Chapitre 7 : L'instinct des hommes


Mémoires de Milo, chevalier d'Or du signe du Scorpion.


J'aimais dormir avec la voûte céleste au-dessus de moi, car elle formait comme un drap étoilé qui me réchauffait lorsque j'avais trop froid. Non pas physiquement, bien entendu, le climat méditérannéen ne le permettant pas, mais moralement. Cela ne m'arrivait pas très souvent, car ma nature ne me poussait pas à la mélancolie, mais nul ne peut s'empêcher d'éprouver quelques regrets de temps à autre.
Ma personnalité n'était de toute façon pas très définie et je n'avais pas le temps, ni l'envie, après plusieurs jours de jeûn, de la développer ou de me demander comment mon esprit était formé. Je n'avais alors qu'une seule idée en tête, du matin au soir, trouver à manger.
Cela n'était pas très facile mais je réussissais toujours à accomplir le tour de force de prendre au moins un repas tous les deux jours, alors que je n'avais pas un drachme sur moi. L'ingéniosité, à défaut d'autre chose, ne me manquait pas, et la faim me poussait à tout, même si je songeais souvent que voler dans l'unique but de se nourrir n'était pas un crime.
Le peu de temps que j'avais connu ma mère, c'est à dire durant une année, j'avais découvert qu'elle était une femme extrêmement pieuse et aimante, qui croyait en toutes les valeurs d'un dieu dont je réfutais à présent l'existence. Ma génitrice, Aurelia, si je me souviens bien, ou quelque chose d'approximatif car à un an, la mémoire n'est pas toujours excellente, était très généreuse avec tous ceux qui l'entouraient et elle n'hésitait pas à déclarer sa foi haut et fort lorsqu'on venait lui demander conseil. Du moins avant que je n'apparaisse dans sa vie et qu'elle soit ensuite presque répudiée de la population de l'île. Mais je crois qu'elle acceptait cette solitude, ou plutôt cette épreuve, comme une juste punition pour le pêcher qu'elle avait commis. Moi, je me demandais pourquoi ce père absent qu'était le mien n'était pas châtié lui aussi, mais je ne lui en fis jamais la remarque, car je ne savais pas encore véritablement parler.
Aurelia avait dû passer quelques mois sur le continent, en Grèce, probablement à Athènes, d'après ce que les gens disent d'elle aujourd'hui. J'aime d'ailleurs bien surprendre leur conversation car j'en apprends chaque jour un peu plus sur sa personne, ou sur la nature de l'homme. C'est sans doute dans la capitale qu'elle avait rencontré mon père et qu'il l'avait séduit. Une histoire somme toute assez banal et qui n'aurait pas du trouver de conséquences, si bien-sûr, je n'avais pas été conçu.
Notre île, l'île de Milo, était loin d'être un endroit ou les esprits étaient très larges et les mentalités très ouvertes, et une femme enceinte sans mari, était vite considérée comme une personne infréquentable, voire aussi peu recommandable qu'une intouchable en Inde.
Ma mère avait pourtant toujours été d'un caractère très ouvert aux autres, toujours prête à rendre service et à pardonner, ou à disspenser les enseignements de ce dieu qu'elle adorait et dont je renie enocre aujourd'hui l'existence.
Comment ce dieu de clémence, inventé de toutes pièces, peut-il laisser des personnes au coeur juste et pur dans la misère et dans l'indessance? Jamais personne n'a trouvé de réponse à mon interrogation, du moins de valable. Et je n'ai pas peur d'affirmer haut et fort que ce dieu de pitié n'est qu'une icône fragile et bien facile à briser en mille morceaux éparses. De tels propos auraient incontestablement horrifié ma génitrice, mais je sais qu'elle me les aurait pardonnés.
Aurelia aimait à être entourée de beaucoup de personnes, de beaucoup d'amis, et elle en était assurément porvue étant donné son caractère facile et toujours égale, du moins, c'est ce qu'elle croyait. Pourtant, quand elle découvrit que sa liaison hors mariage lui avait apporté un enfant et qu'elle dût l'annoncer à ses proches relations, le monde se dépeupla soudainement autour d'elle.
Je ne sais pas encore ou elle trouva la force de leur fournir des excuses, de leur trouver des prétextes et plus encore, de leur pardonner. J'ai beaucoup d'admiration pour sa manière d'affronter de front ce drame, du moins pendant un certain temps, qui boulversa son existence et qui la força à mener une vie en solitaire, au fin fond de l'île ou nous étions l'un et l'autre nés.
