite.
Evitant de justesse le coup de son adversaire, Nachi jeta sa propre main, déployée telle la griffe d'un loup, vers son adversaire. Le cosmos formidable qu'il avait brûlé jusque là donna à son coup une force terrifiante. Sa main traversa l'armure, la chair.
Et le cœur.

Le chevalier noir était étendu sur le sol. Nachi réalisa alors ce qu'il venait de faire.

- NON !!

Nachi s'agenouilla vers le chevalier noir et lui souleva la tête. Du sang s'écoulait de sa bouche et il respirait avec difficulté. Il souriait.

- Je suis heureux que ce soit toi qui m'aie vaincu, chevalier.
- Evite de parler je t'en prie dit Nachi la voix secouée par l'émotion. Tu ne ferais qu'aggraver tes blessures.
- Tu m'as transpercé le cœur et tu parles seulement de blessures ? Tu sais bien que je suis déjà mort.
- Non ! je t'en prie…
- Tais-toi et écoute, je n'en ai plus pour très longtemps alors autant que ma mort ne soit pas vaine.

Nachi voulu protester, mais sentit une boule se former dans sa gorge et fut incapable de proférer le moindre son.

- Ecoutes attentivement. Parmi ceux qui ont eu à subir l'entraînement de celui dont je t'ai parlé, seuls cinq ont survécus. A part moi, il y a la Licorne, l'Ours, l'Hydre, et le Lion. Si ça peut te rassurer, je sais que la Licorne a déjà été vaincue par ton ami. En revanche, j'ignore ce qu'il est advenu des autres. Mais méfie-toi par-dessus tout du Lion Noir, c'est le plus puissant chevalier de nous tous.

Nachi parvint enfin à parler :

- Mais pourquoi ton maître n'est-il pas intervenu pour vous aider à combattre ?

L'expression du visage du chevalier noir montrait que celui-ci n'allait pas tarder à sombrer dans le royaume des morts. Il esquissa une grimace de douleur.

- Je l'ignore.
- J'ai ressenti une présence familière tout à l'heure, pendant notre combat. Serait-ce un traître au Sanctuaire ?
- Je ne sais pas mais je pense que non, car je connais toutes les armures des chevaliers vu que ce sont les mêmes que les armures noires. Or, aucune ne ressemble à celle qu'il portait.

Nachi voulu ajouter quelque-chose, mais il n'y parvint pas. Ses yeux s'embuèrent de larmes. Quelques-unes tombèrent sur le visage du chevalier noir.
Celui-ci se sentait sombrer peu à peu, sans regret. Il lui semblait que ce combat avait toujours été le seul but de son existence, et il mourait avec le sentiment d'avoir accompli son destin. Ses yeux étaient clos. Mais ses sens ne l'avaient pas encore quitté. Il sentait les quelques gouttes humides et douces effleurer son visage.

" Tu ne devrais pas pleurer chevalier. J'ai accepté ma mort et je vais enfin pouvoir goûter au repos. "

Mais les gouttes continuaient à tomber, trop nombreuses pour n'être que des larmes. Pour la dernière fois, le chevalier noir ouvrit les yeux. Les yeux de Nachi étaient toujours emplis de larmes. Mais loin au-dessus d'eux, dans le ciel étoilé…

" La pluie… "

Il semblait à Ban qu'une éternité s'était écoulait depuis que lui et ses compagnons étaient arrivés sur l'Ile de la Reine Morte. Une éternité qu'ils étaient séparés. Une éternité qu'il était seul.

" Pourvu que Geki ait survécu. "

