Chapitre 2


Septembre 1976

Supporter de nouveau des contingences humaines dans un univers un peu irréel et étranger permet de relativiser et de garder la tête sur les épaules.

Devoir attendre sans fin dans une file d'attente qui s'allongeait de plus en plus, et dans laquelle rouspétaient des jeunes filles, avait sorti Marine de sa torpeur en l'exaspérant mais aussi en l'amusant.

Très tôt, le matin, Karen avait réveillé Marine et Shaina pour les amener à la Forge du Sanctuaire Déjà, la veille, un homme au faciès hideux avait mesuré leur front, la distance entre leurs yeux, l'espacement du nez au menton... Karen leur avait expliqué que cet homme allait leur confectionner un masque. Elle avait également coupé court à toute protestation en expliquant que pour devenir femme chevalier, elles devraient arborer un masque jusqu'à la fin de leur vie.

Pour Marine, le fait de porter un masque étant synonyme de revoir Seiya, elle n'éleva aucune objection.

Pour Shaina, la décision ne fut pas si aisée à prendre. Marine avait bien remarqué que la fille aux cheveux verts était très fière. Malgré son jeune âge, il se dégageait d'elle la volonté de s'affirmer comme une femme adulte. Voiler sa féminité reviendrait pour elle à cacher une nature honteuse et elle avait du mal à supporter cet état de fait.

Aussi n'était-elle pas la dernière à râler dans la file d'attente :
« Alors ! Qu'est-ce qu'il fait le monstre ? Il va mettre combien de temps à les faire ses masques ?

- Oui, on a froid ici ! renchérit une autre fillette.

- Et puis on a faim aussi !

- Arrêtez de vous plaindre, rugit une grosse voix, sinon je vous bouche l'entrée maudite par laquelle vous jacassez avec du métal en fusion ! »

L'effet recherché fut immédiat et avec un petit sourire, l'homme hideux s'en retourna dans sa forge afin d'activer ses soufflets et ses apprentis.

Et une fois que la file se mit en mouvement, une certaine angoisse sourde naquit dans le ventre des fillettes. Avant leur entrée dans la forge, Karen rejoignit Marine et Shaina. Toutes les trois, elles sentirent le souffle brûlant agresser leur corps.

« Ha ! Entrez les filles ! s'écria l'hideux personnage.

- Bonjour Maître Héphaïstos.

- Bonjour à toi, jeune Karen, qui sont ces deux fillettes que tu m'amènes ?

- La rousse se nomme Marine, elle vient d'Asie et la blonde se nomme Shaina et vient d'Italie.

- Blonde ? J'ai des raisons de douter : on dirait surtout que ses cheveux sont verts.

- Mais moi, je n'ai aucune raison de douter de ta laideur ! s'écria Shaina indignée. »

Le forgeron partit dans un éclat de rire sans fin.

« Petite vipère, j'ai bien pris soin de ton futur masque. Je savais déjà, lors de ta première venue, que tu étais une petite dure à cuire. Je me suis beaucoup inspiré de ta personnalité pour décorer ton nouveau visage. Tiens, petite vipère, voici ton masque, celui du Porteur de Serpent : Ophiucus »

L'expression de Shaina changea subitement. Son air sarcastique disparut, remplacé par l'admiration et la crainte. Le masque qu'elle tenait entre ses mains éclatait de mille feux. Le visage du masque luisait, reflétant la lumière des flambeaux mais ce qui la laissait pantois était l'éclat des yeux. Le polissage des deux ovales était presque parfait mais il subsistait encore quelques facettes de sorte que la lumière éclatait et éblouissait celui qui les fixait trop longtemps.

De subtils dessins entouraient ses yeux, donnant un air martial et dangereux.

« Et toi, petite sage, je n'ai pas eu de mal à dessiner ton masque, ajouta l'homme hideux en s'adressant à Marine. »

Il lui tendit un masque aussi poli, lisse et brillant que celui de Shaina mais dépourvu de tous dessins.

« Pourquoi n'ai-je pas de dessins autour des yeux ? demanda la fillette

- Parce que ton masque reflète ta personnalité, petite sage. J'ai étudié et appris tout sur vous en observant vos jolis minois. Je les ai mémorisé parfaitement, et en tant qu'homme, je peux apprécier ce privilège à sa juste valeur, ricana le forgeron. Autant ton amie est volcanique, venimeuse, autant toi, tu es posée, froide et effacée. Tu ne trouves pas Karen ?

- Ce ne sont pas forcément des défauts ajouta alors Karen, en s'adressant à Marine dont la mine était impassible mais révélait une certaine tristesse. Nous sommes des chevaliers différents, à notre façon. Chacun à sa force, à partir du moment où vous avez la foi. »

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