Nous habitions une petite masure de pierre, grande comme un mouchoire de poche, disait en riant ma mère lorsque nous l'observions de la plage toujours déserte ou nous nous promenions parfois. Celle-ci n'était en fait composée que de deux pièces, une cuisine, et une chambre, dans laquelle était dressée un rideau derrière lequel se cachait une salle de bain très primitive. Moi, je n'étais qu'une bébé, et cela ne me dérangeait nullement de vivre dans ce peu de confort, mais quand je repense à ce que ma mère à du endurer à cause de l'indifférence ou de la cruauté des autres, je ne peux empêcher mon sang de faire un tour. Je suis encore révolté par l'attitude de tous vis à vis d'elle.
Ce fut innomable.
Comment peut-on effacer de son existence un personne sous prétexte qu'elle a un jour commis une erreur? Est-cela que la foi orthodoxe dont ils sont soi-disant tous pourvus? Cela me fait bien rire.
Cette maison n'était pas même à nous. Elle appartenait à un vieux marin, mort en mer il y avait de cela bien des années, et la demeure était ensuite restée inoccupée pendant de nombreux mois. Ma mère en connaissait l'existence car elle aimait à se promener sur l'île et en découvrir les moindres recoins. Elle appréciait la nature, et c'est durant l'un de ses journées d'exploration qu'elle avait apperçu ce qui allait être sa demeure pendant près de douze mois.
Nous n'étions pourtant pas à l'étroit dans cette petite bâtisse et elle s'occupait si bien de moi, que je ne me rendais pas compte de la gravité de sa situation. Comment faisait-elle pour gagner sa vie, pour me nourrir? Je n'en ai toujours aucune idée. Je crois qu'elle travaillais pour le curé de l'île, la seule personne à lui avoir pardonné ma naissance- comme si c'était un crime! Il lui donnait un peu de l'argent de la paroisse pour qu'elle puisse se nourrir et de vieux vêtemens que les "bons pratiquants" donnaient au presbytère et dont elle se vêtissait avec gratitude. Je me souviens aussi, comme elle passait du temps le soir, à me coudre de nouveaux habits qui paraitraient sortir tout droit des meilleurs magasins du continent. Elle était très habile pour les travaux de couture et j'aimais la voir tirer l'aiguille alors que je reposais dans un gros fauteuil d'ou elle pouvait me surveiller.
Je me suis souvent posé une question après qu'elle soit morte: pourquoi n'était-elle pas parti vivre sur le continent plutôt que de rester sur cette île dont chaque membre l'excluait? Athènes était bien plus grand et son histoire paraitrait là-bas sans doute beaucoup plus banale que sur l'île de Milo. Mais j'oblitérais trop facilement qu'elle manquait terriblement d'argent et qu'elle n'en avait parfois pas assez pour nous acheter à manger.
Quand cela arrivait, elle allait sur la plage et ramassait des crustacés. Je me rappelle aussi qu'elle voulait créer un potager mais qu'elle n'en eut jamais le temps...mais cela aurait été une riché idée car cela nous aurait évité d'acheter des légumes et surtout, de subir l'animosité générale quand nous nous rendions chez le vendeur de primeurs.
Je détestais y aller.
Je maudissais la journée ou nous allions faire des courses dans la petite baie ou un bateau venait achalander toute la population de l'île. Je n'avais pas même un an et elle me portait toujours dans ses bras, je devais pourtant être lourd pour une femme aussi menue si mon souvenir est juste. Je n'oublierais jamais les regards qui nous suivaient alors que nous nous avancions vers les caisses de pommes ou de betraves. J'entendais les chuchotements dans notre dos, je voyais des personnes nous désigner du doigt en riant, raconter notre histoire inlassablement, se moquer de nous.
Ma mère aussi savait qu'il se passait tout cela derrière elle, mais elle ne se retournait jamais et feignait de ne rien remarquer. Mais j'avais de toute manière bien assez mal pour deux et je ne me doutais pas alors qu'elle souffrait encore bien plus que moi. Cependant je n'eus jamais l'idée de lui demander de rester à la maison pendant qu'elle se rendait "au marché" comme elle qualifiait la petite arrivée de marchandises. Je ne désirais pas la laisser affronter seule toutes les méchancetés qui allaient être débitées et je crois que ma présence lui était nécessaire pour supporter cette épreuve. Mais, alors pourquoi n'ai-je pas été suffisant pour la retenir? Pourquoi n'ai-je pas été une raison valable pour la forcer à rester auprès de moi?