L'incroyable puissance qu'avait dégagé l'Ours Noir lors de leur rencontre l'avait impressionné et inquiété. Le chevalier de bronze avait un moment regretté sa décision de ne pas chercher à rejoindre Geki, mais il était trop tard pour reculer désormais. Il ne pouvait qu'espérer que Geki s'était montré digne de son rang de chevalier et de la confiance d'Athéna. Car à bien y réfléchir, c'était une marque de respect de la part de la déesse de les envoyer eux, simples chevaliers de bronze, combattre des adversaires aussi forts. Cette remarque réconforta quelque peu Ban et chassa un moment ses sombres pensées.
Cela faisait des heures qu'il marchait et son isolement commençait à le rendre nerveux. Il avait décidé de rebrousser chemin, étant donnée que l'heure fixée pour le retour avait été dépassée depuis longtemps. Il éprouvait l'étrange sensation qu'un danger le menaçait, et ce n'était pas l'obscurité et la pluie qui commençait à tomber à verse qui arrangeaient son sentiment de paranoïa. L'orage qui venait d'éclater donnait au paysage un aspect apocalyptique. Le chevalier de bronze ne cessait de jeter des regards nerveux autour de lui.
Ce fut ce qui le sauva. Un éclair jaillit que Ban évita de justesse. Le rocher devant lequel il se tenait quelques instants auparavant venait d'être désintégré dans un fracas épouvantable.
En d'autres lieux, il aurait d'abord cru que par quelque coïncidence extraordinaire, la foudre venait de frapper le sol à quelque mètre de lui, manquant de peu de le tuer. Mais il était sur l'Ile de la Reine Morte et le phénomène ne pouvait avoir qu'une seule origine… Un chevalier noir.
Ban se retourna et vit son adversaire. L'obscurité masquait ses traits, mais pas son sourire.
Ni son rire.
Ban sentit un frisson lui parcourir l 'échine. De mémoire, jamais il n'avait entendu un rire aussi démoniaque.
Le chevalier approcha et, à la lueur d'un éclair, Ban l'aperçut. Il sentit aussitôt une terreur indescriptible s'emparer de lui, et instinctivement, recula d'un pas.
Le chevalier noir lui ressemblait en tout point, sauf pour l'armure, les cheveux et les yeux, d'une couleur d'un noir absolu. Il arborait un sourire démoniaque, et dans ses yeux luisait une lueur de puissance terrifiante, de violence et de folie que laissaient aussi transparaître sa voix chargée de bestialité et d'une haine venue des profondeurs de l'Enfer.

- Je suis heureux que tu ais évité mon coup chevalier, j'aurais été déçu de ne pas pouvoir m'amuser un peu avant d'offrir ton cadavre aux charognards.

Le ton de son adversaire intimidait Ban au plus haut point, et il réprima à nouveau un recul. Mais il eut honte de son attitude en se souvenant de la confiance que lui avait accordée la déesse.

" Si j'éprouve de la crainte face à quelque adversaire que ce soit, c'est que je ne suis pas digne de mon armure. Quitte à mourir, autant que ce soit dignement. "

Ban frissonna en réalisant qu'il venait déjà de songer à sa propre mort alors que le combat n'était même pas commencé. Le chevalier du Petit Lion essaya de chasser la crainte qui lui assombrissait l'esprit. Il pris une attitude et un ton qui se voulaient assurés et lança fièrement :

- Je suis Ban, chevalier de bronze de la constellation du Petit Lion, au service de la déesse Athéna.
- On m'appelle le Lion Noir. BLACK LION FURY !!!

L'attaque fut tellement rapide que Ban n'eut même pas le temps d'être surpris. Le coup fut si violent que le chevalier de bronze, frappé au ventre, eut l'impression qu'il allait vomir ses propres entrailles. Ban fut expédié plusieurs dizaines de mètres en arrière.
Il tenta de reprendre son souffle et manqua de s'évanouir tant l'effort que lui demandait ce simple geste était important. Haletant, il releva la tête et aperçu le chevalier noir qui marchait tranquillement vers lui, prenant tout son temps. Ban se releva et repris son souffle. Mais l'effroyable douleur qu'il ressentait au ventre refusait de le quitter.

" Il faut… Que j'attaque… Ou je suis mort… "
- LIONNET BOMBER !!!

Fendant l'obscurité et la pluie de plus en plus violente, Ban se projeta avec toute la vitesse dont il était capable vers son adversaire dans l'intention de lui asséner un coup de genou meurtrier. Le chevalier noir n'esquissa même pas un geste, si bien que Ban ne comprit pas comment il avait fait pour passer… A travers ! Se retournant, il vit son adversaire ricaner d'un air malsain.

- C'est ça toute la vitesse dont tu es capable ?

Ban comprit que son adversaire s'était déplacé au dernier moment, si rapidement qu'il n'avait rien vu. Toujours en proie à la souffrance, Ban se prépara pour un deuxième coup. Un sentiment de désespoir commençait à le gagner. Sa seule chance était de toucher une fois son adversaire et de l'abattre en un seul coup.