Ces interrogations m'ont pendant longtemps fais monter des larmes aux yeux mais maintenant elles ne provoquent plus qu'un curieux pincement en moi. Je ne sais s'il est de douleur ou d"ironie, mais cela ne m'intéresse pas de le savoir. Je ne veux plus me rappeler de tout cela, le passé n'a pas à entrer en compte dans le présent, et surtout pas dans l'avenir.
C'est ce que je me dis chaque jour en me levant et chaque soir en me couchant. Car il faut bien continuer, quelque soit ce que l'on a vécu, il ne faut jamais s'arrêter de marcher ou d'avancer, car c'est lorsque l'on stoppe que tout est perdu.
Ma mère et moi avons cohabité une année ensemble. Je ne me rappelle évidemment pas des premiers mois, mais les trois derniers sont prodigieusement clairs dans mon esprit. Il ne m'en manque aucun fragment, et peut-être est-ce parce que ce sont les seuls jours que j'ai passé avec elle. En si peu de temps, j'ai eu le temps de m'attacher à sa personne, avec toute la force d'un enfant à sa génitrice, même si je n'aurais pas dû, mais comment pouvais-je alors me douter du dénoument de son histoire?
Cela s'est produit un soir.
Elle m'avait dit qu'elle retournait au présbytère pour terminer un travail qu'elle n'avait pas eu le temps d'exécuter dans le journée et je n'avais alors rien vu de suspect. Pourtant, je me rapelle que son étreinte fut un peu plus longue que d'ordinnaire, car elle était d'habitude toujours très préssée. Mais c'est peut-être moi qui affabule.
Peut-être qu'en partant, elle n'avait pas encore conscience de la folie qu'elle allait comettre. Ou alors, peut-être qu'elle savait déjà ce qui allait se produire et que cette histoire de travail non achevé n'était une invention pour s'éloigner de moi. Je n'ai jamais eu de réponse à cette interrogation qui restera toujours en suspens, aussi longtemps que je vivrais. Mais cela n'a pas beaucoup d'importance quand le mal a été fait, c'est du moins ce que je crois.
Je l'ai regardé partir par la fenêtre et elle s'est retournée pour me faire un petit signe avant de poursuivre sa route. C'est la dernière fois ou je l'ai vu.
J'ai passé un nuit à l'attendre. Elle m'avait couché dans mon petit lit près du sien, mais je n'arrivais pas à fermer l'oeil, comme si mon sixième sens était déjà en éveil et que je me doutais de ce qui se produisait, à quelques kilomètres de là. Mon instinct me faisait déjà entrevoir le drame qui s'était joué, pendant que j'étais seul dans cette maison, loin de tout et de tous.
Quand j'y repense, n'importe qui aurait pu venir et nous faire quitter les lieux et je me demande comment ma mère a fait pour supporter cette incertitude. Mais il est vrai qu'elle ne l'a pas affronté bien longtemps.
Lorsque le soleil s'est levé le lendemain matin, je me suis précipité dehors. J'étais extrêmement mature pour une enfant d'une année et je me comportais déjà comme si j'en avais cinq ou six. Je ne parlais pas extrêmement bien, mais je me débrouillais tout de même avec aisance pour communiquer avec les autres.
J'ai été sur la plage, d'ou je pouvais la voir arriver et je me suis assis en tailleur.
Et j'ai attendu.
Attendu qu'elle revienne, qu'on me prévienne qu'elle était partie sans moi mais jamais, à aucun instant, je n'ai envisagé ce que j'allais pourtant découvrir et devoir admettre comme étant vérité. J'ai du patienter des heures entières sur cette plage, alors que des larmes perlaient au bord de mes yeux mais que je me retenais avec dignité de les faire couler. Je ne voulais pas pleurer, j'avais appris à me retenir grâce au jour ou nous nous rendions faire nos courses et c'était devenu une habitude que de refouler mes accès de tristesse, comme toutes mes émotions d'ailleurs au bout d'un moment.
La marée était basse le matin ou je me suis levé et, le soir, je me suis retrouvé avec de l'eau jusqu'à la taille et les vêtements trempés, mais cela ne comptait pas vraiment. J'avais compris que quelque chose de grave s'était produit et j'étais omnubilé par cette possibilité, qui ressemblait plus à une évidence.
Je n'arrive toujours pas à croire que personne ne soit venu me prévenir et que j'ai été obligé de me rendre par mes propres moyens jusqu'à l'église et au présbytère. J'avais de très petite jambes et plus de deux kilomètres à parcourir, mais cela ne me faisait pas peur. Je sentais que je devais m'y rendre à tout prix, pour comprendre enfin ce qui m'arrivait.
Je ne sais plus combien de temps j'ai mis pour y parvenir, tout le nuit en tout cas, puisque l'aube était largement levée quand je suis arrivé à la porte du présbytère, érinté, essouflé, et assoiffé. J'ai sans hésitation frapper à la porte, car ma mère me disait que lorsque l'on avait un problème, il ne fallait pas hésiter à se rendre dans une église et à demander à voir le prêtre ou le curé qui s'occupait du lieu saint. Et je n'avais aucune raison de remettre en doute les dires d'Aurelia sur l'amabilité de gens d'église.
Mais alors, ou était passé le sourire sur le visage de l'homme en soutane qui m'ouvrait la porte? Ou était passé le gestes d'accueil qu'il aurait du me prodiguer? Ils avaient sûrement disparus derrière la mine fâchée et contrariée qu'il portait sur le visage.
A cet instant, plutôt que de dire bonjour, j'ai demandé ce qui s'était passé. Je n'avais plus aucun doute à cet instant, le plus grave avait du se dérouler.
Le prêtre a toussoté et je suis sûr qu'il a remarqué à quel point j'avais soif mais il ne m'a rien donné. Pourtant, on m'avait appris que les prêtres pratiquaient la charité, mais visiblement, celui-là dérogeait à la règle. Il s'est passé une main sur son visage ridé par les années et les évènements qui avaient sans doute échelonné son existence et je l'ai observé avec la féroce acuité que donne la lucidité. Il ne m'a pas proposé d'entrer. Il m'a laissé dans la ruelle, alors que des personnes passaient près de nous et pouvaient entendre notre conversation. Certains ce sont même arrêtés pour entendre les phrases que nous nous échangeions. Je me souviens comme ils nous observaient, tels des vautours. Oui, c'était un animal duquel ils étaient parfaitement similaires.
-Eh bien, je ne peux pas te cacher qu'il est arrivé quelque chose de grave...
C'est comme cela qu'il a débuté ce discours qui me plongeait dans l'angoisse et dans la panique. Il m'a froidement débité son histoire. Comme si ce n'était rien. Comme s'il ne brisait pas une existence déjà mal partie et qui avait peu de chance de continuer dans la bonne voie.
Elle était morte.
Ma mère était morte. De quelle façon? Elle s'était pendue, dans le confessional. C'était un suicide, elle était morte de son plein gré. Je ne pouvais le concevoir, ni le comprendre. Aurelia, la courageuse Aurelia, toujours prête à affronter la vie, à subir les conséquences de ses actions passées, s'était supprimée elle-même.
C'était irréalisable et pourtant, je devais me rendre à l'évidence, le prêtre ne me mentait pas.
Je suis resté sans voix, m'imaginant l'horrible spectacle qu'elle avait dû offrir à la personne qui l'avait découvert. Bientôt le curé me fit part de ses soucis, dont je n'avais pourtant que faire. Il m'expliqua qu'avoir une suicidée n'était pas chose facile, car il ne savait pas si dieu la reconnaitrait comme l'une de ses adoratrices. Alors, en ses conditions, pouvait-il l'enterer en prononçant une messe? Il songeait personnellement que non.
J'eus envie d'éclater de rire, en balançant ma tête en arrière avec hystérie alors que ma douleur serait sortie de mon corps de cette façon. Mais elle était trop bien accrochée et j'étais trop pudique pour faire ce qui fut mon premier instinct.
Comment osait-il me parler de cela en cet instant? N'avait-il guère remarqué que je n'étais qu'un garçon d'une année, incapable de prendre la moindre décision?
Malgré mon jeune âge, je relevais pourtant l'ironie du sort. Ma mère, cette femme qui s'était toujours comportée de façon exemplaire et irréprochable, qui avait supporté d'être répudiée par toute une île, n'allait pas être reconnue auprès de Dieu?
C'était bien cela qu'il avait osé m'expliquer?