- LIONNET BOMBER !!!

Avec rage, le chevalier du Petit Lion se jeta à nouveau vers son adversaire à toute vitesse… Et fut rejeté encore plus vite.
Ban alla fracasser une paroi rocheuse. Il tenta de se relever mais cracha du sang et se laissa tomber sur le sol, face contre terre, serrant les dents. La douleur était effroyablement intense. Ban se retient de gémir. A travers le vacarme assourdissant de la pluie et de l'orage, il entendait les pas de son adversaire se rapprocher.
Ce dernier s'était contenté de lever la main et avait repoussé le chevalier de bronze avec une violence inouïe.

- Tu es si faible chevalier…

Ban ne répondit pas, noyé dans sa souffrance.

- Comment quelqu'un d'aussi faible a-t-il pu devenir chevalier ? Et surtout, pourquoi un avorton comme toi doit-il être mon adversaire, moi, le plus puissant de tous les chevaliers noirs ?
" Le plus puissant des chevaliers noirs ! Quelle ironie… Moi, le plus faible de tous les chevaliers de bronze, devoir affronter un tel adversaire… "

Le Lion Noir était maintenant près de Ban. Il le saisit sans ménagement par le col et le souleva, amenant son visage près du sien.

- Je hais tous ceux de votre espèce cracha le chevalier noir, une lueur de folie brillant dans ses yeux. Mais je n'imaginais pas que vous étiez aussi insignifiants.

Avec une force incroyable, Le Lion Noir projeta violemment le chevalier de bronze dans les airs. Ban eut à peine conscience de ce qu'était en train de faire son adversaire, car il était au bord de l'évanouissement.
Le Lion Noir effectua alors à son tour un bond prodigieux, qui l'amena dans les airs, près du corps du chevalier du Petit Lion. Avec une force terrifiante, il frappa le chevalier de bronze qui fut expédié à toute vitesse vers le sol. Sa chute provoqua un cratère béant dans le sol.
Ban souffrait mille morts, néanmoins par un miracle que lui-même ne parvenait pas à expliquer, il était encore en vie. Mais pour combien de temps ?

" Comme la mort peut sembler douce parfois… "

Ban se sentait glisser doucement vers l'oubli, sans regret, car la souffrance intolérable qu'il ressentait allait bientôt disparaître. Et pourtant…

" Quelle est ce petit noyau dur auquel la vie s'accroche au fond de moi ? Serait-ce ma volonté ?
" Ma volonté…
" Qu'est-elle devenue ?
" Je suis un faible. Voilà la vérité. Je n'ai éprouvé que de la crainte et de l'angoisse jusque-là. Où sont donc passées les vertus qui ont fait de moi un chevalier ?
" Qui suis-je ?
" Ban ?
" Pourquoi mon propre nom sonne faux à mes oreilles ?
" Qui suis-je ?
" Je suis un faible.
" Non ! Cela ne se peut. Je suis plus fort que les dieux eux-mêmes ! Je ne crains personne ! Je suis le plus puissant guerrier de l'Univers !
" Est-ce moi qui ai dit cela ?
" C'est absurde. Je suis Ban. Le plus faible combattant de l'ordre de la chevalerie.
" Le plus faible.
" Le plus fort.
" Comment ?
" Tout le monde me craint.
" Comment cela se pourrait-il ? J'ai perdu le seul combat que j'ai jamais livré. Je n'ai jamais été digne de mon rang. Je suis un faible.
" Non, ce n'est pas la vérité.
" Comment puis-je connaître la vérité ?
" Mais qui suis-je à la fin ?
" Quel que soit celui que je suis, je sais une chose.
" Je n'ai pas le droit de perdre.


Ban sentit à nouveau la pluie pénétrer ses vêtements et humidifier sa peau. Il ouvrit les yeux. Il était allongé au fond du cratère qu'il avait bien involontairement creusé, et il sentait la présence de son adversaire au bord du trou. L'étrange sensation qu'il avait ressentit était passée.

" Je suis un faible. "

Les larmes commençaient à lui monter aux yeux. Larmes de désespoir, de tristesse, de colère.