Etait-ce cela qu'ils appelaient tous un dieu de bonté et de clémence? Non, on se moquait éperdument du monde, cela je l'avais compris, du haut de mes douze mois, et j'allais conserver cette reflexion durant le reste de mon existence.
Et c'est ce qu'ils ont fait, je pense.
Ils l'ont enterré à la va-vite, comme la personne infréquentable qu'elle était sans être devenue. Je n'ai pas assisté à son enterrement, car j'avais peur des gens. Je ne voulais rencontrer personne, même si je me doutais que pas même une ombre ne viendrait assister à cette honteuse mise en terre. Je me disais qu'il y aurait malgré tout bien quelqu'un pour venir se repaître du spectacle, puisque les hommes semblaient tout apprécier la souffrance des autres. Et puis, ils devaient tous être bien contents, car, en mettant fin à ses jours, Aurelia n'allait pas finir de faire parler d'elle.
Moi, j'ai dormi à la belle étoile les jours suivants, car, aussitôt ma mère morte, quelqu'un est venu recupérer le minuscule pavillon que nous occupions. Mais c'était aussi bien comme cela, car je n'en avais pas besoin.
Je me suis demandé, alors que j'observais pensivement les étoiles et en empêchant mes sanglots d'éclater, pourquoi elle n'était pas restée avec moi, pourquoi elle m'avait abandonné. Si elle n'avait pas la force de vivre pour elle, peut-être aurait-elle pu l'avoir pour moi, son fils?
Je n'ai jamais, ni ne pourrais jamais, excuser ou pardonner son comportement, même si je le comprends. Notre situation était terrible à supporter et elle n'avait pas les nerfs solides seulement...ne s'est-elle pas demandée, alors qu'elle préparait un noeud coulant qu'elle accrochait dans le confessionnale, comme un enfant d'une année allait survivre seule et sans personne?
Puis, j'ai arrêté de réfléchir.
Je ne le pouvais plus. J'avais trop fin. Trop soif. Trop envie de me reposer réellement sans que mon ventre ne me tourmenter, que ma gorge ne me pîque ou que le sable ne s'infiltre dans mes vêtements, qui ressemblaient plus à des loques qu'à autres choses. Personne ne s'inquiètait de ce que je devenais. J'étais le fils d'une paria, et même si je n'avais jamais demandé à venir au monde, je méritais bien le sort qui m'était reservé. Ainsi, c'était comme cela que pensaient les hommes? C'était comme cela qu'ils réfléchissaient? Et bien, en ce cas, je ne voyais pas pourquoi je devais les aimer. Non, en fait, je les haïssais.
J'étais contraint de voler pour survivre. Mais j'étais très rapide et je ne prenais que ce qu'il y avait dans les jardins et les quelques vergers appartenants à des particuliers. Ils ne se rendaient partiquement jamais compte qu'ils leur manquaient un fruit ou un légume. Je ne pouvais plus manger de viande, mais cele ne m'importait guère, car j'aurais pu avaler n'importe quoi.
Je devenais, à fur et à mesure que les semaines passaient, un enfant sauvage. Je ne parlais à personne, je ne voyais pas l'ombre d'un être vivant, car l'état catastrophique dans lequel je me trouvais, ne me permettait pas de me rendre en ville et de toute manière, nul ne s'intéressait à mon sort.
Je dormais sous les étoiles, et je me forçais à ne pas songer à ma mère, cette mère qui m'avait abandonné et qui me forçait à survivre du mieux que je le pouvais. Car il n'était en effet depuis longtemps plus question de vie, mais de survie. J'étais un enfant malingre mais rapide, illitré mais ingénieux, sauvage mais prêt à tout pour obtenir ce dont j'avais besoin. Je m'en sortais assez bien pour un enfant de deux ans et demi, qui vivait dans des terrains rocheux et sans l'aide de personnes. Je crois que les habitants de l'île de Milo pensait tous que j'étais mort. Mais pourtant, je m'accrochais désespéremment à l'existence, comme si je devinais qu'un destin m'attendait.
C'était ce dont je me persuadais alors que j'étais callé entre deux falaises rocailleuses qui me coupaient du vent. Je devais me racrocher à l'espoir qu'un jour, peut-être, ma vie s'améliorerait et que je trouverais un moyen de me sortir du mauvais pas ou je me trouvais. Il fallait bien que je garde espoir, car sinon, j'aurais terminé de la même sombre façon que ma mère.
Je vivais la plupart du temps dans mon imaginaire. Dans mon esprit, j'avais le droit à toute la nourriture que je désirais, je vivais sur le continent, je pouvais devenir prince et me venger de tout ce que l'on m'avait fais subir. J'avais le droit à toutes les fantaisies et je ne m'en privais pas. J'aimais divaguer en entendant le roulement des vagues, inaltérable et qui accompagnait chaque journée de ma pathétique et sauvage existence.
Et puis, un jour, Ménélas est arrivé. Et j'ai enfin pu mesurer l'étendu de tout ce qui me manquait jusqu'alors. J'ai enfin pu découvrir ce qu'était la véritable essence de l'être humain, ou du moins, de certains d'entre eux et notre première rencontre scella mon retour à la civilisation, du moins par son intermédiaire. Quelle âge pouvait-il avoir? Cinq ans, si je me rappelle bien...
Il m'avait expliqué que sa famille était d'origine crétoise, mais je n'avais pas la moindre idée d'ou cette obscure nation se trouvait, en fait, je n'avais jamais imaginé qu'il existe dans le monde grand chose d'autre que l"île de Milo et la Grèce. Son père avait changé de travail et avait décidé de prendre un nouveau poste à Athènes, mais comme sa mère était souvent malade et convalescente, ils avaient décidé de vivre sur l'île ou l'air était bien plus pur que sur le continent.
Il m'avait raconté tout cela le jour même ou il m'avait rencontré, ou plutôt adopté. Il m'avait vu de l'autre bout de la plage m'enfuir en le voyant arriver, comme l'animal sauvage que j'étais à moitié.
Mais il n'avait nullement était effrayé au contraire, il m'expliqua plus tard que sa première réaction l'avait poussé à se sentir intriguer par ma personne.
J'avais alors été particulièrement choquer que quelqu'un s'avoue intéresser par mon sort ou par ce que j'étais. Je ne lui ai jamais raconté mon histoire, ni pourquoi je me trouvais réduit à cet état de mendicité et d'abandon et il ne me le demanda jamais, comme s' il avait une sorte de respect pour les souffrances que j'avais vécu et qu'il n'avait pas connues.
Nous étions devenus amis dès la première seconde. Et nous allions le rester jusqu'à notre mort. Nous le sommes encore, même si toute cette histoire est terminée depuis bien longtemps, car jamais je ne pourrais oublier la personne qui m'a fait aimer l'humanité.
C'était un petit garçon très intelligent, du moins à mes yeux de gamins de deux ans n'ayant jamais été instruit par un instituteur, ni par personne d'ailleurs. Il était aussi très drôle, et il avait surtout des gestes envers moi qui m'avait tout d'abord choquer et que j'étais ensuite venu à apprécier.
Je me souviens du bon en arrière que j'ai fais la première fois qu'il posa sa main sur mon épaule. Il ne s'en était pas offusqué et m'avait simplement expliqué qui c'était une manière pour lui de me montrer l'affection qu'il éprouvait à mon égard.
J'avais tant besoin de réapprendre et il avait une patience d'ange, malgré son jeune âge.
Chaque soir, il m'apportait de la nourriture, des restes des plats qu'il mangeait dans sa maison, et je me jetais dessus avec la rapidité d'un enfant affamé. Il riait de me voir aller aussi vite, mais ce n'était pas par méchanceté, simplement, il n'imaginait pas la douleur que provoquait un estomac vide. Il était toujours gaie, à me raconter son existence qui me passionait et que je rêvais moi aussi de mener un jour.
Souvent je l'enviais d'avoir une vie normale, alors que je vivais dans des rochers, que je dormais à la belle étoile et me lavait comme je le pouvais. Mais jamais je ne le jalousais, car c'était un sentiment que je ne connaissais nullement.
Mon ami Ménélas.
Nous nous sommes secrètement vus pendant six mois, mais cela a été suffisant pour fonder une amitié éternelle. Jamais ce que nous avons vécu ensemble ne pourra s'effacer de nos mémoires, j'en suis certain.
Je me demande parfois s'il pense encore à moi d'ou il est, s'il m'imagine menant une vie semblable à la sienne. Il ne se doute pas que je suis à présent l'un des derniers recours de l'humanité quand elle menace de s'éteindre.