" Mais maintenant, je sais pourquoi.
" Je n'ai jamais cessé d'avoir peur de mon adversaire. Aucun chevalier n'a le droit d'éprouver pareil sentiment.
" Je ne connais qu'un unique coup, et jusque là il s'est révélé inefficace, mais si je parviens à augmenter sa force et sa vitesse, je pourrais peut-être toucher mon adversaire. Mais cela risque d'être compliqué. Il ne se vantait sans doute pas en prétendant qu'il était le plus fort des chevaliers noirs.
" Peut importe. J'ai survécu à tous ses coups jusqu'ici. J'y survivrais encore jusqu'à ce que je gagne. Et pour gagner je dois le tuer.
" Et je ne vois qu'une façon d'y arriver. Augmenter la puissance de mon coup.
" Et par-dessus tout, retrouver mon orgueil. L'orgueil du chevalier !

Ban ferma les yeux.

" Chevalier, sur mon honneur, je te jure solennellement que tu vas regretter le jour où tu es né. "

Sous une pluie battante, le Lion Noir s'approchait pour le coup de grâce. Mais ce qu'il vit le figea sur place. Le chevalier du Petit Lion se relevait, et ses yeux brûlaient d'un feu qu'il ne lui avait encore jamais vu. Le chevalier noir esquissa un sourire, celui d'un fauve assoiffé de sang.

- Tu te relèves ! Tant mieux, je trouvais ce combat trop court.
- Il n'en sera pas beaucoup allongé crois-moi.

Le ton cinglant de Ban contrastait singulièrement avec l'attitude craintive qu'il avait arborée jusque-là. Le Lion Noir éclata d'un rire abominable.

- Tu crois vraiment qu'il te suffit de te relever pour gagner ce combat ?
- LIONNET BOMBER !!!

Avec une rage renouvelée, Ban fonça vers son adversaire… Qui n'eut aucun mal à éviter le coup.
Ban se retourna. Aucun dépit, aucune crainte ne se lisait sur son visage. Il se contentait d'analyser calmement son adversaire. Ce dernier s'aperçut du changement radical qui s'était opéré dans le chevalier de bronze et esquissa un sourire de prédateur.

- Enfin ce combat devient intéressant. Dommage que ce soit trop tard.
- Qu'est-ce que tu racontes ? Lança Ban d'un air méprisant.
- Regardes ton état, tu comprendras.

Pour la première fois, Ban remarqua les dégâts qu'il avait subis. Une multitude de balafres lui zébraient le corps, certaines saignant abondamment. Sa chair était noircie par endroit, sans doute à cause de la brûlure due au frottement de l'air lorsque le chevalier noir l'avait projeté au sol à toute vitesse. Chaque goutte de pluie qui le frappait était une torture supplémentaire. C'était surtout le ventre qui le faisait extrêmement souffrir. Mais sa rage nouvelle lui permettait de compenser ce handicap.

- Tu crois avoir retrouvé ta force par un simple effort de volonté poursuivit le chevalier noir, mais tu ne peux pas ignorer ton état. Inconsciemment, la douleur que tu ressens t'empêche de porter tes coups avec leur efficacité maximum sourit le chevalier noir.

Le chevalier de bronze étouffa un grognement de colère.

" L'espèce de… Il joue avec moi depuis tout à l'heure. Aucun de ses coups n'était mortel, et pourtant j'ai failli en mourir !
" La douleur est trop forte. Il faut que je l'oublie. Il faut que j'éteigne en moi le sens du toucher, au moins pour un moment, afin de pouvoir enfin le frapper avec toute ma force.
" Oui, si j'arrive à réaliser cet exploit, la victoire sera à ma portée.

Ban remarqua alors que c'était la première fois depuis le début du combat qu'il songeait à la victoire.

" Qu'est-ce que j'ai pu être idiot depuis le début. Mais c'est fini désormais. "

Ban ferma les yeux et tenta d'oublier son environnement. Mais la douleur était trop forte.

" Je ne suis pas assez puissant ! Je n'arriverai pas à l'ignorer.
" Parfait, alors changement de tactique. Je ne vais pas l'ignorer, mais la mépriser. Je vais brûler mon cosmos jusqu'à son paroxysme, quitte à ouvrir un peu plus mes blessures. Il faut que je le touche au moins une fois, et alors, les chances seront rééquilibrées. "

Sous l'œil bestial du chevalier noir, le chevalier de bronze commença à brûler son cosmos comme jamais auparavant, une aura couleur de feu commença à se former autour de lui. Ban ouvrit les yeux.