Moi, je me prête souvent au jeu de l'imagination. Je le vois menant une existence heureuse et normale, entouré d'amis et de sa famille qu'il aimait tant. Peut-être est-il marié? Peut-être a-t-il des enfants qui sont devenus aussi amicaux que lui alors qu'il n'avait que cinq ans et qu'il s'occupait d'un gamin sauvage? Qui sait? J'aimerais bien le revoir, mais je crois que c'est aussi bien comme cela. Il ne me reconnaitrait de toute manière guère.
Ménélas n'avait jamais parlé de mon existence à ses parents, car ils lui auraient probablement interdits de venir me voir. Non pas par méchanceté, m'expliquait-il, mais par peur. Ils l'aimaient et ils ne voulaient tout simplement pas qu'ils lui arrivent quelque chose. Je ne le comprenais pas vraiment, car je n'imaginais pas à quoi pouvait ressembler l'amour parental, mais j'acquiesçais silencieusement quand il me parlait de tout cela.
Mon compagnon m'apprit à jouer, à parler plus correctement, à rire, à manger moins vite et à faire des petites cabanes de feuillages pour s'amuser. Il m'apprit aussi, à son inssu, que les hommes n'étaient pas tous mauvais et que certains étaient dignes d'amour et en cela, il me sauva la vie. Sans lui, j'aurais probablement était réduit à maudire l'humanité, à vouloir me venger de tout ceux qui m'avaient fais souffrir. Je serai tomber dans le piège, trop facile, du cynisme et de la haine, mais grâce à sa présence, je sus résister. Je sus avoir le courage d'ouvrir mon esprit et mon âme aux autres, même si cela m'était difficile.
Pourtant un jour, tout prix fin. Mon ami m'apprit que son père devait dorénavant travailler à Delphes et qu'il allait s'en aller avec ses parents. Et j'eus beau le supplier de rester, pensant innocemment qu'il allait accepter, il m'a dis qu'il ne pouvait pas faire autrement. Il m'a précisé que si j'allais sur le continent, si je réussissais à sortir de cette île, je trouverais beaucoup de personnes semblables à lui et toutes prêtes à m'aider. Mais ce qu'il ne comprenait pas, c'était que les autres ne m'intéressaient pas. C'était lui mon seul et unique ami et je ne voulais pas le perdre.
Ce discours, je me le tints le matin de son départ. Il était venu me faire ses adieux et me souhaiter bonne chance pour l'avenir. Il m'avait dis qu'il savait que je m'en sortirais car j'étais quelqu'un d'exceptionnel et que je ne devais pas me laisser abattre. Il a ajouté, je m'en souviens comme si cela s'était produit hier, que les choses ne changeaient pas, mais qu'elles évoluaient selon une logique plus puissante que la nôtre, le destin et que son départ allait sûrement m'apporter autre chose, amener une autre phase de ma vie.
Et une fois encore, sans vraiment le savoir, il n'avait pas tort.
J'avais décidé de ne pas le perdre, et je savais que pour cela, il n'existait qu'une seule solution, le suivre.
C'est pourquoi, dès les premières lueurs de l'aube, je me suis embarqué illégalement sur le bâteau qui l'emmenait vers Athènes. Je savais que je devais faire vite, mais je n'eus aucun mal à me faufiler dans une caisse et à m'introduire dans les cales car j'étais un enfant de bientôt trois ans plutôt maigre et agile. Je ne pouvais pas envisager ma vie sans Ménélas.
C'était impossible. Je ne pouvais pas accepter de perdre la seule personne qui ne m'avait jamais aimé depuis ma mère, qui avait d'ailleurs elle aussi choisi de m'abandonner au bout d'un certain temps.
Alors que je me trouvais dans les cales, je me suis posé un bon nombre d'interrogations. Allais-je réussir à le suivre à la sortie du bâteau? De toute façon, je n'avais pas le choix. Je devais y parvenir coûte que coûte.
Je ne me rendais alors pas compte qu'il aurait ensuite été impossible de continuer ma route. Mais j'étais aveuglé par ma terreur de me retrouver une fois de plus seule et je n'avais nulle envie que me laisser faire cette fois-ci. J'allais tenter l'impossible pour conserver le peu que j'avais et c'était sans regret que je partais de cette île maudite.