- LIONNET BOMBER !!!
- BLACK LION FURY !!!

Avant même que Ban ait pu toucher son adversaire, le coup du chevalier noir l'avait atteint, doté d'une vitesse et d'une puissance incroyable. Ban fut violemment projeté en arrière. Il tomba du haut d'une falaise sans pouvoir faire quoique ce soit, et s'écrasa au sol, face contre terre.

" Non… J'ai échoué… Athéna, mes amis, pardonnez-moi… J'ai tout fait pour me montrer digne de votre confiance… Mais j'ai échoué. "

Le Lion noir apparu sous la pluie torrentielle, en haut de la paroi rocheuse et d'un bond, atterri près de Ban. Ses yeux luisaient d'une satisfaction malsaine, mais sa soif de sang n'était pas encore rassasiée. Il toisa le corps du chevalier de bronze avec arrogance.

- Je ne joue plus maintenant. Jamais tu n'as été à ma hauteur dans ce combat. Il a suffit que j'augmente un peu l'intensité de mon attaque pour te vaincre. Tu as mis beaucoup trop de temps à réagir chevalier. Tu n'es pas digne de porter ce titre.

Le Lion Noir laissa échapper un soupir de satisfaction. Il approcha de la tête du chevalier de bronze et commença à la marteler avec son pied droit. La tête du pauvre Ban s'enfonçait de plus en plus dans le sol et le chevalier du Petit Lion était sans réaction.

- Meurs, maintenant !
- ATTEND !!

Surpris, le chevalier noir recula et leva les yeux. Au-dessus de lui se trouvait un chevalier.

- Mais qui es-tu ?

Le chevalier le toisait de haut et dans ses yeux brillait une détermination farouche.

- Jabu, chevalier de la Licorne.

Un instant plus tôt.

Jabu s'était enfin remis de son combat, mais avait renoncé à rejoindre Nachi, qui devait avoir pris beaucoup trop d'avance. Tandis que la pluie commençait à tomber, il avait décidé d'explorer l'île sans trop s'éloigner de la côte, afin de pouvoir revenir au point de rendez-vous à tout moment. Il n'allait d'ailleurs pas tarder à le faire, car le pilote devait être mort d'inquiétude.

" Ca m'étonnerait que les chevaliers noirs tentent quelque-chose contre lui, ils sont bien trop occupés avec nous et je doute que l'un d'entre eux sache piloter un avion. Néanmoins mieux vaut ne pas traîner. "

Jabu se figea soudain. Il venait de ressentir une déflagration de cosmos qui avait aussitôt disparu. La cosmo-énergie lui était familière.

- Ban !

Le chevalier de la Licorne se précipita vers le lieu où l'explosion s'était produite, inquiet car il ne ressentait plus le cosmos de son compagnon, et arriva finalement sur le lieu de l'affrontement. Ce qu'il vit le fit pâlir : Ban était à terre, sans réaction, et son adversaire était en train de l'achever. A supposer que son frère n'était pas déjà mort.

- Meurs, maintenant !
- ATTEND !!

Le chevalier noir sembla surpris et releva la tête. A la lueur d'un éclair, Jabu remarqua que lui aussi ressemblait trait pour trait à son compagnon.

- Mais qui es-tu ?

La colère commença à s'emparer de Jabu, mais il la maîtrisa. Il devait venger son compagnon. Coûte que coûte.

- Jabu, chevalier de la Licorne.
- Tiens donc ? Un autre de ces pantins du Sanctuaire ?

Jabu remarqua alors pour la première fois l'expression malsaine chargée de haine et de violence qu'affichait le visage du chevalier noir. Il n'en eut cure.

- Salaud ! Siffla le chevalier de bronze entre ses dents. Qu'as-tu fais à Ban ?
- Ce minable n'avait aucune force. Je me suis un peu amusé avec lui, c'est tout.
- Ordure ! Tu vas payer pour ce que tu as fait. Sa mort ne restera pas impunie, j'en fais le serment.
- Je t'attends !