Et pourtant, je l'ai perdu dans la foule. Malgré tous mes efforts à le voir et à le poursuivre, je ne l'ai jamais retrouvé. Je suis resté seul, sur le quai, à le guetter alors qu'un flot de passagers descendait de l'embarcation ou j'étais dsicrètement monté. J'ai longtemps parcouru la foule des yeux, omnibulé par le fait que je ne le trouvais pas, me sentant perdu, écrasé, terrorisé face à ce nombre hallucinant de personnes qui m'entouraient. J'étais complètement déphasé, terrifié, et la solitude qui m'envahit à cet instant fut semblable à celle que je ressentis à l'instant ou l'on m'appris que ma mère venait de mourir. J'ai longtemps marché. Toute la journée et toute la nuit suivante à dire vrai. J'étais épuisé et j'avais faim mais cela ne comptait plus. A quoi ressemblerait ma vie sans Ménélas? A celle que je menais avant, quand je n'avais personne d'autre que moi sur qui compter. Mais je n'avais pas envie de que cela reprenne.
On m'avait appris l'amitié et je ne voulais pas perdre ce sentiment qui m'avait animé pendant tant de semaines. Avec mon compagnon, j'avais été heureux, oui, pour la première fois de ma vie, j'avais goûté au bonheur mais maintenant, on me reprenait tout.
C'est alors, pendant que toutes mes reflexions me berceaient, que je l'ai apperçu. Il était assis sur la plage, ses jambes étendues devant lui et il jetait de petits coquillages en direction de la mer. Il en était assez éloigné et pourtant, il réussissait toujours à atteindre sa cible. Et pendant quelques instant, j'ai oublié Ménélas.
Sans m'en rendre compte, je n'avais finalement, en tentant de suivre mon ami, que répondu à un appel qui m'était lancé. Et les étoiles, durant toute la nuit que j'avais passé seul et à penser, n'avaient fais que me guider vers cet homme, qui regardait mélancoliquement l'horizon. Ce n'était d'ailleurs pas un homme. Quel âge pouvait-il avoir? Dix, onze ans?
J'appris un peu plus tard qu'il était âgé de huit ans de plus que moi. Mais il avait quelque chose en lui de déjà adulte et je me suis immédiatement senti proche de sa personne. Comme si je n'étais qu'un sombre papillon de nuit attiré par la lumière qui se dégageait de son être.
Il se tourna vers moi à la dernière seconde et me sourit avant de se remettre à jeter au loin des coquillages. Instinctivement, je me suis assis à côté. J'avais l'air encore plus malingre à côté de lui qui était déjà très gand pour son âge. Nous n'avons pas échangé un mot pendant un long moment, mais il souriait de toute sa personne à côté de moi, je le sentais. Il se dégageait de lui une telle bonté, que je n'aurais quitté ma place pour rien au monde.
-Je t'attends depuis hier, mais cela ne m'a finalement pas semblé très long. La plage est mangifique n'est-ce pas, surtout lorsque le soleil va se coucher. On a alors l'impression qu'il disparait dans l'océan. C'est comme si l'astre du jour se couchait dans un manteau d'or, à cause des reflets qu'il projette sur l'eau... Tu sais qui je suis, n'est-ce pas?
Je hochai lentement la tête.
-Comment t'appeles-tu?
Je réfléchissais quelques instants. C'était une excellente question auquel je n'étais nullement capable de répondre.
-Je viens de l'île de Milo. Mais je n'ai pas de nom...personne ne m'en a donné.
-Et bien nous t'appelerons Milo. Moi, je suis Fomalhaut. Je dois t'emmener pour le Sanctuaire. Mais je suppose que tu le sais déjà.

C'est ainsi que je fus introduit dans le domaine sacré ou je grandis. Là, je pus connaître l'amitié sous sa forme la plus noble et la plus intense. Cependant, je n'ai jamais oublié la tendresse que me prodigua Ménélas.
Il m'arrive encore souvent de me poser des questions sur mon enfance.
Est-il dans mon destin de toujours devoir être séparé des gens que j'aime au bout d'un bref laps de temps? Je crois personnellement que oui. C'est comme une prédestination.
Et c'est pour cela que je prends à présent bien garde de ne m'attacher à personne. Je n'ai pas envie d'être blesser et à présent, je me dissimule derrière mon ironie et mes sarcasmes. C'est plus facile et cela évite de laisser entrevoir aux gens ce que je suis réellement.
Une personnes sauvage qui ne fait que répondre à ses instincts.
Ce que les hommes sont finalement tous.

Scorpio Milo
"L'appel des Etoiles"

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Cette fiction est copyright Caroline Mongas.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.