Le Lion Noir s'éloigna du corps inanimé de Ban et se prépara à décocher un coup, sûr de sa force. Devant lui Jabu faisait de même. Bien campé sur ses deux jambes, il joignit les poings et les leva au-dessus de sa tête. Des éclairs violets commencèrent à grésiller autour de ses mains, formant un parallèle saisissant avec l'orage qui se déchaînait désormais sur l'île. Les éclairs bleu électrique et violets zébraient le ciel et les deux chevaliers étaient au maximum de leur concentration.

- Meurs ! PAR LE…
- ATTEND !!

Coupés dans leur élan, les deux chevaliers interrompirent leur assaut et se retournèrent. Leurs yeux refusèrent alors de croire ce qu'ils leurs montraient. Et pourtant…
…Ban s'était relevé ! Mais il semblait transfiguré. Tout son corps paraissait vibrer d'une rage sourde qui s'échappait par le regard du chevalier du Petit Lion. Malgré l'état de son corps (comment pouvait-il être encore en vie avec autant de dégâts ?) Le chevalier était d'aplomb.

- IMPOSSIBLE ! Par quel prodige tiens-tu encore debout ?

Pour la première fois depuis le début du combat, le chevalier noir paraissait douter. Ban se tourna vers Jabu, toujours perché sur la falaise sous une pluie battante et lui aussi bouche bée.

- Jabu, c'est moi qui ai commencé ce combat, et je te jure que je le terminerai. Je n'ai pas le droit de mourir avant d'avoir emporter ce fou en Enfer !

Impressionné par le courage de son ami, Jabu acquiesça et reprit une attitude neutre en reculant d'un pas. Voyant qu'il n'était plus une menace, le Lion Noir se tourna à nouveau vers Ban.

- Pauvre idiot ! Que crois-tu être capable de faire dans ton état ? Il me suffirait d'une chiquenaude pour t'envoyer rejoindre tes ancêtres. Jamais tu n'arriveras à me toucher pauvre inconscient ! Silence. Ban avait fermé les yeux et commençait à brûler un cosmos flamboyant autour de lui.
" Prodigieux ! Songea Jabu. "

Le chevalier noir ricana.

- Imbécile ! Tu tiens donc à souffrir encore mille morts ? Soit, cette fois je ne joue vraiment plus. Je vais t'asséner mon coup à son maximum d'efficacité. S'il reste quelque chose de toi après, ça tiendra du miracle !

A son tour, le Lion Noir commença à brûler son cosmos. Une aura fabuleuse, couleur noir absolu commença à s'étendre autour de lui.
Les cosmo-énergies des deux chevaliers croissaient de plus en plus, atteignant un niveau terrifiant. Plus rien n'existait pour eux. Toute leur concentration était tourné vers le coup qu'ils allaient asséner. On aurait dit que toute leur vie n'avait était vécue que pour cet instant de tension extrême.
Comme si la nature elle-même avait compris que les combats touchaient à leur paroxysme, l'orage décupla sa violence. Les éclairs zébraient le ciel en un vacarme assourdissant, et la pluie tombait tellement violemment que chaque goutte semblait être capable d'assommer un homme. Certains éclairs passaient tellement près qu'on pouvait voir la roche exploser aux endroits touchés par la foudre.
Un observateur lointain aurait sans doute cru à une hallucination. Puis l'effet de surprise passé, il aurait du se rendre à l'évidence : sous ses yeux, deux lions étincelants, semblants suspendus dans l'obscurité, se faisaient face ! L'un d'eux était couleur de feu, l'autre arborait une crinière noir d'ébène et des yeux rouge sang.
Ce même observateur aurait alors entendu deux cris déchirant la nuit.

- BLACK LION FURY!!!
- LIONNET BOMBER !!!

Il aurait ensuite vu les deux prodigieux animaux se précipiter l'un vers l'autre pour s'entretuer.
Et se manquer.

A l'instant où Ban rata son coup, le Lion Noir avait compris que quelque-chose n'allait pas. Ce n'était pas une erreur du chevalier de bronze. Il l'avait délibérément évité.
Le chevalier noir avait stoppé sa course.
Mais pas Ban.
Une fraction de seconde trop tard, le Lion Noir compris.
Une fraction de seconde avant qu'il ne soit trop tard, Jabu avait compris lui aussi.

- LIONNET BOMBER !!!

Ban évita délibérément le corps de son adversaire, mais n'arrêta pas sa course. Son genou alla percuter la paroi rocheuse avec une force effroyable. La falaise trembla et s'effondra.
Deux cris de désespoir déchirèrent alors la nuit.

Avec un cri inhumain, le Lion Noir vit la masse de pierres s'écrouler sur lui sans pouvoir réagir. Il hurlait encore lorsque les pierres l'ensevelirent.
Jabu avait compris au dernier moment ce que Ban avait l'intention de faire.

- NON !!!

D'un bond, Jabu se précipita dans le gouffre pour tenter de sauver son frère au mépris du danger. Son esprit n'eut pas le temps de réfléchir. Le chevalier de la Licorne saisit son frère par la taille et d'une détente magistrale, bondit et évita l'avalanche d'extrême justesse. Les deux chevaliers atterrirent hors de danger.

Le Lion Noir était désormais mort et enterré. L'avalanche avait sonné le glas de la folie qui s'était emparé de l'île depuis le début des combats et comme un signal, les orages cessèrent et la pluie s'arrêta progressivement de tomber. Jabu se tourna vers son compagnon inconscient.

- Ban !

Le chevalier de la Licorne prit la tête de son compagnon entre ses mains.

- Ban ! Réponds-moi je t'en prie !

La toux rauque qui lui répondit sonnait aux oreilles de Jabu comme la plus douce des musiques. Son compagnon était vivant !
Mais pour combien de temps ?

- Je survivrais… Rassure-toi murmura Ban.
- Ne parles pas trop. Tes blessures sont graves. C'est véritablement un miracle que tu sois encore en vie. Comment te sens-tu ?
- Comme si des milliers d'échardes brûlantes me transperçaient le corps et je suis à peu près certain d'avoir une hémorragie interne. Si je ne vois pas un médecin d'ici quelques heures, j'ai droit à un aller simple pour Hadès.
- Il y a le nécessaire dans l'avion. De quoi te soigner avant d'arriver au Sanctuaire. Là-bas il y aura un médecin pour te soigner.
- Oui, mais d'ici-là, je vais devoir marcher.

Sous les yeux stupéfaits de Jabu, Ban se relevait ! Le chevalier de la Licorne était admiratif devant tant de courage. Mais le chevalier du Petit Lion trébucha et Jabu se précipita pour le soutenir.

- Je vais t'aider à marcher jusqu'à l'avion. Les autres nous y attendent sûrement.

Ban hocha la tête, ce simple geste provoquant des élancements douloureux dans tout son corps. Serrant les dents, il passa son bras autour du cou de Jabu.
Lentement, les deux chevaliers se mirent en route.

- Courage Ichi, nous y sommes presque.

Le chevalier de l'Ours soutenait son compagnon, car ses blessures s'étaient remises à saigner abondamment et le chevalier de l'Hydre paraissait encore plus pale que d'habitude. Et pourtant il n'en laissait rien paraître. Pendant tout le trajet, alors que tonnait l'orage, il n'avait cessé de sourire et de plaisanter, comme pour s'excuser au près de Geki d'être devenu un fardeau pour lui. Le chevalier de l'Ours était heureux de ne pas voir son ami sombrer dans la fatalité, mais s'inquiétait beaucoup malgré tout de son état. Ils devaient rejoindre l'avion au plus vite.

Nachi marchait silencieusement, ses pensées toujours tournées vers le chevalier Noir du Loup qu'il avait dû tuer. Ses larmes s'étaient taries, mais la peine qu'il éprouvait était toujours présente. Il avait enterré le chevalier noir et longuement prié pour que son âme repose enfin en paix. Puis il s'était remis en route avec l'espoir de retrouver ses compagnons sains et saufs.
Nachi repensa à ce que lui avait dit le chevalier noir à propos de son maître. Un homme impitoyable, mais paradoxalement doté d'une profonde chaleur humaine avait-il dit. Le chevalier du Loup avait déjà rencontré un tel homme. Et son nom était Syrio, chevalier d'argent de la constellation d'Orion. Le propre maître de Nachi.
Chassant ses souvenirs, il repensa à ses frères. Il savait désormais que Jabu avait survécu, et cette pensée le soulageait profondément, mais qu'en était-il de ses autres compagnons ? Qu'avait-il pu arriver à Geki, Ichi et Ban ?

- Tiens le coup Ban, je vois l'avion. Nous allons pouvoir te soigner.

Jabu était rassuré. La détermination de son frère était intacte et l'empêcherait de passer de vie à trépas. Il ne lui avait encore jamais connu une volonté aussi opiniâtre et farouche.

- Tu as l'air beaucoup plus fort mentalement qu'auparavant.

Ban était songeur.

- Jabu… Ce que je vais te dire va peut-être te surprendre, mais lorsque j'ai commencé mon combat contre ce chevalier noir, j'étais aussi terrorisé qu'aurait pu l'être un enfant. Je n'ai cessé d'avoir cette crainte au fond de moi, et en vérité, s'il n'avait pas voulu s'amuser un peu avec moi. Je serais sans doute mort. Mais alors que j'étais à terre, souffrant comme un damné, il s'est passé quelque chose d'étrange. J'ai eu l'impression que j'étais quelqu'un d'autre.

Jabu regarda son compagnon, perplexe.

- Comment ça ? Que veux-tu dire ?
- J'ignore ce que ça signifie, mais à ce moment là, j'étais en colère contre moi car je savais que j'étais l'homme le plus fort de l'Univers ! Mais je ne sais pas comment je le savais. Puis la sensation et passée et je me suis réveillé dans mon état naturel, pleurant parce que j'étais incapable de me montrer digne de mon armure, de la confiance de mon maître, de votre confiance, de celle d'Athéna, de mon rang de chevalier. Alors un sentiment de révolte s'est emparé de moi. Je ne sais pas si l'étrange sensation y était pour quelque chose, mais je n'étais plus le même, et je ne le suis plus désormais. Je ne suis plus le Ban peureux d'autre fois. J'ai retrouvé les valeurs qui m'avaient permis de devenir chevalier, mais je ne sais pas comment.

Jabu observait son ami et sentait sa perplexité grandir au fur et à mesure de ses paroles. Mais il n'eut pas le temps d'y réfléchir plus profondément.
Au détour d'un rocher, ils venaient de tomber nez à nez avec leurs compagnons.

Pendant une minute, personne ne put prononcer le moindre mot, tant le torrent d'émotions qui grondait en chacun d'entre eux était fort. Surprise, soulagement, inquiétude, interrogations et joie immense se mêlaient en un tourbillon de sentiments rugissant à l'intérieur d'entre eux. Puis le torrent se brisa et tous se précipitèrent les uns vers les autres.

- Geki ! Tu as survécu !
- Ichi ! Je croyais ne plus te revoir !
- Ban ! Mon dieu ! Que t'est-il arrivé ?
- Jabu ! Si tu savais ce que j'étais inquiet !
- Et moi donc Nachi !

Ce n'étaient plus qu'embrassades et éclats de rire. Tout le monde parlait et riait en même temps, mais ce déluge de paroles incompréhensibles était de l'étoffe dont on tisse les plus solides amitiés. En cet instant, une fraternité inébranlable venait de naître entre ces chevaliers qui avaient vu la mort de si près. Sous le torrent de mots qui s'écoulait en ce moment, un serment silencieux d'amitié ad vitam aeternam venait d'être scellé.
Le moment d'émotion passé, chacun voulu savoir ce qu'avait vécu l'autre, mais Nachi les interrompit :

- A voir l'état de Ban et Ichi, nous ferions mieux de retourner tout de suite sur la plage. Nous aurons tout le loisir de parler de ce que nous avons découvert dans l'avion.

Chacun acquiesça et tous se remirent en route vers l'avion qu'il pouvait voir au loin, car la lune se reflétait sur la carlingue de l'appareil. Lorsqu'ils arrivèrent sur la plage, le pilote courut vers eux.

- Enfin vous voilà ! J'ai vraiment crû que vous ne reviendrez jamais ! Je suis resté aux commandes pendant des heures de peur d'être… Mais ?! Que vous est-il arrivé ?

Sous le regard ébahi du pilote, les cinq chevaliers éclatèrent de rire.

Quelques heures auparavant…

Sous le ciel étoilé du domaine sacré, foulant le sol rocailleux d'une des plus hautes falaises surplombant le Sanctuaire, un inconnu venait d'arriver…

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Cette fiction est copyright Jean-Baptiste Landy.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.